I
L'ALL] GNE ET LA RÉFORME
Pî
L'ALLEMAGNE
A LA FIN DU MOYEN AGE
JEAN JANSSEN
TRADUIT DE L'ALLEMAND SUR LA QUATORZIEME EDITION
AVEC UNE
PREFACE DE M. G. A. HEINRICH
PARIS
LIBRAIRIE PLÖN
^y'f,^l
E. PLÖN, NOURPxIT rx C-, IMPRIMEURS-ÉDITEURS
n U E G A li A >■ C I È li K , 10
1887
Tous droits réservés
^^ ^-
^-t**^ fei« TE?« CXiLLÊGfe.
• Si quelqu'un lit toutes les chroniques, il trouvera que depuis la naissance
du Christ, rien ne peut être comparé à ce qui s'est produit parmi nous depuis
cent ans. Jamais, dans aucun pays, on n'avait vu tant de bâtiment, tant de
plantations. Jamais non plus le bien boire, la nourriture abondante et délicate
n'avaient été à la portée de tant de gens. Les costumes sont si riches qu'ils ne
pourraient l'être davantage. Oui a jamais ouï parler d'un commerce comme
celui d'aujourd'hui? Il fait le tour du monde, il embrasse la terre entière! La
peinture, la gravure, tous les arts ont progressé et progressent encore. Outre
cela, il y a parmi nous des gens si habiles et si savants que leur esprit pénètre
toute chose, de sorte que maintenant un enfant de vingt ans en sait plus que
vingt docteurs n'en savaient autrefois. »
(Martin Luther (1521), OEuvres complètes, édit. de Francfort, t. X, p. 56.)
^
PREFACE
DE LA SIXIÈME ÉDITION'
tt Vous ne pouviez assure'ment vous proposer de tâche plus
fe'conde et plus belle que celle d'e'crire une histoire populaire de
rAllemagne. (Je prends ici le mot populaire dans son sens le plus
e'ieve'.) Utiliser pour cette grande œuvre les recherches déjà faites,
les re'sumer dans leurs parties essentielles afin d'en composer un
ensemble bien coordonne'; s'efforcer de revêtir les faits d'une forme
de langage siuipie, e'nergique et concise, en un mot rendre cette
histoire digne d'être appre'ciée par le pubhc intelligent et éclaire',
c'est là, en vérité, une noble tâche, et je loue celui qui dès sa jeu-
nesse s'est donné une si haute mission. Elevons notre pensée vers
un but vraiment grand; nous puiserons dans sa beauté même la
force, le courage, le désintéressement qui nous sont nécessaires
pour le poursuivre. » Voilà ce que m'écrivait Böhmer, le 5 mai 1854,
en réponse à une lettre où je lui faisais part de l'intention où j'étais
de prendre pour objet principal des travaux de toute ma vie l'his-
toire du peuple allemand Lorsque je lui présentai plus tard le plan
de mon livre, lui indiquant la place particulière que j'entendais
y faire à l'histoire de la civilisation, et comment, avec une prédi-
lection marquée, je comptais mettre cette histoire sur le premier plan,
Böhmer m'approuva pleinement. « Je tiens pour certain y , me dit-il,
« qu'à notre époque il est très-nécessaire d'insister sur ce point
plus qu'on ne l'a fait jusqu'ici. Les études modernes doivent être
dirigées dans ce sens. Mais, à mon avis, il faut avoir grand soin de
tenir tout ce qui se rapporte à la civilisation dans un certain isole-
ment de l'histoire proprement dite, c'est-à-dire du récit des événe-
ments politiques. »
II PREFACE.
Lorsque je vins me fixer à Francfort, dans l'automne de 1854,
je commençai, sous les yeux et la direction de Böhmer, à faire des
recherches sur la pe'riode dont les Registres des empereurs retra-
cent les faits. Mais à partir de 1857 je me livrai presque exclusive-
ment à l'étude des documents concernant l'histoire d'Allemagne
à partir de la fin du quinzième siècle, et je restreignis mon plan à
cette proportion. Mes recherches dans les archives de Francfort
m'enrichirent de précieux trésors d'informations. Böhmer, dès 1836,
m'avait signalé leur importance capitale au point de vue de l'his-
toire du moyeu âge à son déclin. De 1863 à 1873, je fis paraître
successivement deux volumes contenant les correspondances politi-
ques conservées dans les archives de Francfort, et se rapportant à la
période qui s'étend du règne de Venceslas à la mort de Maximilien I".
Je les fis suivre de chartes, d'actes officiels ayant trait à la même
époque. De 1873 à 1878, je donnai d'importants extraits des princi-
paux documents historiques concernant l'espace de temps qui sépare
la Réforme de la guerre de Trente ans. Je consultai aussi les archives,
alors ouvertes au public, de Trêves et de Mayence; puis celles de
Lucerne, de Zurich, de Wertheim, etc. Enfin, je mis à profit, dans
les archives du Vatican, les renseignements si nombreux sur la
guerre de Trente ans renfermés dans les pièces diplomatiques de la
nonciature. Ainsi que je l'ai dit dans la préface de la quatrième
édition de cet ouvrage, j'ai rassemblé pour les trois prochains
volumes de mon ouvrage, qui doit en avoir six, des matériaux
et dossiers d'archives extraits de plus de trois cents volumes in-
folio. Beaucoup de ces matériaux ont déjà été utilisés dans mon
second volume, paru au mois d'octobre dernier.
Si, dès le début de mon travail, j'avais été frappé de la nécessité
de mettre en relief plus qu'on ne l'a fait jusqu'ici l'histoire de la
civilisation; si j'avais résolu de mettre au second rang dans mon
ouvrage ce qu'on est convenu d'appeler les événements importants,
les actions d'éclat, c'est-à-dire les guerres et les batailles, et de
concentrer tout l'intérêt historique sur le peuple allemand étudié
dans ses états variés, dans ses destinées diverses, cette méthode me
parut surtout nécessaire à suivre pour l'histoire du moyen âge à
son déclin.
l'RKFACE. ni
Il existe en effet un {jrand nombre de travaux isole's, de disser-
tations, de monographies se'pare'es sur la vie intellectuelle et l'e'co-
nomie politique de l'Allemagne pendant cette pe'riode de notre
histoire nationale. Presque tous ces essais sont dus à des e'rudits
protestants pleins de savoir et d'impartialité'. Mais ce que nous ne
possédions pas encore, c'est un ouvrage complet, re'sumant dans un
seul ensemble tant d'e'tudes particulières. Or, un tel livre me paraît
indispensable à l'appre'ciation juste et inde'pendante de la fin du
moyen âge. J'ai donc cherché à fondre dans un aperçu général
les études partielles déjà connues du public sur l'éducation popu-
laire, l'instruction religieuse, les sciences et les arts, les condi-
tions de l'économie rurale, les métiers, les classes ouvrières, le
commerce, l'économie politique à la fin du quinzième siècle, et j'ai
complété autant que possible cet aperçu eu y ajoutant le fruit de
mes recherches personnelles et surtout de nombreuses citations
empruntées à des documents précieux jusqu'ici laissés dans l'ombre
ou négligés. Le résultat que j'ai ainsi obtenu ne correspond cer-
tainement pas aux idées généralement adoptées sur cette époque si
décriée, et mon livre a excité de l'étonnement chez beaucoup de mes
lecteurs. J'avoue sincèrement que, pendant les longues années con-
sacrées à cette étude, j'ai bien souvent éprouvé la même surprise.
Je me suis efforcé d'exposer avec simplicité la vérité historique
telle que j'ai pu la saisir en puisant aux sources mêmes de l'histoire.
Je me sens indépendant de toute autre « tendance « .
Le grand fait historique de la révolution du seizième siècle ne
s'est pas accompli seulement sur le terrain ecclésiastique et reli-
gieux : il s'est produit d'une manière peut-être encore plus directe
dans le domaine économique, judiciaire et social. Plus, dans le
cours de mes études, ce fait s'imposait à ma conviction, plus aussi je
m'attachais à l'analyse scrupuleuse des événements qui préparèrent
cette révolution, et entraînèrent peu à peu la chute de l'ordre
social du moyen âge, fondé tout entier sur la doctrine de l'effica-
cité des bonnes œuvres pour le salut.
Il fallait avant tout tenir compte de l'influence fatale (si sensible
dès la fin du quinzième siècle) exercée en Allemagne par l'adop-
tion du droit romain, droit transplanté d'une terre étrangère et
a.
IV PREFACE.
païenne sur un sol chre'tien. Le Code Justinien était absolument
oppose' dans ses principes à la jurisprudence, à l'économie politique,
à tout l'ensemble, en un mot, de l'organisation de la société chré-
tienne germanique au moyen âge. 11 rompait les liens intimes,
l'heureuse harmonie qui avaient uni jusque-là les forces religieuses,
sociales et politiques de notre pays. Ce contraste entre le nouveau
droit et l'ancien ordre de choses devait être clairement exposé.
Aussi en ai-je fait le sujet d'une étude spéciale, convaincu que
j'étais de l'importance de la question. Le droit romain, en effet,
contenait en germe le dogme de l'omnipotence des princes, plaie
dévorante qui mit longtemps obstacle au développement de
la civilisation, et [commença d'exercer sa funeste influence bien
avant qu'éclatât la révolution du seizième siècle.
La rapidité avec laquelle cet ouvrage s'est répandu (à ce point que
dès le printemps de 1876 une sixièuie édition était devenue néces-
saire) prouve avec évidence l'iutérét vif et général qui s'attache
aux sujets que j'y ai traités. Une étude encore plus approfondie
sur cette époque serait aussi intéressante qu'elle est souhaitable. Je
renouvelle donc ici l'expression de l'ardent désir que j'éprouve de
voir mes recherches complétées, corrigées s'il y a lieu, et discutées
à fond, quand l'importance des questions soulevées semblera le
réclamer.
Jean Janssen.
8 décembre 1877.
INTRODUCTION^
V! Histoire du peuple allemand (\q Janssen, dont une main aussi
habile que de'vouëe offre ia traduction au public français, est certai-
nement Tune des œuvres savantes les plus originales qui aient paru
en Allemagne dans ces dernières anne'es.
Ce n'est pas l'histoire politique, ce n'est pas même l'histoire reli-
gieuse que l'écrivain catholique a entrepris de raconter; c'est la
vie même du peuple allemand, telle qu'elle était au siècle qui a
précédé la Réforme, et telle qu'elle est devenue au milieu des luttes
intestines et des bouleversements qui l'ont suivie, dont il nous retrace
le tableau. Un lecteur français donnerait volontiers pour épigra[)he
à ce travail ces paroles célèbres de la Bruyère : « Ce sont les faits
qui louent, et la manière de les raconter. »
JMais les faits distribuent le blâme aussi bien que l'éloge, et de là
les orages que le livre de Janssen a soulevés. L'apologie de la civi-
lisation catholique, telle qu'elle ressort de ses premiers volumes, a
pour conséquence fatale de faire envisager dans la Réforme non-
seulement une immense perturbation de toutes les relations reli-
gieuses et sociales, mais encore un abaissement du niveau intellec-
tuel aussi bien que des mœurs, une diminution du bien-être général,
un appauvrissement de tous, aussi bien de ceux qui répandaient des
bienfaits que de ceux qui étaient appelés à les recevoir. Or, la
Réforme est considérée par une grande partie des Allemands comme
le point de départ d'une rénovation. Des générations entières sont
élevées, depuis les premiers enseignements qui s'adressent à l'enfance
jusqu'aux leçons les plus érudites des professeurs des universités,
dans cette idée que la vie intellectuelle et morale du peuple alle-
mand date de la grande révolution religieuse accomplie par Luther,
"^' I INTRODUCTION.
et que tous les progrès mate'riels et les développements de la civili-
sation ont été' la conséquence de cette impulsion féconde imprimée
à son peuple par le génie du grand réformateur.
On allègue à l'appui de cette thèse que les contrées protestantes
de l'Allemagne ont eu pour ainsi dire jusqu'à nos jours le monopole
de la gloire littéraire; que c'est dans les régions protestantes que
se sont développées principalement la philosophie, l'histoire, les
sciences, l'industrie même, tout ce qui a créé en un mot le pres-
tige de l'Allemagne moderne. On ajoute, non sans orgueil, que
seule une puissance protestante a pu reconstituer l'empire alle-
mand et rendre à la patrie germanique son ancienne unité. Il y a
donc, pour établir la supériorité du protestantisme sur le catholi-
cisme au sein de l'Allemagne contemporaine, plus qu'une tradition,
plus qu'une légende. Il y a un enseignement officiel, une constata-
tion au moins apparente de faits indéniables, une sorte de statis-
tique des productions intellectuelles et une énumération rigoureuse
de leurs auteurs, en un mot toute une philosophie de l'histoire
aboutissant à la glorification récente de la patrie allemande.
La Réforme est en Allemagne pour un très-grand nombre de
chrétiens assez tièdes ce que la Révolution est en France pour une
foule de bourgeois fort conservateurs. C'est un dogme, qui impose,
il est vrai, peu d'observances à ses fidèles, mais auquel il est interdit
de toucher. L'Allemagne date de la diète de Worms en 1521,
comme la France date du 5 mai 1789. Ceux qui le répètent le plus
haut seraient les plus embarrassés s'il s'agissait de le prouver; mais
ils n'en tiennent que plus à leur opinion.
Enfin, dans cette question spéciale, tout ce que le protestantisme
compte de croyants sincères ou de lutteurs ardents a pour appui,
dans tous les rangs de la société, et même chez un grand nombre
d'hommes nés catholiques, les adeptes delà libre pensée. L'antique
édifice religieux élevé par l'Église au moyen âge reçut au temps
de la Réforme un terrible assaut, dont les désastres sont loin d'être
réparés. Que d'esprits qui tiendraient Luther et ses disciples pour
les plus dangereux des fanatiques s'ils étaient obligés de se con-
former à leurs doctrines, saluent dans les réformateurs des auxi-
liaires utiles! Les brèches que ces éraancipateurs de la pensée
INTRODUCTION. VU
humaine pratiquèi'ent dans le vieil e'difîce catliolique leur paraissent
les passages providentiels par où la libre pensée devait faire irrup-
tion dans le monde. Ces pionniers inconscients croyaient naïvement
n'ouvrir la voie qu'au véritable Évangile; ils ont fraye la route à la
philoso|>iiie et affranchi l'humanité delà croyance à une révélation.
Le culte de la Réforme corres|)ond donc admirablement à ce singu-
lier mélange de négation téméraire et de mysticisme nuageux qui
est si souvent au fond de la pensée allemande. Heurter de front
ce culte, c'était soulever contre soi une légion d'adversaires. Aussi
les critiques, les accusations, les invectives elles-mêmes n'ont-elles
pas manqué à l'auteur de \ Histoire du peuple allemand.
Apportait-il donc dans ce grand débat des assertions absolument
nouvelles? L'Eglise n'est pas mieuxjustifiéepar ses travaux qu'elle
ne Ta été par les savants ouvrages de Voigt et de Hurter, ou par
les études magistrales qu'au début de sa carrière, et au temps où
rien ne faisait prévoir sa rupture avec Rome, Düllinger consacrait
précisément à l'histoire de la Réforme. La guerre de Trente ans a
été l'objet de savantes monographies dans lesquelles plus d'un fait
travesti a été rectifié, et plus d'un personnage calomnié réhabilité
d'une façon décisive. 11 en est résulté souvent d'ardentes polémiques,
comme celle dont la mémoire de Tilly, pour ne citer qu'un exemple,
a été l'objet dans ces dernières années. Mais aucun livre n'a eu un
pareil retentissement; aucun ouvrage n'a excité autant que le grand
travail de Janssen de violentes tempêtes dans le monde ordinaire-
ment plus calme des journaux religieux et des revues savantes.
C'est que le livre de Janssen est pour la Réforme précisément ce
que le livre de M. Taine est pour la Révolution française. L'attitude
des deux écrivains est presque la même, quoique les deux hommes
soient séparés par toute la distance qu'on peut mettre entre un
libre penseur et un croyant. Le procédé est à coup sûr identique,
et à la lecture des deux ouvrages, il est impossible à un lecteur
clairvoyant de n'en être point frappé. Aux discussions théoriques
sur la valeur de lancien régime et des temps nouveaux, M. Taine
a substitué une immense enquête dans laquelle les documents ori-
ginaux, juxtaposés en une puissante synthèse, doivent nous fournir,
si tant est qu'on puisse y arriver jamais, les éléments d'une conclu-
"^^'^ INTRODUCTION.
sion définitive. Les procès-verbaux, les rapports, les pièces confi-
dentielles nous montrent, à Paris et en province, la vie de la nation
française pendant cette terrible période d'orag^e; de même qu'une
enquête préalable, fondée sur la même méthode, nous a fait conce-
voir ce qu'était la vie nationale avant la période de crise, ce qui a
préparé le conflit, ce qui l'a rendu inévitable.
Janssen ne procède pas autrement. La vie industrielle, sociale,
religieuse, l'organisation des institutions de bienfaisance, les mœurs
chrétiennes prises dans leurs détails les plus intimes, dans leur
aspect tantôt naïf, tantôt pittoresque, voilà ce qu'il recherche dans
le passé et ce qu'il met sous les yeux souvent avec un rare bonheur.
Le tableau est très-évidemment à l'avantage du catholicisme. Ces
institutions charitables, ces liens religieux des associations indus-
trielles ou même des simples associations artistiques, ces rapports
des apprentis, des ouvriers, des patrons, étaient l'œuvre de la plus
vieille expérience en même temps que des intentions les plus bien-
faisantes. La piété la plus sincère et la sagesse la plus éclairée y
avaient collaboré pendant des siècles. Ces institutions avaient le
défaut de tout ce que l'on constituait au moyen âge : elles préten-
daient à une immobilité qui semblait exclure le progrès. Elles n'en
étaient pas moins la condition de tout le bien qui s'opérait alors
dans les relations sociales. Elles furent attaquées, bouleversées
inconsidérément, comme tant de choses le furent chez nous au
moment de la Révolution française. Les réformateurs qui déchai-
nèrent l'orage ont plus d'un trait de ressemblance avec les philo-
sophes qui, chez nous, poussèrent au renversement du vieil édifice
social. Ce fut pour des questions abstraites, pour des principes sou-
vent contestables, qu'ils jetèrent dans la masse ces grands mots
toujours si populaires de réforme, de réorganisation. La multitude,
au seizième siècle en Allemagne, comme à la fin du dix-huitième en
France, vit surtout dans ce mouvement une occasion de porter
remède à tel ou tel abus dont elle ressentait, dans son humble
sphère, l'inconvénient immédiat. Personne au début, en 1517 ou
même eu 1521, ne veut changer Fensemble de la religion; pas plus
qu'en 1789 on ne songe à changer en France la forme du gouver-
nement. Chacun attaque isolément telle pierre de la vieille construc-
INTRODUCTION. ^^
tien qu'il veut changer pour rendre l'édifice plus solide ou plus
commode, sans se douter que le mur, attaqué de tous côtés à la
fois, va s' écrouler et joncher au loin le sol de ses dél)ris.
Plus heureuse que la société civile d'avant 1789, la société reli-
gieuse conserva en quelques points comme des places de sûreté où
elle put profiter des terribles leçons de l'expérience, sans voir les
conditions de sa vie complètement bouleversées. Les pays où la
Réforme triomphe voient au contraire la ruine de la plupart des
institutions qui avaient grandi à l'ombre du catholicisme et dont la
religion était l'élément organisateur. Il y a là un terrible interrègne
dont Janssen constate les effets, exactement comme, dans les livres
de M. Taine, nous voyons l'anarchie se substituer à l'ordre et accu-
muler, pendant la période néfaste de la Terreur, les désastres et
les ruines. Janssen attaque la légende delà réformation, comme
M. Taine attaque celle de la Révolution française. Une foule de
petits faits, avec leur impitoyable exactitude, opposent une néga-
tion décisive à cette glorification exagérée d'un mouvement national.
La violence et le désordre apparaissent là où l'on ne supposait que
l'irrésistible courant de l'opinion. Dans les deux cas, les deux ouvra-
ges se heurtent aux mêmes préjugés : ils rencontrent les mêmes
partis pris qui aiment mieux tout absoudre dans la révolution
politique ou religieuse du seizième ou du dix-huitième siècle que
de faire à l'ancien régime monarchique ou à la doctrine catholique
leur place légitime dans les origines des progrès contemporains.
Le mérite des deux écrivains sera d'avoir marqué une phase nou-
velle, imposé un changement de méthode plutôt que d'avoir clos le
débat; car le grand procès de la Réforme, pas plus que celui de la
Révolution française, ne peut encore être de nos jours l'objet d'un
arrêt sans appel. Tout jugement rendu par un historien soulèvera
parmi les parties intéressées des protestations sans nombre et des
récriminations passionnées. Nous pouvons aisément nous le figurer
par l'animosité sourde qui accueille chaque nouveau volume de
M. Taine. Quel grief irrémissible en effet que d'avoir portéla mainsur
cette légende de la Révolution française ; que d'avoir montré l'igno-
rance, l'erreur, les mille indécisions d'une pensée qui n'est point
sûre d'elle-même . les hasards des événements et les résultats
X INTRODUCTION.
imprévus de mille aventures, là où une opinion pre'conçue voulait
adûiirer une doctrine , là où une ve'ritable superstition véne'rait des
lie'ros et saluait en eux les de'fenseurs delà justice, les re'gënérateurs
du monde moderne et presque les apôtres d'une relig^ion nouvelle!
Cependant, une objection, une seule, n'a pu être faite à M. Taine
par ses adversaires. En vertu d'une singulière ironi« de la fortune,
ce contempteur delà vieille tradition jacobine ne saurait être accusé
de fanatisme religieux; sa vie tout entière témoigne de sa profonde
indifférence à l'égard de toute religion positive. Pour Janssen, au
contraire, l'ardeur de ses convictions catholiques amenait tout natu-
rellement sur les lèvres de ses contradicteurs celte accusation de
fanatisme si voisine de l'imputation de mauvaise foi. Dans les
innombrables documents que met à la disposition de l'historien cette
recherche des détails intimes de la vie d'un peuple pendant une
longue période, le choix des textes et la feçon de les grouper ont
une importance capitale. Ou reproche à Janssen comme à M. Taine
d'avoir inconsciemment omis ceux qui ne pouvaient prendre place
dans un réquisitoire. Une tendance fort naturelle a fait que les deux
écrivains, pour coutre-balancer d'éternelles apologies dont ils
voyaient mieux que personne les côtés faibles, ont développé davan-
tage l'acte d'accusation. De là des récriminations amères aux-
quelles les colères religieuses et politiques, en France comme en
Allemagne, ont ajouté toute l'âpreté qui résulte d'habitudes d'esprit
invétérées et fortifiées par la passion.
M. Taine a, jusqu'ici du moins, dédaigné de répondre à ses
contradicteurs. Janssen a relevé le gant, et, dans une série de lettres
écrites avec une vivacité qui s'élève parfois jusqu'à l'éloquence, il a
cité, discuté, réfuté la plupart des arguments de ses adversaires'.
Ces lettres ont leur place marquée à côté de son grand ouvrage
parmi les productions les plus remarquables de la critique allemande
contemporaine. On y entend retentir partout l'accent indigné de
l'honnête homme, révolté qu'on ait pu suspecter sa bonne foi. Les
contradictions de ses adversaires y sont relevées avec finesse. Les
nuances infinies du protestantisme allemand favorisent ceux qui
1 An meine Kritiker, et la suite de la polémique intitulée : Zweites Wort an meine
Kritiker. Y r'ihowTQtn Brisgau, Herder, 1 vol. in-8, 1884.
INTRODUCTION. XI
le combattent en leur permettant d'invoquer contre lui des prin-
cipes souvent fort opposés : Janssen attaque en de'tail cette arme'e
si nombreuse, et profite avec habileté de tout ce qui sépare entre
eux ses adversaires pour les vaincre isolément.
Le ton de sa polémique ne dégénère jamais en invectives ; nouvel
avantage qu'il a sur plus d'un contradicteur dont les reproches
touchent souvent à la violence ou à la grossièreté. On sent que ce
domaine de la critique protestante est pour lui comme un pays dont
il ne saurait sans doute faire ni surtout conserver la conquête , mais
où il marche en vainqueur sans que personne, au moment du com-
bat, puisse lui opposer une résistance sérieuse.
Deux grands- faits, aux yeux de tout lecteur impartial, semblent
cependant se dégager d'une manière évidente de cette prodigieuse
accumulation de preuves.
Le premier, c'est que la situation du peuple allemand, avant la
Réforme, était loin d'être aussi malheureuse qu'on le suppose et
qu'on le répète généralement. Sans doute le quinzième siècle est
une période troublée. L'antique organisation du moyen âge ne
correspond plus aux besoins d'une société nouvelle, et, comme dans
tous les siècles de transition, on sent je ne sais quel malaise agiter
sourdement tout le corps social. Les plus hauts dignitaires du
clergé, recrutés, souvent sans vocation, dans les familles princières
qui disposent des bénéfices, donnent parfois l'exemple de la plus
triste inconduite, et le règne de 3Iaximilien n'est que la succession
des efforts impuissants du pouvoir pour maintenir au sein de
l'empire un peu d'ordre et de paix. On a souvent insisté sur les
malheurs de cette période, et dans le domaine de la littérature Gœtlie
les a en quelque sorte gravés dans la mémoire de toute l'Allemagne
en les dépeignant dans son Gœiz de Berlichingen.
Pourtant le livre de Janssen prouve que, pour justifier la Réforme,
on s'est attaché surtout à montrer les ombres du tableau. Dans cette
période proclamée néfaste, les universités et les hautes écoles se
créent de toutes parts; les études y sont florissantes ; ce qui prouve
que les savants et leurs élèves y ont quelque sécurité et quelque
bien-être. La richesse se développe dans les villes; les goûts [artis-
tiques se répandent jusque dans les corporations ouvrières, signe
XII INTRODUCTION.
incontestable d'une aisance relative, crime existence où les besoins
les plus urgents de la vie sont facilement satisfaits. Les relations
commerciales s'e'tendent, en dépit des guerres prive'es et des hostilités
seigneuriales. L'examen scrupuleux des institutions de bienfaisance
nous montre le clergé inférieur et les Ordres religieux dévoués à
leur tâche, attentifs à secourir toutes les misères; et si les maux du
temps sont incontestablement nombreux, une charité non moins
industrieuse que prévoyante s'applique de toutes parts à les guérir.
Il en est donc de ces misères antérieures à la Réforme comme de
l'esclavage prétendu des classes inférieures avant la Révolution
française. 11 ne faut pas nier des maux souvent fort réels, ni réha-
biliter sans restrictions une société qui eut ses imperfections et ses
vices ; mais il n'en est pas moins vrai que la plupart des écrivains,
pour le besoin de leur thèse, se sont plu à assombrir le tableau. 11
n'en est pas moins incontestable que, dans les deux cas, le premier
effet de la prétendue régénération a été d'aggraver la misère, et
que dans la France de la Convention et du Directoire, comme dans
l'Allemagne du seizième siècle, les faibles et les paiivres, pendant
qu'on leur répétait à grand fracas qu'ils étaient affranchis, ont dû
regretter amèrement les jours de l'ancienne servitude.
Le second fait, qui va en quelque sorte découler du premier,
c'est un jugement bien différent porté sur les calamités des luttes
religieuses et particulièrement de la guerre de Trente ans.
L'Allemagne, en 1648, était tombée à un degré de détresse tel
que rarement une nation peut trouver dans son histoire un âge
aussi malheureux. En décrivant les horreurs commises dans tout
le pays par la soldatesque, les villes ruinées, les contrées dépeu-
plées et incultes, il est presque de tradition d'en accuser surtout
les princes catholiques, de mettre à leur charge l'envahissement de
l'Allemagne par les armées étrangères, et de rendre en quelque
sorte l'Église responsable de ces longs désastres qu'un siècle suffit
à peine à réparer.
Les armées catholiques eurent évidemment leur part dans ces
ravages; les armées protestantes furent leurs très-dignes émules,
toutes les fois qu'il s'agit de rançonner ou de piller les habitants;
enfin la palme du brigandage appartint évidemment à ces bandes
INTRODICTION. Xlll
sans foi ni loi, qui passaient indifféremment d'un camp à l'autre,
allantau chef qui offrait la plus forte solde et qui assurait au pillage
la i)lus largpe impunité'. Tout cela est inde'niable. Mais si l'AUe-
ma{jne souffrit tellement de ces excès; si, dans les villes aussi bien
que dans les campagnes, la famine, la de'population, la misère sous
toutes ses formes les plus affreuses, firent de certaines parties de
l'Allemagne de véritables déserts, n'est-ce point parce que toutes
les institutions charitables qui auraient pu atténuer quelques-uns de
ces maux avaient été bouleversées ou anéanties? La Réforme, en
portant le trouble dans toute l'organisation de l'antique charité
catholique, et en provoquant dans toute l'Allemagne des désordres,
des luttes ou des guerres, agit comme le ferait une sorte de génie
destructeur qui, avant de semer une épidémie, disperserait les
médecins et anéantirait les remèdes.
Les pays catholiques furent incontestablement les plus épargnés
dans cette atroce répartition des calamités publiques, et, au point
de vue économique, ils furent ceux qui retrouvèrent le plus tôt un
peu de calme, d'aisance et de prospérité.
Les conclusions philosophiques du livre de Janssen ne sont point
encore formulées. J\e peut-on cependant les pressentir? L'esprit
allemand, avec son singulier mélange de tendances mystiques et de
scepticisme, avec ses facultés critiques unies cependant aux plus
nobles instincts poétiques, à la prédominance si fréquente du senti-
ment et de la rêverie, n'avait-il pas, plus que tout autre, besoin
d'une doctrine qui le retînt dans de justes bornes et qui le préservât
de périlleux écarts?
La doctrine catholique, avec la largeur de sa théologie, avec cette
sagesse qui laisse un champ si vaste aux opinions humaines, tout
en fixant aux systèmes des limites qu'ils ne doivent pas franchir,
ne convenait-elle pas mieux à la pensée allemande que cet esprit
d'exégèse téméraire qui, après s'être appliqué aux textes de l'Ecri-
ture sainte, a envahi le domaine universel de la science? La néga-
tion a ébranlé partout les bases de la certitude et donné ce spectacle
étrange d'une érudition colossale qui, dans tous les ordres de con-
naissances, accumule les notions les plus laborieusement acquises
pour en contester ensuite la valeur ou en nier l'authenticité.
XIV INTRODUCTION.
A cette conclusion , la critique protestante et rationaliste re'pon-
dra sans doute en re'pe'tant cette même imposante nomenclature des
e'crivains, des penseurs et des savants allemands dont la majorité
appartient jusqu'à nos jours aux fractions protestantes du pays.
Janssen pourra répliquer, soit en montrant les fatales conse'quences
des systèmes conçus par la philosophie allemande, soit en prouvant
que, dans la pe'riode contemporaine , les pays catholiques sont en
voie d'ascension e'vidente. Quelle que soit l'issue présente de ce
débat, la postérité y interviendra d'une manière indubitable, en
inscrivant Janssen parmi les grands historiens de notre siècle, et
en donnant à ce penseur, non moins profond que courageux et
sincère, une place eminente parmi ses contemporains.
G. A. Heinrich,
Doyen de la Faculté des lettres de Lyon,
^
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
ÉTAT INTELLECTUEL DE l'ALLEMAGNE AU SORTIR DU MOYEN AGE
La découverte de l'imprimerie donne l'essor à la vie de la pensée. — Influence
du cardinal Nicolas de Cusa; ses»réformes dans le domaine religieux; il relève
les études théologiques et philosophiques, et l'enseignement des sciences
exactes, 1-4. — Caractères de la nouvelle ère de progrès. — Le mouvement
fécond qui se produit est étroitement associé à la doctrine de l'Église sur le
mérite des bonnes œuvres, 4-6.
LIVRE PREMIER
l'instruction POPULAIRE ET LA SCIENCE
CHAPITRE PREMIER
DIFFUSION DE L'iMPRISIERIE
Jugements des contemporains sur la nouvelle découverte. — L'Allemagne voit
se multiplier les foyers de la science et de la vie intellectuelle, 7-9. — Les
Allemands propagent dans toute l'Europe la nouvelle invention. — Buts prin-
cipaux qu'on se proposait d'atteindre par son moyen. — Part qui revient au
clergé daus les premiers progrès de l'imprimerie, 9-12. — La librairie con-
tinue le commerce déjà existant des manuscrits et. lui donne un grande
extension. — Commerce par voie d'échanges. — Diffusion des livres alle-
mands dans toute l'Europe. — Ateliers de Koburger à Nuremberg. — Le
libraire Franz Birckinann, 10-14. — Premiers produits bibliographiques. —
Éditions de la Bible. — Éditions des Pères de l'Église, des écrivains scolas-
tiques et des auteurs classiques de l'antiquité. — Publications populaires, 14-
17. — Évaluation des tirages. — Grand nombre des éditions, 17-18.
CHAPITRE II
LES ÉCOLES ÉLÉMENTAIRES ET L'INSTRUCTION RELIGIEUSE DU PEUPLE
I. Le clergé s'emploie activement à la propagation de l'instruction parmi le
peuple. — Enseignement de l'Église touchant les devoirs des enfants envers
leurs maîtres. — Les instituteurs, exhortés à seconder les efforts du clergé,
19-20. — Nombreux témoignages attestant le grand nombre d'écoliers qui
fréquentent les écoles de lecture et d'écriture. — Position considérée des
instituteurs. — Leurs émoluments évalués d'après la valeur de l'argent au
quinzième siècle, 20-23.
II. L'éducation au foyer domestique. — La famille chrétienne, 23-26.
III. L'enseignement religieux par la prédication. — En quelle estime l'Église
tenait la prédication, 26-28. — Combien les sermons étaient alors assidûment
suivis. — Fondations de chaires dans les grandes et petites villes, et jusque
dans les villages, 29-30. -^ Nombreux sermonnaires et répertoires à l'usage
XVI TABLE DES MATIERES.
des prédicateurs. — Sujets ordinaires des prédications dans les villes et dans
les villages.
IV. Autres modes d'instruction religieuse : catéchismes en images. — Enseigne-
ment du catécliisme. — Tableaux des dix commandements, 32-34. — Le caté-
chisme de Dederich Colde, le plus ancien des catéchismes allemands. —
Doctrine sur la nécessité de la foi pour le salut, 34-35. — Autres catéchismes.
— Le salut des hommes uniquement attribué aux mérites de la passion de
Jésus-Christ. — • Trésor des richesses du salut, 30-37. — Doctrine sur les saints et
sur les indulgences, 37-40. — Examens de conscience, livres de prières et d'édi-
fication, 40-41. — Livre d'examens de conscience de Jean Wolff. — Explication
du quatrième commandement. — Doctrine sur la contrition et sur la justifi-
cation, 41-43. — Les Plenaries. — Leur vaste diffusion, 43-44. — .appréciation
générale de l'enseignement religieux à cette époque. — Sa parfaite ortho-
doxie et pureté, 44-45.
V. Traduction de la Bible en allemand. — But que les traducteurs se propo-
saient d'atteindre. — Comment les traducteurs et les écrivains ascétiques
entendaient la lecture de la Bible en langue vulgaire. — Vaste diffusion des
Bibles allemandes, 45-48.
CHAPITRE III
l'enseignement moyen et l'.a.ncien humanisme
I. Écoles des Frères de la vie commune. — Leurs nombreux élèves, 49. — Les
papes favorisent leurs écoles, 50. — Thomas à Kempis, l'un des premiers pro-
moteurs des études classiques en Allemagne. — Caractère de l'ancien huma-
nisme, sorti de l'école scolastique. — Combien il diffère par son esprit de
l'humanisme du siècle suivant, 50-52. — Rodolphe Agricola; services rendus
par lui aux études classiques. — Rapprochement entre .Agricola et Pétrarque,
52-54.
II. Alexandre Hégius, pédagogue, 54-55. — Autres pédagogues ^vestphaliens. —
Leur éloge. — Rodolphe de Langen. — Jean Murmellius, 55-57. — Écoles
rhénanes. — Enseignement du grec. — Méthodes d'enseignement. — Éduca-
tion. — Vie scolaire, 57-61.
III. Jacques Wimpheling, » instituteur de l'Allemagne - . — Action qu'il a exercée
sur son temps. — Ses ouvrages pédagogiques font époque. — Principes fon-
damentaux de la pédagogie de son temps, 61-64. — Jean Cochlaus à Nurem-
berg, G4. — .Administration des écoles urbaines. — Fondations pieuses en
faveur des écoles. — Bibliothèques fondées par la bourgeoisie et le clergé,
64-65. — Femmes de lettres du pays rhénan et du sud de l'Allemagne. —
Charité Pirkheimer, 65-68.
CHAPITRE IV
LES UNIVERSITÉS ET LES AUTRES CE. N TRES INTEL'LECTUELS
I. Universités anciennes et nouvelles. — Leur objet. — Alliance de la foi et de
la science. — citations empruntées aux lettres de fondation des Universités,
69-70. — Le clergé, et surtout les papes, soutiennent les Universités par leurs
dons, et leur accordent une protection spéciale, 70-72. — Principaux avantages
de ces institutions. — Comment elles étaient constituées. — Leur caractère
international, 72-75. — Grand nombre des étudiants, 75. — Animation, élan
de la vie intellectuelle à cette époque. — Le duché de Brandebourg reste seul
étranger au mouvement général, 75-76.
II. Université de Cologne. — Humanistes : Barthélemi de Cologne et Ortwin Gra-
tius, 76-78. — Werner Rolevvinck, prieur des Chartreux. — Ses ouvrages. —
Vie intellectuelle à la Chartreuse de Cologne, 78-80.
III. i'ninersité d' Heidelberg. — Jean Dalberg, évéque de Worms, qui en est élu
chancelier, lui imprime un remarquable élan. — Bibliothèque de Dalberg,
81-83. — L'humaniste Jean Reuchlin. — Il relève à Heidelberg les études clas-
siques. — Il ouvre une voie nouvelle à l'enseignement de l'hébreu, 83-85. —
TABLE UES M AT I K K li S . XVIl
Autres savants professeurs d'Ueidelberg, 85-8G. — Société littéraire du
Rhin, son but et son extension. — Correspondances échangées entre les
savants, 86.
IV. L'abbé de Spouheim, .lean Trithème, et la vie intellectuelle à Ileidelberfj. —
Trithèine, le plus grand historien de son siècle.— Sa maynifique bibliothèque
à l'abbaye de Sponheim, 87-89. — Ses travaux, ses noinbieux écrits. — Com-
ment il envisageait l'étude de la Bible et des Pères de l'Église, la scolastique
elles sciences naturelles, 89-92. — Ses écrits littéraires et historiques. — Son
ardent patriotisme. — Influence qu'il exerce sur la jeunesse. — Comment
il comprenait l'étude des auteurs de l'antiquité. — Trithème, jugé par son
élève et continuateur .Jean Butzbach. — Histoire littéraire de Butzbach,
92-95.
V. Unirersité de Fribourg en Brisgau. — Ulrich Zasius, initiateur éminent dans la
science du droit. — Ses travaux scientifiques, son caractère. — Jugement
porté sur lui par Érasme, 95-97. — Grégoire Reisch, philosophe, cosmographe
et mathématicien. — L'Allemagne lui doit sa première encyclopédie philoso-
phique. — Son élève Martin Waldseemüller et ses travaux, 97-98.
VL Université de Bâle. — lleynlin von Stein, écrivain scolastique ; son influence et
ses écrits; ses amis. — .Jugement porté sur lui par Wimpheling, 98-100. —
Sébastien Brant, professeur et écrivain. — Sa foi profonde, lOO-lOl.
VIL Savants amis d'IIeynlin von Stein. — Geiler de Kaisersberget le cercle de ses
amis à Strasbourg, 101-103. — Wimpheling et Brant fondent à Strasbourg une
société savante, et préparent une collection complète de sources historiques
relatives à l'histoire du Ilaut-Ilhin. — Autres travaux historiques à Strasbourg.
— Histoire d'Allemagne de Wimpheling. — Geiler et Brant cherchent à réveiller
le patriotisme chez les princes allemands et dans les diverses classes sociales,
104-106. — L'humanisme à Strasbourg, 106. — Ouvrages de Geiler de Kai-
sersberg, action qu'il exerce par ses prédications. — Jugement porté sur lui
par Brant, 106-108.
Vlli. Univeisiié de Tubingue et sa période d'éclat. — Conrad Summenhart et Gabriel
Biel, scolastiques et économistes. — Biel blâme avec courage la manière dont
les princes exploitent le peuple, 108-110.
IX. Université d' Ingolstadt, l'un des établissements enseignants les plus remarqua-
bles de l'Allemagne d'alors. — L'humaniste .Jacques Locher. — Jean Eck et son
influence sur la science de son temps, 110-111.
X. La villelibre de Nureviberg, son importance au point de vue intellectuel, 111. —
Jean Müller, surnommé Régiomontan, réformateur de l'astronomie et des
mathématiques; ses relations avec Georges Peuerbach. — Sa vie et ses tra-
vaux. — Il fonde la trigonométrie moderne. — Ses recherches, ses découvertes,
ses innovations scientifiques à Nuremberg. — Il rattache l'astronomie alle-
mande à la nautique espagnole, et contribue dans une large mesure aux
découvertes des grands navigateurs de son temps, Christophe Colomb, Vasco
de Gama, etc., 111-115. — Son élève Martin Behaim, cosmographe et naviga-
teur, 115. — Régiomontan à Rome, 115-116. — Coup d'œil sur l'ensemble de
ses travaux. — Son influence intellectuelle à Nuremberg. — L'humaniste
Willibald Pirkheimer, son caractère et ses travaux, 118-118.
XI. Conrad Peutingcr, ami de Willibald Pirkheimer. — Action qu'il exerce à
Augsbourg. — Ses rapports avec l'empereur Maximilien. — Société littéraire
d'Augsbourg. — Collections d'antiquités de Peutinger; ses écrits; Peutinger,
l'un des fondateurs de l'investigation historique fondée sur la science. —
Maximilien seconde ses efforts, 118-121.
XII. L'empereur Maximilien, jjrotecteur de la science et des arts, favorise particu-
lièrement les études historiques et littéraires se rapportant à l'histoire de
l'Allemagne. — Divers jugements portés par les savants contemporains sur
Maximilien, 121-124. — Les écrits de l'Empereur : le lUeisskunig et le Theuer-
danl,-, 124-125. — Relations de Maximilien avec les savants. — Maximilien et
l'Université de Vienne, 125.
XIII. L'Unii-ersité de Vienne. — Illustres mathématiciens et astronomes de cette
Université. — Peuerbach et Régiomontan étendent au loin sa réputation. —
b
XVIll TABLE DES MATIERES.
Ces grands hommes donnent aussi l'élan aux études classiques, 125-126. —
Conrad Celtes. — Son influence. — Ses travaux comme écrivain et comme pro-
fesseur, 126-127. — Le collège des « poètes . et la Société savante du Danube,
127. — Age d'or de l'Université de Vienne, 127-128. — Maxiinilien, protecteur
de l'art allemand.
LIVRE II
l'art et la vie POPULAIRE
INTRODUCTION
On apprend à connaître un peuple en étudiant les chefs-d'œuvre artistiques
qu'il a produits. — L'art à la fin du moyen âge, 129. — Il sert les vues de
la religion. — Étroite union des arts à celte époque. — Les artistes pui-
saient l'inspiration dans leur patriotisme. — .Monuments qui nous permet-
tent d'apprécier l'art du quinzième siècle en Allemagne.
CHAPITRE PREMIER
l'architecture
L'architecture, centre des beaux-arts. — Caractères de l'architecture germa-
nique chrétienne, 132-133. — Organisation corporative des ouvriers et des
artistes, 133. — Confrérie générale de la maçonnerie allemande. — Ateliers
de construction. — Les ateliers de construction faisaient partie des institu-
tions populaires, 133-134. — Théorie. — Premiers écrits théoriques, 134-135.
— L'architecture germanique chrétienne se propage dans toute l'Europe. —
Caractère du style gothique de la dernière époque, 135-136.
I. L'Allemagne se couvre d'édifices religieux. L'essor de l'art religieux va de
pair avec les progrès de la science. — Liste des monuments religieux les
plus remarquables de cette période. — Ils témoignent de la vitalité et de la
puissance de l'Église, 136-141. -;- Dans quel esprit et par quels moyens les
édifices religieux s'élèvent. — Églises de Xanten, de Francfort, d'Ulm, etc.,
141-143.
II. Architecture civile. — Son remarquable développement. — Les dessins de
Mérian, 143-144.
CHAPITRE II
SCULPTURE ET PEI.NTUKE
Étroits rapports de la sculpture et de la peinture avec l'architecture. — La
sculpture et la peinture, au service de la religion et de l'Église. — Les églises
du moyen âge, semblables à des expositions monumentales où l'histoire
biblique se déroule à l'aise. Elles sont comme des musées permanents où le
peuple est initié aux arts, 145. — La sculpture et la peinture ennoblissent
aussi la vie publique et domestique. — Les rues des grandes villes ressem-
blaient à d'immenses Chroniques illustrées. — Caractère essentiellement
national des chefs-d'œuvre de cette époque. — Corporations d'artistes. —
Travaux exécutés à Calcar, petite ville des pays rhénans, 147-152.
Orfèvres et sculpteurs, et les différentes branches de leur art. — Ouvrages d'or et
d'argent. — Villes où florissaient davantage les corporations d'orfèvres. —
Inventaires de quelques trésors de sacristie, 152-154. — L'art de couler en
bronze; fondeurs de Xuremlerg; éloge qu'en fait Hans Rosenplüt. — Le fon-
deur Pierre Fischer et ses chefs-d'œuvre. — Le tombeau de saint Sébald. —
Sébastien Lindenast. — Fonderies du nord de l'Allemagne. — Fonderies de
cloches, 154-157. — Sculpteurs sur pierre et sur bois. — Adam Krafft, de
Nuremberg. — Son chemin de croix. — Tabernacle de la cathédrale d'Ulm,
157-159. — Tilmann Riemenschneider à Wurzbourg et Veit Stoss à Cracovie
TABLE DES M A T I E H E S . XIX
Cl h Niir(;iiil)erj;, 1.09-lGO. — Admirables sculptures exécutées dans les peiKcs
villes et même dans les villages. — Stalles de chœurs de Georges Syrlini, dans
la cathédrale d'Ulni, IGO.
l'ciiituri!. — I. Les frères Van Lyck. — L'École flamande et l'École de Cologne.
— Etienne Lochner. — Hans Memling. -^ Martin Schonjjauer, 161-16.3. —
Caractère de la peinture allemande; ses diverses écoles. — Schongaucr et ses
élèves. — Durer et llolbein le jeune élèvent la peinture allemande à son plus
haut degré de gloire, 163-1G6.
JI. Les parents d'Albert Diirer, d'après les renseignements fournis par Diirer
lui-même. — Éducation de l'homme et de l'artiste. — Le foyer allemand,
thème continuel de ses tableaux. — Influence de Dürer sur tous les arts
plastiques de son époque. — Période d'éclat. — Durer, par son génie, appar-
tient au monde entier, 166-171.
III. La peinture sur verre. — Le Dominicain .lacques Griesinger. — Autres
peintres verriers célèbres. — Chefs-d'œuvre de la peinture sur verre, tant
dans les églises que dans les chûteanx, hôtels de ville, etc., 171-17.3.
Mmiaitirc. — IV. Villes OÙ elle était le plus cultivée. — Miniaturistes célèbres.
— Miniaturistes dans les cloîtres, 171-175. — Broderie d'art. — Travaux de
broderie exécutés par les femmes, 175-176.
CHAPITRE III
G R A V U U E
L'invention de la gravure, aussi importante pour l'art que la découverte de
l'imprimerie pour les lettres. — Premiers emplois de la gravure. — liiblcs des
pauvres. — L'imprimeur Koburger, de Nuremberg, fait faire un progrès con-
sidérable à l'art du graveur, 177-178. — Albert Diirer donne à l'art de la
gravure sur bois une perfection qu'elle n'a pas dépassée depuis. .Ses compo-
sitions les plus célèbres : les deux Passions, la lie de Xolre-Dame, 179-182. —
La gravure sur cuivre, invention allemande. — Premiers graveurs. — Martin
Schongauer.
Durer .Le chcvaUcr, la mort rt le démon, Saint Jérôme et la mélancolie. Ces gravures font
époque dans l'histoire de l'art et de la civilisation, 183-184. — Élèves de Durer.
— Lucas Cranach. — Décadence de l'art du quinzième siècle, 185-186.
CHAPITRE IV
I. Vie populaire d'après le témoignage des arts plastiques — L'art, miroir
fidèle de la vie allemande au quinzième siècle. — L'humour dans l'art, encou-
ragé par l'Église. — Son but et son emploi. — Vignettes de Durer pour le
livre d'heures de Maximilien. — Représentations du démon, 186-190. — Les
vices et les extravagances de l'époque ridiculisés. — Railleries sur les travers
et les ridicules des villageois, 190-192. — Jeux et plaisirs populaires. — Danses,
192-193. — Richesse et variété de couleurs et de forme dans les costumes.
— Coiffures. Chapeaux et bonnets. — Couleurs des vêtements dans la classe
moyenne. — Le prolétariat des villes. — Costumes sévères des bourgeois,
193-199.
II. Le foyer allemand d'après l'art du quinzième siècle. — Le métier et l'art se
complètent et se perfectionnent mutuellement, 199-200.
CHAPITRE V
L.V MUSIQUE
Progrès de la musique à partir du milieu du quinzième siècle. — La véritable
musique religieuse est en germe dans le chant grégorien. — La musique,
comparée à l'architecture, 201-202.
I. Développement simultané de la musique dans l'Allemagne du Sud et dans les
b.
XX TABLE DES MATIERES.
Pays-Bas. — Le Livre de chants de Lochamer. — Jacques Obrecht (f 1507) et Jean
Ockenheim (f 1515), ancêtres intellectuels de toutes les écoles de musique. —
Autres célèbres compositeurs de l'époque et leurs œuvres les plus importantes.
— Josquin de Prés. — Henri Isaac. — Louis Senfl. — Henri Finck. — Etienne
Mahu, 202-205. — .Musique profane. — Son caractère, 205-206.
H. Perfectionnement des instruments de musique : l'orgue. — Les Allemands,
premiers facteurs d'orgues de l'Europe. — Invention de la pédale. — Célèbres
facteurs d'orgues et organistes. — L'aveugle-né Nicolas Baumann, à Nurem-
berg (f 1473). — Paul Hofbeimer, organiste à la cour de l'empereur Maximi-
lien. — Maître Arnold Schlick. — Violonistes et luthiers, 206-209.
III. Théoriciens. — Jean Goodendach. — Jean Färber. — Adam de Fulda. —
Culture musicale dans les écoles. — Manuel de Jean Cochla^us, 209-210.
CHAPITRE VI
POÉSIE POPULAIRE
L Décadence de la poésie populaire artistique au quinzième siècle. Cette déca-
dence n'implique nullement l'épuisement de la veine poétique dans la nation.
— Comment s'était produite la poésie artistique. — Raisons qu'on avait d'at-
tendre un nouvel épanouissement de cette poésie. — Nouvelle poésie popu-
laire. — Son caractère. — Sa diffusion, 211-213 — Chansons populaires. —
Chants d'amour et de séparation. — Citations, 213-214. — Rapports étroits de
la vie allemande avec la nature. — Chansons de buveurs. — Romances, bal-
lades. — Chansons historiques et politiques. — Chansons contre les avocats,
les Juifs et les chevaliers brigands. — Chansons satiriques. — Le lied, passion-
nément aimé du peuple, et pourquoi, 214-219.
II. Chants religieux et cantiques spirituels; ils se propagent en tous lieux. — La
poésie lyrique, art essentiellement allemand. — Jean de Salzbourg. — Henri
de Laufenberg, 219-221. — Le quinzième siècle, époque féconde pour le déve-
loppement du chant religieux. — Recueil de chants d'Église et de cantiques. —
Témoignage de Martin Luther. — Progrès de l'harmonie; développement par
le contre-point de la phrase primitive. — Cantiques allemands. — Citations
des textes, 221-222. — Beauté des cantiques allemands. — Cantiques en l'hon-
neur du Sauveur, de la Sainte Vierge, 222-224. — Divers cantiques pieux. —
Importance que l'Église attachait aux chants religieux, 224-225.
III. Les Mystères. — Leur origine et leur développement. — Leurs cycles divers
— Mystères de Pâques. — Le Mystère de l'Antéchrist, 225-229.
IV. Popularité des Mystères. — Dans quel sérieux esprit de foi ils étaient
représentés. — Les représentations duraient souvent plusieurs jours, 230-232.
— Caractère particulier des Mystères du Saint-Sacrement, 232. — Appareil
scénique des Mystères. — Leur symbolisme. — En quoi ils rappellent souvent
les productions des arts plastiques, 232-233. — Rôle du démon dans les Mys-
tères. — Élément comique et satirique. — La foi et l'Église y sont partout
respectées, 233-236. — Divertissements du carnaval, et particulièrement à
Nuremberg, 236-237.
V. Comédies latines. — Décadence de l'art dramatique, 237-238.
CHAPITRE VII
POÉSIES JIOR.iLES ET POLITIQUES
Caractère et mérite de ces poésies. — La poésie didactique très-goûtée à cette
époque. — Avertissements courageux adressés par les poètes à la noblesse,
aux courtisans, aux princes, au clergé, aux diverses classes sociales. — La
race welche. — Le roman du Renard, 238-242. — La Xef des fous, de Sébastien
Braut. — Influence extraordinaire de crpoëme. — Il est essentiellement reli-
gieux, 243-245.
TABLE DES MATIERES. XXI
CHAPITRE VIII
Pl\OSF ET LITTÉRATURE POPULAIRES
I. La prose, aussi iinporlante pour l'art que la poésie, 216. — Progrès impercep-
tibles et lents de la prose allemande pendant un lonf} espace de temps, et son
épanouissement au quinzième siècle. — Prose narrative. — Histoire, histo-
riens. — Historiens populaires à Nuremberg. — Chronique de Cologne, — Chro-
nique autrichienne de lacques tlnrest. — Caractère général des chroniques alle-
mandes. — L'amour du pays en est l'âme, 246-251. — Vaste diffusion des
livres populaires à cette époque.
II. Livres favoris du peuple. — Humour populaire. — Le roi Salomon et Mm-colphe.
— Till Eulenspiegel, 251-254.
m. Récits de voyages. — Itinéraires de pèlerinages. — La -^ sainte joie de
voyager ». — Voyage aux lieux saints du barbier et joueur de luth .lost Artus. —
Voyage à Jérusalem, de Bernard de Breidenbach. — Citation curieuse empruntée
ù la dédicace de ce livre, 254-257. — Traductions, romans, nouvelles. —
Richesse d'invention. — Recueil de fables, — La prose dans les ouvrages scien-
tifiques, 257-258.
IV. Philosophie, éloquence. — Geiler de Kaisersherg, 258-259.
V. Formation de la langue. L'» allemand vulgaire ». — Témoignage de Luther
sur r - allemand vulgaire - et la langue dont il s'est lui-même servi. —
Excellence de la prose du quinzième siècle, 259-260. jk
ETAT ECOISOiMlQüE, JURIDIQUE ET POLITIQUE
DE L'ALLEMAGNE
A LA FIN DU MOYEN AGE
LIVRE III
ÉCONOMIE SOCIALE
INTRODUCTION
Union et rapports mutuels de la vie intellectuelle et économique. — Branches
diverses d'économie. — Équilibre entre les principaux groupes de travail,
260-261.
CHAPITRE PREMIER
VIE ET TRAVAUX PES AGRICULTEURS
I. Possession, partage et culture du sol. — Relations entre les seigneurs et les
colons, 265-267. — Les biens des colons, possessions indépendantes. — Le ser-
vage, presque généralement aboli vers le milieu du quinzième siècle. — Colons
héréditaires. — Droits et devoirs des seigneurs et des colons, 267-269.
II. Les livres de sagesse. — Redevances et corvées. — Redevances en nature et
en argent. — Comment elles étaient prélevées, 270-276.
III. Établissements ruraux. — Droits au communal. — Droits de pâtis, droits
forestiers. — Les colons et propriétaires des terrains communaux. — Droits
au communal des paysans non propriétaires appelés ^ manants >. — Proces-
sions rurales pour l'inspection et la vérification des limites de propriété,
276-279. — Divers modes de construction en Franconie, en Souabe et en Saxe.
— Enseignes attachées aux maisons. — Estime que le cultivateur faisait de
son état, 279-280.
IV. Aménagement du sol. — Économie forestière et ses progrès, 280-282.
V. Le Règlement de Nicolas Engelmann, d'Erfurt, nous offre le fidèle tableau de
la vie agraire au quinzième siècle. — Prière et travail, 283-290.
XXII TABLE DES MATIERES.
VI. Possessions foncières des villes. — Les villes, centres de culture et d'ayro-
nomie. — Bourgeois cultivateurs. — Place considérable que tenait l'agricul-
ture dans beaucoup de grandes villes. — Forte consommation de viande. —
Populations des villes. — Prix modique des céréales et de la viande de bou-
cherie, 291-294. — Développement de la culture du lin et du chanvre. — Cul-
ture des jardins. — Soins extrêmes apportés à la culture de la vigne, 294-297.
VII. Littérature agricole et ses progrès, 297-298.
VIII. Renseignements sur l'état général de l'agriculture. — Le Rheingau et la
Poméranie, 298-300.
IX. Bien-être des paysans dans les différentes contrées de l'Allemagne. — Luxe
des habillements. — Nourriture abondante et recherchée, 300-302.
X. Heureuses conditions de vie des cultivateurs. — Les salaires des journaliers
cultivateurs, appréciés d'après le prix des objets de première nécessité. — Ali-
mentation. — La viande, nourriture quotidienne du peuple. — - Salaires et
nourriture des domestiques. — Salaires élevés des travailleurs, 303-308.
CHAPITRE II
VIE ET TRAVAUX DES ARTISANS
I. C'est à Charlemagne qu'on doit le premier essor de l'industrie. — Les abbayes
et les évêques favorisent l'industrie. — Vie industrielle dans les villes, 309-
310. — Origines des corporations. — Épanouissement des associations de
métiers, 310-314. — Principal but des corporations. — Union de la vie du tra-
vail avec la religion et l'Église. — Obligations religieuses et morales des as-
sociés. — Le travail, manifestation de la personnalité, 314-318. — Le^ corpo-
rations, associations industrielles. — Les corporations, attentives aux intérêts
des travailleurs comme à ceux des consommateurs, 318-322. — Les corpora-
tions, associations juridiques. — Union des corporations de mêmes métiers
dans des villes différentes. — Leurs traditions et règlements finissent par
former une sorte de droit commercial, commun à presque tous les territoires
allemands, 322-324.
II. Associés du dehors, placés sous la protection des corporations. — Les ap-
prentis, leur situation. — Apprentis et compagnons. — L'honneur profes-
sionnel dans les compagnonnages. — Considération dont jouissait le compa-
gnon. — Le travail, parfois abandonné par les ouvriers lorsque l'honneur de
la profession semblait être en jeu, ou par suite de mécontentements. — Divers
exemples d'abandon du travail. — Comment se terminaient les différents
entre les compagnons elles maîtres, 324-335. — Bonne situation matérielle
des ouvriers, 335-336.
III. Bains pour les travailleurs, 337-338.
IV. L'indépendance professionnelle des ouvriers des divers métiers, protégée
par l'association du travail et par la propriété inaliénable, 339.
V. Corporations minières. — L'exploitation des mines, industrie tout alle-
mande. — Fécondité du sol. — Prodigieuses richesses de l'Allemagne en or et
en argent, 341-344.
CHAPITRE III
LE COMMERCE ET LE CAPITAL
I. Associations marchandes dans les villes. — Union des marchands. — Les
marchands allemands à l'étranger, 344. — La Hanse allemande, 344-349.
II — Réseau hanséatique. — Importance commerciale de Danzig. — Discipline
sévère établie sur les navires hanséatiques, 351-352. — Le commerce dans
l'Allemagne du Sud et dans les villes rhénanes. — Venise et le commerce alle-
mand, 353-356. — L'Allemagne, centre universel du commerce. — La foire de
Francfort, 356-357.
III. Les Allemands prennent part au commerce des Indes orientales, 357-358.—-
Richesse et beauté des villes allemandes. Appréciations de voyageurs étran-
gers, 359-361. — Dangers d'une excessive prospérité commerciale, 361-362.
TABLE DKS MATIÈRES. XXIU
IV. Le luxe des costumes, et son incroyable exagération. — Étranfçeté des modes.
— .Sermons de Geiler sur ce sujet. — Il rejette la faute du luxe excessif
qui règne dans toutes les classes sur les marchands. — Changements perpétuels
dans les modes, .3(i3-3GC. — Le luxe des costumes, cause principale de l'appau-
vrissement de la noblesse, 3GC-367. —Luxe des habits des gens des campagnes,
368. — Amour du bien-être et du plaisir parmi les villageois. — Les noces. —
Excès de table. — Les bains. — La fréquentation des hôtelleries, 3G8-370.
V. Le change. — Son importance, venue de l'incroyalile confusion qui rèjjne
dans le système monétaire. — Les .Juifs, banquiers universels de l'époque. —
Usure juive. — Taux incroyables des intérêts autorisés par la loi, 371-373.
— Haine populaire dont les .luifs sont partout l'objet. — L'Kglise défend les
Juifs contre leurs persécuteurs, 374-377. — Les .Juifs, expulsés des pays et des
cités, 378-379. — ÉtaI)Iissements de banques de change, 379.
VI. Le luxe, devenu général, engendre l'usure universelle. — Les usuriers chré-
tiens plus avides que les usuriers juifs, 380.
VIL Compagnies commerciales. — Accapareurs. — Lois d'Empire contre les
monopolistes ; elles restent sans effet. — Les capitalistes, exploiteurs populaires.
— Enchérissement des denrées alimentaires. — Falsification des denrées. —
Fortunes colossales des capitalistes. — Banqueroutes; tendances funestes qui
se produisent dans l'économie, 380-389. — Le mauvais état de l'économie,
considéré par les écrivains contemporains comme la conséquence logique de
l'abandon des principes du droit canon, 389.
VIII. Doctrine de l'Église sur l'économie. — La propriété, d'après le droit ger-
manique chrétien. — Principes du droit canon sur l'acquisition de la pro-
priété par le travail productif de valeur. — En quelle estime le droit canon
et le droit germanique tiennent le travail, 389-394. — Sentiments des écri-
vains canonistes sur l'agriculture, l'industrie et le commerce. — En interdi-
sant l'usure, l'Église servait les intérêts de l'agriculture, 394-397. — Le prêt
à intérêt, considéré comme une forme du vol par le droit germanique chré-
tien. — Achat de rente. — L'établissement des monts-de-piété encouragé par
l'Église, 397-400. — Le droit germanique chrétien réclame la juste estima-
tion des denrées. — Comment l'Église entendait la mise en pratique de la
juste estimation des denrées. — Équité avec laquelle étaient fixés les salaires
des travailleurs. — L'Église interdit les agissements monopolistes, 400-403.
— Conséquences de l'abandon des principes économiques du droit canon.
IX. Le droit romain, nouvellement introduit en Allemagne, fournit aux adver-
saires des doctrines de l'Église leur arme la plus puissante, 403-405.
LIVRE IV
l'empire romain germanique et sa SITUATION EXTÉRIEURE
CHAPITRE PREMIER
CONSTITUTION ET DROIT
I. Origines et éléments constitutifs de l'Empire. — Le droit électif, propriété
commune des diverses tribus. — L'Allemagne, royaume électif héréditaire.
— Le serment du couronnement. — Mission et prérogatives de la royauté.
— Indépendance des diverses classes sociales. — La royauté étroitement asso-
ciée à la nation, 407-411.
II. L'Empire romain de nation germanique. — Union et mutuelle action des
pouvoirs spirituel et temporel. — Comment le moyen âge concevait l'État.
— Le serment du couronnement scellait entre le Pape et l'Empereur un
mutuel contrat — Le Pape, sans aucun droit sur l'élection du souverain alle-
mand. — A l'Empereur était confiée la tutelle de l'Église. — L'Empereur con-
sidéré comme la pierre angulaire de tout droit, 411-414. — La nation alle-
mande, fière d'être en possession de la plus haute souveraineté temporelle.
— Expédition romaine, 414-415.
XXIV TABLE DES MATIÈRES,
III. L'Empire romain germanique, centre politique de tous les peuples euro-
péens. — Son étendue territoriale, 415. — Décadence de l'Empire à partir du
treizième siècle. — Causes de cette décadence, 415-417.
La royauté cl les princes depuis l'ijiterregne. — Essais de restauration. — Système
politique d'Albert I". — L'Empire, autrefois unifié, devient un état confédéré.
— La Bulle d'or confirme ce nouvel état de choses (1366), 417-420. — Impor-
tance de cette loi fondamentale de l'Empire. — Victoire remportée par les
princes sur la bourgeoisie, 420-421. — Affaiblissement de la royauté. —
Dilapidation des impôts. — Revers militaires. — Les princes, en grande
partie responsables de la mauvaise situation de l'Empire. — Courte espé-
rance de voir les choses s'améliorer sous le règne d'Albert II. — Plans de
réforme d'Albert. — Accroissement du pouvoir des princes sous Frédéric III,
417-425.
Importance des villes. — Sur quoi Cette importance était fondée. — Les villes
libres et leur gouvernement. — Conseils urbains. — Villes placées sous la
juridiction des princes ecclésiastiques ou temporels, 425-428.
Constitution des Etats territoriaux. — Leur Organisation. — Leurs relations avec les
princes souverains. — Leurs privilèges, 428-432.
Le droit germanique et ses rapports avec l'État. — Les droits privés, considérés par le
droit germanique comme dérivant de Dieu même. — Le droit et le pouvoir
souverain. — Mission de l'État vis-à-vis du droit, 432-433. — En quoi la loi
germanique faisait consister la liberté. — La liberté et le droit. — La fidé-
lité au devoir et l'honneur, issu du droit, placés par le droit germanique
au-dessus de la liberté. — Le droit, l'honneur et la liberté mis à l'abri des
attaques arbitraires du pouvoir, 433-435. — Le droit allemand, expression de
la conscience nationale. — Ses traditions. — Ses sources. — Droit tradition-
nel, bonnes coutumes. — Sagesses. — Miroir sa.ron. — Miroir soitabe. — Miroir
germanique. —Multiplicité et variété des recueils de droit au quinzième siècle,
435-437.
Procédure. — Son influence sur la marche progressive de la science juridique.
— Principes fondamentaux de la procédure à cette époque. — Sa simplicité.
— Les débats juridiques étaient publics et oraux. — Avantages de ce système.
— Avec quelle promptitude les jugements étaient souvent exécutés. — Les
Cours souveraines et leur importance, 437-441.
Décadence de la justice. — Le droit de guerre privé, légalement reconnu sous des
conditions déterminées. — Les guerres privées, autorisées ou défendues, se
multiplient de plus en plus. — Imperfections attachées à la mauvaise organi-
sation du Tribunal Souverain. — Déplorable état de la justice. — Insécurité
générale, 441-445.
Plans de réforme. — Plans de réforme proposés par Nicolas de Cusa. — Il réclame
la réorganisation de la justice et la proclamation de la Paix Publique per-
pétuelle. — Nicolas insiste sur la nécessité de consolider le pouvoir de
l'Empereur au moyen d'une armée d'État et d'un impôt général. — Autres
projets de réforme proposés par Nicolas. — Progrès obtenus sous Frédéric III.
— L'Alliance souabe, 445-452.
Pouvoir croissant des princes. — Accroissement lent et continu du pouvoir des
princes souverains à partir de la seconde moitié du quinzième siècle. —
Principales maisons princières. — Les villes libres, la chevalerie et les États
provinciaux, menacés dans leurs libertés par les empiétements des princes.
— Funeste influence exercée sur les princes par les docteurs endroit romain,
452-454.
CHAPITRE II
INTRODUCTION P ' l] N DROIT ETRANGER
I. L'École de droit de Bologne. — Le droit romain passe dans l'esprit des nou-
veaux légistes comme étant seul légitimé par la raison, 455-456. — Le droit
romain complètement opposé au droit chrétien germanique. — Le droit,
placé au-dessous du pouvoir de l'État. — Puissance illimitée reconnue au
TABI.K DK S MATIERES. XXV
représentant de ce pouvoir. — F,a loi romaine n'offre aucune garantie
aux individus pour la défense de leurs droits, 456-4ô7. — Où devait fatale-
ment conduire la continuelle complaisance des légistes romains envers
les détenteurs du pouvoir. — Les empereurs favorisent rétai)lissement
du droit étranger. — La révolution survenue dans la jurisprudence ne
commence véritablement en Allemagne que sous le règne de Charles IV.
457-Î59.
Altitude de l'Église vis-à-vis du droit romain. — Sur quelles raisons était fondée
l'opposition de l'Église au nouveau droit, 659-461.
Le droit romain dans les Universités et dans les tribunaux. — Le nombre des juristes
romains va toujours en croissant, à partir de la seconde moitié du quinzième
siècle. — Sentiments des savants légistes contemporains sur la méthode
d'enseignement du droit romain, et sur la décadence de la culture juridique
à leur époque, 462-463. — Les traditions et coutumes de l'antique droit ger-
manique sont peu à peu abandonnées. — La nouvelle jurisprudence et le
droit nouveau contredisent de point en point l'ancien droit populaire,
463-465.
Résistance du petiple au droit étranger. Plaintes universelles qui se font entendre sur
les avocats exploiteurs du peuple, encore plus haïs que les chevaliers bri-
gands. — Comment les contemporains appréciaient la confusion générale sur-
venue dans les questions de droit, et leur sentiment sur les dangers d'un
pareil état de choses. — Le peuple résiste ouvertement à l'introduction du
nouveau droit. — Résistance des États territoriaux, de la noblesse et des
paysans, 465-472.
Les représentants du droit étranger dans les cours des princes souverains. Changements qui
se produisent peu à peu dans le système gouvernemental sous l'influence du
droitromain. — Les nouveaux impôts, conseillés par leslégistes romains, acca-
blent le peuple. — Les paysans opprimés par le droit étranger. 472-473.
IL L'absolutisme des princes dans les questions ecclésiastiques et temporelles,
favorisé par le droit romain.
III. Indifférence des juristes romains par rapport à l'Empire et à son honneur
474-480.
CHAPITRE III
POLITIQUE EXTÉRIEURE ET ESS.4IS D'UNIFICATION SOUS MAXIMILIEN l"
Ancienne splendeur de l'Empire romain de nation germanique. — Consé-
quences de l'affaiblissement de l'Empire. — Revers militaires sous Fré-
déric III. — Politique ambitieuse des rois de France. — Alliances de quelques
princes allemands avec la France. — Comment la royauté française s'était
affermie, 481-486. — Union de l'Italie et de l'Empire. — Prépondérance de la
France en Italie, 486-487. — L'Empire et l'Orient. — Conquêtes des Turcs
depuis 1453. — Le Pape appelle les peuples chrétiens à la croisade. — Son
entreprise échoue. — Invasions des Turcs en Italie et eu Allemagne. — Com-
ment l'empereur Maximilien jugeait la situation, 487-490.
Maximilien 1". Son caractère. Ses qualités et ses défauts. — Sa crédulité quant
aux promesses des princes allemands, 491-495. — Ses vues politiques, partagées
par tous les esprits supérieurs de son temps, 495-496.
Diète de Worms, 1495. Projet de constitution proposé par les États. — Arrogance
des princes. 498-499. — Réformes adoptées. — Paix Publique perpétuelle. —
Importance de cette loi. — Érection de la Chambre Impériale. » Denier com-
mun. - —Les réformes ne peuvent se réaliser qu'à l'aide de l'impôt d'Empire
désigné sous ce nom. — Les États le rejettent. — Les espérances de Maximilien
sont déçues, 499-503.
Diètes de Lindau, de Worms et de Frihourg, 1496, 1497, 1498. Le Roi, exposant
ses vues aux États, insiste sur l'urgence de la guerre contre la France. — Dis-
cours patriotique de l'archevêque de Mayence, Berthold de Henneberg. — Les
États, indifférents à la gloire et à l'honneur de l'Empire. — La Chambre Im-
périale se dissout. — Discours du Roi, 503-509. — Nouveaux revers de l'Em-
XXVI TABLE DES MATIÈRES.
pii-e. — Campagne malheureuse de Suisse (1499 . — Conquête de Milan par les
Français, 509-510.
Diète d'Augshourg, 1500. Érection d'un conseil d'État ou Régence d'Empire. — Ce
conseil, dans la pensée des princes, devait achever le triomphe de l'oli-
garchie princière sur la monarchie. — Projet dune armée d'État et pour-
quoi il échoue. — La Régence d'Empire montre des sympathies pour la
France. — On craint que certains territoires allemands ne se donnent à la
France. — Douleur des vrais amis de la patrie à la vue de la déplorable situa-
tion de l'Empire, 510-514. — Déclaration de Maximilien aux délégués des
villes réunis à Ulm (1502). — Le bruit de l'abdication de Maximilien se répand
en France. — L'oligarchie, tant désirée par les princes, échoue par leur pro-
pre faute, 514-516,
Affermissement de la monarchie. Guerre de Succession bavaroise (1504). — Diète de
Cologne (1505). — Projet de réforme présenté par le Roi, touchant l'érection
d'un nouveau conseil d'État, l'affermissement du pouvoir exécutif et l'impôt
d'Empire. — Les États refusent de sanctionner les vues du Roi, mais lui
accordent cependant des subsides et des troupes. — Heureux résultats de cette
décision, 516-520. — Diète de Constance (1507). — Discours de Maximilien sur
la politique française et sur les devoirs qui incombent à la nation. Effet pro-
duit par son éloquence. — La guerre d'Italie est résolue, 520-523.
Guerres d'Italie, 1508-1516. Maximilien prend le titre d'Empereur romain à
Trieste. — Guerre vénitienne. — Ligue de Cambrai. ~ Les États, à la diète
de Worms (1509), refusent de voter des secours pour la guerre. — Politique
intéressée et étroite des grandes villes commerçantes. — Comment Maximilien
jugeait cette politique et appréciait sa propre situation. — Campagne véni-
tienne (1509). — Maximilien passe à Bovolenta la revue de ses troupes. —
Malheureuse issue de la campagne d'Italie, 523-527. — Propositions de l'Em-
pereur aux États, à la diète d'Augsbourg (1510). — Les promesses des États
restent sans effet. — Maximilien se voit abandonné de son peuple et de ses
alliés. — Bataille de Marignan, le Milanais est reconquis par la France. —
1516, l'année la plus désastreuse de la guerre. — Tristes résultats de la
campagne d'Italie, 527-530.
Croisade projetée, 1517-1518. Progrès de l'Islamisme depuis Sélim I". — Invasions
des Turcs en Hongrie et dans les pays autrichiens. — Congrès de Cambrai (1517).
— Entente du Pape et des puissances chrétiennes relativement à une expédi-
tion contre les Turcs. — Diète d'Augsbourg (1518). — L'Empereur appuie les
propositions du légat. — Les États refusent tout secours. — Conséquences de
ce refus, 530-539.
Derniers plans de réforme de Maximilien. L'impôt régulier et perpétuel proposé par
l'Empereur est rejeté par les États. — Réorganisation de l'Empire, basée sur
la division des territoires allemands en dix cercles. — Les États consentent
au conseil d'État proposé par Maximilien. — Le denier commun. — Conduite
intéressée et égoïste des princes. — Pamphlet prophétique à ce sujet. — Les
réformes proposées par l'Empereur et consenties par les États ne sont pas
mises à exécution, 548.
Troubles dans le royaume. Giitz de Berlichingen et Franz de Sickingen, principaux
représentants du parti de la violence. — Le brigandage organisé avec système,
et regardé par ces deux chefs comme une industrie légitime. — Principales
guerres privées conduites par Berlichingen. — Comment il les juge lui-même
en ses mémoires, 539-541. — Sickingen dirige contre Worms les bandes de ces
aventuriers. (1515). — La sentence du ban, prononcée contre lui, demeure
sans nul effet. — Maximilien presse en vain les États de prendre contre les
fauteurs de troubles d'énergiques moyens de répression. — Alliance de Sickin-
gen avec François I" et Ulrich de Wurtemberg. — Promesses du roi de France
à Sickingen. — Hardis attentais de Sickingen, 541-542. — A la diète de
Mayence (1517), l'Empereur réclame avec instance du secours contre les per-
turbateurs de la paix. — Les princes se répandent en lamentations, mais
restent inactifs. — Stériles délibérations de la diète d'Augsbourg (151. s). —
Pendant cette diète, Sickingen attaque audacieusement la ville libre de Metz,
TABLE DES MATIERES. XXVIl
et envahit les États du landfjrave de Hesse, 542-517. A qui doit être imputée
la triste situation de l'Empire. — .lufjements des contemporains sur les efforts
tentés par jMaximilien pour relever l'antique splendeur de l'Empire.
CHAPITRE IV
ATTITUDK DES PRINCES DANS LA QUESTION ELECTIVE
Craintes de Maximilien au sujet de l'avènement d'un souverain français. — Les
princes électeurs. — Albert et .loacliim de Hohenzoliern fdut alliance avec
François I"et lui promettent leur suffiaffe. — Ulrich von llutten envoyé en
France par Albert, en qualité de néjjocialeur, 550-551. — Alliances secrètes de
la France avec divers princes et électeurs, 551-552. — Maximilien cherche ù
assurer la couronne impériale à son petit-fils Charles (1518J. — A la mort de
Maximilien, François iniiet tout en œuvre pour parvenir à l'Empire. —Élec-
teurs achetés par îa France. — Honteuse cupidité de Joachim de Brandebourg.
— Déloyauté d'Albert de Brandebourjj, le - Pilate palatin ». — Attitude de
l'électeur Frédéric de Saxe. Son opinion sur la vénalité des princes, 552-559.
— Les princes allemands arment en secret pour la France. — Exhortation
patriotique adressée aux princes, 559-560. — Le roi Charles fait valoir ses
droits à l'Empire. — Les confédérés déclarent hautement leur attachement à
l'Allemaiïne, 500-562. — Le roi Henri Vlll d'Angleterre prétend au trône im-
périal, 560-561. — Albert de Mayence, gagné au parti de Charles, 563. — Le
peuple donne d'éclatants témoignages de son attachement à la maison sou-
veraine d'Habsbourg. — Joachim de Brandebourg pose sa candidature. — La
voix populaire décide de l'élection de Charles, 561-568.
RÉSUMÉ — CONCLUSION
Coup d'œil sur l'état intellectuel, religieux, politique, juridique et économique
de l'Allemagne à la fin du moyen âge. — Heureux résultats des tentatives de
réforme dans l'Église. — Jugements des contemporains à ce sujet. — Clercs
mondains. — Les plus hauts emplois et dignités ecclésiastiques, donnés aux
cadets des familles princières ou de la haute noblesse. — Autres abus et scan-
dales dans le domaine religieux, 569-580, — L'autorité de l'Église, attaquée
par la nouvelle école des humanistes, — Hérétiques allemands du quinzième
siècle. — Presque toutes les doctrines qui devaient bouleverser la société du
seizième siècle étaient déjà répandues à la fin du quinzième. — L'Église, encore
en possession de toute sa force vitale. — Symptômes menaçants. — Tendance
à s'affranchir de l'obéissance envers l'Église. — Conséquences de la diffusion
de la Bible en langue vulgaire. — Fausses interprétations de la Sainte Écri-
ture. — Inquiétude générale, trouble profond dans les esprits. Sombres pres-
sentiments pour l'avenir, 580-586.
TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTES
Aeneae Sylvii Piccoloininei Senensis opéra quae extant omnia. Basileae, 1551.
Allihn m. Dürerstudien. Versuch einer Erklärung schwer zu deutender Kup-
ferstiche. A. Dürer's vom kulturhistorischen Standpunkte. Leipzig, 1871.
— Die Bauhütte des ausgehenden Mittelalters, in den Grenzboten Jahrg. 3i b,
trois articles dans le n» 42-44. Leipzig, 1875.
Alzog J. Die deutschen Plenarien (llandpostillen) inn fünf zehnten und zu Anfang
des sechzehnten Jahrhunderts. Freiburg, 1874.
Amhros A. W. Geschichte der Musik im Zeitalter der Renaissance bis zu Pales-
trina. Breslau, 1868.
Andlo P. de. De imperio Romano libri 2. Argentorati 1612.
Anshelm V., genannt Rüd. Berner Chronik von Anfang der Stadt Bern bis 1526.
6 Bde. Bern, 1825-1833.
Anzeiger für Kunde der deutschen Vorzeit. Neue Folge. Organ des germanis-
chen Museums. Bd. 1-29. JNürnberg, 1854-1882.
Arnold F. W. und Bellermann II. Das Lochheimer Liederbuch, in Chrysander's
Jahrbücher für musikal. Wissenschaft Bd. 2, 1-234. Leipzig, 1867.
Arnold W. Verfassungsgeschichte der deutschen Freistädte. 2 Bde. Hamburg
und Gotha, 1854.
— Geschichte desEigentumsin dendeutschen Städten. Mit Urkunden. Basel, 1861.
— Das Aufkommen des Handwerkerstandes im Mittelalter. Basel, 1861.
— Recht und Wirthschaft nach geschichtlicher Ansicht. Basel, 1863.
— Cultur und Rechtsleben. Berlin, 1865.
— Cultur und Recht der Römer. Berlin, 1868.
— Die Réception des römischen Rechts und ihre Folgen, in Hoffmann's Zeits-
chrift : Deutschland, Jahrgang 1872. 301-342. Wiesbaden, 1872.
Arnoldi J. Geschichte der Oranien-Nassauischen Länder und ihrer Regenten.
Bd. 3. Abth. 1 und 2. Hadamar, 1801, 1816.
AscHBACH J. Geschichte der Wiener Universität im ersten Jahrhundert ihres
Bestehens. 2 Bde. Wien, 1865, 1877.
— Die früheren Wanderjahre des Conrad Celtes und die Anfänge der von ihm
errichteten gelehrten Sodalitäten, in denSitzungsber. der K.K.Akademie der
Wissenschaften, philos. -histor. Classe 60, 75-150. Wien, 1868.
Baader J. Beiträge zur Kunstgeschichte Nürnbergs. 2 Bdcbn. Nördlingen, 1860,
1862.
— Geschichte der Stadt Freiburjj im Breisgau. Erster Band. Freiburg, 1882.
Barack K. A. Ha«s Böhm und die Wallfahrt nach Niklashausen im Jahre 1476.
Im Archiv des historichen Vereins von Unterfranken und Aschaffenburg 14 c,
1-108. Würzburg, 1858.
— Des Teufels Netz. Satirisch-didaktisches Gedicht, in der Bibl. des literar.
Vereins. Stuttgart, 1863.
Barthold F. W. Geschichte der deutschen Hansa. 3 Bde. Leipzig, 1862.
Basler Chroniken, herausgeg. durch W. Vischerund A. Stern. Bd. 1. Leipzig, 1872.
Baümker W. Zur Geschichte der Tonkunst in Deutschland von den ersten An-
fängen bis zur Reformation. Freiburg, 1881.
Becker J. l'oy. Butzbach.
Beer A. Allgemeine Geschichte des Welthandels. Bd. 1. Wien. 1860.
XXX TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTES.
Belleuîmann h. J/o7j. Arnold.
Bensen n. W. Historische Untersuchungen über die ehemalige Reichsstadt
Rotenburg. Nürnberg, 1837.
— Geschichte des Bauernkrieges in Oslfranken. Erlangen, 1840.
Bernhardt A. Geschichte des Waldeigenthums, der Waldwirlhschafl und
Forstwirthschaft in Deutschland. Bd. 1. Berlin, 1872.
Beseleu G. Volksrecht und .luristenrecht. Leipzig, 184.3. Erster Nachtrag, 1844.
Bezold Fr. V. Der rheinische Bauernaufstand vom .Jahr 1431, in der Zeitschrift
für die Geschichte des Oberrheins, 27, 129-149. Karlsruhe, 1875.
BiANco J. F. V. Die alte Universität Köln. Erster Theil. Köln, 1855.
Binder F. Charilas Pirkheimer, Aebtissin von St. Clara zu Nürnberg. 2. Aufl.
Freiburg, 1878.
BiNTERiM A. .L Pragmatische Geschichte der deutschen National, — Provinzial —
und vorzüglichsten Dioecesanconcilien vom vierten Jahrh. bis auf das Conci-
lium zu Trient. Bd. 7. Mainz, 1848.
Bitzer. Die Verfassung der Städte und Länder Deutschlands unter dem Ein-
flüsse des Einigungswesens, Zeitschrift für die gesammte Staatswisseiischaft
14, 543 bis 594, Tübingen, 1858.
Bodmann J. F.RheingauischeAlterthümer oder Landes und Regimentsverfassung
des westlichen oder Nieder-Rheingaues im mittleren Zeitalter. 2 Theile.
Mainz, 1819.
BoEHMER .1. F. Codex diplom. Mœno-Francofurtanus. Frankfurt, 1836.
— Fontes rerum Germanicarum. Bd. 1. Stuttgart, 1843.
Die Regesten des Kaiserreiches von 1198-1254. Stuttgart, 1849.
— Die Regesten des Kaiserreiches von 1246-1313. Stuttgart, 1844.
Brant, S. Varia Carmina. Basil. 1498.
— Narrenschiff, l'oy. Gœdeke, Simrock, Zarncke.
Braun K. Etwas über deutschen Wein. — Zur Geschichte des deutschen Waldes.
— Die Geschichte des Rheingauer Markwaldes, in Aus der .Mappe eines
deutsdchen Reichsbürgers. Bd. 2 und 3. Hannover, 1874.
Brentano L. Die Arbeitergilden der Gegenwart. Bd. 1. Leipzig, 1871.
Brück IL Der religiöse Unterricht für .lugend und Volk in Deutschland in der
zweiten Hälfte des fünfzehnten .Tahrhunderts. Mainz, 1876.
Bruder A. Zur ökonomischen Charakteristik des römischen Rechtes, in der
Zeitschrift für die gesammte Staatswissenschaft 32, 631-659; 33, 684-724. 35,
284-317. Tübingen, 1876, 1877, 1879.
Buch von den Früchten, Bäumen und Kräutern. Mainz, 1498.
BucHiioLTZ F. B. V. Geschichte der Regierung Ferdinand des Ersten. 8 Bde. und
ein Urkundenband. Wien, 1831-1838.
BuscHii J. Liber reformationis monasteriorum quorundam Saxoniae, in Leibnitii
Scriptt. Rer. Brunsv. 2, 476-506. 806-970. Hannoverae, 1710.
Butzbach J. Wanderbüchlein (Chronica eines fahrenden Schülers), herausgeg.
von J, Becker. Regensburg, 1869.
Chmel .1. Urkunden, Briefe und Aktenstücke zur Geschichte Maximilian's I, und
seinerzeit, in der Bibliothek des literarischen Vereins. Bd. 10 Stuttgart, 1845.
Chroniken, die, der deutschen Städte vom vierzehnten bis in's sechzehnte
•Jahrhundert. 17 ßde. Leipzig. 1862-1881.
CocciNiüs M. De hello Maximiliani cum Venetis liber, bei Freher 2, 539-566.
Argentorati 1717.
Contzen H. Geschichte dervolkswisthschaftlichen Literatur im Mittelalter unter
Berücksichtigung der mittelalterlichen Staatslehre. 2 Aufl. Berlin, 1872.
Cornelius C. A. Die Münsterischen Humanisten und ihr Verhälttniss zur Refor-
mation. Münster, 1851.
CoRNiLL 0. .lacob Heller und Albrecht Dürer. Neujahrsblatt des Vereins für Ges-
chichte und Alterthumskunde zu Frankfurt a. M., 1871.
Crecelius. Voy. Krafft.
Cruel R. Geschichte der deutschen Predigt im Mittelalter. Detmold, 1879.
CuES NicoLAUs de. De Concordantia catholica (Schardius De jurisd. imp.) Basi-
leae, 1566.
TITRES COMPLETS DES OUVRACES CONSULTÉS. XXXI
Curieuse Nachricliten. Auf;sburfj, 1723.
DAcm;L>L L. La prédic;ition avant la Uéforme, licvuc caiholique de l'Alsace, 1863,
p. 1-9, Ô8-67, Strasbourg, 18G3. Cri réformateur catholique à la fin du w" siè-
cle, .Jean Geiler de Kaysersberg. Paris-Strasbourg, 187C.
Datt.I. Ph. Volumen rerum Germanicarum novura sive de pace imperii publica.
ülmae, 1698.
De Louinzi Ph. Geiler's von Kaysersberg ausgewählte Schriften nebst einer
Abhandlung über Geiler's Leben und echte Schriften. Bd. 1 und 2. Trier, 1881.
DFHN-RoTFi;LSEt\ IL V. Und Lorz W. Die Baudenkmaler im Regierungsbezirke
Cassel. Cassel, 1870.
Delpuvt G. H M. Die Brüderschaft des geraeinsamen Lebens. Deutsch bearbeitet
von G. Monike. Leipzig, 1840.
Deutsche Reichstagsakten, herausgeg. von J. Weizsäcker. Bd. 2. München, 1874.
Diederick van Munster, minre Brœder der Observanlen : aen kerstenspiegel
Aemsleredam, saus date.
DiLLENBURGEK W. Gcschichtc dcs (lyninasiuiHS zu Emmerich. Emmerich, 184G.
DöLLi.NGER J. Die Reformation, ihre innere Entwicklung und ihre Wirkungen.
3 Bde. Regensburg, 1846-1848.
Dkovsen J. G. Geschichte der preussischen Politik. Bd. 1 und 2. Berlin, 1855-1857.
Eichhorn K. F. Deutsche Staats-und Rechtsgeschichte. 4 Bde, Göttingen, 1834-
1836.
ENDEM.iNN W. Die nationalökonomischen Grundsätze der canonistischen Lehre.
Jena, 1863.
— Die Bedeutunjj der Wacherlehre. Berlin, 1866
— Studien in der romanisch-canonistischen Wirthschafts-und Rechtslehre. Bd. 1.
Berlin, 1874.
En.ne.\ L. Geschichte der Stadt Cöln. Bd. 3. Cöln und Neuss, 1869.
Erhakdt II. A. Geschichte des Wiederaufblühens wissenschaftlicher Bildung,
vornehmlich in Teutschland, bis zum Anfang der Reformation. 3 Bde. Magde-
burg, 1827-1832.
Essenwein A. Die mittelalterlichen Kunstdeukmale der Stadt Krakau. TWien,
1866 )
Eye A. V. Leben und Wirken Albrecht Dürers. Nördlingen, 1869.
Lyn cristlicii erinanung, Maynz, 1513.
Eabri f. Evagatoriuni in terrae sanctae, Arabiae et Egypti peregrinationem
edid. C. H. Hassler. 3 voll. (^Bibliothèque de la société littéraire.) Stuttgartige,
1843-1849,
Kalk F. Die Kunstthätigkeit in .Mainz von Willigisens Zeit bis zum Schluss des
.Mittelalters. Mainz, 1869.
— Wissenschaft und Kunst am Mittelrhein um's Jahr. 1450, in den historisch,
politischen Blättern 76, 329-.351 und 77, 292-309. München, 1875.
— Zur Beurtheilung des fünfzehnten Jahrhunderts, im « Katholik^ 1877 b, 405-
420. Mainz, 1877.
— Die Druckkunst im Dienste der Kirche, zunächst in Deutschland bis zum
.lahre 1520. Vereinsschrift der Görres-Gesellschaft. Cöln, 1879.
— üom-und Ilofpredigerstellen in Deutschland im Ausgang des Mittelalters, in
den histor.-polit. Blättern 88, 1-15; 82-92; 178-188. München, 1881.
— Schulen am Mittelrhein vor 1520, im • Katholik ^,1882. Januar-und Febru-
arheft. Mainz, 1882.
— Die deutsche Trachten-und Modewelt. Ein Beitrag zur deutschen Cullur-
geschichte. 2 Bde. Leipzig, 1858.
— Die Geschichte des deutschen Handels. 2 Bde. Leipzig, 1859-1860.
— Geschichte des deutschen Zoll Wesens. Leipzig, 1869.
— Geschichtliche Statistik der Preise im Königreich Sachsen aus der zweiten
Hälfte des fünfzehnten .Jahrhunderts, in Hildebrand's Jahrbücher für Natio-
nalökonomie und Statistik, siebenter Jahrgang, Bd. 2, 364-395. Jena, 1869.
— Die Steuerbewilligung der Landstande im Kurfürstenihum Sachsen bis zu
.\nfang des 17. Jahrhunderts, in der Zeitschrift fur die gesammte Staatswis-
senschaft 30, 395-448. Tübingen, 1874.
XXXIl TITRES CÜMl'LtTS DES OUVRAGES CONSULTÉS.
Falkenstein K. Geschichte der Buchdruckerkunst. Leipzig, 1840.
Fastnachtsspiele aus dem fünfzehnten Jahrhundert. 3 Bde. Herausgegeben von.
A. V. Keller, Bibliothèque de la société littéraire, Stuttgart, 1853 Nachlese dazU,
Stuttgart, 1858.
Faulmann K. Illustrirte Geschichte der Buchdruckerkunst mit besonderer Ber-
rücksichtigung ihrer technischen Entwicklung bis zur Gegenwart. Wien, Pest,
Leipzig, 1882.
Fiedler J. Peuerbach und Regiomontanus. Eine biographische Skizze, im
Jahresbericht des gymnasiums zu Leobschütz, 1870.
FiCKER J. Das deutsche Kaiserreich in seinen universalen und nationalen Bezie-
hungen. Innsbruck, 1861.
— Deutsches Königthum und Kaiserthum. Innsbruck, 1862.
Fischer F. C J. Geschichte des deutschen Handels, der Schifffahrt, Erfindungen,
Künste und Gewerbe. 4 Th. Hannover, 1785-1794.
FLOSS H. J. Das Kloster Rolandswerth bei Bonn. Cöln, 1868.
Fontes rerura Austriacarum. Erste Abtheilung : Scriptores. Bd. 1, herausgege-
ben von Th. G. von Karajan. Wien, 1855.
FoRKEL J. N. Allgemeine Geschichte der Musik. Bd. 2. Leipzig, 1801.
Fraas C. Geschichte der Landbau-und Forstwissenschaft seit dem sechzehnten
Jahrhundert. München, 1865.
Frankfurter Reichscorrespondenz nebst verwandten Aktenstücken von 1376-
1519, herausgegeben von J. Janssen. 2 Bde. Freiburg, 1863-1873.
Franklin O. Beiträge zur Geschichte der Réception des römischen Rechts in
Deutschland. Hannover 1863.
— Das Reichshofgericht im Mittelalter. 2 Bde. Weimar, 1869.
Freher M. Rerum Germanicarum scriptores, toin. 2., edit. 3. curante B. G. Stru-
vio. Argentorati, 1717.
Froissard, Pierre de. Lettres. Lyon, 1527'.
Fugger H. J. Spiegel der Ehren des Erzhauses Oesterreich (umgesetzt von
S. Birken). Nürnberg, 1668.
Gaede D. Die gutsherrlich-bäueiiichen Besitzverhaltnisse in Neu- Vorpom-
mern und Rügen. Berlin, 1853.
Galletti J. G. A. Geschichte Thüringens. Bd. 5. Gotha, 1784.
Gassendi P. Tychonis Brahei vita, accessit... Joannis Regioinontani vita. Hagae-
Comitum, 1655.
Geffcken J. Der Bildercatechismus des 15. Jahrhunderts und die catechetischen
Hauptslüscke in dieser Zeit bis auf Luther. Leipzig, 1855.
Geiger L. Das Studium der hebräischen Sprache in Deutschland vom Ende des
15, bis zur Mitte des 16 Jahrhunderts. Breslau, 1870.
— Nicolaus Ellenbog, ein Humanist und Theologe des 16 Jahrhunderts. Nach
handschriftlichen Quellen. Wien, 1870.
— .(ohann Reuchlin, sein Leben und seine Werke. Leipzig, 1871.
— Peirarka und Deutschland, in Müller's Zeitschrift für deutsche Kulturge-
schichte. Neue Folge, Jahrgangs, 207-228. Hannover, 1874.
— Neue Schriften zur Geschichte des Humanismus, in v. Sybel's Histor. Ztschr.
,lahrg. 17, Heft 1,49-125 München, 1875.
— Beziehungen zwischen Deutschland und Italien zur Zeit des Humanismus,
in Müller's Zeitschrift, für deutsche Kulturgeschichte. Neue Folge, Jahrg. 4,
104-124. Hannover, 1875.
GEISSEL J. V. Der Kaiserdoin zu Speyer. 2 Aufl. Cöln, 1876.
Gemeiner K. Th. Chronik der Stadt und des Hochslift Regensburg. 4 Th. Regens-
burg, 1816-1824.
Gengler II. G- Ueber Aeneas Sylvius in seiner Bedeutung für die deutsche
Rechtsgeschichte. Erlangen, 1860.
' M. Janssen a eu l'heureuse chance de découvrir à Pome en 1664, dans la bibliothèque du cardinal
Reisach et parmi divers petits manuscrits relatifs à l'histoire du seizième siècle, les lettres si souvent
citées par lui, de Pierre de Froissard. II pense que ce recueil a été réuni depuis à la bibliothèque du
cardinal .Uitoiieili.
TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTÉS. XXXIU
Germama, heraiisg. von Franz Pfeiffer. 12 Bde. Wien, 1855-1867.
Gervinus g. g. Geschichte der deutschen Dichtung. Bd. 2. Leipzig, 1853.
GessertM. A. Geschichte der Glasmalerei. Stuttgart, 1839.
GniLLANY G. \V. Geschichte des Seefahrers Ritter .Martin Bebaim. Nürnberg, 185.3.
GiERKE 0. Das deutsche Genossenschaftsrecht. 2 Bde. Berlin, 1868-187.3.
Gmelin.i. f. Beytrage zur Geschichte des deutschen Bergbaues. Halle, 1783.
GceoEKE K. Das Narrenschiff von Sebastian Brant. t.eipzig, 1872.
Goldast M. Politische Heichshandel. Frankfurt, 1614.
— Reichshaudlungen. Frankfurt, 1712.
GœRRES ,1. Die deutschen Volksbücher. Heidelberg, 1807. Wichtige Zusätze
von Goerres selbst in den Heidelberger .lahrbüchern von 1808, s. 409 ff.
— Altdeutsche Volks-und Meisterlieder. Frankfurt, 1817.
Gözens von Berlichingen Lebensbeschreibung, herausgegeben von F. von Stei-
gerwald. Nürnberg, 1731.
Graesse .1. G. Lehrbuch einer allgemeinen Literärgeschichte. Bd. 3. Abth. 1.
Leipzig, 1852.
Greife B. l'oy. Rem.
Grimm J. Deutsche Rechtsalterthümer. Göttingen, 1828.
— Weisthumer. 6 Bde. Bd. 5 und 6 herausgegeben und bearbeitet von R. Schrö-
der. Göttingen, 1840-1842, 1863, 1866, 1869.
Grure K. Johannes Busch, Augustinerpropst zu Hildesheim. Ein Katholischer
Reformator des fünfzehnten .lahrhunderts. Freiburg, 1881.
Grüneisen C. Niclaus Manuel Leben und Werke. Stuttgart und Tübingen, 1837.
— Ulms Kunstleben im Mittelalter. Ulm, 1840.
euDBNus V. F. DE. Codex diplom. anecdotorum res Moguntinas, etc. illustrantium.
5 tom. Francofurti et Lipsise, 1747-1758.
Gl'icciaudini Franc. La historia d'Italia. Vol. 1. 2. Geneva, 1636.
Güterbock C. Die Entstehungsgeschichte der Carolina auf Grund archivali^-
cher Forschungen und neu aufgefundener Entwürfe dargestellt. Würzburg,
1876.
HiEBERLiN F. D. Die allgemeine Welthistorie. Neue Historie. Bd. 9 und 10. Halle,
1771, 1772.
Hagen C. Deutsche Geschichte seit Rudolf von Habsburg. Bd. 1 und 2. Frank-
furt, 1855-1857.
— Deutschlands literarische und religiöse Verhältnisse im Reformationszei-
taller 3 Bde. 2 Ausg. Frankfurt, 1868.
Hain L. Repertorium bibliographicum. 4 voll. Stuttgart, 1826-1838.
Haltais C. l'oy. Haetzlerin und Theuerdank.
Haml)urgische Chroniken, herausgegeben von J. M. Lappenberg. Hamburg,
1852, 1861.
Hansen g. Die Aufhebung der Leibeigenschaft und die Umgestaltung der guts-
bäuerlichen Verhältnisse überhaupt in den Herzogthümern Schleswig und
Holstein. Petersburg, 1861.
Harff A. V. Pilgerfahrt von Cöln durch Italien, Syrien u. s. w. in den Jahren,
• 1496 bis 1499, herausgegeben von E. von Groote. Cöln, 1860.
Hartfelder H. Conrad Celtes und der Heidelberger Humanistenkreis , in v.
Sybel's Histor. Zeitschr. 47, 15-36. München, 1882.
Hautzheim J. Concilia Germaniaî, tom. 5 und 6. Colonise, 1763-1765.
Hasak V. Der christliche Glaube des deutschen Volkes beim Schluss des Mittel-
alters, dargestellt in deutschen Sprachdenkmalen, oder fünfzig Jahre der
deutschen Sprache im Reforniationszeitalter von 1470-1520. Regensburg, 186S.
— Dr. M. Luther und die religiöse Literatur seiner Zeit bis zum Jahr 1520.
Regensburg, 1881.
Hase K. Das Geistliche Schauspiel. Geschichtliche Uebersicht. Leipzig, 1858.
Hase O. Die Koburger, Buchhändler-Familie in Nürnberg. Leipzig, 1869.
Hassler K. D. Ulms Kunstgeschichte im Mittelalter, in Heideloff's Kunst des
Mittelalters in Schwaben 81-521. Stuttgart, 1864.
Haetzlerin C. Liederbuch, herausgeg. von C Haltaus. Quedlinburg und Leipzig
1840.
XXXIV TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTÉS.
Haltz J. F. Geschichte der Universität Heidelberg. Herausgegeben von v. Reich-
iin-Meldegg. 2 Bde. Mannheim, 1862-1863.
Havemann W. Geschichte der Lande Braunschweig und Lüneburg. 3 Bde. Göt-
tingen, 1853, 1857.
Heeren A. H. Geschichte der classischen Literatur im Mittelalter. 2 Bde. Göttin-
gen, 1822.
Hegev^'isch D. H. Geschichte der Regierung Kaiser Maximilian'sdes Ersten. 2 Bde.
Hamburg und Kiel, 1782, 1783.
Hehle. Der schwäbische Humanist Jacob Locher (1471-1528). Zwei Theile, im
Programm des Gymnasiums zu Ehingen, 1873 und 1874.
Heidemann J. Vorarbeiten zu einer Geschichte des höheren Schulwesens in
Wesel. Programm des Gymnasiums zu Wesel, 1850.
Heinrich Ch. G. Teutsche Reichsgeschichte. Bd. 4. Leipzig, 1791.
Helferich. Geldentwerthungim sechzehnten und siebzehnten Jahrhundert {Würt-
tembergische Getreidepreise von 1456-1628), Zeitschrift für die gesammte
Staatswissenschaft 14, 471-502. Tübingen, 1858.
Herberger Th. Conrad Peutinger in seinem Verhältniss zum Kaiser Maximilian I.
Jahresbericht des histor. Vereins für Schwaben und Neuburg für 1849 et 1850,
S. 29-72. Augsburg, 1851.
— Augsburg und seine frühere Industrie. Augsburg, 1852.
Hettinger f. Die Kunst im Christenthum. Würzburg, 1867.
Heumann J. Documenta litteraria. Altorfii, 1758.
Hipler f. Nie. Kopernikus und .M. Luther. Braunsberg, 1868,
— Christliche Lehre und Erziehung in Ermeland und im preussischen Ordens-
staate während des Mittelalters. Ein Beitrag zur Geschichte des Katechismus.
Braunsberg, 1877.
Hirsch Th. Danzigs Handels uud Gewerbsgeschichte unter der Herrschaft des
deutschen Ordens. Leipzig, 1858.
— Historisch Politische Blatter für das Katholische Deutschland. Bd. 1-90. Mün-
chen, 1837-1882.
HÖFLER C Ritter Ludwigs von Eyb Deniiwürdigkeiten brandenburgischer
(hohenzoUerischer) Fürsten. Bayreuth, 1849.
— Das Kaiserliche Buch des Markgrafen Albrecht Achilles. Vorkurfürstliche Pe-
riode, 1440-1470. Bayreuth, 1850.
— Ueberdiepolitische Reformbewegung in Deutschland im fünfzehnten Jahrhun-
dert und den Antheil Bayerns an derselben. München, 1850.
— Fränkische Studien, im Archiv, für Kunde österreichischer Geschichtsquel-
len, 7, 1-146 und S, 235-322. Wien, 1851-1852.1
— Betrachtungen über das deutche Städtewesen im fünfzehnten und sechzehnten
Jahrhundert, im Archiv fur Kunde österreichischer Geschichtsquellen, 11,
179-224. Wien, 1853.
— Ruprecht von der Pfalz, genannt Clem, römischer König. Freiburg, 1861.
— Kaiserthum und Papstthum. Ein Beitrag zur Philosophie der Geschichte.
Prag, 1862.
— Carl's I. (V), Königs von Aragon und Castilien, Wahl zum römischen Königfe.
Wien, 1873.
Hoffmann von Fallersleben. Geschichte des deutschen Kirchenliedes bis auf
Luther's Zeit Hannover, 1854.
— Niederländisch geistliche Lieder des XV Jahrhunderts. Hannover, 1854.
— Geschichte des deutschen Kirchenliedes bis auf Luther's Zeit. Hannover, 1854.
Holland H. Geschichte der deutschen Literatur, mit besonderer Berücksichti.
gung der bildenden Kunst. Regensburg, 1853.
— Geschichte der altdeutschen Dichtkunst in Bayern. Regensburg, 1862.
HoRAwiTz A. Beatus Rhenanus. Ein biographischer Versuch. Des Beatus Rhena-
nus literarische Thätigkeit von 1508-1547. In den Sitzungsber. der k. k. Akad.
der Wissenschaften philos.-histor. Classe. Bd. 70, 189-244, Bd. 71, 643-690 und
Bd. 74,323-376. Wien, 1870-1872.
— Nationale Geschichtschreibung im sechzehnten Jahrhundert, in v. Sybel's
Histor. Zeitschrift. Bd. 25, 66-101. München, 1871.
TITRES COMPLETS DES OITVRAGES f:ONSirLTÉS. XXXV
IlORAWiTz A. Zur Geschichte des deutschen Humanismus und der deutschen
Historiographie, in Müllers Zeitschrift fiii- deutsche Kulturgeschichte. Neue
Folge, Jahrg. 4, 65-86. Hannover, 1875.
HoTHo G. H. Geschichte der deutschen und niederländischen Malerei. 2 Bde.
Berlin, 1842-1843.
— Die Malerschule llubert's van Eyck, nebst deutschen Vorgängern und Zeitge-
nossen, ßd. 1. Berlin, 1855.
llüLLMANN k. D. städlewesen des Mittelalters. 4 Bde. Bonn, 1826-1829.
Hlmboldt \. V. Kosmos. 6 Bde. Stuttgart, 1847-1862.
Hymelstrasz, Die, édition d'Augsbourg, 1484 fGeffken, 106i.
Jacob G. Die Kunst im Dienste der Kirche. 2 .Vufl. Landshut, 1870.
JäGER c. Geschichte der Stadt lleilbronn und ihres ehemaligen Gebietes. 2 Bde.
lleilbronn, 1828.
— Ulms Verfassung, bürgerliches und commercielles Leben im Mittelalter,
Stuttgart, 1831.
— Leber Kaiser Maximilian's L Verhältnisse zum Papstthum , in den Sitzungs-
berichten der K. Akademie der Wisseiisrhaften 12,195-236. 409-441. Wien, 1854.
Jahn- 0. Bildungs;;ang eines deutschen Gelehrten am Ausgang des fünfzehnten
Jahrhunderts, in : • Aus der Alterthumswissenschaft • 404-420. Bonn, 1868.
Jahrbuch der k. k. Central-Commission zur Erforschung und Erhaltung der Bau-
denkmale. Bd 1-5. Wien, 1856-1861.
Jahrbücher fur Theologie und christliche Philosophie herausg. von Kuhn,
Locherer u. s. w. Jahrgang, 1834. Frankfurt, 1834.
JaNxNer f. Die Bauhütteu des deutschen .Mittelalters. Leipzig, 1876.
Janssen J. Frankreichs Fiheingelüste und deutschfeindliche Politik. Frank-
furt, 1861.
— Kaiser Maximilian's Bedeutung für Deutschland, im Katholik, Jahrgang,
1869 a, trois articles. Mainz, 1869.
— Au meine Kritiker, \ebst Ergänzungen und Erläuterungen zu den drei
ersten Bänden meiner Geschichte des deutschen Volkes. Freiburg, 1882.
Joachim E. Joannes \auclerus und seine Chronik. Ein Beitrag zur Kenntniss der
Historiographie der llumanistenzeit. Gottingen, 1874.
JÖRG J. E. Deutschland in der Kevolutionsperiode von 1522-1526. Freiburg, 1851.
Judenwucher und Schinderey, Augsburg, 1739.
KäMMEL 0. Johannes Hass, Stadtschreiber und Bürgermeister zu Görlitz. Ein
Lebensbild aus der Reformationszeit. Dresde, 1874.
Kampschllte f. W. Die Universität Erfurt in ihrem Verhältniss zu dem Huma-
nismus und der Reformation. 2 Bde. Trêves, 1858, 1860.
— Zur Geschichte des Mittelalters. Bonn, 1864.
Kantzow Th. Pommerania oder Ursprunck, Altheit und Geschieht der Völker
und Lande Pommern, Cassuben und so weiter, herausg. von H. G. L. Kosegar-
ten. 2 Bde. Greifswald, 1816-1817.
Kaufmann L. Albrecfat Dürer. Erste Vereinsschrift der Görres-Gesellschaft für
1881. Cöln, 1881.
Kaulen F. Geschichte der Vulgata. Mainz, 1868.
Kehrein J. Zur Geschichte der deutschen Bibelübersetzung vor Luther. Stuttgart,
1851.
— Katholische Kirchenlieder. Hymnen, Psalmen aus den ältesten gedruckten
Gesang-und Gebetbüchern zusammengestellt. Bd. 1. Würzburg, 1859.
Keisersberg Geiler v. Narrenschiff so er gepredigt hat zu Strassburg, 1498.
Strasbourg, 1520.
Keller A. v. Uoi/. Fastnachtsspiele.
Kellner H. Jakobus von Jüterbogk, in der Tübinger Theol. Ouartalschrift 48,315
bis 348. Tübingen, 1866.
Kerker M. Die Predigt in der letzten Zeit des Mittelalters mit besonderer
Beziehung auf das südwestliche Deutschland, Tübinger Theol. Quartalschrift
43,373 bis 410 und 44,267-301. Tübingen, 1861 und 1862.
Kerker M. Geiler von Kaisersberg und sein Verhältniss zur Kirche, in den Histor.-
polit. Bl. 48 und 49, sept articles. München, 1861-1862.
XXVI TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTES.
Riesewetter R. G. Geschichte der europaisch-abendländischen Musik. Leip-
zig, J846.
KiEssELBACH, w. DtF Gang des Welthandels und die Entwicklung des europäi-
schen Volkslebens im Mittelalter. Stuttgart, 186ü.
KiNDLiNCER N. Ges( hichte der deutschen Hörigkeit, insbesondere der sogenann-
ten Leibeigenschaft. Berlin, 1819.
RiNK R. Geschichte der Kaiserl. Universität zu Wien. Bd. 1. Wien, 1854.
RiRCHHOFF A. Beiträge zur Geschichte des deutschen Buchhandels. 2 Bdchn
Leipzig, 1851-1853.
Klüpfel R. Urkunden zur Geschichte des schwäbischen Bundes. 1 Bde, Biblio-
thèque de la Société littéraire, roi. 14 et 15. Stuttgart, 1846.
KoBERSTEiN A. Gcschichte der deustchen N';itionalliteratur. Umgearbeitete
Aufl. von C. Bartsch, Bd. 1. Leipzig, 1872.
RöHLER J. Rückblick auf die Kntwicklung des höheren Schulwesens in
Emmerich von seinen Anfängen bis zur Gegenwart. Erster Theil. Festschrift.
Emmerich, 1882.
RoLL.vR A. F. Analecta nionumentorum oninis ani Vindobonensium. 2 tora.
Vindob., 1661-1772.
RrabbeO. Die Universität Rostock im 15. und 16. .Jahrhundert. Rostock. 1854.
Rrafft C. Mittheilungen aus der Matrikel der altem Cölner Universität zur
Zeit des Humanismus (1484-1533 , in Hassel's Zeitschrift für preussische
Geschichte und Landeskunde 5,467-503. Berlin, 1868.
— Mittheilungen aus der niederrheinischen Reformationsgeschichte, in der
Zeitschrift des Bergischeu Geschichtsvereins 5,193-340. Bonn, 1869.
Rrafft C. und CreceliusW. Mittheilungen über Alex. Ilegiusund seine Schüler,
sowie andere gleichzeitige Gelehrte, aus den Werken des Job. B;itzbach,
Zeitschrift des Bergischen Geschichtsvereins 7,213-286. Bonn, 1871.
— Briefe und Documente aus der Zeit der Reformation im 16. .Jahrhundert,
nebst Mittheilungen über Cölnische Gelehrte und Studien im 13. und 16
Jahrhundert. Elberfeld (1875).
Rralse R. Die Schul-und Universitatsjahre des Dichters Eobanus Hesse, Pro-
gramm des Francisceums in Zerbst, Th. 1. Zerbst, 1873.
Krenner. Baierische Landtagshandlungen von 1429-1513. Bd. 10.11. München. 1804.
Kriegk G. L. Frankfurter Bürgerzwiste und Zustände im Mittelalter Frank-
furt, 1862.
— Deutsches Bürgerthum im Mittelalter. Frankfurt, 1868.
— Deutsches Bürgerthum im Mlttelater. Neue Folge Frankfurt, 1871.
— Geschichte von Frankfurt am Main. Frankfurt, 1871.
Klgler f. Handbuch der Malerei. Bd. 2. Berlin, 1847.
— Geschichte der Baukunst. Bd. 3. Stuttgart, 1859.
Künstmann F. Hieronymus Münzers's Bericht über die Entdeckung der Guinea,
mit einleitender Erklärung, in den Abhandlungen der histor. Classe der Aka-
demie der Wissensch. zu München 7,289-362. München. 1855.
— Die Fahrt der ersten Deutschen nach dem portugiesischen Indien, in den
Historich-polistichen Blättern 48,277-309. München, 1861.
Kurz H. Geschichte der deutschen Literatur. Bd. 1. Leipzig, 1869.
Lancizolle C. W. V. Grundzüge der Geschichte des deutschen Städtewesens.
Berlin, 1829.
Landau G. Historisch-topographische Beschreibung der wüsten Ortschaften im
Kurfürstenthum Hessen. 7 Suppl. der Zeitschrift des Vereins für hessische
Geschichte und Landeskunde. Cassel, 1858.
LangK. H. Neuere Geschichte des Fürstenthum Baireuth (seit 1486), Bd. 1. Göt-
tingen, 1798.
Langethal Chr. Ed, Geschichte der teutschenLandwirthschaft. 3 Bde. lena, 1847-
1854.
Lappenberg J. M. Urkundliche Geschichte des Hansischen Stahlhofes zu London.
Hamburg, 1851.
— Doctor Thomas Murner's Ulenspiegei. Leipzig, 1854.
Lasaulx E. V. Philosophie der schönen Rünste. München, 1860.
TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTÉS. XXXVll
l.r; Gi,AY. Correspondance de l'empereur Maxiinilien I" et de Marguerite
d'Autriche, 16ü7-lJ19. l'aris, 1839.
— Négociations diplomatiques entre la France et l'Autriclie. Bd. 1, 2. Paris, 1845.
LKinnNN Chu. Chronica der Stadt Speyer. Frankfurt, 1612.
Lette A. und von Konm: [-. Die Landescullurgesetzgebung des preussischen
Staates. Bd. 1 und 2 a. Berlin. 1853-18.54.
Leüthenmayu .1. B. Forst oder St. Leouhard. Ein Kulturbild aus dena oberbaye-
rischen I'faffenwinkel. Neuburg, a. !». 1881.
Lii.iENCRüN K. V. Die historischen Volkslisder der Deutschen vom 13 bis 16 Jahr-
hundert, und Nachtrag Bd. 3. Leipzig, 1865-1869.
— Der Weisskunig Kaiser Max's 1 in Kaumer's (Riehl's) Ilistor. Taschenbuch.
Folge 5, Jahrfj. 3, 321-358. Leipzig, 1873.
Limburger Chronik (Fasti Limburgenses). Wetzlar, 1720.
Linde v. d. Cutenberg. Geschichte und Erdichtung aus den Quellen nachgewiesen.
Stuttgart, 1878.
Lindemann \V. Johannes Geiler von Kaisersberg, ein Katholischer Reformator
am Ende des fünfzehnten .Jahrhunderts. Nach dem französischen des Abbé
Dacheux.. Freibourg, 1877,
Linsenmann F. Gabriel Biel und die Anfänge der Universität zu Tübingen.
Gabriel Biel, der letzte Scholastiker und der Nominalismus, in der Tübinger
Theolog. QuartalschrifL 47, 195-226; 449-481; 601-676. Tübingen, 1865.
— Conrad Suinmenhart, ein Culturbild. Zur vierten Säcularfeier der Universi-
tät Tübingen. Tübingen, 1877.
Lisch G. C. F. Geschichte der Buchdruckerkunst in Mecklenburg bis zum Jahre
1540, in dem Jahrb. des Vereins für mecklenburgische Geschichte und Alter-
thumskunde 4, 1-280. Schwerin, 1839.
Lochner G. \v. K. Des Johann Neudörfer, Schreib-und Rechenmeisters zu Nürn-
berg, Nachrichten von Künstlern und VVerkleuten daselbst, aus dem Jahre 1547.
Wien, 1875.
Lobe W. Geschichte der Landwirthschaft im Altenburgischen Osterlande.
Leipzig, 1845.
LoTz. loy. üehn-Rotfelser.
Lübeckischer Chroniken in nieder deutscher Sprache, herausg. von F. H. Grau-
toff. 2 Thl. Hambourg, 1829, 1830.
LüNiG J. Ch. Deutsches Reichsarchiv. 24. Bde. Leipzig, 1713-1722.
LuTHAUDT Chr. E. Albrecht Dürer. Zwei Vorträje mit Erläuterungen,
Leipzig, 1875.
Machiavelli f. Opere. 8 voll. Italia, 1873.
Marx J. Geschichte des Erzstiftes Trier von den ältesten Zeiten bis zum Jahre
1816. 5 Bde. Frier, 1858-1864.
Mascher II. A. Das deutsche Gewerbewesen von der frühesten Zeit bis auf die
Gegenwart. Potsdam, 1866.
Malrenbrecher W. Studien und Skizzen zur Geschichte der Reformationszeit.
Leipzig, 1874.
Maurer G. L. v. Geschichte des altgermanischen öffentlich-mündlichen
Gerichtsverfahrens. Heidelberg, 1824.
— Einleitung zur Geschichte der Mark, — Hof, —Dorf, — und Stadtverfassung
und der öffentlichen Gewalt. München, 1854.
— Geschichte der Markenverfassung. Erlangen, 1856.
— Geschichte der Fronhöfe, der Bauernhöfe und der Hofverfassung in Deut-
schland. 4 Bde. Erlangen, 1862-1863.
— Ges( hichte der Dorfverfassung in Deutschland. 2 Bde. Erlangen, 1866.
— Geschichte der Städteverfassung in Deutschland. 4 Bde. Erlangen, 1869-1871.
Meister k. S. Das katholische deutsche Kirchenlied in seinen Singweisen. Frei-
burg, 1862.
Meister. Die deutschen Stadtschulen und der Schulstreit im Mittelalter, im Pro-
gramm des Gymnasiums zu Hadamar 1868. Weilbourg, 1868.
Meitzen A. Der Boden und die landwirthschaftlichen Verhältnisse des preus-
sischen Staates. Bd. I. Berlin, 1868.
XXXyiII TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTÉS.
Menzel C. A. Die Geschichten der Deutschen. Bd. 7 und 8. Breslau, 1821-1823.
Meuser. Jüh. Eck in seinem Leben, seiner literarischen und kirchlichen Wirk-
samkeit, in Dieringer's kathol. Zeitschr. für Wissenschaft und Kunst 3-a, 3-d.
Cöln, 1846.
Meyer II. Die Strassburger Goldschmiedezunft von ihrem Entstehen bis 1681.
Ein Beitrag zur Gewerbegeschichte des Mittelalters. Leipzig, 1881.
MiCHELSEN A. L. J. Der Mainzer Hof zu Erfurt am Ausgang des Mittelalters.
lena, 1853.
MiGNET. Une élection à l'empire, Bévue des Deux Mondes, 5, 209-264. Paris, 1854.
Mittheilungen der R. K. Central-Commission zur Erforschung und Erhaltung
der Baudenkmale. Bd. 1-8. Wien, 1856-1863.
MoDDERMAN'N M. Die Réception des römischen Rechtes. Autorisirte Uebersetzung
mit Zusätzen herausgegeben von K. Schulz. Jena, 1875.
MoHNiKE G. Ortuinus Grarius in Beziehung auf die Epp. obscurorum virorum, in
Illgen's Zeitschrift für die histor. Theologie 13, Heft 3, 114-122 Leipzig, 1843.
Moll A. Johannes StöfHer von Justingen. Ein Charakterbild aus dem ersten
Halbjahrhundert der Universität Tübingen. Lindau, 1877.
MoNE F. J. Altdeutsche Schauspiele. Quedlingburg und Leipzig, 1841.
— Schauspiele des Mittelalters. 2 Bde. Carlsruhe, 1846.
— Zeitschr. für die Geschichte des Oberrheins. 21 Bde. Carlsruhe, 1850 bis 1868.
— Quellensammlung der badischen Landesgeschichte. 3 Bde. Carlsruhe, 1848-1863.
— Zur Handelsgeschichte der Städte am Bodensee vom 13. bis 16. Jahrhun-
dert mit Venedig, Mailand, u. s. w. — Der süddeutsche Handel mit Venedig
vom 13. bis 15. Jahrhundert, in der Zeitschrift für die Gesch. des Oberrheins.
Bd. 4 und 5. Carlsruhe, 1853, 1854.
— Ueberdas Forstwesen vom 14. bis 17. Jahrh. — Zur Geschichte des Weinbaues
vom 14. bis 16. Jahrh. — Zur Geschichte der Viehzucht vom 14. bis 16 Jahrh.
— Fruchthandel, Arbeitslöhne und Viehzucht am Bodensee 1433-1443. —
— Ueber die Bauerngüter vom 13. bis 16 Jahrh. — Zur Geschichte der Volks-
wirthschaft vom 14. bis 16. Jahrh., in der Zeitschrift für die Geschichte des
Oberrheins. Bd. 2, 3, 5, 6, 10, Carlsruhe, 1851, 1852, 1854, 1855, 1859.
MOSER J. Patriotische Phantasien. 5 Bde. Berlin, 1842, 1843.
Müller H. Ueber das Verhältniss des Abtes Tritheim zu Joachim I. von Bran-
denburg, im Programm der Bürgerschule zu Crossen, 1868.
Müller J. J. Des heiligen römischen Reiches teutscher Nation Reichstags- Thea-
trum unter Kayser Friedrich V 3 Th., lena, 1713.
— Reichstags-Thealrum unter Maximilian L 2 Th. Jena, 1718-1719.
MüNZENBERGER E. F. A. Das Frankfurter und Magdeburger Beichtbüchlein und
das Buch vom « sterbenden Menschen >. Mainz, 1881.
MüRNER Th. Die Narrenbeschwörung, herausg. von K.Gödeke. Leipzig, 1879.
Muther Th. Aus dem Universitäts und Gelehrtenleben im Zeitalter der Refor-
mation. Erlangen, 1866.
— Zur Geschichte der Rechtswissenschaft und der Universitäten in Deutschland,
lena, 1876.
Nettesheim f. Geschichte der Schulen imalteraHerzogthumGeldern. Ein Beitrag
zur Geschichte des Unterrichlwesens Deutschlands und der Niederlande. Aus
den Quellen bearbeitet. Düsseldorf, 1882.
Neüdörfer J. l'oy. Lochner.
Neue und vollständigere Sammlung der Reichsabschiede (von II. Chr. von
Senckenberg). Bd. I und 2. Frankfurt, 1747.
Neuman.\ M. Geschichte des Wuchers in Deutschland bis zur Begründung der
heutigen Zinsgesetze. Halle, 1856.
Nordhoff J. B. Der Holz und Steinbau Westfalens in seiner culturgeschichtli-
chen und systematischen Entwicklung. Münster, 1873.
— Denkwürdigkeiten aus dem Münsterichen Humanismus. Münster, 1874.
— P. Dederich Cölde und sein Christenspiegel, in Pick's Monatsschrift für rhei-
nisch-westfälische Geschichtsforschung und AUerthumskunde. Jahrgang I,
Heft 1-8. Bonn, 1875.
— Der vormalige Weinbau in Norddeutschland. Münster, 1877.
TITRES Cf)MPLETS DES OFVRAGES CONSULTÉS. XXXIX
Notizenblatt, Beilaf^e zum Archiv für Kunde österreichischer Geschicbtsquellen.
9 Bde. Wien, 1851-1860.
OcHENKOwsKi \V. V. Knfjlands wirthschaftliche Ent\vickluni5 im Ausgang des
Mittelalters. lena, 1879.
(ffiLSNER L. Schlesische Urkunden zur Geschichte der .luden im Mittelalter, im
Archiv, für Kunde österreichischer Geschichtsquellen 31 a, .07-144. Wien, 1864.
Otte H. Handbuch der kirchi. Kunstarchaeologie des deutschen Mittelalters.
Leipzig, 1868.
Otto c. Johannes Cochläus der Humanist. Breslau, 1874.
Passavant.]. D. Ansichten über die bildenden Künste. Fleidelberg, 1820.
Pauli R. Englands Verhältnis zu der Kaiserwahl des Jahres 1519, in den For-
schungen zur deutschen Geschichte 1, 413-436. Göttingen, 1862.
Paulsen Fr. Gründung, Organisation und Lebensordnungen der deutschen Uni-
versitäten im Mittelalter, in v. Sybel's histor. ztschr. 45, 251-440. München,
1881.
Pawlikowski C. C. V. Hundert Bogen aus mehr als fünfhundert alten und neuen
Büchern über die Juden neben den Christen. Freibourg, 1859.
Peetz H. Volkswirthschaftliche Studien (über Bayern). München, 1880.
Peschel 0. Geschichte der Erdkunde. München, 1865.
Pez A. Scriptores rerum Austriacarum veteres ac genuini. 3 tom. Lipsiae, 1721-
1725. Ratisb., 1745.
Potthast A. Wegweiser durch die Geschichtswerke des europäischen Mittel-
alters von 375-1500. Berlin, 1862.
Prantl C. Geschichte der Ludwig-Maximilians-Universität in Ingolstadt, Lands-
hut, 2 Bde. München, 1872.
Pressel Fr. Die Unruhen in Ulm 1513, in der Zeitschr. für die Gesch. des
Oberrheins 27, 211-221. Karlsruhe, 1875.
QuiRiM V. Rilalione anno 1506, herausg. von J. Chmel in Schmidt's Zeitschrift
für Geschichtswissenschaft 2,273-288 ; 334-356. Berlin, 1844.
Rassmann E. Biographische und literarische Nachrichten von Münsterischen
Schulmännern aus dem 15. und 16. Jahrhundert, im Programm der Real-
schule zur Münster, 1862.
Räumer K. v. Die deutschen Universitäten. Stuttgart, 1854.
— Geschichte der germanischen Philologie, vorzugsweise in Deutschland.
München, 1870.
Raynaldi. Annales ecclesiastici, vol 8-12, Lucae, 1752-1755.
Reber B., loy. Stockmeyer.
Reichensperger A. Vermischte Schriften über christliche Kunst. Leipzig, 1856.
— Mathias Merian und seine Topographie. Leipzig, 1856.
— Die christlich-germanische Baukunst und ihr Verhältniss zur Gegenwart.
Trier, 1860.
— Eine kurze Rede und eine lange Vorrede über Kunst. Paderborn, 1863.
— Allerlei aus dem Kunstgebiete. Brixen. 1867.
— Ueber das Kunsthandwerk. Cöln, 1875.
Reichhardt G. Die Druckorte des fünfzehnten Jahrhunderts und die Erzeu-
gnisse ihrer erstjährigen Wirksamkeit. Augsburg, 1853.
Reichling D. Beiträge zur Charakteristik der Humanisten Alexander Hegius
Joseph Ilorlenius, Jacob Montanus und Johann Murmellius, in Pick's Monats-
schrift für rheinisch-wesfalische Geschichtsforschung und Alterthumskunde,
Jahrg. 3 Trier, 1877.
— Johannes Murmellius. Sein Leben und seine Werke. Nebst einem ausführ-
lichen bibliographischen Verzeichniss sämmtlicher Schriften und einer
Auswahl von Gedichten. Freibourg, 1880.
Rem Lucas. Tagebuch aus den Jahren 1491-1541, ein Beitrag zur Handelsgeschichte
der Stadt Augsburg, mitgetheilt, von E. Greiff. Augsburg, 1861.
Remling f. X. Geschichte der Bischöfe zu Speier. Bd. 2. Mainz, 1854.
Rettberg R. v. Nürnbergs Kunstleben in seinen Denkmalen dargestellt. Stutt-
gart, 1854.
Reumont A. y. Lorenzo de' Medici il Magnifico. 2 Bde. Leipzig, 1874.
XL TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSUI,TÉS.
Revius. Daventria illustrata. Lujjduni Bat., 1751.
RircGEK J. A.Udalrici Zasii Epislolaee ad viros setatis suse doctisslmos. Ulmae, 1774.
RiEHL W. H. Die Deutsche Arbeit. Stuttgart, 1861.
— Culturstudieii aus drei .lahrlninderten. Stuttgart, 1862.
Rive J. €. H. l'eber das Bauernyiiterwesen in den Grafschaften Mark, Reckling-
hausen ii. s. \v., Cuin, 182î.
RûESLEn R. Die Kaiserwahi Carl's V, Wien, 1868.
Röhrig T. Die Schule zu Schlettstadt. in Illgen's Zeitsrhr. für diehistor. Theo-
logie 4, Stück. 2, 199-218. Leipzig, 1834.
RoLEwiNCK \V. De laude veteris Saxoni«, mit deutscher Uebersetzung herausg.
von L. Tross. Coin, 1865.
Roth .1. F. Geschichte der Nürnbergischen Handels. 4 Bde. Leipzig, 1800-1802.
Ro.scheu W. Die Grundlagen der Nationalökonomie 0. Aufl. Stuttgard, 1871.
— Nationalökomomik des Ackerbaues und der verwandten Urproduktionen.
Stuttgart, 187.3.
— Geschichte der Nationalökonomik in Deutschland, München, 1874.
— Die Stellung der .Juden im Mittelalter, betrachtet vom Standpunkte der
allgemeinen Handelspolitik, in der Zeitschrift für die gesammte Staatswissens-
chaft 31,503-526. Tübingen, 1875.
RruND A. Johannes Trithemius, im Chilianeum, Blätter für katholische Wis-
senschaft, Kunst und Leben. Neue Folge, 1,45-62. 112-121. Zürich, Stuttgart,
Würzburg, 1869.
S.VRTOiuus G. F. Geschichte des hanseatischen Bundes. 3 Bde, Göttingen, 1802-
1803.
Sattler C. F. Geschichte des Herzogthums Wurtemberg unter der Regierung
der Herzoge. Theil, Ulm, 1769.
S.tviGNY Fr. C. V. Geschichte des römischen Rechtes im Mittelalter. 6 Bde.
Heidelberg, 1815-1831.
ScH.iAB C. A. Die Geschichte der Erfindung der Buchdruckerkunst. 3 Bde.
Mainz, 1830-1831.
— Diplomatische Geschichte der .luden zu Mainz, und dessen Umgebung.
Mainz, 1855.
ScHVNz G. Zur Geschichte der deutschen Gesellenverbande im Mittelalter.
Leipzig, 1876.
Schatzhehalter, der, oder Schrein der wahren Reichthümer des Heils und ewy-
ger Seligkeit. Nürnberg (Anthony Kobergerj, 1491.
Scheibler l. A. Die hervorragendsten anonymen Meister und Werke der Kölner
Malerschule von 1460-1500. Inaugural-Dissertation. Bonn, 1880.
ScHLözER K. V. Verfall und Untergang der Hansa und des deutschen Ordens in
den Ostseeländern. Berlin, 1853.
Schmidt C. Ueber das Predigen in den Landessprachen wahrend des Mittelalters,
in den Theolog. Studien und Kritiken 19 a, 243-296. Hamburg, 1846.
Schmidt C. A. Der principelle Unterschied zwischen dem römischen und germa-
nischen Rechte. Rostock und Schwerin, 1853.
— Die Réception des römischen Rechtes in Deutschland. Rostock, 1868.
Schmidt Ch. Notice sur Sébastien Brant, Revue d'Alsace, nouvelle série 3, 3-56,
161-216, 346-388. Colmar, 1874.
Schmidt W. Martin Schongauer, in : Kunst und Künstler des Mittelalters und der
Neuzeit 24-40. Leipzig, 1875.
ScHMOLLER G. Zur Gcschichtc der nationalökonomischen Ansichten in Deut-
schland während der Reformationsperiode. in derZeitschr. für die gesammte
Staatswissenschaft 16, 461-716. Tübingen, 1860.
— Die historische Entwicklung des Fleischconsums, sowie der Vich-und Fleisch-
preise in Deutschland, in der Zeitschr. für die gesammte Staatswissenschaft
27,284-302. Tübingen, 1871.
— Strasburg zur Zeit der Zunfikämpfe und die Reforme seiner Verfassung und
— Verwaltung in 15. Jahrhundert. Strassburg, 1875.
— Die Strassburger Tucher-und Weberzunft. Urkunden und Darstellungen
nebst Regesten und Glossar, Ein Beitrag zur Geschichte der deutschen Weberei
TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTÉS. XLl
und des deutschen Gewerberechtes vom 13. bis 17. Jahrhundert. Strass-
burß, 1879.
ScHNEEGANS W. Abt Johann Trilhemiu.sund Kloster Sponheim. Kreuznach, 1882.
SciniNnEnc. G. Zur wirthschaftlichen Bedeutung des deutschen Zunftwesens im
Mittelalter. Berlin, 1868.
ScHöNiiEnu I). rier Kriefç Kaiser Maximilian's I. mit Venedif;, 1509. Wien, 1876.
ScHREKENSTEiN K. If. Rotli V. Gcschichtc der eheuialigen freien Reichsritterschaft.
Bd I und 2 a. Tübingen, 1859-1862.
ScHWAuz B. Jacob Wimpheliny der Altvater des deutschen Schulwesens.
Gotha, 1875.
Scott W. B. Albert Durer, his life and works. London, 1869.
Schreiber II. Geschichte der Albert-Ludwigs-Universität zu Freiburg im Breis-
gau. 2 Th. Freiburg, 1857-1860.
Seeber. Leben und Treiben der österreichischen Bauern im 13. Jahrh. nach
Neidhart, llelbling und Wernher Gartenare, in dem liistor. Jahrbuch der
Görres-Gesellschafl Bd. 3, 416-444. Münster, 1882.
Seelen-fürer, der, ein nutzberlich buch für yeglichen cristenmenschen zum
frumen leben und seligen sterben. Mainz bei Peter Scheffer 1498. 47 Blatter
in-4''.
SiGHART J. Geschichte der bildenden Künste im Königreich Bayern. München,
1862,
Silbernagel Joh. Trithemius. Landshut, 1868.
SiMROcK C. Sebastian Branl's Narrenschiff in neuhochdeutscher Uebertragung.
Berlin, 1872.
Sommer. Geschiclitliche und dogmatische Entwicklung der bäuerlichen Rechts-
verhältnisse in Deutschland. 3 Bde. Hamm, 1823, 1830.
SoTZMANN J. D. F. Gutenberg und seine Mitbewerber, oder die Briefdrucker und
die Buchdrucker, in Raumer's histor. Taschenbuch, Neue Folge, Jahrg. 2, 515-
677. Leipzig, 1841.
SpALATiN G. HisLorischer Nachlass und Briefe. Erster Band : Das Leben und die
Zeitgeschichte Friedrich's des Weisen; herausg. von Ch. G. Neudeker und
L. Preller, lena, 1851.
Spreng F. Zur Ges( hichte des Schulwesens in Deutschland, im Programm des
Real-Progymnasiums zu Seligenstadt, 1875-1876.
Springer A. Bilder aus der neuem Kunstgeschichte. Bonn, 1857.
Stahl F. \V. Das deutsche Handwerk. Frster (einziger) Band. Giessen, 1874.
STäLiNlI. F. V. VVirtembergische Geschichten. Bd 3. Stuttgart, 1856.
Steiff K. Der erste Buchdruck in Tübingen (1498-1534). Ein Beitrag zur Ges-
chichte der Universität. Tübingen, 1881.
Stintzing R. Ulrich Zasiiis. Ein Beitrag zur Geschichte der Rechtswissenschaft
im Zeitalter der Reformation. Basel, 1857.
— Geschichte der populären Literatur des römisch-canonischen Rechts. Leip-
zig, 1867.
— Das Sprüchwort : Juristen böse Christen, in seinen geschichtlichen Bedeu-
tungen. Bonn, 1875.
Stocbe 0. Geschichte der deutschen Rechtsquellen. 2 Bde Braunswerg, 1860,
1861.
— Die Juden in Deutschland während des Mittelalters in politischer, socialer
und rechllicher Beziehung, Braunschweig, 1866.
Stockbauer J. Nürnbergisches Handwerksrecht des sechzehnten Jahrhunderts.
Schilderungen aus dem Nürnberger Gewerbeleben nacharchivalischen Docu-
menten. Nürnberg, 1879.
Stockmeyer j. und B. Reber. Beiträge zur Baseler Buchdruckergeschichte.
Basel, 1840.
Stölzel A. Die Entwicklung des gelehrten Richterthums in deutschen Territo-
rien. 2 Bde, Stuttgart, 1872,
Stolle K. Thüringisch-Erfurt. Chronik, herausg. von L. F. Hesse in der Bibliotek
des literar Vereins in Stuttgart. Bd. 32. Stuttgart, 1854.
Strahl. Russlands älteste Gesandtschaften in Deutschland, deutsche Gesandt-
XLll TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTES.
Schäften in Russland und erstes Freundschaftsbündniss zwischen Russland und
Oesterreich unter Friedrich III und Maximilian I., im Archiv der Gesellschaft
für ältere deutsche Geschichtskunde 6, 523-54G Hannover, 1838.
Strauss D. F. Ulrich von Hütten. 2 Bde. Leipzig, 1858.
StridaW. Zur Entstehung des deutschen Zunftwesens, in Hildebrand's Jahrbü-
cher fur Nationalöckonomie und Statistik. Jahrg. 14, Bd 2, 1-128. lena, 1876.
SuGENHEiM S. Geschichte der Aufhebung der Leibeigenschaft und Hörigkeit in
Europa. St. Petersbourg, 1861.
Thausing M. Dürers Briefe. Tagebücher und Reime. Wien, 1872.
— Dürer, Geschichte seines Lebens. Leipzig, 1876.
Theuerdank herausg. von C. Haltaus. Quedlinburg und Leipzig, 1836.
Thomas J. G. C Der Oberhof zu Frankfurt am Main. Frankfurt, 1841.
Treitzsauerwein M. Der Weiss-Kunig. eine Eräzhiung von den Thaten Kaiser
Max's des Ersten. Wien, 1775.
Trithemh J. Opera historica. Francofurti, 1601.
Chronicon Hirsaugiense. 2 voll. St. Gallen, 1690.
Uhland L. Alte hoch-und niederdeutsche Volkslieder. Bd. 1, in zwei Abthei-
lunP'en, Stuttgart, 1844, 1845, Bd 2 [ouvrage connu aussi sous le titre de : Zur Ges-
chichte der Dichtung und Sagen, Bd. 3j, 1866.
Ullmann 11. Franz ven Sickingen, I eipzig, 1872.
Ullmann C. Reformatoren vor der Reformation vornehmlich in Deutschland und
den Niederlanden. 2 Bde Hamburg, 1841-1842.
Unger F. VV. Geschichte der deutschen Landstände. 2 Bde Hannover, 1844.
Unrest J. Oesterreichische Chronik in Hahns Collect, monument, vet. et recen-
tium, 1,537-803. Brunsvig*, 1724.
Vettori f. (Ambasciatore della republica Fiorentina a Massimiliano I.) Viaggio
in Alemagna. Parigi, 1837.
ViLMAR A. F. C. Handbüchlein für Freunde des deutschen Volksliedes. [Mar-
burg, 1867.
ViscHER W. Geschichte der Universität Basel von der Gründung, 1460 bis zur
Reformation, 1529. Basel, 1860.
VuLPius Curiositaten der physisch-literarisch-artistisch-historischen. Vor-und
Mitwelt. Bd. 2. Weimar, 1812.
Waagen G. F. Handbuch der deutschen und niederländischen Malerschulen.
Erste Abtheilung. Stuttgart, 1862.
Wachsmuth W. Europäische Sittengeschichte. Bd. 4. Leipzig, 1837.
Wackernagel Ph. Das deutsche Kirchenlied von der ältesten Zeit bis zu Anfang
des 17. Jahrh. Bd. 2. Leipzig, 1867.
Wackernagel W. Geschichte der deutschen Literatur. Basel, 1848.
— Die deutsche Glasmalerei. Leipzig, 1855.
Walchner K. Die allemanischen Brüder, im Teutschen Museum von Ernst
Münch 1,265-305. Freibourg, 1824.
WÄCHTER G. G. V. Beitrage zur deutschen Geschichte, insbesondere zur Ges-
chichte des deutschen Strafrechts. Tübingen, 1845.
Wagner t. Das Jagdwesen in Württemberg unter den Hergogen. Ein Beitrag
zur deutschen Cultur und Rechtsgeschichie. Tübingen, 1876.
Wassermann L. Der Kampf gegen die Lebensmittelfälschung vom Ausgang des
Mittelalters bis zum Ende des 18. Jahrhunderts. Eine culturgeschichtliche
Studie. Mainz, 1879.
Wattenbach W. Peter Luder, der erste humanistische Lehrer in Heidelberg,
in der Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins 22, 33-127. Carls-
ruhe, 1869.
— Sigismund Gossembrot als Vorkämpfer der Humanisten und seine Gegner,
in der Zeilschrift für die Geschichte des Oberrheins 25, 36-69. Carlsruhe. 1873.
Weale J. Hans Memlinc, zijn leven en zijne schilderwerken, Brügge, 1871.
Wegele Fr. X. Götz von Berlichingen und seine Denkwürdigkeiten, in MüUer's
Zeitschrift für deutsche Kulturgeschichte. Neue Folge. Jahrgang 3, 129-166,
Hannover, 1874.
Wehrmann C. Die älteren Lübeckischen Zunftrollen. Lübeck, 1864.
TITIîES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTES. XLIU
Weinreich's C. Danziger Chronik, herausr;. und erläutert von Th. Hirsch und
F. A. Vossberfï. Berlin, 1855,
Welzenbach Th. Geschichte der Buchdruckerliunst im ehemaligen Herzogthum
Franken und in benachbarten Städten, im Archiv des Histor. Vereins von
(nterfranken und Aschaffenburg, 14 b, 117-258. VVürzburg, 1857.
Welschgattung die. .Strassburg, 1513.
Wenckek J. Apparatus et Fnstructus archivorum. Argentorati, 171.3.
WiKiiEMANN Tii. Joh. Eck, Profcssop der Theologie an der Universität Ingolstadt.
Hegensburg, 1865.
Wyhegerllin für alle frummen cristenmenschen. Mainz bei Feter Schef-
fer, 1509.
WiLDA W. E. Das Gildenwesen im Mittelalter. Halle, 1831.
WiLKE.N E. Geschichte der geistlichen Spiele in Deutschland. Göttingen, 1872.
WiLKEN F. Geschichte der Kunigl. Bibliothek zu Berlin. Berlin, 1828.
WiMPHELiNG .1. Apologia pro republica christiaua. Phorce, 1506
WiSKOwATOFF P. v. Jacclj Wimpheliug, sein Leben und seine Schriften. Ein Bei-
trag zur Geschichte der deutschen Humanisten. Berlin, 1867.
AViTTENAVEiLEd II. Der r.ing, herausg. von L. Bechstein in der Bibl. des literar.
Vereins. Bd. 23. Stuttgart, 1851.
WoKER F. W Geschichte der norddeutschen Franziskaner-Missionen der säch-
sischen Ordensprovinz vom hl. Kreuz. Freiburg, 1880.
Wolf J. A. Die St. -Nicolai-Pfarrkirche zu Calcar, ihre Kunstdenkmäler und
Künstler archivalisch und archaeologisch bearbeitet. Calcar, 1880.
WoLFF J. Vor die anhebende-n kynder und ander zu bichten u. s. w. 1478.
WoLTMANN A. Holbein und seine Zeit. 2 Bde, Leipzig, 1866, 1868.
W üRZBACH A. v. Martin Schongauer, eine Kritische Untersuchung seines Lebens
und seiner Werke, nebst einem chronologischen Verzeichnisse seiner Kupfer-
stiche. Wien, 1880.
Zapf. loh. v. Dalberg, Bischof von Worms, Augsburg, 1796. Nachtrag. Zürich,
1798.
Zappeut G. Uel)er das Badewesen mittelalterlicher und späterer Zeit, im Archiv
für Kunde Österreich. Geschichtsquellen 21,1-160. Wien, 1859.
Zarncke Fr. Sebastian Braut's Narrenschiff. Leipzig, 1854.
— Die deutschen Universitäten im Mittelalter. Erster Beitrag. Leipzig, 1857.
— Die urkundlichen Quellen zur Geschichte der Universität Leipzig, in den
Abhandlungen der Königl. sächsischen Gesellschaft der Wissenschaft, 3, 509-
922. Leipzig, 1857.
Zaun J. Geschichte des Ortes und der Pfarrei Kidderich. Wiesbaden, 1879.
ZiEGLEK A. Regiomontanus, ein geistiger Vorläufer des Golumbus. Dresden,
1874.
ZöPFi, H. Deutsche Rechtsgeschichte. 3. Aufl. Stuttgart, 1858.
L'ALLEMAGNE Au TEMPS DE LA REFOUME
L'ALLEMAGNE
A LA FIN DU MOYEN AGE
INTRODUCTION
ÉTAT INTELLECTUEL DE L'ALLEMAGNE AU DÉCLIN DU MOYEN AGE.
La vie Intellectuelle du peuple allemand, et celle du peuple chrétien
en général, entrèrent, à partir de la seconde moitié du quinzième
siècle, dans une nouvelle période de développement. Une révolution
véritable s'opéra dans le monde de la pensée par la découverte
de Timprimerie et grâce à l'emploi de ces caractères coulés, mobiles,
détachés les uns des autres, qui rendaient désormais facile la repro-
duction de tous les manuscrits. Cette découverte d'une incalculable
portée, cet instrument puissant de civilisation, allait en effet con-
server et répandre toutes les productions de l'intelligence humaine,
provoquer et activer la manifestation des idées en facilitant leur
échange. Les relations entre les savants allaient se multiplier, les
arts et les sciences devenir accessibles à toutes les classes de la
société; en un mot, suivant l'expression d'un contemporain de Guten-
berg, " l'imprimerie allait mettre au service de la liberté humaine
un glaive tout-puissant, un glaive à deux tranchants, pouvant servir
au bien comme au mal, aux luttes pour la vertu et pour la vérité,
comme aux combats du vice et de l'erreur ".
En Allemagne, les premiers progrès de l'imprimerie secondèrent
les efforts, la féconde activité d'un homme de génie, Nicolas de
Cusa. Ce grand esprit, soit que nous voyions en lui le réformateur
ecclésiastique et le restaurateur des sciences naturelles, soit que
nous le considérions comme homme d'État, nous apparaît comme
un géant intellectuel au déclin du moyen âge.
1
2 INTRODUCTION.
I.e cardinal Nicolas Krebs, surnommé Cusanus, était fils d'un pé-
dieur des bords de la Moselle et naquit à Cues, près de Trêves. Les
réformes ecclésiastiques qu'il entreprit en Allemagne sur l'ordre du
Pape (1451), partaient toutes de ce principe - qu'il ne faut ni fouler
aux pieds ni détruire, mais au contraire purifier et renouveler, et
que ce n'est pas à l'homme à changer ce qui est saint, mais bien à
ce qui est saint de changer l'homme >• . Fidèle à cette pensée, il com-
mença tout d'abord par se réformer lui-même, et bientôt ses con-
temporains purent dire de lui " qu'il était le miroir de toutes les
vertus sacerdotales -. 11 annonçait la parole de Dieu au clergé comme
au peuple; mais ce qu'il enseignait, il ne manquait pas de le pratiquer
lui-même, et son exemple prêchait plus éloquemment encore que sa
parole. Simple et sans faste, infatigable au travail, enseignant et
châtiant, consolant et relevant, véritable père des pauvres, il par-
courut l'Allemagne d'une extrémité à l'autre durant un bon nombre
d'années, rétablissant l'ordre dans la discipline ecclésia.^tique, qut
depuis longtemps était tombée dans un grave relâchement. Il releva
autant qu'il le put dans les séminaires l'éducation, qui alors y était
très-abaissée, et propagea parmi le peuple l'enseignement du caté-
chisme. Il exerça une surveillance active sur les prédications, s'oppo-
sant avec une inflexible rigueur aux grands abus qui s'y rencontraient.
Il assembla des conciles provinciaux à Salzbourg, à Magdebourg, à
Mayence et à Cologne, et par la remise en usage de semblables
assemblées comme par les sages ordonnances intimées aux monas-
tères dont il faisait la visite, il contribua puissamment a affermir et
à assurer l'amélioration qui se produisit insensiblement dans la dis-
cipline de l'Église. Le projet de réforme générale qu'il élabora et
présenta au pape Pie II, est admirable. Le cardinal convient fran-
chement des abus existants, et, sans vouloir aucunement toucher à
l'organisme de l'Église, il apporte un zèle plein d'intelligence à
signaler le mal et à provoquer la réforme. Or, cette réforme, il
rétendait à tous les degrés de la hiérarchie, et lui faisait traverser
la cour de Rome comme le plus humble monastère.
;< Nicolas de Cusa, écrivait à la fin du siècle l'abbé JeanTrithème,
apparut en Allemagne au milieu de la perturbation et des ténèbres,
comme un ange de lumière et de paix. Il rétablit l'unité de l'Église,
consolida l'autorité du Souverain Pontife et répandit avec abon-
dance des semences de vie nouvelle. Une partie de ces semences n'a
pu germer à cause de l'endurcissement des cœurs, une autre partie a
porté des fleurs, il est vrai, mais elles ont promptemeut péri à cause
de la négligence et de la lâcheté des hommes. Enfin une bonne par-
tie a porté des fruits abondants que nous récoltons encore aujour-
d'hui, n Nicolas de Cusa était un homme de foi et de charité, un
NICOLAS DE C USA. 3
vérilablc ap6lre de pieté et de science. Son inlellifjencc embrassait
toiiles les connaissances de l'esprit humain, mais tout sou savoir ne
venait que de Dieu, et il ne voiilail l'employer qu'à sa {jloire, à l'édi-
ficalion et au perfectionnement des âmes. Aussi l'on puise dans ses
écrits une science et une sagesse admirablement pures. -■ Savoir
et penser, voir des yeux de l'esprit la vérilé, disait-il, voilà le vrai
bonheur. Plus ou avance en âge, plus ce bonheur grandit, et plus ou
s'applique à chercher la vérité, plus ou se sent enflammé du désir de
la posséder. ' ' De même (jue le co'ur ne vit en réalité qu'autant
qu'il aime, de même c'est la vie de l'esprit que de tendre à la science
et à la vérité. Au milieu des agitations politiques, parmi les travaux
de cha(pie jour, dans toules les contradictions de ce monde, portons
hardiment et librement nos regards vers les rég:ious lumineuses du
ciel. Élevons-nous jusqu'à la source de toute vérité et de toute beauté.
Il est bon d'étudier son propre esprit et les diverses productions de
l'intelligence humaine durant le cours des siècles. 11 faut observer la
nature qui nous environne et toujours mieux la pénétrer et l'appro-
fondir; mais, en nous livrant à ces différentes études, nous ne devons
pas perdre de vue cette vérité fondamentale : qu'on ne devient grand
que par l'humilité, et que la science et les lumières de l'esprit ne ser-
vent point à celui qui n'en fait pas la règle de ses actions et de sa vie. '
La véritable sphère d'idées du cardinal, c'était la philosophie spécu-
lative. Elle fit de lui le régénérateur des sciences sacrées. Son système
de théologie et de philosophie conciliait les tendances diverses qui
s'étaient jusque-là combattues au sein de l'école scolastique. Ce sys-
tème, par l'originalité et la profondeur des pensées, par le calme et
la lucidité avec lesquels les divers sujets y sont exposés, puis com-
binés dans un tout harmonieux, peut être comparé aux puissants
monuments élevés en Allemagne par l'art chrétien à la même époque.
Le cardinal de Cusa aida aussi à une plus claire intelligence des grands
maîtres de la scolastique ancienne; il tira le mysticisme des bas-fonds
du panthéisme, et marqua les limites précises autant que lumineuses
qui empêchent de confondre Dieu avec le monde. Enfin il aplanit la
voie à une démonstration plus scientifique des vérités de la foi. Mais
ce qui se révèle le plus à nous dans l'effort célèbre qu'il a tenté,
c'est son esprit véritablement philosophique, c'est son âme, pénétrée
de la plus pure charité chrétienne. Il ne se proposait rien moins que
de ramener toutes les discussions religieuses sur un terrain pacifique,
de rétablir dans le royaume de la foi la paix universelle, et de réunir
l'humanité tout entière sous la protection de la religion catholique
romaine.
Son activité ne fut pas moins féconde dans le domaine des sciences
naturelles, surtout dans la physique et dans les mathématiques. Près
1.
4 INTRODUCTION.
d'un siècle avant Copernic il eut assez de hardiesse et de liberté
d'esprit pour attribuer à la terre le double mouvement qui la fait
tourner sur elle-même et avancer en même temps dans l'espace. Il
composa un écrit plein de savoir sur la nécessité de rectifier le calen-
drier julien, et ouvrit la voie aux astronomes qui bientôt après
amenèrent une révolution si complète dans les idées qu'on se faisait
alors des corps célestes et des lois qui les régissent. Par les relations
personnelles qu'il entretenait avec Georges de Peurbach et ,lean
Müller, il féconda le génie de ces grands rénovateurs de l'étude de
la nature, qui, en faisant procéder leur savoir de l'observation directe
des phénomènes naturels, établirent la science de l'astronomie sur
les bases du calcul. Aicolas de Cusa releva aussi en Allemagne les
études classiques. Grâce à lui, on étudia plus à fond ces chefs-d'œuvre
de l'antiquité " où l'on voit s'unir si harmonieusement l'esprit et le
naturel, le libre essor de la pensée et la mesure ". Sa prédilection
pour les auteurs classiques, qu'il avait lus autrefois avec ardeur au
collège des " Frères de la vie commune », à Deventer, avait encore
grandi en Italie, où il acquit une connaissance très-approfondie de la
langue grecque. Un conmierce assidu avec Platon et Aristote changea
alors ce goût marqué en un enthousiasme - qui n'avait de repos que
lorsqu'il pouvait se communiquer au plus grand nombre possible de
personnes •. Il travailla avec une infatigable activité à remettre en
honneur l'étude de ces philosophes. Il les trouvait admirablement
propres à former les esprits et à démontrer la supériorité de la
doctrine évangélique sur tout autre enseignement. Il était plein
d'affabilité, d'une encourageante bonté lorsqu'il se trouvait au
milieu de ses élèves avides de profiter de ses leçons, et se montrait
toujours disposé à les aider de ses avis et de ses explications, alors
même qu'il était le plus accablé sous le poids des devoirs particuliers
de sa charge. Trithème nous apprend qu'une riche collection de
manuscrits grecs, qu'il avait réunie dans un voyage à Constantinoplc,
devait être publiée par ses soins et mise à la disposition du public,
l'année même où il termina sa laborieuse et féconde carrière (1467).
Parmi les jeunes gens auxquels il avait su inspirer par ses encoura-
gements et sa bienveillante sympathie l'amour des études classiques,
Rodolphe Agricola est celui de tous qui continua plus tard avec le
plus de succès son œuvre et sa pensée'.
' Extrait des œuvres de Sc.harpff, le Cardinalei l'évèque Nicolas de Cusa (Mayence,
1843); Nicolas de Cusa. réformateur de l'Eglise, de l'Empire et de la philosophie [Tuhingue,
J87]j, — j. M. Dux, le Cardinal allemand Nicolas de Cusa et l'Eglise de son temps (i\atis-
bonne, 1847, 2 vol.). — F. I. Clemens, Giordano Bruno et Nicolas de Cusa (Bonn, 1847).
— J. Uebinger, Philosophie de Nicolas Cusanus (Wurzbourg, 1880). — Grlbe, .V^ de Cusa
dans l'Allemagne du Norden 14.01 : Histor. Jahrb. der Görres Gesellschaft {Mnuster, 1880),
t. I, p. 393, 412. — Literatur Verzeichniss. — Chevalier, Répertoire des sources hislo-
CARACTÈRE f) U SIÈCLE DE LA RÉFORME. 5
Après une longue période de stagnation et de barbarie, l'Alle-
magne, vers le milieu du quinzième siècle, entra dans une phase
nouvelle, et la vie de l'espril y prit loul à coup le développement le
plus heureux et le plus sain, l'u profond besoin de culture intellec-
tuelle se fit sentir dans la bourgeoisie intelligente et prospère de
la nation, (le besoiii gagna rapidement loutes les classes du peuple,
et se maniiesla bieulùt par un aclil" et lecond mouvement. Partout,
dans les villes comme dans les campagnes, de nouvelles écoles furent
établies, les anciennes furent améliorées. On chercha à donner de
fermes assises à l'instruction populaire dans un système scolaire bien
entendu. Les innouibrables collèges, le grand nombre d'Universités
qui fureni alors fondés, prouvent l'ardent et puissant besoin d'ins-
truction qui s'emparait de tous les esprits. Les arts, les sciences, dans
leurs branches diverses, progressaient simultanément. Des hommes
de tout îlge, de toute condition, devenaient les apùfres zélés du
nouvel élan intellectuel. ■■• Ils allaient, dit Wimpheling, de canton eu
canton, de pays en pays, répandant partout la bonne nouvelle, exaltant
eu tous lieux l'excellence et la noblesse des arts et des sciences, et
vantant tous les bienfails qu'on peut recevoir par leur commerce. '
Le travail de l'esprit, les forces des intelligences s'appuyant sur le
ferme sol de la foi chrétienne et s'inspirant des vues de l'Eglise,
voilà le trait le plus marqué de l'élan vers les choses intellectuelles
qui se produisit dans les esprits à cette époque. L'impulsion donnée
commença au milieu du quinzième siècle, et dura jusqu'à l'apparition
de l'humanisme moderne, animé, comme on le sait, d'un tout autre
esprit, et hostile à l'Eglise.
Celle époque fui dans l'histoire de notre pays l'une des plus favo-
rables au développement de la pensée, l'une des plus fertiles en
heureux résultats. L'Allemagne parait alors inépuisablement féconde
en hommes remarquables, nobles de caractère, et de personnalité
bien tranchée. Du fond de leurs collèges, de la salle de cours ou ils
enseignaient, dans les paisibles laboratoires où ils cultivaient les
sciences et les arts, ces hommes donnèrent l'impulsion à une nou-
velle vie intellectuelle. Chez tous ces grands esprits la crainte de
Dieu était le commencement de la sagesse. Chrétiens convaincus,
humbles croyants, ils n'en étaient pas moins indépendants et résolus.
Leur courage ne redoutait rien, et leur âme énergique et forte
riijucs du moijrn âge (Paris, 1880, t. I, roi. 16.31 et ss.}. — Catalogw de la Bibliothèque
du cardinal, édité par Kraus, dans le Scrapcum 1 1864, p. 379).— Thithemm De verasiu-
diorum rationc, fol. 2. — Cette œuvre. .malheureusement incomplète, dont quelques
pages seulement se sont conservées, se trouve dans le Codex saec xvi', prove-
nant du monastère de Camp dans le Bas-Rhin. Trithème s'y plaint que de
cent vingt-sept abbayes qui avaient promis au cardinal la stricte observance,
soixante-dix seulement y soient restées fidèles (1493). Voy. Soa\EEGA>s,p. I5Ô-289-
6 INTRODUCTION.
était en même temps d'ime sensibilité profonde. Ils furent les pre-
miers à signaler hardiment les vices et les abus qui s'étaient intro-
duits dans l'Église. Leur attachement à cette Église unique et univer-
selle les incitait incessamment à favoriser l'active et sage réforme
ecclésiastique que Nicolas de Cusa avait commencée sur le sol alle-
mand. Leur amour pour l'Église ennoblissait et grandissait leur amour
pour leurs concitoyens et leur patrie. Il enflammait leur dévouement
pour r i< empereur romain de nation germanique -. Afin de soutenir
la puissance et la gloire de cet empereur, ils luttaient avec fermeté
contre l'ambition accaparante, la soif de domination des princes,
lis désiraient voir renaître l'ancienne unité; mais le sentiment de
l'intérêt particulier de la province a laquelle ils appartenaient n'était
pas moins profond en leur âme, et dans le progrès même qu'ils
rêvaient, ils souhaitaient pour chaque conirée de l'Empire l'indé-
pendance et le droit d'exister personnellement. Ce droit, ils le récla-
maient aussi dans le développement de l'instruction. Soumis comme
Allemands à l'Empereur, citoyens de l'Empire, ils se sentaient séparés
des autres nations, mais vivant en même temps sous la protection et
l'autorité de l'Église universelle; la conscience de cette existence
distincte n'avait jamais pour conséquence une inimitié nationale,
encore moins une haine héréditaire pour les autres peuples. Ils
n'éprouvaient qu'un seul sentiment à leur égard : le désir de les
surpasser dans tout ce qui élait bon et désirable.
L'échange des idées, les rapports fréquents entre les professeurs,
les savants, les artistes allemands et ceux des autres nations étaient
très-actifs, et constituaient un puissant moyen de progrès pour la
civilisation, les sciences et les arts. Les hautes écoles avaient un carac-
tère essentiellement international, et loin de diviser les peuples, la
civilisation les unissait.
Les nations chrétiennes n'avaient qu'un ennemi commun, 1' = ennemi
héréditaire de la chrétienté -, le Turc. Combattre ensemble cet
ennemi, sous les yeux du chef suprême de l'Église, paraissait à tous
les grands hommes d'alors l'un des devoirs les plus essentiels des
peuples chrétiens.
L'admirable développement de la vie intellectuelle à cette époque
n'eût pas été possible sans une croyance alors fermement enracinée dans
les consciences, celle de l'efficacité des bonnes œuvres pour le salut.
D'une part, cette doctrine, appliquée dans la pratique, grâce à d'innom-
brables legs pieux, créait des hôpitaux, des orphelinats, des établis-
sements pour les pauvres ; de l'autre, elle élevait des cathédi'ales, des
églises, parait des plus nobles œuvres d'art la maison de Dieu dans les
villes et dans les campagnes, et fondait en même temps des établisse-
ments scolaires, des Universités, enrichis de dotations nombreuses.
LIVRE PREMIER
L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
CHAPITRE PREMIER
DIFFUSION DE l/ I MF RIM ERIE '.
« Aucune découverte, aucun progrès intellectuel ne peut nous
rendre fiers à plus juste titre, nous autres Allemands, que Tinventioa
de rimprimerie. Grâce à elle, en effet, l'Allemagne a propagé en tous
lieux la doctrine chrétienne et les sciences divines et humaines ; elle
est ainsi devenue la bienfaitrice de l'humanité tout entière. Qu'elle est
bien autrement active que celle d'autrefois, la vie qui se manifeste
maintenant dans toutes les classes de la société! Et qui ne penserait
avec gratitude à ceux qui découvrirent et propagèrent les premiers
l'art merveilleux de la typographie! Ouel est celui d'entre nous qui
pourrait ne pas leur donner un souvenir reconnaissant, même s'il
n'a pas eu comme nous l'honneur d'entretenir avec eux des rap-
ports personnels^? "
" L'imprimerie qu'on vient de découvrir à Mayence est l'art des
arts, la science des sciences. Grâce à sa rapide diffusion, le monde a
été doté d'un magnifique trésor, jusque-là enfoui, de sagesse et de
science. Un nombre infini d'ouvrages que très-peu d'étudiants pou-
vaient seuls consulter autrefois à Paris, à Athènes, et dans les biblio-
thèques d'autres grandes villes universitaires, sont maintenant tra-
duits dans toutes les langues, et répandus parmi toutes les nations
du monde"'. »
' Pour ce qui concerne les inventeurs de l'imprimerie et l'histoire de cette
grande découverte, voy. ie savant ouvrage de V. D. Linde sur Gutenberg et Faul-
mann, p. 11-126. Dans l'importante quesiion de savoir où gît précisément le point
essentiel de l'invention, il est d'un autre avis que Gensfleiscli.
■^Jacques vviMPHFLiNG, De arte impressoria. Cette dissertation si intéressante
nous a été communiquée par le R. P. Jandel, prieur des Dominicains à Rome.
' Werner Folewinck, dans le Fasciculus temporum, édition Hain, n» 6915.
ö L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
'• Que d'élévations vers Dieu, que d'intimes sentiments de dévotion
ne doil-on pas à la lecture de tant de livres dont l'imprimerie nous
a dotés! Que de précieuses et saintes exhortations se trouvent dans
les sermons qu'on publie! Quelles f, races Dieu ne fera-t-il pas à
ceux qui impriment des livres, ou aident d'une façon quelconque à
ce travail? Pour ceux qui aiment les arts et la gloire, voici venir l'âge
d'or, le temps de la félicité! Ils pourront désormais enrichir le
champ de leur intelligence de nombreuses et précieuses semences !
Leur esprit va s'illuminer de divins rayons! Quant à ceux qui n'aiment
ni leur àme ni la gloire, je dirai seulement que, s'ils le veulent, ils
peuvent avec moitié moins de peine qu'autrefois apprendre en un
court espace de temps ce qu'on apprenait jadis en bien des années '.■'
C'est ainsi que s'exprimaient les contemporains sur la nouvelle
découverte.
Dès 1507, Wimpheling disait que rien ne pouvait faire mieux
comprendre la diversité et l'activité du mouvement intellectuel qui
se produisait alors en Allemagne, qu'un coup d'œil jeté sur la rapide
extension de l'imprimerie. En un très-petit nombre d'années, en
effet, elle avait doté toutes les grandes et beaucoup de petites villes
de véritables ateliers intellectuels, et les Allemands avaient porté
le nouvel art en Italie, en France, en Espagne et jusque dans
l'extrême Nord. Lorsque, après la conquête de Mayeuce par l'arche-
vêque Adolphe de Nassau (14f52), le « merveilleux secret >; fut divul-
gué, il se répandit dans toute l'Europe, et l'imprimerie prit un si
prodigieux développement que de 1102 à lôOO on a conservé le nom
de plus de mille imprimeurs, pour hi plupart Allemands d'origine -.
A Mayeuce, dès la période des incunables, on comptait cinq ateliers
de typographie, six à Ulm, seize à Bàle, vingt à Augsbourg, vingt
et un à Cologne ^ A Nuremberg, antérieurement à lôOO, vingt-cinq
imprimeurs reçurent le droit de bourgeoisie*. Le plus célèbre d'entre
eux, établi à Nuremberg depuis 1470, Anthoni Koburger, occupait
vingt-quatre presses et plus de cent < compagnons ", formant dans
ses ateliers le personnel des compositeurs, correcteurs, pressiers,
metteurs en pages, relieurs et enlumineurs \ En outre, il faisait
imprimer dans d'autres villes, et notamment à Bàle, Strasbourg et
Lyon. Jean Schonsperger faisait preuve à Augsbourg d'une activité
presque égale, comme aussi à Bàle, Jean Amerbach, Wolfgang
' chronique de Koellioff, édité par Cardauns dans les Chroniken der deutschen
Städte, t. XIV, p. 792, 794.
- Voyez- en la liste dans Falkensteix, p. 383. 393. V^oy. Reichhard, p. 25, 35.
=»SCHVU!, t. m, p. 421, 423. Gr^S.SE, III. p. 157-163. Enncii. t. III, p. 1034-1043.
Sur les imprimés du quinzième siècle consultez Faulmann. p. 197-232.
* Baader, An:.eiger fur die Kunde deutscher Vorzeit, t. VII, p. 119-120.
' Hase, 4-23. — Faulma», p. 178, 179.
DIFFUSION DE I,'IMPIiIM[:r, II-:. 9
Lncliner cl Jean Fro!)en. Ce dernier fui un des plus savants typo-
graphes qui aieni jamais existé '. Parmi les liommcs remarquables
de ce temps, bcaucoi'.p mirent leurs capacilcs au service du perfec-
tionnement de la typojjrapliic. Dès 1471, le célèbre imprimeur
Conrad Schweinlieim commençait à imprimer sur planches métal-
liques des cartes de géographie. En 1182, Erhard Tiatdolt essayait
pour la |)reniière fois de multiplier par la presse les figures de géo-
métrie et d'architecture, tandis qu'Erhard OEglin inventait l'art
d'imprimer les notes de musique au moyen de caractères mo-
biles'-.
Pendant qu'un si heureux mouvement se produisait en Allema-
gne, les imprimeries allcuiandes portaient la grande découverte à
Subiaco, Rome, Sienne, Venise, Foligno, Pérouse, Modène, Ascoli,
Urbin, Naplcs, Messine e( Palerme. Avant 1 1 fin du quinzième siècle,
on comptait eu Italie plus de cent imprimeries allemandes K C'est
à un imprimeur de Mayence, Jean Aeumeisicr, que l'Italie doit la
première édition de la Divine Comédie (1-1 72j. La première édition
du même ouvrage accompagnée d'un commentaire est aussi sortie
des. presses allemandes' (1181).
Les progrès de l'imprimerie furent presque aussi rapides en Espagne
et en France, grâce aux imprimeurs allemands. S'il faut en croire
Lope de Vega, on comptait en lôOO trente presses établies par eux à
Valence, Saragosse, Séville, Barcelone, Tolosa, Salamanque, Burgos
et dans d'autres villes encore. Là travaillaient ces hommes que Lope
de Vega appelait les >■ armuriers de la civilisation = •'. Jérôme Münzer,
médecin de ISuremberg, qui visita l'Espagne en 1494, trouva établis
à Grenade, délivrée depuis deux ans seulement du joug des Arabes
et en partie encore peuplée par eux, trois imprimeurs allemands,
• Stockmvyeu et Rkrek, p. 86-J15. Les ouvrages sortis des presses de l'inipri-
nieijr \iennois Jean Wiiiterbiirgei' il492, 1519j sont à peu de chose près égaux
aux nieilleurs produits des imprimeries de Bûle, Nuremberg et Augshourg.
Voy. U'ieii's linchdruckcr Geschichte, de A. Mayeii, 1482-1882, dans la première
partie du tome premier i Vienne, 1882).
- Invention indépendante de celle d'Ottaviano dei Petrucci. Voy. Amhuos.
p. 190-199. — Sur OEglin, voy. aussi (lEaiiEUGrtv, p. 41-42.
3 Gr-esse, III, a. p. 197-217. Sur les premiers imprimeurs de Subiaco et de
Home, voy. Anßützc -mi- Geschichte des Duchhnndtls im xvi Jnhrhiiinlcrt, par E. FnOM-
M\N, -2^ livraison (Italie, lena, 1881). F.vulmann, p. 174, 182.
* Voy. P.ELMONT, t. II, p. 48. — F.iELMVNN. p. 179. A partir de la seconde moitié
du quinzième siècle, on voit aussi établis en Italie beaucoup de copistes et
d'enlumineurs allemands. — Voyez-en la liste dans V Anzeiger fur die Kunde deutscher
iorzeii, 16, 75. 76.
^ Grosse, III, p. 225, 229. — F.vlkensteix, p. 291-295. Welzenbach, p. 12.3-
129. — Verzeichniss deutscher Dniclcr in Spanien u.id Portug/il. de V0.\ der I.ivde.
Pour la France, voy. l'excellent ouvrage de Clvldin, Antiquités typographiques
de lu France, Origines de l imprimerie à Alby (1480-1484), et les Pérégrinations de
J . .Veumcister, compagnon de Gulenberg (Paris, 1880).
tO L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
l'un de Strasbourg]?, Tautre de Spire, et le troisième de Gerleshofen'.
Deux autres imprimeurs originaires de Strasbourg- et de Nordlingen
allèrent môme se fixer à Saint-Tbomé, ile malsaine de TAfrique, dans
le golfe de (iuinée-.
En 1Ô03, Valentin Ferdinand, imprimeur allemand en Portugal,
fut nommé écuyer de la reine Eleonore, et le roi Jean II lui accorda,
ainsi qu à ses confrères, droit de gentilbomme dans la maison
royale^ En 1516, l'imprimeur allemand Hermann von Kempen publia
à Lisbonne, par ordre du roi don Emmanuel, le Cancioneiro de Gar-
cia de Resende. C'est une collcclion complète des poésies composées
par les poètes de la cour à cette époque, œuvre très-importante pour
l'histoire de la littérature portugaise.
A Bude r ~: art allemand " fut importé en 1473, à Londres en 1477,
à Oxford en 1478, en Danemark en 1482, à Stockholm en 1483, en
Moravie en 1486, à Constantinople en 1490'. " Comme les apôtres
du Christ s'en allaient autrefois par tout le monde annonçant la
Bonne Nouvelle :•, dit Wimpheling, > ainsi de nos jours les disciples
du saint art se répandent dans toutes les contrées, et leurs livres
sont comme les hérauts de l'Évangile et les prédicateurs de la vérité
et de la science ^ •
■ 11 n'y a pas aujourd'hui d'homme sensé qui ne puisse apprécier
les services rendus à toutes les classes de la société par l'art de l'im-
primerie '!, écrivait en 1487 Adolphe Occo, médecin de l'archevêque
d'Augsbourg Frédéric, à l'imprimeur Ratdolt. Elle a vraiment illu-
miné ce siècle, grâce à la miséricorde du Tout-Puissant. Mais c'est sur-
tout la sainte Épouse de .lésus-Christ, l'Église catholique, qui lui est
particulièrement obligée. Cette découverte, qui lui a donné une gloire
nouvelle, et l'a dotée de tant de livres remplis d'une science divine,
lui permet d'allerplus richement parée à la rencontre de son Époux '^.»
Les esprits supérieurs de l'époque ne voyaient pas seulement
dans l'art nouveau la source de grands avantages matériels, ils le
' Klnstmwn, p. 298.
- Id., p. 360.
^ (Jhillvxy, p. 3Ö-36. note.
* Voy. Rf.ichard, p. .3-20. — Vander Linde, p. 109-110.— Gn.ïSSE, 3 a p. 259,261-
264. — Falk, BnicHiinst 16 llulskamp, Literarischer, Anweiscr, 1879. n" 254. — Faul-
MANN, p. 171, 191, 193. — Sur les services rendus par les Westphaliens à la typo-
graphie, voy. NoRDFioFF, Htimaivsmtts , p. 129-133. — Les recherches les plus
récentes semblent établir que l'imprimerie de Cologne a été la mère des impri-
meries hollandaises et anglaises. Vov. Van der Linde, p. 259. — Reichli.ng,
p. 290-292.
' De arte impreswria. fol. 6.
" Occo considère aussi les livres comme des joyaux et des pierres précieuses
ornant le vêtement de l'Épouse du Christ. Falk, DrucJdnnst, p. 8.
lîUT DE L'IMPRIMERIE. — COOPÉRATION DU CLERGK. II
consi(I(^i*aicnt comme un instrumcnf puissant qui dcvail servir à la
fois les intértUs de TK^ylise cl ceux de la science et de la civilisation.
Aussi les « Frt'res de la vie commune " établis à Rostock, dans un de
leurs premiers imprimés (t i70), appellent-ils la typo{',rapliic la inrre
commune de toutes les sciences, Tauxilialrice de rÉp,lise •. Kux-mèmes
se qualifiaient de < prêtres de Dieu ■•• enseignant non par la parole
parlée, mais par la parole écrite '. Aussi les évèques accordaient-
ils souvent des induljjences à ceux (pii répandaient et vendaient
des livres ^ La même conviction faisait des membres du clergé
les promoteurs les plus zélés, comme les plus compétents de l'art
nouveau. De tous côtés, dans les couvents, des presses étaient établies.
En 1170, nous voyons une imprimerie s'ouvrir chez les chanoines
réguliers de Beromiinster, en Argovie; en 1472, chez les Bénédictins
des Saints Clrich et Afra à Augsbourg; en 1474, chez les religieux du
même Ordre à Bamberg; en 1475, chez ceux de Blaubeuren; en 1478,
chez les Prémontrés de Schussenried; en 1479, chez les ermites
augustins de Nuremberg et chez les Bénédictins de Saint-Pierre à
Erfurts A Bâle, les Frères mineurs et lesCliartreux s'étaient faits les
plus actifs callaborateurs de .Jean Araerbach'. Le scolasfique alle-
mand Jean Heyulin von Stein amena à Paris les premiers imprimeurs
appelés communément « Frères allemands , et les seconda aclive-
' Non verbo, sed scripto predicantes. Voy. Lisch, p. 45-4(5. C'est aussi ce
qui fait dire au Bénédictin de Liesborn Bernard Witte, dans son Hist. ll'esipha-
/ifie, p. 559 : ■ Oua cerlc nulla in mundo ars diftnior. nulla laudabilior, aut pro-
fecto utilior sive divinior aut sanctior esse unquani potuisset. L'arclievèque
de Mayence, Berlhold de Ilenneberfî, parle de la divina qua'dam ars inipri-
inendi ' . — Voy. J'alk, U'issciischa/t und /ùmsl /un Milldihcin, in den Hislor. Pol.,
p. 7", 296.
- VVELZENB.iCH, p. 153-158. FvLK, Dnicf.luiisi, p. 22.
^ Voyez sur cette imprimerie et sur d'autres imprimeries de monastères
en Allemagne et à l'étranger, la thèse approfondie de Falk sur l'imprimerie,
foi. 9. — Voy. aussi Van dei\ Linde, p. 95, 97. L'aclivile littrraire des reli-
gieux, dit ce dernier, a pris comme une vie nouvelle au milieu du quinzième
siècle, c'est-à-dire à l'époque de la découverte de la typographie, grâce aux
efforts intelligents qui suivirent le concile de Bàle. » Il n'cst donc pas éton-
nant que sous la dii'ectiou d'abbés zélés pour la science, les moines, de très-
bonne heure, aient mis à profit le moyen nouvellement inventé de reproduire
des livres par la typographie. La bonne intelligence qui régnait entre les mem-
bres du clergé et les imprimeurs facilita dans les couvents l'établissement
de nombreuses presses dès le quinzième siècle. Telle est l'origine, comme
•Schafarik l'a prouvé (voyez Scraprum, ann. 1843, p. 320; ann. 1851, p. 353), de
tous les imprimés relatifs à l'ancien slavon, notamment les kyrilliques de
prêtres et moines serbes ou bulgares. Au Monténégro, on trouve une impri-
merie dans un monastère dès 1493. On possède des i:nprimés provenant du
couvent de Sainte-Brigitte à W^dstena, en Suède, datant de 1491. L'imprimerie
des Sœurs de Saint-Dominique, à Florence, a produit, de 1476 à 1484, plus de
quatre-vingt-six ouvrages. Je dois ces renseignements aux obligeantes commu-
nications de M. Van der Linde.
* Stockmayer et Reber, p. 30-31.
12 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
ment dans leurs travaux '. un professeur de théologie, André
Frisner, exerça le premier à Leipzig l'état d'imprimeur ^ et c'est
à l'instigation du théologien Paul Scriptoris, lecteur des Franciscains
à Tubingue, que cette ville a dû l'établissement de sa première presse^
(1498). En Italie, le monastère bénédictin de Subiaco ouvrit ses
portes aux premiers imprimeurs allemands. Plus tard, c'est sous la
direction de l'évêque Giovan Andrea d'Aleria, bibliothécaire du pape
Sixte IV, que ces mêmes imprimeurs tirent paraître leurs ouvrages.
Le célèbre cardinal Turre-Cremata appela d'Iugolstadt à Rome le
typographe Ulrich Hahn (1466), et le cardinal Caraffa, en l'année 1469,
fit venir dans la même ville Georges Lauer, de Wiirzbourg'. Ces deux
imprimeurs trouvèrent dans les biographes pontificaux, Campano et
Platina, de zélés protecteurs. En (47."j, on comptait déjà à Home plus
de vingt ateliers de typographie. Avant la fin du siècle on estime
que le nombre des ouvrages qui y furent imprimés s'élève ä 926. Il
n'est que juste d'attribuer surtout aux efforts du clergé ce résultat
considérable*. D'ailleurs, prêtres et religieux ne se contentaient pas
de favoriser les progrès de l'invention nouvelle par leur coopération
personnelle, ils lui assuraient encore par leurs achats considérables
un indispensable soutien. La presque totalité des ouvrages imprimés
en Allemagne pendant le quinzième siècle n'étaient destinés qu'à
satisfaire les besoins intellectuels du clergé, et c'est après que l'élan
eut été donné par lui, que le goiH des livres s'étendit à l'ensemble du
public K
Le commerce de librairie ne fut qu'une continuation et une exten-
sion du commerce des manuscrils. Longtemps avant la découverte
de l'imprimerie, la vente de ces derniers avait pris en Allemagne, où
le besoin de lire était très-répandu, des proportions considérables et
toutes les allures d'un commerce bien réglé. Dans les grands centres
de commerce et dans les villes libres de l'Empire en particulier, des
corporations de copistes s'étaient formées, travaillant moins pour
les savants que pour le public en général. Leurs manuscrits, don! on
faisait déjcà des catalogues en due forme, étaient livrés à des mar-
' ViscHFu, p. 161. Sur Ulrich Gerinfï, le premier imprimeur de Paris, voy
Aebi, f'ie Duchflrucl.erei in Bcroniunsicr, p. 32-3G.
- VVrLZENnvcH, p. 128.
^ Stkiff, p. 5, 35.
* Voy. Serapeum. 13, p. 242-249. — Weczenbach , p. 12.3-124. — Relmont,
Geschichte der Stadt Rom, 3', p. 347. — GftEGOnoviLS, Geschichte der Stadt Hom im
Mittelalter, 7, p. 524-533.
^ Ua.se, p. 57-66. — F.\LK, Dnicldunst, p. 8-25. Cet ouvrage renferme une nom-
breuse liste de témoignages relatifs à l'attitude sympathique et désintéressée du
clergé vis-à-vis des imprimeurs.
l.IBliAiniE A (-1. EM A MIE. 13
chands ambulants qui en trouvaient surtout le débit aux loires
annuelles et aux kermesses. Vers le milieu du quinzième siècle, nous
voyons un de ces marchands, nommé Dicpold Lauber, ouvrir à
Ha{;ucnau une boutique abondamment fournie. Le calali){j?ue de sa
pacotille nous a été conservé. On y voit figurer non-seulement des
auteurs latins, mais encore les meilleures ])roduclions des poètes
allemands du moyen àfje, de grandes épopées, de petits écrits en
prose, des récits légendaires, des vies de saints, des livres populaires,
des traités de médecine à l'usage de tous, des bibles allemandes rimées,
des formulaires de prières et d'édification. La variété de ce catalogue
montre assez que dans l'Allemagne du moyen âge les livres ne s'adres-
saient pas seulement aux riches et aux savants'. Le commerce de livres
imprimés se développa avec une telle rapidité que vers la fin du quin-
zième siècle, il s'était étendu à l'Europe civilisée tout entière. La foire
de Francfort réunissait annuellement les libraires des différentes
nations. Là ils communiquaient ensemble. Cette foire ne commença
toutefois à prendre une grande importance pour la librairie que vers
le commencement du seizième siècle -.
A l'origine, les imprimeurs trafiquaient entreeux par voie d'échange.
On trouve la première trace de ce mode de commerce dans l'impri-
merie du monastère des Saints Ulrich et Afra à Augsbourg en 1474 \
Les Frères de la vie commune qui dirigeaient à Rostock une des plus
anciennes imprimeries de l'Allemagne du Nord avaient les mêmes
procédés commerciaux. Non-seulement ils vendaient les ouvrages
sortis de leurs propres presses, mais encore ceux qu'ils faisaient
impiimer en d'autres lieux. Leur commerce s'étendait aux diocèses
de Lübeck et de Schleswig, et même jusqu'en Danemark*.
Dès les premiers temps de l'imprimerie, Pierre Schöffer, le com-
pagnon des travaux de Guteuberg, avait ouvert une librairie à Paris,
et les ouvrages qui s'y trouvaient réunis en 147.3 étaient évalués alors
à 2,425 écus d'or, somme très-élevée pour l'époque '\ La librairie
établie, vers le même temps, à Nuremberg par les Koburger avait
déjà une importance considérable en 1500. Koburger envoyait beau-
coup de ses livres en Hongrie, dans les Pays-Bas, en Italie, et parti-
culièrement à Venise. « Il avait des agents dans tous les pays -, dit
Neudorler, ; et seize magasins ou dépôts dans les principales villes
' Voy. Kirchhoff, t. I, p. 1-6, et Serapeum, 13, p. .307, 315. — Sotzmann,
p.535-539. — MONE, Ze/fw/i/v/M. I, p. 312. — WATTENB.iCH, Schriftu-cseit, p. 317-319.
— Falk, Zur Beurlheilung des funfielintcn Jahrhunderts, p. 413, 414. — Catalogue de
Laube dont Lempertz a fait le fac-similé. Bilderhefte, 1862, pi. 1.
-Hase, p. 67-68; Geiger, llcuchlia, p. 252.
^ KiucHHOFF, t. II, p. 40 et 90, note 17.
* Lisch, p. 37-41.
''SCHAAB, Buchdnicherkunst, t. I, p. 515. — Hase, p. 83.
14 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE,
de la chrétienté. « Ses relations commerciales semblent s'être éten-
dues jusqu'en Pologne '. Il tenait si exactement ses livres qu'il pou-
vait toujours se rendre un compte exact de son immense commerce,
et combler les vides qui se produisaient dans tel ou tel magasin par
l'envoi de volumes tirés de dépôts bien pourvus. On peut citer les
titres déplus de deux cents ouvrages, pour la plupart grands in-folio ^
sortis de ses ateliers et tirés à un très-grand nombre d'exemplaires
antérieurement à 1500. Ce chifl're énorme peut donner une idée de
l'activité de travail qui régnait dans ses presses. Il mit aussi un grand
zèle à répandre les livres classiques édités par les presses italiennes.
Dans cet ordre d'idées il fut le digne émule des grands libraires bâlois,
Froben et Lachner, auxquels cette branche de commerce valait
d'importants bénéfices. « Dans ce moment même, écrivait un savant
de Bàle à l'un de ses amis, VVolfgang Lachner, le beau-père de notre
Froben, fait venir de Venise une cargaison de livres classiques. Ce
sont les meilleures éditions de l'imprimerie des Aide. Si tu désires en
avoir, fais-le-moi savoir bien vite, et envoie-moi de l'argent comptant,
car à peine un ballot de ce genre est-il arrivé, que déjà il y a tout
autour trente amateurs pour un. Ils demandent seulement ce que cela
coûte, et se disputent encore par-dessus le marché à qui en aura^
Outre ces noms, il faut encore citer au nombre des éditeurs les plus
actifs et les mieux inspirés de ce temps François Birckmann de
Cologne, qui fut le principal et le plus intelligent intermédiaire des
échanges de livres entre l'Allemagne, la France et les Pays-Bas. Les
relations qu'il entretenait avec l'Angleterre étaient si étendues
qu'Érasme écrivait de Cantorbéry en 1510 que depuis longtemps
Birckmann envoyait dans celte ville " presque tous les ouvrages qui
paraissaient * » .
Mais ce n'était pas seulement dans les grandes villes, c'était aussi
dans les petits centres que le commerce des livres prenait activité et
vie. Pour n'en citer qu'un exemple, la librairie Jean Rynmann, à
OEhringen, entretenait un commerce important avec les pays étran-
gers comme avec la haute et basse Allemagne. Plus tard, ce même
Rynmann se fixa à Augsbourg et étendit son activité commerciale à
1 LocHNER, p. 173, 177. — Hase, p. 58, 66. — Voy. Baader, Jahrbücher fur
Kunstwissenschaft, 1868, p. 235.
- Hase, p. ^3, et le Cat;tlogue des éditions, 90-95.
'Kirchhofe, t. I, p. 77. Sur le débit par les marchands allemands des
ouvrafjes parus chez Aide, voy. aussi Geiger, Beziehungen zieischen Deutschland
und Italien, p. 116.
* Kirchhofe, t. I, p. 92-120. Pour plus de détails, voy. Campbell, Annales delà
typographie néerlandaise au quinzième siècle (la Haye, 1874). — Yov. Van DER
LixüE, p. 105. — Reichlinc, Murmcllius, p. 8-9.
OUVRAGES EDITES. 15
toutes les branches de la science. On cite les noms de douze autres
libraires établis dans cette ville à la même épociuc que lui '.
Ces quelques cilations suffisent pour montrer les proportions
grandioses qu'avait prises la librairie allemande bien peu de (emps
après la découverte de Gutenber(;'. '• Nous autres Allemands -, écri-
vait Wirapheling en I.507, nous dominons presque tout le marché
intellectuel de l'Kurope civilisée. Mais aussi, ajoute-t-il, nous n'y
offrons (juère que de nobles productions, qui ne tendent qu'à la
gluire de Dieu, au salut des âmes et à l'instruction du peuple -.
Le plus vénérable de tous les livres, la Bible, avait le premier rang
dans nos anciennes librairies. Pendant un siècle elle occupa plus que
tout autre livre les presses de l'Occident \ En l.jOO, la traduction de la
Bible d'après la Vulgate avait déjà été imprimée près de cent fois. La
première œuvre d'art qui sortit des presses de Koburger fut une
splendide Bible, éditée en 1483, et que Michel Wohlgemuth avait
enrichie de plus de cent gravures sur bois. Outre ce chef-d'œuvre,
Koburger publia plus de quinze éditions de la Bible, et Amerbach,
-■" 1479 à 1489 K
■^nrimeurs du temps, qui étaient pour la plupart des
'" et qui, en dehors de leur commerce, étaient
grandes entreprises littéraires % tenaient
i. / ■'■•'.■ olic de bonnes éditions correctes des écrits
des Pei^.^ es anciens scolastiques, et aussi des théolo-
giens et philosoj^.. l'époque; ils apportaient un grand soin à ces
publications, et s'efforçaient de n'en produire que des éditions irré-
prochables sous le rapport de la correction du texte comme sous
celui de la beauté du caractère et du papier. Les éditions sorties des
ateliers de Koburger, d'Amerbach, de Proben, de Schönsperger,
de Rynmann et d'autres attestent suffisamment ce fait. Beaucoup
d'ouvrages in-folio, imprimés quinze ou vingt ans au plus après
l'invention de la typographie, sont d'incomparables chefs-d'œuvre,
dont la beauté et la magnificence n'ont pu encore être égalées. Qu'on
se souvienne du Psautier publié par Fust et Schöffer en 1457; c'est
un modèle achevé de tous les genres d'impression ®. Les ouvrages de
Sébastien Brant, de BeuchUn et d'autres humanistes allemands, im-
primés par Bergmann von Olpe, sont aussi très-remarquables par la
' Kirchhoff, t. I, p. 11-39.
- De artf impressoria, p. 12.
^ Voy. Kallex, Geschichte der Vulgata, p. 304-309.
* Hase, p. -iS-Sô. La première édition d'Amerbach commence par ces mots :
« Fontibus ex graecis, Hebraeorum quoque libris emendata satis et decoraia
simul Biblia sum. » — Stockmeyer et Reber, p. 37-39.
* Voy. Krafft, Mitiheilungen aus der Cölner Universitälsmatrikel, p. 473-475.
® Voy. Falke.nstei.n, p 123-125.
16 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA S CI ENTE.
netteté des caractères, la correction du texte et le luxe des éditions.
Les gravures cjui les accompag^nent «ont pour la plupart comptées
parmi les chefs-d'œuvre de l'art allemande Ces gravures que les
libraires intercalaient dans les livres, les frontispices dont ils étaient
ornés firent faire à l'art du graveur un progrès considérable ^
Ces éditeurs, ces libraires dont nous venons de parler, n'étaient pas
uniquement guidés dans leurs travaux par l'espoir de bons résultats
matériels. L'amour de la science et de la vérité les inspirait. Us met-
taient un zèle sincère à les servir et n'hésitaient pas à faire de grandes
dépenses pour le perfectionnement de leur art ^
Après la théologie, après la littérature sacrée, ce qu'ils se plu-
rent surtout à favoriser, ce fut l'essor des études classiques. Sous ce
rapport, outre les éditeurs déjà nommés, le savant Gottfried Hit-
torp , de Cologne , et les frères Léonard et Luc Alautsee , de
Vienne, se sont acquis des droits immortels à la reconnaissance de
la postérité^.
Pour le peuple, on publiait un nombre considérable de livres, dus,
pour la plupart, à des ecclésiastiques : livres de prières, catéchismes,
examens de conscience, paroissiens avec explications abrégées des
épîtres et des évangiles, livres d'édification, recueils de chants sacrés
ou profanes, écrits populaires, calendriers, annonces mortuaires et
autres imprimés, nombreux traités sur les sciences naturelles et sur
la médecine populaire. En résumé, les écrits allemands du quinzième
siècle qui existent encore font concevoir une trèe-favorablc idée de
l'état de la civilisation à cette époque, et montrent cjue le goiU de la
lecture avait pénétré dans toutes les classes \ " Rien que dans le ter-
ritoire d'Utrecht ^ écrivait sur la diffusion des livres allemands dans
les provinces du Sud Jean Buch, prédicateur de la réforme catho-
lique (1479), " il y a plus de cent associations libres de Sœurs e!
de Béguines qui possèdent un nombre considérable de livres alle-
mands, et les lisent tous les jours, soit en particulier, soit en com-
mun, au réfectoire ". ;< Les notables de notre pays et des envi-
rons «, ajoute-t-il, " aussi bien que les gens du peuple, hommes et
femmes, ont beaucoup de ces livres où ils lisent et étudient. » « A
Zwolle, Zutphen et Deventer, partout, dans les villes et dans les
villages, on lit et l'on entend lire des livres allemands ". =)
' Voy. Zarncke, la Xef des fous, L, LI.
- Voy. Springer, Gravures, p. 171-173.
^ Voy. ce que dit Jean de Müller [Geschichte der Schweizer Eidgenossen), t. V,
p. 351, sur les imprimeries de Bâle.
* Voy. Kirchhoff, t. I, p. 41-68. — Sur les imprimeurs et les libraires de
Vienne, voy, Aschbach, Wiener Universität, t. II, p. 126-127, 163.
^ C. A. Menzel, t. VIII, p. 231, a déjà appelé l'attention sur ce point.
^ EüSCHius, p. 926. — Voy. Grube, p. 163. « A Windesheira et dans d autres
OUVRAf.KS KDITES. 17
Naliirellemeiit, la pre.>:se reproduisait do prôfércncc les livres qui
Irouvaicüt le plus d'aclieleurs et qu'on voulait davantage répandre.
On peut donc conclure justement d'après le nombre des reproduc-
tions d'un ouvrage rimporlance et la valeur que lui attribuaient les
conleniporains, et d'autre part calculer l'influence qu'exerçait un
écrit, d'après le nombre de ses éditions. Aussi n'est-il pas sans
importance pour la connaissance et l'appréciation de cette épo-
que, de savoir que la Bible a été rééditée plus de cent fois en très-
peu d'années; qu'un ouvrage théologique de Jean Heynlin de Stein
a eu vingt éditions de 1488 à 1500 '; que les œuvres pédagogi-
ques de Wimplieling n'en ont pas eu moins de trente en vingt-
cinq ans % et que l'Imitation de Jésus-Christ a été reproduite, en
différents langages, jusqu'à cinquante-neuf fois avant la fin du
quinzième siècle \ Disons aussi qu'on possède encore aujourd'hui
quelques exemplaires d'un recueil de proverbes allemands de dix édi-
tions différentes \
La question de savoir à quel nombre d'exemplaires chaque édi-
tion était tirée ne saurait être résolue qu'approximalivement.
Dans deux livres de Wimpheling, on lit que l'édition en était de
mille exemplaires ^ Le tirage de la grammaire latine de Cochlaeus,
que ce savant fît imprimer en 1511, fut également de mille ^, ainsi
que d'autres ouvrages du temps. Il est donc presque certain
qu'abstraction faite des grands in-folio, les éditions étaient ordi-
nairement de mille exemplaires. Il est facile de calculer, d'après
cela, quelles proportions prenaient la vente et la diffusion d'ou-
vrages qui comptaient trente et jusqu'à soixante éditions. Pour les
livres de prières et d'autres du même genre, les éditions étaient sans
doute plus fortes encore. Il en était de môme de certains livres
célèbres pour lesquels on pouvait compter sur le grand public. Ainsi
VEloge de la folie, d'Erasme, eut dix-huit cents exemplaires dès la
première édition '.
D'innombrables livres du quinzième siècle ont été, ou perdus pen-
dant les guerres religieuses et civiles qui suivirent, ou mis en oubli
par suite d'une indifférence à laquelle ils commencent à peine à
couvents, il y avait, dès cette époque, de3 bibliothèques allemandes populaires
mises à la disposition de tous. »
' H.viN, n°* 9899-9918.
- Id., n»' 16162-16167, 16177-16180, 16190. —Et Erhard, t. I",p. 455-460, n»'4,
8, 14, 25.
3 Id , n"' 9078, 9136.
* Anzeiger fur Kunde Deutscher Vorzeit. — 12, 13.
» WiSKOVATOFF, p. 56, notc 3.
^ Otto, p. 34.
■^ Stockmeyer et Reber, p. 89.
18 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
échapper. Néanmoins on peut estimer à plus de mille les ouvrages
imprimés avant 1500 qui sont parvenus jusqu'à nous. Beaucoup
d'entre eux ont trois et quatre volumes in-folio, et souvent davantage.
Ce chiffre fait suffisamment apprécier l'acUvité intellectuelle, l'énergie
laborieuse et féconde de l'époque dont nous nous occupons '.
' Geffcken, p. 1-3.
CHAPITHK II
LES ÉCOLES ÉLÉMENTAIRES ET L'INSTRUCTION RELIGIEUSE DU PEUPLE '.
Dans im caléchisme écrit en bas allemand (imprimé en 1470), du
Frère mineur Dedericli Coelde, on lit, entre autres choses, au chapitre
où il est question des devoirs des parents envers leurs enfants : - Il
laut envoyer de bonne heure les enfants à l'école de maîtres esti-
mables, afin qu'ils y soient formés au respect, qu'ils n'apprennent
pas de vilaines choses dans les rues, et ne commettent pas le péché.
Les parents ont grand tort qui ne consentent point à ce que leurs
enfants soient punis par le maître d'école lorsqu'ils font mal. :■
Sébastien Brant, s'adressant aux parents, dit aussi dans la Nef des
fous-: ■■ Quand on n'envoie pas les enfants à de bons maîtres, ils
grandissent pour toute espèce de mal et deviennent des blasphéma-
teurs, des joueurs et des débauchés. " " Voilà ce que deviennent ces
enfants qui, dans leur jeunesse, n'ont pas été bien disciplinés et
n'ont pas eu un bon maître, car le commencement, le milieu et la
fin d'une vie honorable, c'est une bonne éducation*. »
Dans V Introduction à l'Examen de conscience, livre destiné à préparer
les fidèles à la digue réception du sacrement de pénitence (1478), le
chapelain Jean Wolf dit aussi « qu'on doit aux instituteurs le même
respect, le même amour, la même obéissance qu'à ses parents selon
la chair ». u Le maître qui t'a instruit pendant tes jeunes années,
dit-il, est devenu ton père spirituel par les soins et l'instruction qu'il
t'a donnés. Son enseignement ne saurait être payé avec de l'or et de
' Les renseignements que nous possédons sur rinstruction secondaire au
moment qui nous occupe, sont en très-petit nombre. Ils suffisent cependant
pour établir l'existence de nombreuses écoles et l'importance qu'où attachait
alors à l'instruction. Ils témoignent aussi en faveur du zèle que mettait le
clergé à favoriser l'instruction populaire.
* Xe/ des fous, § 6.
20 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
l'argent, parce que ce qui a rapport a Tàme est infiniment plus élevé
et plus noble que ce qui a rapport au corps. L'argent que l'institu-
teur a reçu pour t'avoir instruit a été depuis longtemps dépensé
pour les besoins de son existence, au lieu que toi », dit Wolff au péni-
tent, " pendant dix ans, vingt ans, cinquante ans, peut-être, tu liras, tu
écriras, tu profiteras de ce qui t'a été enseigné. " Le pénitent doit donc
bien s'examiner sur ces choses, et bien se demander " si, par exemple,
il n'aurait pas gardé rancune au maitre des coups qu'il en a reçus ' ".
(Juant à ce qui regarde les devoirs des instituteurs populaires, il
leur est demandé de seconder efficacement l'Église dans l'enseigne-
ment du catéchisme à la jeunesse. On lit dans un excellent petit
ouvrage d'enseignement et d'édification, paru en 1498, et intitulé le
Guide de Vâme : - Les maîtres d'école doivent enseigner aux enfants
la doctrine chrétienne et les commandements de Dieu et de l'Église.
Ils doivent suppléer à tout ce (jue les pères de la doctrine (c'est-à-dire
les prêtres) ne peuvent suffire à faire dans les sermons et autres
instructions spirituelles, et leur venir en aide-. -^
L'enseignement, alors, n'était pas obligatoire; cependant les écoles
étaient très-fréquentées, comme le prouvent beaucoup de documents
conservés dans de grandes et de petites villes, et même dans de
simples villages. Le maitre d'uue école de lecture et d'écriture à
Xanten (Bas-Rhin) se plaint que lui et son aide ne suffisent plus au
grand nombre des écoliers, et demande qu'un sous-maître leur soit
adjoint, sur quoi le conseil de la ville leur en accorde un, ainsi qu'à
un autre instituteur de la même ville, en les invitant à s'entendre
avec les parents pour la rétribution scolaire ^ (1491). On voit d'après
un document datant de 1494 qu'à Wezel il y avait cinq instituteurs,
chargés d'enseigner à la jeunesse « la lecture, l'écriture, le calcul et
le chant d'église ". A Noël, en cette même année, les instituteurs sont
traités et récompensés par le clergé de la ville; chacun d'eux reçoit du
drap pour se faire un habit neuf, et uue petite pièce d'or; car, dit le
compte rendu, « ils l'avaient bien mérité, et il était juste qu'ils fussent
récompensés ^ ". En bien des localités, les directrices des écoles de
filles pouvaient s'applaudir du grand nombre de leurs élèves. A
' Voy. Brück, 9, 35.
- P. 17. Wulff exhorte également les inslituteurs à enseigner à leurs élèves
les coraniandements de Dieu.
* Comptes de la ville en 1491. Archives de Xanten d'après les notes manuscrites
du chanoine Pelz (fol. 73).
* Notes du chanoine Pelz, fol. 74. — Pour plus de détails, voy. Nettesheim, et
aussi le travail de Falk, Schulen am MHielrhcin, p. 157. — Sur les écoles des autres
parties de l'Allemagne, voy. Meister, Die deutschen S ladt Schulen, p. 31-32 ; Nettesheim,
p. 79 et suiv. Une statistique faite en 1526 par des inspecteurs luthériens, et
présentée au prince électeur, établit incontestablement que des écoles popu-
laires existaient dans les villages de la Saxe antérieurement aux troubles reli-
TRAITEMENT D E S I N S T l TÜTEU P. S. 21
Xanfcn, une liaison d'édiicalion ([ui devait vraisemblablement son
existence ä l'initiative de Nicolas de Cusa, comptait, en 1407, quatre-
vinpjt-quatre jeunes filles, appartenant soit ä la noblesse, soit à la
bonrceoisie. Alde{}onde de [lorslmar se trouvait alors à la tète de cette
maison. Elle avait été instruite par les ■-■■ Frères de la vie commune -^
et se dirijyeait d'après leurs conseils dans l'éducation de ses élèves '
Le prix qu'on attachait à l'instruciion, la considération dont
étaient entourés ceux qui se vouaient à l'éducation nous sont attestés,
parmi d'autres preuves, par l'imporlancc des honoraires que rece-
vaient les inslitulcurs. Jusqu'à la fin du moyen âge, on n'entend
nulle part les maitres d'école se plaindre de l'insuffisance de leur
traitement*. Dans un temps où pour un florin on pouvait acheter
de 90 à 100 livres de viande de bii'uf, 110 à 120 livres de viande de
porc, le maître d'école de Wecze, villap;c du diidié de Clèves, rece-
vait on premier lieu de la commune : 4 florins, 4ô boisseaux de seigle,
32 de froment, 4cS d'avoine, plus fiO bottes de paille. La commune
lui assurait en outre la jouissance d'une maison avec jardin, d'un
jardin potager d'un tiers de journal, et la libre jouissance d'une
prairie d'un journal. Chaque écolier devait lui payer 5 stubers
par mois en hiver et 3 en été, et il recevait annuellement de 2 à
{jieux du seizième siècle. — D'autres recherches historiques prouvent également
l'existence d'écoles dans les villages dès la fin du quatorzième siècle. Voy. Kamiiel,
p. 14, 27, 34, 45-Î7. — Voy. [àeiCHE, Gesch. des Gymnasiums St. Elisabeth in Breslau,
1843, p. 3-8. On envoyait les enfants à l'école dès l'âge de six ou sept ans. Voy.
Ennen, Gedcnhbuch d'Ilerniann WEiNSREnc, dans le Zeitschrift fur deutsche Kulturges-
chichte, 1874, p. 47. Voy. Spreng, p. 21-22, et aussi la feuille extraite du formu-
laire de Strasbourg, 1483. On y voit que les instituteurs acceptaient pour trois
ans la direction d'une école. ^ Pour le logement et la rétrijjuiion. il percevra
soixante bons gülden du Rhin par an, et de plus quinze gülden d'or toutes les
fois que reviennent les jeûnes des Ouatre-Temps. -
' Pelz, Colleeianeen. fol. 72. Sur les écoles de filles à Spire et Überlingen. —
Voy. MONE, Zeitschrift, t. I, p. 263, et l. II, p. 153. .\ Siegen, on trouve à l'époque
dont nous nous occupons deux écoles de filles. Voy. G. Achenr.vch, Kirchliche
Anrichlungen der Stadt Siegen vor der Reformation (Siegen, 1881. p. 17). Kn 14Ô7 fut
construite à Venlo, ainsi qu'on le voit dans les comptes de la ville, une nouvelle
école dans laquelle les enfants des deux sexes étaient rassemblés dans des locaux
différents. Voy. Xettesheim, p. 85, 86. k Emmerich, en 1445, un traité fut signé
entre la ville et le chapitre. La ville, d'après ce traité, acquit le droit de nommer
une, deux institutrices et même davantage pour le service de l'école des filles.
Le conseil de la ville devait les présenter au chapitre. Voy. les documents
fournis par Nettesheim, Suppl., 2 D. — Voyez Kohlet,, p. 10. — Pelz rapporte
qu'il existait au quinzième siècle, à Clèves, une école de gentilshommes. Il y
avait aussi une école spéciale pour la noblesse du Uheingau. — Voy. F.vlk. Kunst
und Wissenschaft, p. 339-340. La noblesse de Speyergau avait aussi son institut
spécial dans le couvent des Augustins à Ilerdt, près Germersheim, où les reli-
gieux appartenaient à l'ancienne noblesse. Voy. Remling, Klöster, t. Il, p. 34.
- Kriegk, dans son livre : Ueutsches Bùrgerthum, nouvelle série, p. 67, a déjà fait
allusion à ce fait.
22 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
3 florins environ, pour le service de l'église. Il est fait mention,
en (510, dans les archives communales de Capellen, près de Gueldre,
de l'obligation imposée à tout paysan faisant instruire ses enfants
de donner à l'instituteur 12 boisseaux de blé et, s'il a un attelage à
lui, une charretée de bois '. A Goch, le directeur de l'école recevait,
depuis 14.50, outre le logement, la rétribution scolaire et différents
dons faits par les élèves, 8 florins d'Arnheim. Plus tard, une fonda-
tion pieuse lui assure encore un revenu de 3 flor. 1/2 d'or rhénan, à
charge par lui de chanter les laudes avec ses élèves. Or, le greffier de
la ville ne touchait que 5 florins, et les deux bourgmestres réunis ne
recevaient pas davantage-. A Eltville, dans le Rheingau, les appointe-
ments du maître d'école montaient à 24 florins par an; de plus, chaque
écolier était tenu de lui payer 3 albus. A Kiderich, ville de la même
province, les instituteurs recevaient de 30 à 90 florins. Le maître
d'école de Seligenstadt sur le Mein avait, outre le logement et le vin,
32 boisseaux de froment et la rétribution scolaire que devait fournir
chaque écolier \ Dans les écoles de Culmbach el de Baireuth, le
maître de latin recevait plus de 75 florins d'or par an, outre la nour-
riture gratuite \
Nous ne pouvons faire une juste évaluation du traitement des
instituteurs dans ces diverses écoles qu'à l'aide de comparaisons :
En 1451, les dépenses faites par le jeune gentilhomme Ort, de Franc-
fort-sur-le-Mein, à l'Université d' Erfurt, pour la nourriture, le loge-
ment, l'habillement, le blanchissage, les honoraires des profes-
seurs, etc., ne montèrent pas, pour toute une année de séjour, au
delà de 26 florins pour lui et son gouverneur \ Un étudiant de
Francfort en pension chez Ulrich Zasius, professeur à l'Université
de Fribourg au commencement du seizième siècle, lui payait
10 florins par an ^ Jusqu'en 1515 et à l'époque où l'argent avait
déjà subi une forte dépréciation, un foudre de vin se vendait
9 florins '. Le traitement d'un simple maître d'école comme celui
' Collectaneen de Pelz, p. 78.
- Voy. BergrvTH, Beiträge zur Geschichte der Schulen im Goch, dailS la Zeilschrift für
Erziehung und Unterricht de V.EGS (Cologne, 1859, t. VlII, p. 76-81). — Vov. les
détails sur les appointements et autres revenus des instituteurs. Xettesheim.
p. 115-127. — Voy. les renseignements sur les appointements des maîtres d'école,
extraits des anciens droits et usa;;es de la ville de Frankenberg par .Jean
Em:merich (y 1494). Schulhlall für die Proriuz Hessen-.Vassau, 1874, p. 55.
' F.4.LK, Schulen am Mittclrhein , p. 1.36, 139. Z\UN, Gesch. von Kiderich, p. 156.
Sur les émoluments des maîtres d'école dans les différentes villes, voy.
Kettesheim, p. 114.
* L.VNG, Geschichte des Fiirslcnlhums Bayreuth, t. I, p. 69-70. — Vov. IlvssELT, t. IV,
p. 168.
^ Voy. Anzeiger fur Kunde Deutscher Vorzeit, t. I\. p. 45-46.
* Curieuse Xachrichlen, p. 47.
^ KuiECK, p. 244.
INSTRUCTION CHRÉTIENNE. 23
de VVeeze paraK considérable si on le compare, soif à celui de
i'arcliitcctc de la calliédrale de Francfort, qui recevait annuellement
de 10 à 20 florins ', soit à celui du premier chambellan de la mère du
prince Philippe, électeur palatin, (jui ne dépassait pas 30 florins-.
« Les autorités constituées et les instituteurs de la jeunesse ont
droit au même respect, à la même estime •', dit le Guide de l'âme.
« Les maîtres d'école ont bien du mal et du travail pour élever et
maintenir les enfants dans Tordre et la discipline chrétienne. S'ils le
font, tu dois les respecter, les aimer et chercher à leur être a^yréable'. '
En quoi consistaient cet ordre et cette discipline chrétienne?
AJbert Dürer nous eu donne quelque idée dans les vers placés par
lui au bas d'une de ses gravures, datée de 1510. Cette p,ravure repré-
sente un instituteur qui tient un bâton dans sa main droite, et dont la
main gauche repose sur un livre ouvert. Devant lui, assis sur des esca-
beaux, sont rangés des écoliers qui paraissent écouter avidement la
leçon. Un encrier est suspendu à leur ceinture. Voici ce qu'on lit,
entre autres choses, dans la leçon qui leur est dictée :
« Que celui qui veut devenir sage et prudent eu demande la grâce
à Dieu pendant toute sa vie. Évite soigneusement toute mauvaise
médisance, afin d'en être un jour récompensé. Empêche aussi les
autres d'interpréter en mal tout ce que fait le prochain, tu préser-
veras ainsi ton cœur de toute amertume ; l'envie et la haine en seront
bannies, et ceux qui t'écouteront apprendront à te juger favorable-
ment. Dis ton opinion avec simplicité et droiture. Reste vrai, ne
mens pas. Ne cherche jamais par ruse et finesse à paraître autre que
tu n'es au fond de ton cœur ^ »
II
Toute éducation chrétienne devait commencer dans la famille. Tel
était le désir formel de l'Église. La maison chrétienne devait être la
première école de l'enfant. « Les enfants sont tout particulièrement
l'espoir de l'Église s lit-on dans le Guide de l'âme. « Il faut donc com-
• Voy. GwiNNER, Kunst und Künstler in Francftirl, 6-7.
2 Voy. Hautz, L'rhiindliche Geschichte der Stipendien und Stiftungen am Lijceum zu
Heidelberg (Heidelberg. 1856).
' P. 17. Vérifier les citations dans Meister, p. 26-27.
* Heller, p. 683-685. — Th.vnsing, Dürers Briefe, p. 155-157. Le revers de
médaille du système scolaire de ce temps, c'est le changement trop fréquent
des instituteurs et la conduite de ceux qu'on appelait les - écoliers de passage,
bacchants et arquebusiers >. Voy. Nettesheim, p. 113, 131.
24 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
mencer par bien exhorter les parents, afin qu'ils élèvent leurs enfants
dans la discipline chrétienne et le respect de la religion. La mai'^on
doit être, pour les enfants, dès l'âge le plus tendre, la première école
et la première église. Mère chrétienne, lorsque tu tiens sur te:^
genoux ton enfant qui est l'image de Dieu, fais le signe de la sainte
croix sur son front, sur ses lèvres et sur sa poitrine. Prie avec lui dès
qu'il pourra parler, afin qu'il répète, après toi, ta prière. Tu dois bénir
ton enfant, lui enseigner la foi, le conduire de bonne heure à con-
fesse, et lui apprendre comment il faut faire pour bien se confesser. •
" Les pères et mères doivent donner à leurs enfants l'exemple d'une
bonne et honorable conduite, les mener à la grand'messe, au sermon
et aux vêpres les dimanches et jours de fête; outre cela, il est bon do
les conduire à la messe de la semaine de temps en temps. Les parents
doivent les punir aussi souvent que cela est nécessaire. - « Les parents
sont obligés », dit le catéchisme de Dederich Coelde (chap. xxxvii)
'. d'apprendre à leurs enfants, eu langue allemande, le Noire Père
Y Ave Maria, le Credo et différents points de doctrine contenus dan>^
ce livre. Item : on doit encore leur enseigner à honorer I\Larie, mère
de Dieu, leur ange gardien et tous les saints de Dieu; le soir et le
matin, les parents doivent bénir leurs enfants, et le soir les faire
agenouiller devant leur lit pour remercier Dieu. Item : il faut que les
enfants soient instruits dans la religion dès leur jeunesse, car dans
l'âge mûr ils ne sont plus flexibles, et ne veulent ni ne peuvent plus
bien faire. Les parents doivent apprendre à leurs enfants le Benc-
dicitCj les Grâces, et à louer Dieu. Les enfants doivent être formés
à la modération dans le boire et le manger, et à marcher modes-
tement dans les rues. Item : il faut les habiller simplement et
non d'une façon mondaine, et les conduire à i'église pour entendre
la messe, les vêpres et le sermon. On doit encore leur enseigner à
servir la messe. Les parents doivent inspirer à leurs enfants le
respect pour les supérieurs, les tenir éloignés des mauvaises com-
pagnies, les punir avec modération, mais, lorsque cela est nécessaire,
leur faire sentir fortement la verge. De la mauvaise éducation dans
la famille, est-il dit au commencement de ce chapitre, viennent la
plupart des maux de ce monde. Le salut de l'enfant dépend d'une
discipline sévère. Les parents qui laissent grandir leurs enfants dans
l'exercice de leur propre volonté se préparent à eux-mêmes la verge.
Que la maison chrétienne soit un temple chrétien, mais surtout les
dimanches et autres saints jours, quand tous, père, mère, enfants,
sei'viteurs et servantes, jeunes et vieux, sont réunis, pour louer
Dieu, prier et lire. Ils pourront aussi chanter, jouer et se réjouir. "
— " C'est surtout en ces saints jours que les parents doivent donner
à leurs enfants l'aliment de la doctrine chrétienne; qu'ils fassent donc
ÉnrcATioN nEMf;iEUSE dans L\ FAMIF^LE. 25
plus d'aumônes que de coiitiinio ef jîraliqiicnt toutes les œuvres de
miséricorde; qu'ils pardonnent les olCenses reçues; c'est donner aux
enfants une bonne leçon de doctrine chrétienne, et elle ne sera pas
perdue '. " C'est dans le même esprit que Jean Nieder, dans son ser-
mon sur les dix commandements, exhorte parents et enfants : Si
tu es pauvre et ne possèdes rien, si tu ne peux rien donner au
malheureux assis à la porte de l'éf^lise et n'as rien à mettre dans sa
sébile, mcls-y du moins un Pater, afin qu'il supporte sa peine en
patience. Si tu vois faire le mal par quelqu'un des tiens, punis-le; si
quelqu'im t'a fait quelque malice, remets-t'en à Dieu : il en reviendra
du profit à ton âme. ^'- ^- Le chrétien doit assister à la messe et au
sermon les jours saints, puis, en de semblables jours, il doit aussi
lire de bons livres allemands (jui le portent au recueillement, lui et
les autres; il peut aussi chanter des chansons de son métier, ou
d'autres, mais jamais de chansons mauvaises et i";rossières -. »
Etienne Lanzkrana, prévôt de Sainte-Dorolhée à Vienne (1477),
trace uu charmant tableau de famille chrétienne dans la Roule du
Ciel, à l'endroit où il exhorte le père de famille à se rendre au ser-
mon après le repas avec lout son petit peuple ■ . - Ensuite, assis
en sa maison avec sa femme, ses enfants et son petit peuple, il leur
demande ce qu'ils ont retenu du sermon, il leur dit ce dont il se sou-
vient lui-même. H les questionne sur ce qu'ils savent et comprennent
des dix commandements de Dieu, des sept péchés capitaux, du Pater,
du Credo, et il les leur explique. Il fait ensuite apporter quelque chose
à boire, puis i! chante avec tous les siens un beau cantique à la louange
de Dieu, de Xotre-Dame ou des chers saints du Paradis, et il se
réjouit ainsi saintement en Dieu, avec tout son petit monde. '^ Pour
les dimanches matins, les fidèles sont averlis " que tout chrétien
arrivé à l'âge de raison doit entendre une messe tout entière, de sorte
qu'il ne s'en aille pas avant la bénédiction du prêtre... Il faut rester
pendant le sermon et l'écouter attentivement... On doit prier ces
jours-là pour les divers besoins de la chrétienté et des fidèles, et
réciter publiquement le Confiteor et les commandements de Dieu.
Ce qu'on a entendu du sermon, on fait bien de le mettre par écrit,
lorsqu'on ne peut le retenir autrement '. ;>
<> Sache que si toi, père chrétien, tu n'entends pas le sermon et
l'explication du Credo et des commandements, et comment il faut
faire et pratiquer une véritable pénitence, dit le l'etit Jardin béni
(1509), tu ne pourras pas instruire tes enfants et tes domestiques, le
' Seclenfiihrer, p. 5.
- Tiré dun manuscrit de 1474. Voy. II.vsak, Der christliche Glaube, p. 12-15.
' Himmelstrasse, édi(. d'Augsbourg, 1484, p. 50-51. C'est un des livres les plus
importants pour l'histoire des mœurs et de la civilisation au quinzième siècle.
26 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
soir, après le travail, sur la doctrine et sur les commaudements, ains?
que c'est ton devoir. Écoute donc attentivement tous les dimanches
la parole de Dieu... Assiste au sermon le matin et dans l'après-dinée.
Reçois religieusement la parole de Dieu dans ton cœur, médite-la
intérieurement, interroge quelqu'un d'éclairé sur le sens de ce que
tu n'as pas compris dans le sermon que tu as écouté, ou consulte tes
livres, et explique ensuite ce qui était resté obscur pour toi â tes^
enfants et à tes domestiques. Ouc la parole de Dieu soit le flambeau
de ton chemin. Il est très-salutaire d'entendre prêcher, et il est
également salutaire d'acheter de bons livres spirituels, d'y faire sou-
vent des lectures, afin d'être instruit dans la foi, dans les comman-
dements, les péchés, les verfus et dans toute vraie doctrine chré-
tienne '. ')
C'est aiasi que l'éducation du foyer cl de l'école devait seconder
les prédications e( les instructions religieuses de l'église. L'église,
la maison et l'école devaient mutuellement s'assister et concourir ai*
même but dans une alliance fidèle.
III
Les actes synodaux et toiis les livres d'enseignement destinés à
l'instruclion du clergé et aux besoins populaires prouvent avec
évidence l'importance qu'on attachait à la parole sainte annoncée
dans la chaire -. Le synode diocésain tenu à Bâle en 150.3 dit expres-
sément que c; les pas(eurs des âmes doivent expliquer tous les
dimanches à leurs paroissiens l'Évangile du jour en langue vulgaire,
et les instruire en chaire au commencement de chaque carême sur la
manière de se confesser. Les fidèles doivent en ce temps être exhortés
sérieusement à venir entendre les prédications et autres instructions.
A cette époque de l'année, tout chrétien doit aller assidûment à
l'église et mettre du zèle à entendre la parole de Dieu. Ceux qui s'y
refusent doivent être dénoncés à l'évêque ou à son vicaire. ' — Tous
' IVeihegiirtleln. 3. — Voyez les documents rassemblés par BnrcK, p. 7-8. —
HiPLEU, ChristUchc Lehre, p. 32-34.
- Du oôté des protestant.s, c. Schmid est le premier qui, dans son Traite sur
les études thèologiques, ait combattu les jufjemcnts défavorables prononcés contre
les prédicateurs allemands avant h Réf. rme. — Voyez aussi Gfffckkn, BUler-
caicchismiis des füii/zchnicn Jahrhunderts, 1855. Du côté des catholiques, les meil-
leurs travaux relatifs à ce sujet sont dus à M. KrnKnrs. Tiihin[)cr theologische
Quartnlschri/t, 1861-1862, et à L. DvcHEi \. Hevuc catholique de l'Alsace. — Voyez
Cruel, p. 647-651. Les critiques de Kawerau ont été réfutées dans mon travail
intitulé : A mes critiques, p. 193-205.
PRESCRIPTIONS TOUCHANT LES P RK D l CA T I ONS. 27
ceux qui annoncent la parole de Dieu doivent insister souvent dans
leurs sermons sur la bonne éducation des enfants et soutenir fidèle-
ment les droits des pauvres, des lépreux, des veuves, des orphelins
ou de toute autre personne tombée dans le malheur '. " Le synode
de nambcr[j (1191) fait roblijjation aux prédicateurs d'expliquer clai-
rement et in(elli{;iblement le Nouveau TeslamenI et, une fois au
moins par an, les dix commandements -. Là où une population slave
se trouve mêlée à la population allemande, il faut, en chaire, avoir
éjjard à l'une et à l'autre, l'ne ordonnance du synode diocésain de
Meissen (1504) porte que tout curé - dans la paroisse duquel se
trouvent des Slaves est obligé de s'adjoindre un prêtre auxiliaire
parlant le slavon (wende), afin qu'une partie de son troupeau ne soit
pas privée de l'instruction religieuse et des prédications ^ i. Les livres
ascétiques de l'époque sont unanimes à représenter aux pasteurs le
devoir qu'ils ont de prêcher tous les dimanches et jours de fête.
Comme le sermon prêché après la messe Ibrmait alors une partie
très-importante du service divin, lorsqu'une église devait être con-
struite, on en combinait les proportions d'après le nombre des assis-
tants qui venaient écouter les prédications. La plupart des chaires
du moyen âge qui subsistent encore datent de la fin du quinzième
siècle.
Les supérieurs ecclésiastiques restaient fidèles, dans leurs ordon-
nances, au principe que le célèbre prédicateur et défenseur des con-
stitutions papales, .lean Ulrich Surgant, avait énoncé dans sou Manuel
de théologie pastorale (1503) K « La prédication, y est-il dit, contribue
plus que tout autre moyen à la conversion de l'homme. C'est elle
surtout qui opère le retour à Dieu du pécheur par la pénitence.
Lorsque tu laisses perdre quelque chose de la parole de Dieu, tu
commets un aussi grand péché que si, par une négligence sacrilège,
tu laissais tomber à terre une parcelle du Corps de Notre-Sei-
gneur. >'
" On ne saurait exprimer le profit d'un bon sermon prêché par
un prêtre pieux et éclairé qui aime Dieu et le salut des âmes, car
nulle parole ne surpasse la parole divine, et la plus abondante béné-
diction de Dieu se répand sur celui qui prêche et sur tous ceux qui
écoutent prêcher avec humilité et sans malice. On puise dans la pré-
dication une ferme résolution de faire de bonnes œuvres; on y trouve
la nourriture et la consolation de l'âme, et les biens infinis que dis-
' HvRTZHEiM. p. 6, 8-9. 23-24.
- Id., t. V, p. 628-629. Voy. V, 477. et VI, 8, ordonnances du synode de Passau,
1470. — Voy. Cri EL. p, 610-614. 649.
^ llARTZHEIM, t. VI, p. .H3. — Voy. KERkEIl. p. 403.
* Manuale sacerdotiim. Voy. Geffcken, p. 196-203. — Kerker, p. 379-381.
28 L'INSTRUCTION rOPULAIHE ET I.A SCIENCE.
pense la grâce, comme Tont expcrimcuté souvent ceux qui cnteudent
volontiers la parole de Dieu '. " — « En effet -^ écrivait révèc|uc de
Spire, Mathieu (1471), « les meilleurs prédicateurs de Spire ont tou-
jours pu constater par expérience que l'audition attentive de la parole
sainte procure la gloire de Dieu, le bien de l'Église, l'exaltation de
ia foi orthodoxe et le salut des âmes; ils ont été témoins des bienfaits
innombrables qui en découlent pour le peuple ^ "
Aussi les fidèles étaient-ils instamment invités à fréquenter les
prédications. Dans les synodes diocésains, on ordonnait aux prêtres
d'exhorter les paroissiens, et même sous peine d'excommunication, à
assister les dimanches et jours de fête à la messe et au sermon jusqu'à
la fin ^ Les examens de conscience de Lübeck demandent (juc " ceux
qui ne veulent pas assister à tout le sermon le dimanche soient exclus
de la paroisse '. — Nicolas Rus de Rostock disait aussi : « Les
laïques qui sortent de l'église quand le prêtre commence à annoncer
la parole de Dieu, doivent être bannis par l'évêque K " Tous les
examens de conscience du temps regardent comme un péché mortel
l'abstention du sermon i)ar négligence ou par mépris. — <= Si tu
n'entends pas la messe et le sermon les dimanches et jours de fête,
dit Wolff dans son examen de conscience, tu pèches contre le troi-
sième commandement. "
Le Miroir des pccheiirs (1470) dit, s'adressant aux pères de famille :
« Si tu as dans ta maison déjeunes garçons ou de jeunes filles, et que
tu ne les aies pas conduits à l'Église lorsqu'ils étaient parvenus â l'âge
d'adulte, c'est-à-dire à douze ans pour les petites filles, à quatorze
pour les garçons, et qu'ils n'aient pas entendu la messe et le sermon,
eux et toi ne pouvez être exempts de péché mortel, car tout chrétien
parvenu à cet âge a l'obligiation d'écouter attentivement et d'un
cœur recueilli une messe entière et un sermon ^ »
Les anecdotes qu'on mêlait aux sermons sont très-intéressantes
pour celui qui veut être initié à la manière de penser de cette
époque. Nous lisons, par exemple, dans la Consolnlion de l'âme
(1483), qu'un saint homme vit un jour un démon qui cheminait por-
tant un grand sac. 11 lui demanda ce que le sac contenait : le démon
Uli répondit : " .le porte des boites d'onguent -, et il lui montra une
petite boite noire. ^ Vois, dit-il, c'est un baume avec lequel je ferme
les yeux des gens afin qu'ils s'endorment pendant le sermon. Le pré-
dicateur me fait trop de tort auprès de l'homme; celui que j'ai eu
' Seelenfûltrcr, p. 0.
- Voy. Gkissel, Cathèdrah' impiriak' de Spire, t. !I. p. G3.
^ Voy. Bi\TEi\ni, t. VII, p. :;;02-497.
■* Geffcken, p. 15.
* Id., SuppL, p. 59.
FONDAT KJNS \)E (JJAIfiES. 29
trente ou quarante ans en ma puissance nréchappe après l'audilion
d'un .seul sernion '. >'
De même que les prescriptions de rÉ[;lise elles livres spirituels, les
règlements des maisons chrétiennes faisaient tous un devoir rigou-
reux aux domestiques et aux servantes de Tassistauce à la messe et
au sermon tous les dimanches et jours de fête, et cela même sous
peine de renvoi. Le comte d'Oettingen faisait à ses gens la déclara-
tion suivante (1497) : « Celui qui est à mon service, qu'il soit serviteur
ou servante, et qui ne veut pas écouter le sermon le dimanche et
autres saints jours jusqu'à la fin, tranquillement et respectueuse-
ment, sera renvoyé de chez moi ^
Prêtres et laïques faisaient dans les églises et chapelles de nom-
breuses fondations eu faveur des prédicateurs, afin d'assurer à ceux-ci
des loisirs illimités qui leur permissent de se livrer à l'étude et de
préparer à leur aise leurs sermons. Voici le nom des plus connues de
ces fondations : chaire de hi cathédrale de Mayence, 1465; de Bâle,
14G9; de Strasbourg, d'Augsbourg et de Constance ^ 1478. La chaire
de Strasbourg, que Geiler von Kaisersberg illustra pendant trente
ans et rendit l'une des plus célèbres de l'époque e! des plus fécondes
en heureux résultats, fut fondée grâce aux subventions de l'évêque
et du chapitre, principalement par les riches donations de l'ammeister
Pierre Schott. Les lettres de fondation portent que " la charge de
prédicateur doit rester éternellement attachée à cette donation.
Celui qui exercera cette charge doit être un homme connu, non-
seulement par ses bonnes mœurs et par une sage vie, mais encore
par son talent et sa science; il devra prêcher à toutes les grandes
fêtes et dans les occasions solennelles ; tous les dimanches après diner,
et pendant le Carême, tous les jours. » — A Augsbourg, le prédica-
teur de la cathédrale devait, selon les lettres de sa charge érigée par
l'évêque Frédéric de Zollern (1 Ô04), prêcher aussi fréquemment que
celui de Strasbourg, et, outre cela, trois fois par semaine pendant
l'Avent, et pendant les processions générales organisées pour obtenir
la victoire sur les infidèles, ou en temps de guerre, ou pendant les
épidémies, les orages et semblables calamités \
Un renseignement fourni par Jean Cochlœus donne une idée de la
fréquence des prédications dans les principales villes allemandes. Il
écrivait de Nuremberg en 1511 : '^ La charité est extraordinairement
vive à Nuremberg, aussi bien par rapport à Dieu que par rapport au
' Voy. Geffcken, p. 15.
- Curieuse Nachrichten, p. 43. — Voy. Règlements pour les domestiques r on Konigsbruck,
MONE, Zeitschrift, t. I, p. 183.
' Voy. Falk, Domjiredigerslellen, 6-7. — Die Mainzer berühmtesten Prediger, p. 7-14,
* Voy. Kerker, p. 385-389. — F.\l1v, Dompredigerstellen, p. 88-91.
30 LINSTRUCTIOX POPULAIRE ET LA SCIENCE.
prochain. Les prédications sont assidûment suivies, même lorsqu'on
prêche eu treize égUses à la fois K "
Mais ce n'était pas seulement dans les grandes villes, c'était aussi
dans les petites, et même dans les villages, que des chaires étaient
fondées. Dans le seul comté de Wurtemberg, ou compte onze fon-
dations de ce genre toutes antérieures â 1514 : à Stuttgard, Waiblin-
g:en, Schorndorf, Blaubeuren, Sulz, Dornstetten, Bottwar, Balingen,
Brackenheim, Neuffen, Göppingen. L'acte de fondation de la chaire
de la chapelle de Saint-Nicolas à Waiblingen, eu 1462, portait : « Le
prédicateur est tenu de prêcher dans la chapelle ou bien â la paroisse
tous les dimanches, aux quatre grandes fêtes de l'année, aux fêtes
de Aotre-Dame et des saints, et les mercredis et vendredis de carême. »
A Stuttgard, la fondation de la chaire était due à une confrérie; â
Schorndorf et a Göppingen, à toute la commune; à Waiblingen et
Balingen, à un bourgeois; â Neuffen, à une bourgeoise; à Blau-
beuren, Dornstetten, Bottwar, à un vicaire; à Brackenheim, à un
prêtre de la localité; a Sulz, â un curé de village. Ce dernier,
nommé Thomas Pflüger, curé de Leidriugeu, fonda la charge de
prédicateur en 1492, - dans la conviction que la prédication assidue
et un enseignement sain de la parole de Dieu apportent à l'homme
un profit multiple pendant qu'il est ici-bas et encore dans le temps de
la grâce, et l'aident à acquérir la félicité éternelle. Car, par la prédi-
cation, l'intelligence humaine est éclairée et conduite â la connais-
sance du Dieu tout-puissant, et les chrétiens sont ainsi attirés et élevés
à l'amélioration de leur vie, à la pratique de la parole de Jésus-Christ
et aux bonnes oeuvres, de sorte qu'ils deviennent capables de plaire à
Dieu. La prédication les encourage puissamment et les attire à
l'observance de la loi sainte ^ «
Le nombre considérable de sermonnaires, de plans de sermons,
de répertoires, de recueils d'exemples à l'usage des prédicateurs
publiés dès les premiers temps de l'imprimerie, prouve combien la
prédication était fréquente à cette époque. Aujourd'hui encore
nous possédons les exemplaires de plus de cent éditions différentes
d'ouvrages de ce genre, d'une valeurplus ou moins grande. Ce sont des
' Otto, p. 48. — Trois et quatre mille personnes assistaient quelquefois aux
sermons du prédicateur de la ville à Francfort. — Voy. Falk, Zur Beurtheilung
des fünf zehnten Jahrhunderts, p. 407-408. On prêchait si fréquemment qu'on en
arriva à mettre quelque restriction au zèle des prédicateurs. — Voy. Die Predigt
am Anfang des sechszehnten Jahrhundert, dans le Journal de l'Eglise silèsiennc, 1873, p. 337-
338. — Voy. HiPLEU, Christliche Lehre, p. 40-42. — Voy. aussi Ordonnances de l'évèque
Dietrich de Samland, vom fahre 1471. — Voy. les uotes de Falk, dans le Hist. pal.
Dl. (1878, t. LXXXI, p. 34-47).
- Kerker, Erste Abhandlung, p. 389-391. — Voy. Leuthenmayr, p. 544.
MATIÈRE DES SERMONS. 31
>ermons pour (ous les dimanches et f(Mcs de Tannée, pour l'Avcnt, le
Can'ine; fies séries d'iuslrucl ions sur le /V//c/-, les dix eomniandeinoiils,
les sept péchés capilaux ou d'autres sujets; des sermons sur les devoirs
d'état, des discours pour les maria^jes, des oraisons funèbres, etc.
Les plus remarciuables de ces recueils sont dus au Carme Dyonisius,
au Franciscain Henri Herp, à (Gabriel Biel, prédicateur de la cathé-
drale de Mayeuce, et à Geiler de Kaisersberjj *.
De tous ces sermonnaires, â peine en est-il un qui n'ait eu plu-
sieurs éditions consécutives, et souvent dans cinq ou six villes dif-
lérenles. Ainsi, par exemple, les sermons du Dominicain Jean Herolt
n'eurent pas moins de quarante et une éditions *, antérieurement
à 1500, ce qui autorise à penser que plus de quarante mille exem-
plaires en furent répandus.
Les sermons étaient prêches en langue vulgaire, mais écrits en
latin; et lorsqu'ils étaient imprimés, ils paraissaient également dans
cette langue. Ce fait n'a rien qui puisse nous surprendre, en un temps
où les études de théologie, de philosophie, les lectures des Pères,
des scolastiques, des auteurs ascétiques, se faisaient en latin. Les
prédicateurs qui profitaient des sermons d'autrui avaient du moins
la peine de les traduire. Il leur fallait aussi, selon le conseil que leur
donne Ulrich Surgant, dans son Manuel de théologie pastorale, « faire ce
travail avec intelligence, ne pas traduire littéralement, prendre sur-
tout l'esprit de ces sermons préparés, puis bien s'enquérir des habi-
tudes de langage du pays où ils prêchent, afin de ne pas s'exposer
à employer des expressions inintelligibles ou d'un sens douteux ^ ».
Les prédicateurs des villes supposaient souvent des connaissances
trop élevées à leurs auditeurs; et malheureusement beaucoup d'entre
€ux apportaient en chaire la science de l'école : les sermons de Gabriel
Biel, par exemple, sont en partie de véritables traités sur les points les
plus ardus du dogme, sur la sainte Trinité, le péché originel, les sept
sacrements ^ D'autres orateurs commentent des livres entiers de la
Sainte Écriture dans des suites de longs sermons. " Il est d'usage, dit
' Geffcken, p. 10-14. — Kerker, Zweite Abhandlung, p. 267-279. — Hupfauer, Cher
den Passaucr Domherrn Paul IVaun und seine Schriften (Landshut, 1801). — Le livre
intitulé Gabriel Biel prédicateur , par Plitt, est très-partial (Erlangen, 1879J. — Pour
plus de détails, voy. Cruel, p. 451 et ss. — Voy. les Sermons de Geiler, sur la
Nef des fous.
^ H.iiN, u» 8473-8515.
3 Pour plus de détails sur ce qui vient d'être dit, voy. Geffcken, p. 10-14, et
Kerker, Ziceite Abhandlung, p. 280-301. L'idée erronée que la prédication se fai-
sait autrefois en latin est maintenant tout à fait abandonnée. — Voy. Statuta
synodalia. A. Wenceslao episc. IVratis. a. 1410 publicata ean. 17.
* Voy. Linsenmann, p. 222. — Voy. Keppler, Im histor. Jahrbuch der Görres gesell-
-scÄa/i (Munster, 1882, t. III, p. 285-315).
32 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
Erasme, que le curé explique à ses paroissiens, dans l'ordre oîi ils se
succèdent, les Évangiles, et les Épitres de saint Paul '. >• On faisait trois,
quatre et cinq sermons de suite sur chacun des commandements de
Dieu-. C'était alors la coutume de mêler à presque tous les sermons
des récits plus ou moins longs, des légendes, contes, fables, anecdotes
pieuses ou même profanes, destinés à graver plus sûrement dans la
mémoire renseignement moraP; mais ces récits tombaient trop sou-
vent dans un merveilleux de mauvais goût ou dans la grossièreté \
Dans les campagnes, le prédicateur se bornait d'ordinaire à rappeler
les passages les plus frappants de TP^vangile, qu'ils faisaient précéder
ou suivre d'une leçon de catéchisme sur quelque point de doctrine ou
de morale K « L'usage que de pieux prêtres ont établi dans les villes
et les villages est bien louable », dit le Guide de L'âme ; u le matin ou
dans l'après-chnée, ils expliquent aux jeunes et aux vieux les articles
de la foi et les commandements de Dieu ; puis ils les interrogent, afin
de s'assurer s'ils les ont bien compris. C'est ainsi que les sermons sont
rendus intelligibles au peuple, et que les tableaux des commande-
ments, des confessions, et autres qui sont suspendus dans les églises,
sont bien compris ". »
L'instruction sur le catéchisme qui terminait souvent le sermon
était donnée de beaucoup de manières différentes dans les villes et
dans les villages.
IV
Les images sont les livres des ignorants, tel était alors le principe
fondamental del'instruction religieuse populaire. C'étaitpouriustruire
le peuple par les yeux qu'on avait imaginé la représentation de ces
scènes dramatiques appelées mystères, où se déroulait toute l'his-
toire de la rédemption du monde; dans le même but on reproduisait
fréquemment des sujets empruntées aux Bibles des pauvres (Histoire
sainte populaire) dans les sculptures, vitraux, retables d'autels; on
peignait la danse des morts sur les murs des cimetières, et dans les
églises on plaçait des tableaux représentant les stations douloureuses
du Sauveur. L'Église attachait à l'exercice du Chemin de la Croix des
indulgences spéciales.
' Voy. Kerker, Zweite Abhandlung, p. 278-279.
- Voy. BüCHius, p. 927, 502, et Grube, p. 113.
" F. Pfeiffer, Germania, t. III, p. 407, 444.
* Spéculum excmploriim, II.viN, n» 14915, VOn 1481. — SCHEEG.VNS, p. 132-134.
^ Kerker, Erste Abhandlung , p. 405-408.
« P. 11.
ENSEIGNEMENT DU CATECHISME. 33
Oii se livrait avec uue exlrèmc aclivilé à la compositioa de ces
catéciiismes populaires illustrés, surtout dans la seconde moitié du
quinzième siècle : JNicolas de Cusa avait probablement ouvert cette
voie, car dans ses visites pastorales souvent renouvelées à travers
l'Allemagne, on voit qu'il avait fait faire dans les églises, pour com-
battre la grossière ignorance du peuple, des tableaux au-dessous
desquels se lisaient les textes saints, et des représentations en images
des dix commandements ou du Credo '.
Geiler von Kaisersberg dit dans sa traduction de l'ouvrage de
Gerson sur les dix commandements, la confession et l'art de mourir :
« Prêtres, parents, maîtres d'école, directeurs d'hôpitaux doivent
faire en sorte que l'enseignement renfermé dans ce petit livre
soit écrit sur des tableaux et attaché en entier ou en partie dans
des endroits publics, comme églises paroissiales, écoles, hôpitaux,
lieux de dévotion. » < Car ce livre a été écrit, ajoute-t-il, pour le
salut des fidèles, et particulièrement pour l'enseignement du peuple
grossier et ignorant, auquel il ne sera jamais donné de recevoir
l'instruction au moyen des sermons prêches à l'église. » « Mais il est
surtout destiné aux enfants et aux jeunes gens, qui doivent connaître
exactement l'essence fondamentale et les points les plus importants
de notre foi. Les parents, pères et mères, doivent marcher dans cette
voie de concert avec l'instituteur ^. "
" Interroge souvent tes enfants ■-, dit le Guide de l'âme aux parents,
'> assure-foi qu'ils ont bien compris ce qui leur a été dit sur la foi
et les commandements, et ce qu'ils ont retenu des explications de la
doctrine qui leur ont été données à l'école et à l'église. Là git leur
salut et le tien. Il ne suffît pas de savoir par cœur les paroles du
Credo, les commandements, les noms des péchés capitaux et des sacre-
ments : tout chrétien arrivé à l'âge de raison doit être en état de
les réciter couramment. L'important, c'est de bien entendre le sens
de toutes ces leçons ^ " Lanzkrana s'exprime encore plus clairement
dans la Voie du ciel. " L'homme, dit-il, est obligé d'apprendre les dix
commandements de Dieu avec grand zèle et de son mieux, dès qu'il
est arrivé à l'âge de raison. Xon-seulement il doit pouvoir les réciter
l'un après l'autre selon le texte, mais encore comprendre ce à quoi
chaque commandement l'engage, et comment il doit l'observer, ou
bien ce qu'il lui défend; de quelle manière on le méprise, on le
transgresse. De même tout chrétien doit apprendre comment on
' Voy. SoTZM\N\, p. 546-547. — Otte, Anzeiger fur Kunde der Deutschen Voneit,
t. III, p. 111-112.
- Gfffcken, p. 34-36.
» P. 14.
34 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
pèche par les sept péchés capitaux et ce qui apparfieul à une vraie
pénitence. Qii'û sache aussi ce qu'il doit demander, désirer el
espérer de Dieu, et l'explication du Pater. Voilà ce que les pères
et mères doivent enseigner à leurs enfants, les maîtres d'école à leurs
écoliers, les maîtres à leurs domestiques, les supérieurs à leurs infé-
rieurs, ou du moins voilà ce qu'ils doivent les engager à apprendre,
soit par eux-mêmes, soit par le secours d'un autre, autant que cela
convient à leur position '. "
Le luthérien Mathésius nous donne ce renseignement, emprunté aux
souvenirs de sa jeunesse catholique : - Les parents et les maîtres d'école
enseignaient à leurs enfants les commandements, le Credo et le Paler
J'ai appris moi-même ces choses dans mon enfance, et, selon l'ancien
usage de l'école, je récitais souvent mes leçons â d'autres enfants. -^
Le prince Jean Frédéric, plus tard prince électeur, priait souvent son
père, lorsqu'il avait huit ou neuf ans, de lui permettre de courir au
catéchiî-me avec les autres enfants de la ville de Torgau, - car il
était pour lors agréable au petit seigneur de voir un jeune garçon
en interroger un autre d'une manière infelligente et aimable-".
Parmi les catéchismes proprement dits, le plus ancien de ceux qui
nous soient connus, c'est le Miroir du chrétien, que le grand prédi-
cateur populaire Dedcrich Coelde, religieux minime de Munster, en
Westphalie, fit imprimer en 1470 en bas allemand, et qui fut maintes
fois réédité dans la suite. Il est si simple, si clair, d'un style si
ferme et si précis, qu'on pourrait s'en servir aujourd'hui avec autant
de profit qu'il y a quatre siècles. La pensée dominante qui l'anime,
du commencement jusqu'à la fin, c'est celle-ci : Jésus mon tout et
tout pour Jésus. Après une instruction sur la foi en général, il traite
du symbole des Apôtres, des deux principaux commandements sur la
charité, des huit autres commandements de Dieu, et des cinq de l'Église.
« Comme la foi est le fondement de toutes les vertus et le commen-
cement de la félicité humaine • , dit l'auteur, « il est nécessaire et très-
utile que l'homme bon et vertueux récite souvent le Credo, et y réflé-
chisse tous les jours. « - Et nous ne sommes pas seulement obligés à
croire les douze articles du symbole, mais encore tout ce que les
saintes Écritures nous révèlent et ce que la sainte Église chrétienne
nous ordonne de croire \ ' A propos du premier commandement,
Coelde cherche à imprimer avec force dans les esprits la pensée sui-
vante : « L'homme doit mettre sa foi, son espérance et son amour
1 p. 7 et 8. Voy. Geffcke\, Suppl, p. 107 et 108.
5 Briisilein Luthers' s Einßuss au/ das Volkschubccsen, p. 19-20.
* Tous les autres livres d'enseignement de l'époque s'expriment de la même
manière sur la nécessité de la foi pour le salut. Pour plus de détails, voy.
Brück, p. 14.
ENSEIGNEMENT DU CATÉCHISME. 35
en Dieu seul, cl iioii ditiis imcimo crcjiliii'c : ceux donc (|iii niellent
danslcs s;iin(s, plusqn'cn Dieu, leur loi, leur espénincc el leur amour,
pèchent confrc le prcmiei' commandement '. >
Après avoir parlé des commandements, Coelde traite du péché.
11 parcourt successivement les sept péchés capitaux, les péchés de par-
ticipation, les péchés conlre le Sainl-Ksprit et les autres; puis il en
vient â la doctrine de l'absolution, à la contrition, la confession et la
satisfaction; il traite ensuite de la doctrine des œuvres de miséricorde
corporelle et spirituelle, etc. Les chapitres sur la prière, l'assistance
dévote à la sainte messe et la sanctificatiou de la journée chrétienne
sont particulièrement remarquables. Les devoirs d'état y sont aussi
très-clairement exposés.
Le chapitre sur la préparation à la mort et sur la confiance unique
que nous devons avoir dans les mérites de Jésus-Christ, sur le repentir
et la pénitence des péchés qui tirent toute leur efficacité et puissance
' de la dure expiation de Xotre-Seigneur -, est très-remarquable.
Comme le livre n'est pas seulement un catéchisme, mais aussi un livre
de prières, ou y trouve, mêlées au texte, de ferventes oraisons jacula-
toires, que les malades devaient, ou prononcer eux-mêmes, ou se faire
suggérer. On conseille aussi de leur lire la Passion du Sauveur.
Ce que l'auteur recommande de la manière la plus pressante pour la
méditation journalière, est aussi conseillé dans tous les livres d'ensei-
gnement religieux, manuels de prières ou sermons de cette époque.
' Tu ne dois jamais t'imaginer, est-il dit dans une explication des dix
commandements (1515), et aucun homme ne le doit, qu'il nous soit
possible par nous-mêmes d'entrer dans la voie du salut. Nous ne
devons pas non plus penser que par nos vertus et nos bonnes œuvres,
nous pouvons être sauvés. S'il nous arrive cjuelque bien, nous en
sommes uniquement redevables aux mérites admirables de Jésus-
Christ, à la miséricorde sans bornes de Dieu, qui ne veut pas nous
juger selon son équité, mais nous faire grâce. C'est dans cette misé-
ricorde que nous devons nous réfugier, prenant notre asile dans
l'aimable Cœur de Jésus. Le Père très-puissant ne nous méprisera
pas, lorsque nous serons abrités dans cette maison paternelle où il
y a beaucoup de demeures *. "
" Tout chrétien, dit Albert von Eyb dans son Introduclionà la per-
fection chrétienne, doit invoquer Dieu de cette manière : — Je ne puis
moi-même me sauver par mes œuvres, mais toi. Seigneur mon Dieu,
sauve-moi, aie pitié de moi. Mes mérites ne me donnent nulle conso-
lation, mais je me confie en ta divine miséricorde, tu es mon unique
' D'ordinaire, dans les catéchismes, on expliquait ce qui concerne le culte
des saints, de suite après les chapitres sur Dieu. Geffcken, p. 53.
^ Voy. Brück, p. 17 et 3, note 5.
3.
36 L'INSTUUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
espérance. Hélas! mon Dieu, c'est envers toi seul que j'ai péché; je
te suis assez cher pour fjue tu aies voulu me sauver. Tu m'as aimé
jusqu'au point de daigner me racheter. Ne me laisse pas devenir si
indigne de tes regards que tu en viennes à me perdre '. « Geiler de
Kaisersberg enseignait aux fidèles cette prière (1482) : ^- Très-doux
Jésus, en toi est mon unique espérance. Seigneur, je te demande ton
Paradis, non à cause de mes mérites, mais en vertu de ta très-sainte
Passion par laquelle tu as voulu sauver ton indigue serviteur, lui
achetant le paradis au prix de ton sang précieux. » Les fidèles,
dit-il ailleurs, doivent invoquer la Sainte Vierge ainsi qu'il suit :
« Reine des cieux, mère de miséricorde, refuge des pécheurs, récon-
cilie-moi avec ton Fils unique, et demande grâce pour moi, misérable
pécheur ^ » Dans une instruction pastorale de Surgant (1502j, le prêtre
est invité à exhorter les malades comme il suit : " Notre cher Sei-
gneur Jésus a souffert le martyre et la mort amère pour vous et
pour tous les hommes sur l'arbre de la sainte Croix, car il ne
veut ni ne désire la mort éternelle de l'homme, mais qu'il se con-
vertisse et vive éternellement. Vous ne devez donc pas désespérer
de la miséricorde de Dieu, mais mettre eu lui tout votre espoir
et toute votre confiance, supporter patiemment votre maladie et
unir vos faibles souffrances aux grands tourments de Jésus-Christ.
Ne craignez donc pas les assauts du démon, car, à l'ombre de la
sainte Croix, vous aurez un refuge dans toutes vos peines. " —
« Invoquez aussi la très-digne et glorieuse reine et mère de Dieu, la
Vierge Marie, tous les saints et anges de Dieu, afin qu'ils vous assis-
tent à votre dernière heure, et vous conduisent, lorsque vous sortirez
de ce siècle, à la félicité éternelle ^ » Dans le Petit Jardin de l'âme, un
des livres de piété les plus excellents et les plus répandus de l'époque,
l'instruction sur la manière de bien mourir est vraiment remarquable.
" L'homme doit tous les jours apprendre cette leçon, et tant et si bien
l'apprendre qu'il la sache enfin entièrement. " Voici ce qu'il y est
expressément dit et conseillé sur la préparation à la mort : " Tandis
que ton âme, cette noble création de Dieu, est encore en toi et que
tu respires encore, tu ne dois mettre ton espoir et ta confiance en
rien autre chose que dans les mérites et la mort de Jésus-Christ. »
Le chrétien doit donc s'écrier : - 0 miséricordieux Seigneur Jésus, je
mets ta mort douloureuse entre ta sentence et ma pauvre âme M »
Ulric Krafft, dans son Combat spirituel {iô03), dit aussi : « Je sais que
' Spiegel der Sillen (Augsbourg, 1511, p. 125).
* Geiler von Kaisersiserg, Wie man sich halten sol bei einem sterbenden Menschoi.,
1482. Fac-simile avec une introduction par L. Dacheux (Paris-Francfort, 1878).
^ Extrait du Manuale Ciiratorum. — Voy. HaSAK, Relig , liter., p, 238-239. — Voy.
A mes critiques, p. 42-44.
* Tiré de l'édit. de Strasbourg, 1509. — Hasak, Christliche Glaube, p. 367-372.
ENSEIGNEMENT DU CATECHISME. 37
nous avons un Dieu plein de bonté; je veux moiuMP en me confinnt
en son amour et sa miséricorde, et non en espérant dans mes bonnes
œuvres '. ' Mais cette vérité que le salut du genre humain est attaché
à la Passion de Jésus-Christ, et que nous ne serons sauvés et intro-
duits dans le Paradis que par elle, n'est exprimée nulle part d'une
manière plus profonde et plus touchante que dans le livre intitulé :
Trésor des vraies richesses du salut (1491) : « IN'otre force, notre salut,
dit l'auteur, notre défense, notre victoire est dans la foi. Si elle est
forte en nous, nous serons puissants contre le démon; si elle est
faible, nous serons faibles; si nous perdons la foi, ce qu'a Dieu ne
plaise, nous perdons notre défense. Si notre foi est inébranlable,
nous sommes supérieurs à tous nos ennemis, qui ne peuvent nous
nuire et nous vaincre que s'ils parviennent à l'affaiblir ou à nous la
ravir. Que celui donc qui veut résister au démon et remporter sur
lui la victoire, se tienne inébranlablemcnt attaché à la foi et la con-
serve intacte. Lorsque le démon t'attaque par l'orgueil et te fait
croire que tu n'as rien à redouter du jugement de !)ieu parce que tu
as fait ceci et cela, et tant de bonnes œuvres, et parce que ta bonne
vie et ta sainteté t'ont bien mérité le salut, montre-lui l'article du
symbole qui parle de la Passion de Jésus-Christ, comme pour lui
dire : Xon, avec mes petites œuvres, faibles, imparfaites, sans durée, il
serait impossible que j'eusse mérité l'éternelle félicité! Mais voilà Celui
qui l'a acquise, Celui, dis-je, qui a souffert pour nous sous Ponce-
Pilate, qui a été crucifié pour nous, qui est mort pour nous. C'est
dans la Passion et les mérites de Celui-là seul que j'espère; c'est sa
grâce et sa douceur que j'invoque, parles mérites de tous les saints et
de toute la sainte chrétienté. » — " Réfléchis bien •', est-il dit dans
l'avertissement au lecteur de ce même livre, « à ce que conseille la fidèle
mère de tous les chrétiens, à ce qu'elle enseigne, à Celui auquel elle nous
adresse et veut nous conduire. Cette mère très-sage et très-fidèle,
l'Eglise romaine, met sa plus haute et sa meilleure espérance dans
la passion et la mort de Jésus-Christ, et elle apprend à ses enfants à
recourir à lui dans leurs plus grands et suprêmes périls, témoignant
ainsi qu'il n'est pas de plus siir refuge dans la détresse ^. »
Un autre catéchisme du même temps, le Guide de l'âme, que nous
avons déjà cité, se distingue particulièrement par la clarté avec
laquelle y est exposée la doctrine sur les sacrements et sur le culte
des saints : - Sache, mon cher frère, dit-il, que la sainte Église a
toujours enseigné que la prière qu'on adresse aux saints est fertile en
grâces pour celui qui veut parvenir au ciel. Invoque-les donc avec
' Hasvk, p. 431-442.
- Paj-^e D. el a-. Von den Früchten des Leidens Christi. Tay. Aa'. — Od*. Pag.
Dd*., llh^
3S L'INSTRUCTION l'OPULAlKE ET 1- A SCIENCE.
fei'veur, afin qu'ils ( "aident par la prière à accomplir tout ce qui est
bon et selon la volonté de Dieu; ue leur demande rien d'autre. Ton
anp,e aussi t'aidera, ainsi que ton patron, et tout particulièrement
Marie, .Mère bénie du Seigneur. Seulement sois attentif à les prier
comme tu le dois, mettant ton unique confiance en Dieu seul. Ainsi
faite, ta prière sera bonne et agréable à Dieu; autrement, non '. »
Il semble que dans ce chapitre, le Guide de l\îme se soit inspiré de
YExpUcüüon des douze articles de It foi chrétienne, imprimée à Ulm
en i486, où il est dit apropos des saints : « L'Église triomphante, c'est-
à-dire les saints du ciel, intercède pour l'Église de la chevalerie
(lÉglise mililantej; car dans la patrie céleste, les saints ont une
charité plus ardente que celle qu'ils avaient ici-bas. Sur la terre, ils
priaient pour les vivants et les morts; or, comme l'amour ne tarit
jamais, ils continuent dans le ciel à prier pour les vivants, et aussi
pour les morts qui sont dans le Purgatoire. Celui qui dit le contraire
tombe dans l'erreur des hérétiques qui prétendent que les saints ne
prient pas pour nous. »
<i Tout ce que nous demandons dans nos prières ne, tend qu'à
obtenir ce qui est nécessaire à la vie éternelle que Dieu seul peut
nous donner; cependant les chers saints, par leurs prières et leurs
mérites, peuvent nous aider à l'obtenir de Dieu. Donc, notre prière,
à proprement parler, ne s'adresse qu'à Dieu seul, de qui nous atten-
dons ce que nous demandons par nos prières. Aussi l'Église ne dit-
elle pas : " Christ, priez pour nous ; mais ^- ayez pitié de nous. "
« >ious nous adressons à Dieu comme à notre Créateur et Sauveur »,
est-il dit dans le Petit Jardin de l'oraison (1516), - et nous le supplions
de nous donner sa grâce et la gloire éternelle, de nous pardonner
nos péchés -, etc., au lieu que nous demandons aux saints qu'ils nous
obtiennent, par leurs prières, grâce et pardon auprès de Dieu ; car
s'ils ne peuvent nous donner la grâce et la gloire, ils peuvent néan-
moins nous l'obtenir par leurs prières. Voilà pourquoi nous disons à
Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme en une personne unique : Sei-
gneur, aie pitié de moi, pardonne-moi mes péchés, fais-moi part de
ta grâce, donne-moi la vie éternelle! Au lieu que nous disons aux
saints : O Vierge Marie, prie Dieu pour moi ! Obtiens-moi grâce et
faveur! Aide-moi par ton intercession à obtenir la vie éternelle, etc.^ »
La doctrine qu'on cherchait à imprimer profondément dans les
esprits et qu'on enseignait universellement est celle-ci : - Il faut
invoquer les saints, et les prier, non de nous secourir par eux-mêmes
et de nous donner ce que nous demandons, mais de prier sans cesse
' p. 19.
* Hasak. Christliche Glaube-, p. 94-95.
» P. 65 (Augsbourg, 1513 et 1515j.
ensei(;nement du catéchisme. 39
le Toul-Puissant de nous accorder ce que nous souhaitons, en faveur
de l<'nr désir el de leur amilié '. ^^
La doctrine sur les indul{;ences n'es! pas exposée avec moins de
clarté : « L'indul{jence, explique (ieiler von Kaisersberg, est la
rémission d'une faule, mais de quelle faute? Il n'est nullement
question d'un péché mortel, puisqu'il faut en être exempt pour
obtenir l'indulgence. 11 ne s'agit pas davantage du châtiment éternel
dû au péché, puisqu'il n'est pas de rédemption dans l'enfer. Il ne
s'agit ici que du châtiment temporel que le pécheur a encore à subir,
lürs(|ue s'étant repenti et ayant fait pénitence, il a déjà mérité que
les peines éternelles dues à ses péchés soient changées en peines
temporelles ^ " — « Sache, dit le Guide de l'dme, que l'indulgence ne
remet pas les péchés, mais seulement les punitions (jue les péchés ont
méritées; sache que lu ne gagneras aucune indulgence si tu es dans le
vice, si auparavant tu ne t'es confessé, si tu ne t'es sincèrement
repenti et si tu n'as pas dans le cœur le ferme propos de te corriger.
Sans toutes; ces choses, rien ne t'aidera. Dieu est clément et miséricor-
dieux, et il a donné à la sainte Église le pouvoir de délier les péchés
ainsi qu'un grand trésor de grâces, mais il ne les dispense pas à celui
qui n'est pénitent qu'en apparence et s'imagine pouvoir obtenir le
ciel par des œuvres extérieures \ " La Somme de Jean (1482) explique
de même que celui-là seul gagne les indulgences " qui a un vrai
repentir de ses péchés... ) Si l'homme est en état de péché mortel,
il ne gagne pas l'indulgence, car elle n'est jamais pour les pécheurs :
elle n'est pas non plus distribuée dans la même mesure à tous les
chrétiens vraiment repentants : on y participe d'autant plus qu'on
met pour l'obtenir plus de dévotion et de ferveur, en y joignant une
aumône faite suivant ses moyens '. < Contre ceux qui disent en parlant
des indulgences " qu'on peut obtenir le pardon de ses péchés pour de
l'argent et qu'elles sont vénales ', YExplicatmi des articles de la foi
remarque que l'Église ne prétend pas amasser de l'argent par les
indulgences, mais qu'elle n'a en vue que la louange et la gloire de
Dieu. " Tous ceux qui aident à bâtir des églises ou à les orner ne
gagnent pas l'indulgence, mais ceux-là seuls qui sont exempt de péchés
mortels et apportent leur offrande par dévotion, avec une vraie foi,
une grande confiance dans la communion des saints et surtout dans
les mérites de ceux en l'honneur desquels ces églises sont construites,
' Summa Johaiinls, de Frère Bfrchthold, Dominicain. Trad. allem, parue chez
Sorjj à Augsbourîï, 1482. p. 30'\ — Voy. Br.LCK, p. 20-21. — II.vs.vk, LU. rcUg..
p. 210. — Voy. Himmelstras/ic, p. 39''. — Voy. A mes critiques, p. 32-49.
- Voy. LiNDEMVW, p. 81.
' P. 21
* Voy. llAS.VK. 62. — Voy. aussi Himmehtratsc , p. 39. — Geffcken, Suppl.,
p. 109.
40 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
accompagnant ces sentiments d'une ferme es^pérauce dans la miséri-
corde du Dieu très-clément '.
Un manuel de catéchisme plus étendu, livre de piété en même
temps que livre dogmatique, c'est la Conwlntinn de l'âme (Seelen-
trost) *. C'est un des plus beaux ouvrages qu'ait produits la prose alle-
mande au quinzième siècle. Il a été imprimé bien des fois en plusieurs
dialectes, de 1474 à 1491, et en différents endroits, à Augsbourg,
Cologne, Utrecht, Harlem, Zwolle et ailleurs. « J'ai l'intention -, dit
son auteur dont le nom est resté inconnu ', d'écrire en allemand
un livre tiré de TEcriture sainte pour la louange de Dieu et l'édifi-
cation de mes frères les chrétiens; je veux composer ce livre de
fleurs cueillies par bien des mains, et il s'appellera la Conso-
lation de l'âme; j'y parlerai des dix commandements, des sacre-
ments, des béatitudes, des six œuvres de miséricorde, des sept fêtes
de Notre-Seigneur, des sept dons du Saint-Esprit, des sept péchés
mortels, des sept vertus cardinales et de tout ce que Dieu m'in-
spirera... Ce qui n'est pas conforme â la vérité, je le laisserai de
côté, et ne choisirai que ce qu'il y a de meilleur, que ce qui est pur et
consolant. Je ferai comme le médecin qui cherche des plantes utiles
pour en composer des remèdes, ou bien comme la colombe qui choisit
les plus beaux grains pour s'en nourrir. Je demande à tous ceux qui
liront ce livre de prier Dieu pour moi, afin que je profite de leur
prière et que je parvienne avec eux là où nous trouverons l'éternelle
consolation de nos âmes. Oue le Père, le Fils et le Saint-Esprit nous
aident à l'obtenir! • L'explication de chaque commandement est suivie
d'anecdotes destinées à enseigner, à conseiller, à avertir. Elles sont
d'une délicatesse de sentiments et d'une beauté de style remarquables.
Comme on attachait une grande importance a la digne réception
des sacrements de pénitence et d'Eucharistie, la plupart des livres
d'instruction religieuse paraissaient annuellement, sous forme de
manuels de confession, examens de conscience, traités sur les dix
commandements, sur les diverses sortes de péchés, sur la prépa-
ration à la sainte communion. La plus grande partie des nom-
breux livres de piété écrits en allemand à cette époque ne contien-
' Hasak, Christliche Glaube, p. 96. — Voy. la doctrine sur les induljjences dans
le livre intitulé : Die l.icbe Gottes, viilsammt dem Spiegel der kranken und sterbenden
Menschen, chap. XVI. Auf^sbourj;. 1494. — IIasak, p. 164-168. — Voy. les ser-
mons de Ceiler (Aufïsbounç, l.ô04 . — Sur les indulgences, voyez encore le tra-
vail de .lacques de JLTEr.Buck ^mort eu 1466i, Kellner, p. 327-329. — Voy. Wir-
TENWEILER, Z?'";?., p. 101-112.
* GeffckeN, p. 45-49, 110-lil. Anzeiger für Kunde Deutschen l'oz-ciV, p. 13, 307-309.
— IlASlK, p. 100, 106.
' HAinzHrni, Bibliotheca Colon., p. 188, attribue au prêfre Jean Moirs le livre
de la Consolation de l'âme. — Voy. BiNTERiM, t. \ H, p. 564.
EXAMENS 11 E CONSCIENCE. 41
nenl que fies instructions sur la confession et la communion '.
Pnrmi les livres do[',matiques sur la confession, le livre de Jean
WoH'f, vicaire de ré,<',iise Saint-Pierre de Francfort-sur-le-Mein, brille
au premier ran(;' (1178) -. Il commence par une exccllenle inslrncüon
adressée aux enfants qui se préparent à se confesser pour la première
fois, et conlient à la suite de l'examen sur les dix commandements,
des chapitres sur la foi, l'espérance et la charité, sur les sacrements,
les diverses sortes de péché, la contrition, la confession et la satisfac-
tion. Le pénitent, s'examinant d'après l'examen de conscience qu'il
trouve en ce livre, doit se demander, par exemi)le, s'il amis toute sa
confiance en Dieu seul. S'il n'en est pas ainsi, il doit s'en accuser, et
dire : « J'ai mis mon espérance de salut éternel, ou dans un saint, ou
dans une créature ", car '■ il faut mettre en Dieu seul toute espé-
rance de pardon, de ,",rAce et de salut ; . Relativement au culte des
images, VVolff s'explique ainsi qu'il suit : '= Item, nous devons honorer
les images des saints avec beaucoup de vénération, non pour elles-
mêmes, mais parce qu'en les regardant avec respect, nous témoignons
de l'honneur aux personnes que ces images représentent : c'est
ainsi que l'a toujours entendu la sainte Église, et penser autrement
serait de l'idolûtrie ^ ■' Le chapitre sur le quatrième commandement
est très-instructif. Il est intitulé : Des devoirs des enfants envers leurs
parents selon la chair, et du respect, amour et obéissance qu'ils leur
doivent. Les devoirs des enfants envers leurs supérieurs spirituels,
leurs maîtres et instituteurs, les autorités temporelles, les pauvres
et les vieillards y sont aussi exposés. A propos de ces derniers, il est
dit : " Les pauvres vieilles gens sont tes père et mère suivant l'âge,
et tiennent la place de .lésus-Christ. " Vient ensuite comme point de
confession : « Je me suis moqué des pauvres et des aveugles, je ne les
aipashonorés avec les sept œuvres de miséricorde, je ne les ai ni visités,
ni nourris, ni abreuvés, ni vêtus. Je ne les ai pas reçus dans ma mai-
son, ni ensevelis suivant mes moyens; je les ai rudoyés, je les ai fait
longtemps attendre à ma porte ''. " Le chrétien doit considérer son
superflu comme la propriété du pauvre, et par conséquent s'examiner
sur ce point, disant, s'il est coupable : " J'ai été trop attaché à mon
' Pour plus de flétails sur les examens de conscience, voy. Falk, Druckkunst,
p. .38-44, 99-104. — Voy. Munzenberger, t. III, p. 33. — IIasvk, Ihligiöse Lite-
ratur, p. 214.
ä Voy. MuNZENBEUGER, p. 3-.33. — Geffckex, p. 26-28. — Buuck, p. 27-28,
35-37. — Voy. Eine schone geistliche Lehre und L'nterwcysinge van der Dichte und van
dem Sterbenden mynschen und dem (jiUden Scclcnlrosl (Magdebourjj, 1486). — Voy.
MtNZENBERGER, p. 24-72.
^ Voy. p 6 et 7. Le texte est tout senil)lable dans la traduction faite par
Geiler de l'opuscule de Gerson sur les commandements. Geffcken, p. 38. —
Voy. sur le culte des images le tome second de cet ouvrage, 7« édition.
* P. 7.
42 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
superflu qui est le bien du pauvre; je l'ai tant aimé que je n'ai pas
donné l'aumône ^ •■
Sur le repentir nécessaire pour obtenir le pardon de ses péchés, il
est dit : " Il faut que tu saches qu'il y a diverses manières d'éprouver
du repentir, de la douleur et du chagrin de ses fautes. La première,
c'est quand l'homme remarque et comprend que ses péchés mortels
sont opposés à une vie vertueuse et morale. Alors un grand déplaisir
et dépit vient dans son cœur à la pensée de ses péchés... Les païens,
les Juifs et les Turcs éprouvent la même douleur. La seconde,
c'est lorsque l'homme remarque et réfléchit que, par ses péchés
mortels, il a perdu et gaspillé son bon renom, et qu'il ne sera plus cru
ni estimé parmi les hommes; alors ses péchés lui causent du repentir
parce qu'il voit qu'il a perdu sa bonne réputation, et qu'à la place,
il en a maintenant une mauvaise, étant considéré comme adultère,
meurtrier, voleur, etc., etc. La troisième, c'est quand l'homme
songe qu'un seul de ses péchés mortels le jettera dans le feu éternel
de l'enfer; alors une grande douleur naît dans son cœur à la pensée
que, s'il est surpris par la mort dans l'état où il est, il sera éternel-
lement damné. L'homme se repent encore d'une autre manière;
c'est quand il réfléchit que le péché mortel le privera de la vue du
Dieu tout-puissant et de la béatitude éternelle; alors la douleur de
ses péchés se fait jour dans son cœur à l'idée qu'ils lui ont ravi la
félicité du ciel. Dans toutes ces douleurs l'homme ne cherche
uniquement que son honneur et son profit; il ne désire fuir que ce
qui lui est désavantageux, le déshonneur, les peines personnelles:
ainsi, il se cherche lui-même, uniquement, et non l'honneur et la
gloire de Dieu. Or, il faut que tous ceux qui sont coupables de péché
mortel en viennent à les regretter uniquement parce qu'ils ont péché
contre le très-haut, très-parfait et tout -puissant Seigneur, leur
Créateur, leur Père et souverain Rédempteur; contre son amour
paternel, insondable, et contre son honneur et sa gbire, outrageant
par le péché mortel ses ordres divins et sa volonté. Lorsque l'homme
ressent une telle douleur dans son cœur avec une forte el ferme réso-
lution de ne jamais plus rien faire contre Thonueur de son .Maître,
lorsqu'il est résolu à confesser ses péchés, à faire pénitence, et met
ensuite son espérance dans la miséricorde infinie de Dieu et dans la
Passion de Aotre-Seigneur Jésus-Christ , alors les péchés mortels sont
effacés de son àme et pardonnes, et l'amour créateur de Dieu lui
est de nouveau donné et infusé; de telle sorte que cette âme
retrouve sa belle parure, qu'elle est ornée et revêtue de nouveau par
la grâce, el redevient le temple de Dieu. Avant et pendant laconfes-
' p. 10.
LIVr.ES DK l'IKTK, É V A N G ÉLI AI K E S. 43
sioii, loiil clirélieii doil s'exci 1er soigneusement au repentir et à la
douleur '. »
Avecles livres d'ensei{jnement religieux el les manuels pour la cou--
lession, paraissaient encore en al)ondance des récils de la vie de .lésus-
Christ « tirés des quatre évan{jélisfes et accompagnés de courtes
instructions chrétiennes , puis ce qu'on appelait les Plenaries (Livres
desEvau(;iles),<jui contenaient dcsexplicatiousenallcmandde la sainte
Messe. Le nombre des livres de piété, de vies de saints, de légendes
pieuses, grossissait d'année en année ^ : ' Il est très-utile pour les chré-
tiens instruits, ainsi que pour les ignorants , écrivait le réformateur
ecclésiastique Jean Busch, ^ de posséder et de lirejournellement des
livres édifiants sur les vertus et les vices, sur l' incarnation, la vie et la
passion de Jésus-Christ, la vie, les saintes actions et les tourments des
saints apôtres, martyrs, confesseurs et vierges, les homélies et les ser-
mons des saints, car ils nous excitent à l'amélioration de notre vie, aux
bonnes mœurs, à la crainte de l'enfer et à l'amour de la patrie céleste ^ »
'■ Homme orgueilleux, dit VEvangile de Bdic (1504), n'as-tu pas
honte de ne pas prendre la peine d'acheter de bons livres, lorsque tu
peux maintenant les avoir pour si peu d'argent? Tu y apprendrais des
choses qui t'attireraient à une véritable humilité et qui nourriraient
ton âme, au lieu de dépenser inutilement ton avoir pour des objets
de luxe et de vanité *. "
Une attention toute particulière doit être accordée aux livres
d'enseignement religieux connus sous le nom de Plenarkx. De 1470
à 1519, il en parut quatre-vingt-dix-neuf éditions et remaniements
différents, en haut et en bas allemand '. Ces livres contiennent les
épltres et les évangiles de l'année ecclésiastique, avec leur explica-
tion. Dans les éditions augmentées, on trouve encore le texte alle-
mand des prières de la messe pour tous les dimanches et fêtes, les
explications de la liturgie, et des récits instructifs autant que saisis-
sauts destinés à graver dans les esprits d'une façon durable et péné-
trante les conseils du pieux livre. Si l'on n'avait conservé de cette
époque d'autres livres d'enseignement que les Plenaries, ils nous four-
niraient à eux seuls la preuve irrécusable que pour l'instruction reli-
gieuse du peuple, il fut fait davantage à cette époque que dans les
' p. 19.
- Un des plus beaux, le Passional, ou Vies des Saints, parut chez Koburyer, eu
1488, à Nureml)er{î; il est orné de deux cent soixante-deux gravures sur bois.
Falk, Druckkunsi, 83-98.
' Blschius, p. 926.
* Das plcnaric Buocli (Baie, 1514, p. 228).
^ Voy. le catalogue des diverses éditions si soigneusement dre>sé par Falk,
Druckhunst, p. 80-83.
44 L'INSTRUCTIOPf POPULAIRE ET LA SCIENCE.
temps qui Tont précédée ou suivie. En effet, quant au fond, ces
livres sont supérieurs, sous bien des rapports, à ce qui se publie aujour-
d'hui dans le même genre, et certains d'entre eux peuvent compter
parmi les meilleurs ouvrages qu'ait produits la prose allemande '.
Tous ces livres, destines à l'usage général du peuple, prouvent
évidemment cjue les enfants et les adultes étaient instruits dans
les plus hautes vérités du salut et conduits à une vie chrétienne vrai-
ment solide. Nulle part on n'y entend parler du salut par les bonnes
œuvres, d'un culte idolâtre des saints ni d'une doctrine faussée
sur les indulgences. A la vérité, dans les histoires mêlées à ces livres
d'instruction et de piété, et dans les légendes des saints, il y a un
amour du merveilleux qui prend toutes les formes, et se porte bien
souvent sur des choses puériles. Mais à travers ces scories brille l'or
pur d'une foi inébranlable eu la puissance suprême qui anime et
gouverne tous les êlres, est partout présente, abrite paternelle-
ment les bons, ébranle les chancelants, et brise, dans sa redou-
table vengeance, les audacieux et les révoltés. Aussi ce merveilleux
ne laissait-il pas que d'avoir une salutaire influence sur la conduite
de milliers d'âmes -. ^ Il n'est pas nécessaire que tu croies toutes les
merveilles que tu lis dans les livres pieux ^ dit le Guide de làtne.
" Les miracles de la sainte Écriture sont véritables, et il y en a encore
beaucoup d'autres qui sont tout à fait dignes de créance, et que les
chers saints opèrent par la grâce de Dieu; mais sache que, dans les
livres, beaucoup te sont seulement racontés pour te servir d'exemple
et te montrer la splendeur de la puissance et de la majesté de Dieu,
qui récompense les bons et punit les méchants ^ •■■'
Dans l'ensemble des livres employés et reconnus par l'Église, nous
trouvons la doctrine la plus pure, la plus authentique, la plus ortho-
doxe. La note fondamentale qui y domine est bien rendue par les
paroles d'un Exercice pour se préparer à la sainte Communion, édité
à Bâle et souvent réimprimé : " Entre dans l'intime de ton cœur.
Trouves-y Jésus crucifié; cache-toi dans ses plaies sacrées. Loin de toi
toute confiance en tes propres mérites; tout ton salut ne se trouve
que dans la croix de Jésus-Christ. Mets-y donc avec joie ton unique
espérance \ >^ Citons aussi les paroles du cantique par lequel com-
mence le Petit Jardin béni :
Le soleil de la divine r>i'àce
Luit sur nous, plein d';unour.
' Alzog, p. 13-64. — Fai.k, Dnœklimst, p. 29-33.
- Comme le dit très-justement liLr.TEU, l'apst Iimoccn:, Jli, t. IV, p. ô37,
3 P. 18.
* Alzog, p. 71. — Voy. les excellentes explications de MtN/.F.MsEnG! iv, p. 51-72
T l\ A D U C T I 0 iN S ALL L M A N I) E S DE LA C I B r, E 45
Jesus, du haut du ciel,
Sera notre protecteur.
Qu.ind urinslruiras-lu,
.lésus, mou uui(|ue trésor?
Ouan,] poiirr;ii-je chüntcr tes louanges
Sans fin, éternellemeut?
Mon repentir est amer!...
Oh! prends-moi dans les bras.
Aie pitié de moi,
Mes péchés me causent tant de douleur!
Puisque tu tes livré pour moi
A de cruels tourments.
Donne-moi ta fjrAce et ta bénédiction
Par ta mort Irès-sainte!
0 Jésus, Maître trcs-bon,
Rp{jarde-moi avec miséricorde.
Afin que de ctrur et de courajje
Je t'aime toujours de plus en plus '!
« Tout ce qu'enseigne la sainte Église, est-il dit dans la Porte du
c/e/(1513), tout ce que tu entends ou lis dans les sermons et les autres
instructions, ce qui est écrit dans les livres spirituels, ce que tu
chantes à la gloire et à la louange de Dieu, les prières que tu fais
pour obtenir le salut de ton âme, ce que tu endures dans les contra-
dictions et les épreuves, tout cela doit t'exciter à lire avec humilité
et dévotion les saintes Écritures, les Bibles qui sont maintenant tra-
duites et imprimées en langue allemande et partout répandues en
grand nombre, soit complètes, soit abrégées, et que tu peux acheter
aujourd'hui pour peu d'argent ^ ^
Le nombre des traductions de l'Ancien et du Nouveau Testament,
soit complètes, soit en parties séparées, était en effet considérable.
On compte onze éditions des psaumes parues avant 1513; vingt-cinq,
antérieurement à 1518, des Évangiles et des épitres. En même temps,
jusqu'au moment de la scission de l'Église, il ne parut pas moins de
quatorze éditions de la Bible en haut allemand et cinq en bas alle-
mand. Parmi les premières, il faut noter les belles éditions d'Augs-
bourg (1477, 1480, 1487, 1490, 1507, 1518), les éditions de Nurem-
berg, 1483, et celles de Strasbourg, 1485'. Au commencement du
• IlASAK, p. 1-2.
-p. 19.
' Kehreix, Deutsche Bibel Übersetzung vor Luther, p. 33-53. — Voy. HAtN, n"» 3129-
3143. — Steiff, p. 9. — Alzog, p. 65-66. D'après l'opinion la plus répandue, la
première tradu-tion de la Bible en bon allemand parut en 1466 chez Eggestein,
à Strasbourg. La première en bas allemand parut à Delft, en 1477. (Voy. Vax
DER Linde, p. 105.) La première en bas saxon, à Lübeck, 1494.
46 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
seizième siècle, on se servait déjà d'une sorte de Vulgate, en alle-
mand, qui servait de type '.
Comme les livres de dévotion el d'enseignement, la plupart des édi-
tions de la Bible étaient ornées de beaucoup de gravures, afin, comme
le disait l'éditeur de la Bible de Cologne (1470-1480), que le lecteur
se trouvât plus attiré à prendre fréquemment en main la sainte
Bible. C'était aussi le but qu'on se proposait dans les Évangéliaires,
comme cela y est expressément et maintes fois répété. - Ils doivent
servir, y est-il dit, à porter les fidèles à la lecture assidue et aimée de la
Bible, particulièrement à celle de l'Évangile, dont la force et la vérité
dépassent toutes les autres parties de l'Écriture sainte. '■ L'éditeur de
VÉi'aîKjéliaire de Bâle s'exprime de la même manière (1514). Il pose en
principe pour tout chrétien raisonnable la nécessité de l'étude de la
Bible : « Nous aurons à rendre un compte bien sévère à Dieu de l'emploi
de notre temps, car le temps présent est appelé le temps de la grâce,
il est infiniment précieux aux hommes pieux el bons. Il faudrait donc
conseiller à tout chrétien sensé de lire volontiers en toute occasion
la sainte Écriture, afin qu'il apprenne à connaître Dieu, son créa-
teur et son Seigneur; car les grâces que l'homme peut obtenir de
Dieu en la lisant ou l'écoutant lire sont inexprimables; surtout il
faut se conduire d'après ce qu'on lit, car l'apôtre saint Jacques a dit
dans le quatrième chapitre de son épitre : <= Celui qui sait le bien
« qu'il doit faire et ne le fait pas, est coupable de péché. ■■ Il énumère
ensuite les grâces diverses accordées à ceux qui lisent ou écoutent lire
la sainte Écriture, et il ajoute : " Sache donc qu'il n'est point d'inquié-
tude ni d'épreuve si grandes qui ne soient consolées certainement par
la grâce du Saint-Esprit pendant la lecture de la sainte Écriture,
pourvu qu'en Usant, tu mettes toute ta confiance en Dieu, et la
prennes fidèlement à cœur; car celui dont la foi est faible reste sans
secours et sans grâce, au lieu que la foi ferme et vigoureuse trouve
partout la force et la consolation au milieu de grâces abondantes.
C'est pourquoi Jésus-Christ, notre cher Seigneur, disait à saint
Pierre qui se croyait en péril de mort sur les eaux : ; O homme
« de peu de foi, pourquoi doutes-tu de ma puissance et de ma force? »
" Il faut, dit- il encore, distinguer cinq classes de lecteurs : les pre-
miers lisent seulement pour savoir, non pour agir, et afin de pou-
voir reprendre les autres, et cela s'appelle vanité orgueilleuse. Les
seconds ne lisent que pour s'entendre louer et passer pour des
' Geffcken, p. 6-10. — Voy. Maier, dans le Journal théologique trimest. de Tubin-
gue, t. LVI, 694. Le bibliothécaire du couven-t des Prémontrés, le Père Phi-
lippe Rlimesch, prépare avec une exactitude toute diplomatique l'édition du
Coder Teplcnsis contenant le Livre du Nouveau J'enlameiit , le plus ancien des
manuscriis allemands du saint Évangile, le même qui a servi de modèle à toutes
les Bibles allemandes imprimées au quinzième siècle, Munich, 1881.
TRADUCTIONS ALLEMANDES DE LA BIBLE. 47
hommes éclairés et savanls. Les troisièmes étudient el lisent ;ifiti
de tirer profit de leur savoir, et dans foute leur science il n'y a
qu'une laide cii|)idité. Les (jualrièmes étudient, lisent el écoulent afin
de pouvoir instruire et ensei[}ner beaucoup d'âmes, et faire ain^i la
volonté de Dieu, cherchant aussi eux-mêmes, par tous leurs elTorts,
à devenir meilleurs, et c'est là une véritable charité. Les cinquièmes
et derniers cherchent avec tout le zèle possible à s'instruire et à
s'améliorer, el c'est là une vertueuse et sage prévoyance. La lecture de
ces deux dernières classes de lecteurs est méritoire et louable, pourvu
qu'ils ne se laissent pas enfler par l'orgueil, ni séduire par l'hypocrisie
et la vaine gloire '. '
L'éditeur de la Ihble de Coloijnc parle très-bien de la lecture de
la sainte Écriture : ■- Tout chrétien doit la lire, dit-il, avec dévo-
tion et respect; les bonnes âmes qui regarderont, liront ou enten-
dront lire cette traduction de la Bible doivent s'unir à Dieu et prier
le Saint-Esprit, qui est le maître de l'Écriture sainte, de les éclairer
et de la leur faire comprendre selon sa volonté sainte et pour le
salut de leurs âmes. ' Les gens instruits, poursuit-il, doivent se servir
de la traduction latine de saint Jérôme; mais les personnes illet-
trées, les hommes simples (ecclésiastiques ou laïques), et particuliè-
rement les moines et les religieuses, doivent, pour fuir l'oisiveté,
qui est la racine de tous les vices, se servir de la présente Bible en
traduction allemande pour se préserver des flèches de l'ennemi
infernal. Donc, une âme désireuse d'aider les hommes à se sauver a
fait par charité imprimer cette traduction de la Bible dans la digne
ville de Cologne, avec beaucoup de peines et à grands frais; elle
avait déjà paru il y a longtemps (de 1470 à 1480) dans l'Oberland
et dans quelques villes des Pays-Bas, et avait été répandue en manu-
scrits dans beaucoup de couvents et de cloîtres. Qne tous ceux
qui lisent la Bible en allemand soient soumis de cœur, ne jugent pas
ce qu'ils ne comprennent pas, et surtout prennent la Bible dans le
sens entendu généralement par l'Église romaine répandue par tout
l'univers '. »
On lit dans un petit écrit intitulé : Livret singulièrement utile et con-
solant (1508) 3 : ;( L'homme qui se dispose à lire la sainte Écriture doit
faire cette prière : O Seigneur Jésus-Christ, éclaire mon entende-
ment et ouvre mes sens, afin que je puisse comprendre ta parole,
que j'y puise le repentir et la douleur de mes péchés, et que je sois
enflammé d'une vraie dévotion; apprends-moi à mettre à profit
' Voy. Alzog, p. 14-16.
* Voy. Geffcken, p. 8-9.
' Allen den die Gotforchten und Ihm gern beheglick sein icolkii (Leipzig, 1508, p. 58).
— Hasak, Christliche Glaube, p. 343.
48 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
toutes les leclurcs que je fais dans la sainte Écriture, pour que je
puisse avancer dans la prière fervente, la bonne méditation et con-
templation; car heureux, Seigneur, est l'homme que tu enseignes et
auquel tu apprends ta sainte loi! O Seigneur Jésus-Christ, apprends-
moi à comprendre ce que je lis, afin que je puisse l'accomplir vérita-
blement par le cœur et par les œuvres. « Le Petit Jardin ùéni (1509)
dit de même : " Lis et médite avec zèle la sainte Écriture, surtout les
épitres et les évangiles des dimanches et des jours de fête. Mais sache
bien que tu ne peux le faire avec profit si tu n'en demandes d'abord
au Saint-Esprit la vraie intellig^ence, et si tu ne commences par te
repentir de tes péchés, absolument comme si tu allais te confesser. Si
tu es orgueilleux, toute lecture te sera nuisible. Ce que tu ne com-
prends pas dans la sainte Écriture, passe-le, et remets-t'en à l'Église;
elle interprète tout avec vérité, et elle en a seule le pouvoir '. =
Dès 1494 la Bible publiée à Lübeck avait paru accompagnée d'expli-
cations destinées à en éclairer le texte. Ces explications étaient dues à
Nicolas de Lyra; l'auteur désire que tout chrétien puisse s'en aider
pour mieux comprendre les nombreux passages obscurs et inintelli-
gibles de la sainte Écriture ^
La rapidité avec laquelle les éditions des traductions de la Bible se
succédèrent, et les témoignages positifs des contemporains \ font
présumer qu'elles étaient très-répandues parmi le peuple, .lean Eck
raconte qu'il l'avait lue presque tout entière à dix ans '; le vicaire
de Xanten, Adam Potken, dit aussi avoir appris dans son enfance
(1470-1480) les quatre évangiles par cœur; plus tard, il lisait presque
tous les jours avec ses élèves, âgées de onze à douze ans, quelque-
chapitres de l'Ancien ou du Nouveau Testament ^ L'étude delà Bible-
était si ardemment poursuivie au quinzième siècle qu'un chanoine
de Cassel (1480) fonda une bourse spéciale en faveur d'un ardent tra-
vailleur du village d'Harmuthsachsen, afin qu'il piU pendant huit ans
s'appliquer exclusivement à l'étude de la sainte Écriture ^ ^ La Bible
est le champ du Seigneur " écrivait à l'humaniste Conrad Celtes
l'abbesse de Nuremberg, Charité Pirkheimer ; u la science divine y tire
l'amande de son enveloppe, l'esprit de la lettre, l'huile du rocher, et
la fleur des épines \ ■■-
ip. 12.
2 Geffcken, p. Ô.
3 V^oy. Kerker, Ersie Abhandlung über die Predigt, p. 373-375. — Geffcken, p. 10.
* Voy. Albert, Zeilschrift fur die Historische Theologie, t. XLIII, p. 417.
5 Collectaneen du cbail. PeLZ, t. W, p. 112.
<* Stolzel, t. I, p. 130-131.
' BiMiER, p. 86.
CHAPITRE III
l'enseignement MOVEiN ET l'ANCIEN HUMANISME.
On doit à la congrégation des « Frères de la vie commune ,
fondée par Gérard Groote ' dans les Pays-Bas, l'établissement de nom-
breuses et florissantes écoles, qui, à l'époque dont nous nous occu-
pons, eurent une influence très-heureuse sur le développement
intellectuel du peuple; ces écoles se multiplièrent peu à peu, et
s'échelonnèrent, en remontant le Rhin, jusqu'en Souabe. Vers la tin
du quinzième siècle, elles s'étaient propagées de l'Escaut à la Vistule,
de Cambrai (à travers toute l'Allemagne au nord) jusqu'à Culm, dans
la Prusse occidentale. Les religieux qui les dirigeaient plaçaient bien
au-dessus de la science proprement dite l'éducation chrétienne, et la
formation de la jeunesse à une piété solide et pratique était le pre-
mier but qu'ils se proposaient d'atteindre. Tout leur enseignement
s'inspirait de l'esprit chrétien. L'élève, sous leur direction, apprenait
à considérer les principes religieux comme le fondement de l'être
moral, comme la base de toute véritable éducation; cependant on ne
négligeait pas de lui donner, dans une large mesure, des notions scien-
tifiques; il était initié à .une bonne méthode de travail, en sorte
qu'un goût sérieux pour l'étude personnelle se formait en lui. Aussi de
tous côtés la jeunesse, désireuse de s'instruire, accourait dans les éta-
blissements des Frères. A Zwolle, le nombre des écoliers variait
entre 800 et 1,000; à Alkmaar, on en comptait 900; à Herzogenbusch,
1,200; à Deventer, vers l'an 1500, il y eut jusqu'à 2,200 écoliers-.
Comme l'enseignement était gratuit chez les Frères, leurs écoles
étaient accessibles aux gens de petites ressources. Dans les villes alle-
' Pour l'appréciation de cet homme illustre et trop peu connu, voy. Tuhingcr
Tkeol. Qunrtalschiift, 652, 280-305. — Voyez aussi l'excellent travail de K. lIiRScnr:
dans la Hazog's Healencijclopédie, 2^, p. G78-760.
- Delprat, p. 32, 37, 47. — BuTZBVcn, ll'anderbuch'ein, p. 167.
50 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
mandes où ils n'avaient pas d'établissements, ils prenaient néanmoins
un vif intérêt à l'instruction de la jeunesse, fournissaient des maîtres
aux écoles de la ville, payaient la rétribution scolaire des écoliers
pauvres et leur procuraient des livres et d'autres moyens d'instruction.
Le pape Eugène IV donna à l'archevêque de Cologne et aux évo-
ques de Munster et d' Utrecht l'ordre formel de veiller à ce que
l'action si utile des Frères ne fiit troublée ni entravée par personne
(1431). Les papes Pie H et Sixte IV le surpassèrent encore dans la
protection marquée qu'ils leur accordèrent. Mais parmi les princes
de l'Église d'Allemagne, leur protecteur le plus actif fut le cardinal
Nicolas de Cusa, qui avait été lui-même élevé à Deventer, et y avait
fait une riche fondation en faveur de vingt étudiants pauvres de
« son pays du Rhin ' . Il prêta aux Frères un puissant appui, et favo-
risa l'extension de leur Ordre. Le plus illustre des protégés du cardinal,
Rodolphe Agricola, faisait partie de ce groupe déjeunes gens dis-
tingués que le vénérable Thomas à Kempis réunissait autour de lui
à Zwolle-; il faut encore citer les trois Westphaliens Alexandre
Hegius, Rodolphe de Langen et Louis Dringenberg parmi ses plus
remarquables disciples; tous trois furent aussi remarquables par
leur savoir que par l'élévation de leurs sentiments religieux et la
pureté de leurs mœurs. C'est à leur zèle ardent qu'on doit la restaura-
tion des études classiques sur le sol allemand, et l'onpeutles considérer
comme les pères de l'ancien humanisme. Il est â remarquer (jue la cul-
ture intellectuelle de ces trois savants avait subi la profonde influence
de ce même homme, qui, dans son livre de ï Imitation de Jésus-Christ
et dans ses autres écrits, fit éclore dans la congrégation des " Frères
de la vie commune la fleur la plus exquise de la piété ascétique.
Les anciens humanistes de notre pays n'avaient pas moins d'enthou-
siasme pour l'héritage grandiose légué par les peuples de l'antiquité
que n'en eurent plus tard leurs successeurs, lorsque, réunissant tous
leurs efforts, ils fondèrent, vers 1510, une école nouvelle. Avant eux
leurs prédécesseurs du quinzième siècle avaient vu dans l'étude de
l'antiquité un des plus puissants moyens de cultiver avec succès l'intel-
ligence humaine, un terrain inépuisable et fécond pour toutes les
nobles aspirations. Mais, dans leur pensée, les classiques grecs et latins
ne devaient pas être étudiés dans l'unique dessein d'atteindre en eux
et par eux le but et le terme de toute éducation; ils entendaient les
mettre au service des intérêts chrétiens. Ils trouvaient excellent que
l'esprit de leurs contemporains se retrempât dans l'étude de la vie
intellectuelle des anciens et acquit une connaissance plus exacte de
• Delprat, p. 32, 46, 91. — Revils, p. 119-152.
' VOy. DlLLE>BLRGER, p. 4-7.
L'ANCIEN HUMANISME ALLEMAND. 51
l'antiquité ; mais par l'étude des classiques ils ne voulaient pas se borner
à former l'intelligence et le goiU, ils désiraient avant tout parvenir,
};rAcc à eux, à une intclli{;cncc plus profonde du christianisme et à
l'ainélioralion de la vie morale. Celle nianiérc d'envisager les auteurs
païens n'avait pas, du reste, rien de nouveau. Déjà, mus par les mômes
motifs, les Pères de l'Eglise, pendant les premiers siècles, avaient
recommandé et encourage l'étude des langues antiques; juscju'au
treizième siècle, les écrivains de l'antiquité avaient été lus assidi^menl
dans les écoles du moyen âge, et c'est à cette période primitive de
culture classique que se rattachaient, à l'époque qui nous occupe, les
efforis des premiers humanistes, après une longue période de stagna-
lion et de barbarie. Réunissant à tous les manuscrits qu'on possédait
déjà ceux qu'avait fait pénétrer en Occident la conquête de Constan-
tinople, et dont l'imprimerie rendait la connaissance plus facile, les
nouveaux travailleurs s'efforcèrent de les envisager sous tous leurs
aspects et d'en faire pénétrer l'esprit dans la vie même du peuple.
Us ne luttaient pas contre l'école scolastique elle-même; ils
ne rejetaient que la forme roide et embarrassée de son langage, et
ne blâmaient que ses continuelles querelles, ses subtilités puériles,
sa pédante argutie sur des mots, sa science stérile. Leur propre
éducation, solidement scolastique, les préservait de l'esprit exclusif
et des extravagances de l'école italienne, aussi bien que des erreurs
où tombèrent plus tard les humanistes de la nouvelle école.
Aussi les théologiens el philosophes scolastiques, dont le système
dominait alors dans les universités, ne voyaient-ils nullement dans les
premiers humanistes des novateurs dangereux ou funestes. Parmi les
deux partis qui se combattaient au sein de l'école, nominaux et réa-
listes, les premiers ont, il est vrai, peu d'hommes à citer dans les rangs
de l'ancien humanisme, mais cela lient à ce que les nominaux, selon
l'essence même de leur système, avaient une méthode plus dissol-
vante, négative et analytique, que positive et créatrice. Pour les réa-
listes, c'est à eux qu'on doit l'introduction des études classiques '
dans les hautes écoles, et ceux-là mêmes dont on raille aujourd'hui
V obsmranlisme ont favorisé et aidé le mouvement suscité par les
nouveaux savants, aussi longtemps que ce mouvement ne menaça ni
l'autorité de l'Église ni les fondements de la vie chrétienne.
La lutte ne commença et ne devint nécessaire que lorsque les
jeunes humanistes rejetèrent toute l'ancienne science théologique et
philosophique comme n'étant que purs sophismes et barbarie, récla-
mèrent pour leurs idées un monopole exclusif, prétendirent que toute
notion scientifique se trouve uniquement contenue dans les ouvrages
' Voy. Zarncke, Sébastien Brand, XX. — Fischer, 139.
52 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
desancieos, entrèrent en lutte ouverte avec l'Église et le christianisme ,
et trop souvent, par une vie frivole, jetèrent un défi ä la morale.
Ainsi l'humanisme ancien et l'humanisme moderne sont séparés
par l'essence même de leur nature. De plus, il y a encore entre eux
cette différence, cjue les modernes sont trop exclusivement charmé'^
par l'admirable vêtement delà forme antique; l'élude delà langue, les
beautés littéraires, les occupent uniquement; au lieu que le premier
but des anciens humanistes, c'était de parvenir par la lecture des
auteurs anciens à une connaissance plus approfondie de la vie antique
prise dans son ensemble. Les modernes, outre cela, semblent mépriser
leur langue maternelle et la littérature nationale; ils les traitent de
barbares; elles sont, au contraire, l'objet de l'amour et de la sollici-
tude des vieux maîtres de l'humanisme allemand. Dans leur pensée,
les études classiques devaient donner au peuple la clef de son propre
passé, et lui fournir les moyens de le glorifier.
Tous ces principes de l'ancien humanisme se trouvaient déjà claire-
ment accentués dans Agricole, qui peut être considéré comme le
véritable fondateur de l'école.
Rodolphe Agricola ', né à Laflo, près Groningen (1442), semble avoir
réuni dans sa personne toutes les connaissances classiques de son
temps. Ses contemporains voyaient en lui un second Virgile; même
en Italie, où il séjourna de 1473 à 1480, on s'émerveillait de la faci-
lité d'élocution, de l'aisance, de la pureté avec lesquelles il avait
appris à s'exprimer en latin. Son grand désir était de voir l'Alle-
magne parvenir ta un si haut degré de culture et de science clas-
sique, que dans l'étude même du latin, elle ne fiU pas surpassée par
le Latium. Wimpheling le loue d'avoir insisté pour obtenir que les
historiens de l'antiquité fussent traduits en allemand et accompagnés
de commentaires, < afin que le peuple apprit à les connaître, et que
par leur influence la langue nationale fût perfectionnée^ •. Au reste,
les études classiques d'Agricola ne l'avaient pas rendu étranger à sa
propre langue, et il se plaisait à chanter sur la guitare les chansons
allemandes qu'il composait. 11 étudia aussi à fond la philosophie,
et ses écrits dans ce domaine sont restés célèbres par l'exactitude
des définitions et la pureté du langage. L'histoire naturelle et la
médecine lui étaient également familières. Déjà parvenu au terme de
la vie, il s'adonna à l'étude de l'hébreu, l'enseigna à quelques jeunes
' Voy. Tresling, l'ita et mérita Budolphi Agricole (Groningae, 1830). — Meiners,
t. II, p. 332-363. — Erhvrdt, t I, p. 374-415. — Ritter, Geschichte der Philosophie,
t. IX, p. 261-267. — R.vLMER, Gesch. der Pädagorjik, t. II, p. 77-86. — Geiger, Bio-
rirnphie allemande universelle, t. I, p. 151-156.
- De arte impressoria, fol. 17. — Voy. Geiger, Reuchlin.p. 66-67.
L'IIUIMANFSTE RODOLPHE A MUCO LA. 53
gens d'avenir, e( fil une traduction des psaumes d'après le texte
original '. Mais son véritable mérite, c'est l'action personnelle qu'il
exerça, ce sont ses efforts persévérants pour faire adopter par son
temps les chefs-d'œuvre de la littérature antique. Aussi, sous certains
rapports, fut-il pour T Allemagne quelque chose de ce qu'avait été
Pétrarque pour l'Italie ^ C'est lui, au reste, qui écrivit le premier la
vie du grand humaniste italien et révéla sa gloire à l'Allemagne.
" JXous devons à Pétrarque, dit-il, les progrès qu'a faits de nos jours
l'instruction. Tous les siècles doivent le gloi'ificr : l'antiquité, parce
qu'il a sauvé ses chefs-d'œuvre de la destruction; les temps modernes,
parce que, grAce à son effort courageux, une nouvelle culture intel-
lect iiclle a été fondée, et qu'il l'a laissée en héritage aux âges futurs. >•
Agricola avait d'ailleurs plus d'une ressemblance avec Pétrarque;
comme lui il était constamment tourmenté du désir de voyager, et
comme lui professait une extrême horreur pour tout emploi public.
Il entendait ne vivre que pour l'étude, n'être troublé par rien, et
répandre dans une libre activité les semences d'un enseignement
nouveau. Comme Pétrarque, c'était un patriote ardent. Il s'efforça
d'affermir dans le peuple allemand la conscience de sa valeur et de
ses aptitudes; mais il dépassa de beaucoup l'illustre père de l'huma-
nisme italien par sa manière profondément chrétienne d'envisager
la vie, et par la pureté de ses mœurs. " Si Agricola est si grand,
disait Wimpheling, c'est parce que sa science et sa philosophie ne
lui ont servi qu'à s'affranchir de toutes les passions, et à concourir
au grand œuvre de perfectionnement personnel dont Dieu est lui-
même l'architecte dans la foi et dans la prière. " Agricola insiste
particulièrement dans ses écrits et surtout dans sa correspondance
sur la nécessité de conserver l'intégrité de la foi, sur la pureté des
mœurs et l'intime union de la piété et de la science. Son épitre à son
ami Barbirianus compte parmi les chefs-d'œuvre de la littérature péda-
gogique. Il lui expose ses vues, mûries par l'étude et l'expérience, sur
la meilleure méthode et sur le but de toute culture intellectuelle
et scientifique \ Il y recommande instamment l'étude des philo-
sophes, historiens, orateurs et poètes de l'antiquité; mais il ne
faut pas, selon lui, étudier trop exclusivement les anciens. » Car
les anciens, dit-il, ou ne connaissaient pas le but véritable de la vie,
ou ne le pressentaient qu'obscurément et comme à travers un nuage,
en sorte qu'us eu parlent plus qu'ils n'en sont convaincus. " « 11 faut
donc, ajoute-t-il, monter plus haut, parvenir jusqu'aux saintes Écri-
tures. Ce sont elles qui dissipent toute obscurité et mettent à l'abri
' IlAUTFELDEa, C. Celles, p. 17. — Kvilen, p. 291.
- Voy. Geiger, Petrarca und Daitcläaiid, p. 224-228.
^ Voy. EuHARüT, t. I, p. 388-400.
54 L'INSTRUCTION POPUF-AIP.E ET LA SCIENCE.
de foute illusion ou trouble. Il faut diriger sa vie d'après leur ensei-
gnement, et bâtir son salut sous leur direction bénie. L'étude des
classiques doit surtout servir à nous donner une claire intelligence des
saintes Ecritures. ' Les contemporains parlent avec respect de la vie
sans tache d'Agricola et font de grands éloges de sa disposition paci-
fique, de sa modestie, de son affabilité, de sa simplicité d'enfant. H fut
enseveli dans l'habit de Saint-François, et enterré à Heidelberg (1495).
II
Agricola n'appartenait pas lui-même à l'enseignement propre-
ment dit, mais il eut une grande part au développement intellectuel
d'Alexandre Hégius, l'un des plus grands pédagofjues du siècle.
« J'avais quarante ans, écrit Hégius, lorsque j'allais pour la première
fois chez le jeune Agricola; c'est de lui que j'ai appris (ouf ce que je
sais, ou du moins tout ce que les autres s'imaginent que je sais'. -
Hégius, né au village de Heeck dans le pays de Munster, et formé à
l'école des Frères de la vie commune ■:, fut recteur du gymnase de
Wesel, dans le Bas-Rhin, de 1469 à 1474. Il prit ensuite pendant un
an la direclion de l'école abbatiale, alors florissante, d'Emmerich,
et trouva depuis à Devenler le champ le plus fécond de son activité.
Érasme le compte parmi les savants qui remirent en honneur la bonne
latinité, et déclare que, d'après le jugement de tous les savants con-
temporains, ses ouvrages sont dignes de l'immortalité, - bien qu'il
n'ait pas été assez soigneux de sa réputation comme écrivain ". Jean
Murmellius rapporte que son maître Hégius possédait également bien
;le grec et le latin, et recommandait avec ardeur à ses élèves l'étude
de ces langues, alors peu cultivée eu Allemagne*.
Hégius a l'incontestable mérite d'avoir simplifié et épuré les
méthodes d'enseignement, corrigé ou exclu les anciens livres d'étude
et fait des classi(iucs anciens le principal objet de l'enseignement de la
jeunesse. C'est lui qui a donné à l'instruction scolaire cette impulsion,
qui agit ensuite si puissamment sur la nouvelle vie intellectuelle. Venus
des environs des pays éloignés, les jeunes gens avides de s'instruire
affluaient par centaines dans les salles où il professait, et non-seule-
ment il sut inspirer à un nombre incalculable de ses élèves l'amour
de l'étude, mais encore il éveilla en eux un enthousiasme désintéressé
pour la noble mais difficile vocation de l'éducation de la jeunesse '.
' Voy. Rassmann, p. 10, note 24. — Reichlisg , Supplement, p. 289-290.
- Voy. Reichling, Suppl., p. 287-303. — Reiculing, Àlurmellius, p. 5-15.
3 Voy. Otto Jahn, p. 404-420.
im; DAGO GUES \V E S TP H A LIENS. 55
Comme Agricolîi, il dut la grande influence qu'il exerça à l'élé-
vafion do ses .senliincnls !'elip,ieux, à ses qualités morales, à sa tou-
clianle simplicifé, à sa modestie, à Tatlrait qu'on ressentait pour son
âme candide et pure. " Hégius rayonnait au milieu de tous comme
un radieux flambeau par sa piété, et parmi la légion des savants par
son vaste savoir et ses {»randes capacités -, dit son élève Jean
Butzbach, dans ce " Petit Livret de voyage " [IVanderbüchlein), où
il a raconté avec tant de fraîcheur, de naturel, d'une manière si fidèle et
si vivante, ses souvenirs de jeunesse, sa vie et ses aventures à Deventer.
Selon Butzbach, ïlégius était une nature de la vieille roche allemande.
Simple, lo\al, il était le vrai père de ses élèves, surtout de ceux (jui
étaient dans le besoin, et auxquels il donnait ce qu'il recevait des plus
riches. Il conserva jusque dans l'extrême vieillesse la soif d'apprendre;
dans les dernières années de sa vie, il fît un voyage à Sponheim pour
voir et consulter la magnifique bibliothèque de l'abbé Trithème. A son
retour, il raconta à ses élèves rassemblés autour de lui, et au nombre
de deux mille deux cents, qu'il en avait admiré les livres avec un
incroyable plaisir, et que toute son attente avait été dépassée. Déjà
très-avancé engage, il entra dans l'état ecclésiastique ; lorsqu'il mourut,
le 27 décembre 1498, les pauvres de Deventer, auxquels il avait donné
en secret et peu à peu toute sa fortune, qui était assez considérable,
suivirent son cercueil, et l'accompagnèrent de leurs pleurs et de leurs
lamentations. Il ne laissa rien après lui que ses vêtements et ses livres '.
On a dit qu'en admirant la valeur morale d'Hégius, sa noble
modestie, ses travaux si étendus et si profonds, l'Allemagne pouvait
se consoler, s'il est vrai que dans ses commencements l'humanisme
n'y ait reçu qu'une échappée du jour brillant dont il resplendissait à la
même époque en Italie -. Mais on ne songe pas, en parlant ainsi, que
l'élévation d'àme d'Hégius et son désintéressement ne sont, eu
aucune manière, une exception isolée parmi les pédagogues allemands
de la fin du quinzième siècle. Le principe qu'il professait, que « toute
science est nuisible qui s'acquiert par la perte de la piété ", ne lui
appartient pas exclusivement; c'est celui depres(iue tous les hommes
qui furent avec lui les initiateurs des études classiques ou qui reçurent
de lui la direction de leur esprit. Beaucoup d'entre eux, comme les
Westphaliens Bodolphe de Langen, Louis de Dringenberg, Conrad
Coclenius, Timan, Remuer, Joseph Horlenius, ont vraiment bien
mérité de l'enseignement populaire et de la science.
Parmi les diverses races allemandes, les Westphaliens se sont
' BuTZBVCH, p. 148-151. — Voy. Eriuup. t. I, p. 41(3-427. — Ahrens, Geschichte
des Lyceums c« Hannover, p. 20 (Hanovre, 1870).
'Jahn, p. 417.
S6 L'INSTRUCTION FOt'üLAIRK HT L.\ SCIENCE.
inconteslablement distinj^ués par leur zèle pour renseignement de la
jeunesse. ^■. Aucun aufre peuple parmi les hommes • écrivait Érasme
à Thomas Morus, •■■ ne mérite dï'fre autant loué pour sa persévérance
au travail, son esprit de foi, la pureté de ses mœurs, sa simple sagesse
et sa sage simplicité '. -^
" une grâce si abondante a été répandue sur ce pavs, disait Werner
Rolewinck, que, depuis qu'il a reçu la foi, jamais il n'est retourné en
arrière; on ne voit nulle part qu'il s'y soit élevé des hérésiarques. Si
l'on parle de la fidélité, soit par rapport à la morale, soit par rapport
à la foi, on trouvera que la bonté divine a richement doté la West-
phalie. Elle a excellé dans les travaux de l'industrie, la prédication de
la parole de Dieu, l'étude des sciences, la pratique religieuse, les
exercices de la vie monastique, le gouvernement du peuple, les bonnes
mœurs et la prompte inlelligence à servir le prochain; de sorte cjue
dans une certaine mesure, elle a exercé un véritable apostolat dans le
monde entier. - ^ Le peuple y est, en général, plein de simplicité el
de droiture, et habitué à supporter paisiblement bien des genres de
violence , continue Rolewinck. En ce qui concerne les sciences,
je doute fort qu'il y ait une faculté que les Westphaliens redoutent
d'aborder. L'un pénètre les profonds mystères de la théologie, l'autre
s'occupe du droit canon, un troisième approfondit le droit civil;
celui-là se voue â l'élude de la médecine, ceux-ci donnent toute leur
ardeur intellectuelle aux arts, à la poésie, à l'histoire, à l'astronomie,
à la géométrie, à l'observation des eaux, de l'air, des météores, des
pays, des animaux, etc. -. > Les Westphaliens passaient pour le peuple
le plus " passionné pour les voyages «. On les appelait, comme les Flo-
rentins, « le cinquième élément >•, parce (ju'ils étaient partout où se
trouvent les quatre autres, u C'est à un Westphalicu qui a été comme
l'apôtre de l'éducation de la jeunesse dans son active et voyageuse
existence, dit Wimpheling, c'est à Louis deDringenberg que l'Alsace
doit une grande partie de sa culture intellectuelle; c'est à un autre
Westphalicn, revenu dans sa patrie après de longs séjours en Italie,
que la Westphalie est redevable de la prospérité de ses propres écoles. »
" Cet autre Westphalien -^ que nous avons déjà cité, c'est le prévôt
Rodolphe de Langen, élevé à Deventer, et qui le premier cultiva avec
goût la poésie latine en Allemagne. Il réforma les études scolaires en
Westphalie, et Munster lui doit une période remarquable d'épanouis-
sement intellectuel. Chaudement appuyé par les chanoines de la cathé-
drale et par ceux des quatre autres collégiales de la ville, Langen éleva
l'école épiscopale à une telle réputation, qu'elle était fréquentée non-
' Voyez K.v:mp.SCHL'I.TE, Einfuhrwtg des Proteslanlisviiis ni Westfalen, p. 20-21.
-De laude Saxoniae, p. 134-1 10, 201.
MO Di: D'iNs 1 nunioN. 57
seulement par les éludiaii(sdcWe.sfphalieet des Pays-Bas rhénans, mais
encore par ceux de Saxe el de Poméranie. Pendant lonclemps elle
fui d'une importance ca))ilale pour l'éducalion de la jeunesse dans
rAllema{;ue du nord-ouest. Elle devint aussi une féconde pépinière
de professeurs habiles, et juscpi'à Goslar, Rostock, Lübeck, Greifwald
et Copenhague, les heureux effets de leur activité se firent sentir.
Mais l'école épiscopale de Munster dut principalement sa répu-
tation et sa gloire à Jean de Murmcllius, que Langen avait associé à
ses fonctions de recteur. Comme ])hilologue, écrivain, pédagogue,
professeur et poète latin, il tient un rang glorieux parmi les réno-
vateurs des études classi(iues et les réformateurs de l'instruction.
Murmcllius agissait selon l'esprit de son maitre Ilégius. " La fin
et le but des études, écrivait-il, ne peut être que la connaissance
et la gloire de Dieu. Ceux-là seuls sont vraiment sages qui s'appli-
quent aux lettres et aux arts afin de s'encourager, eux et les autres, à
une bonne vie, à la justice et à la piété. Hien n'est plus nuisible qu'un
savant qui est en même temps un méchant homme; il vaut mieux
ne rien savoir que d'apprendre et de rester dans le péché. ^
Murmcllius édita aussi des auteurs latins, et non-seulement des clas-
siques proprement dits, mais encore les écrivains chrétiens d'un temps
plus rapproché. 11 composa environ vingt-cinq livres d'enseignement,
dont plusieurs se sont maintenus pendant des siècles dans les écoles
allemandes et hollandaises. C'est à sa sollicitation que l'humaniste
Jean Césarius fut appelé ä Munster afin d'y ouvrir des cours
de grec.
Il faut encore citer parmi les savants amis de Langen le comte
Maurice de Spiegelberg, lui aussi formé à Deventer, et dont l'éduca-
tion s'était achevée en Italie. Prévôt delà cathédrale d'Emmerich,
il fut l'apôtre zélé de l'instruction et des études classiques, et peut être
considéré comme le fondateur du collège de la ville '.
Les écoles nouvellement fondées ou améliorées entretenaient les
unes avec les autres des relations amicales; des maîtres de Munster
venaient professer à Emmerich, ceux d'Emmerich étaient envoyés
aux collèges des villes du voisinage, Xanten et Wesel. Le nombre
d'élèves de ces établissements était considérable : à Emmerich,
en 1510, le collège comptait , sous le recteur Robert de Venray, quatre
cent cinquante élèves étudiant le latin. On dit même que dans la
' Voy. Par:\IET , Podolph Langen , Leben und gesammelte Gedichte des ersten
Munster' sehen Humanisten (Munster, 1869). — Vov. de plllS Rir.VND, dans le Journal
(héol. et hist.de ßonn, 1870. — ^onoiiore, Dcuhcniiurdig/.eiien, t. I, p.41. — CouM-Lius,
p. 12. — Rassmvn.n, p. 7-18. — XuKDiiOFF, p. 88-89. — üeichling, Ifie Humanisten
Joseph Horlenim et Jacob Montanas, dans le Zeitschrift des wcstfäl Allerthumsvereins,
t. XXX VI, 1-32, et Reichli.NG, Murmcllius, 28.
58 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
petite ville de Frankenberg, en Hesse, l'excellent maître Jacob Horle
avait sous sa direction près de cent quatre-vingts élèves '.
Le Suisse Henri Bullinger, qui fréquenta lécole d'Emmericli de
1516 à 1519, rapporte qu'il y apprit les éléments du latin dans Donatus
et dans la grammaire d'Aldus Manutius. ^- Tous les jours, dit-il, on
faisait de^ exercices en classe et à la maison; chaque matin nous
devions décliner, comparer, conjuguer: on lisait à haute voix les
lettres choisies de Pline, les épitres de Cicéron, puis des fragments
de Virgile et d'Horace, quelques poésies de Baptiste Mantuanus, des
lettres de saint Jérôme, d'autres auteurs encore. Une fois par semaine,
nous devions composer une lettre en latin; on parlait habituellement
latin dans la maison; les professeurs du collège enseignaient aussi
les principes du grec et de la dialectique. Une ferme discipline y
régnait, et l'on apportait une grande attention aux exercices reli-
gieux^. "
Au collège de Xanten, le cliapelain Adam Potken faisait depuis 1496
un cours de grec; lui-même, avec plusieurs chanoines de la ville,
étudiait tous les jours l'hébreu. Son ami Sébastien Murrho, de Colmar,
très-versé dans cette langue, lui procurait les livres qui lui étaient
nécessaires. Plus tard, Potken fut envoyé dans une des onze écoles
latines de Cologne comme professeur de grec; ces écoles étaient
unies aux onze collégiales de la ville, et comptaient souvent parmi
leurs professeurs les hommes les plus instruits et les plus capables ^
A Cologne, Potken demeurait dans la maison de son parent Jean
Potken, prévôt de Saint-(;eorges, savant orientaliste, qui avait appris
Téthiopien à Rome et donna à l'Europe le premier ouvrage imprimé
en caractères éthiopiens''.
On obtenait alors de la jeunesse studieuse des choses extraor-
dinaires. Adam Potken lisait à des élèves âgés seulement de onze à
douze ans l'Éiiéide de Virgile et les discours de Cicéron. Jean Eck (né
en 1486) parcourut le cours complet des classiques latins entre sa
neuvième et sa douzième année; il était élève à l'école et dans la mai-
son de son oncle, simple curé de paroisse, et ce qu'il nous raconte de
son éducation est d'un intérêt général pour l'histoire de l'enseigne-
ment. On expliquait alternativement à l'enfant les auteurs anciens et
modernes, les fables d'fisope, une comédie d'Arétinus, l'élégie
d'Alda (de (iarin de Vérone), le traité attribué à Sénèque sur les
' Voy. l'exoellent travail de IUkhlint, sur MurmcUius, p. 36-46. 79-80, et sa
Bibliog., p. V.Vl et SS.
- Voy. DlLLENIiLRGKR, p. 4-11. — KÖHI.ER, p. 1Ô-I6.
" Pelz, 2^, p. 114. — Nettf.sheim. p. 166-167. — Kühleh, p. 19. — Dir.LF\-
BLRGER, p. 32.
* Kr.ifft, Mitlheibingen nus (Irr Xiederrhcinischin lic/'ormnlionsgcschichte , p. 193
et SS. — Voy. KÖHLE?., p. 21-22.
VIE SCOLAIRE. 59
<|ija(rc vertus cardinales, les lettres de Gasparin, une hymne de
Gersoii en Tlionneur do saint Joseph, deux ouvrages de Boece, le
prolo(jue de saint Jérôme sur la Bible, Térence, et les cinq premiers
livres de l'Enéide. Tout jeune qu'il était, il dut même apprendre
(|(ielques notions de philosophie et de jurisprudence, et étudier les
Pères de TK^jUse. " On m'exerçait, écril-il, sur les cinq traités de
dialectique de Pierre d'Kspagne; après le repas, je lisais à mon
oncle les livres de Moise, les livres historiques de l'Ancien Testament,
les quatre Evaiifjiles et les Actes des apôtres. Je lus aussi un ouvra{je
sur les quatre fins dernières, un autre sur les âmes; une partie des
discours de saint Augustin aux solitaires ; le livre d'Augustin d'An-
cône sur la puissance de l'Kglise et une introdution à l'étude du
droit. J'appris par cœur par ordre alphabétique les quatre chapitres
du troisième livre des Dcm'tr/lrs, avec les règles et les principes du
droit d'après Panormiton. Outre cela, mon oncle eut soin que dans
les autres écoles j'entendisse lire les Bucoliques, le Théodnie, et le
sixième traité de Pierre d'Espagne. Les prêtres qui secondaient mon
oncle m'expliquaient aussi les Évangiles des dimanches et des fêtes,
le traité de Cicéron sur l'amitié, l'introduction de saint Basile aux
études d'humanité, e! la guerre de Troie, d'Homère'. ^ Eck lisait
encore à lui tout seul (juantité d'autres livres latins et allemands.
Ainsi préparé, il entra on 1498, n'étant encore âgé que de treize ans,
à l'Université d'Heidclberg, et deux ans après, fut élevé à Tübin-
gen à la dignité de maître es arts -.
On trouve de fréquents exemples de pareille précocité d'esprit
dans les jeunes étudiants universitaires de cette époque. Le mathé-
maticien et astronome Jean Müller, de Kœnigsberg, en Franconie, se
fit immatriculer à l'âge de douze ans à l'université de Leipzig, et dès
sa seizième année obtint le grade de maître es arts à Vienne ^ Jean
Reuchlin et Geiler de Kaisersberg commencèrent dès quinze ans leurs
études à l'Université; Jean Spieshaimer, surnommé Cuspinianus,
faisait des cours à l'école supérieure de Vienne, sur Virgile, Horace,
Lucain, Salluste et Cicéron, n'ayant encore que dix-huit ans ^ Trois ans
après, il professait la philosophie, l'éloquence et les arts libéraux.
Dans sa vingt-septième année, il fut élu recteur de l'Université ^
On peut bien dire que depuis quinze siècles et demi on n'avait
jamais vu parmi nous une soif d'instruction plus ardente. De là venait
' Voy. KnvFFT, Mitthciluiigm^ p. 249-250.
^ Sur Pntken, voy. Pelz, p. 2', 117-119.
' \VF,Lzr\mcH, p. 124.
* MeLSFR, t. m, p. 88-90. — WlFPEMANN, p. 3-(j.
* Fiedler, p. 3. — .Aschbach, Wiener Universität, t. I, p. 358.
60 L'INSTHUCTION POPULAIRK ET LA SCIENCE-
cette application soutenue qu'on remarque même chez les tout jeunes
gens, et cette passion de savoir qui ne connaissait nul repos jusque
dans Textreme vieillesse.
A l'école comme dans la maison paternelle, régnait une discipline qui
convenait à tons égards à cette génération vigoureuse et rude; la verge
et le bâton gouvernaient. L'empereur Maximilieu lui-même reçut
dans sa jeunesse des coups bien appliqués de la main de son maître*,
et le margrave Albert de Brandebourg, dans un voyage qu'il fit
en 1474, annonçait à sa femme qu'aussitôt après son heureux
retour, il se proposait de - poivrer ■ ^ avec la verge, elle, son jeune
fils le petit Alberl, et les ■ demoiselles •.
Le sceau scolaire de la ville d'Hoxter, qui nous a été conservé,
montre bien le rôle imporlant que jouait alors la verge. Nous y
voyons un maitre d'école, revêtu d'une robe à larges plis, la tête
recouverte d'un bonnet rond; il est assis, et brandit une verge de sa
main droite levée. Un petit garçon est agenouillé devant lui; de sa
main gauche, le maître tient le menton de l'enfant et lui relève la
tète^ Dans bien des localités avait lieu annuellement, en été, la pro-
cession des verges. Conduite par ses maîtres, et accompagnée par la
moilié des habitants de la ville, la jeunesse des écoles se rendait au
bois pour faire elle-même la provision de verges destinées à ses
propres besoins. Une fois que cette provision était faite, la troupe,
dans un joyeux tumulte, s'ébattait dans la verdure, se paraît de cou-
ronnes printanières, se livrait à toutes sortes de jeux et d'exercices
gymnastiques; ensuite, les écoliers étaient régalés par les maîtres et
les parents. Chargés de l'instrument de leur supplice, ils rentraient
le soir dans la ville, parmi les chants et les rires. Une chanson com-
posée pour cette circonstance nous a été conservée :
Vous, nos pères, vous, nos bonnes petites mères,
Reäjardez, voici que nous rentrons
Chargés de bois de l)0uleau!
Il nous sera très-utile
Et nullement dommageable.
Votre volonté et Tordre de Dieu
Nous ont contraints de porter nous-mêmes en ce jour
Nos propres verges
Avec un joyeux courage*!
En dépit de l'effroi que pouvait causer aux enfants la verge ou
le bâton, une joie innocente, un esprit d'insouciante gaieté régnaient
' Voy. Erhvui), t. I!I, p. 429-i3î. — JIorwwiTZ, Xalionak Gesclùlschreibug,
p. 70-92. — AscHii.vcii, Wiener L'nirersiliii, t. II, p, 284-287.
- Voy. Zappekt, Gcspröchbüchlein, p. 224.
•* HÖFLER, Archiv, fur Kunde Oslerr. Gesckichlsqael'-cn, t. VII, p. 104.
* Kriegk, Burrjerthum, neue Folge, p. 68. — Voy. Falk, Schulen am Mitlelrhein, p. 51.
.lACQUES VVIMI'UKLIN«;. 61
dans les écoles. C'est cet esprit qui donna naissance aux nom-
breuses fë les scolaires, aux représcnfalions lliéàtralessi (rcqucnfes
alors', à la tète de saint (jréjjoire ou jeu de Tévôque, à celles du
carnaval, de saint André, de saint Nicolas, de Xoël *, fêtes qui dans
leur {jaielé franche et sp;intauée exerçaient une action si bienfaisante
sur la jeunesse, elluidontiaienl l'Iieureux sentiment du plaisir de vivre.
III
L'école florissante dirigée à Sciilestadt par Louis Dringenberp;, et
qu'on avait surnommée la • perle de l'Alsace ", avait une importance
encore plus grande que les établissements du Khin dont nous avons
déjà parlé. Elle tenait le premier rang en Allemagne parmi les écoles
où la lecture des classiques et les études historiques concernant l'his-
toire nationale étaient poursuivies avec le plus de zèle^ Elle comptait
souvent de sept à huit cents élèves*; et parmi ceux-ci, à côté d'un
Jean de Dalberg et d'un Geiler de Kaisersberg-, nous voyons appa-
raître le futur " instituteur de l'Allemagne ', Jacques Wimpheling^
Wimpheling naquit à Schlestadt en 1450. C'est une des plus
influentes et des plus attrayantes personnalités de la fin du moyen
âge. ]Non que son caractère fiU aussi bienveillant, irréprochable,
élevé au-dessus de tous les malentendus d'ici-bas que celui d'un Agri-
cola ou d'un Hégius; il était, au contraire, mordant et âpre dans la
discussion " , souvent imprudent dans ses paroles, et maladroitement
hardi dans ses sorties. Outre cela, s'il faut en croire ses propres
aveux sur lui-même, la maladie et l'excès de travail le rendaient de
temps en temps injuste et amer. Mais sa conduite noble et désin-
téressée, son infatigable activité comme professeur et écrivain, sa
constante et prompte bonne volonté pour le bien, lui avaient gagné les
cœurs de ses contemporains ^ Wimpheling n'était pas seulement un
savant, c'était aussi un publiciste; sa grande énergie morale, son
' Kriegk, p. 98-99. — Voy. la Germanie de Pfeiffer, t. F, p. 134. — Falk. Die
Schul und Kinder/este i)n Mitlclaller [Fraïii^fort, 1880j. — \ette.sheim, p. 145-157.
^ Voy. KuiEGK, Büigrrllium, t. I, p. 435-442.
' Id., Bürgerlhum, neue Folge, p. 93-94.
* Wimpheling, De arte impressoria, fol. 17.
'En 1517, l'école comptait neuf cents élèves. — Röukig, p. 207-209. —
Schreiber, t. I, p. 119-121. — Bader, Gcsch. der Stadt Freiburg, t. I, p. 530.
* GoEDECKE, Narrenhcscilicörung, t. MI-XIV.
' Sur Wimphelinfï, voy. les travaux de Wiskowatoff et de Schwarz , puis Auf-
satz in den Hialor, t'ont. Blattern, t.LXl , p. 593-613.
62 L'INSTRUCT I0\ POPULAIRE KT LA SCIENCE.
incorruptible amour de la vérité, son noble esprit de patriotisme
le rendaient particulièrement propre à populariser la science, cbo-e
dont jusque-là on s'était encore peu soucié. Son savoir, comme ses
facultés littéraires, furent uniquement consacrés à son propre per-
fectionnement, à l'élévation de l'esprit national dans toutes les classes
du peuple, à la réforme des abus ecclésiastiques et à la gloire de son
pays. " A quoi bon tous les livres, écrit-il, à quoi bon les plus
savants ouvrages, les plus profondes recherches, s'ils ne servent qu'à
flatter la vanité de leurs auteurs, et ne font, ni ne veulent faire pro-
gresser le bien général? Une science si aride, si inutile, si nuisible,
venue de l'orgueil et de l'égoisme, ne peut que produire une pré-
somption coupable et que fomenter toutes les mauvaises inclina-
tions et toutes les passions impures. Si ces sentiments dominent dans
l'âme d'un auteur, sesécritsne sauraient exercer uneboune influence. >■■
" A quoi toute notre science peut-elle nous servir «, demande-t-il à
un autre endroit, - si nous n'avons pas les nobles intentions qui y
correspondent? A quoi bon tout notre travail, s'il ne nous conduit à
la piété; toute notre science, si elle ne nous donne l'amour du pro-
chain; toutes nos lumières, si nous ne devenons humbles? Pourquoi
l'étude assidue, si elle ne nous remplit d'urbanité? "
La meilleure manière, selon lui, d'atteindre les résultats les plus
pratiques et les plus utiles, c'est de se vouer à l'instruction; car
c'est de la meilleure éducation de la jeunesse que doit sortir la vraie
réforme, non-seulement celle de l'Église, mais encore celle de
l'ordre légal dans la société et dans la famille. Le véritable fon-
dement de notre religion >^, écrivait-il en dédiant à son ami le
prévôt du chapitre de Spire, Georges de Gemmingen, l'un de ses
écrits pédagogiques, '■ le soutien de toute vie honorable, l'ornement
de toute condition, la prospérité de la chose publique, la connais-
sance solide de la doctrine sacrée, la victoire assurée sur l'impureté
et les passions, tout cela repose sur une éducation bien entendue, à
laquelle on a su apporter des soins intelligents. »
Aussi la formation de la jeunesse était-elle le souci dominant de sa
vie; si Hégius, dont il ne prononçait le nom qu'avec vénération, fut
le plus grand pédagogue allemand de son siècle, Wirapheling fut le
plus parfait des écrivains pédagogiques de l'époque et l'un des plus
excellents promoteurs d'un enseignement perfectionné, basé sur une
manière essentiellement chrétienne d'envisager le monde et la vie.
Aussi Reuchlin l'appelait-il « une colonne de notre religion ;, et
après sa mort, Beatus Rhenanus, faisant son éloge, disait de lui :
« AVimpheling, en aimant, encourageant et protégeant l'éducation
de la jeunesse, a travaillé plus que personne en Allemagne au progrès
de la science. ^ A l'exemple d'.i^^neas Sylvius, qui avant son élévation
PRINCIPES DK LA PJ: DA GO ME A CETTE EPOQUE. CS
au (rône papal exerça une si féconde influence sur la vie inlellectuelle
de son pays, N\'ini|)lielin[j chercha |)arficnlicrcnient à rendre la
noblesse et les princes capables d'une uoi>le culture, et s'efl'orça de
les [jagner à l'amour des éludes classicjues récemment remises en
honneur '.
Parmi ses écrits pédagogiques (dont trente mille exemplaires envi-
ron furent imprimés antérieurement à J.j17j, il en est deux qui sont
du j)lus haut intérêt. Dans le premier, intitulé Guide de la jeunesse
(.''Alkmfujnc (1 iîJ7), Wnnpheliug démontre avec une claire évidence
les vices des méthodes d'enseignement autrefois employées; il prouve
comment, par un système plus rationnel, on peut enseigner la jeu-
nesse d'une façon plus rapide et plus intelligible. Puis il donne un
grand nombre de précieuses règles et d'excellents principes pour
l'enseignement pratique des langues anciennes. L'auteur ne traite
pas seulement de l'instruction, il s'étend sur tout ce qui concerne
l'école, et parle môme de la personne du maître. Son ouvrage nous
offre la première méthode rationnelle de pédagogie qui nous ait été
donnée - : c'est une œuvre vraiment nationale, et qui mérite d'être
saluée par tous les temps avec reconnaissance et respect *. Quant
au second ouvrage pédagogique et moral de Wimpheling, la Jeu-
nesse (1500), il appartient au petit nombre de livres qui font époque
dans l'histoire de l'humanité *.
Les maîtres et pédagogues de ce temps, dans leurs efforts en
faveur de l'enseignement, partaient de ce principe qu'il ne suffit pas
de développer les aptitudes et les capacités de l'enfant; qu'il faut
avant fout les ennoblir et les perfectionner. Ils s'efforçaient
d'inspirer à la jeunesse qui leur était confiée le goût et l'amour de
l'étude, l'habitude du travail personnel, et prétendaient l'élever pour
la vie et pour les devoirs qu'elle comporte. Ils employaient toutes les
ressources de leur intelligence, toute la chaleur de leur conviction,
à les initier aux chefs-d'œuvre grecs et latins; mais ils cherchaient
en même temps à ne pas séparer dans l'esprit de leurs élèves l'admi-
ration pour la beauté de la forme du sens intérieur et profond de la
pensée. L'étude des langues, dans leur manière de voir, ne devait pas
avoir uniquement pour but la connaissance du latin et du grec; selon
les paroles de Wimpheling, les langues devaient servir d'instrument
de culture intellectuelle, et l'élève devait, par leur secours, s'exercer
à penser avec force. Nos anciens maîtres voyaient dans les humanités
' Voy. sa lettre à Frédéric de Dalberg daus VN'iskowatoff, p. 79.
*Poiir plus de détails, voy. Schwarz, p. 122-151.
s Id., Sebasl. BranC. p. 353.
* Zaencke, p. xn. — Voy. Schwarz, p. 153-164.
64 L'INSTHUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
une sorîe de gymnastique propre à former l'indépendance du juge-
ment. Avec une sage prudence, ils évitaient d'introduire dans leurs
écoles une trop grande variété dans les sujets d'enseignement. Après
l'étude solide de la religion et les soins apportés au développement
de la vie chrétienne, ils se proposaient surtout de donner à leurs élèves
une connaissance approfondie de l'antiquité classique. Le peu de
notions de fond dont on s'occupait n'était abordé qu'avec une
extrême réserve, en passant, et comme étude accessoire. Aussi les
maitres de ces établissements réussissaient-ils à donnera leurs élèves
des connaissances bien reliées les unes aux autres et formant un
ensemble complet'.
Dans le sud de l'Allemagne, l'éducation scolaire suivit le même
mouvement que celui qui s'était produit dans les Pays-Bas, la VVest-
phalie et les pays rhénans. Elle s'y développa et y fleurit peu à peu
pendant les dernières années du ({uinzième siècle : JNuremberg et
Augsbourg étaient sous ce rapport les centres intellectuels les plus
remarquables. Au commencement du seizième siècle, il y avait à
Nuremberg quatre collèges latins qui, par les soins du savant prati-
cien Willibald Pirkheimer et du prévôt .lean Kress, étaient en état
de donner une éducation excellente sous plus d'un rapport. Une école
de poésie s'cfablit même à Nuremberg; la direction en fut confiée à
.lean Cocléus (1515). Ce même Cocléus entretenait des rapports ami-
caux et littéraires avec Kreiss et Pirkheimer, et composa plusieurs
livres d'enseignement, entre autres une grammaire latine souvent
rééditée et très-appréciée des maitres les plus savants d'alors pour
sa clarté et sa précision. Il composa aussi un abrégé de la géographie
mathématique de Pomponius Mêla, et un commentaire sur la météo-
rologie d'Aristote, sur les travaux duquel il établissait les fonde-
ments de l'enseignement de l'histoire naturelle et de la physique ^.
On peut à peine nommer une grande ville en Allemagne à cette
époque (si l'on en excepte les villes du duché de Brandebourg) qui
n'ait vu se fonder ou s'améliorer une école supérieure à côté de se.<
écoles élémentaires '.
La haute direction des écoles des villes était généralement confiée
aux autorités municipales; mais tous les établissements d'enseignement
étaient en même temps étroitement unis à l'Église, non-seulement
parce que la plupart des maitres appartenaient à l'état ecclésiastique,
mais encore parce que l'inspection des collèges était, ou laissée, ou
' Sur les écoles supérieures d'alors, voy. Heidemann, p. 4-7. — Paculter,
ilherblick über das Gymnasium bis tum Beginne des sechzehnten Jahrhwiderts , 1879,
p. 359-384.
*Otto, p. 12-44.
^ Érasme à J. E. Vives, Opera, III, p. 689. — Voy. Kirchuoff, I, 49,
FEMMES LETTi; i:tS. 65
formellement attribuée au cler{}C. un budget spécial pour les écoles
n'existait pas plus alors que des fonds particuliers pour les indijjents.
Ceux mêmes des établissements scolaires qui se trouvaient sous la
direclion immédiate des municipalités étaient entretenus par des
fonds particuliers, par larétribulionqu'apportait chaque élève, et par
les le{js en leur faveur qui se renouvelaient perpétuellement; car
Tinsfrucfion de la jeunesse comptait parmi les œuvres de miséri-
corde, e(, obéissant pieusement à l'enseignement de l'Église sur le
mérite des bonnes œuvres, les fidèles s'empressaient de faire de
riches donations aux écoles.
Des bibliothèques se fondaient dans le même esprit : ainsi, par
exemple, nous voyons un maître charpentier de Xanten, nommé
Mathieu Ilolthof, abandonner sa maison et un jardin à une associa-
tion de Frères, afin < qu'avec l'argent qu'on en retirera, on achète de
bons livres chrétiens qui puissent être utiles aux âmes des lecteurs;
et les lecteurs doivent prier pour la pauvre âme du donateur ' » (1485).
un potier d'étain de Francfort-sur-le-Mein donne également la somme
alors importante de .335 florins d'or pour la bibliothèque du cloître
des Carmes, « afin que cette bibliothèque contribue à la gloire de Dieu,
de .sa sainte Mère, à l'utilité de tous, et que les livres soient conservés
avec honneur ^ (1477). C'est à un autre bourgeois de Francfort que
sont dus les commencements de la bibliothèque de la ville (1484) ^
A Ulm, dès 1450, une famille bourgeoise ouvre au public une biblio-
thèque, probablement la première de ce genre qui ait existé en Alle-
magne'.
Après le clergé, c'est la bourgeoisie qui devient le véritable sou-
tien de la culture intellectuelle; mais la noblesse aussi prend part
avec joie à la renaissance de la vie de la pensée. Plusieurs des hommes
les plus influents d'alors, Maurice de Spiegelberg:, Rodolphe de
Langen, Jean de Dalberg, appartenaient à l'aristocratie. Huit ou neuf
membres d'une même famille de gentilshommes obtinrent, à Pavie
ou à Padoue, le bonnet de docteur *. A l'Université d'Erfurt, on
compte, pendant le quinzième siècle, vingt recteurs appartenant à
la noblesse ^
Le mouvement intellectuel eut aussi son écho dans le monde
' Pelz, 2a, 19.
- Kriegk, Bürqirlhiimncue Folge, 66, et Geschichte Prancfurts, p. 167.
' .Iager, Schwäbisches SUidtcicesen , t. I, p. 591. — Serapcum, t. V, p. 193. —
Hassler, p. lil. — Falk, Histor. pol. Blätter, p. 77, 306. — Sur la bibliothèque
paroissiale de Saint-Jacques à Brunn, voy. Serapeum, t. XI, p. 382. — Falk, Hist.
Jahrbuch der Görres Gesellschaft, t. I, p. 297-304 (Â.'unster, 1880,!.
* Stôlzel, t. I, p. 56.
^ Hampschulte, t. I, p. 24.
5
66 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
féminin; surtout dans le pays du Rhin et dans T Allemagne du Sud,
le nombre des femmes qui s'adonneut aux sciences est assez consi-
dérable. Butzbach, dans l'ouvra^je liitéraire resté inédit qu'il com-
posa en 1.50.3, cite parmi les femmes les plus accomplies de son
temps Gertrude de Coblentz, maîtresse des novices au couvent des
Augustines de Wallenda, jeune fille de grande capacité, très-cul-
tivée, aussi distinguée par sa piété que par la connaissance qu'elle
avait acquise des saintes Écritures. 11 nomme encore Christine de
Leyen, religieuse augustine à Marienthal, et Barbara de Dalberg, reli-
gieuse bénédictine à Marienberg et nièce de l'évêque de Worms';
elle a laissé plusieurs écrits de sa composition. Butzbach dédie son
livre à Aleydis Kaiskop, Bénédictine à Rolandswerth (t 1507), très-
célèbre par sa connaissance des classiques de l'antiquité. 11 la com-
pare à Roswitha, à Hildegarde et à Elisabeth de Schönau. Aleydis
écrivit sept homélies latines sur saint Paul, et traduisit en allemand un
livre latin sur la sainte Messe. A la même époque, et dans le même cou-
vent, vivait Gertrude de Biichel, ;< très-experte dans les beaux-arts •,
et à laquelle Butzbach dédia un ouvrage sur les peintres célèbres-.
Au monastère de Seebach, près de Durkheim, l'abbesse Richemonde
von der Horst entretenait avec Trithème une correspondance en latin
sur des sujets spirituels, et Butzbach en fait l'éloge comme l'auteur
de divers écrits ^ Parlant de la religieuse Ursule Cantor, il assure
qu'elle n'a eu son égale dans aucun temps '', et vante ses connais-
sances théologiques, son goût pour les belles-lettres et sou talent de
bien dire. Une autre femme très-distinguée par son esprit, et celle-là
restée dans le monde, c'est Marguerite de Staffel (f 1471;, femme
du vicomte du Rheingau Adam d'Allendorf. Comme la duchesse
Hedwige de Souabe, elle lisait avec son chapelain les anciens clas-
siques dans l'original, composait de petites poésies latines, des
morceaux en prose, et aussi des poésies allemandes. On dit qu'elle
mit en rimes, non sans verve poétique, une vie de saint Bernard et
de sainte Hildegarden Catherine d'Ostheim appartient aussi au
quinzième siècle; elle avait de grandes connaissances historiques, et
composa un abrégé delà Chronique de Limbourg, qu'elle continua".
Parmi les femmes lettrées de rAllemague du Sud, l'abbesse de
' Voy. Beckei\, p. 268-269.
- Voy. Floss, Das Kloster Rolandsicerth bei Bonn (Colonfue, 1868. p. 20, 26, 70,
74, 102;. — Voy. aussi sur le couvent de Lune, Grlbe, p. 250.
' Trithem. Chron. Sjwnh., p. 412. — Episl. famil., p. 445, 455, 464, 476, 499, 502,
503. — Voy. Remling, Klöster in Rheinbaiern, t. I, p. 173. — SilbekNaGEL, p. 95 240.
^ Voy. sur ce point Krafft et Crecelils, t. VII, p. 224-225, 275. — Becker,
p. 270. — Sur Ursule, cous, la Colner cluonik, Chroniken der Deutschen Städte, t. XIV»
p. 877.
^ Voy. BODMANN, Rhein g aui sehe AUerthümcr, p. 298, 552. — Falk, p. 653,
" Kriegr, Bürgerthum neue Folge, p. 77,
FEMMES LETTREES. 67
Nuremberg, Charité Pirklieimer, brille au premier rang, par sa
science autant que par sa noblesse d'Ame. Ses lettres et ses souve-
nirs témoignent liaulemiuit de sa piété pure, de son esprit élevé, de
son noble caractère. " Tous ceux qui dépassent les autres par leur
inlelligence ou leur rang, écrivait le légiste Christophe Scheurl,
admirent Tesprit pénétrant, la science, l'élévation d'ûme del'abbesse
Charité '. »
Clara Pirkheimer, religieuse comme sa sœur au couvent de Sainte-
Claire, était également remarquable par sa piété et par la culture de
son esprit. Les savants de l'époque parlent des deux sœurs avec une
sorte d'orgueil patrioticpie.
Après elles, il faut encore citer la religieuse Clarisse ApoUonia
Tücher, que Christophe Scheurl appelle « la couronne de son cou-
vent, l'amie de tout ce qui touche le culte de Dieu, le miroir de la
vertu, l'exemple et le modèle de ses sœurs ". Apollonia était nièce
du juriste de Nuremberg, Sixte Tücher, qui fut longtemps l'orgueil
de l'Université d'Ingolstadt et fit preuve de grande capacité pour
les affaires en qualité déconseiller intime du Pape et de l'Empereur.
Il était prévôt de Saint-Laurent de Nuremberg depuis 1497; c'était
le modèle de la ville par sa conduite sans tache comme prêtre, autant
que par sa bienfaisance envers les malheureux. Les lettres d'édifica-
tion et de dévotion qu'il écrivit à Apollonia et à sa plus intime amie
Charité Pirkheimer, charment le lecteur par leur élévation et leur
profondeur. Cette correspondance est un touchant monument du
véritable humanisme chrétien, qui ne sépare pas la science de la foi,
le savoir de la religion, et qui, pour combattre l'orgueil de l'esprit,
prend pour devise et pratique fidèlement la belle parole de Trithème :
" Savoir, c'est aimer. » Sixte encourage ses amies à l'étude assidue,
et ne cache pas son étonnement joyeux en constatant « les aptitudes
merveilleuses, les dons intellectuels des femmes ». Mais, ajoute-t-il
dans une lettre toute paternelle adressée à Charité, « je ne veux pas
que tu recherches par ton savoir une vaine louange, mais bien que tu
l'attribues à Celui-là seul de qui découle tout don parfait. Emploie le
talent qu'il t'a donné pour sa gloire, l'utilité de tes sœurs et ton
propre salut; mais n'oublie jamais la parole d'or de l'Apôtre : « Non
« la science, mais la charité est utile à l'homme *. »
Véronique Weiser, la savante prieure d'Augsbourg (pour laquelle
les deux Holbein composèrent, l'un son plus beau, et l'autre son
' Voy. sur Charité le tome I! de cet ouvrage, p. 352-364.
-Pour plus de détail sur Charité et son cercle, voy. Binder, p. 1-101. —
Voy. dans la notice sur Barliara Furerin, abbesse de Gnadenberg, une jolie
esquisse de la vie des couvents au quinzième siècle, dans les Hist. pol. Blatter,
t. XLIX, p 5.33-553.
68 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
premier tableau '), et Marguerite Weiser, fidèle associée des travaux
scientifiques de son mari, Conrad Peutinger, le célèbre humaniste,
étaient les dignes émules des femmes que nous venons de citer.
Parmi les princesses allemandes, Mathilde, fille du comte palatin
Louis m, était célèbre par son goût éclairé pour les sciences et les
arts. Elle avait réuni une collection des anciennes poésies du temps
des Minnesinger, composée de quatre-vingt-quatorze pièces; prenait
plaisir aux vieux chants populaires et faisait versifier de nouvelles
chansons sur d'anciennes mélodies*. C'est encouragé par elle que
le chancelier Nicolas de Wyle entreprit ses traductions', et grâce à
l'impulsion qu'elle sut donner, son second mari, l'archiduc Albert
d'Autriche, fonda l'Université de Fribourg, et le fils de son premier
mariage, le comte Ebrard de Wurtemberg, l'Université de Tubingue.
' NOLTMANN. t. I, p. 150.
* D'après une notice écrite par J. von Görres, Codex saec. xv.
' Voy. Kürz, Xiclasens ron Wyle, p. 10. ^ — Muller, Anzeiger für Kunde der Deulschoi
Vorzeit, 1879, p. 1-7. — Stalin, t. IIF, p. 758, 763. - Hist. pol. Bialter, 79, 129.
CHAPITRE IV
LES UNIVERSITÉS ET AUTRES CENTRES INTELLECTUELS.
Tous les humanistes dont nous venons d'énumérer les travaux,
professeurs ou écrivains, poursuivaient un but élevé : ils se propo-
saient de mettre à la portée de tout le monde l'insl motion et la cul-
ture intellectuelle, et d'exercer une action féconde, vivifiante, réfor-
matrice, sous le rapport social comme au point de vue de l'Église, par
l'éducation de la jeunesse et le progrès de la science. C'est la même
fin que voulaient aussi atteindre les Universités, ces foyers d'instruc-
tion, d'universel savoir, qui dans aucun temps de l'histoire d'Alle-
magne ne prirent un développement comparable à celui de cette
époque et ne furent l'objet de plus d'enthousiasme, de plus d'efforts
généreux et désintéressés; leur extension, leur importance grandis-
santes manifestent hautement le profond besoin d'instruction qui
s'était emparé de toutes 'les classes, et témoignent du respect et de
l'amour dont les sciences étaient partout l'objet. Les fondations faites
en faveur de ces hautes écoles du savoir sont très-nombreuses, et
dues à des hommes de toutes conditions : ecclésiastiques du haut et
bas clergé, princes, nobles, bourgeois, paysans. Les legs destinés
aux étudiants pauvres sont innombrables; on voulait qu'ils pussent
se procurer aussi bien que les riches les bénéfices de la culture et
de l'instruction.
Tandis que les hautes écoles, déjà existantes, de Prague, Vienne,
Heidelberg, Cologne, Erfurt, Leipzig et Rostock étaient dans une
période d'épanouissement fécond, neuf Universités nouvelles se fon-
daient en Allemagne en l'espace de cinquante ans : celles de Greifs-
walde (1450), de Bâle et de Fribourg (1460), d'Ingolstadt (1472), de
Trêves' (1473), de Tubingen et de Mayence (1477), de Wittenberg
(1502) et de Francfort-sur-l'Oder (1506)*. Ces Universités n'étaient
' Voy. Maux. t. II. p. 459 et 470.
* Pour plus de détails voyez Paulsen, p. 258-281.
70 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
pas seulement destinées à la bourgeoisie; elles servaient aussi au
clergé, lui tenaient lieu d'écoles d'enseignement supérieur, et
aidaient à la défense et à la propagation de la foi; aussi tous leurs
anciens tifres de fondation (à l'exception de l'université de Wit-
tenberg ') dérivent-ils des papes. Ce n'était cju'en vertu du pouvoir
papal qu'elles entraient dans la pleine jouissance de leurs droits, dans
le cercle de leur activité, et seulement après avoir reçu la sanction
papale, elles étaient reconnues comme autorités ecclésiastiques et
comptées parmi les corps les plus élevés de l'état social chrétien.
Toute leur organisation portait l'empreinte ecclésiastique*.
Voici ce qu'on enseignait alors : Il y a deux ordres de sciences :
l'ordre naturel, auquel se rattachent toutes les choses que la raison
peut atteindre, et l'ordre surnaturel, qui embrasse toutes les vérités
de la révélation. Or, ces deux ordres de connaissances doivent avoir
leur place dans les hautes écoles. L'Église est une vivante unité et
embrasse l'homme tout entier : la science, à son tour, doit tendre à
l'unité vivante, au centre de toute vie supérieure, et doit être ramenée
à Dieu, l'éternelle source d'où elle est sortie. Aucun disciple de la
science ne doit désirer servir ses intérêts propres. Nulle science ne
doit être considérée comme étant à elle-même son propre but, et l'on
ne doit point lui dresser d'autels où elle soit adorée pour elle-même.
Les sciences doivent être mises au service de la vérité dans le sanc-
tuaire de la foi. Là où commencent l'orgueil et la présomption témé-
raires, aucune d'elles ne peut plus porter de fruits. On comparait les
quatre branches de la science : théologie, philosophie, droit et méde-
cine, aux quatre fleuves du paradis terrestre, chargés par Dieu de
répandre l'abondance et la bénédiction du Seigneur dans tous les
pays de la terre, pour la joie de toutes les générations et pour la
gloire du Tout-Puissant K Cet esprit inspirait l'archiduc Albert
d'Autriche, lorsque dans les lettres de fondation de la haute école de
Fribourg, il appelle les universités " les fontaines de vie où l'on vient
puiser de toutes les parties du monde l'eau vive et intarissable d'une
sagesse consolatrice et guérissante, l'eau qui éteint les funestes effets
de l'ignorance et de l'aveuglement des hommes ». C'est encore dans
le même esprit que le duc Louis de Bavière disait en ouvrant l'Uni-
versité d'Ingolstadt : « Parmi les joies que la grâce de Dieu a per-
mises à l'homme dans cette vie fragile, l'instruction et l'art sont au
premier rang. Grâce à eux, en effet, le chemin qui mène à une bonne
et sainte vie nous est tracé; l'intelligence humaine est éclairée dans
le vrai savoir, dans les choses louables et dans les bonnes mœurs; la
' Voy. Raumer, Universiiiiten, p. 13-14.
' Voy. Paulsen, p. -282-404.
' Voy. Ki>K, t. I, p. 125-130.
SERVICES l! EN DUS PAU LE C L E HO É AUX UNIVERSITÉS. TI
foi chrétienne est angmcutée, le droi) et l'intérêt commun ont un
ferme foiuleincnt. - ■< Je pense, disnil Kbrnrcl de Wurlemberj; dans
les lettres de f'ond.Wion de ri'Uiversilé de 'J'til)iii[;eii, qne je ne j)nis
rien faire de plus utile, pour obtenir mon salut éternel et êtreajjréable
à Dieu, que de veiller avec une appliealion particulière et zélée à ce
que les jeiiiics [jeiis bons el studieux soient insiruils dans les beaux-
arts et les sciences, et mis ainsi en état de bien connaître Dieu, de ne
glorifier que lui et de le servir uniquement '. » Le pape Pic II a
très-bien défini le bn( suprême de la science dans la bulle de fonda-
tion de rCniversilé de Bàle. « II faut, dit-il, mettre an ranj^j des Joies
les meilleures accordées à Tliomme mortel dans cette vie périssable
Télude assidue, qui nous met en mesure de posséder la perle de la
science, nous monire la voie d'une vie bonne et heureuse, et par son
excellence rend l'homme instruit de beaucoup supérieur à l'homme
i[',norant. De plus, l'étude établit une ressemblance entre Dieu et
l'homme, et nous fait connaître clairement les mystères du monde :
elle vient en aide à l'ij^norant, elle élève an rang le plus haut
ceux qui étaient nés dans le plus extrême abaissement. C'est pour-
quoi, continue le Saint-Père, le Siège apostolique a constamment
encouragé les sciences; il leur a préparé des asiles auxquels il
s'est plu à accorder des secours utiles au temps nécessaire , afin que
les hommes soient plus facilement attirés à la recherche de la science,
ce bien si précieux pour l'humanité, et qu'ils puissent en faire part
à d'autres lorsqu'ils l'auront obtenu. C'est, dit-il, son ardent désir,
qu'une fontaine de science toujours jaillissante soit ouverte à Dàle,
et que tous ceux qui désirent se consacrer à l'étude de la sainte
Ecriture puissent venir puiser dans cette abondante source, " Plu-
sieurs années auparavant, le Pape avait écrit au duc Louis de Bavière :
« Le siège apostolique souhaite que la science soit répandue le plus
possible, car elle seule, tandis que les autres trésors diminuent
dans la mesure où on les partage, s'accroît et augmente d'autant
plus que plus de personnes y participent *. > L'histoire de toutes les
universités témoigne de l'empressement que mit une grande partie
du clergé à répondre aux encouragements ainsi donnés par le Pape.
On trouve à Bâle, parmi les noms des douze cents étudiants que
l'école supérieure comptait dix ans après son inauguration, un
grand nombre d'ecclésiastiques, hauts dignitaires, prévôts, doyens,
chanoines de grands et de petits chapitres ou appartenant à des
églises épiscopales et archiépiscopales '. A Fribourg, un an seule-
' Voy. Raumer, p. 8-9. — Schueiber, t. I, p. 49. — Schneider, Eberhard im Bart,
p. 63-64.
^ ViscHER, p. 26-27. — Prantl. t. I, p. 13.
3 Voy. ViscHER, t. XXXVII, p. 256, 258.
72 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
ment après rouverture de rUniversité, la plupart des 234 étudiants
immatriculés appartiennent à Tétat ecclésiastique '. Le nombre rela-
tivement grand des étudiants venus des villes qui étaient le siège de
cha|)itres, d'évéchés et de cloîtres, prouve, si on le compare à celui
des étudiants des autres villes, que beaucoup d'élèves des établisse-
ments ecclésiastiques participaient aux étudesdes Universités-. C'était
aussi le clergé qui contribuait le plus à fournir les sommes néces-
saires à l'entretien des écoles supérieures; les papes surtout, de di-
verses manières, par exemple par des rentes, des prébendes, des
intérêts pris sur le revenu du clergé, assuraient l'existence de beau-
coup de ces établissements. L'Université d'Ingolstadt, grâce au bon
vouloir du Pape et à l'appui du clergé, reçut une dotation qui, selon
la valeur actuelle de l'argent, peut être estimée à 50,000 florins de
revenu ».
Les Universités du moyen âge appartiennent aux créations les
plus grandioses de l'esprit chrétien. Il s'y manifeste avec éclat, dans
toute la fraîcheur et la vigueur de la jeunesse. Elles furent les organes
de la haute culture scientifique, le plus puissant levier de son déve-
loppement ultérieur, le point central auquel se rattachait la vie
intellectuelle de la nation.
En même temps, elles étaient, comme dit Wimpheling, ^ les filles
privilégiées et bien-aimées de l'Église, et s'efforçaient, par leur
fidélité et leur attachement, de rendre à leur mère ce qu'elles lui
devaient ^ " .
De là résulte un double fait : les Universités, aussi longtemps que
leur union à l'Église et à la foi ne subit aucune atteinte, parvinrent
à leur plus haut point de splendeur; et lorsque vint la scission de
l'Église, presque toutes, Wittenberg et Erfurt exceptées, restèrent
fidèles au siège apostolique. Constituées en corps sociaux indé-
pendants, revêtues d'un caractère ecclésiastique et corporatif, elles
n'adoptèrent les doctrines nouvelles que lorsqu'on eut empiété sur
' Schreiber, t. I, p. 30-31. — Falk, H,st. pol. Blätter, t. LXXVIII, p. 923-928.
— Voy, WiNTEU, Die cistcrciensrr, t. III, p. 48-83. — VOV. MuCK, Kloster Hcilsbronn,
t I, p. 232.
* Voy. Stolzel, t. I, p. 131-134. — P.\llsen, p. 309-310.
2 Voy. Prantl, t. I, p. 19. — La chaire apostolique faisait tous ses efforts
pour donner de l'éclat aux Iniversités. Tous les savants modernes, même
parmi les adversaires de la papauté, avouent que les papes ont été ^ les pre-
miers et les plus grands i)ieniaiteurs et protecteurs des L'uiversités »- Voy.
IIautz, p. 42-44. — MeimjîS. Gcsc/uchte der Hohen Schulen, t. II, p. 8- — RauMER,
p. 10. — Pour ce qui concerne Tübingen, voy. Staliv, t. III, p. 770-772. — Pour
Rostock, voy. Kuabb, p. 162-165. — Pour Cologne, voy. Ennen. t. 111, p. 871. —
Voyez aussi les pièces justiticatives dans le second volume de VHisi. de l'Univer-
sité de Grei/aualde, 1856.
* I)e arte inipressoria, p. 19.
ORGANISATION DES UNIVERSITES. 73
leur libellé, et qu'elles lurent descendues au simple rang d'établis-
sements d'ÉIat.
Les Iniversilés du moyen ügc étaient des corporations libres,
indé|)endan(es. La raison de leur succès, c'était la liberté sans entraves
dont elles disposaient, liberté d'apprendre comme liberté d'ensei-
gner. Indépendantes les unes des autres, indépendantes de l'Etat, elles
se développèrent dans une émulation mutuelle, animée et féconde. De
même que dans les diverses corporations de métiers, maîtres et com-
pagnons formaient un parfait ensemble, une association libre de toute
influence exiérieure, ayant ses propres lois et ses intérêts séparés; de
même, les hautes écoles avaient le droit de s'organiser a leur guise :
elles se complétaient l'une par l'autre, et, fidèles à l'idéal de toute
science vraiment libre, se composaient de membres jouissant des
mêmes droits. Elles avaient le pouvoir presque illimité de faire
des lois et de se donner à elles-mêmes leurs statuts '. Leurs mem-
bres n'étaient soumis qu'à leur propre juridiction, et leur invio-
labilité était assurée. Elles ne payaient ni contributions ni droits, et
jouissaient de beaucoup de privilèges par lesquels leur rang, leur
importance intellectuelle étaient honorés et reconnus. Dans presque
toutes les Universités, la concurrence entre les professeurs était par-
faitement libre, et le droit d'cnseigiier donné à tout docteur exciîait
une émulation féconde entre étudiants et professeurs*. Au moyen âge
' « Nul prince, nui chancelier n'a rien à voir dans nos privilèges et nos
libertés», disait ,Iean Rone, professeur à l'Université de Leipzig dans un dis-
cours public prononcé en présence du duc de Saxe (1445). " L'Université se gou-
verne elle-méuie, elle change et améliore elle-même ses statuts selon ses
besoins. ' Voy. Zvrncke, Doc, p. 723.
^ Paulsen dit tros-justenient, en parlant de laposition faite au moyen âge
aux jeunes gens qui voulaient se vouer à la science ; « Autrefois, la jeunesse
pauvre ne connaissait pas les tourments d'amour-propre des temps actuels. Le
manque de fortune n'était pas une cause de défaveur. Au contraire, bien des
mains étaient tendues pour venir en aide à l'étudiant sans ressource. Danstousles
établissements ecclésiastiques, c'est-à-dire dans tontes les maisons d'enseigne-
ment, collégiales, écoles monastiques, gymnases, universités, les pauvres jouis-
saient, comme disent les statuts de Vienne, du privilège '< du bon vouloir ». On
les admettait gratuitement, aussi bien à l'immatriculation qu'aux cours et aux
promotions. Une multitude de fondations, de dons étaient faits en faveur des
jeunes gens sans ressource. Outre cela, dans les écoles secondaires, la men-
dicité passait pour un moyen réglementaire de subvenir aux dépenses, et elle
n'était pas tout à fait exclue des Universités. Comment la mendicité aurait-elle
nui à l'honneur de ces sociétés qui recevaient dans leur sein tant de meml)res
des Ordres mendiants, oijiigés par devoir d'état à demander l'aumône? Dans
la pensée de l'Église, très-conforme, du reste, à celle de l'Évangile, la richesse
et le bien-être semblaient bien plus dangereux pour la vocation que la pauvreté
et la mendicilè. Tout étudiant pauvre, était donc libre de gagner sa vie en se
mettant au service des autres. Très-fréquemment, les savants recevaient les
services personnels de ces jeunes gens sans ressource. Le travail des mains ne
passait nullement pour déshonorant au moyen âge, et les écoliers ne se trou-
vaient pas plus humiliés de remplir auprès de leurs maîtres l'office de ser-
viteurs, que le page ne croyait s'abaisser en servant son seigneur. Cet état de
74 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
comme dans raiitiquité, on avait coutume de prolonger souvent le
temps des études jusque bien avant dans la vie, de sorte que les uni-
versités n'étaient pas uniquement fréquentées par les jeunes gens;
on y voyait des hommes déjà considérés, revêtus de hautes dignités;
abbés, prévôts, chanoines, princes s'y trouvaient souvent en grand
nombre, et ce qui était encore plus remarquable, le rang de profes-
seur et d'étudiant n'était pas essentiellement distinct, surtout dans
la Faculté de philosophie (ordinairement appelée Faculté des artistes).
Cette Faculté se composait de différentes classes, représentant des
degrés divers de culture; leurs membres s'instruisaient mutuellement
les uns les autres, de sorte qu'un étudiant, devenu déjà homme fait
et professeur dans l'une de ces classes, était en même temps élève
dans la Faculté supérieure'. Cet état de choses donnait au profes-
sorat une émulation vive, animée et jeune; aux étudiants une dignité,
une influence dont on retrouve parfois la trace dans les constitu-
tions des Universités. Qu'on ajoute à cela le caractère international
qu'avaient alors les hautes écoles; car, entre les savants de toute
l'Europe civilisée, un continuel courant était établi; d'incessants
voyages, de fréquents échanges intellectuels mettaient en rapport les
hommes distingués de tous les pays. La culture de l'esprit recevait
ainsi une vie, un développement toujours nouveau, et les esprits vrai-
ment remarquables, sortis des limites étroites de leur patrie, voyaient
leur savoir devenir comme le trésor commun de tous ceux qui dési-
raient acquérir la science -.
Grâce à ce caractère international, les Universités étaient consi-
dérées comme appartenant non à un pays, non à un peuple, mais au
monde cultivé tout entier, et devenaient d'universels foyers de cul-
ture. Combien l'émulation des étudiants devait être stimulée, lorsque,
comme cela eut lieu à Cologne, non-seulement des Allemands venus
de tous les points de la patrie, mais encore des jeunes gens avides
d'apprendre, accourus d'Ecosse, de Suède, de Danemark, de Norvège
et de Livonie, étaient assis côte à côte dans les salles de cours, et
briguaient ensemble les honneurs académiques! L'école supérieure
d'Ingolstadt, par exemple, dès les dix premières années de sa fonda-
lion, une des plus importantes Universités de l'Allemagne, attirait
d'Italie, de France, d'Angleterre, d'Espagne, de Hongrie et de
Pologne un grand nombre d'étudiants; Rostock, après la fondation
de l'Université d'Upsal (1477) et de Copenhague (1479), fut considéré
choses rendait possible le recrutement du clergé dans la masse du peuple; il
n'y avait dans les universités et les écoles latines nulle condition qui ne fût
représentée. >
' Voy. ViscHER, p. 157.
2 Voy. Ullmann, t. Il, p. 315-316.
OhGAMSATION DES UNIVERSITÉS. 75
(oinmc riniversilé reine des États Scandinaves, et Ton y comptait
|)ar centaines des Suédois, des Danois, des IS'orvégiens, mêlés aux
Allemands'. A Cracovic, où, d'après le fémoigna{',e d'un Flalien, quinze
cents étudiants étaient réunis* à l'époque où Adalbert Hlarer parvint
à y attirer Copernic pour y professer l'astronomie, les étudiants
allemands affluaient. Mais c'est avec l'Italie surtout qu'à partir de la
seconde moitié du quinzième siècle, les rapports intellectuels de
l'Allemagne devinrent importants. Des professeurs allemands ensei-
gnaient dans les Universités italiennes, des professeurs italiens étaient
de temps en temps appelés aux Universités allemandes, et le nom-
bre des étudiants allemands qui fréquentaient les Universités de
Bologne, Padoue et Pavie était encore très-considérable au temps
où déjà les écoles supérieures de l'Allemagne étaient dans leur plein
épanouissement.
11 est difficile d'arriver à des données précises quant au nombre
exact des étudiants des diverses Universités'. D'après ce que rapporte
Wimpheling, l'Université de Cologne comptait, vers la fin du quin-
zième siècle, environ deux mille professeurs etétudiants^ Celle d'In-
^jolstadt reçut, dès la première année de son inauguration, environ
huit cents inscriptions. En 1492, les cours de philosophie furent divisés
«ntre trente-trois professeurs, et dans l'espace d'un an, quarante-
sept collaborateurs leur furent adjoints. Dès 1490, le nombre des
bacheliers qui expliquaient Pierre Lombard était si grand, que le
local et le temps devinrent également insuftisanis, et que les étudiants
se virent obligés de venir à tour de rôle recevoir les leçons du profes-
seur \ A Vienne, en 1453, la Faculté de philosophie comptait quatre-
vingt-deux, et en 1476 cent cinq professeurs et docteurs. Parmi les
sept cent onze étudiants immatriculés en 1451 à l'Université de Vienne
(ce chiffre est le plus élevé qui se rencontre pendant le quinzième
siècle), on ne compte pas moins de quatre cent quatre étudiants venus
des pays du Rhin^
Dans toutes les contrées de rAIlemagne, la vie intellectuelle était
si animée, si pleine d'élan, qu'on n'avait jusque-là rien vu d'ana-
logue, et que rien de semblable ne s'est produit depuis. Seule, la
' Voy. Krabbe, p. 289-294.
- Ce chiffre est très-exagéré. — Voy. IIipleb, p. 14-17. — Jérôme Munser,
médecin de Xuiemberg, estime le nombre des étudiants de Paris à quinze
mille en 1495, parmi lesquels il y avait au moins neuf mille étrangers. Kunst-
M.VXN, p. 305.
' Voy. Pallsen, p. 290-308.
* De arte impressoria, p. 18.
^ Prantl, t. I, p. 21, 64, 71, 77, 89. — Sur le nombre des étudiants à Heidel-
berg, voy. Falk. Hisi. pot. Blätter, t. LXXVIII, p. 924.
* IviNK, t. I. p. 145. — Voy. les calculs de Stolzel, p. 42-44.
76 L'INSTRUCTIO\ POPULAIRE ET LA SCIENCE.
ville de Berlin, daiis le duché de Brandebourg, resta en dehors de ce
mouvement et subit peu l'influence du nouvel essor que prenait de
tous côtés la civilisation. Berlin restait encore au dernier échelon
de la culture intellectuelle. Dans la lettre circulaire du prince électeur
Joachim pour la fondation de l'Université de Francfort-sur-l'Oder,
il assure ^ qu'un homme remarquable par son savoir est aussi rare
dans son pays qu'un corbeau blanc ■ . Comme preuve à l'appui de ce
fait, on peut citer ce que le père de ce prince disait du duché de
Brandebourg; il n'y avait, selon lui, c nulle contrée d'Allemagne où
les querelles, les meurtres et la cruauté fussent plus à l'ordre du
jour ' ' . L'abbé de Sponheim, Trithème, qui fit un long séjour à la
cour de Brandebourg, écrivait de Berlin à un ami ^20 octobre
1505) : « On trouve rarement ici un homme qui montre quelque inté-
rêt pour les sciences; le manque d'éducation et de savoir-vivre est
cause que les gens aiment mieux boire, bien manger et ne rien faire,
que s'instruire *, ' Berlin n'a eu son premier imprimeur qu'en 1539,
et ce ne fut que cent vingt ans après qu'elle vit s'ouvrir sa première
librairie \
II
La vie intellectuelle et scientifique, dans la dernière partie du
quinzième siècle et dans les premières années du seizième, fut sur-
tout active et animée dans les pays du Bhin. Là, plus que partout
ailleurs, les L^niversités étaient en harmonie avec la culture générale
des esprits et trouvaient un ferme appui dans l'excellent enseigne-
ment des écoles moyennes.
L'Université de Cologne, comme importance, gloire, célébrité, tint
pendant longtemps le premier rang parmi les Universités du Bhin.
Ce n'était pas seulement pour tout le Bas-Rhin, la Westphalie, la
Hollande qu'elle était le foyer principal des choses de rintelligence,
elle comptait aussi, parmi ses deux mille étudiants, des centaines
d'étrangers venus d'Ecosse, de Suède, de Danemark, de Norvège, de
Livonie. Pleins d'ardeur pour les sciences, ils affluaient tous les ans
vers la métropole ecclésiastique de l'Allemagne. Cologne, en effet,
était la véritable - Rome allemande ' . Il n'est pas étonnant que l'ensei-
gnement supérieur ait eu un caractère particulièrement religieux
dans une ville qui comptait dix-neuf paroisses, plus de cent chapelles,
' V'oy. Mlller, p. S.
' Trithemii Epp.famil.. p. 480.
' WiLicEN, p. G-8. — Voy. Gu.vssE, 3a, p. 18G. — îvirchoff, t. II, p. 75.
UNIVERSITE DE COLOGNE. 77
vingt-deux monastères de moines et de religieuses, onze collégiales,
douze liApitaux confu^sà la direction du clergé, soixanle-seize congré-
gations, e( où tous les jours « plus de mille messes se célébraient ",
disait-on proverbialement •.
L'ancienne mélhode scolasfique y régnait en souveraine; mais
les études humanistes y étaient aussi cultivées avec ardeur. Les
livres matriculaires de l'Université nous prouvent qu'une grande
partie des savants qui ont le plus contribué à propager et aifermir
l'humanisme en Allemagne, avait été formés à Cologne, ou du moins
y avaient enseigné pendant quelque temps. L'Italien Guillaume
Mithridate y professait le grec et l'hébreu, l'arabe et le chaldéen
dès 1484, En 1487, l'humaniste André Cantor de Groningen vint à
l'Université dans le but d'y réformer l'enseignement de la langue
latine. Depuis 1491, Jean César, élève d'Alexandre Hégius et l'un
des plus remarquables humanistes du Rhin, y donnait à ses élèves
une connaissance approfondie du grec. Les études classiques y prirent
encore un plus grand essor, lorsque Érasme de Rotterdam commença
à rassembler autour de lui un cercle de jeunes disciples*. Dans le
groupe des humanistes, on voyait aussi le Frère mineur Dederich
Coelde, auteur de plusieurs livres populaires de piété et de l'un de
nos plus anciens catéchismes'.
Deux autres savants, formés par Hégius, exerçaient aussi à Cologne
une action féconde : Barthélémy de Cologne et le Westphahen Ort-
win Gratins. Le premier, célèbre aussi en Italie par son savoir, son
goût éclairé, distingué à la fois comme poète et comme philosophe \
avait enseigné autrefois à l'école de Deventer. « C'est un homme
d'une haute intelligence et d'un esprit plein de finesse ', écrivait, en
parlant de lui, son élève Jean Butzbach; « il est doué d'une merveil-
leuse éloquence et très-versé dans plusieurs branches de la science.
Tout le monde était dans l'admiration de voir qu'un homme comuio
lui, d'un savoir si étendu, étudiait bien avant dans la nuit avec une
ardeur infatigable, comme s'il ne savait encore rien. Il aimait beau-
coup les jeunes gens vraiment travailleurs et faisait toujours volon-
tiers ce qu'ils désiraient. Aussi les étudiants persévérants et ardents
à l'étude que j'y ai connus, lui étaient-ils tellement attachés, que
lorsqu'ils avaient reçu pendant plusieurs années de suite les leçons
' Voy. Otto, p. 5. — Voy. les renseignements donnés par Krafft dans le
Zeitichriftfur den Dergischen Gesehichtsvercin. t. VI, p. 252.
- Voy. Krafft, Henseignemenls sur les inscriptions de l'Université de Cologne, p. 468-
483. — Krafft, Lettres et documents, p. 117-127, 182-201. — EnneN, l'Humanisme à
Cologne, Beilage zu der Kölnischen l'olkszeitung, 14 février 1869.
^ Voy. Nordhoff, Dederich Coelde, p. 354-360.
* Sur Barthélémy de Cologne, voy. Müllkr, Archiv, fur Literaturgeschichte,
l. III, p. 453-463.
^8 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
d'un si bon professeur, et qu'enfin il fallait s'en aller, ils pouvaient à
peine s'y résoudre et s'arracher de lui '. »
Son ami Ortwin Gratius', qui a été si injustement raillé et déprécié
dans les Lettres des /tommes inconnus ^, faisait à Cologne des cours
sur la grammaire latine et sur les auteurs classiques. Il était
en même temps le savant conseiller, en tout ce qui concernait les
sciences, des successeurs du célèbre éditeur Quintel. Il entretenait
d'affectueuses relations d'amitié et d'étude avec plusieurs de ses con-
temporains célèbres; le poëte Remaclus de Florence, le juriste
anglais William Harris, et Pierre de Ravenne, si admiré en Italie et en
Allemagne, et que l'on appelait la « merveille de la science juridique »,
étaient de ses amis. Ce dernier parle de lui en termes chaleureux
à propos de renseignements et de services scientifiques qu'il avait
reçus de lui pendant son séjour à Cologne. Il renouvela plusieurs fois
le témoignage de sa gratitude, et ne se sépara de lui qu'à regret.
Lorsqu'en 1508 il lui fallut retourner en Italie après avoir professé
pendant quelque temps dans la métropole du Rhin, il s'estimait heu-
reux d'avoir pu y entretenir des rapports intellectuels avec tant de
théologiens remarquables, de légistes, de médecins, d'artistes; et
célébrait tous ces étincelants fliambeaux du savoir. Il prit congé d'eux
avec larmes : « Adieu, s'écriait-il, adieu, Cologne, la plus illustre cité
de l'Allemagne; adieu, heureuse Cologne, sainte Cologne! Adieu,
terre où je ne puis espérer revenir à cause de la grande distance,
mais vers laquelle les yeux de mon esprit seront toujours fixés'! »
Au commencement du seizième siècle, le mouvement qui porta les
esprits vers les études classiques dut une impulsion durable à l'in-
fluence de deux poètes latins : Georges Sibitus^ et Henri Glareanus.
(Ce dernier fut couronné de lauriers à Cologne par l'empereur Maxi-
milien'*.) D'après le témoignage de Mélanchthon, dans les écoles supé-
rieures des bords du Rhin, l'étude de la philologie et de la philo-
sophie était poussée avec ardeur dans sa jeunesse et enseignée
par des hommes de la plus grande valeur \ Le savant prévôt Henri
Mangold, plus d'une fois revêtu de la dignité de recteur de l'Uni-
versité, était au nombre des professeurs scolastiques, mais c'était
en même temps un ardent promoteur des études classiques. Même
' ll'anderbiichlein, p. 159-160.
- Voy. nos remarques sur ce sujet, t. II, p. 57.
' Voy. DELpaxT, p. 166. — Bianco, p. 700-701. — Reichli^g, dans le Monas-
schrift de Pick, 1878, p. 498. — Krafft, Millheilungen aus der Cölner Universitäts
Matrikel.
* Mltheu, p. 115-116.
^ BÖCKING, Opp. Hutteni Suppl., t. II, p. 469.
*■' Schreiber, Glarean, p. 7-12. — Rrafft, p. 483.
'' BiANCO, t. I, p. 384-386. — Voy. aussi .MÖuleFi. JahrbmU fur Theologie und
Christliche Philosophie, 1834, p. 187.
WER NE p. ROLEWINR. 79
les deux coryphées de la Faculté de théolofjie, Théodore de Sustern
et Arnold de Tunjjeru, eulrelenaient avec plusieurs " jeunes poêles >'
(on nommait ainsi les humanistes) des relations amicales, bien que
d'après leur style ils ne paraissent (juère s'être formés sur les
modèles antiques. En 1512, l'humaniste Hermann von dem Busche
accompagnait d'une pièce de vers louangeuse un écrit de Tun-
gcrn'. Adam Polken cite encore parmi les promoteurs des études
classiques chrétiennes deux savants qui ne faisaient pas partie de
l'Université, Adam Mayer*, abbé de Saint-Martin (f 1499), célèbre
par ses nombreux écrits de théologie pastorale et de droit ecclé-
siastique, et par son zèle pour la réforme des monastères, et le prieur
des Chartreux Werner Rolewink, Tune des personnalités les plus
dignes de respect de la fin du quinzième siècle.
Les ouvrages de Rolewink sont pour la plupart théologiques,
mystiques, ascétiques et édifiants. Ils traitent principalement
des saintes Écritures, dont l'étude avait absorbé son infatigable
ardeur, dès sa jeunesse, dans la solitude du cloitre. Parmi les
nombreux commentaires qu'il écrivit sur les épitres de saint Paul,
il en est un qui n'a pas moins de six volumes in-folio. Parvenu
à l'âge de soixante-seize ans, et peu de temps avant qu'il fût atteint
de la peste dans [l'exercice de ses fonctions sacerdotales (1502), il
fit, comme Potken le raconte, des cours publics sur les épitres de
saint Paul aux Romains, et sut enthousiasmer son vaste auditoire,
dans lequel se trouvaient de nombreux professeurs de l'Université.
Mais Rolewink ne mit pas exclusivement ses facultés au service
de la science sacrée, il était également versé dans les sciences pro-
fanes. Il composa des écrits sur la meilleure forme de gouverne-
ment, sur l'origine de la noblesse, sur l'instruction des paysans^;
son Abrégé d'histoire universelle, un de ses livres les plus goûtés,
fut édité et réédité trente fois en l'espace de dix-huit ans (1474-
1492). En 1513, l'ouvrage avait déjà été traduit six fois eu français,
et c'est un des premiers livres imprimés en Espagne *. Son Eloge du
pays de Saxe (maintenant appelé Westphalie) montre à quel point
l'esprit du théologien et de l'écrivain mystique était capable de
s'identifier avec la vie populaire, et combien son cœur battait chaude-
ment pour la patrie allemande, surtout pour son pays de Westphalie,
« la vraie terre des héros », dit-il. Il décrit avec tant de charme et
de vie les mœurs, les usages, les habitudes de ses compatriotes, qu'il
' Voy. Erh.vi\d, t. III, p. 73. — Reichli.ng, Munndlius, p. 22.
* Voy. sur cet abbé, Enne.\, t. III, p. 773-774.
' De regimine ruslicorum. — Voy. E>'\E\, les Incunables de Cologne, n° 67, p. 8i, 154.
* Voy. POTTHAST, p. 518-519.
80 [/liSSTCUniON POPULAIRE ET LA SCIENCE.
n'existe rien en ce genre qui puisse, au quinzième siècle, ê(re com-
paré à son livre. " La force de l'inclination naturelle, écrit-il, tourne
chaque chose vers ce qui lui est semblable, et par nature, tout homme
est ami de tout homme. Mais ceux-là sont bien plus intimement
unis qui sont du même sang ou de la même patrie. » -- Efforçons-
nous, dit-il en s'adressant à ses compatriotes, « de continuer et de
transmettre à nos descendants la bonne réputation qui nous vient de
nos pères depuis les temps anciens jusqu'à nos jours; soyons comme
eux remplis de la crainte de Dieu, simples et droits de cœur. Et vous,
prélats, vous, hommes sortis de rien et maintenant élevés si haut,
gardez l'antique modestie, l'humilité, la douceur. Soyez généreux
envers les pauvres, accessibles à vos supérieurs, bienveillants pour
tous; que la maturité de l'esprit vous rende plus respectables, la
bonté plus dignes d'amour, et que l'humilité fasse de vous le modèle
des autres. » La préface de cet ouvrage, qui donne vraiment à
Rolewink une place d'honneur parmi les historiens chrétiens, se ter-
mine par ces paroles : « Reçois, ô ma patrie, 6 toi, qui t'es toujours
montrée reconnaissante envers moi et n'auras vraisemblablement pas
mes os, le faible hommage que je t'offre, et efforce-toi de donner
un si excellent exemple, que ceux qui viendront après nous et qui se
souviendront peut-être de moi, brillent par leurs bonnes mœurs,
par l'observation de tout ce qui est juste, et s'acquièrent ainsi une
gloire légitime '. »
Les ouvrages de Rolewiuk témoignent de sa science des saintes
Écritures, et de l'exacte connaissance qu'il avait acquise des ouvra-
ges des Pères de l'Église, des anciens théologiens, des chroni-
queurs et des historiens du passé. Les auteurs classiques ne lui
étaient pas étrangers, comme le prouvent ses écrits, et ce que dit
Potken, que « le prieur des Chartreux, cet homme vertueux admiré
de tous, qui marchait dans la voie de la sainteté ", était en même
temps très-zélé pour le progrès des études classiques, n'a par coîl^h'-
quent rien d'invraisemblable. D'ailleurs, la Chartreuse de Cologne,
qui dans le peuple était de tous cotés en grande vénération et consi-
dérée « comme offrant à tous les Oi'dres religieux le modèle de la
parfaite discipline ascétique ", cachait, dans son complet isolement
du monde, un grand nombre de moines érudits, persévérants et
laborieux, des poètes religieux, des écrivains mystiques et ascétiques.
Là étudiaient des hommes comme Hermann Appeldorn (f 1472),
Henri de Birnbaun (f 1473), Hermann Grefke (f 1480), Henri de
Dissen (f 1484) ; citons surtout le plus intime ami de Rolewink, Pierre
Blomevenna. Ces religieux < ont laissé dans leurs poésies et dans leurs
' De laude Saxonla-, t. XV, p. 239-247.
WERNKR ROLE WINK. 8J
écrits la Irace et la pi-ciive de leiii" pieux enthousiasme; ils nous
révèleul incouscienimcnt le |)ur et trau(iuille bonheur qui réjjnait en
eux et autour d'eux . Blomevenna, émule intellectuel de Thomas à
Kcmpisetné dans la même condition que lui, fut prieur de son Ordre
après la mort de Holewiiik. Il sut attacher à sa personne et à sa com-
munauté de nombreux disciples, qui, plus tard, parlaient avec une
affection touchante de rhumilité candide, de l'élévation morale, de
la bonté pleine de dévouement >< du saint homme ' ».
III
La seconde Université du pays du Rhin, Heidelberg, avait pris un
nouvel essor dès la première moitié du quinzième siècle, grâce â la
sollicitude d'^Enéas Silvius, plus tard élevé sur le trône pontifical sous
le nom de Pie II, et qui, à l'époque où il n'était encore que prévôt
de la cathédrale de Worms, en avait été élu chancelier. Sous le gou-
vernement du comte palatin Frédéric (1452), d'importantes réformes
y furent introduites, surtout sous le rapport des études philoso-
phiques; là aussi, les réalistes firent preuve de vues larges et élevées,
favorisèrent le mouvement scientifique et devinrent les promoteurs
zélés des études classiques. Les Nominaux, au contraire, s'attirèrent
le reproche mérité de rester stérilement enfermés dans le cercle
étroit de leurs subtilités philosophiques. Le premier humaniste qui
ouvrit une chaire d'enseignement à Heidelberg (1456), Pierre Luder,
fut soutenu dans ses efforts par deux professeurs de théologie et de
droit canon. Le célèbre chroniqueur et biographe du comte palatin
Frédéric, Mathias de Kemmat, était élève de Luder. Il avait probable-
ment reçu sa première éducation de l'Italien Arriginus, qui avait établi
son centre d'action dans un château des environs de Culmbach ».
Mais à dire le vrai, la période glorieuse de l'Université de Heidelberg
ne commence qu'en 1476, sous l'électeur palatin PhiUppe, qui, formé
lui-même à l'étude des sciences, rassemblait à sa cour un grand
nombre de savants distingués et s'acquit des droits à la reconnais-
sance de la postérité en se montrant le généreux Mécène des savants
et des artistes. Philippe encourageait particulièrement l'étude de
l'histoire, car, disait-il, ^ par l'histoire, on apprend à connaître Dieu
' Pelz, 2«, p. 113-115. — Voy. Tross, t. I, xvii. — Krafft, p. 252-25 i. —
Voy. aussi lopuscule intitulé : Vorder Re/ormalion, dans les Hisl, und pol. Blätter,
79, 116-121.
* Voy. Haütz, p. 298-303. — Zarncke, Universitäten^ p. 225. — La Nef des fous,
XX. — WattEiNBACH, Pierre Luder, p. 33-49.
82 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
et ses jugements; ou voit clairement que les hiérarchies royales
ont été établies par sou ordre pour être les gardiennes de la société
humaine, les conservatrices du droit, de Tordre et de la paix, et
qu'elles ont pour mission de faire connaître Dieu aux hommes ". C'est
à l'instigation de ce prince que Rodolphe Agricola composa sod
Histoire universelle, (]m fut considérée comme le premier livre d'histoire
composé d'après les modèles de l'antiquité ' ; Trithème, stimulé par
lui, avait fait le projet d'établir à Sponheim une imprimerie spéciale
pour la reproduction des documents relatifs à l'histoire d'Alle-
magne ',
La personnalité la plus influente de l'Université d'Heidelberg
à cette époque, c'est Jean de Dalberg. " Ce que j'ai reçu et donné,
appris et enseigné de meilleur, disait Agricola, je le dois à cet ami;
ceux-là seuls qui ont joui de son étroite intimité peuvent avoir une
juste idée de ses capacités intellectuelles, de la sincérité de son cœur,
de son grand et mâle caractère, de sa simplicité d'enfant, de son zèle
pour la gloire de Dieu, de son amour pour la science. »
Jean de Dalberg, issu d'une très-ancienne famille noble, naquit
en 1445. Il étudia à l'Université d'Erfurt, puis à Schlestadt, sous la
direction de Louis Driugenbcrg, et voyagea ensuite en Italie, où, mis
en rapport avec des savants grecs et italiens, il acquit une connais-
sance très-approfondie des auteurs de l'antiquité. Revenu dans son
pays, l'électeur palatin Philippe le nomma curateur de l'Université
d'Heidelberg (1482); la même année, il fut élu évéque par le chapitre
de Worms, puis confirmé par le Pape dans cette dignité.
A partir de ce moment, il partagea son activité et sa vie entre
Worms et Heidelberg, et sa maison devint, dans ses deux villes, le
centre des savants et des hommes de lettres. Sa haute intelligence,
son désintéressement, l'enthousiasme communicatif de sa nature,
lui donnaient sur les esprits un extraordinaire ascendant. On pou-
vait ajuste titre lui appliquer cette parole d'un ancien : ^- Le vrai
mérite est toujours et partout modeste, la vraie supériorité a toujours
de la noblesse, la vraie science est toujours équitable. " Il éleva
l'Université au plus haut degré de sa gloire, et posa les fondements
de presque tout ce qui fait encore aujourd'hui sa célébrité '. Hei-
delberg lui doit sa première chaire de grec. La bibliothèque de
l'Université, connue autrefois sous le nom de Palatine et maintenant
' Voy. Geiger, Betuhling, p. 64-65.
' VViMPHELlNG, De arte impressoria, f. 21.
' Pour plus de détails, voy. Ullmann, Jean de Dalberg. Dans les Theolog. Studien
und Kritiken, année 1841, cah. 3, p. 555-584. — Voy. aussi les renseignements donnés
par Falk. Hist. und pol. Blätter, t. LXXVIIl, p. 856-859. 928-930. — Voy. ce qu'il dit
sur les encouragements donnés aux arts par Dalberg, t. LXXIX, p. 127-129.
I
JEAN DE DA I,B ERC;. 83
cöl(''brc dans le monde enlier, lui créée par lui; il possédait en
oulre une i)il)liollié([iie privée, riche en ouvrages grecs, lafins cl
hébreux, qu'il inellait sans nulle réserve à la disposition de tout tra-
vailleur désireux d'y faire des recherches. Jean Reuchlin, que Dalberg
avail attiré auprès de lui, appelle cette bibliothèque un trésor unique
en Allemagne, et, plein de reconnaissance, nous apprend qu'il a tou-
jours pu en jouir à son gré et en toute liberté '.
Lorsque Jean Reuchlin (né à Pforzheim en 1455) vint à Heidelberg
(1490), il comptait d(\ià parmi les illustrations de la science. Entouré
d'un auditoire considérable d'hommes faits et de jeunes gens, il avait
professé le grec et le latin à l'Université de Bâle dans sa jeunesse.
Personne ne peut lui disputer le mérite d'avoir été en Allemagne l'un
des premiers savants dont l'exemple, l'influence, les constants encou-
ragements, ont fait comprendre ^l'importance et la nécessité de
l'étude de la langue et de la littérature grecques, et donné une invio-
lable place à la langue d'Homère dans le haut enseignement '. En
Italie, sa connaissance du grec lui avait valu la considération de
tous les hommes cultivés. Sa réputation comme écrivain est égale-
ment établie. Le dictionnaire latin qu'il avait publié à Bâle, étant à
peine âgé de vingt ans, paraissait presque chaque année en édition
nouvelle. Il traduisit en allemand deux discours de Démosthène
et une partie de l'Iliade, beaucoup d'autres auteurs grecs en latin et
un ouvrage sur les quatre idiomes du grec. De plus, il occupait
comme jurisconsulte à la cour du comte Ebrard de Wurtemberg: une
position considérée, avait dirigé dans beaucoup de diètes les affaires
de son maître, et reçu de nombreux témoignages d'honneur. Voulant
honorer sa vie sans tache et la'noblesse l'élévation de son caractère,
l'empereur Maximilien lui avait conféré la noblesse en l'élevant et
l'avait élevé à la dignité de comte palatin de l'Empire.
A Heidelberg, où il séjourna plusieurs années après la mort
d'Ebrard, il fut nommé par Dalberg directeur de la bibliothèque de
l'Université, et par le comte palatin Philippe, conseiller électoral
et premier gouverneur de ses fils. En 1498, il commença à pro-
fesser l'hébreu et ouvrit une voie nouvelle à cette branche de la
science.
L'étude de l'hébreu n'était cependant nullement négligée dans
l'Eglise lorsque Reuchlin commença à professer.
L'ordre donné par le Pape au concile de Vienne (1312), d'établir
des chaires d'hébreu, de chaldéen et d'arabe, à Rome, Bologne,
Paris, Oxford et Salamanque, n'était pas resté sans écho en Alle-
magne. En 1477, le Dominicain Pierre Schwarz avait publié une
' Ge[GKR, Studium der hebräischen Sprache, p. 12.
* Geiger, Reuchling, p. 100.
84 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
introduction grammaticale à l'étude de l'hébreu'. Rodophe Agricola
traduisait les psaumes sur le texte original. A Xanten, Cologne, Col-
mar, Mayence ^ on voit l'étude de l'hébreu se poursuivre avec ardeur;
à Tubingen, les théologiens Conrad Summenhart, Paul ScriptoI•is^
l'avaient professé, ainsi que Grégoire Reisch, à Fribourg. Jean Eck,
qui l'étudia exclusivement pendant six ans, était élève de ce dernier*.
Arnold de Tungern, plus tard adversaire de Reuchlin, peut être cité,
comme lui, parmi les savants qui remirent en honneur les études
hébraïques ^
Mais c'est à Reuchlin qu'appartenait la gloire impérissable d'avoir
fondé en Allemagne l'étude véritablement scientifique de l'hébreu;
et sa grammaire, accompagnée d'un dictionnaire, présente la première
méthode complète pour l'étude de cette langue".
Reuchlin, dans ses investigations scientifiques, était dirigé, comme
les savants dont nous avons précédemment parlé, par un esprit pro-
fondément religieux. Pour lui aussi la science ne devait avoir qu'un
but : affermir et approfondir la foi. Fils soumis de l'Église, il se tenait
plein de dévouement à ses côtés, ei soumettait à sou jugement ses
écrits, son système scientifique, toujours prêt à retirer ce qu'il avait pu
avancer d'erronée Par ses recherches savantes, par ses commentaires
sur le texte original du Nouveau Testament, il entendait créer un
contre-poids salutaire à l'étude exclusive des auteurs de l'antiquité;
mais ce qu'il avait le plus à cœur, c'était de prouver aux théologiens
de son temps la nécessité de l'étude de l'hébreu. ■■ On tient la langue
hébraïque pour barbare ', disait-il; '^ il est vrai qu'on n'y trouve pas
de belles phrases, de manières élégantes de s'exprimer, mais il n'y a
que les curieux qui recherchent ces choses. Les hommes de travail et
de science n'y donnent point d'attention. L'hébreu est une langue
limpide; rien ne l'a falsifiée; elle est concise et laconique. C'est la
langue dans laquelle Dieu a parlé aux hommes, et dans laquelle les
hommes se sont entretenus avec les anges. Pour la comprendre* on
n'a pas besoin de la fontaine de Castalie ni du chêne de Dodone. En
dehors de ce qu'elle rapporte, il n'existe aucun souvenir de l'humanité
avant la guerre de Troie, et ce ne fut que cent cinquante ans après
Moïse qu'Homère et Hésiode ont chanté. Et malgré son antiquité,
' Voy. IIOKEU, Bihl. (le Heihbrunn^ p. 212.
5 Falk, Wisscnschofl und Kunst, p. 332.
' Linsenmann, Summcnharl, p. 17-18. — 82 M" 12.
* Geigeu, Studium der Hehidïschcii Sprache, p. 19, 23, 30. — Voy. Falk, Zur Beur-
theilung des fünfzehnten lahrhundcrts. p. 418.
^ Voy. MÖHLER, lahrbuch der Theologie (Francfort. 1834, t. I, p. 77).
® Voy. le travail intitulé : Reuchlin und das Jüdenthum , dans le Jüdischer Zeit-
schrift de Geiger (Breslau, 1870, t. VIIl,p. 241-263). — Sur les erreurs cabalistiques
de Reuchling, voy. encore dans le tome second de cet ouvrage, p. 37-39.
' Geiger, Reuchling, p. 147.
so CI KT K LITTERAIRE IUI RHIN. 85
c'esi 1,1 plus riciic de (ouïes les lan[jiics; les autres, pauvres et besoi-
jyneuses, viennent puiser en elle comme en leur source première'. »
l.cs efforts de Heuclilin portèrent des fruits abondants; tandis
(ju'il servait rÉjylise, il se vil à sou tour compris et soutenu dans ses
éludes par les serviteurs de rK[jlise. Tantôt c'est un abbé d'Otto-
beurn qui lui demande un maitre d'hébreu pour ses religieux; tantôt
un prévôt de Mor qui sollicite de lui des explications sur quelques
passages de ses écrits. Le provincial des Dominicains lui cède un
manuscrit hébreu avec l'autorisation de s'en servir pendant toute sa
vie. Des religieux comme l'infotigable Nicolas Ellenborg*, auquel
Ottobeurn dut plus tard l'établissement d'une école supérieure et
une imprimerie, comme Guillaume Schrader, de Camp (Bas-Rhin),
qui emploie sa grande fortune à l'acquisition de manuscrits hébreux,
prennent part à ses travaux \ Nicolas Basilius, d'Hersau, d'autres
encore, deviennent les disciples les plus zélés, les plus chauds apôtres
de sa gloire. « Reuchlin a ressuscité l'étude du grec », écrivait ce
dernier en 1501, ^■. il a tiré l'hébreu delà poussière où il était enseveli.
La république des savants lui doit des remerciments infinis pour
avoir pris un tel fardeau sur ses épaules; les théologiens devraient lui
décerner une couronne, car il a rendu aux saintes Écritures leur
primitif éclat ^. "
Jacques Wimpheling comptait alors avec Keuchlin parmi les plus
grandes illustrations d'Heidelberg. Il était redevable à Dalberg de
la première idée de son Guide de ta jeunesse allemande \ Les poètes
latins Conrad Leontius et Jacques Dracontius, le gentilhomme saxon
Henri de Bïinau, savant philosophe, les juristes Adam Werner de
Themar, Jean Wacker, surnommé Vigilius, chanoine de la cathédrale
de Worms, et Dietrich de Pleningen*, prenaient une part active à la
vie scientifique et littéraire de la ville.
La maison de Dalberg, -^ où tout était esprit et vie », était le centre
de réunion de tous les amis de la science et des lettres. Ils s'y réunis-
saient, et d'intimes et charmantes relations les rapprochaient; ils
partageaient le repas de leur hôte, et mettaient en commun tous leurs
travaux. Au dire de Wimpheling, l'électeur palatin Philippe prenait
part de temps en temps à ces réunions. Là, Wimpheling s'entretenait
avec ses amis sur l'histoire d'Allemagne qu'il méditait; Pleningen
' Geiger, p. 161.
- Voy. Geiger, p. 13, 18, 22-24.
' Codex Camp., p. 27.
* Geiger, SluiUum der hebr. Sprache, p. 37.
* Voy. WlSKOWATOFF. p. 72-74.
" IUrtfelder, .Idam Werner iCarlsruhe, 1880). — Hartfelder, Celles, p. 29.
83 L'INSTRUCTIOiN POPULAIRE ET LA SCIENCE.
lisait ses traductions d'aiiteiiis latins; Reuchlin communiquait ses
traductions d'Homère, et c'est chez Dalberg que Reuchlin fit repré-
senter un drame en latin, le premier qui ait été joué en Allemagne.
L'influence intellectuelle et scientifique de Dalberg s'étendait bien
au delà d'Heidelberg; il présidait et dirigeait la Société littéraire du
Rhin, fondée à Mayence par Conrad Celtes ' (1491). Parmi les mem-
bres de cette académie se trouvaient les savants les plus marquants
du pays rhénan, du centre et de la partie sud-ouest de l'Allemagne :
théologiens, juristes, médecins, philosophes, mathématiciens, lin-
guistes, historiens et poètes. En dehors de Trithème, de Reuchlia,
de Wimpheling, des hommes comme le mathématicien et historio-
graphe Jean Stabius, le savant hébraisant Sprenz, plus tard évéque
de Brizen, Ulrich Zasius, surnommé le prince des juristes allemands,
en faisaient partie, ainsi que les humanistes Conrad Pentinger,
d'Augsbourg, Willibald Pirkheimer, de Nuremberg, et Henri Bebel,
de Tübingen.
Le but principal que se proposait la Société Rhénane, et beaucoup
d'autres du même genre qui se formèrent à peu près à la même
époque, c'était le progrès et la diffusion des sciences en général,
particulièrement la culture des éludes classiques, mais surtout les
recherches sur l'histoire nationale. Leurs membres s'entr'aidaient
dans leurs travaux scientifiques, se communiquaient leurs écrits, les
soumettaient à une critique réciproque et cherchaient le plus possible
à les propager.
Notons aussi la tentative du libraire Aldus Manutius. Il avait fondé
à Venise, en 1502, une société scientifique, qui dans sa pensée devait
servir de point de jonction entre les savants d'Allemagne et d'Italie.
< Si ce plan se réalise ' , écrivait-il à Conrad Celtes, « notre société
deviendra extrêmement utile à tous ceux qui désirent s'instruire,
non-seulement dans le présent, mais encore dans l'avenir, et l'Alle-
magne sera considérée par les nôtres comme une seconde Athènes *. "
" Dans les rapports échaugés entre les savants, rapports pleins de
vie et d'animation ", écrivait non sans fierté Wimpheling, « on voit de
tous côtés poindre une vie nouvelle; un appel encourageant réveille
les endormis. Les lettres que nous échangeons se croisent à travers
notre pays, comme les messagers d'une bonne nouvelle. ' Il faut se
souvenir que les correspondances que les savants entretenaient alors
' Voy. AscHiiACH, Conrad Celtes, p. 75-150. — Sur les savants de Mayence,
voy. Falk, Hisl. und pol. liUuier , t. LXXVI, p. 334-339, et t. LXXVII, p. 304-
307. — Sur Rodolphe de Rudesheini, voy. Falk, dans le Crt^Aw/Z^i/e, 1876, p. 428-433.
* Voy. Geiger, Beziehungen fleischen Üeulchltind und Ilalien, p. 120-124. — Sur
Aldus Manulius, voy. Frommann, Aufsälze zur Geschichte des Buchhandelt im sechzehnten
Jahrhundert, cah. II, 11-51. (Italic, léna, 1881.)
JEAN TRI THÈME. 87
€ntre eux ne servaient pas seulement leurs intérêts personnels; dans
une certaine mesure, elles tenaient la place qu'occupent aujourd'lmi
les revues et les journaux scientifiques ou littéraires.
Sous la présidence de Dalberg (1491-1503), la Société savante du
Rhin parvint à son plus haut degré de splendeur. Lorsqu'il mourut
(1503), sa mort fut pour la civilisation allemande une perte encore
plus sensible que celle d'Agricola, son émule et son ami. Comme
prêtre, sa vie avait été un modèle admirable. ^ J'estime, écrivait
Willibald Perkheimer, que cet évéque est digne d'une mémoire
éternelle, autant à cause de ses vertus et de son humanité que pour
ses connaissances étendues '. • Voici l'épitaphe qui est gravée sur son
tombeau à Worms : - Il fut personnellement heureux, et eut en
outre le bonheur de laisser à ses descendants le modèle achevé d'une
noble vie. ;>
IV
.Teau Trithème fné en 14G2 dans le village de Trittenheim, sur
la Moselle) entretenait de fréquentes et intimes relations avec
l'Université d'Heidelberg. Abbé des Bénédictins de Sponheim, près
Creuznach, il avait fondé dans sou monastère une sorte d'aca-
démie savante. Ses élèves et amis le regardaient comme -■ l'ornemenl
de son pays, le maître et le modèle de ses religieux, l'instituteur et
l'ami du sacerdoce, le père des pauvres et le médecin des malades- •.
« Trithème, disait de lui Conrad Celtes, est sobre dans le boire; il
méprise l'usage de la viande; il ne se nourrit que de légumes, d'œufs
et de lait, comme le faisaient nos ancêtres avant qu'il y eût encore
dans notre pays tant d'épices pour aiguiser l'appétit; avant que nul
médecin eiU encore inventé ces remèdes, qui ne servent qu'à nous
donner la fièvre et la goutte. :; - Il était modeste dans ses paroles,
plus encore dans sa vie' ; toute son attitude inspirait le respect.
" Ses traits mâles et accentués, écrivait'Wimpheling, expriment une
inefi^ble bonté*. «
Sa science était universelle, et le siècle en connut à peine un second
savant qui puisse lui être comparé. Très-familiarisé avec les clas-
siques grecs et latins, versé dans l'hébreu, possédant des connais-
sances remarquables en théologie et en philosophie, en histoire et
' Voy. Zapf, Append., p. 55.
' Voy. SiLBERXAGF.L. p. 235.
* Hàrtfelper, C. Celles, p. 27.
* De arte impressoria, p. lU.
83 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
en droit canon, il s'adonnait de plus avec ardeur à l'étude des mathé-
matiques, de l'astronomie, de la physique, de la chimie et de la
médecine, et pratiquait même cette dernière science lorsqu'il s'agis-
sait de soulager les pauvres. Ses relations littéraires étaient si éten-
dues, comme le prouve sa correspondance avec des théologiens,
des légistes, des mathématiciens, des médecins, des physiciens et des
poètes, que sous ce rapport on ne peut le comparer qu'à Érasme.
Tous les savants illustres de l'époque, beaucoup de grands person^
nages, Maximilien lui-même, l'électeur palatin Philippe, Joachim de
Brandebourg, d'autres encore, sollicitaient son amitié. Wimphe-
ling rapporte qu'il recevait même de nombreuses lettres d'Italie. Les
savants de ce pays lui demandaient avis sur des questions scientifi-
ques, et s'estimaient heureux de posséder un autographe de sa main.
La bibliothèque qu'il fonda à Sponheiin contribua beaucoup à le
rendre universellement célèbre; au prix de grands labeurs et de
sacrifices considérables, il en avait t'ait une collection unique en
Allemagne, par l'acquisition des ouvrages les plus rares, les plus
précieux. Il y en avait en douze langues ditiérentes. En 1505, cette
bibliothèque comptait deux mille volumes se rapportant à toutes les
branches de connaissances humaines. Les manuscrits qu'elle renfer-
mait furent estimés à quatre-vingt mille couronnes'. Les religieux
de l'abbaye, suivant la direction que leur donnait Trithème, travail-
laient avec ardeur, pour la gloire de Dieu, à multiplier les copies des
manuscrits. Trithème lui-même copia de sa propre main une version
du Nouveau Testament en grec et un recueil des poésies de la reli-
gieuse Roswitha^. En même temps qu'avec une vive et joyeuse sym-
pathie il soutenait les grandes entreprises littéraires commencées
par Koburger à Nuremberg, par Jean Amerbach à BâleS il formait
le plan de fonder à Sponheim une imprimerie particulière qui devait
être uniquement employée à reproduire les anciens documents de
l'histoire d'Allemagne. « L'abbé Trithème, écrivait Wimpheling,
eu 1507, est d'une activité merveilleuse, et sa bibliothèque jouit
d'une réputation bien justifiée dans tout le monde cultivé. Sa vertu
et sa science le font jouir d'une gloire universelle et méritée. Je le
vis une fois à Sponheim parmi des enfants de paysans auxquels il
inculquait les éléments de la doctrine chrétienne. Je l'ai vu égale-
ment parmi des prêtres venus de différents endroits pour être
instruits par lui dans les saintes Écritures et dans la langue grecque,
puis parmi des savants, que la renommée de son nom et les trésors
' Voy. Vogel, dans le Senipnim, 1842, p. 312-328. — Silrkun.vgel p 12-18. —
Schneegans, p. 80-86.
- Voy. RllaM), Theol. LileraturblaU., 1868, colouiies 738, 770
^ Voy. ilASE, p. 57, — Serapcum, 18ô4. n" 18.
JEAN TRITHÈME. 89
(lo sa bibliothèque avaicnl, pour la plupart, atlirés de bien loin, et
auxquels il abandonnait sans reslricdon le libre usa[;e de ses trésors;
il élait d'un abord faeile, et tous pouvaient profiter de la sage et
cliarniante conversation de celui qui avait rassemblé et mis en ordre
tons ces beaux livres'. " Alexandre Hégius fit le pèlerinajje de
Sponheim dans un âge déjà très-avancé, tout exprès pour consulter
la bibliothèque de l'abbé Trithème et jouir de son saint et agréable
commerce. De toutes les ])arties de l'Europe, savants, docteurs, pré-
lats, princes et nobles allluaieni chez lui et s'y donnaient rendez-
vous, u Les visiteurs viennent en grand nombre, rapporte Trithème;
quelques-uns restent un mois, d'autres deux et trois mois, d'autres
une année entière, et peuvent s'adonner dans notre monastère, sans
bourse délier, à leur amour pour les études grecques et latines ^ »
Théologie, philosophie, histoire naturelle, médecine, histoire, lit-
térature, l'activité d'esprit de Trithème embrassait tout; et son ardent
labeur parait encore plus merveilleux, si l'on se rappelle que sa capa-
cité de travail aurait pu être absorbée par les nécessités de la vie
pratique, car non-seulement il avait la sollicitude du monastère dont
il était le supérieur, mais il s'était constitué le zélé réformateur de
son ordre. Mais c'était précisément cet esprit réformateur, c'était le
zèle enflammé de son âme pour la perfection de ses frères, qui lui don-
naient l'énergie nécessaire à de si incessants travaux. Dans sa pensée,
ils ne devaient être que les instruments du perfectionnement moral
qu'il rêvait ^ ^ Comment pouvons-nous désirer nous reposer ou rester
oisifs, écrit-il dans son Introduction à la véritable méthode d'enseigne-
ment ^, si nous réfléchissons à tout ce que nous avons à faire chaque
jour pour nous et pour les autres; à la fragilité de notre vie, à la
promptitude avec laquelle la mort mettra fin à tout le travail par
lequel nous opérons notre salut, grâce au secours divin et aux mérites
du Rédempteur? Que nous agissions par la parole ou par la plume,
souvenons-nous toujours que nous sommes les prédicateurs de la
vérité, les apôtres de la charité, et que cette charité doit établir
la paix en nous et répandre le salut et la bénédiction de Dieu sur
les autres, autant que cela est en notre pouvoir. Cette pensée nous
rendra tolérable et léger le plus rude travail, et les peines les plus
accablantes nous deviendront douces et aimées. Une .science qui
n'est pas animée d'un tel esprit conduit au mal, souille notre cœur,
remplit notre être d'amertume, trouble le monde, j II exprime
la même pensée dans une lettre adressée à son frère. ' La vraie
' De arte impressoria, p. 19.
- Trith. Chron. Sponk., p. 395, 4(18, 413, 416.
' Voy. SiLBF.r.N.vGEL, p. 236-244. — Voy. Sch\eeg\>s, p. 28*-293.
* De vera studiorum ratione, fol. 2.
90 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
science, dit- il, est celle qui conduit à la connaissance de Dieu,
améliore nos mœurs, restreint nos convoitises, purifie nos incli-
nations , accroît rintelligence de tout ce qui est nécessaire au
salut de l'âme, et enflamme notre cœur d'amour pour notre Créa-
teur, '■
Les livres d'édification, les travaux sur la théologie pastorale, les
discours et lettres spirituelles de Trithème mettent dans tout leur
jour ses nobles aspirations, ses vues sur les plus difficiles et les plus
hauts problèmes de la vie '. Nous y trouvons les effusions d'un cœur
rempli de la piété la plus intérieure, des méditations profondes,
d'admirables témoignages de cet esprit grave et élevé dans lequel
l'étude de la sainte Écriture était alors cultivée et encouragée.
Trithème, d'accord en cela avec les meilleurs théologiens de son
siècle, pensait que les études théologiques devaient être rattachées
davantage à la sainte Écriture, et que la théologie routinière et
surannée de la scolaslique avait besoin d'être rafraîchie et rajeunie
par une connaissance plus approfondie de la Bible. Comme eux,
Trithème était persuadé qu'une vie pure donne seule la juste intel-
ligence de l'Écriture, et qu'elle ne peut être interprétée que dans le
sens ou l'Église, guidée par le Saint-Esprit, l'a toujours entendue.
" Pour l'étude de la Bible -, écrit-il à un ancien condisciple, - la
charité et la pratique de la vie chrétienne, la solitude et le repos
sont indispensables; car la sagesse de Dieu n'habite que chez un
homme vertueux, ne s'harmonise qu'avec un esprit sage, remplit le
cœur pacifique, et chérit ceux qui sont doux, calmes et purs de cœur.
Si la sainte Écriture ne semble pas toujours démontrer avec une
clarté suffisante toutes les vérités de la foi, c'est que si elles y
paraissaient avec évidence, l'autorité de l'Église aurait une moindre
portée, et que le mérite de la sainte obéissance serait en partie perdu.
Mais l'Église et la sainte Écriture réunies marchent de concert;
l'Église confirme la sainte Écriture, et la sainte Écriture confirme à son
tour l'Église; car le même esprit qui a fondé l'Égiise a aussi inspiré
l'Écriture. Aussi saint Augustin disait-il : " Je ne croirais pas à
•• l'Évangile si l'Église ne m'en faisait une obligation ;' L'Église seule,
dans les cas douteux qui regardent la foi, a le droit de l'interpréta-
tion, et celui qui ose se détourner de cette interprétation a déjà
renié l'Évangile du Christ -. "
Les promoteurs du nouveau mouvement .intellectuel, les apôtres
d'une science éclairée, s'efforçaient de quitter l'ornière usée de ce
formalisme sans vie que suivait depuis plus d'un siècle la théologie;
mais d'un autre côté, ils s'appliquaient à rattacher leurs efforts à ceux
' Voy RuLAND. dans le Chilianeum, p. 112-118.
- Voy. SiLiiKnNA(;Ei , p. 213.
JEAN TRITIIÈME. 91
de leurs grands prédécesseurs des douzième et treizième siècles.
Depuis que l'aclive et mémorai)le influence de iNicolas de Cusa et du
Chartreux Dyouisius s'éfaif fait sonlir, la scolastiquc, qui formait
encore universellement le point central et le fonds essentiel do la
Ihéologie, prenait une vie nouvelle, en Allemagne comme ailleurs.
Klle comptait parmi ses pionniers beaucoup d'esprits nobles et pro-
fonds, qui, sans méconnaître aucunement les besoins et la direction
d'esprit de leur temps, s'appliquaient à les diriger sagement et à en
assurer le progrès*. C'étaient précisément les savants les plus mar-
quants d'entre les scolastiques, des hommes comme Trithème, Heyn-
lin von Stein, Grégoire Heisch, Gabriel Biel, Geiler von Kaisersberg,
d'autres encore, qui déployaient sous ce rapport l'activité la plus
intelligente et la plus féconde. « Trithème compte parmi les plus
grands bienfaits et les plus heureux événements de notre temps », écri-
vait Wimpheling en 1507, " le mouvement qui s'est opéré dans l'ensei-
gnement théologique. Il le voit avec joie se détourner de la stérile
chicane de mots, et des subtilités puériles d'une science en décadence.
Il s'applaudit de voir élever de nouveau sur le chandelier un docteur
comme saint Thomas d'Aquin, l'Ange de l'école*. " Pour s'assurer
de la vérité de cette assertion et constater le rang que saint Thomas
avait repris, et combien il était redevenu véritablement le maître par
excellencedes théologiens de l'Occident, il ne fautqu'èlrcattentif à ce
seul fait : il existe aujourd'hui encore au moins deux cent seize édi-
tions et réimpressions connues, datant de cette époque, des écrits de
ce docteur'. Les travaux des théologiens dans le domaine des sciences
naturelles eurent une très-heureuse action sur la science scolastique,
à laquelle ils s'efforçaient de rattacher les études théologiques. Ils
luttèrent aussi énergiquement contre les extravagances de l'astro-
logie, de l'alchimie et de la magie, dont les adeptes devenaient tou-
jours plus nombreux. Les connaissances scientifiques de Trithème
étaient si extraordinaires que, comme autrefois Albert Magnus, il
était tenu par beaucoup pour un enchanteur, un faiseur de miracles;
on prétendait même qu'il avait ressussité des morts, conjuré les esprits
infernaux, prédit les événements à venir, découvert les voleurs et les
brigands à l'aide de formules de sorcellerie*. Pourtant, dans un écrit
spécial, il avait été le premier à combattre les magiciens et les vains
enchantements superstitieux défendus par l'Église, et il appelle les
alchimistes des niais et des présomptueux, < des imitateurs de singes,
' ViSCHER, p. 139-140.
' De arte impressoria, 20.
«Hain, n» 1328-1543.
* Voy. le mémoire de Falk sur les savants' amis de Trithème dans les Hist. und
jiol. Blatter, t. LXXVII, p. 923-933. — kö.MG, Vorsehungen tur deulschsn Geschickte,
p. 20, 37.
92 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
des ennemis de la nature et des contempteurs des choses divines '-. îl
traite avec un franc mépris et comme un dangereux imposteur le
fameux maître de magie noire, Georges Sabellicus, que le chevalier
Frantz de Sickingen choyait et entretenait à Kreuznach (dans le voi-
sinage de Sponheim), et auquel il avait même confié des fonctions
d'instituteur*. « Loin de nous, hommes vains et téméraires, écrit-il,
astrologues menteurs, qui remplissez les esprits d'illusions et n êtes
que des bavards frivoles! Sachez que le cours des astres n'a rien ä nous
apprendre sur l'âme immortelle, les sciences naturelles et la sagesse
qui est au-dessus des sens. — L'esprit est libre, il n'est point assu-
jetti aux étoiles; il n'est nullement influencé par elles et ne suit
pas davantage leurs mouvements. 11 n'a de société et de rapports
qu'avec le Principe immatériel par lequel il a été créé et dont il est
fécondé. — Les astres n'ont aucun pouvoir sur nous, qui ne sommes
mus que par l'esprit et reconnaissons Jésus-Christ pour notre unique
Maître. C'est à Lui seul que toute puissance a été donnée. »
Parmi les ouvrages littéraires de Trithème, il en est deux qui,
encore aujourd'hui, sont indispensables à l'érudit. Heynlin von Stein -
le pressa beaucoup de publier le premier, qui fut un événement à
l'époque où il parut. C'est un ouvrage patrologique, intitulé : Ecri-
vains ecclésiastiques, véritable répertoire d'universel savoir. Le second,
dont Wimpheling avait conçu le plan, le Catalogne des hommes célèbres
de l'Allemagne, est la première histoire littéraire dont notre pays ait
été doté.
Mais c'est surtout dans ses œuvres historiques que Trithème nous
charme ^ Les Annales d'Hirsau n'étaient dans sa pensée que le préam-
bule d'une histoire d'Allemagne générale et détaillée, pour laquelle le
moine Paul Lang rassembla des matériaux dans les monastères alle-
mands jusque dans les dernières années de la vie de son supérieur*.
L'amour de son pays, qui est le trait particulier de ses ouvrages,
a chez Trithème un accent qui pénètre et qui touche. Ses immenses
et savants travaux Ihéologiques et scientifiques ne l'empêchent pas
de garder un intérêt plein d'activité pour le passé de la vieille Alle-
magne, et il aime à exprimer dans ses livres et dans ses lettres la
chaleur de ses sentiments patriotiques. Dans la Société littéraire
rhénane, on l'avait surnommé le < prince de la science nationale >'.
" Nous l'appelons aussi », écrivait Wimpheling à Home, ^- l'heureux
père d'une innombrable postérité intellectuelle, le meilleur et le plus
' Opera, II, p. 559. — Voy. Ulmann, Franz, iwm Sickingen, p. 19.
* Voy. VValchnf.r, p. 288.
' Voy. Sayigny, Gesch. des römischen Hechts, l. III, p. 33-34.
^ Voyez-en la liste dans Potth.vst, p. 552-553. Theol. Liicnnurbhat.. Bonn, 1868,
colonne 767-770. — Voy. aussi Mittermullir, dans les Hist. und pol. DL, t. LXII,
p. 837-855. — Reichling, dans le Literatur Handweiser de Hühkamp, 1882, n" 312.
TRITHÈME ET SES ÉLÈVES. 93
illiisire fils de l'Allemagne, ce pays si favorisé sous le rapport des
prodiiils naturels comme sous celui des dons intellectuels'.
On peut juger de l'enthousiasme que les écrits de Trithème exci-
taient dans la jeunesse, par ce que raconte Jean IJutzbacli : Étant
encore (oui jeune, il lut d'un bout à l'autre, cl presque en retenant
son souffle, le premier ouvrage de Trithème qui lui était tombé sous
la main, et la science universelle de Faul cur qui semble embrasser
le ciel et la terre, sa lumineuse manière d'exposer les faits, s'emparè-
rent tellement de son esprit qu'il ne pouvait s'empêcher d'y penser
jour et nuit'. Nicolas Gerbellius s'estime heureux « de vivre dans un
siècle on l'Allemagne a la gloire de posséder des hommes aussi
accomplis que Trithème ». Jean Centurian, qui avait étudié deux ans
le grec, l'hébreu et l'Écriture sainte sous sa direction, peut à peine
trouver des paroles pour exprimer son admiration pour son maître,
louer sa sollicitude infatigable, son incessante ardeur au travail et sa
conduite sans tache \
« Qu'il est doux, écrivait de son côté Trithème, de pouvoir enflam-
mer d'ardeur la jeunesse pour l'étude élevée des sciences sacrées et
profanes, de la remplir d'un saint amour pour l'Église et la patrie, et
de l'exciter à employer toutes ses forces à la gloire de Dieu, à son
propre salut et à celui de ses frères! Pendant le labeur du jour, dans
les offices du chœur, dans le silence tranquille de la nuit, il me
semble toujours entendre une voix me crier : Le temps est court,
mets-le à profit; n'en perds aucun moment; améliore-toi et cherche
à améliorer les autres; apprends et enseigne, instruis-toi et instruis.
Et vous, noble jeunesse, sur laquelle nous fondons l'espoir de notre
avenir, combattez un vaillant combat contre le péché et la mort
spirituelle, contre la faiblesse de la nature et les dis.sipations de la
vie, croissez dans toute science; mais n'oubliez pas que tout votre
savoir ne recevra sa véritable dignité et sa consécration que par la
piété. De même que la religion doit inspirer toute vie, il faut qu'elle
pénètre et transfigure toutes nos connaissances. »
u Les anciens auteurs dont la lecture nous occupe, continue-t-il,
ne doivent être pour nous que le moyen d'atteindre à une fin
élevée. Nous pouvons en bonne conscience en recommander l'étude
à tous ceux qui veulent s'y adonner, non dans un esprit mon-
dain et seulement pour des puériHtés d'esprit, mais pour le sérieux
développement de leurs facultés intellectuelles, y cherchant, à
' SiLBERNAGEL, p. 204.
* De arte impressoria, p. 21.
' U'anderhücklein, p. 225, 273. — HaGEN , Literarische lerhiiltnisse, t. I, p. 238. —
RULAND, p. 53. — Uartfelder, C. Celtes, p. 26-27.
94 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
l'exemple des saints Pères, des fruits mûrs pour ramélioration de la
science chrétienne. Nous estimons même que leur étude est néces-
saire à cette science. " Le même sentiment est développé avec une
éloquence chaleureuse par Jean Butzbach, disciple plein de talent de
Trithème, dans un écrit où il réfute les contempteurs et ennemis
des études humanistes. « Celui qui n'a pas étudié les classiques, dit-il,
se passera aisément de l'étude de l'Écriture et des Pères, d'abord
parce qu'il n'a pas la connaissance des langues qu'il faut absolument
savoir pour les pénétrer, ensuite parce que son intelligence n'aura
pas été dressée à un sérieux travail. Les sciences profanes sont comme
des degrés par lesquels on monte jusqu'à la théologie, reiue de toutes
les sciences. ' Si, selon lui, les Pères de l'Église se sont si ardemment
occupés des classiques, c'était afin de parvenir, bien préparés et bien
armés, à l'étude de la sainte Écriture. ■> Si vous aviez étudié les écrits
des Pères, dit-il, si vous aviez lu saint Jérôme, vous sauriez le sens
mystique de ce que firent les Israélites lorsqu'ils emportèrent avec
eux les vases d'or des Égyptiens; vous sauriez pourquoi ils se sont
servis de l'or des païens pour en revêtir l'arche d'alliance; pourquoi
la reine de Saba vint à la cour du roi de la paix et mit à ses pieds les
trésors et les parfums de l'Arabie; pourquoi les mages vinrent des
pays lointains pour offrir au Sauveur, couché dans la crèche, l'or,
l'encens et la myrrhe; vous comprendriez, alors, que tous les trésors
intellectuels des païens doivent être employés au service de la vérité
pour la gloire du Très-Haut. » « Quand saint Jérôme nous raconte
qu'il fut sévèrement châtié par Dieu pour être plus cicéronien que
chrétien, il faut bien se persuader que Dieu ne voulait pas lui repro-
cher d'avoir étudié les anciens auteurs, mais seulement d'avoir eu
pour eux une prédilection exagérée, s'exposant par là au danger
de perdre le goût des choses divines. Ce n'est que par l'étude des
classiques que saint Jérôme est devenu un si brillant flambeau de
l'Église. Dieu, voulant qu'il traduisit pour le bénéfice de l'Église
l'Ancien et le Nouveau Testament, avait d'abord permis qu'il s'éprit
de ces études, sans lesquelles un tel travail eût été impossible. Il est
clair que dans les auteurs de l'antiquité, plus d'un récit pourrait nuire
à la délicatesse morale, mais nous ne devons pas pour cela en aban-
donner la lecture. Efforçons-nous seulement d'éliminer autant que
possible ce qu'ils contiennent de dangereux, et, suivant le con-
seil de saint Basile, faisons comme les abeilles, qui sucent entière-
ment la plante ou le poison 'qu'elle renferme, mais n'en emportent
que le miel '. »
Butzbach, qui se faisait ainsi l'intelligent interprète des pensées de
> Becker, p. 246-250.
UNIVERSITE DE F lU BOURG. ULRICH ZASIUS. 95
son maître, dépassaK do beaucoup par ses dons inicllectucis tous les
disciples de Tridiènie et fut celui qui pénélra le plus profondément
sa pensée et ses tendances. Maître des novices et plus tard prieur au
monaslère de Laacli, il se montra aussi infatifjable au Iravail que l'avait
été Trilhème, et chercha comme lui à acquérir une science univer-
selle. Comme écrivain, il déployait une activité multiple et féconde';
Il était d'un caractère ferme et persévérant, noble et désintéressé
dans ses intentions comme Trifhème, et comme lui joyeusement
ému quand son amour pour l'étude et les sciences semblait se
communiquer autour de lui. L'excellent supplément qu'il ajouta au
Dictionnaire des savants, de Trithème, est digne de son maître. Cet
ouvrage, auquel il collabora de 1.308 à 151.3 avec son ami et confrère
.lacques Siberti, est une histoire de la littérature contemporaine
composée de quinze cent cinquante-cinq articles différents, et conte-
nant des renseignements et des appréciations littéraires sur les
savants contemporains de l'Europe.
L'Université de Fribourg prenait aussi un rapide essor. Parmi ses
professeurs, deux savants s'y distinguaient particulièrement par leurs
travaux scientifiques; et leur influence personnelle fut considérable.
Le premier, Zasius, né à Constance en 1461, fut, en matière de juris-
prudence, ce qu'avait été Wimpheling pourla pédagogie et Reuchlln
pour l'hébreu : l'initiateur d'un progrès nouveau, et le promoteur
d'importantes réformes. La seule différence qui existe entre lui et
les savants que nous venons de nommer, c'est que ceux-ci brillèrent
aussi par les disciples qui les suivirent, au lieu que Zasius fut, dans
son siècle et dans les deux suivants, une apparition isolée et gran-
diose. Ses ouvrages ont sur ceux de ses prédécesseurs la supériorité
de la forme, d'une plus grande pureté de style, d'une langue plus
aisée, plus coulante; la pensée s'y développe avec plus de naturel,
la phrase y est maniée avec plus d'art. Mais c'est surtout par le fond
des idées qu'il les dépasse. La force de raisonnement partout victo-
rieuse qu'il opposait à la barbarie des glossateurs, a frayé une voie
toute nouvelle ; il y marche avec indépendance et hardiesse, s'appuyant
toutefois sur l'autorité des grands esprits du passé. Dans l'explication
des textes, il cherche à s'affranchir des préjugés reçus, met de côté
* Voyez la liste de ses écrits par Becker, p. 263-277.
96 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
les subtilités entortillées, et les remplace par une interprétation
simple, conforme à la nature des sujets qu'il traite'. - Avant tout,
je tiens à déclarer, dit-il dans l'introduction du principal de ses
ouvrages, que je ne veux m'occuper que du texte des documents
originaux, et ne ferai usage que de preuves vraies et solides, repo-
sant sur le droit ou sur la nature des choses; c'est sur ces inébran-
lables fondements que je veux ra'appuyer uniquement. » Bien éloigné
de vouloir asservir l'esprit allemand au droit romain, étranger à la
nation, il déclare que son intention est de ne prendre de ce droit que
ce qui « correspond aux mœurs de l'Allemagne, et ce qui lui semble
utile et salutaire à son pays >>. Lorsque dans le droit allemand se
trouvent des imperfections ou des lacunes, alors, seulement, il se
montre disposé à introduire le droit romain pour suppléer à ce qui
manque aux lacunes (jui se rencontrent dans le droit national ou
pour y apporter des améliorations. Ce qui était incompatible
avec les mœurs et l'esprit de la nation n'avait aucune valeur à ses
yeux.
Il était en guerre ouverte avec ces chicaneurs et ces avocats qui
se servaient du droit romain pour contourner les lois nationales et ne
trouvaient d'autres solutions aux procès qu'on mettait entre leurs
mains, que l'appauvrissement ou même la ruine complète des deux
parties opposées. Il les regardait comme les plus grands ennemis du
pays. « Ils empoisonnent la justice , disait-il avec douleur, « ils se
raillent des juges, ils troublent la paix, ils cherchent à mettre la
confusion dans l'État, et sont hais des dieux et des hommes-. "
La noble idée qu'il avait conçue de la jurisprudence se fait
jour dans sa manière d'apprécier la dignité du doctorat en droit.
u On n'obtient pas ce grade, dit-il, pour s'inscrire parmi les servi-
teurs des cours, pour se laisser marquer au fer rouge de leur
estampille, ni pour se salir dans la boue des tribunaux et des con-
sistoires, mais pour faire parler le droit, l'enseigner, résoudre les
questions douteuses, et diriger l'État. Voilà la vocation d'un véritable
docteur; celui qui agit avec indépendance et désintéressement sert le
peuple; celui qui est esclave et intéressé le perd'. ) Dans sa chaire
de professeur, Zasius savait entraîner ses auditeurs par la clarté de
ses pensées, la chaleur de ses sentiments, aussi bien que par sabrillante
éloquence. Aucun de ses contemporains, affirme son élève Fichard,
ne l'a jamais surpassé dans le don de la parole, ni en Allemagne, ni en
Italie. » " Lorsque nous accueillions notre Zasius dans la salle des
cours >', écrit un autre de ses élèves, - ou lorsque nous le recondui-
' V'oy. Becker, p. 277, et Krafft et Crecelils, t. VII, p. 213-286.
* Voy. Stintzing. p. 143-144.
' STii\'TZi.\G, p. 70, 90, 102, 147.
[INIVKRSITI': DE FniCOUUC. (Jl.KICH ZASIUS. 97
sions chez lui, ne nous semblait-il pas un ange? Combien de fois ne me
suis-je pasdit : llcsl lemps, voici l'heure du cours, il faul aller écouîei*
Zasius, se repaiire de son cnseij",nemenl! Avais-.je un doute qui me
loiirmeiitail? .J'allais chez Zasius et je lui demandais conseil. C'est
jour de ièle, me disais-je, il laut se rendre au service divin. Allons
accompagner Zasius à l'église, et nous le reconduirons ensuite chez
lui! »
La loi profonde qui formait comme l'essence de sa nature, sa
loyauté, sa bonhomie, sa simplicité, lui gagnaient le cœur de tous
ceux qui étaient en rapport avec lui. " Zasius -, écrivait Erasme à
Willibald Pirkhcimcr, « est un rare exemplaire des vieilles mœurs et
des anciennes vertus. Sa vie est d'une pureté vraiment évangélique.
Personne ne le quitte sans se sentir enflammé du désir de devenir
meilleur, .le ne sais pas en Allemagne une âme plus noble ni plus
pure : c'est un grand homme; l'Allemagne n'en possède pas un
second qui lui soit comparable. Si quelqu'un est digne de l'immor-
talité, c'est lui '. "
Grégoire Rcisch, prieur du couvent des Chartreux, aussi éminent
comme théologien que comme philosophe, entretenait avec Zasius
des rapports d'amitié ^ Reisch professait la cosmographie et les
mathématiques ^ et donnait de plus des leçons d'hébreu à quelques
jeunes gens zélés pour la science ". 11 appartenait au g;roupe des
réalistes qui, grâce à son ami Georges Nordhofer, savant très-versé
dans l'interprétation des Ecritures, avait obtenu la prépondérance à
Fribourg (1489). George Reisch était célèbre dans tout le monde
savant depuis la publication de son ouvrage intitulé : Perle de la
■philosophie. Ce travail l^it suite pour ainsi dire au Miroir de la nature
de Vincent de Reauvais, au Livre de la Nature de Conrad de May-
genberg, prêtre de Ratisbonne, et au Tableau du Monde du cardinal
Pierre d'Ailly. C'est la première encyclopédie philosophique dont
notre pays ait été doté; elle était réimprimée tous les deux ou trois
ans, et pendant un demi-siècle contribua dans une large mesure au
progrès de la science ^ Reisch s'y est surtout occupé des sciences
mathématiques, mais la musique y est aussi l'objet d'un examen
attentif. Les travaux minéralogiques, météorologiques et ethnogra-
phiques du prieur des Chartreux témoignent aussi de son observa-
' Voy. Stintzing, t. LXVI, p. 287-289.
2 Voy. les Chroniques de Bâle, t. \, p. 337, 397-398 .
•* WiMPHKLiXG. De arte impressoria, p. 21.
" Voy. WiEDEM.vNN, p. 23. — La grammaire grecque était enseignée à l'Uni-
versité dès 1461. Voy. Opusc. Academica latina de Ch. Zell, p. 72.
•" Voy. H.viN, n" 13852, et Gu esse, Trésor de livres rares et précieux, t. VI, p. 73,
Revue hist., t. II, p. 617, Paris, 1876.
98 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
tion aiguisée'. Celui de ses élèves qui le suivit de plus près dans la
science de la cosmographie lut Mari in Waldseemuiler, de Fribourg,
qui, en 1507, dédia à Tempereur Maximilien une Introduction à la
cosmographie avec le récit des quatre voyages d'Améric Vespuce-.
C'était la première fois qu'on réunissait los récits de voyages du
Florentin. L'auteur donne la description des cartes qu'il a tracées
des divers pays de l'Europe, et remarque que pour les plus récentes,
il s'est servi des données de Ptolémée aussi bien que des observa-
tions nouvellement faites par les navigateurs modernes. Il travailla
aussi à la belle édition de Ptolémée parue à Strasbourg, et exposa
en deux traités les principes de l'architecture et de la perspective,
traités dont se servit plus tard son maître Reisch dans une nouvelle
édition de son Encyclopédie'' (1509).
VI
L'Université de Bâle surpassait encore celle de Fribourg par l'active
énergie de ses efforts intellectuels l'éhiu vif et spontané de son dé-
veloppement et les féconds travaux de ses professeurs. Bàle, jusqu'à
l'époque de la ■scission religieuse*, fut le « séjour favori des Muses ".
Pendant les dix premières années de son érection, le savant qui y fut
le plus justement célèbre fut Heyulin von Stein, issu probablement
d'une noble famille de Souabe, savant laborieux, grave et austère,
maître éloquent, et d'un caractère ferme et droit. Il fut l'un des
derniers représentants éminents de l'Ecole scolastique; il appar-
tenait au parti des réalistes, et pourtant il le cédait à peu de ses
contemporains en enthousiasme pour l'étude de l'antiquité, récem-
ment remise en honneur. Partout où il déploya son infatigable acti-
vité, à Bàle, Paris, Tiibiagen et Berne, son influence eut les plus
heureux résultats; recteur de l'Université de Paris, il chercha à faire
prévaloir en France les études classiques, recommandant particuliè-
rement aux écrivains la pureté et l'élégance de la langue latine. Paris
' Dit Alex. DE Humboldt, dans le Cosmos, t. II, p. 286. — V'oy. les Recherches
critiques de IIiMBOLDT, t. I, p. 109; t. II, p. 359.
- Sur les connaissances des sciences naturelles des scolastiques en général,
Peschel dit dans VHisi. dv la géogr. : ■ On comparait et on observait alors avec ta
même pénétration qu'aujourd'hui. "
^ Voy. Al. DE Humboldt, Kritische Untersuchungen, t. II, p. 358-371. — Ghillany,
p_ 4_6. — Peschel, Zeitaller der Enldeclaingen, p. 4(0-415. — Schreiber, t. I,
p. 235-240. C'est probablement Waldseemuiler qui a le premier proposé de
donner au nouveau monde le nom d'Amérique.
* C'est Érasme qui la nomme ainsi dans une lettre datée de 1516. — Voy.
WOLTMANN, t. I, p. 267.
u M V i; r, s IT I-: de r.ALt:. ueyîvmîv von stein. 99
lui (loil sa première imprimerie, établie par les lypographcs connus
alors sous le nom de irères allemands -. De concert avec le célèbre
réaliste GuiManme Ficliet, il assura aux savants grecs qui étaient
venus s'établir à Paris après les bouleversements de leur pays, les
conditions de vie les meilleures et les plus ajyréables. Il entretint
avec rilalic des rapports actifs, acheta de nombreux manuscrits, et
sul, en les confrontant soigneusement, arrivera rétablir la pureté
(Vnn grand nombre de textes. Il avait autrefois grandement con-
tribué au développement intellectuel dWgricola et de r»euchlin, et
tous deux, avec les expressions les plus sincères de vénération et
d'estime, témoignent de leur reconnaissance envers leur ancien
maitre. Il réussit ä fonder à Berne une maison d'éducation et d'ensei-
gnement dont la direction fut confiée au moine Nicolas Weiden-
busch, célèbre aussi par ses connaissances médicales. Prédicateur de
l'Évangile, Heynlin combattit avec zèle les vices et les dérèglements
de son temps dans les chaires de Berne et de Bàle '.
Il était, dans cette dernière ville, le centre intellectuel d'un groupe
de savants éminents, professeurs d'Universités ou littérateurs. Citons
parmi eux des hommes parvenus plus tard à la plus haute célébrité :
Sébastien Brant et Geiler von fvaisersberg. Nommons aussi Guil-
laume Textoris, d'Aix-la-Chapelle, professeur de théologie, dont
Trithème loue l'éloquence et l'esprit indépendant, et le coadjuteur
de Tévcque de Bàle, Christophe von Utcnheim, si activement zélé
pour la réforme de l'Eglise. Le théologien Jean de Gengeubach, qui
occupait depuis 1474 la première chaire érigée en Allemagne pour
l'enseignement de la poésie et des arts libéraux, faisait aussi partie
de ce groupe. L'archidiacre Jean Bergmann (d'Olpe, en Westphalie)
se montra le Mécène intelligent et désintéressé des amis d'Heyn-
lin. Il établit une imprimerie à ses frais pour populariser les écrits
de Brant, de Beuchlin,de Wimpheling, et en donna au public d'excel-
lentes éditions, ornées des chefs-d'œuvre de la gravure sur bois.
L'imprimeur Jean Amerbach le seconda avec désintéressement dans
ses vues, et de son côté retira un grand fruit des conseils et de l'aide
d'Heynlin, sous lequel il avait autrefois étudié à Paris.
Après une existence agitée, Heynlin se retira à la Chartreuse de
Bàle, dans la vallée de Sainte-Marguerite (1487), et consacra les neuf
dernières années de sa vie à la prière et au travail solitaire. Dans
cette dernière période de sa vie il publia presque tous les ouvrages
des Pères de l'ÉgUse (saint Augustin, saint Ambroise et saint Jérôme)
et enrichit plusieurs ouvrages de Cicéron d'introductions et de som-
maires. Ses travaux sur la philosophie d'Aristote prouvent combien
' La BiI)liothèqiie de Bâie conserve encore cinq in-quarto de ses sermons.
7.
100 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
le système du Stagyrite lui était familier; il souhaitait ardemment le
voir mieux compris de ses contemporains. Son Trailé sur la Sainte
Messe eut vingt éditions différentes en l'espace de douze ans, à Rome,
Cologne, Strasbourg, Bâle, Leipzig et ailleurs'.
(^ Comme un géant courageux de la foi-, écrivait à son sujet Wim-
pheling, =. il était toujours armé et prêt au combat ; il a livré plus d'une
rude bataille; mais au fond de son cœur il était toujours incliné vers
la paix. Ses labeurs furent bénis de Dieu. Il ne prenait jamais en
main un livre ni une plume sans s'être auparavant recueilli devant Dieu
dans la prière. Il avait si souvent lu et médité la sainte Écriture qu'il
la savait prseque entièrement par cœur. Son âme était pure comme
celle d'un enfant. Jouer avec les cnfaots était sa récréation préférée
lorsqu'il se sentait fatigué d'un long travail*. ■
Lorsque Heynlin mourut regretté de tous, il n'y eut, parmi les
nombreux amis qu'il avait en dehors du cloître, que le plus intime
d'entre eux, Sébastien ßrant, à qui il fut permis d'assister à ses der-
niers moments (1496).
Sébastien Brant, né à Strasbourg, en 1457 ^ avait comraeficé sa
carrière à Bâle, comme professeur des deux droits, et de concert avec
Ulrich Krafft (maître d'Ulrich Zasius), avait donné l'élan à l'étude
de la jurisprudence à l'Universiîé. En même temps, au grand applau-
dissement des étudiants, il professa les humanités, et se fit connaître
ei apprécier par ses poésies latines, la publication de plusieurs
auteurs latins et les efforts qu'il fit pour propager les études huma-
nistes chrétiennes. C'est à lui que la littérature et la science doivent
la première édition des œuvres de Pétrarque, qu'il a glorifié dans une
enthousiaste poésie latine*. Il donna aussi ses soins à toute une série
d'éditions d'anciens livres de droit, prit une part active à la publi-
cation des célèbres concordances de la Bible (1496), puis à l'édition
de la Bible en six volumes in-folio parue en 1498 avec les commen-
taires de Nicolas de Lyra '.
L'esprit de Brant n'était nullement porté à une science purement
théorique. Il allait toujours droit au but pratique et, dans les ten-
dances de son temps, saisissait de préférence le côté populaire, poli-
» VisCHER, p. 15?-l65, 18?. — V^ALcaNE[\, p. 279-288. — Zarncke, la XeJ des
fous, de Brant, foL XX, XXI. L. Geiger, Rcuchlin, p. 10-13. - Schreiber, t. I,
p. 234. — IlAiN, n" 2899-9918. Voy. les vers adressés par Brant à Heynlin,
dans \3iCarmina de ce dernier, p. 140-141, et les Chroniques de Bâle, 1. 1, p. 342-347.
^ De arte impressoria. p. 23.
^ Voy. Schmidt, p. 6.
* Voyez-en la trad. dans Geiger, dans le Z eitschr if t fur deutsche hulturgeschichii\
1874, p. 222-224.
* Voy. Schmidt, p. 17-20. — Goedeke, t. XI.
SEBASTIEN B RANT. 101
liqiic Cl moral '. C'est ce que nous prouve surtout son poëme didac-
tique et religieux de la \ef des fous , où il nous a donné une si
nolde preuve de son patriotisme et de sa foi. Il aimait avec enthou-
siasme l'ancienne constitution chrétienne qui unissait les peuples
sous les puissances réunies du Pape et de l'Enipereur -; il était invin-
ciblement attaché à rK{>lise, et aimait à répéter souvent ces paroles,
dont il avait fait sa maxime favorite :
" Ne te laisse pas ébranler dans la foi
Même si l'on veut en disputer;
Crois purement, simplement.
Ce que la sainte Église t'enseifjne.
Ne te laisse pas prendre aux doctrines subtiles
Que ton intelligence ne peut pas comprendre ^. •
VII
Le prédicateur eu titre de la cathédrale de Strasbourg-, Geiler de
Kaisersberg (né à Strasbourg, eu 1445), occupait dans cette ville une
position analogue à celle qu'avait à Bâle Heynlin von Stern, son ami
et son élève. Il y était le chef de ces savants distingués que la " reine
du haut Rhin ■' pouvait à bon di^oit se montrer heureuse et fière de
posséder. Théologien scolastique, zélé partisan et propagateur des
études d'humanisme chrétien, prédicateur illustre, il partageait
entièrement les idées et les vues de son maitre HeynHn, et ferme
avec ses deux amis, Jean ïrithème et Gabriel Biel, la série des
grands théologiens du moyen âge. Son excellente éducation, fon-
cièrement scolastique, formait précisément la base de son talent
lumineux, clair, pénétrant, et si bien adapté au genre tout popu-
laire de sa prédication. Ses connaissances sur la Bible et les saints
Pères étaient profondes et complètes. Il en recommandait l'étude
avec instance aux théologiens; mais en même temps il se tenait
attaché à ce principe qu'il regardait comme irréfutable : '• Les
jeunes gens encore novices dans la théologie ne doivent pas être
exclusivement mis à l'étude des anciens et vénérables Pères,
ces colonnes et ces lumières de l'Église; qu'on leur fasse plutôt
approfondir les docteurs de la théologie scolastique moderne.
Ces maîtres procèdent par un ensemble de questions bien posées,
admirablement propres à former l'esprit à la discussion, à la contro-
' Voyez l'excellent parallèle de Stintzin,^ entre Brant et Érasme, Litt, pojj.,
p. 453.
* Voy. Schmidt, p. 198-200.
' Voy. Zahncke, Xef (les fous, App.. p. 154.
102 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
verse contre les hérétiques, â aiguiser l'esprit, à donner Tintelli-
gence des contradictions apparentes de la sainte Écriture ^ « < Nul
théologien, dit-il, ne devrait laisser passer un seul jour sans lire la
sainte Bible. C'est le livre des livres. Il faut le méditer, en acquérir
une très-exacte connaissance, si l'on veut pouvoir ensuite l'expliquer
au peuple avec fruit. Mais, quant à son interprétation, appuyons-
nous toujours sur l'irréprochable doctrine de l'Eglise. '■
A l'époque dont nous nous occupons, â peine trouve-t-on en Alle-
magne une personnalité qui ait joui auprès des contemporains d'une
estime aussi générale; il a, de nos jours encore, gardé sur les esprits
une action puissante. On avait surnommé Geiler •■■ la Trompette
retentissante de Strasbourg ' . Les dons tju'il possédait se trouvent
rarement réunis; il alliait une grande énergie intellectuelle â la plus
extrême douceur; une ferme décision, une persévérance de fer, une
force de caractère inébranlable, au plus tendre amour du prochain
et à une humilité d'enfant. 11 y avait sur son visage grave et mâle
une expression de pureté dont on restait touché, et qui trahissait
la source de sa force. « 11 se consumait, dit Wimpheling, en
amour pour ses frères; toute sa vie il eut au cœur une profonde
douleur morale causée par les vices et les erreurs de son temps; il
exerçait envers lui-même, avec une extrême rigueur, les plus rudes
pénitences, mais en même temps il éiail ennemi de toute humeur
sombre et chagrine. D'un caractère gai dans le commerce journa-
lier, profond dans ses affections envers les rares élus qui avaient
le bonheur de jouir de sa proche intimité, cet homme, d'une rigueur
ascétique, avait besoin d'un abandon cœur â cœur, d'une confiance
sans contrainte avec ceux qu'il aimait. Un vivant échange dépensée,
les effusions de l'amitié, lui étaient absolument nécessaires, et il
mettait en pratique cette belle parole : - La propre joie de l'homme,
c'est l'homme. "
Le chanoine Thomas Wolf était de ses amis. C'est dans sa maison
que Pic de la Mirandoledit avoir rencontré le - banquet des sages ".
Le chanoine Pierre Schott, fils de l'ammeister Schott, aux efforts
duquel Geiler devait la chaire de la cathédrale, en faisait également
partie. Pierre Schott, comme le prouvent ses écrits, était un disciple
fervent de l'humanisme chrétien, un canouiste des plus instruits,
un prêtre pieux " rempli de zèle pour le salut des âmes ■. Sous
l'influence de Geiler se développa aussi le savant théologien Ottmar
Nachtigale -, qui, après avoir parcouru presque toute l'Europe et une
' RlEGC.F.R, Amœuilates lilerariie Friburgcnses, t. I, p. 109. — Vov. Kehker, 49,
283. — Voy. sur les éludes scolast. le jugemeut de Gabr. Biel, dans Linsen-
ï!\N\, C. Summenharl, p. 14.
- Luscinius.
ÉTUDES llISTOr, IQUKS A STr.ASBOUP.G. 103
|j;iiMic (le l'Asie, Cul lon{j(cmp.s professeur de j^rec à Strasbour^y,
sa ville nalale. '■ .l'ai reeii dans mon enfance ])eanc()np de sajjes
conseils du docleur Kaisersber{j ■^, a-t-il dit dans la préface de son
Histoire évangélir/ue, " soit dans ses sermons, prêches à Strasbourg,
si)it dans sa maison; ils ni'onl été exirèmement utiles, el je leur dois
de n'élre pas re^jardé comme un mondain. Plaise à Dieu que ce
jn{',ement soil vrai ' ! "
C'est surloul lorsqu'il fut donné à Geiler d'atlirer à Strasbourjj
ses deux plus inlimes amis, Sébastien Braut et Jacques W'im-
l)lieling', que son goiU pour les éludes historiques et humanistes
prit tout son développemen et exerça le plus d'influence. Brant,
sur sa recommandaîion, lut appelé de Bàle pour venir prendre à
Slrasbour(y les fonctions de syndic du Conseil (ir)00), et bientôt
après eut ä remplir la charge de secrétaire de la ville et de con-
servateur des archives. Quant à Winipheling, à la prière de Kai-
sersberg, il établit sa résidence à Strasbourg pendant de longues
années, et travailla de concert avec lui à la publicaliou des œuvres
de .lean (Jerson.
\Vimpheliug et Braut, aussi enthousiasmés pour le passé de l'xVlle-
magne que pour la littérature classique, fondèrent à Strasbourg
une société savante dont le principal but était le progrès des études
historiques nationales. Secondés par de jeunes travailleurs qu'ils dési-
gnaient, ils préparèrent un recueil de tous les documents relatifs à
l'histoire du Haut Rhin, recueil qui, dans leur pensée, devait être
accompagné d'explications biographiques et ethnographiques. ■< Aous
nous proposons ", écrivait Wimpheling en 1507 en parlant de cet
ouvrage qui malheureusement ne fut pas terminé, « d'offrir à notre
ville natale, à - notre petite patrie ', l'hommage que nous lui devons,
nous, ses fils reconnaissants. Quel lieu sur la terre pourrait nous être
plus cher que le sol qui nous a vus naître, sur lequel nous avons
grandi, auquel se rattachent tous les souvenirs de noire jeunesse! Ce
sol nous renseignera sur la vie de nos pères; il cache leurs ossements,
et en étudiant son passé, nous apprendrons à connaître nos propres
origines ^. "
A l'instigation de Geiler, Thomas Woîf le jeune conçut le plan
dune histoire de Strasbourg depuis ses premières origines, et Wim-
pheling composa une histoire des évèques de la môme ville; Brant
rassembla des matériaux pour l'histoire contemporaine, disposa en
notes quotidiennes les annales delà ville, et s'acquit le grand mérite
' noLLîNGrn, Reformation, {. I, p. 5î7-.^î8. — Sur les savants amis (\i Ceilcr,
voy. Dacheux, p. •284-471. — Lindemaw, p. i2U-i;îi.
- De nrle imprcssoi in, fol. 17.
104 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
d'avoir remis de l'ordre dans ses archives '. Dans un écrit que V>'im-
phelin(}" publia en 1501 intitulé : L'Allemagne, hommage à Strasbourg
et au Rhin, dédié au conseil de la ville, il considère comme le devoir
spécial d'une bonne administration municipale •■ la rédaction exacte >
des livres de chroniques, dans lesquels doivent être consignés pour la
postérité - tous les événements importants et tous les souvenirs
intéressants la ville :;, pour l'utilité et le bien des générations
futures, l'enseignement et l'encouragement de la jeunesse, la pro-
tection de la liberté et la fidèle conservation des privilèges accordés
à la ville par les papes et les empereurs. Il sollicite du conseil avec
chaleur, au nom des intérêts les plus élevés de la cité, qu'un collège
y soit fondé et que la science y soit encouragée ^ Dans son amour
pour son pays, ^Vimpheling s'efforce d'établir la preuve que les pays
occidentaux du Rhin ont toujours appartenus à l'Allemagne, et que
par conséquent les Français ne peuvent élever aucun droit à la pos-
session de l'Alsace.
Son patriotisme s'exprime aussi avec chaleur dans son Abrégé de
l'histoire d'Allemagne jusqu'à îios jours, composé d'après le travail
préparé par le chanoine de Colmar, Sébastien Murrho (1502).
" J'admire toujours, dit-il, l'honnêteté des anciens auteurs, et je me
détourne de ces historiens modernes qui me semblent toujours des
flatteurs. Car au lieu de se borner à ne rien raconter de faux, à ne
rien taire de vrai, pour ne pas être soupçonné de préférences, de parti
pris, de dispositions partiales et hostiles, ils ont coutume, quand ils
parlent des Allemands, d'énumérer leurs vices, et même les moindres;
quant à leurs vertus, ou ils les passent sous silence, ou s'ils en parlent,
c'est avec un visible mauvais vouloir, et en leur mesurant un éloge
qui leur appartient justement. Pour nous, nous sommes fiers d'appar-
tenir à la race des Germains, dont les actions admirables et glorieuses
vont être rapportées dans ce livre. =)
Cet ouvrage est la première histoire générale d'Allemagne qu'un
humaniste ait composée. Au point de vue d'une érudition appro-
fondie, elle reste certainement bien en arrière des ouvrages ana-
logues d'un Irenicus ou d'un Bealus Rhenauus; mais elle donna
néanmoins un vigoureux élan à la sérieuse étude du passé national.
Dans une exposition animée, attrayante, Wimpheling, pour fortifier
chez les Allemands le sentiment de leur propre valeur et exciter la
jeunesse au désir des actions généreuses, célèbre le glorieux passé du
peuple allemand, avec lequel, selon lui, aucune autre nation de la
■ Voy. Cliion. der deutschen Städte, t. VIII, p. 65-GS. — Wencker, Apparalus Archi-
torum, p. 15-10.
-WiskowaTOFF, p. 101-102; HoraWITZ, Xationale Geschichtssclireibung , p. 71-72.
WIM PII EL IN G lIISTOniEN. 105
terre ne peut se mesurer sous le rapport de la jjloire miliiaire
comme sous celui des mœurs et des dons intellectuels. A son avis,
rien que par l'invention de l'imprimerie, les Allemands ont été les
|)lus ijrands bienfaiteurs des autres peuples. En architecture, en
sculpture, en peinture, ils ont donne à l'Europe les maîtres les plus
parfaits. 11 traite à fond les événements intellectuels de son temps,
donne des détails biographiques sur les savants et les artistes les
plus illustres et nous fournit ainsi ap,réablement la preuve que, dès
lors, on savait unir avec intelligence l'histoire de la civilisation à
l'histoire politique et littéraire. Ce qui fait dans cet ouvrage une
impression touchante, c'est l'intime union des convictions religieuses
avec le fidèle amour du pays; et, qu'on le sache bien, ces sentiments
n'appartiennent pas exclusivement à Wimpheling-; ils étaient com-
muns à toute l'école de l'humanisme chrétien de cette époque. Com-
battre pour l'unité et la pureté de la foi, pour l'honneur et l'intégrité
de l'empire, paraissait à ces nobles lutteurs le plus sacré des devoirs
et la plus haute des missions, llétablir la souveraineté du christia-
nisme sur le monde par l'autoriié unie du Pape et de l'Empereur, tel
était le but suprême de leurs efforts. De la leurs émouvantes et
continuelles exhortations, leur douleur de voir la chrétienté amoin-
drie par les empiétements des Turcs qui menaçaient d'inonder
toute l'Europe; leur indignation en voyant l'empire m.enacé de
périr à cause de l'égoïste ambition, de la soif de domination des
princes. .Maximilien, enthousiasmé pour tout ce qui était noble et
grand, n'était en rien soutenu par eux, et demeurait isolé par leur faute;
c'était là pour eux un regret constant. -< Tous les yeux, dit vrimpheling,
sont fixés sur Maximilien. Depuis Charlemagne, aucun empereur n'a
fait naître dans toutes les classes du peuple d'aussi légitimes espé-
rances. Tous attendent de lui l'union des forces de l'Allemagne,
tous espèrent qu'il nous dirigera dans une campagne glorieuse contre
les Turcs. » '■ Combien de temps, dit-il encore en g'adressant aux
princes allemands, souffrirez-vous que la religion catholique reste
sans défense, et que Constantinoplesoit occupée contre toute justice?
Peut-être avez-vous à l'intérieur de justes guerres à soutenir, mais
il serait plus équitable encore de combattre pour le Christ. Mettez
un terme aux divisions intestines, et que votre vaillance invaincue
se tourne enfin vers les Turcs Délivrez les malheureux prison-
niers chrétiens qui languissent dans l'esclavage des infidèles; délivrez
Constantinople! Vous êtes nobles, vous portez des insignes guer-
riers; des chaînes d'or sont suspendues à votre cou, et de précieuses
bagues brillent à vos doigts; vos épées et vos éperons ctincellent
d'or. Vous êtes chrétiens, et voulez être tenus et considérés i)0ur
tels : montrez donc par des actes votre religion et votre foi ! Ne
106 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
souffrez pas que votre gloire soit ternie et qu'on puisse vous repro-
cher votre lâcheté, votre indifférence, la paresse, l'ivrognerie, le luxe,
la danse, le spectacle, la volupté, la. frivolité, la cupidité, le bien-
être, vos chasses fastueuses, et tous vos autres vices! Et combien
pour les princes allemands la victoire serait aisée s'ils désiraient vrai-
ment l'obtenir! Oue le peuple qu'ils gouvernent est admirable! quelle
gloire guerrière ne possède-t-ii pas ! Quelle comparaison les autres
nations peuvent-elles soutenir avec lui'? " Geiler faisait entendre le
même cri d'appel dans ses prédications, et Brant le répétait dans
son grand poëme didactique et religieux comme dans ses petites
poésies latines, adressées aux princes et aux petits États indépen-
dants. « Les royaumes divisés périssent, écrivait-il, la discorde
ouvre à l'ennemi un passage facile. L'attelage désuni renverse la
charrue ^ '
L'étude des classiques antiques était poussée avec autant d'ardeur
à Strasbourg que les recherches historiques, grâce surtout à l'infa-
tigable activité de Brant ^ Geiler, (jui considérait les humanités
comme le meilleur moyen d'aiguiser l'esprit et d'apprendre à dis-
cerner et à exposer la vérité avec justesse, prenait à ces études un
intérêt plein de sympathie; aussi employa-t-il son crédit auprès de
l'évêque et des chanoines * pour que le savant pédagogue Jérôme
Gebweiler' fût appelé à Strasbourg" en qualité de recteur de l'école
collégiale. C'est aussi grâce à Geiler que Beatus Rhenanus de
Schlestadt, qui devint depuis un philologue si distingué et ouvrit
une voie nouvelle à la science historique, vint se fixer à Strasbourg'.
Ce même Bhenanus fut témoin plus tard des regrets universels du
peuple aux funérailles du vénérable Prédicateur de la cathédrale (1510),
et retraça sa vie et ses œuvres dans un panégyrique ému.
Le lecteur qui lira sans prévention les écrits de Geiler demeurera
frappé de son amour pour la vérité, de sa hardiesse, de sa liberté
d'esprit, de la justice inaltérable, de la droiture et de la loyauté de
ce grand caractère. Sa puissante éloquence, son expression vive,
animée, simple, et toujours intelligible à tous, est presque unique en
sou genre. Comme ses sermons avaient trait à la vie populaire, aux
mœurs de son époque, on y trouve encore aujourd'hui de précieux
matériaux pour la connaissance du temps auquel il appartenait, pour
' Voyez pour plus de détails VEpiiomc gcrmanicorum rcruin commenté par
IlOR.vwiTZ [Xalionalc Geschichtsschreibung).
- Voy. GOEDECKE, t. XIII-XIX.
•^ Schmidt, p. 198-213.
* Schmidt, p. 42-iÔ, 163.
■' D'après un renseignement fourni par r.orres, dans le Coder de Slrasbour;j.
'"' Voy. Wii-DF.MW.N, p. 404.
" Voy. IIOKVWiTZ, Benins Rhenanus, 7Ü, 195, puis 71, 643, et 72, 360.
GEILER DE KAI SERS im: R G. 107
l'étude des mœurs et des idées religieuses d'alors'; c'éfail, dans la
meilleure aceeption du mot, l'homme du peuple, le défenseur de tous
SCS droits légitimes, le père des opprimés et des malheureux, à
quelque classe qu'ils appartinssent. II combattait énergiquemeni
Texploilatiou du pauvre par le riche, l'inégale distribution des
impôts, la passion clTrénée de la noblesse pour la chasse, et s'em-
ployait avec zèle à organiser la charité publique. Il réprouvait avec
vigueur les punitions barbares, sur! ont la torture, et témoi}',nait
une compassion touchante aux condamnés à mort, auxquels juscfu'à
celte époque on avait refusé à Strasbourg les sacrements et la sépul-
ture chrétienne. Ce qu'il recevait d'appointements comme prédica-
teur était la part des pauvres. Tous les jours il faisait l'aumône aux
enfants trouvés et aux orphelins abandonnés, et dès qu'il paraissait
dans la rue, une foule de malheureux l'entouraient et lui demandaient
assistance ^
Prédicateur de la cathédrale. Geiler exerça pendant trente ans une
influence immense sur son auditoire; les grands et les petits s'y trou-
vaient confondus. 11 avait l'art de faire vibrer les sentiments les plus
intimes du canir humain. Il ranimait la foi, inspirait la piété. A une
époque où la religion étendait encore ses profondes racines dans
la vie sociale et dans la vie politique, un homme aussi éclairé de
l'esprit de Dieu, d'un caractère aussi ferme, était une véritable puis-
sance publique; aussi Geiler JGua-t-il un rôle important dans le mou-
vement politique et social de son temps. S'il flagellait sévèrement
les vices croissants des classes populaires, surtout le luxe, la passion
du bien-être; s'il s'élevait contre l'insubordination envers les auto-
rités constituées par Dieu, il tenait avec le même courage un langage
hardi, grave, plein de force, aux classes élevées et leur rappelait
sévèrement leurs devoirs. - 0 toi, dépositaire in-^ensé de la puis-
sance ', s'écriait-il un jour en s'adressant aux potentats qui oppri-
maient et méprisaient leurs subordonnés, ■ d'où vient ton dédain
pour celui qui t'est soumis"? ne vaut-il pas autant que toi? N"es-tu
pas pétri de la même argile que lui"? .\-t-il été baptisé avec de l'eau
et toi avec du malvoisie? O insensé que tu es! Penses-tu que l'épée
ait été mise en ta main afin de perdre ceux qui t'ont été confiés ou
bien pour les protéger et les défendre? '
Geilerétait, comme le dit Brant dans le panégyrique qu'il tracedelui.
L'homme qui ensemençait la justice;
L'ennemi particulier de la malice huuiaine :
' Voy. Wackeknacel, Gcschklitc der deutschen Literatur, p. 341. — Sur les écrits de
Geiler, voy. Kerker. 49, 748-757. — Dacheux, Jean Geiler, p. 557-583.
- Voy. Dacheux, p. 45-97. — Kerker, 48, p. 644-647, 727.
108 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
Le censeur qui excellait à déraciner les vices et les actions mauvaises;
Le miroir et le justicier des péchés;
La consolation et le refuge de tous les pauvres;
Un père compatissant et affable;
Doux dans sa conduite, bienveillant et bon,
Calme, droit, vaillant et humble.
Il ne faisait pas acception de personnes;
Son blâme et sa leçon atteignaient chacun.
C'est avec le même poids et la même mesure
Qu'il pesait les actions des petits et des grands. »
Gabriel Biel, jîrofesseur à TUniversité de Tübingen, était le di(}ue
ami et le contemporain de Geiler.
VIII
Créée pkis tard que les Universités de Fribourg et de Bâle, T Uni-
versité de Tübingen devint au bout de peu de temps le troisit'me
centre intellectuel de rAîlemagne du Sud. Inaugurée en 1477, elle
se développa si rapidement que le Florentin Marsilius Ficinus écri-
vait dès 1490 à Reucblin (conseiller du comte Eberhard de Wur-
temberg dans toutes les choses qui regardaient la fondation de
rUniversité) : " Les étudiants qui sont envoyés de Tübingen aux
académies italiennes eu savent autant que ceux qui ont achevé leurs
études dans ces académies. " Le maître d'Eberhard, Jean Bergen-
hanns, surnommé Nauclerus, éditeur d'une vaste encyclopédie d'his-
toire universelle ', partage avec Reuchlin l'honneur de la fondation
de cette Université. Elle doit sa première péiMode d'éclat, avant la
séparation de l'Eglise, aux théologiens scolastiques Paul Scriptoris,
Conrad Summenhart et Gabriel Biel. Paul Scriptoris, gardien des
Frères mineurs de Tiibingen, y fit progresser, de concert avec Sum-
menhart, l'étude des langues grecque et hébraïque; il professa aussi
les mathématicjues, mais seulement dans un cercle d'amis. En 1497,
il fit un cours sur Euclide et la géographie de Ptolémée; presque
tous les professeurs de l'Université faisait partie de l'auditoire. Sou
élève Jean Stoffler, curé de Justingen, fabriquait dans l'atelier qu'il
avait créé lui-même, des globes célestes, ainsi que de grandes hor-
loges de clochers et de tours, et s'acquit une réputation fort étendue
comme professeur de mathématiques et d'astronomie. Il prit une
part active à l'amélioration du calendrier et fut l'un des premiers
savants qui écrivirent sur la manière de tracer les cartes -. Sum-
' Voy. .lovcuiM, 8-70. — Trois bourgeois de Tuliingue firent imprimer à leurs
frais ce volumineux ouvrage, p. 19.
- Pour plus de détails, voy. Moll, p. 18-i9.
UMVl'RSlTi: DE TÜBINGEN. 109
mculiarl (f (502), innovateur plein de zèle, donnait pour base à Tin-
(crpiM'Ialion de la sainte Ecriture l'étude des lanj",ues orijyinales.
>Son traité sur les " Contrats " et son livre sur la ^ IJime •• conlri-
buèreut puissamment aux progrès de l'économie sociale". Quant à
(Gabriel Biel (r en 1-195), c'était à l'Université de Tübingen l'un des
savants les plus influents, il appartenait à l'école des nominaux et
fut du petit nombre de ceux qui produisirent un système de théo-
logie dont l'orthodoxie ne l'ut jamais attaqué par aucun théologien
calliüli(pie-. Les adversaires la plus déclarés de lascolastique louaient
la simplicité d'expression, la clarté et la concision de son style ^
(Uî l'avait surnommé '- le roi des théologiens ". Les ouvrages
(le Sumnicnhart, Biel, Jean Trithème, Heynlin von Stein, Georges
lUich et d'autres encore prouvent bien que les hommes les plus
distingués de l'école scoiasiique de la fin du quinzième siècle
étaient loin des vaines spéculations, des futiles jeux d'esprit de leurs
prédécesseurs, et savaient se préoccuper des questions et des néces-
sités de la vie pratique. Les idées de Biel sur le prix des denrées,
si;r le salaire des travailleurs, les questions monétaires, etc., sont
encore aujourd'hui dignes d'attention et d'intérêt. Sou travail sur
les monnaies est un véritable livre d'or \ Voici comment il s'y
exprime sur l'altération des monnaies par les princes, altération
qui n'était que trop fréquente : " Le prince a bien, il est vrai, le droit
de battre monnaie, dit-il ; mais une fois qu'elle est mise en circulation,
elle ne lui appartient plus, elle est à ceux qui l'ont reçue en échange
de pain ou d'un travail quelconque. Lorsque le prince décrie une
nionuaie, la reprend à bas prix et eu émet au même taux une autre
de moindre valeur, il fait uu acte déloyal, c'est une iniquité qui
appelle la réforme; il se livre à une exploitation du peuple injuste
et tyranuique, tout aussi répréhensible que s'il achetait du blé à
un prix fixé par lui pour le revendre ensuite plus cher. » Biel con-
damne avec la même fermeté les vexations que les grands font subir
à leurs subordonnés dans les lois qui se rapportent aux eaux, bois
et pâturages. Il blâme sévèrement les seigneurs de tous les dégâts
occasionnés par leurs chasses, et se plaint surtout de ce qu'ils
imposent aux paysans l'obligation de conserver le gibier, qui porte
' MoLL. Voyez dans Linse>mann l'excellente biographie de Slmmexhart, 2-68,
sur la manière dont Summenliart reconnaissait et combattait les abus ecclésias-
tiques. — Voy. dans le même ouvrage, p. 69-76.
- LiNSEMïANN, Gabriel Biel. p. ^21.
3 Voy. Erhard, t. I, p. 192-194.
* Voy. ce que dit Roscher sur Biel, dans le rapport fait à la Société royale
saxonne de science et de philologie, t. XIII, p. 164-174.— Contzen, Geschichte der
volkswirtscha/tl, LiUratur des Mittelalters, p. 1G1-1G6. — Voy. aussi Falk, Die volhs-
winhschafll der Reformationszeit, dans les Zeitschrift fur Deutsche Anschauung e7i luUur-
geschichle, 1874, p. 167-206.
110 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
un si grand préjudice à leurs champs. Dans un temps où l'absolu-
tisme des princes allait toujours croissant, Biel leur répète très à
propos = que les princes sont faits pour le peuple, et que pressurer
le peuple par des impôts est un crime abominable, devant Dieu et
devant les hommes ".
1\
La quatrième Université de fondation nouvelle de TAllemagne
du Sud, Ingolstadt, fut, dès les premières années de son existence,
considérée comme l'un des établissements d'enseignement les plus
remarquables de l'époque. De nombreux étudiants y affluaient, venus
d'Italie, de France, d'Espagne, d'Angleterre, de Hongrie et de
Pologne. Parmi les humanistes les plus distingués dont elle était
rîère, Jacques Locher, surnommé Philomusus, se rendit particulière-
ment célèbre par ses traductions. On lui doit plusieurs livres d'en-
seignement, et ses éditions d'auteurs classiques accompagnées de
commentaires, rendirent de grands services à la philologie K Jean
Turmaier, surnommé VAventin, contribua aux progrès des études
classiques dans leurs différentes branches, et fonda à Ingolstadt une
Académie de littérateurs; ses ouvrages historiques lui valurent plus
tard le surnom de Père de l'histoire nationale. Jean Bichenstein,
d'Erlangen, fut aussi une illustration de cette université, et de con-
cert avec son maître Reuchlin remit en honneur la langue et la litté-
rature hébraïques ^
Mais le savant qui exerça l'action la plus étendue à Ingolstadt,
c'est le professeur de théologie Jean Eck. Il était doué de facultés
véritablement extraordinaires; son esprit était d'une vigueur et
d'une souplesse exceptionnelles. A peine âge de quinze ans, il don-
nait souvent à Fribourg six heures de cours ou de répétitions de
philosophie par jour, ce qui ne l'empêchait pas de suivre les cours
des plus célèbres théologiens et juristes. Dès sa première jeunesse il
entretenait avec ses plus célèbres coutemporains, Braut, Geiler von
Kaisersberg, Peutinger, Ueichlin, Wiinpheling, Zasius et d'autres,
des relations d'amitié et de science, et devint bientôt lui-même un
profond théologien, un philosophe éminent \ A vingt-quatre ans,
il était professeur de théologie à Ingolstadt, et deux ans après,
' Voy. IlEHLE, t. XVIII, p. 34-39. — Prantl, t. I, p. 133.
- Geiger, Sttidiiim der Itebraischens-praclic, p. 48-55. — Pr.vntl, t. I, p. 136-137.
* WlEDEMANX, 8-31.
VIE INTELLECTUELLE A NUHEMBEUG. JEAN MULLEU. 111
excnail los (oiiclions do reciciir de l'Université. Désireux de réfor-
iiior les éhidcs pliilosopliifiiics, il |)nblia deux volumes in-lülio de
coinmeiUaires sur la diaicclicjue cl la pliysicjuc d'Aristotc'. Profes-
seur, éerivain controversistc, il s'acquit une {grande répufalion dans
loule l'Allemaî^ne. L'empereur Maximilien lui demandait avis dans
les qiieslions religieuses. Dans une visite qu'il fit à Xureinber}], il
fut reçu par le conseil de la ville et par les savants du lieu avec les
plus {grandes marques de respect et d'honneur ^
Eclv élait un homme de l'ancien temps, une nature conservatrice,
mais en même temps un fidèle adhérent, un champion zélé des
nouveaux efforts de la science, l'ami de toute vraie réforme, un
de ces sages esprits qui, tout en aimant le passé, savent mettre à
l'écart les choses surannées. Voici les paroles qu'il prononça dans
un discours qu'il fit à Ingolstadt (1511) : " .le m'applaudis d'appar-
tenir à un siècle qui a su rompre avec la barbarie, où la jeunesse est
excellemment instruite, où les orateurs les plus éminenls se servent
avec aisance des langues grecque et latine. Nous possédons parmi
nous de nombreux savants qui ont réussi à remettre les belles-lettres
en honneur, et qui, débarrassant les anciens auteurs de ce qu'ils con-
tenaient de superflu et d'inutile, ont eu l'art de rendre tout ce qu'ils
louchent plus brillant, plus pur, plus gracieux; d'excellents écrivains
classiques ont été remis en lumière; d'autres, grecs et hébreux, sont
mis au jour pour la première lois... Oui, en vérité, nous devons nous
estimer heureux de vivre dans un pareil siècle M "
X
Parmi les centres intellectuels des villes de l'Allemagne du Sud qui
ne possédaient point d'Université, la ville libre de Nuremberg était,
à la fin du moyen âge, la première en importance. On l'appelait ^ le
plus précieux joyau de l'empire, le centre où les peuples se rap-
prochent , le point de jonction des arts et de l'industrie ». Un com-
merce florissant y avait établi le bien-être et la prospérité; le goût,
l'amour des arts et des sciences s'y était développé parmi les riches
marchands; les maîtres des corporations bourgeoises rivalisaient de
zèle et d'habileté avec les plus grands artistes; l'art nouveau de la
typographie y était cultivé plus qu'en aucun autre lieu.
Toutes les muses entrèrent par la porte de Nuremberg », lors-
' Mecsf.r, 3^ p. 102. — WiEDEMANN-, p. 33-34. — Prantl, t. I, p. 115-129.
- WlEDEMAW, p. 35.
* IIagen, Liierarische Verhaltnisse, t. I, p. 215.
112 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE,
qu'en juin 1471, peu de semaines après la naissance cV Albert Durer,
le réformateur de l'astronomie et des mathématiques, la - merveille
de son siècle ", Jean Muller (surnommé Régiomontan, par allusion à
son lieu de naissance, Königsberg, village de la basse Franconie), vint
s'y fixer. 11 fit de cette ville le vrai foyer des sciences mathématiques
et physiques, et contribua aussi puissamment à lui mériter le surnom
de « capitale de l'art allemand " .
A peine âgé de douze ans, Régiomontan entra à l'Université de
Leipzig pour y étudier la philosophie et les mathématiques; deux
ans plus tard, il se rendit à Vienne et se mit sous la direction du
célèbre Georges de Peuerbach, le plus illustre des professeurs et
savants astronomes de ce temps. Régiomontan n'avait que seize ans
lorsqu'il obtint le grade de maître es arts. Il ouvrit alors à Vienne
(1458) des conférences sur l'astronomie et les mathématiques, et
plus tard y professa aussi la philologie (1461). En collaboration avec
Peuerbach, il travailla, encouragé et soutenu par le cardinal Bessa-
rion et l'évêque Jean de Grossv.ardeiu, à plusieurs ouvrages impor-
tants qui ouvrirent des voies nouvelles à la science. Peuerbach et
Régiomontan ont établi la science de l'astronomie sur ses véritables
fondements : l'observation directe des phénomènes, et le calcul '.
Si les Allemands ne dominaient point les mers et étaient par con-
séquent incapables de donner à la science un très-large développe-
ment, on peut du moins leur attribuer le mérite d'avoir fondé dès
le quinzième siècle, par Régiomontan et Peuerbach, la géographie
mathématique moderne. L'époque où vécurent ces grands hommes peut
vraiment s'appeler le siècle de la géographie. Encouragés et dirigés
par le cardinal Nicolas de Cusa, ils furent en Europe les initiateurs
de l'observation directe des phénomènes naturels, augmentèrent par
leur travail attentif et minutieux le trésor de connaissances acquises
par les Grecs et les Arabes, et furent pour beaucoup dans ce déve-
loppement hardi et grandiose de la pensée dont le système de
Copernic fut comme le couronnements L'ouvrage de Peuerbach sur
les planètes, que Régiomontan fit publier, exerça surtout une grande
action sur Copernic. Peuerbach y expose son nouveau système pla-
nétaire, y traite des sphères, des mouvements des planètes, explique
les problèmes les plus difficiles avec un savoir et une clarté remar-
quables. L'ouvrage fut, pendant plus d'un demi-siècle, la source
principale des études astronomiques, et resta longtemps, dans les
écoles de toute l'Europe, comme le manuel de tout l'enseignement
' Voy. AsHBACH, Ciüvcrsität Wien, t. I, p. 479-493, 544. — Fiedler, t. I. p. 7.
2 Paroles d'Alex, de Humboldt dans le Cosmos, t. II, p. 345, t. III, p. 74. et
VHisl. de la Géogr., de Peschel, p. 343.
LES ASTRONOMES PEUERßACll ET JEAN MÜLLER- 113
madiémalique. Peuerbach composa un second ouvrage sur les éclipses
de soleil et de lune, qui fit <''(>alcmcut époque, et que Ilégiomontan
se charjyea aussi de l'aire parai! re.
Peuerbach mourut â j)eine àjjé de Ireulc-buit ans (1401). Pié{)io-
monfan se rendit peu après en Italie sur l'invilation du cardinal
Bessarion. il y acquit, pendant un séjour de plusieurs années, une
connaissance approlondie du grec, entra en rapport avec les ora-
teurs, historiens, philosophes et poètes grecs qui y séjournaient,
et composa même dans leur langue des vers pleins de goût*. Il
ras-embla beaucoup de manuscrits grecs et latins, puis porta
toute son ardeur vers les éludes Ihéologiques et bibliques. Il avait
fait de sa propre main une copie correcte et soignée d'un Nouveau
Testament grec qu'il n'avait pu acquérir, et que depuis il porta tou-
jours sur lui. Il professa l'astronomie dans plusieurs Universités ita-
liennes, commenta l'astronome arabe Alfragan, fit à Viterbe et ail-
leurs d'importantes observations astronomiques, et termina en 1463,
dans le cloitre de Saint-Georges de Venise, un grand ouvrage de
littérature mathématique qui a servi de base â la trigonométrie
moderne. Chrétien convaincu et savant illustre, il combattit avec
énergie les erreurs extravagantes de l'astrologie.
Régiomontan revint en 1408 à Vienne, riche des nombreux
manuscrits et autres trésors littéraires qu'il avait rassemblés, et en
possession de presque toute la littérature mathématique de l'anti-
quité '. Aussitôt après son retour, il s'occupa d'organiser à Bude
pour le roi de Hongrie, Mathias Corviu, amateur et protecteur des
lettres, une bibliothèque composée des manuscrits qu'il avait achetés
en Grèce pour ce prince. Il retourna ensuite en Franconie, dans sa
patrie de Nuremberg, pour s'y livrer, dans un travail incessant et
paisible, à ses recherches scientifiques. « J'ai choisi Nuremberg pour
ma résidence perpétuelle ", écrivait-il au célèbre mathématicien Chris-
tian Hoder, d'Erfurt; " j'y trouve aisément les instruments particuliers
qui sont indir^pensables a l'astronomie, et il m'y est plus facile qu'ail-
leurs d'y nouer des relations avec les savants de tous les pays, car
Nuremberg, à cause des perpétuels voyages de ses marchands, peut
être considéré comme le centre de l'Europe. "
Ce que l'esprit universel et incessamment actif de Régiomontan
parvint à créer à Nuremberg en l'espace de quatre ans seulement,
appartient, dans l'histoire du développement de l'esprit humain, aux
phénomènes les plus extraordinaires. Le désir de tout savoir, de
tout connaître, particulier aux esprits de sou siècle, semblait s'être
incarné en lui; mais il était en même temps possédé du désir de
' Gassendi, p. 353-354.
- VOy. FlEDLtR, p. 7.
114 L'INSTRUCTION" POPULAIRE ET LA SCIENCE.
répandre autant que possible l'instruction et les connaissances scien-
tifiques. Il se mit donc à l'œuvre, et parvint à enthousiasmer pour
les choses intellectuelles et les intérêts élevés une ville populeuse et
marchande, si bien qu'il trouva aide et sympathie dans lOutes les
classes de la société pour les diverses inventions de sou zèle.
Afin d'intéresser les bourgeois désireux de s'instruire à ses études
et à ses découvertes, il fit des cours populaires sur les mathématiques
et l'astronomie, première tentative de ce genre faite en Allemagne.
L'horloge de la ville fut réglée d'après un travail entrepris par lui
pour mesurer la longueur des jours. Il connaissait à fond la méca-
nique et la physique, composa des traités sur les miroirs ardents,
les canaux, les poids et mesures. Il organisa un grand atelier, où, sous
sa direction, toutes sortes d'instruments d'astronomie, machines,
rouages, boussoles, globes terrestres et cartes étaient exécutés. Ces
instruments eurent plus tard une très-grande importance pour l'astro-
nomie nautique; en peu de temps, Nuremberg fut en état de fournir
les meilleures boussoles à tous les navigateurs européens, et ses
excellentes cartes étaient très-recherchées par les géographes. Pour
encourager encore davantage les sciences, principalement les mathé-
matiques, Piégiomoutan fonda des prix attachés à la solution de
divers problèmes K
Son élève et ami, Bernard Walther, facteur des marchands Vöhlin
et Weiser, lui fournit les fonds nécessaires à l'établissement d'une
imprimerie uniquement destinée à l'impression des ouvrages d'astro-
nomie et de mathématiques, et Régiomontan inventa à cet effet un
appareil qui lui donne rang parmi les inventeurs de l'imprimerie.
Outre les ouvrages scientifiques d'une haute valeur^ qui sortirent
les premiers de ces presses, il y fit imprimer un calendrier popu-
laire, le premier de ce genre paru en Allemagne, et qui depuis
a servi de type et de modèle à tous les autres. Il projetait de
publier la collection des ouvrages des plus célèbres mathématiciens,
astronomes et astrologues de l'antiquité et du moyen âge, et se
proposait de les enrichir de commentaires et de notes; déjà il avait
fait la liste des auteurs qui devaient y figurer^ et avait écrit aux
savants compétents d'Allemagne et de l'étranger pour leur demander
leur concours, lorsque la mort vint arrêter l'exécution de son dessein '.
La générosité princière de Bernard ^^'alther lui avait aussi permis
de faire construire à Nuremberg le premier observatoire complet
qu'ait encore connu l'Europe. Il y plaça les instruments inventés et
' AsHBACH, f'nivtrsilé de Vienne, t. I, p. 533.
- Voyez-en la liste dans Ziegler, p. 25-37.
2 Voy. Gassendi, p. 362-363.
* Voy.AsHBACH, t. î, p. 551-552.
Li: s ASTRONOMES PEUERBACII ET .JEAN MÜLLER. 115
perfectionnés par lui pour l'observation des astres. Le premier do
tous les astronomes occidentaux, il déte-.nina la hauteur, la (',ran-
dcnr des comètes, la durée de leurs évolutions, et fit entrer ■: dans
le domaine de la science positive et de l'observation ces corps restés
jn'(pic-là à l'état d'énigme ". Il perfectionna l'astrolabe, découvrit
rinstrument nommé bâlon de .lacob, et établit le premier sur une
base savante les annales d'astronomie appelées Ephémérides. Il rat-
tacha l'astronomie allemande à la nautique espagnole, et ses travaux,
ses inventions, contribuèrent puissamment à cette découverte d'un
monde nouveau qui fut le plus glorieux événement de son siècle.
La part qu'il y prit n'est pas seulement intellectuelle; en effet, sans
l'astrolabe perfectionné et le bûlon de Jacob, grâce auxquels les
distances purent être mesurées d'après la hauteur du soleil, il n'eût
pas été possible aux grands navigateurs de l'époque, Colomb, Vasco
de Gama, Cabot, Magellan, de s'aventurer sur l'Océan au delà de leurs
prédécesseurs et de faire leurs admirables découvertes. Les Ephémé-
rides de Régiomontan, calculées pour trente-deux ans, accompa-
gnèrent Colomb et Vespuce dans le nouveau monde, et c'est d'elles que
Colomb se servit pour prédire aux Indiens une éclipse de lune. Le
livre des Ephémérides, dès son apparition (1475), excita un tel enthou-
siasme qu'on l'achetait pour ainsi dire au poids de l'or. Les Vénitiens
en firent le commerce jusqu'en Grèce, et dans toutes les bibliothèques
on s'estimait heureux d'en posséder le moindre fragment'.
Parmi ceux qui se faisaient gloire d'être les disciples de Régiomon-
tan, le INurembergeois Martin Behaim brille au premier rang. Cos-
mographe et navigateur, il prit personnellement part aux voyages
de découvertes, et dès 1492 indiquait sur son globe terrestre la
route précise que suivit six ans après Vasco de Gama, doublant le
cap de Bonne-Espérance pour arriver aux Indes orientales. C'est
Behaim aussi qui fit naître dans la pensée de Magellan l'idée pre-
mière du détroit qui porte son nom. 'Som savons d'après des docu-
ments indiscutables, et Magellan a lui-même affirmé à plusieurs
reprises, que ce fut en étudiant une carte de Behaim qu'il le pres-
sentit pour la première fois; dès lors la pensée de s'en servir pour
parvenir aux îles Moluques s'éveilla dans son esprit*.
La réputation de Régiomontan était déjà européenne, lorsque le
pape Sixte IV le nomma évéque de Ratisbonne, et par un rescrit de sa
propre main l'appela à Rome pour la réforme du calendrier Julien.
Obéissant à cette invitation, Régiomontan quitta Nuremberg pour se
rendre à Rome, où il fut reçu avec les plus grands honneurs (147.J);
' Voy. Charles Ritteh, Hisl. de la Giogr., p. 254-255. — Peschel, Hist. de la Géogr...
p. 360. — ZiEGLER, p. 79-80, 92-98. — Ghillanv, p. 37-40.— De Reumo.\t, Mn-
iheilungen, dans le Anzeiger fur Kunde der deutschen Vorzeit, 1879. p. 103-104.
* GiiiLLANY, p. 51, 55. 68, 72. — Asubach, p. 556. — Gassendi, p. 368.
116 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
mais il y trouva Tannée suivante, comme il terminait sa trente et unième
année, une mort prématurée. Telle était l'importance qu'avait aux
yeux de tous la vie de ce grand homme, qu'on voulut voir une coïn-
cidence mystérieuse entre sa mort et l'apparition d'une comète'.
« Rome cache dans ses murs > , écrivait Wimpheling à un cardinal
romain (1507), " la dépouille mortelle d'un Allemand que la patrie
pleure encore aujourd'hui comme l'un de ses plus glorieux enfants.
Par son génie, Régiomontan appartient au monde entier, et les
peuples étrangers envieront à l'Allemagne la gloire de lui avoir
donné naissance. C'était une noble nature; sa vie sans tache lui
assure la couronne de la vie éternelle ^ »
A iNuremberg, où Régiomontan était vénéré comme un père et un
bieniaiteur, la nouvelle de sa mort plongea toute la population dans
une affliction profonde.
Sous ^on influence, la vie intellectuelle s'était épanouie; les arts
avaient pris un essor puissant; la ville, sous le rapport des sciences,
était devenue une étoile de première grandeur.
Un attrait irrésistible poussait alors les intelligences vers la rigueur
et la précision des sciences exactes. Un goiit extraordinaire pour le
calcul et la géométrie se faisait jour dans toutes les classes de la
société. Bernard Walther, Jean Werner, Conrad Heinfogel, dis-
ciples illustres de Régiomontan, continuèrent avec succès l'œuvre de
leur maître. Walther fut après lui le plus célèbre astronome allemand
de son siècle; pendant un long espace de temps, aucune Uni-
versité ne put être comparée à Nuremberg pour le nombre et le
mérite des savants formés parées grands hommes dans les sciences des
mathématiques, de l'astronomie, de la physique et de la cosmographie.
Les esprits mêmes que leurs aptitudes et leurs vocations semblaient
devoir éloigner des sciences positives, comme Willibald Pirkheimer
et Albert Durer, par exemple, ne pouvaient résister à la force du
courant qui entraînait toute leur génération vers les mathématiques
et l'astronomie. Avec une ardeur qui semble l'apanage exclusif de ce
siècle^ ils se vouèrent à ces sciences, et y acquirent de si grandes
connaissances, qu'on peut ajouter leurs noms à ceux des mathémati-
ciens les plus remarquables de l'époque. Durer, par ses livres sur la
géométrie et par la belle carte céleste admirablement dessinée, puis
gravée sur bois, qu'il exécuta d'après les données de Stabius et de
Heinfogel. rendit un important service aux mathématiques et à l'as-
tronomie. Pirkheimer aida Schoner dans la fabrication d'instruments
astronomiques perfectionnés, et fit éditer les œuvres d'Archimède
' Albach, p. 556. — Gassendi, p. 368.
* De arte iwpressoria, fol. 19.
VIE l\Ti:[.r,Ef;TLELLE A NUREMKEP.G. 117
(rl'jipiTs un exemplaire de sa riche bibliotluV^ue) par Thomas Venalo-
riiis, éh've de Schoner.
Wimphelinp; affirme que le zèle de Hcgiomonfan fif aussi pro-
jyresser les belles-lettres à Nuremberg',; qu'il encouragea partioulière-
nienl l'élude de la lan[jue [grecque et les études historiques. Il fut,
selon foute apparence, l'un des premiers savants allemands qui
apprirent le jjrcc et se perfectionnèrent dans cette langue par leurs
r;ip[)orls avec les savants grecs établis en Italie. Rien que pour l'ou-
vrage qu'il se proposait de publier, le tracé des cartes des différents
pays de l'Europe accompagné de notes historiques et géographiques
tirées des sources les plus authentiques, il esf clair qu'il lui avait
fallu se livrer à une étude très-approfondie de l'histoire.
Le riche patricien Jean Löffelholz, Jean Pirkheimer (père de Wil-
libald) et Sebald Sclireyer se montrèrent à Nuremberg les protec-
teurs éclairés et zélés du progrès scientifique. Ils créèrent des
bibliothèques, donnèrent l'hospitalité à de jeunes savants, et se
chargèrent même de l'impression de leurs ouvrages. C'est la libéra-
li'é de Schreyer qui permit au médecin Hartmann Schedel la publi-
cation de son magnifique livre des Chroniques, illustré de plus de
2200 gravures sur bois'. Ce même médecin, mettant à profit les
manuscrits, les livres, les documents rassemblés par lui à Padoue
lorsqu'il y était étudiant, composa un grand ouvrage sur l'histoire
eî les antiquités nationales; il y a mêlé aussi ses souvenirs personnels,
et rapporte les choses dignes de remarque qu'il a vues en Italie,
surtout à Rome et à Padoue. Il analyse avec un soin particulier les
inscriptions qu'il a recueillies. « Je souhaite, dit-il, que les généra-
tions futures puissent connaître ces monuments du passé, vraiment
faits pour les récréer et les améliorer. >' Son ami Willibald Pir-
kheimer lui fournit un grand nombre de notices, de copies et de
dessins pour une autre collection d'antiquités et d'épigrammes qu'il
publia à la gloire de l'Allemagne ^ Sigismond Meisterlin, moine béné-
dictin, était ami de Schreyer et de Schedel; c'est à lui qu'on doit la
première histoire de Nuremberg depuis ses origines; elle est digne
d'intérêt, et écrite avec clarté.
Nuremberg comptait tant d'amis et de protecteurs des belles-lettres
qu'on la considérait avec raison comme la ville de l'Allemagne où
la littérature classique était cultivée avec le plus d'ardeur'.
Willibald Pirkheimer (né en 1470) fut à Nuremberg le plus généreux
' Voy. llASR, p. 28-35.
* Voyez sur les études et les voyafjes de Schedel, le travail de Wattenbach
dans les Forschungen zur deutschen Geschichte, t. XI, p. 351-374. — Voy. auSSi
Jahn, .ius der Alterlhumswlssenschaft. p. 348. — Voy. Rossi, Pepertorium fur
Kunstwissenschaft. 1879. t. II, p. 30!. 303.
' Voy. Il.vGEN, 1, 179.
118 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
Mécène des sciences et des arts. A la fois distingué comme liomme
d'Etat, philologue, écrivain et orateur, il fut même général d'armée,
servit Maximilien, et s'acquit en Allemagne et à l'étranger un grand
renom militaire. 11 était comme le prince de tous les savants d'alors;
ses relations littéraires s'étendaient jusqu'en France, en Italie, en
Angleterre. A iSuremberg, sa riche bibliothèque, sa maison ornée
des chefs-d'œuvre de l'art, était pour l'Allemagne un véritable foyer
intellectuel, et le centre commun de tous les humanistes.
Il est vrai que dans sa conduite il n'était point irréprochable, et bien
loin de ressembler à ses amis, Wimpheling, Geiler de Kaisersberg et
Brant. Il n'avait pas su se tenir assez eu garde contre les idées maté-
rialistes des auteurs de l'antiquité qu'il étudiait avec tant d'ardeur, et
son caractère était passionné et caustique. Les lettres qu'Albert Durer
lui adressait ' font allusion à des choses peu édifiantes de sa vie, bien
faites pour jeter parfois du discrédit sur son nom. Sa manière d'en-
visap;er les auteurs païens se rapprochait déjà un peu des erreurs qui
plus tard devaient si malheureusement se manifester dans la guerre
entreprise par l'humanisme moderne contre le christianisme révélé.
Comme Erasme, il attaqua à pl-usicurs reprises, en ses fondements
mêmes, la science religieuse du moyen âge; il ne réprouve pas seu-
lement la forme de son langage, il eu rejette l'esprit, précurseur
dangereux de la génération naissante des philosophes hostiles à
rÉglise. Quelquefois cependant il se montra dévoué à la littérature
ecclésiastique; il édita et traduisit certains ouvrages des Pères de
l'Église et d'autres écrivains du christianisme primitif, et dans les
préfaces ou les dédicaces dont il accompagnait ces éditions, on
entend encore le noble accent d'une âme religieuse^. Mais c'est sur-
tout dans les rapports qu'il entretenait avec sa sœur Charité, abbesse
de Sainte-Claire, que sa personnalité nous apparaît sous son aspect
le plus élevé et le plus pur. Les lettres échangées entre le frère et la
sœur, aussi bien que les « souvenirs " personnels de Charité, forment
un précieux trésor de sagesse, de piété, de sentiments élevés : au
point de vue historique, elles sont d'un inestimable prix^
XI
L'ami de Willibald Pirkheimer, Conrad Peutinger^ (né en 1465),
exerçait à Augsbourg la même influence intellectuelle que Pirkheimer
1 TnACSiNO, 3, p. 23.
- Voy. BiNDCu, p. 4i-51.
^ Pour plus de détails, voy. Bindkr, p. 51-101.
»Voy. llERBEiiGEii, p 31-02. — KiuiAUD, t. III, p. 39i-411. — II.vgi.n, t. I. p. 211-
213. — DÖLL1NGEU, liefurmalion, t. I, p. 517-519.
CONRAD Pi;UTINf;ER A A U 0 S B O Ij 'i G. II»
1\ Nurcmbcpc;. C'était une organisation {'rancle et noble, une intel-
ligence vi(;ourense. Dès sa première jeunesse il avait étuflié aiiK
universités de Rome, de Padouc et de Bologne, et, mis en ra|)[)ort
avec Pomponius Lantus, Pie de la Mirandole et Ange Politianus,
avait acquis des connaissances solides dans la jurisprudence, les
belles-lettres et les arts. Sur le conseil de F.euchlin, son ami, il
s'était mis à apprendre le grec ayant déjà dépassé quarante ans,
et était parvenu à le posséder parfaitement. Ulrich Zasius le met au
petit nombre de ceux qui ont profondément pénétré la substance
du droit romain et réussi à l'entrelacer heureusement au droit
national. Il était également très-versé dans la théologie, écrivit
sur les antiquités ecclésiastiques, et prépara l'édition d'un com-
mentaire du Livre des Sentences de Pierre Lombard. Il était connu
en tous lieux pour sa science profonde de l'Écriture et des Pères,
et fut l'un de ceux dont l'empereur Maximilien demanda l'avis,
lorsque, plein de sollicitude pour l'éducation religieuse du peuple,
il s'enquit auprès des savants de la méthode la plus courte et la
plus claire d'enseigner aux petits et aux simples les vérités ré-
vélées.
Peutinger entretint avec Maximilien des rapports bien plus intimes
lorsqu'en 1190 il entra au service de sa ville natale en qualité de
secrétaire de la municipalité. Homme de cœur, ami enthousiaste
de l'art et de l'histoire d'Allemagne, ses goûts, ses tendances,
ses désirs, se rapprochaient intimement des vues personnelles de
l'Empereur. C'est ce qui explique facilement les rapports mutuels
de ces deux hommes, l'attachement profond, l'invariable dévoue-
ment de l'un, la pleine confiance de l'autre '. Maximilien chargea
Peutinger de plusieurs négociations politiques importantes, et
l'attacha toujours davantage à sa personne par les liens de la plus
cordiale affection. Peutinger ne s'en servit jamais pour favoriser ses
intérêts personnels; il n'était préoccupé que de ce qui pouvait
être utile à sa ville natale et ne pensait qu'aux nobles résultats
qu'il s'était proposé d'atteindre. Aussi son désintéressement n'a-t-il
jamais fait l'objet du moindre soupçon. Il prenait une part vive et
respectueuse aux efforts scientifiques des savants contemporains, et
se réjouissait de voir ses propres ouvrages complétés et corrigés par
des hommes compétents. Jamais on ne vit chez lui la moindre trace
de vanité personnelle; il resta toujours étranger à l'orgueil delà
fausse science.
Peutinger trouvait a Augsbourg un terrain bien préparé pour les
' Lorsque l'Empereur vint à Augsbourg en 1504, la fille de Peutinger, Juliane,
âgée de quatre ans (un enfant prediget, lui fit en latin, au nom du conseil de
la ville, un discours de bienvenue. Herberger, p. 36.
120 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
(tudes historiques. Depuis une trentaine d'années, surtout dans le
monastère des Bénédictins de Saint-Ulrich et Afra, la discipline reli-
i,ieuse et le zèle pour la science florissaient de concert et excitaient
nu intérêt enthousiaste. Une imprimerie spéciale avait été établie
dans l'intérieur du couvent, et ses produits, ainsi que de nombreux
achats et échanges de livres, avaient fini par former une riche biblio-
thèque classique. A la sollicitation du bourgmestre Sigismond Gos-
sembrod', humaniste zélé, un moine de Tabbaye, Sigismond Meis-
terliu, composa une histoire d'Augsbourg, et plus tard, sur l'ordre
de l'abbé Jean de Giltlingen, une histoire ecclésiastique de la ville et
une histoire de l'abbaye, ouvrages remarquables par le judicieux
emploi des sources, Tindepeiidance des jugements et l'exposition
vivante et animée des événements dont ce religieux avait été témoin-.
IJicnlôt une société littéraire se forma à Augsbourg, se proposant
surtout de faire progresser les recherches historiques. Elle était
composée d'ecclésiastiques, de magistrats, de bourgeois; Peutinger
en était l'âme, la cheville ouvrière. C'est grâce à ses efforts et à ses
dons que fut fondée une excellente bibliothèque de documents rela-
tifs à l'histoire d'Allemagne ^ Il rassembla avec un zèle infa-
tigable des manuscrits précieux, des monnaies, des monuments de
l'antiquité, et forma ainsi peu à peu une collection d'inscriptions
romaines découvertes dans la ville et dans le diocèse d'Augsbourg,
qui est restée unique en ce genre. Sur l'ordre de l'Empereur et avec
le concours delà société historique, il fit imprimer le fac-similé de ces
inscriptions, qui contiennent les plus anciens monuments de l'his-
toire d'Augsbourg. L'année suivante, il fit paraître sous le titre de
Propos (le table sur les admirables antiquités de l'Alkmae/Jie, un ouvrage
patriotique chaleureux, auquel il dut de voir s'étendre dans un vaste
rayon sa réputation littéraire. En 1507 il le fit suivre de la première
édition du Ligurinus, poème historique qui remonte au temps de
Frédéric Barberousse ' et que Conrad Celtes avait découvert dans le
monastère d'Ebrach. Ce livre fit l'admiration de tous les savants con-
temporains; il eut sept éditions en un an. Quelques années plus tard
(1514-1515), Peutinger dotait encore la science historique de trois
nouveaux ouvrages : la Chronique d'Ursperg, découverte par lui,
l'histoire des Goths par Jordanis, et celle des Lombards par le diacre
Paul. Maximilicn l'avait aussi désigné pour d'autres travaux histo-
riques destinés à seconder dans leur ensemble les glorieux efforts
' Voy. Wattenbacii, p. 3G-G9.
- Voy. Ctironilcen der deiilsr/tcii Stiidic, t. III, p. 6-8.
' Voy. IIerbekger, p. 66.
* Panxencekg, Forsctmitgcn zur deu'sclien Gcsctiiclitc, t. XI, p. lGI-300. — Voy.
HORAWITZ, GescliiclUe des dculsclicn Humanismus, p. Sô-86.
w
L'EMPEP.EUR MAXIMIMEN PIlOTfiCTElJU DES SCIENCES ET DES ARTS. 121
tentés par l'Empereur pour favoriser les pro{ifrès de la science,
efforts qui trouvaient à Vienne, capitale de l'Empire, le centre de
foutes leurs énergies; Maximilien cherchait à y réunir les savants
les j>lus illustres de l'époque, et prélciidail élever l'Université au
ran(} de la plus haute école intellectuelle de l'Europe.
XII
L'amour de la science et des arts avait été mis au cœur de l'Empe-
reur dès sa première jeunesse. Grâce à la sollicitude paternelle, il
avait reçu une éducation vraiment princière et vraiment humaine. Il
était solidement instruit; on trouve dans ses compositions écrites,
conservées à la Bibliothèque impériale de Vienne, des essais sur la
généalogie et l'histoire de sa maison, l'artillerie, la science héral-
dique, l'armurerie, l'architecture, la chasse, la fauconnerie, d'autres
sujets encore. Aucun prince du moyen âge ne s'est approprié autant
que lui la connaissance des langues; les divers dialectes de ses Etats
lui étaient familiers, et il possédait outre cela beaucoup de langues
étrangères. On raconte que pendant une de ses campagnes, il s'en-
tretint un jour avec sept chefs militaires eu sept langues différentes ' ;
il avait surtout une telle connaissance du latin que Willibald Pirkhei-
mer, qui avait vu quelques-uns des mémoires dictés par l'Empereur
sur sa vie, assurait à un ami que les récits d'aucun écrivain allemand
n'étaient écrits dans un style plus concis ni dans un latin plus pur.
Même pendant ses campagnes il lisait constamment les meilleurs
poètes. " Personne en Allemagne, écrivait Trithème, n'a pour s'in-
struire une plus grande ardeur; personne n'aime l'étude d'un plus
sérieux amour. Il s'intéresse aux sciences les plus diverses; nul
n'éprouve de leur progrès et du développement des arts une joie
plus vraie, plus cordiale. Il est l'ami, le protecteur de tous les
savants ^ ^
Maximilien ne favorisait pas seulement, comme plusieurs princes
de son temps, telle ou telle étude spéciale, objet de ses sympathies
particulières; il étendait sa protection et son amour aux branches les
plus variées des sciences humaines : théologiens, jurisconsultes, his-
toriens, poètes, linguistes, mais avant tout humanistes et artistes.
' Voy. LiLiKNCRON, IVeisshmig, p. 343-344, 34-i. — Uvltai.s, p. 7-10. — Z.irPF.UT,
Gcspnichhüchlcin, p. 239-241. — Vov. l'OLlTZ, Jalii buch der Geschichte und Stnatskunst,
t. II. p. 304.
* De vera sludioium ration?, p. 7.
122 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
recevaient ses encouragemeiitset se félicitaient de son constant appui.
Ils parlaient tous avec enthousiasme de ce grand prince, qui réunis-
sait à toute la dignité de son rang la plus grande affabilité de carac-
tère. L'Empereur les attirait dans son intimité, les honorait de sa
confiance et donnait Tâme et la vie à tout ce dont il s'occupait. Si
Maximilien mérita le glorieux surnom de " père des arts et des
sciences ", c'est surtout parce que tout son effort, toute son appli-
cation, pour parler avec \Vimpheling, - ne tendait qu'à affermir
parmi ses sujets l'attachement et la fidélité ä l'Église et à l'empire;
qu'à améliorer les mœurs et à faire aimer davantage la patrie' ». La
devise qu'un Franco-Rhénan lui a prêtée peut surtout se rapporter à
son amour pour les sciences et les arts :
Allemand je suis, en Allemand je pense,
Kn Allemand j"agis, Allemand je demeure!
De là sa sollicitude particulière pour l'histoire nationale. Jamais
« empereur romain de nation allemande ^ n'avait été un Mécène à
la fois si intelligent et si rempli d'amour pour son pays. " Il ne pre-
nait à rien plus de plaisir qu'à l'histoire -, raconte Joseph Griinbeck,
« et avait coutume de dire qu'un prince qui n'a pas souci de son
histoire ni de celle de ses prédécesseurs, et n'a pas à cœur de
transmettre son nom à la postérité, est digne d'aversion. Dans sa
pensée, un tel prince ne pouvait être non plus l'ami du bien public,
puisqu'il laissait dans l'obscurité une science si féconde en enseigne-
ments, et où la vertu trouve un si utile, aliment. Cette négligence était
cause, selon lui, de la ruine de beaucoup de principautés puissantes,
de communes, de villes, que leurs anciens souverains, sans expérience,
ignorants et grossiers, avaient mal su gouverner-. "
« Lorsqu'il fut parvenu à sa majorité s rapporte Freizsaurwein
dans le IVeisshunig , " il n'épargna aucune dépense pour envoyer des
savants de tous côtés, avec mission de chercher dans les manuscrits
conservés soit dans les monastères, soit chez les particuliers, des
informations sur les familles royales et princières. "
" Tout ce qu'ils avaient pu découvrir devait être consigné par écrit
à la louange des souverains d'autrefois, et si un roi ou un prince
avait fait jadis une fondation tombée depuis en oubli, il avait soin
de remettre en honneur sa mémoire, qui sans lui eût entièrement
péri. ')
" Les monnaies que les empereurs, rois, et autres princes puissants
' De. arte impresson'a , fol. 12.
- Voy. Haltals, p. II.
/
L'EMPEREUR MAXIMILIEN PROTECTETR DES SCIENCES ET DES ARTS. 123
avaicnl (ail aiiIrcCois frapper, (lu'oii déco livra il et qu'on venait lui
apporler, il les conservait, et les faisait peindre dans un livre, de
sorle ([ne souvent un souverain dont le nom sans lui eût é(é abso-
lument effacé, lui devait comme une vie nouvelle. Il avait fait aussi
récrire riiisloire des princes (jui avaieiK régné dans les temps passés,
et se plaisait à remettre en mémoire leurs bonnes actions. Ouelle
noblesse d'âme véritablement royale dans ce jeune et s.1{;e roi! 11
doit servir d'exemple à tous les souverains futurs, et leur montrer
comment ils doivent garder et vénérer la mémoire de leurs j)rédé-
cesseurs '. >'
Wiinpliclin}; écrit de même : " Tout ce qui peut jeter quelque
lumière sur le passé du peuple allemand, est l'objet de la vive
sympathie du Roi. Il se plonge dans l'étude des vieux chroniqueurs
et historiens; il fait recueillir et publier leurs écrits, et pour cela
entre en correspondance ou entretient des rapports personnels avec
les hommes les plus instruits. » " Il consulte les savants de son entou-
rage sur la composition d'une histoire destinée au peuple, et qui doit
paraître sous ce titre : Galerie des ancêtres allemands -. »
Il avait chargé Peulinger de composer un vaste ouvrage, le Livre
des Empereurs. Il préparait également un recueil de documents rela-
tifs à la maison de Habsbourg. =- Pour ce livre non-seulement l'Empe-
reur faisait venir de tous côtés des chroniques et des documents,
mais encore, il apportait à Peutinger le résultat de ses recherches
personnelles, et parfois provoquait les franches critiques de son
savant ami \ ■■ Maximilien tit explorer une grande partie de l'Alle-
magne, de l'Italie et de la France par ses historiographes, Jean
Stabius, LadislasSuntheim et Jacques Manlius, qui amassèrent dans les
monastères de ces pays de nombreux manuscrits. Aidés par la libéralité
de l'Empereur, Conrad Celtes et le mathématicien André Stiborius par-
coururent l'Allemagne du Nord pour y recueillir les matériaux néces-
saires à un grand ouvrage d'histoire, de géographie et de statistique.
Wimpheling assure que dans un pressant besoin d'argent, Maxi-
milien mit un jour en gage un joyau qui lui était cher, afin de
rendre possible la continuation d'un voyage scientifique entrepris
sous ses auspices. C'est lui qui chargea Suntheim de recueillir les
matériaux d'une histoire généalogique de la maison de Habsbourg
et d'autres maisons princières allemandes; l'historiographe Stabius
et le savant médecin et archiviste impérial Jean Spieshaimer, sur-
nommé Cuspluianus, préparèrent par son ordre la première édition
d'Otto de Fraising et de son continuateur Radévicus.
' U'ci'sskunig, p. 68-69
- De firCe imjircssoria. fol. 12.
^ Voy. lIlRBERGEIX, p. 64-67.
124 L'INSTrUCTIOX POPULAIRE ET LA SCIENCE.
Ce que faisait l'Empereur pour la scienceétait conçu d'après un plan
si suivi; tous ses efforts se rattachaient si bien les uns aux autres
pour atteindre la même fin, qu'il semblait être le chef d'une vaste
confrérie de savants réunissant tous leurs efforts pour le progrès de
l'histoire des antiquités nationales. Au prix de beaucoup de peines et
de sacrifices l'Empereur eut enfin la joie de réaliser le but qu'il avait
toujours poursuivi avec tant d'ardeur : il donna vie et chaleur au sen-
timent patriotique et - rendit plus cher à chacun le sol de la patrie ' ».
Maximilien sauva de l'oubli un grand nombre de monuments
historiques et littéraires; légendes, chants populaires furent, grâce à
lui, conservés à la postérité. On lui doit entre autres la préservation
d'une des plus précieuses perles de la poésie allemande au moyen
âge, un poëme d'une aussi grande valeur, peut-être, que les i\ibe-
lungen : le Giidrun^, qu'il fit insérer dans le recueil des parchemins
conservés au château d'Ambras, en Tvrol.
Comme écrivain, l'Empereur s'est fait connaître par le Thcucrdank
et le Wcisskunig. Il conçut lui-même l'idée du Theucrdanh, poëme allé-
gorique dont sa vie privée fait tout le sujet. Il est l'auteur de la plus
grande partie des chants qui y sont mêlés et qui furent revus et
retouchés par son secrétaire Melchior Pfinzing, prévôt de Saint-
Alban à Mayence. L'ouvrage, dont la première édition appartient
aux plus étonnantes créations de la typographie, rencontra chez les
couiemporains la sympathie la plus vive, parce qu'ils y voyaient
retracée dans une brillante lumière la personnalité chevaleresque
et noble de l'Empereur. Au point de vue poétique, cet ouvrage
est assez pauvre et dénué d'invention; mais le langage en est
sérieux, mesuré; il manque, il est vrai, d'énergie et d'ampleur,
mais non de pureté de style ni de choix d'expression. Le poëte royal
a voulu démontrer que dans tous les combats imaginables de la vie,
un esprit résolu et une ferme confiance en Dieu finissent toujours
par remporter la victoire. En effet, son héros parvient au but. Au
milieu d'épreuves et de souffrances sans nombre, il se dirige vers
lui avec grandeur d'àme et sans effort. Sa conscience loyale et pure
lui sert de guide. Sa foi inébranlable lui donne le courage et l'éner-
gie nécessaires; il triomphe, il obtient sa récompense malgré la
nuée d'ennemis qui lui font obstacle, et en dépit de toutes les tem-
pêtes imaginables ^ Ou se souvient involontairement en lisant le
' Voy. Wattenbach. Deuichlands Geschicklsquellm, p. 2-3. — IIorawitz, Xatio-
nii/c Gcschichlschrcihung , p. G9-70, et notre article intitulé : Maximilians Bedeutung
für DcuUchland, dans le Catholique. 1869; p. 528-534.
- Voy. Pfeiffeu, Germanie, t. XI. p. 381-384; t. IX, p. 381-384.
M'oy. IlALTAis, p. 34, 9G, 109-110. — Dans un ouvj-arre intitulé : Frcydal,
l'Empereur voulut poéti.-er et äjlorifier par l'art ses fiançailles avec Marie de
Bourgogne, et les tournois et divertissements qui les suivirent. Ce splendide
L'EMPEr.EUR MAMMIMEN F'KOTIC I ECli DFS SCIENCES ET DES AKTS. 12.>
WehsJiuniu, du flcssin d'Albert Diirci" : le Chevalier, la Mort et le
Démon.
Le TIteuerdanli décrit la vie privée de TEmpereur sous le voile de
rallé[',orie, et rouvi"i{;e en |)rose et non alIc{',ori(jue du \Vcissknni(j (le
roi sa(>e) Iraile, dans la parue composée par Maximilien, de sa vie
publique et des événements imporlaiils de sou rè^jue'.
L'Empereur, en parlant des savants, avait coutume de dire " que
c'était à eux de régner, et non d'être soumis, et que les plus grands
bonneurs leur étaient dus, parce que Dieu et la nature les ont plus
favorisés que les autres > ; ou comprendra donc facilement qu'il recber-
cbût leur constant commerce; il les disîiuj'juait, les récompensait, et
confiait â leurs soins les emplois les plus importants. Presque tous
ses conseillers étaient des bommes de science, des amis, des promo-
teurs de la littérature classique, et ses histono{;rapbes, que nous
avons déjà nommés, en faisaient partie. Jean Stabius, que l'Univer-
sité de Vienne comptai! parmi ses plus illustres savants, accompa-
{jnait l'Empereur dans presque tous ses voyages. Le sénateur impé-
rial Sébastien Sprenz, plus tard évêque de Brunn, se distinguait par
sa connaissance de l'bébreu et des sciences exactes. Les conseillers
impériaux Ulricb de Ilelfenstein, .lacques Spiegel, Jacques Villin-
ger, Jacques Bannisis, Georges Neudecker et d'autres, étaient tous
regardés par les humanistes comme des savants éminents, et prê-
taient leur appui à la nouvelle direction donnée aux études scien-
tifiques. Le chancelier et conseiller intime de Maximilien, Mathieu
Lang, plus tard évéque de Gurk et archevêque de Salzbourg ^ était
le plus prôné de (ous. La cour de Maximilien était " l'école de toute
vraie civilisation ^ et la tille chérie de l'Empereur", l'Université de
Vienne brillait d'uu éclat et d'une gloire qu'aucune autre Université
n'égalait eu Allemagne K
XIll
Dès le règne de Frédéric III, l'Université de Vienne s'était acquis
un renom universel grâce à ses illustres mathématiciens et astro-
ouvrage, dont la mort de l'Empereur empêcha ia publication, contient deux
cent cinquante-cinq dessins exécutés avec soin. Voy./^rfyr/a/ de l'empereurMaxi-
milien I". Turniere und Mununereioi, publié SOUS la direction du chambeHan
François, comte Folliot de Cheneville oe Ouiai.\ de I.eitneu, Vienne, 1880.
' Voy. le beau travail de Eiliencron sur le U'.isd'unig, 328-329.
3 Voy. IIagen, t. I. p. 220-222. — Il0RAV>irz, .VaCionale Geschichtsckreibitng,
p. 90-100. — AsHBACH, Wanderjahre des Conrad Celles, p. 119. — Euuaud, t. II,
p. 98, et t. III, p. 429.
' IlALTAUS, p. 10.
* D« arte impressoria, fol. 12.
123 L'INSTUUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
nomes, .lean de Gmunclen, Georges de Peuerbacli et Jean Müller,
surnommé llegiomontan. Dans aucune autre Université, l'astro-
nomie et les mathématiques ne furent professées par de plus
grands génies et n'eurent de plus brillants résultats '. Peuerbach et
Regiomontan furent les premiers qui, par leurs cours sur les poètes
et les prosateurs latins, y donnèrent l'élan aux études humanistes'.
Bernard Perger, maître es arts, y introduisit une méthode perfec-
tionnée d'enseigner le latin, et composa dans ce but, d'après une
grammaire de l'archevêque iSicolas de Siponio, un livre d'enseigne-
ment dont on connaît dix-huit éditioas et rééditions antérieures à
1500 \ Dès 1457 on expliquait à Vienne des auteurs grecs, et quel-
ques-uns même des plus difficiles \
Mais l'humanisme ne commença vraiment à y progresser que lors-
que Conrad Celtes, savant d'une intelligence hors ligne, y vint pro-
fesser, sur la demande expresse que lui en fit l'Empereur^ (1497).
Par ses manières de voir toutes païennes et matérialistes, par son
genre de vie épicurienne. Celtes n'appartient pas au groupe des
anciens humanistes chrétiens, si graves, si retenus dans leurs mœurs.
Il est bien plutôt du nombre des savants émancipés qui formèrent
plus tard une nouvelle école; il s'attirait à cause de cela le blâme de
la noble Charité Pirkheimer, qui lui reprochait avec une entière
franchise de parler du paganisme classique d'une manière partiale
et propre à flatter de mauvaises tendances'''. Mais il faut laisser
à Celtes le grand mérite d'avoir constamment cherché à exciter en
Allemagne l'amour de la science, et surtout d'avoir, par sa parole
et ses écrits, travaillé avec succès au développement de l'histoire
nationale. Dans ses nombreux voyages il avait visité les grands fleuves
allemands jusqu'à leur source, avait parcouru les capitales de l'Alle-
magne, appris à en connaître toutes les curiosités, et acquis sur les
gens et les pays des connaissances dont personne avant lui ne s'était
soucié. Il se proposait de consigner les fruits de ce voyage et les
résultats de ses longues recherches historiques dans un ouvrage où
il voulait retracer l'histoire générale et descriptive de l'Allemagne
et des Allemands ^ lorsqu'au milieu de ses travaux, âgé seulement de
quarante-neuf ans, il fut surpris par la mort (1508).
De nombreux trésors de lit térature ancienne, entre autres la célèbre
carte itinéraire qui date du temps de Marc-Aurèle, les ouvrages de
' AsHBACH, UniversitiU Wien, t. I, p. 455-467, 479-493, 537-557.
- ASHEACH, t. I, p. 353, 481, 538. — Kink, t. I, p. 182.
3 Hain, n" 12602-12619. — Ashbach, l. I, p. 576.
^ ASHBACH, t. I, p. 354.
5 Voy. Ashbach, t. II, p. 56.
"BiNDEU, p. 80-87.
' Germania iUustrata.
UNIVERSITK DE VIENNK, CONHAD CELTES. 127
Roswilha, rcli{jicu.se de (iaiulerslicimer, le poëmc historique de /,/</m-
rhins, doivent leur eoiiservalion à Conrad Celles. Il fit à Vienne un
cours spécial sur Lijjurinus, et l'ut sans doute le prenn"er professeur
allemand qui ait enseip,né dans une Université 1 histoire générale,
faisant de l'histoire de TKnipirc {germanique l'objet d'un cours spé-
cial e( enthousiasmant ainsi la jeunesse pour la (grandeur et la {gloire
du passé.
Doué d'un talent extraordinaire pour l'enseignement ^ Celtes
rassemblait autour de lui un groupe nombreux de jeunes gens avides
de savoir. Il cherchait surfout à éveiller dans la noblesse le goiU des
choses intellectuelles et scientifiques. La Bibliothèque impériale fondée
par Maximilien, et dont la direction lui avait été confiée, fut enri-
chie par lui de précieux ouvrages latins et grecs, de cartes célestes
et géographiques, etc., en sorte que peu à peu elle put offrir aux tra-
vailleurs d'excellents instruments d'étude.
Celtes fit preuve aussi d'une remarquable activité comme directeur
du collège des poètes, que l'Empereur avait fondé sur son conseil
(1501), académie destinée à relever l'étude de la poésie et des mathé-
matiques à l'Université, et à en assurer l'avenir. Ce collège des
poêles, le premier de ce genre qui ait existé dans une Université
allemande, consistait, à proprement parler, en une réunion de sa-
vants et déjeunes gens d'avenir, demeurant ensemble et partageant
les mêmes études '.
Non content d'avoir autrefois fondé la « société littéraire du Rhin »,
Celtes organisa à Vienne pour le progrès des études humanistes,
des beaux-arts et des sciences, la société dite du Danube, académie
royale qui comptait parmi ses adhérents, Allemands, Magyares,
Slaves et Italiens -. Un de ses membres les plus actifs, Cuspi-
nian, s'était voué spécialement aux études historiques et a laissé,
entre autres écrits, un important ouvrage sur les empereurs romains
de nation allemande, ouvrage pour lequel il avait fait de grandes
recherches dans les archives et bibliothèques de l'Autriche \ Le ma-
thémalicien Jean Stabius, André Stiborius et le médecin Barthé-
lémy Steber, surnommé Scipiou, appartenaient aussi à la Société du
Danube et étaient en même temps au nombre des professeurs les
plus distingués de l'Université ^
C'est certainement sous Maximilien que l'Université de Vienne, si
■ ASHBACH, rnnwrsUat U'icii.. t. II, p. 65, 207, 248, 439-441.
* ASHBACH, t. II, p. 73, 421-433.
* Voy. ASHBVCH, ÜniversiUit Wien, t. II, p. 43, 55, 57, 78, 189-270. — Erhaud,
t. II, p. 1-146. — KiNK, t. I, p. 201-212. — Raumes, Germ. Philologie, p. 13-15. —
Sur Cuspinian, voy. Ashbach, I. Il, p. 284-309. — Erhaud, t. III, p. 429-434. —
HOKAWITZ, Nationale Geschichischreibutig , p. 70, 92.
* Sur stabius, voy. Ashcach, t. II, p. 56, 68, 70, 75, 88, 289, 342, 364-372. —
123 L'INSTRUCTION POPULAIRE ET LA SCIENCE.
justement fière de ses illustres et nombreux professeurs, atteignit son
épanouissement le plus complet et connut son '- âge d'or ;'. Sans
épargner les sacrifices personnels, l'Empereur travaillait incessam-
ment à l'élever au rang de première Université de l'Europe; l'Uni-
versité même de Paris ', au dire de l'humaniste Loriii Glareanus, ne
pouvait rivaliser avec elle. Sa réputation dépassait celle de toutes les
autres. Froissard, historien d'un savoir si eminent et d'un si excellent
jugement, constate avec étonnement le nombre d'hommes supérieurs
qu'il apprit à y connaitre, et rapporte que la vie intellectuelle y était
pleine d'animation parmi les étudiants. Il admire la vie sans con-
trainte de la cour et les rapports pleins de confiance et de cordialité
que Maximilien entretenait avec les savants. " L'Empereur ne les
nomme pas seulement ses amis , écrit-il, il les traite véritablement
comme tels ; il recherche volontiers leur commerce et s'en édifie. U
n'y a certainement pas de souverain plus disposé à se laisser volon-
tiers instruire par ceux qui en savent plus que lui, et son intelligence
est si grande que les questions qu'il pose sont à elles seules pleines
d'enseignement ^ »
Les arts plastiques, aussi bien que la science et la littérature, trou-
vèrent en Maximilien un protecteur enthousiaste. 11 fit construire
ou restaurer un grand nombre d'églises et de châteaux, fit d'impor-
tantes commandes aux fondeurs de brouze, armuriers, orfèvres,
émailleurs, peintres, graveurs et imprimeurs d'ouvrages illustrés.
On lui doit l'exécution d'un grand nombre des phis belles créations
artistiques de l'époque. La meilleure preuve de son goût intelli-
gent pour les arts, c'est le grandiose monument funèbre qu'il fit
exécuter pour lui à Inspruck et dont il traça lui-même le plan^
avec son ami Conrad Peutinger. C'est un des derniers et des plus
remarquables monuments de l'art allemand du moyen âge.
SOTZMANN, /. Slabius cl sa carte du monde de 1515 (1848). — ThaüSing, Bibliogr. de
Durer, p. 37Ü, 375-3:6. — Sur Stiborius. voy. Ashbach, t. 11, p. 56, 75, 88, 107,
289, 373-375. — Sur Steber, t. II, p. 55, 75, 95, 97, 197. 354-356.
1 Voy. ASHB.VCH. t. II, p. 125. 137. — Kink, t. I, p. 2..7-229.
- Lettre de Froissard, p. 14-16,
3 Voy. IlEP.BEUGER, p. 54-62. — 'L'Empereur voulut reposera Inspruck, entouré
des souvenirs de ses hauts faits, parmi les statues de ses puissants an êtres et de
tous ceux qui, depuis le commencement de l'ère moderne, avaient régné glorieu-
sement. C'est une œuvre d'art dont nous ne voyons l'équivalent chez aucun peu-
ple, ni comme idée, ni comme exécution. Lorsqu'on pér.ètre d.ins ce lieu,pirmi
tous ces nobles personnages (56 figures en bronze en grande partie de grandeur
naturelles on se sent pénétré d'une émotion puissante.' (Böhmeh, Mélanges, p. 66-67.)
LIVRE II
L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
INTRODUCTION
Le cœur et rintelligence, le travail et la persévérance d'un peuple
s'expriment d'une façon plus claire et plus significative encore par
ses œuvres d'art que par sa littérature. En effet, les arts reçoivent du
caractère et des sentiments d'une nation leur sens intellectuel et
moral; ils incarnent sa pensée, son idéal, et sont le reflet le plus fidèle
et le plus intime de son âme '.
Vers la fin du moyen âge, l'art eut une importance d'autant plus
grande pour le peuple allemand, que dans nulle autre période anté-
rieure ou postérieure il ne réussit mieux à exprimer sa vie personnelle et
les dons qui lui sont propres. Les chefs-d'œuvre de l'art à cette époque,
par leur fini, leur harmonieuse unité, l'intime union de logique
et d'idéal qui les caractérisent, sont l'admiration de tous les siècles,
les plus nobles monuments historiques de notre pays, les preuves de
l'élévation morale de la nation, le plus beau témoignage de son génie,
composé de foi robuste et d'ardent patriotisme. Ils nous fournissent
aussi l'irréfutable preuve que l'Église, dans le domaine de l'art comme
dans celui de la science, régnait encore sur tous les esprits, et bien
éloignée de mettre obstacle à l'essor de la pensée, prêtait aux idéales
conceptions des artistes les mobiles et les moyens nécessaires à leur
exécution. Les relations étroites et mutuelles qui existaient entre
l'Église et ses membres avaient fait éclore cette foi pleine de vie,
cette transfiguration des choses de la terre, ce dévouement humble
et désintéressé à des fins élevées qui doivent être considérées comme
les sources véritables de l'art au moyen âge. L'art ne prospère jamais
autant qu'aux époques où les esprits sont bien équilibrés, où les
croyances sont vigoureuses, où l'intelligence, planant bien au-dessus
^ Voy. RicHL, p. 292.
!. 9
I
130 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
de ce qui est purement utile, est capable de s YHever jusqu'aux œuvres
créées par uue iuspiratiou indépendante et haute, et y trouve sa
satisfaction et sa joie.
L'Église mit l'art au service de Dieu; elle vit en lui le complément
essentiel de l'enseignement oral et écrit qu'elle donnait au peuple.
Elle confia aux artistes une mission sublime, les considérant comme
les prêtres du beau, les appelant à coopérer à la propagation du
royaume de Dieu sur la terre et les invitant « à annoncer l'Évangile
aux pauvres' ». De leur côté, les grands artistes, répondant fidèle-
ment à cet appel, reg:ardèrent l'art comme un service qu'ils devaient
à Dieu et aux hommes. Ils n'élevaient pas le beau sur un autel pour
en faire une idole et l'adorer pour lui-même; mais, ainsi que le dit
si simplement Pierre Fisher dans l'inscription du tombeau de saint
Sebald, ils ne travaillaient que " pour la gloire de Dieu ". Chacun
de leurs chefs-d'œuvre avait un sens élevé et se rapportait à une
grande idée. Par eux, ils souhaitaient éveiller et augmenter dans les
âmes le désir et l'amour des biens célestes ; ils ne se proposaient pas
seulement d'éclairer le goût du peuple, ils ambitionnaient avant tout
de faire sou éducation morale; ils ne pensaient pas à flatter l'amour
du faste et du luxe chez les grands, mais à glorifier l'Église et à
rehausser l'éclat de la vie publique. Insouciants de leur propre
gloire, les architectes ensevelissaient leurs noms dans les fonde-
ments des cathédrales.
Toutes les branches de l'art formaient un grand ensemble : édi-
fices, statues, peinture musique, sortaient de la même racine,
avaient la môme pensée pour fondement et semblaient ne former
qu'un même chef-d'œuvre. Architectes, sculpteurs, peintres et musi-
ciens ne travaillaie jamais isolément; ils cultivaient l'art en com-
mun, dans le même esprit à la fois populaire et religieux, et l'unité
de l'art faisait sa véritable grandeur-.
Comme tous les arts se tenaient, il n'était pas rare que les grands
artistes en cultivassent plusieurs à la fois : Albert Durer, par exemple,
était peintre autant que sculpteur, graveur sur cuivre et graveur sur
bois; il possédait en outre des connaissances rares en perspective
aussi bien qu'en architecture, et ne fut pas étranger à l'art d'écrire.
Embrassant et pénétrant tous les rapports de la vie sociale, don-
nant noblesse et beauté aux œuvres les plus grandes comme au plus
modeste travail, grandi au sein même de la vie populaire, l'art ren-
contra dans toutes les classes de la société une sympathie, un encou-
ragement dont on trouverait difficilement un plus bel exemple dans
' Comme le dit très-justement Trithème dans De vcra studiorum mtione, 3^.
- V^oy. sur ce point Uettixger, p. 25-26, Passacanl's Ansichten über die bildenden
Künste, p. 97, 124-125.
INTRODUCTION 131
la vie d'aucune ^utre nation, et qui ne s'est pas reproduit au mc^me
dep,r(^ dans los temps modernes,
'l'an! que l'art conserva les principes reli(jieux et patriotiques qui
lui avaient donné naissance, il fut dans un constant progrès et
marcha à la conquête d'une fyloire universelle; mais dans la même
mesure où s'évanouirent la fidélité et la solidité du sentiment reli-
gieux, où la foi des ancêtres et les antiques traditions furent mises
en oubli et méprisées, il vit l'inspiration lui échapper. Plus il regarda
les divinités étrangères, plus il voulut ressusciter et donner une vie
factice au paganisme (qu'on croyait mort depuis longtemps), plus il
vit disparaître sa force créatrice, son originalité, et il tomba enfin
dans une sécheresse et une aridité complètes.
Nous possédons beaucoup de monuments artistiques bien capables
de nous foire apprécier l'art allemand de la fin du moyen âge; mais
tous ces chefs-d'œuvre, depuis les majestueuses cathédrales jusqu'au
plus humble meuble de ménage, ne sont que de faibles débris, que
des ruines, comparativement à l'ancienne splendeur, à la profusion, à
la magnificence des chefs-d'œuvre du quinzième siècle. Malheureu-
sement, dans les luttes religieuses et politiques des âges suivants, pen-
dant la révolte des paysans, la guerre de Trente ans, les guerres
plus récentes avec les Français, la plupart de ces chefs-d'œuvre ont
été anéantis, volés, ou transportés h l'étranger. Puis, avec une aveugle
passion, pendant le règne d'une pensée soi-disant libérale et éclairée,
en pleine paix, on a exercé une véritable fureur destructive contre
tout ce qui portait encore l'empreinte du peuple allemand tel que le
christianisme l'avait façonné.
CHAPITRE PREMIER
ARCHITECTURE.
L'architecture forme chez tous les peuples que domine un senti-
ment vraiment esthétique le centre de la vie des arts. C'est elle, en
effet, qui représente le mieux l'effort, le savoir, la capacité et les
aptitudes artistiques d'une nation, et sert de fidèle miroir aux traits
particuliers de caractère, aux tendances d'esprit qui lui ont été pro-
pres pendant une période de temps déterminée. Elle est l'expression
directe de ses besoins intellectuels et matériels. Étroitement associée
à tout ce qui intéresse la religion et la société, elle symbolise avec
clarté les rapports mutuels échangés entre l'art et la vie des citoyens.
Elle est le lien qui les unit, le point de départ de tous les autres arts,
elle est par excellence Vart populaire.
L'art allemand, élevé et grandi dans les cloîtres, naquit au sein du
peuple comme le monachisme lui-même. Vers la fin du moyen âge,
il s'exprima surtout par l'architecture. La race germanique a reçu
pour elle un don spécial. Nulle part plus qu'en Allemagne elle n'a
compté un plus grand nombre de maîtres de génie.
Suivant avec fidélité la direction d'esprit universellement chré-
tienne qui dominait alors, sa force créatrice se manifesta surtout, et
avec une étonnante variété, dans les édifices religieux. Toutes les
contrées de l'Allemagne furent dotées d'innombrables églises, nobles
manifestations de l'esprit religieux, sublime poésie chrétienne com-
posée avec des pierres et des couleurs. On a dit excellemment que le
style chrétien germanique, appelé gothique, était la véritable pensée
architecturale du christianisme. En effet, l'ensemble d'une cathé-
drale ne représente pas seulement l'unité organique des diverses
parties : l'édifice s'élève, il grandit, il semble mû par la pensée inté-
rieure qui en est l'âme; il incarne dans sa matière et dans sa forme,
sans fausse apparence et sans voile, l'idée même du vrai. Toutes ses
lignes s'élancent vers le ciel, comme pour diriger le regard vers
Dieu. L'ordre, la division, la structure, la force des matériaux,
figurent la victoire de l'esprit, triomphant de la matière dans une
marche ascendante et irrésistible. Les détails de l'édifice, ses sculp-
UNION DES ATELIERS. 133
turcs aux ornementations si varices, s'harmonisent avec la pensée
fondamentale et rappellent en même temps les habitudes intellec-
tuelles de l'époque qui les vit cclore, où nul objet jusqu'en ses der-
niers replis u'écliappait à l'investigation curieuse, et où les sujets
scientifiques les plus importants étaient noyés dans une foule de dis-
tinctions subtiles. Construits d'après des régies immuables, dans un
esprit de renoncement et de prière, créés uniquement pour glorifier
Dieu et édifier le peuple, ces monuments, dans leur impérissable
grandeur, saisissent encore maintenant jusqu'au fond de son être le
spectateur qui les contemple, et le remplissent de foi religieuse,
d'étonuement et de respect.
Pour expliquer comment il a pu se faire que, dans un espace de temps
relativement court, un si grand nombre d'œuvres merveilleuses aient
été créées, il faut se rappeler l'or^janisation corporative des artistes
d'alors et les nombreuses associations d'ouvriers qui s'étaient formées.
Pour les ouvriers en effet comme pour toutes les autres classes
sociales, s'étaient organisées ces corporations laborieu.*=es, si con-
formes au génie allemand, auxquelles nous devons l'éclosion simul-
tanée de tant de chefs-d'œuvre; c'est grâce à leurs efforts réunis,
conçus avec sagesse, exécutés avec enthousiasme, que les créations
les plus sublimes de l'imagination sont devenues réalisables. Les cor-
porations maintenaient les apprentis par une ferme discipline; les
jeunes ouvriers recevaient chez leurs patrons une éducation graduée
qui les rendait peu â peu propres à atteindre un but déterminé
d'avance. Ils ne devaient pas seulement savoir, avant tout ils de-
vaient pouvoir. Chaque apprenti devait parfaire ses années d'appren-
tissage et de voyage, et celui-là seul devenait patron qui, après avoir
été mis longtemps à l'épreuve dans la pratique des diverses branches
de son art, avait fait véritablement œuvre de raaitre. C'est Ihabileté
acquise par le manœuvre sous la discipline de la corporation, qui
permettait d'obtenir cette perfection admirable que nous voyons
également répandue dans tous les détails d'une cathédrale gothique.
La perpétuité et l'uniformité du mode de travail, l'appui, le concours
mutuel que se prêtaient tailleurs de pierre, charpentiers, serruriers,
fondeurs de métaux, ont seuls rendu possible cette harmonieuse abon-
dance d'ornements qui, subdivisant l'ensemble de l'édifice en un nom-
bre infini de petites et plus petites parties, laisse cependant pressen-
tir l'ensemble dans le moindre détail '.
Pour l'utilité et l'avantage des maîtres de construction comme de
' Voy. REicntNSPERGER, Christlich germanische Baukunst, p. 12-21 .' Dursch, Aesthetik
der christlich bildenden Kunst, p. 310. — Frédéric Schlegel, OEuvres complètes, t. VI,
p. 201-2U3. — Springer, Baukunst des christl. Mittelalters, p. 121-122.
134 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
toute la manœuvre, '■ pour éviter les querelles, les dissensions, les
malentendus, les dépenses et le dommage », les corporations de tail-
leurs de pierre depuis longtemps existantes s'unirent pour former
la confrérie générale de la maçonnerie allemande.
Dans les deux grandes réunions des tailleurs de pierre qui eurent
lieu à Ratisbonne eu 1459 et à Spire en 1464, tous les ateliers et cor-
porations se subordonnèrent par un traité général aux quatre ateliers
principaux de Strasbourg, Cologne, Vienne et Berne, et confièrent
à Tarcliitecte en chef de la cathédrale de Strasbourg la charge de
président et la juridiction suprême. Tous les ateliers de construction
avaient les mêmes règles, usages et juridiction. Ils devaient conserver
et cultiver entre eux « une véritable amitié, le bon accord et Tobéis-
sance, comme étant le fondement de tout bien ■ . La vieille devise des
constructeurs était :
L'art du compas et Injustice
Sans Dieu ne sont à nul propices.
" Maîtres et compagnons ' , est-il dit dans une constitution des tail-
leurs de pierre qui date de 1462, - doivent maintenir parmi eux Tordre
chrétien, se prêter mutuellement appui, assister tous les dimanches
à la grand'messe et recevoir la sainte communion au moins une fois
l'an. " La foi pratique et la conduite honorable devaient être comme
les pihers de l'atelier : - Tout patron, dit la constitution déjà citée,
doit tenir sa maison libre, et veiller à ce qu'aucune dissension ne s'y
élève. '■ " L'atelier doit rester libre comme le lieu oii l'on rend la jus-
tice. " « Chaque ouvrier doit faire un don toutes les semaines pour
le service divin et le soin de ses frères malades; il est soumis à une
exacte surveillance sous le rapport du jeu, de la boisson, des mœurs,
des jurements et mauvaises paroles. L'instruction de l'apprenti est
gratuite. " « On ne doit pas payer pour lui. »
Les ateliers de construction faisaient partie des institutions du
pays, et l'on regardait comme un trait vraiment populaire dans la
vie de Maximilien la connaissance qu'il avait voulu acquérir de
r « art du compas '. L'Empereur, en effet, savait tracer un plan, et
s'était même fait inscrire parmi les compagnons d'un atelier de con-
struction '. Il y avait aussi beaucoup d'architectes dans les cloîtres,
surtout dans les monastères des Bénédictins, des Cisterciens et des
Dominicains. Ces derniers fondèrent même à Strasbourg une sorte
d'école d'architecture.
On n'écrivit aucun livre de théorie sur l' < art sublime » tant que
' Voy. le travail de Janner sur les Ateliers de consliuction, Allihn Bauhütte, n"^ 43-
44. — Reichensperger, Mélanges, p. 156-163, et son opuscule sur les Ateliers de
constr. au moyen âge [ColOQue, 1879). — Grc.\eiSE.\ et ."Malch, p. 3-19.
ATELIERS DE f:0 N S T R UCT I 0 N. 135
la tradition du passé ré(yna en souveraine. Ce ne fut qu'au commen-
cement de la Renaissance que se fit senlir le besoin de fixer par écrit
les rè[>,ies de rarcliileclure. C'est ainsi (ju'il ne devint nécessaire
d'écrire les principes du droil national qu'au moment de l'envaliisse-
mcnldudroil romain. L'arcliilecle Malliiieii Horilzer, de Halisbonnc,
sur l'ordre (jue lui en donna l'évéïiuc Guillaume de liciclienau, (jrand
ami des arts, composa un travail intitulé : Manière de construire
exactement les pinacles (liStî), petit ouvra(j'e dans lequel, sur un
ton de simple et cordiale bonhomie, l'auteur explique le développe-
ment de certaines parties d'un édifice gothique. Après lui, Laurent
Lacher, archilecle du Palatinat, composa une instrucdon du même
genre pour ses fils (15tß). Cet écrit prouve bien que les maîtres du
quinzième siècle étaient déjà convaincus que l'art véritable, dans son
expression extérieure, repose sur une loi intérieure, et que ce n'est
que sur le fondement d'une règle précise qu'une œuvre vraiment
belle et indépendante peut être exécutée •.
Unissant une logique rigoureus:^ à une grande liberté d'inspira-
tion, l'activité féconde de l'architecture germanique marqua de son
empreinte le monde chrétien tout entier. Elle avait pris droit de
bourgeoisie en Italie par la construction des cathédrales et églises de
Milan, Florence, Orvieto, Assise, Sienne, et un grand nombre
d'autres d'imporlance diverse. En liOO, on fit venir des architectes
de Strasbourg à INlilan, afin d'entendre leur avis quant à la conti-
nuation du Dôme. « Les Allemands, disait l'Italien Paul Jovius, pro-
duisent les œuvres d'art les plus sublimes, et nous. Italiens endormis,
pour avoir de bons architectes, nous sommes obligés d'en envojer
chercher chez eux-. " André Palladio (f 1580), un des maîtres les plus
influents de l'architecture de la Kenaissance, avouait que les monu-
ments les plus remarquables de l'Italie étaient dus aux Allemands ^
L'art germanique avait aussi pris possession de l'Angleterre par les
cathédrales et églises de Salisbury, Ely, Lincoln, Worcester, Win-
chester, Glocester, Exeter, Beverley, Bristol et York. En Espagne et
en Portugal, on doit aux Allemands les cathédrales de Barcelone,
Léon, Oviedo, Tolède, Séville, et les églises abbatiales de Batalha et
Belem. Vers le milieu du quinzième siècle, un architecte de Cologne
exécuta un des portails les plus admirables de Burgos. Palma, dans les
lies Majorques, semble une ville gothique construite d'un seul jet. Au
moment de la conquête de l'ile par les Espagnols, il est probable que
toute une colonie, composée en grande partie de tailleurs de pierre
' Pour plus de détails, voy. Reichensperger, Mélanges, p. 55-71 et 133-155. —
Voy. SiGHART, p. 443, note.
^ Voy. SPRiNT.rR, Bilder, p. 174-175.
^ Voy. Reichensperger, Mélajiges, p. 173-174.
133 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
allemands venus d'Espagne, s'y était établie. La Hongrie tout entière
se couvrit aussi d'édifices dus en grande partie à des maîtres alle-
mands; par leur importance ils peuvent soutenir la comparaison
avec les plus beaux monuments des autres pays •. Dans la vieille ville
polonaise de Cracovie, les plus remarquables édifices dus à l'archi-
tecturc du moyen âge portent l'empreinte germanique ^.
11 est vrai que dans les édifices gothiques du moyen âge à son déclin,
la profusion des ornements de détail ne reste pas toujours dans une
juste proportion avec le reste de l'édifice. Ils continuent néanmoins
à être conçus et exécutés « d'après le compas et la justice », et dans
leurs compositions décoratives, gracieuses et brillantes, on découvre
souvent des merveilles d'art ^ En Allemagne aussi bien qu'en Angle-
terre et en Espagne, et particulièrement dans les cathédrales de
Ségovie et de Salamanque ^ le gothique de la dernière époque s'épa-
nouit dans toute la force vitale, la puissance et la beauté de son
style. Peu de temps avant qu'il cessât de produire ses chefs-d'œuvre,
une princesse allemande, fille de Maximilien, Marguerite d'Autriche,
fit construire cette cathédrale de Brou, qui semble réunir, comme dans
un faisceau de rayons, toute la splendeur de l'art du moyen âge ^
L'influence de l'architecture germanique persista encore pendant
la première période de ce qu'on a appelé la Renaissance, En effet,
dans ses parties essentielles, l'art ogival y est encore guidé par les
principes que le moyen âge lui a légués. Les maîtres de l'art nou-
veau héritèrent de leurs prédécesseurs l'habileté technique, la
richesse d'imagination, et aussi longtemps qu'ils vécurent des grandes
traditions du passé, on leur a dii des œuvres vraiment dignes de notre
admiration.
On ne peut se faire quune idée approximative de la féconde
activité de l'architecture religieuse au déclin du moyen âge : une
quantité incalculable d'églises datant de cette époque ont été rasées
1 Voy. Jahrbuch der Central commission, t. I, p. 95,96, 108, 122-123.— Voy. docu-
ments divers, t. VIII, p. 87. Églises golh. de la Croatie. — Voy. Renseignements
divers, t. I, p. 232-236.
-Voy. l'ouvrage illustré d'EsSElVWEiN, Mittelalterlichen Kunstdenhmale der Stadt
Cralcau. — Sur l'art allemand en Bohême, voy. les Renseignements dirers, t. II,
p. 232. — Wermcke, Anzeiger für Kunst der deutschen Vorzeit, 1881, p. 141, 144.
^ Voy. KuGLER, Bauhunst, t. III, p. 303.
* Street, Gothic Architecture in Spain, 2" édit., p. 248-432.
5 Rëichenspergeu, Mélanges, p. 230-232.
ÉDIFICES RELI fil EUX. 137
dans les siècles qui suivirent. Mais celles qui sont restées debout
sont encore en si grand nombre qu'on peut affirmer que dans
aucune période de notre histoire on n'a élevé autant d'édifices
reli(jieux. Cette ardeur pour la construction des églises se pro-
duisit simultanément dans toutes les parties de T Allemagne, aussi
bien dans les petites villes que dans les grandes; les villages mêmes
virent s'élever des églises parfois capables par leur beauté de riva-
liser avec les grandioses cathédrales, et qui, relativement parlant,
commandèrent d'aussi importants sacrifices que les dômes de Fri-
bourg ou d'Ulm '.
Jusque dans les pays reculés de l'Allemagne du Nord, où la civili-
sation pénétra tardivement, de nombreuses églises furent con-
struites entre 14.50 et 1.515, beaucoup d'autres furent restaurées, et
sont d'une graiide valeur au point de vue artistique -. Citons surtout
les églises de Berlin, Brandebourg, Breslau, Danzig, Dargun,
Elbing, Francfort-sur-l'Oder, Furstenwald, Gardelegen, Gleiwitz,
Güstrow, Havelberg, Heiligengrab, Juterbogk, Lübeck, Neu-Ruppin,
Neustadt-Ebers- Walde, Pelplin, Pritzwalk, Rostock, Salzwedel, See-
hausen, Stendal, Stettin, Stralsund, Tangermunde, Tliorn, Wer-
ben, Wilsnack, Wismar, Wittstock, Wolminstadt, Wursthausen,
Ziesar; dans un grand nombre de ces localités, beaucoup d'églises
se bâtissaient ta la fois, comme par exemple à Danzig, où en dehors
de la grandiose église de Sainte-Marie qui date de 1.502, nous voyons
ou se commencer ou s'achever : Saint-Jean (1460-146.5), la Sainte-
Trinité (1481-149.5), la chapelle de Sainte-Anne (1490), le chœur de
l'église des Carmélites (1467), l'église de Sainte- Barbe (vers 1499),
Saint-Barthélémy (1499), Sainte-Brigitte (1515), Saint-Pierre et Saint-
Paul (1515j '. Dans ces pays, où l'on en était réduit à l'usage exclusif
des briques, le talent des architectes se révèle avec évidence; avec
cette matière pauvre et ingrate, ils parviennent à obtenir les effets
les plus grandioses K
Les édifices religieux de Thuringe et de Saxe attestent la même
extraordinaire fécondité de travail. On en peut voir les preuves à
Altenbourg, Anaberg, Bautzen, Brunswick, Calbe sur la Saale,
Chemnitz, Cobourg, Duderstadt, Eisfeld, Eisleben, Erfurt, Freiberg,
' Les noms des architectes d'un nombre infini de ces monuments sont incon-
nus, mais rien que dans l'espace de temps compris entre 1450 et 1520, on peut
cependant en citer environ deux cents. — Sighart, p. 418-495. — Otte, p. 632-
644.
- Pour ce qui suit, voy. Otte, p. 489-623. On n'a compris dans cette liste que
les monuments qui ont une date d'ori;;ine très-précise et très-authentique.
^ Sur les monuments élevés à Danziij pendant la seconde moitié du quin-
zième siècle, voy. Hirsch et Vossberg dans la IVeinrekh's Chronik, XIX-XXI.
* ScHN.AASE, Documents, t. VIII, p. 56.
138 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
Freibourg-sur-rUnstrut, Görlitz, Goslar, Halberstadt, Halle-sur-la-
Saale, Hiidesheim, léna, Leipzig, Magdebourg, Meissen, Merse-
bourg, Naumbourg, Nordhausen, Pirna, Roehlitz, Romhild, Saalfeld,
Sangerhausen, Wittenberg, Zerbst, et Zwickau. Citons la ville de
Görlitz, où l'église de Notre-Dame fut construite entre 1458 et 1473;
celle du Saint-Sépulcre, en 1465; de la Sainte-Croix, de 1481 à
1498; l'église de Sainte-Anne, de 1508 à 1512, et en 1497, l'église
colossale de Saint-Pierre et de Saint-Paul avait été achevée. Mais
l'Allemagne du Sud montre encore plus d'ardeur que celle du Nord,
tant pour l'érection de nouvelles églises que pour la reconstruction
ou l'achèvement des anciennes. Dans l'Autriche allemande, il faut
particulièrement citer les édifices de Aller-Heiligen, Ansbach, Bär-
neck, Braunau, Brunn, Eisenerz, Efferding, Feltkirsch, Gratz, Gres-
ten, Gross-Pechlarn, Knittelfeld, Krems, Kuttenberg, Lana, Leoben,
Mariabuch, Melk, Méran, Mödling, Neuberg, Nussdorf, Obermauern,
Pottendorf, Prachatitz, Prague, Purgstall, Rabenstein, Salzbourg,
Saint-Georges, Saint-Marein, Saint-Oswald, Saint-Paul, Saint-Ru-
precht, Saint-Wolfgang, Schönbach, Schwaz, Schweigers, Sobieslau,
Stein, Stein près de Laybach, Steyer, Strassengen, Tabor, Töllers-
heim, Waidhofen, Vienne, Viener-Neustadt, Wilhemsbourg, Win-
dischgräz. Rien que dans le district des forets de Vienne, quatre-
vingt-dix églises environ furent bâties ou restaurées dans la seconde
moitié du quinzième siècle'.
En Souabe et en Bavière, d'innombrables monuments religieux
attestent la mêmeactivité féconde. Citonsleséghses de Alpirsbachprès
deFreudenstadt, Altheim, Alttötting, Amberg, Augsbourg, Bebenhau-
sen, Beinstein près de Weiblingen, Berchtesgaden, Blaubeuren, Blu-
tenburg, ßogenberg, Burghausen, Chammunster, Dingolfing, Diukels-
buhl, Donauwörth, Eggenfelden, Elhvangen, Entringen, Esslingen,
Freising, Gaimersheim, Geisenhauseu, Gnadenberg, Hallen Souabe,
Heilbronn, Hirschau, Ingolstadt, Kelheim, Landshut, Leutkirch,
Magstadt, Memmingen, Monheim, Munich, Neumarkt, Neunbourg,
Neuötting, Nördlingen, OEhringen, Passau, Pipping, Prull, Ratis-
bonne. Rottweil, Saint-Nicolas, Schorndorf, Schrobenhausen, Schwä-
bisch-Gmünd, Straubing, Stuttgard, Sulz, Tirschenreuth, Tölz,
Trosberg, Tubinguen, Ulm, Velden, Vilsbibourg, Waiblingen, Was-
serbourg, Weil-la-Ville, Weilheim, Wimpfen-la-Montagne. Dans
quelques villes, la presque totalité des églises date de la fin du
quinzième siècle, par exemple à Wailbligen, oîi les églises paroissiales
ont été achevées entre 1459 et 1489 ; la chapelle du cimetière, avec sa
crypte,est de 1496 ; cellede Saint-Nicolas, de 1488. A Stuttgard, l'église
' Voy. Jahrbuch der Centrakommission, t. II, p. 104.
ÉDIFICES RELIGIEUX. ï''9
de Saint-Léonard est de 1171, l'église abbatiale de 1490, la cliapclle
de riirtpilal de 1493. A Aujjsboiirp,, le Dôme fut achevé en 1484, Sainl-
Ulricli est commencé en 1407, Saint-Geor^jes achevé entre 1490 et
1505. Saint Maurice date aussi de cette époque. Le Dôme de P.aiis-
bonnc, chef-d'œuvre de premier ordre, est de 1486, la cathédrale
d'rim de 1507, et Notre-Dame de Munich fut construite entre 1408
et 1488.
La VVesfphalie et le pays rhénan furent, aussi bien que la Bavière
et la Souabe, dotés de nombreux et d'imposants monuments reli-
gieux. Citons en Westphalie ceux de : Blomberg, Bocholt, Bor-
ken, Coesfeld, Corbach, Dortmund, Everswinkel, Hamm, Liesborn,
Lippstadt, Lüdinghausen, Mollenbcck, Munster, Nottuln, Bheine,
Schwerte, Soest, Unna, Freden, Wcdderen. Dans le pays rhénan :
Alzey, Andernach, Baden-Baden, Bâle, Berne, Bingen, Bonn,
Bruchsal, Calcar, Clausen, Clèves, Coblentz, Cologne, Constance,
Cues-sur-la-Moselle, Duisbourg, Elten, Emmerich, Essen, Fribourg,
Heidelberg, Hernsheim, Kiedrich; dans le Bheingau, Landau, Linz,
Mayence, Meisenheim, Metz, Neustadt, Rokeskyll et Saint-Goar, Sim-
mern, Sobernheim, Strasbourg, Thann, Trêves, Überlingen, Worms,
Xanten, Zug et Zurich. On travailla clans cette dernière ville à la
grandiose cathédrale de 1480 à 1490; au dôme de Notre-Dame de
1484 à 1507; à la Wasserkische de 1479 à 1486. A Cologne, se mani-
feste en même temps une incroyable ardeur pour l'architecture reli-
gieuse. Sans parler des édifices civils, Sainte-Ursule est construite
entre 1449 et 1467, les Saints-Apôtres en 1451, Saint-Séverin en
1479, l'église des Frères-Mineurs en 1480, Saint-Martin-le-Petit, Saint-
Laurent, à la même date; Saint-Jean et Saint-Cordula en 1483. En
1456, Saint-Columba fut agrandi pour la première fois, en 1493 pour
la seconde, en 1504 pour la troisième. En 1491, Saint-Paul est con-
tinué. En 1402, l'église des Macchabées est érigée, en 1465 s'élève la
chapelle du Sauveur dans Sainte-Marie du Capitole, la chapelle de
Saini-Thomas date de 1469, celle de Sainte-Catherine de 1473, la
sacristie de la chapelle de l'hôtel de ville, de 1474, l'église et le
cloître de Saint-Apern, de 1477, l'église et le cloître de Sion, de 1480,
ainsi que l'église des Frères de la Croix; l'église du cloitre de Mom-
mersloch s'achève en 1483; la chapelle du Baptistère de Saint-Jean
en 1489, en 1490, l'église des Frères de Weidenbach; en 1493, la
seconde chapelle de Sainte-Marie du Capitole; en 1505 le Baptistère
et Saint-Séverin. Outre cela, de 1447 à 1513 on travailla sans relâche
au Dôme'.
' Voy. Ennex, surl'arcliitecture dans le diocèse de Worms au déclin du moyen
âge; voy. rarticle de Falk, t. III, p. 982-1001. — Voy. le Mémoire de Falk, dans
les Histor. und Pol. Blätter, t LXXIX, p. 125-130.
1^0 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
Dans tout le territoire du Rhin central où Farcliitecture chrétienne
du moyen âge eut son plus magnifique épanouissement, la période
comprise entre 1450 et lölö fut peut-être la plus féconde. Jusque
dans les petites localités de brillants chefs-d'œuvre furent exécutés,
entre autres la splendide église paroissiale de Kiderich, la chapelle
de Saint -Michel de la même petite ville, et Teglise du Cygne,
à Forst. Cette dernière pourrait bien représenter le point culminant
de l'art chrétien. Elle nous offre la preuve du génie avec lequel les
architectes d'alors savaient se prêter à toutes les exigences; ils exé-
cutaient les petites choses avec la même habileté, le même suc-
cès que les grandes ' . L'essor de l'architecture semblait suivre
l'élan de la vie intellectuelle. Ainsi à Bàle et à Fribourg, c'est à
l'époque où les Universités nouvellement fondées entrent dans leur
première période d'éclat, qu'on érige à Bàle (de 1470 à 1487) le
second chemin de croix; entre 1484 et 1500 s'élève le clocher sud de
la cathédrale; de 1496 à 1503 l'église de Saint-Léonard. De 1471
à 1509, le chœur de la cathédrale de Fribourg, avec sou admirable
couronne de chapelles est construit ^. A Francfort-sur-le-Mein le zèle
pour la construction des églises parait surprenant lorsqu'on le com-
pare à l'inertie du passé. En 1452, ou y construit Saint-Pierre;
en 1455, Notre-Dame la Blanche; en 1458, Notre-Dame; en 1485,
l'église de l'ordre Teutouique; en 1507, Saint-Léonard; en 1512, le
Dôme.
Des centaines d'églises s'élèvent aussi en Francouie et dans la Hesse.
D'après une liste très-exactement faite, dans un seul district de ce
pays (celui qui appartient aujourd'hui au district impérial prussien
de Cassel') nous constatons que des éghses furent, ou construites, ou
réparées et achevées, dans plus de soixante localités différentes.
Les noms de ces localités prouvent que dans ce pays, dépouillé par
la guerre de tant de monuments, la quatrième partie environ des
éghses qui sont encore debout date de la tin du moyen âge. Pour
prendre un autre exemple dans un pays différent, c'est à la même
époque qu'appartient presque la moitié 'des édifices religieux dignes
d'attention au poiut de vue de l'art, qui subsistent encore dans les deux
Alsaces (districts de Kaisersberg et de Rappoltsweiler*).
L'érection de ces innombrables édifices permet de constater l'ac-
' Reichensperger, Mélanges, p. 111-121.— Sur Kiedrich, vov. Zaln, 82 foIL,
132 foil.
- Sur le chœur de !a cathédrale, voy. Bader, Geschichte der Sladl Freiburg, t. I,
p. 533-541
^ Voy. liaudenlniiiler im Regierungsbezirk Cassel, DEHN Rotfelser et LOTZ (Cassel,
1870). — LOTZ, KunsUopographie Dculschlmuh, t. II (CaSiCl, 1862).
* Voy. ?iJV^k\:u,SuUislique mon. des cantons de Kaijsersberg et de liibeauvillé (Stvashourf^,
1860.)
ÉDIFICKS RELIGIEUX. 141
lion puissante qu'exerçait encore, dans toutes les parties de l'Alle-
maîpie, l'Éj^iise dont ils servaient les vues. Tant et de si admirables
enlises, «ans parler des richesses dont elles él aient intérieurement
ornées, n'auraient pu s'élever, si dans toutes les classes, dans les
familles comme dans les corporations, n'eiU dominé l'esprit de foi,
la vive ferveur. Ce n'était pas l'amour de l'art qui poussait les ùmes
vers la dévotion; c'étaient le sentiment relifjieux, la culture religieuse
élevée du peuple qui faisaient éclore les œuvres de l'art chrétien et en
inspiraient l'amour. La nation y joignait ses plus nobles efforts et
tenait à y participer selon ses moyens, par des offrandes, grandes
ou petites.
Qu'on prenne en main, par exemple, les comptes d'architecture
de l'église de Xanten : le maître architecte reçoit, pour couvrir les
frais de la bâtisse, de celui-ci un lit, de cet autre un ustensile de
ménage; un troisième apporte son habit; le quatrième amène sa
vache, un autre offre du blé, et le maître architecte est prié d'employer
le prix de revient de tous ces dons de la manière qu'il jugera être la
plus utile. Dans le chœur de l'église, on voyait suspendus des cui-
rasses, des casques, foute espèce d'armes destinées à être vendues.
Un bourgeois donne ses pierres précieuses; un seigneur offre les
dîmes apportées par ses fermiers; on offre des matériaux de con-
struction, le gain d'une partie de quilles, l'aumône qu'on est obligé
de faire en entrant dans une confrérie. Un valet de service donne
dix pièces de menue monnaie; une pauvre vieille femme, quatorze
deniers. Les tailleurs de pierre eux-mêmes ne restent pas en arrière
et donnent souvent d'une main ce qu'ils viennent de recevoir de
l'autre comme salaire de leur semaine'.
Les choses se passaient de même à Francfort-sur-le-Mein ; dans
cette ville, la collégiale de Saint-Barthélémy avait chargé un em-
ployé spécial de recevoir les dons apportés pour l'achèvement de la
cathédrale. Cet homme se tenait tout le long du jour dans le cime-
tière, près d'une image représentant le Sauveur au jardin des Olives.
On apportait au " gardien de l'image » non-seulement de bonnes
pièces sonnantes, mais encore des objets de ménage, d'habillement,
même des veaux, des porcs, des poulets, etc., que l'on renfermait dans
des clôtures disposées à cet effet. La confrérie des boulangers se
' SCHOLTEX, jlusztijc aus den Baurcchimngen der St Vicloi's Kirche zu Xanten, p. 21, 26,
30, 36, 39, ^3, 48, 54-59, 63, 64, 74 (Berlin, 1852).
REicii^ysPEKGEK, Mélanges, p. 268-270; nous voyons p.ir ces comptes combien,
même à cette époque, lérection d'un (jrand édifi* e éiait chose dispendieuse. —
Otte, p. 631. — Voy. aussi sur ce sujet Allihx, Bauhütte, n» 42, p. 84-92. Il y
rend pleine justice à l'ardeur pour les œuvres d'art et d'architecture • de ce
quinzième siècle si raillé «. — Voyez aussi SciiueGRAF, Drei Rechnungen über den
Regenshurgcr Dom, 1487-1489 (Ratisbonne, 1857).
142 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
chargea cVengraisser gratuitement les porcs donnés de cette manière,
jusqu'au moment où ils seraient en état d'être tués. Chaque samedi
lecollecteur des aumônes vendait à l'encan les objets qu'il avait reçus
pendant la semaine, et le vendredi, on voyait fréquemment un paysan
suspendre son harnais ou son meilleur vêtement, une femme sa plus
belle jupe, auprès de la pieuse image; puis le lendemain on venait
racheter ce qu'on avait donné la veille'.
On lit dans une chronique manuscrite relative à la construction
de la cathédrale d'ülm : " A l'endroit où le conseil de fabrique a
coutume de s'acquitter des devoirs de sa charge, on a construit une
baraque où chacun peut apporter la petite offrande volontaire de
son bon cœur. Ni tablier, ni cotillon, ni ceinture, ni collier n'est
méprisé; on les vend ensuite chez les fripiers, près du logis des
cloutiers, le plus avantageusement possible au profit de l'édifice.
Quelques bourgeois se sont engagés à faire corvée d'hommes et de
chevaux pendant une année entière; d'autres, pendant six mois, un,
deux ou trois mois ; quelques-uns même achètent des chevaux à cet
effet. Aussi, grâce à leurs efforts, l'œuvre a grandi sous leurs mains
de telle manière que... en 1488, non-seulement la grande et splendide
église avec son clocher a été élevée, voûtée, couverte, mais encore
ornée à T'inléricur de cinquante-deux autels. On n'a accepté pour
cette construction l'aide d'aucun étranger. Le dôme, avec le clocher,
d'après les comptes, coûta environ neuf tonnes d'or. En 1452, Claus
Lieb, surnommé « le forgeron des pierres ", fit construire à ses frais
l'admirable sacristie. Pour rendre grâces à Dieu ou plutôt pour ser-
vir de prière perpétuelle (car alors tous ceux qui avaient fait un
don à l'église pouvaient y suspendre, en souvenir de leur libéralité,
soit des armoiries, soit un écusson, soit un tableau), il se contenta
d'enfouir son enclume dans les fondements. On lit sur la porte de la
sacristie : " Claus Lieb, surnommé le forgeron des pierres. » En
1.517 fut achevé le groupe du Christ et des apôtres à la montagne
des Oliviers. On y voit douze figures, sans compter celle du Christ et
des trois apôtres ses compagnons. La fondatrice, qui a une confiserie
dans la rue d'Herbel, se nomme Marie Tauscudschon, et elle a, dit-
on, dépensé 7,000 florins pour ces sculptures -. »
' Kriegk, Geschichte Francfiirl's, p. 165.
- Hisi. und Pol. Blatt., t. XXXII, p. 103-104. — Voy. les dons d'armes et d"habits
offerts pour l'église de Notre-Dame à Mayence.— Mo.ne, t. XI, p. 138. —Falk, ll'issen-
schdfi und Kunsi, p. 350. — Sur les dons volontaires offerts pour les éiyUses de
Nuremberg, voy Baader, App., t. I, p. 54, et t. II, p. 29, 32, 34. — Voy. aussi
Passaviint's Ansichten, p. 124-125. — Dans l'église de iNussdorf, on a trouvé dans les
voûtes d'arête des écussons où étaient peints des serpettes de vignerons, des
épis, des abeilles et des raisins, probablement en souvenir des cultivateurs et
vignerons qui avaient coopéré à la construction de l'édifice. Jahrbuch der Cen-
iralcommissioi: , t. Il, p. 155.
AhCllITECTURE CIVILE. 143
C'est à ces efforts réunis qu'iuspirait une foi commune, c'est à
l'ardente piété des pauvres et des riches, des bourgeois et des pay-
sans, des prêtres et des nobles, des individus comme des corpora-
lions et des monastères, (juc la plupart de nos églises doivent leur
origine. Les nations et les villes, jalouses de se surpasser les unes les
autres dans le témoignage de leur piété, de leur prospérité, de leur
culture artistique, s'imposaient mille sacrifices généreux, et cela à
une époque où la libéralité chrétienne s'exprimait eu même temps de
la manière la plus large, dans des legs pieux et d'innombrables fon-
dations de bienfaisance. Cela est si vrai que le Pape lui-même dans
un bref adressé au Conseil de Francfort-sur-le-.Meiu, lui recommande
de veiller à ce que la ville ne vienne à s'appauvrir par trop de Jegs
faits aux églises '.
II
C'est par les édifices religieux que l'architecture du quinzième
siècle exprima le plus magnifiquement son génie; mais elle ne consa-
cra pas exclusivement à l'Eglise ses glorieux labeurs ; elle sut aussi
parer la vie publique, le foyer domestique des plus nobles créations.
Après Dieu, elle se plut à servir les intérêts communs, la liberté,
riionneurdes citoyens à défendre, à fortifier les villes; elle a élevé
ces tours puissantes, ces donjons, ces doubles portes que les engins
modernes ont de la peine à détruire. On lui doit encore ces hôtels
de ville, ces arsenaux, ces salles où se discutaient les intérêts de la
commune, et ces maisons de réunions publiques qui servaient aux
joyeuses assemblées. Les tours et portes de ville étaient fréquem-
ment construites par les plus grands architectes. Si les cités rivali-
saient de zèle pour élever au Maître du ciel et de la terre les plus
magnifiques cathédrales, elles avaient entre elles la même émulation
pour l'érection de bâtiments publics destinés à attester devant la
postérité leur puissance, leur dignité, la vitalité de leur génie. iNon-
seulement en temps de paix, mais au milieu même du tumulte des
armes, s'élevaient des édifices nombreux. L'Allemagne fut dotée en
même temps de monuments religieux et civils de toute proportion,
de toute nature. Les maisons bourgeoises et les demeures patriciennes
avec leurs hautspignons,leursfenêtresaussiartistiques que commodes,
aux formes si variées et si élégantes, même les habitations de pay-
sans, les plus simples constructions de bois joint, révèlent, dans leurs
' Kriegk, Geschichte Francjurl's, p. 164.
144 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
plus petits détails, le sentiment artistique plein de sève et de justesse
qui régnait alors dans toutes les classes de la nation. Les simples
particuliers éprouvaient aussi bien que la commune en général l'am-
bition de laisser à leur pays un beau, un irréprochable travail qui
servit d'encouragement, d'objet d'émulation aux artistes à venir,
et contribuât à la gloire de la patrie. Le bourgeois, le paysan même
tenait à honneur d'avoir chez lui, exécutés avec le plus de perfection
possible, les objets qui servaient à la vie de tous les jours '.
Si l'on veut se faire une idée delà splendeur de l'architecture alle-
mande à cette époque, il faut étudier les dessins de Mérian dans la
topographie de Zeiler. Non-seulement les édifices civils, les châ-
teaux, les hôtels de ville, les portes fortifiées, mais encore l'aspect
général des cités, nous révèlent l'effort et le labeur de ces mêmes
associations qui, maniant la matière et la lorme sous tous les aspects
possibles, arrivaient à cette perfection, à cette juste harmonie de
tous les détails , que nous avons déjà admirées dans les édifices
religieux ^
' Dit Juste >JÖser. Voy. Reichensperger, Mélanges, p. 409-412. — Cknsllick ger-
manische Baukunst, p. 20, 30-32, 37. — On ne peut nier que les demeures d'autre-
fois n'eussent bien moins d'air et de lumière que celles d'aujourdliui; mais
il faut se rappeler que toutes les villes d'alors, dés qu'elles avaient un peu
d'importance-, étaient fortifiées, et que les murs d'enceinte rendaient néces-
saire l'afTglomération des bâtiments. " Quelle cho:ve plus attrayante pour
l'esprit, dit .lacob Grimm, que la description d'une ville du moyen âge? Les
arts, que la richesse seule fait éclore, se montrent à nos regards; d'admirables
églises et édifices publics s'élèvent dans l'enceinte des solides murailles; les
places plantées d'arbres é.gayent les demeures, a;3réables d'aspect; et au dedans
nous voyons s'épanouir une vie active et laborieuse, qui ne met point ol)stacle
aux jeux, aux divertissements, aux danses, aux exercices militaires. Conscients
de leur fortune bien établie, les bourgeois, dans leurs beaux babils, vont et
viennent, fiers de leurs libertés, prêts à se défendre vaillamment contre toute
attaque, généreux dans leurs dons, loyaux et fermes dans leur vie de famille,
pleins de respect et de piété pour Dieu. "
- On peut y constater l'état de prospérité et de splendeur dans lequel l'Alle-
magne sortit des mains de l'art du moyen âge. Pour plus de détails, voy. Reichen.s-
PERGER, Martin Mérian, p. 6-18; Mélangi's, p. 195-490. Toute l'architecture du
moyen âge est isiue de l'église; cependant l'architecture profane n'y eut pas
moins son caractère personnel, et sut s'adapter à toutes les destinations, à tous^
les besoins. Un château fort de cette époque, bien qu'il soit impossible de nier
son caractère gothique, n'imite pas plus une église, un monastère, que les habits,
les meubles des laïques n'imitent les meubles, les ornements d'église Une loi
profonde, ayant sa racine dans le christianisme même, inspira jusqu'au moment
de la Renaissance toutes les manifestations de l'art sans nuire en aucune manière
à l'individualité. Au contraire, daUb la période qui commence à la Renaissance,
tous les arts, même l'art religieux, subirent l'intluence des cours princières.
CHAI'ITHE II
SCüLPTüilfc: ET r El M URL.
En Allemafvnc comme paiioiit ailleurs, les progrès de la sculpture
et de la peiiilurc suivirent de près ceux de l'architecture leur sunir.
L'archiiccture a besoin de leur secours; elle ne peut arriver à un
plein épanouissement ni produire tout son effet, qu'elle ne leur
soit étroitement associée. D'autre part, la sculpture et la peinture
ne peuvent prospérer si elles ne trouvent un ferme appui dans
l'architecture.
Les murs du saint édifice une fois achevés, il fallait songer à
animer ces espaces froids et vides; à les orner extérieurement et
intérieurement de statues, de tableaux destinés à symboliser les
enseignements et les saintes traditions du christianisme, à rendre
comme visibles les personnes et les objets du culte, à être, enfin,
comme « les prédicateurs d'une vie plus haute ". La ferveur chré-
tienne avait hâte d'orner, de rendre magnifique le lieu où le Sau-
veur réside, s'unit aux hommes dans sa miséricorde et son amour;
où, dans un saint recueillement, le peuple fidèle adore et élève ses
pensées vers le ciel. Tout ce que la terre peut donner de plus beau,
tout ce qui peut aider les élans religieux de l'âme, fut employé
à parer nos temples, et la sculpture et la peinture, marchant sur
les pas de l'architecture pour servir l'Église, prêtèrent à l'esprit
chrétien son expression la plus sublime. Leurs chefs-d'œuvre ont
gardé l'empreinte de ce qu'il y a de meilleur et de plus durable
dans toute œuvre d'art : l'amour ardent de l'artiste pour sa créa-
tion.
Les églises n'étaient pas seulement pour nos pères le sanctuaire
de la prière; elles étaient encore comme des expositions grandioses,
où, sous leurs yeux, la divine histoire de la Rédemption se déroulait
à Taise. Elles étaient en même temps pour le peuple des musées con-
stamment ouverts, des galeries historiques, où, de siècle en siècle, les
chefs-d'œuvre venaient s'ajouter aux chefs-d'œuvre. C'est en les
admirant tous les jours que se formait le sens esthétique dans la
jeunesse; grâce à elles, les artistes trouvaient des occasions sans
10
146 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
cesse renouvelées de pratiquer leur art. Les commandes abondaient,
venues soit des particuliers, soit des corporations.
Toute famille aisée, toute corporation tenait à faire hommage
à Dieu d'un don particulier pour sa sainte demeure ; on offrait un
tableau, une statue, un vitrail, un devant d'autel; les portraits de
famille eux-mêmes, en leur qualité de portraits de donateurs, étaient
apportés aux pieds des saints, et servaient une pensée élevée. Quand
les artistes se représentaient eux-mêmes, soit par la couleur, soit par
le bronze, le bois ou la pierre, ils se donnaient l'attitude d'humbles
suppliants; dans celles de leurs compositions qui ont de nombreux
personnages, ou les voit chercher toujours la place la plus modeste
pour y figurer; souvent, comme Adam Krafft, dans le tabernacle de
l'église de Saint-Laurent, ils paraissent en habits de travail, revêtus
de leur tablier, un outil à la main et dans l'attitude de serviteurs'.
Mais ce n'était pas seulement la vie religieuse, c'était aussi la vie
domestique et publique que la sculpture et la peinture s'efforçaient
d'ennoblir et d'orner. Les hôtels de ville, les maisons des corpora-
tions, les demeures patriciennes étaient des musées d'art en petit, et
attestent encore aujourd'hui la force et la sève du sentiment artis-
tique de la nation ^
Aucune maison bourgeoise n'était dépourvue de peinture; toutes
portaient sur leur fronton, soit un symbole quelconque, soit l'image
du saint patron de la famille . L'aspect seul des rues dans les
grandes villes disait le rôle important qu'avait l'art dans la vie
de la nation : elles ressemblaient à des chroniques illustrées, dont
les murs, recouverts de fresques, étaient comme les feuillets; ces
fresques faisaient mieux pénétrer dans l'intime de la vie populaire
et bourgeoise que n'importe quel livre écrit ou imprimé. D'excellents
artistes s'y essayaient; il arrivait souvent qu'ils les réussissaient
mieux, y montraient plus d'habileté et de talent que dans leurs
autres compositions, et de véritables chefs-d'œuvre se trouvaient
ainsi exposés dans la rue, pour l'ornementation d'une simple maison
bourgeoise '. On dépensait souvent de grosses sommes pour l'embel-
lissement des villes; ainsi à Nuremberg, en 1447, la ville donne
500 florins pour dorer la belle fontaine qui s'y trouve; une nouvelle
peinture et dorure coûte plus tard 400 florins (1491) K
Tous les chefs-d'œuvre de l'époque portent l'empreinte de l'art
national.
' Voyez MONZ, Zeilschrlfi, t. III, p. 3-8, et t. XVII, p. 257-279. — Rettberg, Nürn-
bergs Kunstleben, p. 59, 91. — RiEHL, p. 113.
2 VOV. Ennen, t. III, p. 960.
' Particulièrement à Aujjsbourg. Voy. Rieiil, p. 291 298. — IIerbergvb, p. 62.
* Chroniken der dculsdiai Staate, t. X, p. 167, et t. XI, p. 560, note 3, p. :66.
I
DÉVELOPPEMENT DE L'AKT. Ii7
L'art est le bien commun de l'humanitr, il a ses racines dans la
vie iutcllecfuelle et universelle de l'esprit humain : toutefois il porte,
là où il se produil, les caractères du milieu où il se développe '.
Counne les mœurs et le langage, il croit sur un sol religieux, au sein
même du peuple; il traduit et revêt la vie intime et les sentiments
les plus élevés de la nation sous le symbole de l'image, de même
(juc la langue, sous le synibole des mots, les mœurs, sous la forme
des relations sociales, les traduisent et les revêtent. Les artistes
allemands d'alors, par nature comme par développement personnel,
avaient le sentiment très-prononcé de l'amour de leur pays; ils trans-
portèrent tout naturellement ce sentiment dans l'art. On peut
presque discerner les traits de caractère particuliers à chaque pro-
vince allemande en étudiant les (ruvres artistiques qui lui appar-
tiennent en propre. De môme que toute grande ville avait un dialecte
particulier, l'art y avait aussi certaines nuances, qui n'étaient qu'à lui.
Tous ces artistes remarquables qui produisirent en si grande
abondance des œuvres si variées et si admirables, n'étaient que de
simples bourgeois, d'humbles ouvriers d'une corporation de la ville.
Le jeune homme se rendait dans l'atelier d'un maître, y apprenait
la préparation traditionnelle de la matière première, acquérait la
pratique des travaux de son état, avançait peu à peu, et devenait
enfin premier ouvrier. 11 étudiait le maître, se perfectionnait en
suivant son exemple, puis il se mettait en voyage; s'il parvenait à
produire quelque ouvrage vraiment remarquable, il faisait ce qu'on
appelait " œuvre de maître », et passait patron; sinon, il restait
simple ouvrier, et se bornait à aider son maître dans l'exécution des
commandes reçues. Au reste, les patrons eux-mêmes, verriers, sta-
tuaires, sculpteurs sur bois, fondeurs en métaux, fondeurs de cloches,
orfèvres, forgerons, serruriers, travaillaient avec leurs ouvriers et
leurs apprentis, maintenaient parmi eux l'ordre et la discipline,
mangeaient à la même table, couchaient sous le même toit, et ne se
distinguaient en rien des autres gens du métier.
Parmi les vies des nombreux protecteurs de l'art à cette époque,
nous choisirons celle du drapier et échevin Jacques Heller, de Franc-
fort-sur-le-Mein. Nous pourrons y étudier la manière dont l'art se
développait alors, ses étroits rapports avec la vie des citoyens, et la
souplesse avec laquelle il se pliait aux besoins des hommes de ce
temps. Les grandes capacités de Heller, sa connaissance pratique
des affaires lui avaient valu la considération de ses concitoyens. H
avait vu le monde; en 1500 il avait visité Rome et avait repré-
senté plusieurs fois avec succès les intérêts de Francfort dans les
' Voy. LUTHARDT, p. 34-35,
10.
148 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
diètes de l'empire et différentes affaires diplomatiques. Les legs,
les fondations qu'il fit en si grande abondance nous fout conce-
voir une haute idée de sa bonté de cœur, de sa bienfaisance envers
la misère et le malheur, de sou affectueuse sollicitude pour ses
subordonnés, de sa belle et patriarcale manière de vivre dans sa
maison, au milieu de ses fidèles serviteurs. Plein d'amour pour son
pays, ami zéîé du progrès de la science, il donna « de bon cœur »,
et pour l'utilité commune de la ville, une somme importante pour la
construction d'une nouvelle bibliothèque. Jusque par delà la mort,
il voulut concourir à l'honneur, à la prospérité de sa ville natale par
l.î donation de sommes considérables qu'il attribua à la construc-
tion d'édifices publics, églises, et murs d'enceinte. Une profonde et
grave piélé, un esprit entièrement dévoué à l'Église furent les
mobiles qui le dirigèrent toute sa vie. Sa foi était aussi la cause de
la protection qu'il accordait aux arts, et s'il faisait travailler sculp-
teurs et fondeurs, peintres, orfèvres, brodeurs, c'était pour prê-
ter une expression durable à sa piété. On a conservé des ordres
écrits laissés par lui pour l'achèvement de précieux ornements
d'église destinés à des cloîtres et à des églises de la ville et des
environs. Il y indique avec précision les belles broderies d'art qui
doivent y être employées; par exemple, pour le cloître des Domini-
cains de Francfort, il ordonne qu'on fasse un ornement d'église
: avec du velours rouge, du meilleur et du plus beau, richement
orné, exécuté de la manière la plus artistique, avec une belle croix
sous laquelle Marie et saint Jean seront représentés, et où seront
brodés deux écussons : le sien et celui de sa femme », « plus, deux
dalmatiques et une chape de chœur où saint Jacques et sainte
Catherine soient brodés », ouvrage auquel les perles de sa défunte
femme doivent être employées. Outre cela, il ordonne de dépenser
quatre-vingts et même cent florins en surplus, afin qu'elles soient
encore plus belles, plus dignes d'être consacrées à la gloire et à la
louange de Dieu. Pour son tombeau, dont il avait marqué la place
dans le cloître des Dominicains, il fit faire, de son vivant, un bel
ouvrage d'art en bronze, surmonté d'une statue de la Mort '. Dans
l'église de Notre-Dame, il fit exécuter un admirable groupe sculpté
représentant Jésus au jardin de Gethsémani, non loin duquel sont
les apôtres endormis -. 11 joignit à cette offrande magnifique une
fondation pieuse. Mais tous ces dons restent bien au-dessous,
comme valeur artistique, d'un tableau d'autel destiné au couvent des
Dominicains (qu'Albert Durer peignit par son ordre), et d'un Cal-
' Lorsque le monastère fut supprimé, cette statue fut brisée comme n'étant
que du •■ vieux métal ■, et vendue à des Juifs.
^ Il n'existe plus maintenant.
DÉVELOPPEMENT DE L'ART. 149
vairc qu'un niailrc inconnu cxrcula sous sa (iirccfion pour le ciinc-
Jière de la calhédrale. Le labloau de Durer représente l'assomption
el le courounenicnt de la Sainte Vierge; il excita chez les contem-
porains l'admiration la plus vive, et jouit pendant un siècle d'une
réputation très-étendue '. Ouant au Calvaire, c'est ce que Francfort
possède de plus remarquable en fait de sculpture du moyeu âge. Il se
compose de sept statues plus grandes que nature, d'une exécution par-
laite et d'un effet saisissant. Le Christ en croix, surtout, est une créa-
tion magi>^trale et sublime; la douloureuse et noble expression de li
tète inclinée produit une émotion profonde. Sur le socle de ce monu-
ment, modèle d'harmonieuse composition, on lit l'inscription latine
suivante : " En Tan 1."jü9, h s époux Jacob Heller et CiU/ierine de Mol-
/laini, demeurant à Nuremberg , ont érigé ce Calvaire, à la louange de
notre glorieux triomphateur Jésns-Christ, en leur nom et en celui de leurs
ancêtres, afin fjue Dieu accorde sa grâce aux vivants et le repos éternel aux
ntorts. » Les textes de la sainte Écriture, gravés en relief eu plusieurs
endroits et au bord des vêtements des personnages, sont dignes
d'attention, en ce qu'ils montrent bien les sentiments qui ont
présidé à l'érection du monument. Les citations de la sainte Ecri-
ture et les représentations plastiques sont dans un parfait rapport,
et font de l'œuvre entière comme une expression grandiose de la
foi, de l'espérance, de l'amour confiant et tendre du donateur. Le.
dernier texte : = Et .Jacob prit la pierre, et il la dressa comme un
signe i>, fut évidemment choisi par Heller par allusion à son propre
prénom, et pour bien indiquer qu'il faisait cette fondation pour le
salut éternel des morts et des vivants, dressant ainsi un signe com-
mémoratif, érigeant un sanctuaire de prières pour les générations
présentes et futures. Heller fît en outre une donation pour que tous
les vendredis de l'année, le recteur de l'École de la Collégiale de
Saint-Barthélémy, avec sept de ses élèves, vint devant le sanctuaire
« réciter un office eu mémoire du Christ -, et pour que, devant le
Calvaire et le jardin des Oliviers, en l'église Notre-Dame, deux
lampes brûlassent perpétuellement -.
Toute bonne œuvre, sous quelque forme qu'elle se produisit, était
considérée par les chrétiens de ce temps comme agréable à Dieu; on
l'accomplissait '^ de par Dieu ", comme on disait jadis, c'est-à-dire
pour satisfaire au commandement que Dieu nous fait de témoigner
notre charité par des actes. On faisait le bien " pour obtenir son
' Voy. K.viFFMVNX, A. Durer, p. 27-29.
* Voy. le beau travail de Cormll, intitulé Jacob Heller et Alb. Durer. — Voy.
.1. Merlo, Annalen fies kistor. Vereins für den .Vietlenliein Cologne, 1882), cah. 38, 103-
110. — Sur d'autres donations faites par des bourgeois de Francfort, voy. Kriegk,
Geschichte von Francfurt, p. 161-181.
150 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
propre salut, et parce que le bonheur éternel ne peut être mérite
que par les œuvres de miséricorde spirituelle et corporelle : les
aumônes, la construction des églises, les tableaux qui servent à les
orner, les statues et autres décorations d'église, enfin tout ce qui
peut attirer les hommes aux saintes méditations et à la pieuse fer-
veur^; tous ces dons doivent être faits afin de trouver grâce devant
Dieu ". La doctrine de l'Église sur le mérite des bonnes œuvres était
alors acceptée par toutes les classes de la société; grâce à son
influence, les États et les villes n'avaient jamais besoin d'établir un
budget courant pour la construction des églises, des écoles, des
maisons de bienfaisance, hôpitaux, orphelinats et autres étabUsse-
ments charitables. Le gouvernement, les caisses communales ne
fournissaient aucun subside à la charité, et l'on ne faisait pas de
collecte dans les maisons. Tous les frais qu'exige le secours des
misérables étaient couverts par des dons volontaires; en même temps
le même désir de plaire à Dieu et de sauver son âme procurait aux
artistes la commande d'innombrables œuvres d'art qui glorifiaient
à la fois la religion et la patrie.
Étudions de plus près les choses : examinons, par exemple, l'acti-
vité artistique qui régnait dans la petite ville de Calcar (Bas-Rhin).
Nous pouvons du reste admirer encore dans son église un grand
nombre de magnifiques tableaux et de riches sculptures sur bois,
datant de cette époque-.
Il y avait à Calcar diverses corporations parmi lesquelles, autant
que nos renseignements nous permettent d'en juger, la corporation
de Notre-Dame et celle de Sainte-Anne tenaient le premier rang
par la munificence de leurs dons. En 1492, la corporation de Notre-
Dame fit exécuter par maître Dérick Bongert l'autel en bois
sculpté de la sainte Famille qui existe encore, et qui est mer-
veilleusement beau. Dans les comptes de cette corporation, nous
voyons qu'un certain maître Arnt acheva en 1480 un Ensevelissement
du Christ ; qu'un autre, nommé Ewert, sculpta un retable d'autel (1492);
enfin qu'en 1498 cette même corporation résolut d'ériger dans l'église,
en l'honneur de la Passion, le célèbre autel que nous pouvons
encore y admirer. Les notables de la confrérie, accompagnés du
curé de la paroisse Jean Houdaen (docteur et autrefois professeur
de théologie), se rendirent à Utrecht pour examiner et étudier les
autels en bois sculpté qui s'y trouvent. Un dessinateur qu'ils avaient
emmené avec eux fit, aidé par maître Arnt, les dessins nécessaires.
On tira d'Amsterdam, de Nimègue et des forêts impériales le plus
' Seelenfuhrer , p. 9
- Tiré du travail si consciencieux de Wolff sur l'église de Saint-Nicolas à
Calcar.
DÉVELOPPEMENT DE L'ART- 151
beau bois qu'il i'u( possible fie se procurer \ et aussiUM après le
relour des déléjjués, on fil faire par un eiiarpcnlicr de Calear la
caisse de l'autel. Le travail lut partagé entre plusieurs sculpteurs
sur bois, eu e(jard à leur capacité. Les trois groupes inférieurs, qui
représenfent l'enlrée de Jésus à .lérusalem, la fête de l'Agneau
pascal et le lavenicnl des pieds, furent confiés à .Ican Van Ilaldern;
l'ornementation, à Hytermann, au bahutier Derick-Jeger et à son
fils. Le sujet principal, la Passion de .Jésus-Christ, fut exécuté par
le " très-célèbre tailleur d'images " maître Lodewicli. Cet autel,
dont l'harmonieuse perfection fait une œuvre incomparable, fut
fcrminé en 1500, et les notables de la corporation donnèrent à
maiire Lodewich, en récompense de son travail, 178 florins d'or.
La même corporation confia plus tard l'exécution du riche et admi-
rable autel des Sept- Douleurs de Marie à un autre bourgeois
de Calcar, maitre Henri d'Ouwermann; les magnifiques stalles qui
ornent le chœur de l'église furent exécutées aux frais de la fa-
brique, par Henri Bernts (1505-1.508). Comme perfection de sculp-
ture, c'est bien ce que le Bas-Rhin possède de plus remarquable
parmi les œuvres de ce genre. Le maitre sculpteur reçut comme
salaire 200 florins d'or, deux muids de seigle, quatre tonneaux de
bière, et, comme hommage particulier, " un manteau et cinq aunes
d'étoffe de soie d'Ypres pour sa femme ». Le candélabre de la cha-
pelle de la Vierge, haut de 13 pieds, large de 7, une des plus
grandioses productions de ce genre , est aussi l'ouvrage de Henri
Bernts; mais il mourut avant de l'avoir achevé, et il fut alors confié
à maitre Kerstken de Hingenbergh^ " bourgeois de la ville " (1510).
Outre les seize sculpteurs de Calcar dont les noms sont venus jusqu'à
nous, tant de peintres y étaient employés en même temps qu'on peut
encore aujourd'hui citer les noms de treize d'entre eux, parmi lesquels
se trouvait Jean Jost, vulgairement appelé Jean de Calcar, et le plus
célèbre de tous (t 1519) ^ C'est lui que la corporation de Notre-
Dame chargea d'exécuter les quatre panneaux du maitre-autel, dont
le prieur du couvent des ürsulines avait fait les dessins. En dehors
des peintres proprement dits, il y avait à Calcar deux peintres ver-
riers (1485-1515), plus huit brodeurs en soie chargés de fournir les
ornements à personnages brodés de perles et de pierres précieuses,
les bannières et d'autres objets servant au culte. Parmi eux on cite
particulièrement le Frère Egbert, probablement Dominicain \ De
' Voy. WoLFF, t. VIL
- VVOLFF, p. 23-28.
' Voy. WoLFF, p. 13-;2.
' Il est probable qu'alors à Calcar toute maison bourgeoise avait des vitraux
peints. Voy. Wolff, 22.
152 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
belles orgues furent aussi construites pour réglisc, mais il n'eu reste
plus rien que les comptes (t482-15t9).
Dans les monuments d'art de la pelile cité du Bas-Rhin, la sculpture
et la peinture restent étroitement unies : il en était ainsi au moyen
âge comme dans l'antiquité (chez les Grecs en particulier). Les sculp-
tures sur pierre, sur bois et même sur ivoire, étaient peintes, et
sur les tableaux, nous trouvons des ornements en relief.
ORFÈVRES ET SCULPTEURS.
La sculpture vient toujours sur les pas de l'architecture; c'est elle
qui a la mission de décorer les édifices d'une manière qui leur soit
appropriée. Dans son âge d'or, elle était inséparable de l'art qui
l'avait fait naître ; le principe de l'architecture se fait sentir partout
dans ses productions, et toutes témoignent de l'union organique des
deux arts. La partie de beaucoup la plus considérable des sculptures
du quinzième siècle n'existe plus. Cependant nous possédons encore
d'innombrables ouvrages, eu métal, en pierre ou en bois, datant de
cette époque : sculptures de cathédrales, d'églises, de chapelles, de
maisons particulières; portails, devants d'autels ornés de statues et
de bas-reliefs; autels en bronze, tabernacles, buffets d'orgue, fonts
baptismaux et fontaines, tombeaux en pierre ou en métal, lutrins en
bronze coulé ou en bois sculpté, cuves baptismales en bronze ou en
cuivre jaune, chaires et stalles de chœur, statues, vases sacrés de
toute grandeur et de toute matière, expositions, saints ciboires,
calices, ostensoirs, reliquaires, croix d'autel, crosses d'cvéqiie, chan-
deliers et autres ouvrages d'orfèvrerie, hanaps, gardes d'épée, etc.
Parmi les ouvriers en métaux, les orfèvres qui travaillaient l'or et
l'argent étaient les plus occupés; ils exécutaient souvent de véri-
tables chefs-d'œuvre qui égalent et peut-être dépassent ce que les
Grecs et les Orientaux ont fait de plus parfait en ce genre. Leurs
corporations tes plus florissantes étaient celles de Nuremberg, de
Cologne, d'Augsbourg, de Ratisbonne, de Landshut et de Mayence.
Dans cette dernière ville, on comptait en 1475 plus de trente
orfèvres ^; les noms de beaucoup d'entre eux nous ont été conservés ^
Le célèbre orfèvre Georges Seid avait son atelier à Augsbourg; il
1 Otte, p. 650-651. Les sculpteurs sur bois et les peintres ne formaient qu'une
même corporation. Documents, t. VII, p. 22.
" Falk, Kunsthütigkeit in Mainz zum Jahr 1475.
' SiGüAUT, p. 551-554. • Il n'y avait presque pas de ville un peu importante par
son commerce dans l'Allema^jne d'alors, qui ne fût fière d'avoir son orfèvre
célèbre. - Meyeu, p. 185.
OEUVRES D'ART EN MÉTAL. 153
mit vingt-six ans à exécuter un autel en argent pour la cathédrale,
représenlant la Cène, la Passion de Jésus-Christ et la Résurrection;
il pesait environ deux cents livres.
La corporation des orfèvres de ^'uremberg comptait souvent
plus de cinquante maîtres; tous avaient de grands ateliers, et leurs
ouvrages délicats éiaient recherchés dans toute l'Europe. Ils ne se
bornaient pas à ciseler d'admirables parures, des vases précieux;
leur principal mérite consistait à composer eux-mêmes les dessins des
ornements et des figures qu'ils coulaient ensuite en métal. Tous les
joyaux d'alors ont une valeur artistique; ils sont d'une variété de
forme et de composition étonnante, et représentent des animaux,
des figures de femme, des groupes religieux ou profanes exécutés
soit en métal ciselé, soit en émail. On émaillait, par exemple,
des paons aux queues chatoyantes, des figures de femmes partant
des couronnes d'or et parées de vêtements éclatants. Puis on ache-
vait l'ornementation de ces bijoux avec des perles et des pierres pré-
cieuses. Le conseil de Nuremberg fit exécuter en 1509, pour le roi
Ladislas de Hongrie, une fleur en vermeil d'un travail exquis, et en
1512, pour l'évéque Laurent de Wurtzbourg, un vase en vermeil où
les travaux des douze mois de l'année étaient gravés avec beaucoup
d'art '.
Pour se faire une idée des richesses d'orfèvrerie que possédait
l'Allemagne au quinzième siècle, il suffirait de parcourir l'inventaire
des trésors de quelques églises. Citons, surtout, celui de Sainte-
Marie à Nuremberg (1466) et celui de la cathédrale de Freising (1482).
Dans la cathédrale de Passau, l'inventaire mentionne deux grands
reliquaires en forme d'églises et de tours, vingt appliques en argent,
quarante statues du même métal, des châsses, des expositions ^ Dans
la cathédrale de Berne se trouvaient, entre autres objets précieux,
une tète de Christ en argent, pesant trente et une livres ; deux
anges en argent richement dorés, du poids de quatre-vingts livres;
les bustes en argent de saint Vincent et de saint Achate, un reliquaire
en or massif pesant vingt-huit livres, contenant le chef du saint
patron de l'église et couvert de pierres prc'cieuses estimées
' On peut se rendre compte du nombre d'olijets d'art, en or et en argent, que
possédaient les églises de Xurember.j, dans les documents qui nous racontent
le dépouillement des églises ordonné par le conseil de la ville en 1552. On tira
de tous les olijets en argent doré ou non doré une somme de mille sept cents
marcs, pesant ensemble près de neuf cents livres. On les emporta, on les fondit,
on les vendit; on fit plus tard de l'argent avec tout ce qui en restait encore.
Les marcliands étrangers qui trafiquaient avec Nuremberg emportèrent dans
d'autres pays des cargaisons entières d'objets précieux. Les chefs-d'œuvre
d'Albert Durer furent vendus, « comme vieux tableaux papistes », aux Italiens.
Français, Angkiis. Hollandais. Voy. Van Eye, p. 487. — IIassler, p. IIG.
- Voy. Baader, t. I, p. 74-s9. — Sighart, p. 547, 5.J2.
15« L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
2,000 ducats; de plus, les statues des douze apôtres, pesant cha-
cune vingt-quatre livres *. Pour citer encore un autre exemple,
le prieur du monastère de Tégernsée, Conrad, achète la même
année (1462) deux reliquaires d'argent en forme de bras, quatre
expositions, dont Tune, ornée de l'image de la Vierge, coûta
520 florins; une statuette de la Mère de Dieu, entourée d'un soleil
estimé 500 florins; plus, les statuettes en argent de saint Benoît
et de sainte Scholastique; un pectoral en or pur orné de pierreries;
une mitre, une chaîne et une croix, un grand nombre de reliquaires
et dix-huit calices. Les particuliers possédaient aussi beaucoup d'ob-
jets précieux ^
Citons parmi les œuvres d'art qui nous ont été conservées, le grand
ostensoir de la cathédrale de Coire, haut d'environ un mètre. C'est
un chef-d'œuvre de premier ordre, tant à cause de la perfection des
figures que pour le goût de Tornementation. Il est cependant de
beaucoup surpassé en richesse, sinon en beauté artistique, par l'os-
tensoir de maître Lucas, bourgeois et conseiller de Donauwœrth
(1513); l'empereur Maximilien en fit présent au monastère du lieu;
c'est un ouvrage splendide, orné de quarante figurines, d'inscrip-
tions et d'écussons émaillés ^
Les fondeurs en bronze de Nuremberg n'étaient pas moins
habiles que les orfèvres, et avaient une grande célébrité. Dès 1447,
le poète Hans Rosenplut disait à propos d'eux : - J'ai trouvé bien des
maîtres à Nuremberg : j'ai visité dans leurs ateliers les fondeurs de
métaux : ils n'ont pas leurs pareils dans le monde entier. Ce qui vole,
court, nage ou plane, homme, auge, oiseau, poisson, ver ou insecte,
toutes les créatures selon leur rang et tout ce que la terre peut pro-
duire, ils savent le représenter, le couler en cuivre, et nul ouvrage
ne leur semble trop difficile. Leur art et leur travail sont célèbres
dans les pays les plus lointains; ils sont bien dignes d'être nommés
et célébrés comme de grands artistes. Nemrod ne connaissait pas de
tels maîtres quand il voulut faire construire la tour de Babylone;
c'est pourquoi je loue et j'exalte Nuremberg; elle est plus riche en
artistes habiles qu'aucune autre ville du monde *. »
Le plus célèbre fondeur de Nuremberg, Pierre Fischer, était
simple chaudronnier. Il éleva son art jusqu'à la plus haute perfec-
' SCHEUUER, Bernisches Mauwleum, t. I, p. 26ü. — Fisciier, Geschichte der Dispulalion
zu Bern, p. 576.
* Voy. SiGHART. p. 547.
3 Sif.HiRT, p. 555. Otte, 182-183.
* LocuNER, Der Spruch von Nürnberg, poésie descriptive de Rosenplut (Nurem-
berg, ISJi).
PIERRE FISCHER. 155
fccfion. « Pierre Fischer, écrit Neudörl'er, était affable envers tout le
monde et très-expérimenté dans les ouvra{jes profanes (pour parler
comme un laïque). Il avait une si grande réputation que lorsqu'un
prince ou un grand personnage visitait la ville, il était rare qu'il
lu'gligeat d'aller voir Fischer dans sa fonderie, où il se rendait et tra-
vaillait tous les jours. " Fischer et ses deux illustres amis, le tailleur
de pierre Adam Krafft et le chaudronnier Sébastien Lindenast,
semblaient n'avoir qu'un même cœur. Tous trois étaient également
désintéressés, simples, avides d'apprendre toujours davantage, et
cela jusqu'à l'Age le plus avancé. " Ils étaient comme des frères, dit
Neudörfer; tous les vendredis, même lorsqu'ils furent devenus vieux,
ils se réunissaient et s'exerçaient ensemble comme des apprentis, ainsi
que nous le prouvent les dessins qu'ils exécutaient dans leurs réunions.
Ils se séparaient ensuite amicalement, mais sans avoir ni bu ni mangé
ensemble *. « Fischer s'est représenté lui-même dans le plus beau de
ses chefs-d'œuvre, le tombeau de saint Sébald *; nous voyons en lui
un petit homme trapu, à la barbe épaisse, revêtu de son tablier
de travail, coiffé d'un bonnet, et tenant à la main son marteau.
11 travailla au tombeau de saint Sébald de 1508 à 1519, secondé
par ses cinq fils, et grava cette inscription en lettres coulées sur le
socle du monument : " Ceci a été exécuté à la louange unique du
Dieu tout-puissant et en l'honneur du prince du ciel saint Sébald,
à l'aide des aumônes données par les dévotes gens. » Ce monument
pèse cent cinquante-neuf quintaux cent vingt-neuf livres; pour la
perfection avec laquelle le bronze est coulé, la noblesse du sentiment,
la richesse d'imagination, cet admirable ouvrage n'a qu'un unique
équivalent dans les chefs-d'œuvre du quinzième siècle : ce sont les
grandes portes de bronze exécutées par Ghiberti à Florence. Sur le
tombeau d'argent du saint, l'artiste a élevé un temple; les motifs
si variés de la sculpture permettent diverses interprétations; mais il
parait cependant certain que le maître a voulu exprimer l'hommage
que toute la terre rend au Sauveur, et comment toute créature tire de
lui son origine, se rapporte à lui et le glorifie. La nature et toutes
ses productions, le paganisme avec ses actions héroïques et ses vertus
naturelles, l'Ancien Testament avec ses prophètes, le Nouveau avec
ses apôtres et ses saints, tout apporte son hommage à l'Enfant
Jésus, assis sur un trône au sommet delà tour du milieu; il tient
le globe du monde entre ses mains, et semble marquer le commen-
cement et le terme du développement historique de l'humanité.
Les statues des apôtres, pleines de caractère et d'expression, n'ont
'Neüdörfer, éd. de Lochner, p. 21-37. — Lochner, p. 21-31, 37-48.
* Dans l'église de Saint-Sébald, à Nuremberg.
156
L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
peut-être pas été surpassées. Beaucoup d'entre elles, dans leurs formes
mouvementées, sortent tout à fait du calme solennel, de Timmobilité
béate de l'ancien art plastique, et sont comme le symbole de l'ani-
mation, de l'ardeur qui se manifestaient à cette époque dans la vie
religieuse '.
Parmi les autres œuvres du même maitre que nous possédons encore,
les plus justement célèbres par la perfection de leur travail sont les
tombeaux de l'évêque Henri de Bamberg et celui de Marguerite Tu-
cher, représentant la résurrection de Lazare (cathédrale de Ratis-
bonne). Pour le grandiose monument funèbre que l'empereur Maxi
milien se faisait élever à Inspruck, Fischer exécuta la statue du roi
Artus d'Angleterre, remarquable par la calme et simple beauté, la
perfection et la délicatesse de l'exécution. Quant aux grandes com-
positions en bronze de Fischer qui, s'il faut en croire Neudörfer,
• remplissaient la Pologne, la Bohême, la Hongrie, et les demeures
des princes dans tout le saint-empire romain ", nous n'en possédons
plus aucune.
Les plus belles compositions de son ami Sébastien Lindenast, qui
exécutait avec tant d'art statuettes, hanaps, agrafes, fermoirs et
quantité d'autres joyaux en cuivre, - comme s'ils eussent été d'or et
d'argent -, ont également disparu. C'est à Lindenast qu'on devait les
figures en cuivre repoussé qui ornaient l'horloge d'art construite par
le maure serrurier Georges Heuss dans l'église Notre-Dame, à Nurem
berg (1506-1509). On y voyait l'empereur Charles IV assis sur un
trône; devant lui se tenait un héraut. Au coup de l'heure, sonnée
par la Mort, deux joueurs de trompette, placés de chaque côté de
la porte, embouchaient leurs instruments : les sept princes électeurs
entraient alors, défilaient devant l'Empereur en s'inclinant, et sor
talent par une autre porte -.
Au nord de l'Allemagne, les fonderies les plus importantes étaient
celles de Brunswick, Dortmund, Erfurt, Magdebourg, Zwickau et
Leipzig. Une des plus belies œuvres de ces fonderies, c'est le taber-
nacle, haut de trente pieds, de l'église Sainte-Marie, à Lübeck. L'or-
fèvre Nicolas Rughesee et le fondeur Nicolas Gruden l'exécutèrent
ensemble (1479) K
Les innombrables tombes en cuivre encastrées dans le dallage ou
' Baadeu, Pièces jusi., t. I, p. 53 —Sur l'œuvre elle-même, voy. Sighart, p. 560-
562. — Otte, p. 517. — Rettbkrg, p. 148-156. — Voy. aussi Beugau, Grenzhoien,
1873 a., p. 53-62.
* Voy. Otte, p. 264-719. — Pour plus de détails sur ce chef-d'œuvre, voy.
Baader, t. I, p. 73, 99-111. — Les statues furent en faraude partie vendues plus
tard comme ■ vieux cuivre ». L'Empereur et son héraut sont seuls demeurés.
^ Otte, p. 714. — Les armuriers allemands ne le cédaient en rieu, pour l'habi-
leté, aux armuriers d'Italie. Jahrbuch, t, IV, p. 231.
ADAM Kl! A FF T. 157
les nuirs des églises soni {ycneralcmenl duii dessin plein de style,
et dignes d'intérêt à tous les points de vue. Elles expriment admira-
blement la doctrine du christianisme sur la mort.
Dans l'art de la fonderie des cloches, le quinzième siècle n"a pas
été surpassé. Les plus grandes cloches de la cathédrale de Cologne
ont été fondues en 1418 et 1449 '; celles de l'église Sainte-Marie de
Danzig en 1458; celles de la cathédrale d'Halberstadt en ll.'iT;
celles de Merseburg en 1507; d'Erfurt en 1497; de Sainte-Elisabeth,
à Breslau, en 1507. Elles sont au-dessus de fout ce que l'art ancien
et moderne a produit en ce genre, par la perfection achevée de leur
fonderie, le mélange harmonieux et riche de leurs sons, la beauté
de leur poli et le goût de leur ornementation *.
La sculpture sur pierre et sur bois produisit pendant la même pé-
riode d'admirables chefs-d'œuvre qui peuvent être placés sur le
même rang que les plus beaux ouvrages des artistes en métaux, et les
surpassent peut-être encore K
Le ])lus illustre et le plus fécond sculpteur de l'époque, c'est l'ami
de Pierre Fischer, Adam Krafft '. Par sa simplicité, sa chaleur de
cœur, sa dignité de caractère, il est le fidèle reflet de l'esprit alle-
mand à cette époque; ces qualilés lui donnent plus d'un trait de
ressemblance avec Albert Durer. Aucun maître allemand n'a repré-
senté avec plus d'émotion et de profondeur l'histoire de la Passion
de Jésus-Christ. Ses principaux ouvrages, exécutés à Nuremberg,
datent de 1490 à 1507.
A la plus ancienne de ses œuvres, les sept g'randes scènes de la
Passion, se rattache un trait qui caractérise admirablement l'esprit
de foi et de ferveur de ce siècle, un bourgeois de Nuremberg, Mar-
tin Ketzel, entreprit un pèlerinage à Jérusalem dans le dessein de
mesurer exactement la distance qui sépare la maison de Pilate du
Calvaire (1477). Revenu dans son pays, il s'aperçut qu'il avait perdu
cette mesure, recommença un nouveau pèlerinage, et fit exécuter par
Adam Krafft, d'après ses indications, le Calvaire qu'il s'était proposé
' Sur les fondeurs de cloches de Cologue, voy. Ennen, t. Ilf, p. 1032-1033. —
Nordhoff, KunslgeschichlUchc Beziehungen zicisrhcn Rheinland und lUesl/alen, p. 66-
67, 96-97. — Falk, Zur Bcurlheilunj dcsfiin/zchnlcn Jahrhunderts, p. 419-420.
- « Les cloches de l'ancien papisme du moyeu âge et celles de la sombre anti-
quité sont généralement fondues avec le meilleur et le plus pur métal. - Uahn,
Cainpanalugie, p. 90 (Erfurt, 1822),
^ La sculpture sur ivoire avait précédé la sculpture sur bois. Sur ce point et
sur la laute estime où nos sculpteurs sur ivoire étaient tenus en Italie, voy.
SciiAFFt;, Die Lenkmiiler der El/enbeinpluitik des Grossherzogl Museums zu Darmstadt,
p. 74- Darmstadt, 1872).
* Voy. NKUDÖaFER, p. 12-19, — Wanderer, Adam Kraffl et son école, 1490-1507
(Nuremberg, 1869).
158 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
d'ériger. Il se compose de sept piliers en grès dont cliacun est sur-
monté d'une grande scène sculptée de la Passion; ces piliers allaient
de sa maison (plus tard surnommée maison de Pilate) jusqu'au cime-
tière de Saint-Jean. Sur chacun d'eux est placée une inscription expli-
quant le sujet de la scène représentée, et indiquant la distance de la
maison de Pilate. Ces groupes sont grandioses, et d'un effet admi-
rable; le dernier surtout frappe et émeut. Nous lisons sur l'inscrip-
tion du pilier : '; Ici, devant sa Mère bénie, le corps du Christ est étendu ;
la Vierge gémit et pleure, son cœur est navré de la plus amère douleur. "
Joseph d'Arimathie soulève avec respect sous les épaules le corps du
Sauveur; Marie, agenouillée, attire sur son cœur la tête de son Fils,
délivrée de la cruelle couronne d'épines; Madeleine, aux pieds de
Jésus, arrose le suaire de ses larmes. Un sentiment vrai et pro-
fond anime chaque figure; les costumes nurembourgeois dont sont
revêtus les personnages semblent les rendre familiers aux specta-
teurs, les rapprocher d'eux, et augmenter l'impression de leur vivante
sympathie.
La même force et la même chaleur, avec plus de grâce et de per-
fection encore dans l'attitude des personnages, se font admirer dans
rEnsevelissement du Christ, du même artiste. Ce groupe lui fut
commandé par Sébald Schreyer, curateur de l'Église et grand ama-
teur des arts (1492). Krafft exécuta aussi de 1496 à 1500 un admirable
chef-d'œuvre, pieuse donation de Jean Imhoff * ; c'est le tabernacle
haut de 64 pieds qui orne le chœur de Saint-Laurent, à Nuremberg.
Porté par les deux figures agenouillées, de grandeur naturelle, de
Krafft et de ses deux compagnons, l'ouvrage s'élève, semblable en sa
structure à une superbe plante dont les branches et les fruits de pierre
se terminent par une fleur habilement recourbée comme la houlette
d'un berger. Les piliers du tabernacle sont ornés défigures de saints.
A sa porte veillent des anges. Comme le Saint Sacrement fut institué
en l'honneur de la mort du Rédempteur, l'artiste a représenté dans
son œuvre quelques épisodes de la Passion, qui, avec la Résurrection,
complètent pour tous les fidèles les fruits de la sainte Cène *.
Ce chef-d'œuvre n'est surpassé que par le tabernacle de la cathé-
drale d'Ulm, c|u'une bourgeoise delà ville, Angélique Zähringer, fit
élever par le 'maitre de Weingarten > (1461-1469)^G'estunedesplus
magnifiques créations de la sculpture du moyen âge. L'architecture
en est aussi admirable que la sculpture. La finesse des ornementa-
1 Voir le contrat de l'artiste avec le donateur Imhoff, publié par Allhin,
dans le Grenzboten, p. 191, n" 44, 1875.
- Rettberg, p. 83-91. — Sigh\rt, p. 525-526.
' V. Hassler, p. 106. — Je cite le premier projet présenté par le maître à la
donatrice.
VEIT STOSS. 159
tions est élonnante; ou les croirait vraiment exécutées en fili-
{jrauc, el elles sont si délicaleuieul ciselées, qu'autrefois, et même il
n'y a qu'un siècle, on croyait généralemeut quelles avaient été
exécutées en pierre coulée, « art perdu aujourd'hui -, disait-on. Ce
tabernacle est plus {yrand de moitié que celui de rsuremberjj.
Tilmauu lliemenscimeider suivit uue direction artistique presque
semblable à celle d'Adam Kraiit. 11 avait de (grands ateliers à Wurtz-
bourj;; ses plus beaux ouvrajyes sont : les tombeaux des évêqucs
[U)dül|)lie de Sclicreuberjj ^^ Laurent de Bibra dans le dôme de
Wurtzbourg; puis le monument funèbre de l'empereur Henri 11 et
de sa femme Cunégonde, dans le dôme de Bamberg (1499-1513). Sur
la dalle qui les recouvre on voit les statues des deux saints dans l'al-
titude d'un tranquille repos. L'œuvre est remarquable par la noblesse
de la composition comme par le fini de l'exécution. Sur les quatre
cotés du tombeaux, des bas-reliefs sculptés rappellent des traits
empruntés à la vie des deux époux.
Parmi les maîtres si nombreux d'alors, il faut encore citer Veit Stoss
(né en 1447); il travailla alternativement à Cracovie et à Nuremberg.
Il était sculpteur sur bois, statuaire, peintre, graveur sur cuivre,
mécanicien et architecte. A Cracovie, il acheva en 1489 le magni-
que maitre-autel de l'église Notre-Dame'; en 1492, à la cathé-
drale, le tombeau du roi Casimir; en 1495, les cent quarante-sept
stalles de chœur de l'église de Notre-Dame. Son labeur persévérant
exerça une grande influence sur les progrès de l'art en Pologne et
en Hongrie *. Aussi dans le comtat de Zipfer, tout ce qui est resté
debout dans les villes et dans les villages en fait de sculptures,
porte-t-il l'empreinte de l'art allemand. Stoss travailla aussi à Nu-
remberg avec une infatigable ardeur; il reçut des commandes de
Transylvanie, et même de Portugal \ -■ 11 fit pour le roi de Portu-
gal, rapporte Neudörfer, les statues d'Adam et d'Eve en bois peint,
de grandeur naturelle; ils ont une telle vérité d'attitude qu'on reste
saisi à leur aspect, il semble qu'ils soient vivants. 11 m'a fait voir à
moi-même une mappemonde en relief où il a représenté les hautes
montagnes, les vallées, les fleuves, les plus humbles cours d'eau, les
villes et les forets \ Son œuvre la plus considérable à Nuremberg,
' Voy. sur les offrandes pour les autels, Essenwein, p. 101-102, et Suppl., t. XV,
p. 28.
2 Voy. Documenls, t. HI, p. 253-257; t. IV, p. 41, 44; t. V, p. 227. Fol.
' Pour plus de détails, voy KuNSTM.iNN, p. 304.
* Neudoufer, p. 84. — Veit Stoss est le seul des fjrands artistes du quinzième
siècle dont la vie soit entachée d'une faute considérable. Dans un procès qu'il
eut à soutenir contre un négociant de Nuremberg, qu'il accusait de lui avoir
fait perdre une somme importante, il apposa une signature fausse et fut con-
160 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
c'est le rosaire de l'église de Saint -Laurent que lui avait commandé
le marchand Antoine Tücher, et qu'il termina en 1518. Il y avait à
Nuremberg tant de sculpteurs sur bois, qu'on peut à peine com-
prendre comment tous pouvaient réussir à gagner leur vie '.
Le plus célèbre d'entre eux, celui dont le génie fut le plus profond,
c'est maître Georges Syrlin, d'Ulm. Ses stalles de chœur, dans la
cathédrale d'ülm, développent en d'admirables sculptures la philo-
sophie de la nature, de l'histoire et de la révélation. L'artiste nous
montre d'abord la nature ininîelligente, le monde des plantes et des
animaux; puis il nous représente l'humanité que le péché a dégradée,
qui a oublié Dieu et en est, à cause de cela, abandonnée. Sur ce
premier plan s'élève, en trois autres plans superposés, le Paganisme
penseur, avide de trouver Dieu; l'Ancien Testament et son attente
pleine de foi; enfin le Nouveau Testament dans toute sa plénitude de
lumière. Le Paganisme est représenté par ses grands hommes : Pytha-
gore, Cicéron, Sénèque, Ouintilien, les sibylles; le Judaïsme, par
ses patriarches, ses prophètes et ses saintes femmes; le Christianisme,
par ses apôtres et ses saints. L'exécution artistique correspond par-
faitement à un plan si vaste. On est émerveillé de la richesse d'ima
gination de l'artiste et de l'inépuisable variété qu'il sait donner à
l'expression de tant de figures. L'attitude des personnages est pleine de
vérité, de grâce et de vie; on trouve même dans cette œuvre, à côté
d'un profond sentiment religieux, la trace d'un enjouement aimable.
La création de maître Syrlin est d'autant plus digne d'admiration
qu'il n'a mis que cinq ans à l'exécuter (1469-1474) *.
Jusque dans les petites villes et dans les villages, on découvre de
magnifiques sculptures datant de cette époque. Par leur simple
beauté, la largeur avec laquelle sont traités les personnages, leur
caractère élevé, elles appartiennent aux œuvres les plus achevées de
l'art allemand. Citons, à l'appui de cette assertion, les œuvres d'art
des églises de Lorech (sur le Rhin), de Clausen (près de Trêves), de
Blaubeurcn , d'Eschach , d'Heerberg (dans un coin ignoré de la
Souabe\ de Saint-Wolfgang (village près d'Ischl), de Kafermacht,
en Autriche, de Rottenburg sur la Tauber, de Cregiieugen, lieu de
pèlerinage près de Rottenberg, de Gnadcuberg, lieu de pèlerinage
dans le Palatinat \
damné pour cette déloyauté à être marqué duii fer rouge aux deux joues. Il
se tint toujours pour injustement accusé, et l'empereur Maximilien le rétablit
dauj tous ses droits de bourgeoisie (1502-Iô06j. Chroniken der deutschen Slddic, t. X,
p. 6137. — Ba.vder, Beilrüge, t. I, p. 14-25.
' Voyez-en la liste dans IUideu, t. I, p. 4, 5. — Sighart, p. 5iO.
- Voy. IIasslek, p. 107-114.
3 Voy. VV.v.vGEN, t. I, p. 186-189. — Kugler, Hnndbuch, \. II, p. 419-420. — Sur
les œuvres dart d'origine allemande de la Hongrie, voy. Scheigeh, Documents,
LliS IRKK ES VAN EYCK. ICI
On ne counail le nom que de bien peu des artistes auxquels sont
dus tant d'ouvrages admirables. Les raaitrcs du quinzième siècle
ii'allacliaicnl aucune importance à ce qui leur était personnel; ils ne
paraissent nulle part dans leurs œuvres, ils ne cherchent jamais à
mettre leur personnalité eu relief; leurs créations fleurissaient pour
ainsi dire dans leur ûme; elles étaient déjà contenues en germe dans
leur foi vive, dans leur ardente piété; elles en étaient le produit
presque inconscient; de là leur simplicité et leur calme, et c'est pré-
cisément dans cette absence de prétentions, dans ce calme, que gît
le secret du puissant effet qu'elles produisent. Si elles nous font une
telle impression de grandeur, c'est que la grandeur est comme
iuliérenlc à leur nature '.
Les deux frères Van Eyck : Hubert (f 14.32) et Jean (f 1440),
tous deux établis à Bruges durant presque toute leur vie, passent
généralement pour avoir été les véritables initiateurs de la peinture
en Allemagne. La vigueur du dessin, la clarté de la composition, la
profondeur du sentiment, la vérité et l'harmonie de la coloration,
fout de leurs tableaux des chefs-d'œuvre dont aucune toile jusque-là
n'avait pu faire pressentir la perfection. Au point de vue de l'his-
toire de l'art, ces deux maîtres sont doublement dignes d'être étudiés.
D'abord, ils sont les premiers qui aient eu la pensée de mettre la
peinture à l'huile, depuis longtemps découverte, au. service d'un art
élevé ; puis c'est à eux encore que l'on doit l'introduction dans l'art de
l'étude d'après nature; ils ont traité le portrait et le paysage avec un
soin, un amour inconnus jusqu'à eux *. Aussi leur réputation s'était-
elle répandue dans l'Europe entière; ils eurent de nombreux élèves,
1. 1, p. 173. — Sur les stalles de chœur de la Bavière, voy. Sighvrt, Documcnis, t VI,
p. 106, 107. — Sur les déprédations exercées plus tard par les protestants dans
les églises, voy. les détails donnés par nous, dans le tome III de cet ouvra-ge. A
Saint-Gall, au moment oii s'exerça la plus grande fureur contre les images
saintes, on emplit quarante voitures de débris, d'images brisées qu'on livra
plus tard aux flammes. A Zurich, il fallut treize jours pour anéantir les « idoles •
en présence des autorités de la ville. On en brûla les restes à Bâle, le mercredi
des Cendres, dans le cimetière de la cathédrale. A Ulm, la même fureur de des-
truction anéantit cinquante des plus beaux autels, avec leurs sculptures de bois.
On alla jusqu'ù jeter violemment dehors l'orgue de la cathédrale ; puis l'on brûla
toutes ces • idoles - pour la - gloire de Dieu ». Voyez notre troisième volume.
' Voy. A. Stifter, Mélanges, t. I, p. 235-253.
- Pour plus de détails, voy. Eisenm.\nn, Die Brüder Van Eyck, dans l'ouvrage
intitulé : Kunst und Künstler des Mittelaiters und der iVeuzeit, p, 3-6. — Sur Durer,
considéré comme le premier paysagiste allemand, voy. Kaufm.vnn, p. 35.
il
162 1,'ART ET LA VIE POPULAIRE.
non-seulement en Allemagne, mais en Italie '. Antonelli de Messine
faisait partie de ces derniers, et communiqua plus tard aux artistes
de Venise le goiU que les maîtres flamands lui avaient inspire pour
le paysage ^ L'école des frères Van Eyck exerça une puissante
influence à Florence môme, et Dominique Ghirlandajo n'y resta pas
étranger. Les artistes de la haute Allemagne lui durent aussi leur
inspiration, et beaucoup d'entre eux, après avoir étudié dans les ate-
liers des frères Van Eyck, importèrent dans leur patrie 1' " art des
Pays-Bas " .
Cependant, les plus célèbres et les plus universellement admirés des
artistes de notre pays ne subirent pas l'influence flamande. Le fond
et la manière de leurs tableaux montrent clairement qu'ils relèvent
bien plutôt de l'école de Cologne. .Cette école, qui avait peut-être
reçu des Grecs, dès l'époque des Othon, les premiers principes de
l'art, était entrée dans un plein épanouissement depuis le commen-
cement du quatorzième siècle. Efle devait surtout sa réputation à
Etienne Locliner, de Constance, dont l'influence domina à Cologne
jusqu'au seizième siècle, et qui eut toute une pléiade de disciples
remarquables : le " maitre de la Passion de Liversberg » le " maître
de la Glorification de Marie », et le « maître de Saint-Séveriu » en
sont les plus admirés (1460-1500) '.
Parmi les artistes venus du dehors qui reçurent à Cologne la
direction de leur talent, deux maîtres doivent surtout attirer notre
attention : Hans ]\Iemling, dit Hans l'Allemand, né en Francouie (mort
vers 1495), ordinairement pris à tort pour un Flamand par nos bio-
graphes, et Martin Schongauer, né en Souabe, surnommé à cause de
l'admiration générale qu'il inspirait « Martin Schön »(Martin le Beau).
H est évident que les personnages des tableaux de Memling ont eu
pour modèles des habitants du pays du Bhin ; les détails d'architec-
ture offrent tous les caractères de l'art rhénan; la couleur est celle
de l'école de Cologne, nullement celle des frères Van Eyck. Mem-
ling resta toujours fidèle à la tradition de Cologne, même après que
depuis longtemps il se fut fixé à Bruges et eut travaillé dans l'atelier
de Boger van der Weyden, élève plein de talent des frères Van
Eyck*. Martin Schongauer suivit la même voie, bien qu'il ait eu
comme lui le bénéfice des leçons des maîtres flamands. Comparons
avec la délicieuse composition d'Etienne Lochner, Marie dans le huis-
ï Vittoria Colonna et Michel-Ange trouvaient qu'il y avait plus de sentiment
religieux dans les tableaux de l'école flamande que dans ceux de l'école italienne.
Voy. Documents, t. V, p. 155.
- Voy. A. DE Humboldt, Cosmos, t. II, p. 81-82.
^ Schciblcr, p. 11-56, p. 17.
* ThaüSING, Vie de Durer, p. 54.
I
CARACTÈRE DE r,A P E î M U R E ALLEMANDE. Iti3
son (le roses (Musée (le Ç()l()(;nc), cf avec sou principal clief-d'd'uvre
couim sous le nom de Tableau de la Cathédrale, les loiles de Menilinj';
conservées dans la salle capitulaire de riiôpilal Saint-Jean à Bruges.
Kxauiiuons aussi les Sept Joies de Marie, du même arfisle, dans la
l'iuacollièque de Munich, c( Marie dans le buisson de roses, de Scliou-
jjauer, à Sainl-Martin de Colmar : nous ne pourrons plus conserver
de doutes sur leur proche pareille. Le dessin plein de finesse et de
senlimeul, l'expression d'humble innocence de Marie, sa dijjnilé vir-
{jiuale, la force, la profondeur idéale de la pensée, surtout dans les
fip,ures de madones, placent les trois maiires bien au-dessus de tous les
artistes de leur temps. Mais ce qui les sépare surtout d'eux, ce qui crée
leur véritable orijyinalité, c'est le noble besoin de vérité qui se fait
admirer dans leurs tableaux et s'efforce toujours de donner une forme
précise aux créations les plus idéales. En effet, dans les toiles de cette
école, les figures de saints, empreintes d'un si profond sentiment
d'amour divin, n'en sont pas moins vivantes ; on sent qu'elles appartien-
nent à un monde supérieur, mais en même temps réel; les corps sont
pleins de vigueur, on reconnaît d^ins les figures des individualités bien
caractérisées; les plus petits détails sont bien observés, pris sur le vif,
et les personnages semblent former une série de portraits. Tout ce
([ui les entoure, vêtements, meubles, bijoux, est emprunté à la vie de
tous les jours et introduit le spectateur dans les mœurs de l'époque'.
Les œuvres de Memliug et de Schongauer ont de plus un intérêt
spécial pour nous : ils reproduisent avec une grande fidélité les traits
de caractère les plus saillants du peuple allemand; ils expriment la
profondeur et la pureté de sa foi, sa loyauté, sa noble simplicité;
en même temps, ils ont un intérêt psychologique qui nous semble
surpasser encore leur valeur artistique : ils nous fournissent d'inap-
préciables et féconds documents d'histoire nationale, et nous pou-
vons y étudier les progrès de notre civilisation. La tête du Christ de
MemlingS le Christ détaché de la croix de Schongauer ^ suffiraient
à eux seuls pour donner une haute idée du sentiment religieux d'un
siècle qui vit éclore de pareils chefs-d'œuvre. Le plus célèbre tableau
de Schongauer nous offre eu une seule physionomie l'expression delà
sainteté, de l'amour, de la douleur et de la félicité. Dans le visage de
Marie, en effet, la sainteté devient de l'amour, l'amour de la douleur, la
souffrance de l'extase, et tout semble se confondre et s'unir dans un
unique sentiment; de belles larmes coulent en abondance sur les joues
de la Vierge et adoucissent son martyre. Les tourments du Sauveur
' Sur le mélange d'idéal et de réalisme des anciens maîtres, voy. Reiciie>spei\-
GER, Mélanges, p. 464.
- Dans la Pinacothèque de ."Munich.
' A Colmar.
11.
164 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
semblent s'assoupir entre les bras de sa sainte Mère. ^îous nous sentons,
en contemplant ce tableau, envahi par une émotion religieuse qui ne
laisse de place à aucune autre pensée '. Quant à la tête du Christ de
Memling, c'est une œuvre unique parmi toutes les créations de la pein-
ture. Aucun maître, à quelque nation qu'il appartienne, ni avant ni
après lui, n'a su exprimer à la fois une majesté si divine, une telle plé-
nitude de lumière et d'amour. On a dit que c'était le seul Christ devant
lequel on piU lire et méditer l'Évangile. Rappelons-nous aussi les
Sept Joies de Marie, de Memling. Cette toile est bien conforme à l'esprit
d'une époque qui, ainsi que le dit Wimpheîing, « se plaisait à
accroître toujours davantage la gloire de la iMére de Dieu, afin de
rendre un hommage plus magnifique au divin Rédempteur ».
Maître Conrad de Wurzbourg avait composé jadis sur la vie de la
Sainte Vierge un poème intitulé la Forge d'or- : le tableau des Sept Joies
semble être comme un second poème sur le même sujet, composé
avec les brillantes couleurs de la palette. Le tableau des Sept Sacre-
ments, dans la galerie d'Anvers, nous offre aussi une admirable preuve
des rapports qui unissaient autrefois la religion et l'art. Le tableau,
divisé en trois panneaux, représente l'intérieur d'une cathédrale
gothique. Dans l'espace du milieu l'artiste a placé l'image du Sau-
veur crucifié, source et racine de tout salut. A ses cotés se tiennent
la Vierge et saint Jean, sainte Madeleine et les saintes femmes.
Derrière ce groupe principal, on célèbre la Messe au grand autel. Le
prêtre, après la consécration, élève la sainte Hostie. Le plus auguste
des sacrements tient à juste titre la première place au centre de cette
composition. Dans les panneaux des côtés, on administre les autres
sacrements. Le maître a trouvé pour chacun d'eux, presque tou-
jours dans des chapelles latérales, l'espace approprié. Des groupes
d'anges, tenant des banderoles où sont écrits les noms des sacre-
ments, planent dans les airs. Ce tableau, par la simplicité et la grâce
de sa composition, fait une impression puissante, et c'est pour ainsi
dire une épopée chrétienne exécutée avec des couleurs.
L'école de Calcar, dont nous avons déjà parlé, suivit, dans le Bas-
Rhin, les traditions de Memling. On lui doit tant d'œuvres nobles et
gracieuses, d'une couleur si vigoureuse et si brillante, d'une expres-
sion si profonde et si vraie; elles sont tout à la fois si fidèles et si
originales dans leur exécution, qu'on ne peut se lasser de les con-
templer ^
• Voy. OuANDT, Martin Schongaiicr als Maler und seine U'crhc in Calmar, darij I.l Kunst-
blatt, 1840, p. 317.
ä Holland, Geschichte der Literatur, p. 137-189.
' Voy. Waagen, t. I, p. 168.
MARTIN s cil ONG A HER. 165
Ouant à l'école westphalicnnc, ses tendances sont les mêmes que
celles de l'école de Colopyiie. Klle compte parmi ses peintres des
maiiros d'un réel mérite; l'éneq^ie de l'expression et la délicatesse
des nuances sont les traits distinctiCs de sa manière. Son centre
était à Munster, et les deux artistes qui l'ont le plus glorieusement
représentée sont le Maître de Liesborne et Jarenus de Soest'. Les
t.ibleaux du célèbre peintre viennois \VolfVjan*v l^ueland * (1501) et
des artistes tyroliens Michel et Frédéric Paclier, ceux de Gaspard,
•lean et Jacques Rosenthaler, du Tyrol, se rapprochent d'une manière
frappante des traditions de l'école westphalienne, sans qu'on ait pu
jusqu'ici retrouver le fil qui les relief
Mais le maître dont l'influence fut la plus durable et la plus
féconde, c'est incontestablement Martin Schongauer; il était telle-
ment admiré dans l'Europe entière, qu'Italiens, Espagnols, Anglais
achetaient et emportaient ses tableaux et ses gravures < comme les
plus précieux trésors de la terre * ". On le mettait au même rang
que le Pérugin, le maître de Raphaël. « Il était intimement lié avec
Pierre Pérugin ", dit une chronique contemporaine. « Tous deux
se donnaient souvent la joie de s'envoyer réciproquement leurs
tableaux. Ils avaient pris l'un de l'autre ce qu'ils avaient de meilleur,
ainsi que les connaisseurs peuvent le constater ^ »
L'atelier de Schongauer à Colmar était le véritable centre de tous
les artistes du temps. Les peintres de Souabe, surtout, s'y formèrent,
et leur goiît délicat, leur sentiment profond, les mit bientôt au-
dessus de tous les autres. C'est là que se développa Barthélémy Zeit-
bloom, d'Ulm, que la noble simplicité, la vérité et la pureté suave de
ses compositions ont fait surnommer « le plus Allemand de tous les
peintres^ ». Hans Burkmaïer, d'Augsbourg, travaillait aussi dans l'ate-
lier de Martin. On doit à son infatigable talent un grand nombre de
tableaux religieux et profanes. Il est le premier des maîtres de la
haute Allemagne qui ait peint d'après nature les fonds de paysage et
jusqu'aux plus petits détails de ses tableaux". Hans Holbein l'aîné, qui
pendant la prriode brillante de son talent fut l'un de nos meilleurs
' Voy. NOKDHOFF, Kunslgeschichllichu Beziehungen zwischen Rheinland und Westfalen.
p. 54-60. — NOROIIOIF, Die Chroniken des Klosters Liesborn, p. 32-40 plunster, 1866j.
- Voy. Jacob, p. 279.
2 Je m'appuie ici sur l'opinion de Böhmer, si compétent en cette matière.
* Van D; iTSCHEiico.NSTE, p. 4-5. — Voy. Wurzbach, p. 3, et le juj^ement qu'en
a porté WniPiiELiNG, p. 47-48. — Voy. aussi IIotiio, 2, p. 207-219. — Schnaase,
Geschichte Schongauer's, t. VIII, p. 185-189.
* Voy. Schmidt, p. 28.
•^ Voy. Waagen, t. I, p. 184-189. — IIassler, p. 117-119. — W. Schmidt, p. 39-40.
— Bode et L. SCHEIBLER, Jahrbuch der Königl. jircuss. Kunstsammlung, t. II. p. 54-61
(Berlin, 1881).
' Otte, p. 748.
J66 • L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
maîtres, dut aussi à Schonp;auer rinspiration et la direction de sod
talent. L'influence de ■; maître Martin ■■ est ép,alement très-sensible
dans les toiles d'Hans Holbein le jeune. Ou prétend même quAlbert
Durer, malgré roriginalité de son génie, la subit toute sa vie '.
Durer et Holbein le jeune élevèrent la peinture allemande à son
j)lus haut degré de gloire. Bien peu de maîtres ont possédé au même
degré la faculté créatrice, l'imagination féconde. Leur observation
de la nature est si fine, si pénétrante, leur imagination si riche eu
inventions toujours nouvelles, si prompte à les mettre eu œuvre,
qu'on peut leur appliquer ce qu'on a dit à propos de Shakespeare :
leur génie semble vraiment - réunir mille âmes sous son sceptre '■.
Leurs meilleures compositions appartiennent encore à Tancien temps,
au vieil esprit germanique chrétien du quinzième siècle, aux grandes
traditions du moyen âge. Ils ne sont nullement les précurseurs de ce
qu'on a appelé l'art de la Renaissance, et ce qu'ils ont pu s'appro-
prier des idées nouvelles ne leur fit jamais perdre le caractère tout
national de leur génie; ils gardèrent toujours leur gravité et leur
humour allemands. Si, dans leurs œuvres de second ordre, ils imitent
parfois l'antique, ce n'est là qu'un détail de mode, et ne change
rien à l'ensemble de leur œuvre. On peut comparer leurs écarts dans
ce genre à ces excroissances bizarres qui sortent souvent du tronc le
plus sain et le plus vigoureux. Ils auraient sans doute produit encore
beaucoup d'ouvrages admirables, si les commencements des troubles
religieux, qui déjà assombrissaient l'horizon, n'avaient paralysé leurs
efforts, et si leur vie privée, placée dans d'aussi favorables conditions
que celle d'un Raphaël ou d'un Titien, avait permis à leur génie un
complet épanouissement.
II
Albert Durer est le seul artiste de son siècle qui ait laissé des
mémoires autobiographiques sur ses parents, son éducation, sa for-
mation artistique. Ces mémoires n'ont pas seulement un puissani
intérêt au point de vue de ce qui le concerne personnellement, ils
sont encore d'une valeur inappréciable pour quiconque veut étudier
les mœurs de cette bourgeoisie allemande du quinzième siècle, si
honorable, si solide, et de laquelle sont sortis nos plus grands
artistes.
Le père de Durer était orfèvre, orijiiuaire d'une colonie allc-
' Schott, p. ?.4-3J. — Scinwin. p. 24, 34-3.j.
ALBERT DURER. 167
inniide élablie en Honcrie. De Iloiijjric, il s'élait rendu dans les
l»ays-lîas, cf y avait séjuiirné loiij; temps parnn les grands artistes
alors en réputation; il vint enfin se fixer à Nurcmberp;, ou il
se maria. Il eut dix-huit enCants. Albert naquit le 21 mai 1471.
L'honnête orfèvre était habile en son métier; c'était, selon l'expres-
sion de son fils, " un pur artiste ». Mais le soutien de sa nombreuse
famille exi{',eait de lui un travail rude et incessant. - Mon cher père,
écrit Durer, a passé sa vie au milieu de {grandes fatijyues, d'un labeur
difficile et ardu, n'ayant pour entretenir sa vie, celle de sa femme et
de ses enfants, que ce qu'il j<;a[!?nait de ses mains. Aussi possédait-il
Irès-peu de chose; il a éprouvé en sa vie beaucoup de tribulations,
de luttes, de contradictions de tous {genres; mais tous ceux qui le
connaissaient avaient une bonne parole à dire de lui, car il tenait la
conduite d'un bon et honorable chrétien ; c'était un homme patient,
affable, pacifique avec chacun, et très-reconnaissant envers Dieu '. »
Albert Durera laissé de son père un tableau fait de main de maître,
conservé aujourd'hui dans la Pinacothèque de Munich. Ce portrait
correspond parfaitement à l'idée qu'il vient de nous donner du carac-
tère de son père. Le vieillard est grand et maigre, son visage est
grave. Il semble accepter sans regret sa vie dépouillée de tout bien-
être et joie extérieure, dans le sentiment qu'il a d'une conscience
sans reproche-. Il s'efforça toujours de conserver dans ses enfants
une grande pureté de mœurs. « Mon cher père prenait beaucoup de
peine pour notre éducation, écrit Durer. Il nous élevait pour la
gloire de Dieu; son plus grand désir était de maintenir ses enfants
dans une sévère discipline, afin qu'ils devinssent agréables à Dieu
et aux hommes. Aussi nous recommandait-il tous les jours d'aimer
Dieu et de montrer une sincère affection à notre prochain. »
Durer dit plus loin, en parlant de sa mère : " Elle avait pour con-
stante habitude d'aller beaucoup à l'église. Elle ne manquait pas de
me reprendre toutes les fois que je n'agissais pas bien. Elle nous
gardait avec grand soin du péché, moi et mes frères, et soit que
j'entrasse ou sortisse, avait coutume de me dire : " Que le Christ
« te bénisse! " Elle nous donnait de saints avertissements avec un
grand zèle, et avait en continuel souci le salut de notre âme. Je ne
puis assez louer ses bonnes œuvres, la bienveillance et la charité
qu'elle montrait à chacun, ni assez parler du bon renom qu'elle
s'est acquis ^ »
Il nous donne sur son éducation les détails suivants : '^ Lorsque
j'eus appris à lire et à écrire, mon père me retira de l'école et me fit
' Thausing, Dürers Briefe und Tagebücher, p. 73.
- Van Eye, p. 4-5.
^Thausing, p. 137.
168 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
apprendre l'état d'orfèvre; et lorsque je sus convenablement travail-
ler, il se trouva que mon goiU m'attirait plus vers la peinture que vers
le métier d'orfèvre. J'exposai la chose à mon père, mais il ne s'en
montra pas satisfait, car il avait regret du temps que j'avais perdu.
Cependant il se rendit à mes raisons, et l'année que l'on comptait
être la quatorze cent quatre-vingt-sixième après la naissance du
Christ, le jour de Saint-André, 30 novembre, mon père me mit en
apprentissage sous la conduite de Michel Wohlgemuîh. Il fut con-
venu que je le servirais durant trois ans; pendant ce temps Dieu
me fit la grâce d'une grande application, en sorte que j'appris beau-
coup de choses; mais j'eus extrêmement à souffrir des élèves du
maître. " Wohlgemuth était l'un des meilleurs peintres de Nurem-
berg, et son atelier y était célèbre '.
« Et lorsque j'eus fini mon apprentissage, continue Durer, mon
père m'envoya voyager au loin; je restai quatre ans loin de Nurem-
berg, puis il me rappela. » « Pendant ses années d'absence, a raconté
un de ses amis. Durer étudia à Colmar, cher Casper et Paulus,
orfèvres; et chez Ludwig, le peintre; puis à Baie, chez Georges,
orfèvre; tous quatre frères de Martin Schön. Chez tous il fut reçu
avec honneur et retenu avec joie *. »
« J'étais parti en 1490, à Pâques, poursuit Durer, et je revins en
1494 au temps de la Pentecôte; et après mon retour Haus Frey vint
s'entendre avec mon père. Il me donna sa fille, la demoiselle Agnès,
et avec elle 200 florins, et nous fimes les noces. -
« Ensuite il arriva que mon père fut pris subitement de la dysseu-
terie. Son mal devint si grave que personne ne put rien pour l'ar-
rêter. Et lorsque mon père vit la mort devant ses yeux, il l'accepta
avec résignation et grande patience. Il me recommanda ma mère,
me priant instamment de vivre dans l'amitié de Dieu. Il reçut aussi
les saints sacrements, et trépassa chrétiennement, l'an 1502. O
vous tous qui êtes mes amis, je vous en supplie pour l'amour de Dieu,
lorsque vous lirez le récit de la mort de mon pieux père, souvenez-
vous de son âme, et dites pour elle un Palev et un Ave! Faites-le
aussi pour votre propre salut, afin que nous obtenions tous la grâce
de bien servir Dieu, et méritions de mener une sainte vie et de faire
une bonne fin! Non, il n'est pas possible que celui qui a bien vécu
parte de ce monde en mauvaise disposition, car Dieu est plein de
miséricorde ^ »
Aubasd'unegravuresurboisqu'ilfitparaitreen feuille volante (1510),
' TiJAUSiNG, Durer Gcsch. seines Lebens, p. 53-73.
^ Nendorfeu, p. 132.
^ Thausing, Dürers' Briefe und Tagebücher, 74, 134.
Ar.RI'RT nu RE H. 169
\)uvvv s'exprime à peu près de iiu-ine à propos de la mort ;
a Celui qui se dispose tous les jours a la mort est regardé de Dieu avec
complaisance, car il est dans la voie de cotte paix véritable, que Dieu seul,
et non le monde, peut donner. Celui qui l'ait le bien durant sa vie sentira
dans son vœur nailri; un ferme couraj^fî. Lheurc de la mon le réjouira;
elle sera pour lui l'annonce de la félicité '. '
Voici dans quels termes émouvanîs Durer raconte la mort de sa
mère : « 11 faul que vous sachiez que deux ans après la mort de mon
père, je recueillis chez moi ma pauvre malheureuse mère; je la pris
sous ma {;arde, car elle uavait plus aucune ressource. Or, après
qu'elle eut habité neuf ans chez moi, un matin, tout à coup, elle
tomba si mortellement malade, que pour entrer chez elle nous
fûmes obligés de briser la porte, sans cela nous n'aurions pu pénétrer
dans sa chambre, parce qu'elle u'eiU plus eu la force de nous ouvrir.
Nous la portâmes en bas, dans une autre pièce; là, elle reçut les
deux sacrements, tout le monde pensant qu'eue allait mourir. Un
an juste après le jour où elle était tombée malade, un mardi, dix-
septième jour de mai, ma mère mourut chrétiennement, absoute, de
par laulorilé papale, de peine et de châtiment. Avant de mourir,
elle me donna sa bénédicîion, et avec beaucoup de pieuses paroles
me souhaita la paix du Seijjncur, me recommandant surtout de me
garder de tout péché. Elle demanda aussi à boire l'eau bénite de la
Saint-Jean, et on lui en donna. Elle craignait beaucoup la mort,
mais elle disait « qu'elle n'avait aucune crainte de paraître devant
' Dieu ". Elle a eu.de la peine à mourir, et je remarquai qu'elle
voyait devant elle quelque chose qui l'épouvantait, car elle demanda
de l'eau bénite, bien qu'elle n'eût pas prononcé une parole depuis
longtemps. Enfin ses yeux devinrent sans regard, et je vis la mort
lui donner deux grands coups au cœur. Elle ferma alors les yeux et
la bouche, et mourut en souffrant. Je me mis à réciter des prières
près d'elle, et je ressentis à ce moment de telles angoisses qu'il me
serait impossible de vous les exprimer. Oue Dieu fasse miséricorde
à ma mère! Sa plus grande joie a toujours élé de nous parler de Dieu,
et elle voyait avec bonheur tout ce qui pouvait rapporter de la gloire
au Seigneur. Elle avait soixante-trois ans lorsqu'elle mourut ; je la fis
enterrer honorablement et selon mes moyens. Que Notre-Seigneur
me fasse la grâce de faire une sainte mort comme elle ! Et puisse Dieu,
avec toute l'armée céleste, mon père, ma mère, mes parents et mes
amis, être présents à ma fin ! Et que le Dieu tout-puissant nous
' Thai-sing, p. 154-159. Voyez t. XIV-XV. Durer déposa une somme impor-
tante dans In caisse municipale de Nuremberg, pour la fondation d'une messe
perpétuelle à Sainl-Sébald. Baader, 1-6.
170 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
donne la vie éternelle! Amen. Et après que ma mère fut morte,
sa figure devint plus belle qu'elle ne l'avait été durant sa vie '. "
Ces paroles si simples retracent avec fidélité la vie chrétienne dans
la famille telle qu'on la pratiquait au quinzième siècle. Elles nous
montrent les étroits rapports qui rattachaient alors le foyer à la reli-
gion, et comment, ainsi qu'on l'a dit, - ils semblaient ne former
qu'un seul morceau '-. Elles expliquent aussi la place qu'occupe le
home dans l'œuvre de Durer, et pourquoi ses tableaux nous représen-
tent si fréquemment des scènes d'intérieur^. C'est que l'artiste avait
goûté dans le sanctuaire de la famille ses joies les meilleures et les
plus nobles, et qu'il y avait joui des plus excellents biens d'ici-bas.
Lorsqu'à son tour il eut fondé une famille, il resta envers sa femme,
ses frères, ses sœurs et ses domestiques, fidèle aux devoirs que ses
parents lui avaient recommandé d'accomplir sur leur lit de mort.
Son travail pourvoyait à son entretien et à celui des siens. Au mi-
lieu de circonstances pénibles, parmi de nombreuses difficultés et de
lourdes fatigues, il fit constamment preuve d'une étonnante et infa-
tigable ardeur au travail. 11 était tout à la fois peintre, dessinateur,
graveur sur cuivre, sur ctain, sur fer, sur bois, sculpteur, orfèvre,
imprimeur. Il serait difficile de nommer une branche des arts plas-
tiques où son admirable génie n'ait exercé une influence décisive. 11
fut même écrivain, et nous a laissé un grand nombre de conseils
pratiques et d'axiomes précieux sur les arts, formant l'introduction
du grand ouvrage encyclopédique qu'il se proposait d'écrire et qui
devait embrasser toutes les connaissances que selon lui un artiste doit
posséder. Sa Géométrie et ses Leçons sur les proportions n'en sont que
des fragments détachés ■-.
Sa philosophie lumineuse et fermement appuyée sur les principes
chrétiens, tire toute sa grandeur de la conviction, profondément
enracinée eu son esprit, que toute beauté vient de Dieu : « Si
nous nous demandons comment nous y prendre pour faire une belle
figure ) , dit-il, ^ quelques-uns diront que nous y parvenons d'après
' Thausixg, Dürers Brir/e und Tagebücher, p. 136-138. — L'auteur dit en parlant
de ce récit de nurer : - Nous n'y trouvons point d'exaltation creuse, point de
tressaillements maladifs de sensibilité. Il n existe pas là de lutte intérieure.
Chez lui, l'attention auxclioses présentes, les vérités religieuses qu'il tient pour
tout aussi réelles, empêchent l'àme de tomber dans l'abattement. Les esprits
sont trop sains, trop élastiques pour plier sous les coups même les plus rudes.
Plus leur sentiment est simple, plus il est profond, et plus il leur permet de
se remettre promptement à un travail qui les sorte d'eux-mêmes. L'homme
dans ce travail met toute son Ame, toute sa pensée. Voilà pourquoi les chefs-
d'œuvre de ce temps nous causent une admiration si ineffaçable, pourquoi les
termes si simples dans lesquels Durer nous raconte les plus petites circonstances
de la mort de ses parents, nous émeuvent si profondément.
* LUTHARDT, p. 3Ô-37.
•' Thausing, Dürer, Geschichte seines Lebens, p. 514.
l'KINTIiK.S VERniERS. 171
noire sens humain. Mais d'autres n'accorderont pas qu'ils aient rai-
son, cl moi non pins je ne l'accorderai pas, à moins que cela ne me
soit bien évidemment prouvé. iMais de cela, qui pourra nous con-
vaincre? Car je crois qu'il n'est personne qui dans la moindre des
créai nres vivantes ne dislinfyue la fin plus haute pour laquelle elle a
éfé créée. Ouc dire donc de l'honmie, qui est une créature loule â pari,
cl à la(iuelle Dieu a assujetti toutes les autres? J'accorde bien que
tel ou (el artiste ima{;inera ou exécutera une figure plus belle qu'un
autre parce qu'il aura mieux compris les conditions de sa vie, mais
il n'arrivera jamais à une telle perfection qu'il ne soit possible de s'en
imaginer une plus parfaite encore, La perfeclion ne saurait appar-
tenir à l'esprit de l'homme; Dieu seul sait ce secret, et celui auquel il
le révèle, car celui qui est la vérité connaît seul quelle est la plus
belle forme et la plus belle proportion de l'homme. ^ Pour Durer, la
productivité n'est donc autre chose que le don que Dieu a fait à
l'homme " de m.odeler et de faire tous les jours beaucoup de nouvelles
figures d'hommes et d'autres créatures ', selon le don particulier qui
lui a été départi par le Créateur ".
La période d'éclat de son génie s'arrête au moment où les luttes
religieuses commencent. Ses œuvres les plus admirées sont presque
toutes antérieures aux premiers troubles amenés par la Reforme, Les
esquisses de son plus célèbre tableau, les Quatre Tempéraments, étaient
commencées longtemps avant I.jIS^.
Ses créations lui assujettirent, pour ainsi parler, l'Europe entière;
son influence est sensible jusque dans les œuvres de Raphaël ^ L'art
lui doit un progrès, une extension immenses. C'est un maître qui
appartient au monde entier.
Ses élèves et continua! eurs les plus remarquables sont : Hans
Schaiifl^lin, Albert Altdorfer, Hans Balduug, Mathieu Grunwald el
Lucas Cranach,
III
La peinture sur verre atteignit son plus grand éclat en Allemagne,
vers la seconde moitié du quinzième siècle *. Là oii elle n'avait pas
' Voy. Kalfiiann, A. Durer, p. 80.
- Waagen, t. I, p. 199. — Sighaut, p. 619. — Durer, dans son art, resta fidèle
catholique jusquà sa mort. — Voy. Kaufmann, p. 83-93.
= Voy. Spuingeu, p. 179-180. — .Sighart, p. 631. — Van Eye, p. 277. — Kauf-
mann, Die Xachifirhung Dürers auf die spätere zeit in fier Zeitschrift für Deutsche Cultur
geschickte, p. 470-481, 1873, et du même auteur : A. Durer, p. 93, 101.
* Schäfer, Die Glasmalerei des Mittelalters und der Itcnaissance {ßresXaiU, 1881).
172 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
nn caraclère monumental et purement décoratif, elle tenait à peu
près la place de ce qu'on a appelé de nos jours la peinture de clie-
valet. Ses instruments, ses moyens d'exécution ctaieni des plus sim-
ples, et pourtant les verriers parvenaient à produire les plus brillants
effets. Ce qui nous a été conservé des vitraux ornant au quinzième
siècle riutéricur des habitations, et pour la plupart représentant des
armoiries, sont, dans leur f;enre, des modèles inimitables.
Les verriers, eux aussi, étaient organisés en corporation; mais ils
formaient presque toujours avec les peintres une association com-
mune. A certains jours, peintres et verriers réimis assislaient au
service divin, aux messes pour les membres trépassés, et partici-
paient ensemble aux fêtes organisées par leur confrérie. Dans
Tintérieur des monastères beaucoup de religieux cultivaient aussi
avec succès l'art de la peinture sur verre et parfois créaient des
œuvres exquises. Le Dominicain Jacques Griesinger, d'Ulm (f 1491),
brillait admirablement les couleurs et forma à Bologne une école
particulière; ou lui doit cetle belle nuance jaune qui se prépare avec
l'argent. " [1 menait une vie toute sainte et vertueuse, qui était un
spectacle et un exemple pour tous les nobles bourgeois et seigneurs
de la ville '. » Dans les monastères de Klus (1486) et de Walken-
ried (1515) se cachaient aussi de vrais talents. Adélaïde Schraders,
Sœur converse du monastère de Wienhausen, peignit au commence-
ment du seizième siècle dans son couvent, des vitraux dont elle avait
composé elle-même les dessins ^. Vers la même époque, une religieuse
du monastère de Sainte-Catherine, à Nuremberg, écrivit en allemand
un petit traité sur les beaux-arts, où elle donne une très-claire et
spéciale instruction sur la manière de préparer les peintures sur
verre des mosaïques '.
Citons parmi les vitraux les plus remarquables de l'époque, ceux
de l'église Saint-Nicolas de Wilsnack; de Sainte-Catherine à Salzwe-
del; de la cathédrale de Stendal; de l'église de Falkenhagen; de
Saint-Mathieu à Trêves; du chœur de la cathédrale de Fribourg; des
Dômes de Katisbonne, d'Augsbourg et d' Eichstadt; de Notre-Dame
de Munich; de la chapelle du château de Blutenburg; des églises de
Pipping, de Yenkofen, de Saint-Jacques, à Straubing, de la chapelle
du château de Vienne-Neustadt, de l'église du Précieux-Sang à
Weiten *.
' Voy. HvssLER, p. 121. — Il fut considéré et même vénéré comme saint. Voy.
Haling, t. III, 75i. — Wackf.iwagel, Glasmalerei, 64, 158-159.
^ Voy. Otte, p. 794, note.
^ Wackernagpl, p. 55, 156.
* Voy. la liste des plus célèbres verriers et de leurs œuvres dans Cessert.
p. 93, 128, 135, 133. — Ottf, p. 794-797. Les principaux chefs-d'œuvre de ce
temps ont été dispersés en divers pays.
M I M A T U R I S r E S . 1 73
Mais les plus admirables viiraux de celle épofjiie sont ceux de
Nureiiibei-j;, d'IJiiii et de Cuiojjnc. Les verrières des deux éj^lises
principales de Nuremberjy (Saint-Laurcnl et Saint-Scbaldj passent
pour les plus belles du monde. Veit Hirscbwofyel (né en 1151), issu
d'une ancienne l'aniiüc de vei-ricrs de IN'uremberf}, n'avait point de
rival dans son art : le vitrail de Sainl-Laurent où est représenté
l'arbre fyénéalojjique de Jésus-Christ, la famille et les saints patrons
du donaleur, passe pour l'un de scsplus brillants chefs-d'œuvre (1493) '.
A Ulm, les viiraux du chu'ur commandés par le conseil de la ville et
exécutés par Haus Wild (1480), sont di(>nes, par l'éclat de leur colo-
ris, de compler parmi ce que l'art a produit en ce genre de plus admi-
rable. Les viiraux du côlé nord, dans la nei' de la cathédrale de Colo-
gne, ont été exécutés entre 1507 et 1509 : ce sont les plus célèbres.
Les innombrables verrières qui ornaient les couvents ont été presque
toutes détruiles; nous n'en possédons plus que des débris, mais on
peut encore voir à Ilirschau ce qui reste des grandioses peintures
sur verre que Trithème fit exécuter pour un chemin de croix, et qui
ornaient les quarante fenêtres de la chapelle. Ces vitraux avaient été
faits d'après les dessins de la Bible des Pauvres - (1181).
Les verriers ne décoraient pas seulement les églises, les che-
mins de croix, ils ornaient aussi les châteaux, les hôtels de ville,
les salles de confrérie, les demeures patriciennes. Les plus grands
artistes, Albert Durer et Holbein par exemple, fournirent sou-
vent des cartons pour des vitraux de ce genre. « Autrefois, dit un
écrivain d'Augsbourg', il n'y avait pas d'églises, pas d'édifice
pubhc, pas de maisons de bourgeois aisés où ne se trouvassent des
vitraux peints '. » Or, ceci était vrai de toutes les grandes villes, sur-
tout de celles du Sud, où la peinture sur verre était cultivée avec
prédilection.
IV
La miniature aussi produisit à cette époque des œuvres achevées.
On avait alors tant de goût pour ce genre de peinture que les
miniaturistes, les enlumineurs formaient dans beaucoup de villes
des confréries particulières. L'ornementation des livres de prières
' Sur Veit Ilirscliwngel, voy. Nküdörfer, p. 147, et Lochxer, p. 147-150. Voy.
Rr.TTnERG, Xurnher(;rr Briefe, p. 13B-138.
- Voy. Lessing, OEtivres cmnplèles, t. IX, p 222-"238.
' Voy. WACKEr.NAGEL, Glasmalerei, p. 87-88, 169.
174 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
par la miniature devenait toujours plus riche, et dans beaucoup de
monastères, la plupart des religieuses possédaient des livres d'offices
enluminés '. Les peintres les plus célèbres ne dédaignaient pas
d'orner de miniatures ou de fins dessins à la plume le missel destiné
à un grand personnage ou à un ami. Les vignettes du livre d'Heures
de l'empereur Maximilien, par Durer, sont les chefs-d'œuvre de ce
genre. On ne se lasse pas d'admirer leur goût délicat, leur merveil-
leuse richesse d'invention, leur sentiment religieux plein de profon-
deur, et en même temps le vif et spirituel enjouement qui s'y glisse
â chaque instant.
Nuremberg, où habitait le peintre Glockendon et sa famille, Ratis-
bonne, où Berthold Furtmeyer avait son ateher, étaient les centres
principaux des miniaturistes. On avait surnommé ces deux derniers
peintres les " princes de la petite peinture ". Le missel en cinq
volumes exécuté par Furtmeyer * pour l'archevêque de Salzbourg,
Bernard de Rohr, appartient aux œuvres les plus admirées en ce
genre \ L'artiste y a fait preuve d'une fécondité d'imagination
extraordinaire. Les religieux Souabe avaient une grande réputation
comme miniaturistes. Pierre- Jean Franck, moine du monastère
de Saint-Ulrich, à Augsbourg, passait pour l'un des meilleurs enlu-
mineurs de son temps ^ (de 1472 à 1492); les Pères Conrad Wagner,
Etienne Degen et Léonard Wagner (1489j partageaient ses travaux.
Dans les monastères de Scheyern, les religieux Jean Keim, Maurice
et Henri Molitor (1468), enrichissaient d'admirables enluminures les
bréviaires et les livres spirituels de leur couvent. A Vornbach, le
Frère Georges Baumgartner enlumina une histoire universeile.
A Ebersberg, le Frère Vitus Auslasser peignit un herbier. A IVurem-
berg, la Mère Marguerite, religieuse carmélite, orna cinq volumes
in-folio d'initiales et de peintures délicates. Dans la même ville, les
religieux de Saint-François achevèrent entre 1491 et 1494 un graduel
dont les miniatures furent célèbres à cause de Thabileté et du fini
du dessin. Les grandes et belles miniatures du livre de lecture des
Bénédictins de Saint-Étienne ^ sont dues au Frère Jean Esswurm
{1515) «.
Nous connaissons le nom de bien peu de ces moines miniatu-
ristes. Mais ce que nous savons d'eux suffit pour nous permettre de
constater que leur art modeste était resté familier et cher aux reli-
' SiGHART, p. 566.
- Bibliothèque de Munich.
2 Sur la vie et les œuvres de Furtmeyer, voy. Sighaut, Documents, t. VII, p. 145
jusqu'à 151. — Voy. \VEiNGiRT.\En, Documents, t. VI, p. 249 jusqu'à 254.
* Voy. Archiv, fur die Geschichte des Bislhums Augsburg, t. II, p. 79.
^ Bibliothèque de l'université de Wurzbourg.
« Voy. SiGu.iRT, p. 645-656. — E>NE.\, t. III, p. 1017.
15 KO DE URS. 175
ßiciix dans rinléricur de leurs paisibles cellules, à une époque ou
des aris de plus d'iinporlance, ('Tandis eux aussi dans les cloîtres,
s'étaient répandus dans le monde entier '.
Tout, dans Tart, s'épanouissait simultanément*, tout marchait de
concert : miniatures, cathédrales {grandioses, chefs-d'œuvre de sculp-
ture et de peinture, ouvra^jes délicats exécutés avec l'aiguille et
la bobine. Les tapis, les ornements d'église tissés et brodés, qu'on
peut encore admirer dans le trésor impérial de Vienne, à l'église
d'Eisleben, à la cathédrale et à l'hôtel de ville de Ratisbonnc, à la
cathédrale de Spire, à Halberstadt, à Saint-Laurent et Saint-Sébald
de Nuremberg et dans beaucoup d'églises de Cologne et d'ailleurs,
sont généralement d'une rare et merveilleuse beauté. Les tapis des
vestibules, des appartements, les habits des notables, les bannières,
même les « housses d'apparat » des chevaux n'étaient pas moins
remarquables. On les couvrait d'ornementations pleines de goût,
compositions ingénieuses ou copies de dessins de grands maîtres.
Ceux qui confectionnaient ces ouvrages s'appelaient les « couseurs
de soie », et leur grand nombre prouve que leur habile concours
était très-fréquemment réclamé \
Neudörfer, après avoir rapporté plusieurs faits relatifs au bro-
deur de soie Bernard Müller de Nuremberg (qui parmi ses ouvriers
en possédait un " si exercé dans son art qu'avec des morceaux de soie
il savait admirablement imiter les tigures humaines), " dit en l'honneur
des dames de Nuremberg : " Comme les femmes peuvent prendre
part à ces beaux travaux, je ne puis m'empêcher de citer ici une preuve
honorable de leur persévérance. Il y a de cela quelques années, lorsque
l'ornementation des églises prit un si grand développement, ces dames
estimables exécutèrent non-seulement les plus fines broderies de soie,
mais se montrèrent encore très-habiles et très-laborieuses dans la
' Les miniatures de cette époque que nous possédons encore sont dues à des
maîtres inconnus. Elles ne sont qu'un très-petit spécimen des splendeurs du
passé.
- Tisseurs et brodeurs entretenaient des rapports continuels avec les peintres
et les dessinateurs. Pour plus de détails, voy. Bock, Geschichte der liiurgischen
Gcwamlcr des Miiuhdters, t. I, p. 116-121, 252-272.'voy. aussi Otte, p. 207, 260-261,
797-798. — SiGHAUT, p. 657-6jS. — Sur les images saintes d'Heidelberg au
quinzième siècle, voy. les articles de Schneider, dans Vânzeigcr fur Kunde der
deutsehen Vorzeit, 1877, p. 13-14.
^ SiGH.MVT, p. 656.
176 L'ART ET LA VIE POPULAIUE.
fabrication des tapisseries, comme le prouvent les tentures, les cous-
sins de bancs et de sièges qu'on trouve encore dans tant d'anciennes
familles. Le vieux maitre Sébald Baumhauer, sacristain de Saint-
Sébald, qu'Albert Durer honorait et louait, et qu'il appelait « un
(! peintre du bon vieux temps i, m'a dit qu'il avait entendu raconter
aux vieillards de la ville les plus digues de foi, que les respectables
veuves qui confectionnaient les tentures d'église, restaient toute la
journée à Saint-Sébald, dans le petit cloître de Saint-Michel; qu'elles
y faisaient leurs prières, y prenaient leurs repas, et tout le jour res-
taient occupées à leur travail '. "
Dans les couvents on tissait et l'on brodait aussi avec beaucoup
d'art un grand nombre d'images saintes pour l'ornementation des
églises, et les plus grandes princesses se plaisaient à confectionner
pour la gloire de Dieu de riches ornements de ce genre ^
' NELDÖr.FEr., p. 180.
- Siciivnr, p. 657.
CHAPITHE m
(; R A V U R E .
En même temps que la peinture, marchant avec elle, la gravure,
(ant sur bois que sur cuivre, développait dans un riche épanouisse-
ment l'art de la vieille Allemagne. Vers la fin du quinzième siècle,
elle commença d'être considérée comme le complément essentiel de
la peinture, et fut cultivée par les plus excellents artistes.
La reproduction des dessins sur le bois on sur le cuivre, invention
tout allemande, fut aussi importante pour l'art que la découverte de
l'imprimerie l'avait été pour les sciences et les lettres. Par la gra-
vure, en effet, les productions des maîtres se multiplièrent rapide-
ment et furent mises à la portée de toutes les classes. Mais cette
admirable invention ne servit pas seulement les intérêts de l'art,
elle est encore un événement de la plus haute importance, si on la
considère au point de vue du progrès intellectuel et de la civilisation,
La pensée, incarnée dans l'image, devint, comme l'idée exprimée
par l'imprimerie ou la parole, l'agent d'un fécond mouvement dans
les intelligences'.
Dans ses commencements, la gravure servit surtout à la religion,
et fut presque exclusivement mise au service des églises et des
couvents. Les Ordres religieux, particulièrement les Ordres men-
diants, cherchèrent, au moyen des images qu'ils répandaient à pro-
fusion parmi le peuple, à fixer le souvenir de leurs exhortations
et de leur enseignement. Ils s'en servirent aussi pour leur propre
édification ou pour glorifier la mémoire de leurs saints protecteurs
et patrons. Peu à peu, les images devinrent un besoin. On en
voulut non-seulement pour les églises et les monastères, mais encore
' Voy. Springer, p. 171,206. — Woltmann, t. I, p. 21. — \orduoff, Kunst
fje.'chichlliche Beziehungen, zwischen Rheinland und Westfalen, p. 59-60. — ThaL'SING,
Durer, Geschichte seines Lehens, p 1.3-15. — Le livre d'EsSE.NWEiX, Die Hohschmilte des
vierzehnten und fünfzehnten Jahrhunderts, donne d'exccllents renseignements Slll"
l'liisloire de la yravure sur bois. (Nuremberg, 1875. j
12
178 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
pour le foyer domestique. Chacun voulut avoir sous les yeux uu
souvenir sensible du Sauveur, de la Vierge, de ses saints patrons.
Les tableaux, les crucifix sculptés, les miniatures n'étaient pas à la
portée de tout le monde; au lieu que le plus pauvre d'entre les
fidèles pouvait acheter une image en papier qu'il mettait dans son
livre de prières, ou attachait aux murs et aux portes de sa maison '.
Primitivement, les images ne furent reproduites que sur feuilles
détachées. Mais à partir de la seconde moitié du quinzième siècle,
on voit apparaître différents livres, appelés xijkxjvaphiques, conte-
nant des séries d'images accompagnées de courtes explications et
d'applications pratiques. C'est ainsi que furent édités VApo-
calypse, la Passion, le Salve, Regina, la Bible des pauvres et la Danse
des morts. Parmi ces productions, les plus connues sent les Bibles
des auvresj suites d'images, au nombre de quarante-huit à soixante,
tirées de l'Ancien et du Nouveau Testament, et suivies d'explica-
tions. Mais ceux auxquels ces livres étaient destinés n'étaient pas
les pauvres proprement dits, c'étaient les prédicateurs populaires
auxquels leur pauvreté ne permettait pas d'acheter une Bible com-
plète, et qui s'estimaient heureux de posséder en abrégé l'histoire
des faits principaux de la Sainte Ecriture ^ Les traductions alle-
mandes des Bibles populaires furent également ornées de gravures
sur bois : la superbe Bible éditée à Nuremberg en 1483, chez
Koburger, en contient plus de cent.
Koburger, comme imprimeur et éditeur, s'est acquis des droits
incontestables à la reconnaissance de la postérité. En obtenant
d'un grand nombre d'artistes de talent des dessins pour ses gra-
veurs sur bois, il provoqua un notable perfectionnement dans l'art.
Les gravures exécutées sous la chrection de Michel Wohlgemuth
pour le livre intitulé Trésor des vraies richesses du salut (1491),
celles de Guillaume Pleydenwurf pour le Livre des Chroniques de
Hartmann Schedel (1493), nous donnent déjà les preuves d'un
progrès sensible ^ Plus importants encore sont les travaux de Hans
' VOy. SOTZMANN, p. 550.
- Yoy. les anciens documents sur ce sujet dans l'ouvrafje de Weigel et Zester-
M.VNN, Die Anfang echr Bitcltdnicker Kunst in Bild und Schrift. (Leipzig, 1865, t. I, p. 128,
et t. II.) — Voy. la description qu'en donne Sighart, Hisior. und Pol. Blutter, t. LVII,
p. 813-823. — Voy. encore Jahrbuch der central Commission, t. V, p. 11-18. — Sur
les rapports qui existent entre la Bilile des pauvres et les stalles de chœur, voy.
Doeiiments, t. VIII, p. 264. La Bible des pauvres contient pour ainsi dire le type
le plus ancien de la gravure. Elle représente la transition qui se produisit
entre les compositions grandioses de l'architecture et de la peinture et les images
vulgaires fixées sur le papier.
" Voy. Thausing, Durer, Geschichte seines Lehens, p. 49-52. — Sur les gravures sur
bois de cette chronique, voy. Hase, p. 28-35. La plupart des gravures de ce temps
sont d'une vigueur remarquable. La manière dont les personnages historiques
GRAVÜRE SUR BOIS, ALBERT DURER. 179
lUirjjkmaier, d'Au(;sbourg-, qui fournit aux {yraveurs sur bois plus de
sept ccQts dessins. Le même maître, en collaboration avec Albert
Durer et d'autres artistes, fut chargé par Maximilicu d'exécuter la
célèbre Marche triomphale, et travailla à l'édition illustrée du Theuer-
danli. Il exécuta aussi vinjjt dessins pour le Weisshunuj.
Les plus grands maitres de cette époque, Dürer, Holbein, Hans
Scliaiiffelin, Cranacli, faisaient reproduire par le burin du graveur
non-seulement des dessins isolés, mais d'importantes compositions.
Beaucoup d'entre eux taillaient eux-mêmes leur bois. Une fois gravés,
les dessins étaient apportés eu grand nombre sur tous les marchés
de l'Europe, et trouvaient un grand débit aux jours de fête et aux
kermesses. Hs reproduisaient des sujets tantôt religieux, tantôt pro-
fanes, des compositions humoristiques et satiriques; ils fustigeaient
les abus ecclésiastiques ou politiques, tournaient les Juifs en déri-
sion, ou bien encore instruisaient, moralisaient, reflétaient, en un
mot, une variété infinie d'idées. Comme ils étaient destinés au peuple,
nous remarquons dans les pensées qu'ils expriment, comme dans
leur exécution, un caractère essentiellement populaire, caractère
dont ils conservent encore la trace, même quand ils s'élèvent au-
dessus de l'horizon ordinaire des masses et supposent un degré de
culture plus avancé.
Nous en avons souvent la preuve dans les dessins d'Albert Dürer.
Ce maître éleva l'art de la gravure sur bois à une perfection que
jusqu'alors rien n'avait pu faire pressentir : nul artiste jusqu'à pré-
sent n'a pu lui être comparé ^
Les premières (ouvres qu'il offrit au public en 1478, au début de
sa carrière et n'étant encore âgé que de vingt-sept ans, appartiennent
déjà aux compositions les plus puissantes de l'art. Je veux parler des
quinze grands dessins de l'Apocalypse, dans lesquels sont représen-
tées, sous le voile du symbolisme religieux et d'une manière si saisis-
sante, les épouvantes des jugements du Seigneur et la paix des
bienheureux. Admirons surtout les quatre anges et les quatre cava-
hers des bords de l'Euphrate. Ils sont d'une émouvante beauté. Les
deux Passions révèlent la même vérité d'expression, la même vigueur
de dessin, et peuvent être comparées à de sublimes tragédies. On
ne peut se défendre, en regardant le Christ souffrant du frontispice,
sont représentés, l'aspect donné aux villes témoignent de l'intelligence avec
laquelle les artistes d'alors s'assimilaient toutes choses, fondaient le passé
dans le présent, et savaient ainsi se faire comprendre du peuple. La correction
archaïque d'aujourd'hui laisse froide la plus grande partie du public.
' Springer, p. 184-185. — Il est prouvé que Dürer a fait les dessins de cent
soixante-dix de ces gravures. Rauf.mann. A. Durer, p. 36.
12.
180 L'AP.T ET LA VIE POl-ULAIHE.
d'une impression profonde, ineffaçable. Jésus est assis sur une pierre.
H semble déjà dépouillé de toute attache à la vie terrestre. 11 est seul
avec sa douleur. Dans la Petite Passion, il appuie sa tète sur sa main;
dans la Grande, insulté par le soldat romain agenouillé devant lui
par dérision, il a joint ses mains pour la prière, et son regard,
dirigé vers le spectateur, trahit une souffrance poignante. Ce dessin
exprime l'outrage perpétuel et sans cesse renaissant que le pécheur
de tous les siècles inflige au Sauveur. On voit sur les pieds et les
mains les stigmates anticipés. L'artiste avait certainement dans
la pensée la plainte du Prophète : « Venez, voyez s'il est une dou-
leur qui surpasse la mienne! » Dürer a mis dans cette composi-
tion sou âme tout entière. Il a répété par son crayon cette prière
qu'il avait composée en méditant la Passion de Jésus-Christ, et
qui nous a été conservée dans le livre des Srpt Offices : « Vers
l'heure des vêpres, on descendit Jésus de la croix, et on le remit
à sa Mère. En ce jour, la toute-puissance du ^îaître resta entière-
ment cachée dans le sein de Dieu! O homme, contemple cette mort,
remède de ta grande détresse! Marie, couronne des vierges, recon-
nais ici le glaive de Siméou! Ici repose l'abrégé de toute perfection.
Celui qui nous a délivrés du péché! 0 toi, Dieu et Seigneur tout-
puissant! nous contemplons avec compassion les grands tourments
et la mort cruelle que Jésus, ton Fils unique, a soufferts pour nous
racheter. Donne-moi une vraie contrition de mes péchés, rends-moi
meilleur, je t'en supplie de tonte mon âme! Seigneur, par ton
triomphe, laisse-moi un jour avoir part à la victoire '! »
Voici comment Hotho décrit le frontispice de la Petite Passion :
« Une large auréole, aux lumineux rayons, entoure la tête inclinée
du Christ. De longues boucles s'enroulent sur son épaule gauche;
une barbe épaisse entoure le menton et les lèvres. Le front proé-
minent, couronné d'épines, le nez noble et fin, la bouche, tout
exprime la souffrance. Jésus appuie sa tête sur sa main, où nous voyons
par avance la place des clous indiquée; son visage exprime la plus
intense douleur. Il est assis sur une pierre basse ; son corps est incliné,
son attitude affaissée; il semble sortir du tombeau, et gémir sur tous
les péchés du monde se déroulant devant lui à travers la longue
suite des siècles. Ces péchés ne lui font plus subir de peines phy-
siques, mais, affligeant son âme jusqu'en ses profondeurs, le navrent
plus cruellement encore, et renouvellent pour lui, sans relâche, le pré-
toire, la flagellation, la trahison des apôtres, la croix. La Passion,
accomplie dans le passé, nous est représentée comme une réalité
immuable. Une perpétuelle douleur d'amour, un reproche plaintif et
' Thalsing, Durcr's Diie/e, p. 154-155. :
GRAVURE SUR BOIS, ALBERT DURER. 181
incessanl, une conJcmplalioii cicrnelle du mystère du péché et de la
réj)arali()n se liscnl sur les Irails du Clirisl; c( en même temps (jue
ce re{;ard si j)r()lbud Jelé dans l'àme du Fils de Dieu, sa personne
humaine, son aKilude, nous sont représentées d'une manière telle-
ment Crappanle ([ue, dans ce sujet où tout était évidemment épi(jue,
nous nous sentons touchés par la poésie lyrique la plus émou-
vante. »
Le dessin du Portement de croix, où sont représentés un si {^rand
nombre de personnages, a acquis une célébrité particulière pour
avoir servi de motif à l'une des plus admirables compositions de
lîaphaél '.
A côté du sublime pathétique des Deux Passions, admirons les
vingt gravures sur bois qui représentent la lie de Notre-Danu-, Elles
datent pour la plupart de lô04 et de 1505', et forment un délicieux
poème, plein de tendresse, de pureté et de mélancolie. Les moindres
détails, les paj sages, les incidents familiers de la vie champêtre, les
animaux, rapprochés de l'homme dans une union aimable, tout porte
le caractère de l'idylle et adoucit avec charme l'austérité de la vie de
la Sainte Vierge et de ses parents. La mort même de la .Mère de Dieu,
entourée des disciples et étendue sur son lit de mort; Pierre répan-
dant l'eau sainte sur celle qui s'en va ; Jean tenant pour elle un cierge
allumé; un autre apôtre élevant la croix, nous mspirent une émotion
pénétrante et douces Durera mis aux pieds de la Reine du ciel,
dans ces pages suaves, toute sa tendresse, tout son hommage. L'art
véritable a cela de commun avec l'amour, qu'il apporte une attention
affectueuse au moindre détail concernant la personne aimée. C'est
dans la l'ie de Xotre-Daine, plus que dans toutes les autres composi-
tions de Dürer, que se montre dans foute sa grâce et sa vérité ce
qui constitue essentiellement l'art allemand : la vie du sentiment.
De même que l'auteur (VHéliand fait passer les eaux vives de
l'Évangile à travers sa patrie saxonne, et transporte le Christ et ses
disciples dans sa terre natale comme si toute la sainte histoire s'y
était accomplie, Durer fait subir aux faits religieux, aux légendes
pieuses les conditions ordinaires de la vie dans son pays et parmi
ses concitoyens. Toute distance, toute trace, tout souvenir d'une con-
trée étrangère disparait dans ces compositions pleines de vie. Tout
s'échauffe, tout se rapproche de nous dans une réalité familière.
L'àme du quinzième siècle qui inspira Dürer et auquel il servit
' Voy. Van Eyk, p. 277.
* Th\i;.SI\G, Durer, (icsrhkhtc seines Lebens, p. 248-253.
'Cette {îravure a été plusieurs fois reproduite par les imitateurs de Durer.
Voilà pourquoi dans les musées nous rencontrons des tableaux dans le même
genre qui portent le nom de Dürer.
182 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
à son tour d'interprète et de héraut, s'y reflète avec une admirable
fidélité '.
Dans les archives du couvent de Sainte-Claire, à Nuremberg, se
trouve le plan ébauché que Dinner avait tracé pour son œuvre *. 11
date du temps où Charité Pirklieimer en était abbesse. C'est en com-
parant cette ébauche avec la composition du maitre, qu'on peut
apprécier sa fécondité d'idées, le don merveilleux d'invention qu'il
possédait. Mais l'œuvre la plus {grandiose qui fut jamais exécutée par
la gravure sur bois, c'est VAtc de triomphe de Maximilien, fait par
Dürer à la prière ^ de l'Empereur,
La gravure sur cuivre se perfectionnait en même temps, et attei-
gnait son plus grand développement. Les premiers incunables sur
cuivre, comme les premières productions de la gravure sur bois,
semblent nous être venus de la haute Allemagne, vraisemblable-
ment de l'ancienne Bavière. Il est certain, en tout cas, que la gra-
vure sur cuivre a été mise en usage en Allemagne bien avant
d'être introduite en Italie*. Ce furent des orfèvres allemands qui
eurent les premiers l'idée de tirer sur cuivre les copies d'images
religieuses qu'ils propagèrent ensuite; et le premier emploi de la
nouvelle découverte fut de servir à l'instruction religieuse du
peuple. Les deux principaux graveurs sur cuivre de cette époque,
Franz de Bohold et Israël de Meckenen (mort eu 1503), restent tous
deux fort en arrière, comme habileté technique, de deux maîtres
de génie qui ne nous' sont connus que par leur monogramme, et
dont les dessins portent la date de 1451 à 1466. Nous y admirons
une observation de la nature bien plus vraie, plus délicate et d'un
style plus large que dans les compositions des artistes que nous
venons de nommer '\
C'est à l'école d'un de ces maîtres inconnus (dont les initiales sont
E. S.) que se forma Martin Schongauer, plus célèbre peut-être encore
comme graveur que comme peintre. En invention, sentiment, simple
grandeur de style, non-seulement il surpasse ses pr^'décesseurs, mais
il est au-dessus de tous les artistes qui le suivirent, si nous en excep-
tons Albert Dürer. Ses gravures, dont soixante-dix nous ont été con-
servées, se répandirent rapidement et lui méritèrent une réputation
' Voy. Van Eye, p. 280-320. — Llthardt, p. 3. — Voy. .1. ALDEMcmcHEX, Die
Mitulalterliche Kunslin Soest, p. 23-24, et planche 4. {Ronn, 1875.)
- Voy. Baader, t. II, p. 36, 63-70.
' Thausing, Durer, Geschichte seines Lehens, p. 370-373.
* Voy. SiGHAUT, Histor. und Polit. BL, t. LVII, p. 822. — W. SCHMIDT, p. 35-3G.
— Schott, p. 2-3.
' Otte, p. 802-803. — Klgler, Handbuch, t. II, p. 494. — SCHOTT, p. 9-10. — Vov.
Von der Linde, p. 13.
GRAVURE SUR CUIVIIE. 183
européenne. Michcl-Anjje lui-même s'imposa, dit-on, le minutieux
travail de copier l'une d'elles '. Le dessin de la Tejiladon de saint
Antoine exerça à lui seul une puissante influence sur l'art. Parmi
les élèves qui se formèrent à Colmar dans son atelier, il faut citer
Barthélémy Zeilbloom, d'fjlin, ancpiel sont allrihués plus de cent
cin<{uanle dessins d'un reniar<|ual)le fini-.
Mais on ne saurait parler de la f,ravure sur cuivre sans en revenir
encore ;i Albert Durer, auquel elle est redevable de son immense
extension, de sa mise en œuvre si variée, de son perfectionnement
admirable. C'est encore à lui qu'on doit les premières eaux-fortes. Ses
dessins furent reproduits en Allemajyne et à l'étranfjer plus fréquem-
ment encore que ceux de Schonp^auer, et des maîtres illustres comme
André del Sarto, Nicolas Alunno, Marc de Ravenne, y puisaient des
motifs pour leurs tableaux. C'est donc avec un orgueil fort légitime
que l'ingénieur militaire Daniel Specklin a rangé la gravure sur
cuivre « parmi ces arts subtils qui doivent leur finesse et leur per-
fection aux Allemands \ bien qu'en puisse dire l'Italie ».
Schongaucr ne s'était pas borné à reproduire des sujets religieux;
son burin avait retracé les sujets les plus divers, animaux, armoiries,
motiis de tout genre ^ Mais Dürer étendit encore le domaine de la gra-
vure et la mit au service de toutes les formes de la pensée : histoire,
mythologie, humour, satire, allégorie, architecture, paysages, por-
traits, il y a de tout dans son œuvre, et son invention est aussi féconde
que son labeur est infatigable. Parmi celles de ses compositions qui
sont d'un intérêt historique universel, trois sont particulièrement
dignes d'être étudiées, parce que l'artiste a su y donner vie à sa
manière personnelle d'envisager le monde et les choses. Elles sont
intitulées : le Chevalier, la Mort et le Démon (1513), Saint Jérôme, et
la Mélancolie (1514). Ces trois dessins s'expliquent réciproquement
l'un par l'autre ^ A la profondeur tout ta part de l'expression, au
fini de l'exécution, on est facilement averti qu'on a sous les yeux les
modèles les plus achevés qu'ait jamais pu produire la gravure sur
cuivre.
Dans la première de ces compositions nous apercevons un guerrier
chevauchant parmi de sombres replis de rochers, loin de tout sentier
' Springer, p. 179-180.
2 Voy. Uassler, p. 118-119.
' Voy. Springer, p. 17i-175.
* Pour plus de détails, voy. W. SciniiDT, p. 35-38.
^ Voy. les diverses interprétations de ces trois dessins dans Van Eye, p, 349-
356. — Allihn, p. 95-115. — [atiiardt, p. 46-49. — Waagen, p. 223-226. — Thau-
SlNG, Durer, Geschichte seines Lebens, p. 450-454. — Kai;f:\Ian\, .J. Durer, p. 38-42. —
Sur saint Jérôme et la Mélancolie, voy. Springer, p. 200-201,
184 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
tracé. Il est revêtu d'une armure brillante. A ses côtés se tient la
Mort, dont la tête est couronnée de serpents entrelacés. Elle pré-
sente en grimaçant au chevalier le sablier fatal. Le démon, sous une
forme plus repoussante encore, armé d'une lance crochue, étend vers
lui sa griffe. Mais sans se laisser épouvanter par la mort ou par le
démon, ne regardant ni à droite ni à gauche, le chevalier poursuit
sa marche avec assurance. Sa ferme foi, la conscience du devoir
loyalement accompli, lui donnent la certitude de la victoire '.
L'artiste complèle la pensée d'une portée générale qu'il a cherché à
exprimer dans son premier dessin, par le second qui nous transporte
dans la chambre de saint Jérôme. Tout dans cette composition res-
pire un charme intime, tout y est agréable aux yeux. Saint Jérôme
est assis devant un pupitre et écrit. Autour de lui règne un ordre
plein d'harmonie. Un soleil radieux pénètre à travers les petites
vitres rondes des fenêtres, et répand dans la chambre sa joyeuse
clarté. Un lion, aux yeux à demi fermés, étend ses membres à cette
chaleur bienfaisante. A ses côtés, un chien ^ dort profondément.
Aucune pensée troublante, nulle anxiété venue du dehors, n'altèrent
la bienheureuse sérénité, la foi calme et profonde qui se reflètent
sur le beau et expressif visage du Père de l'Église. Mais cette paix
dont il jouit, le saint n'entend pas la garder pour lui seul : il est
absorbé tout entier dans un travail qui le reud heureux, et qui aura
pour but d'en répandre au loin les fruits.
La troisième composition est d'un caractère tout différent. Une
femme aux ailes d'ange nous y est représentée. Sa tête couronnée
de myrte est appuyée sur sa main gauche. Sa main droite tient un
livre et un compas. Elle est assise au bord de la mer, et plongée dans
une méditation profonde. Un maigre lévrier, qui parait épuisé de
fatigue, est couché à ses pieds. Tout autour d'elle, dans un désordre
qui est un véritable chaos, et dont l'effet désagréable est rendu plus
pénible encore par le reflet blafard d'une comète qui perce les nues,
sont jetés çà et là, pêle-mêle, les instruments, les symboles diffé-
rents des sciences humaines. Ici, point de soleil réchauffant, point
d'agréable bien-être, nulle trace des doux effets de ce contentement
intérieur que possède le chevalier parmi les plus redoutables périls,
et qu'exprime le visage de saint Jérôm.e absorbé dans son travail.
La rêveuse est plongée dans de sombres et profondes pensées. Son
regard se perd au loin. Ses traits expriment une souffrance amère.
Ces trois dessins marquent les limites de deux âges bien différents
' Voy. Van Eye, p. 361. IL Grimm établit un rapprochement entre le dessin :
le chevalier, la mort et le démon, et le Enchiriitinu iniliiis christia/ii d'Érasme. —
Voy. Preussiche Jahrbücher, 1875, t. XXXVI, p. 543-549.
* Ou un reuard.
ÉI^ÈVES D'ALBERT DURER. 185
dans riiistoirc de la civilisalioii et de la foi en Allemagoe. En efTct,
si Ton reconnaît dans les deux premiers le symbole d'un siècle calme
et lerme dans sa croyance au milieu même de la lulle, d'un sK'cle
plein d'activifc, mais alfranchi de loute incertitude sur les questions
les plus sublimes et les plus redoutables (}ui intéressent notre être,
le troisième est an contraire rima[;c d'un temps présomptueux, trop
confiant en lui-même, cherchant a résoudre les problèmes de l'exis-
tence et de la nature par ses propres investifjations, par le seul
secours des sciences iiumaincs, et restant en même temps torturé par
la terrible certitude de l'impuissance de ses efforts. L'artiste, pour
adoucir l'impression qu'il a produite, a étendu un arc-en-ciel sur la
vaste mer, comme un symbole de paix.
Parmi les nombreux élèves et successeurs de Dürer, aucun, même
do loin, ne peut être comparé au " prince des graveurs ;. Aucun ne
possède son enjouement naïf, son inspiration féconde, sa profondeur
de sentiment, bien que plusieurs d'entre eux, comme Hans Schäuf-
felin, Albert Altdorler, Henri Aldegrever, Hans Sébald Beham, fus-
sent passés maîtres dans la prali(iue de leur art; mais malheureu-
sement bien des disciples et imitateurs d'Albert Dürer perdirent
la noble simplicité du style allemand, et tombèrent dans un style
froid et maniéré'. En ce qui concerne la gravure, on put bientôt
s'apercevoir que les artistes n'arrivaient ä produire des œuvres
remarquables qu'autant qu'ils restaient fidèles aux traditions, au
génie, à la façon de sentir et de penser qui avaient inspiré leurs
maîtres, qu'autant qu'ils s'abreuvaient à cette source de foi où Dürer
avait si abondamment puisé. Plus ils se séparèrent de l'inspiration
primitive et renoncèrent aux vigoureuses pensées d'autrefois, plus
ils perdirent les convictions religieuses, et par conséquent le sens
moral dans sa plus haute expression, plus ils virent la puissance
créatrice leur échapper, et, peu à peu, ils tombèrent dans une com-
plète vulgarité.
Donnons toutefois un rang à part à Lucas Cranach (né en 1472);
c'est lui qui implanta en Saxe l'art de Dürer ^; il est resté le plus
célèbre de ses élèves. Dans ses premiers dessins (1504-1509), nous
admirons une délicatesse délicieuse, une grâce, une naïveté qui nous
enchantent. Parmi les compositions qu'il donna alors au public,
beaucoup sont dignes d'être mises au rang des plus remarquables de
l'époque. Aussi le Nurembourgeois Christophe Scheurl n'hésite-t-il
' Voy. Klgler, Handbuch der Kunstgeschichte, t. II, [). 494-495. — Va\ Eye, p. 263-
264.
' Voy. l'ouvrage illuslré de C. AnüI\K\, Monumente des MitlclalteTS und der Ihnais-
sance aus dem Sachsischen Erzgebirge. (Dresde, 1875.)
186
L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
pas à lui donner la première place après Dürer parmi les maîtres
allemands. Mais peu à peu Cranach donna dans un faux sentimenta-
lisme, et, d'année en année, son talent tomba dans un plus triste
abaissement'.
' Voy. KUGLER, Handbuch der Malerei, t. II, p. 253-260. — Schwase, dans la Kunst-
blatt, 1849, n" 14. Cranach travaillait à Wittenberg, comme un fabricant, avec un
grand nombre de rapins barbouilleurs. Outre cela, il avait une boutique de
livres et de papier, et était propriétaire de la pharmacie de la ville. — Voy.
ScHLCHARiiT, Lucas Cranach, t. I, p. 68-71. — Otte, p. 778. — Voy. aussi IIOLL.VND,
p. 202-203. — Allihn, p. 60-61. — La description de diverses caricatures par
SCHLCHAnDT, t. II, p. 240-247. — Voy. nos Documents, t. II, p. 427, et t. III, p. 533.
CIIAPITHE IV
VIE ropuLAiiu:, d'après le témoignage des arts plastiques.
I
Pendant sa période d'épanouissement, l'art allemand fut le miroir
fidèle des âmes, des caractères, des idées, des tendances, de toutes
les manifestations delà pensée du temps fécond et mouvementé dont
nous nous occupons. Tout ce qui intéressait la vie de la nation l'inté-
ressait, et ce qui dominait dans les idées reçut, grâce à lui, son
expression la plus haute.
Les deux traits caractéristiques de l'esprit allemand à cette époque,
c'est une religieuse gravité auprès de laquelle se montre sans cesse
une veine humoristique pleine de iVaicheur et de sève.
L'humour, dans son essence, l'humour qui n'est que le jeu intelli-
gent des contrastes, fleurit toujours abondamment dans les périodes
où l'art chrétien et la littérature chrétienne ont prédominé. Il ne
leur appartient pas exclusivement, mais nous serons toujours sih's de
le rencontrer là où ils ont une grande influence. En effet, ce jeu des
contrastes ne peut se produire librement que si de solides principes
sont posés. Or c'est le christianisme qui, pour la première fois, a donné
il l'esprit humain la claire conscience de ses grandeurs et de ses fai-
blesses, aussi bien que du rapport qui existe entre sa liberté et
les lois éternelles de Dieu; c'est donc le christianisme qui a fondé le
centre inébranlable autour duquel peut se mouvoir l'humour ', et
c'est pour cela qu'aussi longtemps que la vie personnelle, la vie privée
et publique reposèrent sur la base affermie de la religion, aussi long-
temps que l'Église donna l'unité et l'âme à l'organisme compliqué
du moyen âge, l'humour demeura vigoureuse, saine et vivace
parmi le peuple, et se répandit au dehors dans une expansion riche
et variée. La poésie de la vie populaire au moyen âge, dans ses
' Voy. ReiCHENSPERGER, Mélanges, p. 471-478.
188 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
diverses manifestations : jeux publics, divertissements, fêtes sou-
vent singulières où les fous et les ânes avaient un rôle ', innombra-
bles facéties et récils comiques qui charmaient tant nos aïeux, nous
atteste ce fait, et les ans plastiques, comme la littérature, nous
apportent le même témoignage. L'humour ne peut déborder avec
cette puissance que dans les siècles de foi, alors que les volontés sont
vigoureuses et les sentiments profonds; les gens convaincus et
croyants portent seuls dans la vie de tous les jours la liberté et
l'audace, parce que le bon sens et le courage dirigent leurs intel-
ligences. Ils sont joyeux de vivre; en eux, les organes les plus
nobles et les plus intimes de la pensée restent intacts, même lorsque
leur gaieté devient crue et môme irrévérencieuse. Dans les âges
d'incrédulité, au contraire, il n'y a j as d'humour, et il n'y en a pas
davantage dans les époques où règne une étroite bigoterie.
Si l'Église du moyeu âge eût voulu réprimer l'humour, sa grande
autorité lui eût rendu l'entreprise bien facile; mais elle était très-
éloignée d'un pareil dessein. Comme elle embrassait l'homme tout
entier et comprenait tous ses besoins, toutes ses aspirations, elle
laissait un libre essor aux manifestations légitimes de la pensée, elle
leur accordait une pleine indépendance, pourvu (jue la raillerie ne tou-
chât ni à la foi proprement dite, ni à elle, qui s'en était constituée
la gardienne. Elle favorisait l'humour, elle lui laissait même pour
ainsi dire - monter la garde auprès des choses saintes -, comme si elle
eût aimé que l'homme fût souvent rappelé au souvenir de tout ce qui
sépare du divin sa nature infirme et bornée. Ce n'était pas seule-
ment sur les portails des églises, sur les gargouilles ou autres parties
secondaires de l'extérieur des édifices religieux qu'on apercevait des
figures grotesques; l'humour posait sa raillerie malicieuse et spiri-
tuelle sur les piliers et les lutrins, jusque dans le sanctuaire, et même
sur le tabernacle. D'une amusante espièglerie elle passait souvent à
une foudroyante satire; mais, dans toutes ses manifestations, elle ne
cessait d'attester une ardente soif pour la vérité, une conviction pro-
fonde du néant de toulesles vanités de la terre, et ce continuel combat
entre le bien et le mal qui se livre dans l'àme humaine. Elle flagellait
les extravagances du temps et ne se lassait pas de prémunir les hommes
contre l'orgueil et la vanité. Les figures grotesques et satiriques que
nous apercevons à l'intérieur des églises et des cloîtres, et qui sont si
fréquemment placées sur les sièges des prêtres, dans les stalles des
' • Nos fêtes religieuses et populaires du moyen Age. dit GrRviNus.ft. II, p. 277-
278). étaient pleines de vie poétique, de joies élevées : qui n"envierait ce temps,
maintenant que chez nous tout est étouffé par la routine? Il faudrait avoir
perdu l'esprit, ajoute-t-il, pour préférer les divertissements du présent à ceux
d'autrefois. •
I.MIUMOUR DANS L'ART. 189
rclifjieux, rcmplis.s;iieiit auprès du clergé le même rôle que jouaient
les Tous à la cour auprès des rois. Ceux-ci, dans i'espril du icmps,
è(aien( donnés aux princes ^ comme ces miroirs bombés dans lesquels
leur apparaissait, plaisamment parodiée, leur figure de travers et
(oute rapetissée '. » Tant que rK{>lise resta ferme et inébranlable sur
ses piliers éternels, elle ne |)ut qu'approuver la guerre entreprise par
l'humour contre les abus existants. Il ne lui déplaisait pas de voir
traités sans miséricorde ceux qui avaient entre les mains le pouvoir
spirituel ou temporel ; elle aimait à voir l'orgueil, la mollesse, l'amour
immodéré des biens de la terre, tournés en ridicule. Ces railleries ne
devinrent dangereuses, en effet, que lorsque le principe d'autorité
venant à s'ébranler, la conduite de Dieu sur son Église étant niée,
l'humour se débarrassa du frein salutaire qu'une loi supérieure lui
avait imposé : alors ce qui avait été autrefois gaieté devint basse
bouffonnerie; l'amusante satire se changea en caricature vulgaire,
et tomba enfin dans cette grossièreté sans mesure qui devait avoir
plus tard nue influence destructive et funeste sur tous les liens
sociaux.
Mais lorsqu'une loi sage et restrictive tempérait l'exubérance de
la force, alors qu'un but élevé, immuable, était placé devant tous les
yeux, le contraste entre les choses graves et plaisantes, sublimes
et ridicules, n'était pas seulement toléré, il était aimé, bien que
dans le libre espace laissé à la lutte, les chocs fussent quelquefois
d'une extrême rudesse. Un artiste, par exemple, orne la page d'un
petit livre de prières; son pinceau délicat y donne le témoignage
de sa patience infinie, de son fervent amour, de sa piété profonde;
mais, dans les feuillages entrelacés de sa vignette, il place un singe
habillé en chasseur qui dirige son arbalète vers un autre singe,
lequel lui présente en guise de cible le bas de son dos ^ L'hu-
mour coule à flots dans les admirables dessins à la plume exécutés
par Dürer pour le livre d'heures de Maximilien '. Pour commenter
une prière sur la connaissance de l'humaine misère, l'artiste nous
présente un médecin maigre et ratatiné, contemplant un urinoir
à travers de grosses lunettes, tandis que de la main gauche il retient
son chapelet, qui glisse sur son dos. A côté d'une prière contre la
tentation, il nous montre un renard au bord d'une flaque d'eau,
jouant de la flûte et attirant les poules qui, toutes, viennent mala-
' Gorhes, Volksbücher, p. 294-295.
2'Voy. Falke, t. I, p. 279.
^ A. Dl'REr's Baïuheichuungcn aus dem Gebetbuch des Kaisers Maximilian, Maximilien
von F. X. Stößer. (Munich, 1850.) — Voy. l'explication des dessins dans Heller,
t. IF, p. 869-886. — Thausing, Durer, Geschichte seines Lehens, p. 380-381. — L'ouvrage
de Schäfer, Deutsche Stiidletcahrzeichen, ihre Enlslchunç}, Geschichte und Deutung, t. J.
(Leipzig, 1858.)
190 L'ART ET LA VIE POPULAIRE,
droiteraent se livrer à lui. Près cVuu charitable donneur d'aumônes,
il place un autre renard qui a volé un poulet. A coté d'un ange qui
prie, un satyre joue de la trompette. Sous David qui chante les louan-
ges de Dieu sur la harpe, un butor pousse son cri strident. Une exhor-
tation adressée aux puissants de la terre est commentée par un dessin
où nous voyons un empereur tenant d'une main la mappemonde et
de l'autre son sceptre, traîné dans un char par un bouc, qu'un
petit enfant, monté sur un cheval de bois, tire par la barbe. Mais le
plus amusant de tous ces contrastes se trouve dans la page qui
représente la Sainte Vierge en prière. Marie est plongée dans un
fervent recueillement; le Saint-Esprit plane sur sa tête virginale,
tandis qu'à sa gauche, dans un coin, le démon, exaspéré par une
épouvantable grêle, s'arrache les cheveux et s'enfuit en hurlant. La
satire, par ces jeux capricieux de lumière, servait à mettre en relief,
dans toute leur profondeur et leur puissance, les idées graves et
sublimes de la foi. Dans les dessins représentant le démon, et
lorsqu'il s'agissait de faire comprendre à la fois sa haine contre
l'Église et son impuissance finale, il est rare qu'on ne trouve pas
quelques traits plaisants. A côté de lui, les petits anges que les artistes
occupent à toutes sortes de jeux enfantins, et qui témoignent leur
joie naïve, ressortent avec un charme d'autant plus aimable.
Les folies, les travers du temps sont raillés en traits piquants, en
mordantes satires dans d'innombrables gravures. La vanité, la pas-
sion ridicule des femmes pour les ajustements, y sont tournées en
dérision avec une sorte de prédilection. Les présomptueux et les fats,
jeunes ou vieux, qui veulent plaire et s'imaginent être aimés, servent
aussi de cible à la plaisanterie d'une peu enviable manière. Mais les
paysans bouffis de vanité, amoureux d'un luxe au-dessus de leur état,
doivent endurer plus que tous les autres le fouet de la satire : l'art
du quinzième siècle ne se lasse pas de les fustiger.
Le paysan d'alors, dans la plupart des contrées allemandes, n'était
pas cet homme opprimé, courbé sous une morne résignation, que
nous voyons apparaître après la grande révolution sociale du seizième
siècle; c'est un être vigoureux et hardi, une nature pleine d'énergie,
fortement attachée à la vie. Il a le droit de porter des armes, il est
en mesure de se défendre, tout comme les membres des corporations
ouvrières des villes. Il prend part à la vie publique, aux réunions
communales, aux assises populaires. On peut apprécier dans les docu-
ments de l'époque qui le concernent, et qui sont eu si grand nombre,
l'importance de la place qu'il occupe dans la société. On est si bien
renseigné sur lui, grâce aux nombreux témoignages qui nous ont
SCÈNES VILLAGEOISF.S. 191
(Mé conservés, que nous sommes plus â môme de connaître sa
vie, ses mœurs, ses faiblesses, ses ridicules, ses plaisirs ou ses
accès de colère, que le degré exact de civilisation des classes plus
élevées '.
En Franconic, eu Bavière, eu Bris^jau, en Alsace, là précisément
où devaient se montrer plus tard les premiers signes avant-coureurs
de la guerre des paysans, l'homme de la campagne vivait en général
dans des conditions de grand bien-être. L'aisance dont il jouissait
le rendait orgueilleux; il ne s'estimait pas au-dessous des classes
supérieures. 11 imitait les mœurs et les plaisirs des nobles, et s'ha-
billait avec du velours et de la soie. On lit dans un des Diver-
tissements pour le carnaval, édités à Nuremberg, où se trouvent
à l'adresse des paysans des railleries si fréquentes : '- Les paysans
ne peuvent plus supporter que les nobles et leurs enfants s'ha-
billent autrement qu'eux. » « Autrefois, ajoute la satire, les villa-
geois portaient des manteaux gris, des bonnets gris, un chapeau
grossier, une blouse de chanvre ou de lin. Leurs souliers étaient
attachés avec des écorces d'arbre, leurs cheveux étaient coupés
au-dessus des oreilles, " à la mode wende », les selles, les har-
nais de leurs chevaux étaient simples. » « Mais maintenant qu'ils
portent des habits de soie, comme les chevaliers, tout va mal. "
Sébastien Brant 'dit aussi dans la Nef des fous : « Les paysans por-
tent des habits de soie et des chaînes d'or; ils ne supportent plus
le coutil grossier, il leur faut du drap de Londres ou de Malines. Ils
s'en font des habits avec des crevés à la dernière mode, des vêtements
de toutes couleurs, de toutes fourrures. Ils portent sur leurs manches
l'image d'un fou; les gens de la ville peuvent maintenant prendre
lies paysans de bonnes leçons de luxe et de vice! »
Les gravures du temps ne cessent d'amuser le public aux dépens
des paysans. On aimait à se divertir de leurs ridicules, et les dessins
représentant des scènes de mœurs villageoises étaient alors fort
appréciés. — Sur la dernière page, entourée de vignettes, du livre
d'heures de Maximilien, Durera fait l'excellente satire d'une ; danse
rustique ». Un villageois et une villageoise s'élancent pour danser;
la femme a de longs cheveux flottants et une robe traînante comme
celles des dames de la ville; l'homme, la bouche largement ouverte,
lève gauchement la main. Un autre couple exécute une - danse de
cour » : le paysan plein de gravité qui s'apprête à la commencer
})orte un verre d'eau sur la tête et, gravement, se met en mesure de
danser-.
' Voy. Allihn, Dürersludien, p. 82-94. — Voy. Seeker, p. 413
= UüLAND, t. II, p. 394.
192 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
Un dessin à la plume attribué à Martin Scliongauer est encore plus
malicieux : des paysans petits-maitres dansent avec leurs belles;
Tartiste, comme Dürer, tire un excellent parti des ridicules de ces
jeunes fats, de ces grosses paysannes qui s'habillent à la mode
des villes et trahissent involontairement leur origine par leurs mou-
vements lourds et sans grâce '. Les villageois, avec leur faux vernis
de cour, leurs prétendues belles manières, rappellent l'aventure de
Don Quichotte lorsqu'il voulut s'accoutrer en chevalier. Ils ont
emprunté au costume des nobles, éperons, ceinture et épée, sans
pouvoir cependant dissimuler leur gaucherie; les fourreaux de leurs
épées sont détériorés, et çà et !à on aperçoit le genou nu â travers le
haut-de-chausses déchiré '\
Presque tous les artistes de ce temps ont reproduit par la gravure
les scènes populaires les plus variées, et grâce à eux nous avons
sous les yeux, dans un relief vivant et animé, le tableau des mœurs
populaires de l'époque; nous pouvons donc suivre le paysan dans ses
travaux et dans ses plaisirs, et établir facilement entre la vie d'autre-
fois et celle d'aujourd'hui d'intéressants rapprochements, une mi-
niature, ou bien un vitrail, nous fait assister à un marché. Des
jeunes filles et des femmes assises offrent et vantent leur marchan-
dise. Il y a du pain blanc, du beurre et des amfs dans les paniers,
du lait dans les cruches, des pigeons et des poulets dans les corbeilles
tressées qu'elles portent sur la tête. Les robes des marchandes sont
d'une grande simplicité, elles couvrent le buste, enveloppent jusqu'au
cou, et s'ajustent au corps avec grâce; les manches sont modéré-
ment larges; les jupes tombent jusqu'aux pieds, mais ne sont point
d'une longueur gênante. Le tablier est noué; les cheveux, séparés
sur le front, tombent librement sur le dos pour les jeunes filles,
tandis que les femmes plus âgées ou celles venues de la ville, les
cachent sous un fichu qui tombe en larges plis ou s'attache sous le
menton ^
Les dessins représentant les divertissements et les jeux sont éga-
lement intéressants : une gravure, par exemple, nous initie aux
jeux du monde enfantin; les enfants jouent à la toupie, à la main
chaude, à colin-maillard, à la balançoire, à la culbute^. Une autre
' Voy. Falke, p. 313-314.
' Voy. Allihn, p. 90. Sur le luxe d'habillement des paysans, voyez aussi Nor-
TiENBERG, Kölnisches Literaturleben, p. 27-28.
^Voy. Falke, t. I, p. 311-312.
* Zingeile a prouvé dans son charmant travail intitulé : Die deutschen Kinderspiele
im Mittelidier, qu'on peut lire dans les comptes rendus des séances de l'Académie
de Vienne, t. LVII, p. 119-169, que les petits paysans d'autrefois possédaient la
LES MARCHÉS, LA DANSE. 193
nous fait assisteraux jeux dcsliommcs laits. Les joueurs sont allablés
auiour des ccliiquiers cl des damiers. Là, au milieu de la bruyante
allégresse du peuple, on planle un mai; ici c'est une fête d'arquebu-
siers qui s'apprête. Comme la danse appartenait aux divertissements
favoris de ce temps, et qu'elle était un véritable besoin pour foules les
conditions, les artistes la prenaient très-souvent pour motif de leurs
coFnpositions. Le peuple et la petite bourgeoisie s'ébattaient en plein
air ; on ne savait ce que c'était que de danser dans un espace resserré,
et jamais les auberges n'avaient de salle de danse. Nous voyons le peuple
se presser gaieuîcut sur la place ou sur la pelouse; la cornemuse, le
tambour, le tambourin, le violon accompagnent les pas des danseurs.
Ouant aux gens des classes plus élevées, ils avaient leurs salles de danse
particulières, et quelquefois les sa les de l'iiôlel de ville leuren tenaient
lieu, une gravure sur cuivre d'Israël de Meckenen nous fait assister à
une de ces fêtes qui se célébraient souvent dans le Bas-Rhin à la fin
du quinzième siècle. Au milieu de la salle, élevés sur une large estrade
soutenue par des poteaux, les musiciens soufflent dans leurs instru-
ments. Les couples dansants se meuvent alentour avec une extrême
diL^iculté, à cause des vêtements étroits des hommes, de leurs souliers
pointus ou de leurs larges pantoufles, mais surtout à cause des longues
traînes des dames qui embarrassent les pieds des danseurs; tout le
plancher de la salle en est couvert. Une étonnante variété règne dans
les costumes des femmes; ils sont tantôt larges, tantôt étroiis; là
modestes, ici inconvenants. Les coiffures sont, ou pointues en pain de
sucre avec des voiles tombant jusqu'à terre, ou en forme de turbans,
ou plates et ornées de guirlandes et de rubans. Les hommes ont une
veste étroite qu'une seconde veste plus large recouvre; elle est ouverte
ou rattachée sur la poitrine par des brandebourgs. Ils portent aussi
quelquefois un long pardessus fermé par des attaches et tombant jus-
qu'à terre, ou bien encore un petit manteau court. Le cou et les épaules
sont découverts; tous les visages sont sans barbe, mais entourés de
longs cheveux bouclés. Pour coiffure, un ruban bariolé, un béret
orné de plumes, ou bien un bonnet ayant la forme d'un mouchoir
plié. On peut se rendre un compte très-exact de la variété, des cou-
leurs bigarrées, de la richesse, de la forme, du luxe des vêtements et
des étoffes, en examinant attentivement les tableaux d'autel, les
miniatures, les émaux du temps, car tout ici a été pris sur le vif et
emprunté à la réalité de la vie de tous les jours. Nous y voyons des
habits de cérémonie en brocart; des robes brodées d'or, sur un fond
rouge, noir, vert, bleu; des manches chamarrées d'ornements,
ouvertes, déchiquetées; des robes semées de perles et de pierres
plus grande partie des jeui et des jouets qui amusent actuellement la jeunesse
de ngs villages.
13
I9i L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
précieuses; autour du cou et des épaules sont souvent enroulés jusqu'à
six ou sept rangs de cliaiues d'or ou de fil de corail; les doigts sont
ornés de bagues '.
On peut aussi se rendre compte du luxe extraordinaire, de
l'étonnante variélé des costumes de l'époque, surtout de ceux des
femmes, en jetant les yeux sur les inventaires que nous possédons
encore de la garde-robe des bourgeoises à leur aise. La femme
de Georges Winter, bourgeois de Nuremberg, dans la liste qu'elle
dresse des effets donnés à sa fille en mariage (1485), désigne parmi
beaucoup d'autres objets : quatre manteaux de drap d'Arras ou de
Malincs (deux doublés de soie), six robes, un manteau et trois robes
longues, trois habits de dessous, six tabliers à manches, dont un noir;
deux robes blanches pour le bain, cinq chemises, deux peignoirs,
deux guimpes, sept paires de manches, dix-neuf voiles; entre autres
bijoux, environ trente bagues. Un bourgeois de Breslau donne à sa
fille, dans son trousseau : un manteau doublé de fourrure et une robe
semblable, quatre robes de différents prix, plusieurs bonnets, cein-
tures et manches, un corsage orné de perles, et une bague d'alliance
de la valeur de vingt-cinq florins. La fille d'un autre bourgeois de
Breslau reçoit par ses tuteurs, dans l'héritage de sa mère (1490),
trente-six bagues en or, des ceintures, des agrafes, des chaines.
Les coiffures du temps, pour les hommes comme pour les femmes,
sont de formes variées et bizarres; quelques femmes portent des bon-
nets pointus, longs d'une aune; d'autres, un long bourrelet bigarré,
orné de cordons de perles, d'or, de pierreries, de fleurs ou de plumes.
Les coiffures des jeunes filles de la bourgeoisie des villes sont parti-
culièrement étranges : ce sont des fichus blancs, formant de roides
coiffes, attachées pour la plupart à une haute et large carcasse en
fil de fer; un ruban posé par-dessus les lie sous le menton. Les cha-
peaux et les bonnets d'hommes ne sont pas moins bizarres. Un livre
de droit municipal de la ville de Hambourg nous offre, dans ses mi-
niatures, des personnages coiffés de chapeaux hauts et bas, aux bords
larges ou étroits, retroussés par devant et pendants par derrière, ou
vice versa; des chapeaux de fourrure commune, de feutre, de drap
de toutes couleurs, divisés en deux, rayés, ornés de plumes, de
galons de ganses d'or, quelquefois de bandelettes tombant jusqu'à
terre. ?sous y voyons aussi des bonnets de tous genres, en fourrure,
en feutre ou en drap, carrés, ronds ou pointus, et des capuchons ornés
d'un ou de plusieurs glands bariolés.
' Les joyaux d'autrefois, comme nous l'avons déjà dit, avaient toujours une
valeur artistique. La perfection avec laquelle sont peintes les armoiries de cette
époque prouve combien dans la noblesse le luxe était plein de goût.
COSTUMES POPULAIRES DU PEUPLE. 195
Le plus bel ornement pour un homme était alors une lon{jue che-
velure bouclée, et Ton mettail beaucoup de temps et de soin à sa coif-
fure. Lorsque le fils du riche palriciendc Bûle Jérôme Tchekenburlin
prit en dégoi\t les vanités du siècle et entra, à vinjjt-six ans, dans
l'Ordre des Chartreux, il fit faire son portrait dans le vêtement de
fête avec lequel il était entré au couvent. Il y est représenté la tète
bouclée et crêpée; les cheveux couvrent le front, et tombent sur le
cou nu, dans une riche profusion. Dans le portrait du jeune roi
Maximilien, nous voyons également de longs cheveux blonds, symé-
triquement arrangés et tombant jusque sur les épaules en ondula-
tions régulières. Le portrait d'Albert Dürer, qui le représente dans
sa jeunesse (il était simple fils d'orfèvre), nous le montre coiffé de
longues boucles soigneusement ondulées, tombant orgueilleusement
sur la nuque bien dégagée. 11 n'est pas rare, dans les dessins du temps,
de voir cette masse de boucles entourée d'un cercle de métal peint et
fermé par une élégante agrafe d'or à laquelle on attachait un pana-
che de plumes de héron, ou bien une couronne de lierre naturel.
Les hommes portaient aussi quelquefois des couronnes de fleurs.
Au lieu de ces libres et longs cheveux bouclés, les femmes por-
tent pour la plupart des nattes épaisses plaquées près des oreilles;
on leur adresse souvent le reproche de se servir des cheveux des
morts et de les tresser avec les leurs. Les jeunes filles enferment
leurs nattes dans des filets dorés ou dans de petits sacs d'étoffe
voyante, dorée, entremêlée de fils d'or et de perles, semée de pierres
précieuses; de petites plaques d'or y sont suspendues '. Le dessin
des Fiançailles de la Vierge, par Dürer, nous permet d'étudier le cos-
tume des jeunes fiancées de la haute bourgeoisie. La Sainte Vierge
porte une robe très-riche garnie de fourrure, avec de larges manches
et une traine. Sous cette robe, une autre robe de dessous, en velours,
est visible seulement parles manches étroites qui viennent jusque sur
les mains. Marie porte une petite coiffe et un voile; une de ses com-
pagnes, Nurembourgeoise de bonne famille, porte uu manteau de
pluie à longs plis et une coiffe de lin très-boulfante ^
Dans la classe ouvrière, les couleurs des habits sont plus variées
encore que les façons. Des tailleurs de pierre, des charpentiers
sont représentés à leur travail en vêtements rouges, en culottes
et en bonnets bleus, ou bien eu habits jaunes avec des culottes et des
bonnets rouges. D'autres ont des habits de deux nuances, bleu clair
et jaune, vert et rouge. Les marchands, derrière leurs comptoirs,
portent aussi des costumes voyants et bariolés. Un paysan, condui-
' Falke, t. I, p. 279-305. — Documeiils, t. V et t. VL
'Van Eye, p. 299.
13.
196 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
sant ses porcs au marché, porte un habit vert, un chapeau rouge et
des culottes brunes. Un charretier ou un vigneron qui pousse un ton-
neau sur sa brouette, parait en habit rouge doubié de vert; il porte
un bonnet rouge, des culottes bleues, et de courtes bottes d'écuyer
couleur de cuir. De sottes pimbêches de village ont des toilettes où
les nuances, étrangement mêlées, produisent reflet le plus ridicule:
la moitié de leur vêtement est d'une couleur uniforme, l'autre moitié
est de toutes les nuances de Farc-en-ciel, et divisée en tout petits
morceaux, bandes, carrés, triangles. On voit aussi des jeunes gens
habillés de rouge de la tête aux pieds. Les broderies étaient alors
très à la mode et d'une extrême richesse. Le Francfortois Bernard
Hohrbach surchargea tellement de broderies en fil d'argent les
manches de son habit, qu'il portait sur lui en l'endossant un poids de
onze marcs et demi d'argent (1464 j.
La variété de la vie, la mode, capricieuse et arbitraire, se reflètent
fidèlement dans les compositions de nos artistes. Les divers états
sont devant nos yeux; nous apprenons même à connaître ces gens
sans aveu, cette race paresseuse, ennemie de toute règle et de tout
travail, qui forme en tout temps comme la lie populaire des villes.
Qu'on examine, par exemple, dans le grand Portement de croix de
Martin Schongauer, les individus hideux qui traînent le Sauveur au
supplice : leur physionomie, leur aspect sont d'une vérité saisissante;
c'est le hasard, la chance ou la charité compatissante de quelque
bonne âme qui les a vêtus. L'un porte un pardessus, mais ses bras
et ses jambes sont nus; un autre possède un étroit haut-de-chausse,
mais il n'a point de souliers aux pieds, et les larges déchirures de sa
veste trop courte laissent apercevoir une chemise plissée. Un autre,
dont les épaules sont nues, porte un bonnet pointu sous lequel apparaît
une longue tresse de cheveux qui traîne sur son dos. Un troisième a
roulé un mouchoir sur sa tête en forme de turban. Un quatrième a
enfoncé sur ses cheveux ras un feutre mou et déformé. Un cinquième,
qui est nu-tête, laisse flotter au vent sa chevelure en désordre. Des
hommes ayant appartenu autrefois à une classe plus élevée sont
mêlés à cette troupe sordide : celui-ci porte un habit sans manches,
garni à toutes les coutures de franges et de nœuds de ruban ; les
manches de sa chemise sont retroussées jusqu'aux épaules; celui-là,'
dont les jambes sont nues et qui porte des souliers attachés avec de
la tresse de paille, a enveloppé fièrement ses épaules d'une peau de
mouton dans laquelle il se drape comme dans une hermine royale.
Un vieillard traîne négligemment un vieux froc de moine qu'il serre
autour de son corps décharné. Les attitudes, les physionomies, les
traits rudes, les articulations osseuses de tous ces personnages, qu'on
rencontre très-fréquemment dans les tableaux et les dessins du temps^
L'ART DANS L\ VIE DOMESTIQUE. 197
sont d'une vulgarité repoussante. Nous voyons revivre devant nous ce
prolétariat dépravé des villes qui joua un rôle si fatal dans les lutlcs
religieuses et polilirpies du seizième siècle.
AfCrancliis par leurs professions mômes de la mobilité et des
caprices de la mode, l'ouvrier, le bourgeois, le magislrat, le savant
comparaissent à leur tour devant nous. L'habillement des ouvriers
est voyant, bigarré, mais d'une extrême simplicité; ils portent un
costume court et commode, une sorte de blouse, des culottes larges
ou étroites, qu'ils renferment dans leurs boites longues ou courtes,
ou bien laissent flotter. Représentés à leur travail, ils ont en
général une veste sans manches, et les manches de leur chemise
sont retroussées jusqu'aux épaules. La tête, rasée court, est couverte
d'un simple béret plat, ou d'un chapeau de feutre. Quant aux bour-
geois, ils portent un habit assez long par-dessus leurs vestes courtes,
soit de la forme d'une blouse qui, fermée par devant, s'enfilait par
la tète, soit de la forme d'un manteau, et ouvert par devant. Leur
costume est en général de couleur sombre, noire ou brune, doublé de
fourrure ou garni de galons. Les docteurs, les savants, les médecins
portent une houppelande, avec ou sans ceinture, longue, large, tom-
bant presque sur les pieds, ouverte comme l'habit, ou fermée comme
la longue blouse, presque toujours de couleur foncée, quelquefois,
cependant, rouge. Un simple béret est posé sur les cheveux coupés
court '.
C'est ainsi que les artistes contemporains font défiler devant nos
yeux la respectable bourgeoisie allemande d'autrefois. Ils nous
montrent avec la même exactitude fidèle le foyer domestique de
nos aïeux. Que la chambre où Dürer a placé son saint Jérôme est
charmante! Elle a deux fenêtres, ornées de petites vitres rondes; le
plafond est en bois bruni. Voici dans le coin une de ces solides tables
de chêne qu'on aimait tant jadis; un crucifix et un encrier y sont
posés. La chambre est abondamment pourvue de tous les meubles et
ustensiles qui rendent la vie à la fois commode et agréable. On aper-
çoit, pendu au mur, ce grand sablier qui dans un intérieur bien
réglé ne pouvait alors manquer de se trouver. Sur une planche fixée
contre la muraille, voici des fioles de baume, la cire roulée qui tenait
lieu de chandelle, le petit coffre contenant les médicaments. Des
courroies attachées au mur retiennent des parchemins, des papiers
de toutes sortes, ainsi qu'une grande paire de ciseaux. A côté du
' F\L!cc, t. I, p. 305-316. — L'excellent ouvrage de Frisch (Nuremberg, 1876)
donne des descriptions pleines de vie des divers costumes de la fin du quinzième
siècle et du commencement du seizième.
198 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
rosaire, nous apercevons une brosse; une grande citrouille est sus-
pendue au plafond ; sous le banc, voici des sabots aux épaisses semelles.
Tout, dans ce dessin, respire le confort et le chaud bien-être de la
bonne vie allemande d'autrefois.
Dürer, dans son dessin de la Naissance de la Vierge, a complété
le portrait de l'ancien home allemand. On se trouve ici en pleine
réalité terrestre : dans le fond de la chambre de l'accouchée, un
escalier, occupant une large place, conduit à l'étage supérieur; il est
muni d'une solide rampe de madriers. Dans une niche, placée dans
le mur, se trouve un lavabo; une grosse boule creuse en métal, avec
un robinet, contient l'eau pour la toilette; au-dessous, sur une pierre
de support, voici le bassin où l'on faisait couler l'eau sur les mains;
à côté, l'essuie-main et la brosse. Sur une planche placée au-dessus de
la porte, sont posés un livre de prières à la reliure élégante, un chan-
delier artistement travaillé, une boîte à épices et deux fioles de
baume. Devant la fenêtre, nous retrouvons ces bancs en bois si com-
modes qui se rencontrent encore souvent dans les maisons de la
vieille Allemagne ; on ne voit point d'autres sièges dans la chambre.
Ils sont en bois, garnis de coussins mobiles, et servent en même
temps de petits bahuts; la table est solide, un grand coffre sculpté
occupe un coin de la chambre, et contient le linge et les autres
effets précieux de la maîtresse de la maison. Sainte Anne est couchée
dans un grand lit à baldaquin, et se dispose à prendre la soupe et la
boisson fortifiante qu'on lui apporte; on sent régner autour d'elle
la douce atmosphère de la vie de famille. Un groupe animé de
commères et de voisines se mettent en devoir de réparer la fatigue
et l'inquiétude passées par un solide et copieux repas; une matrone
respectable, à l'air important, armée de tous les insignes de ses
dignités domestiques, un grand sac, un trousseau de clefs, un cou-
teau suspendu à sa ceinture, est sur le premier plan, assise sur un
escabeau , et paraît avoir grand'soif. Une servante apporte le ber-
ceau de la petite Marie, ainsi que l'eau pour le bain '.
Dans le dessin de la Sainte Famille aie travail, de Durer, nous trou-
vons encore une représentation charmante de la vie intime d'autre-
fois : Marie est assise en plein air devant la maison, et tient un fuseau
entre ses mains; l'Enfant Jésus est couché dans son berceau; Joseph,
qui travaille avec ardeur, taille une auge dans un tronc d'arbre;
autour d'eux, déjeunes garçons aux ailes d'anges rassemblent dans
une corbeille, avec la main ou le râteau, les copeaux bons à con-
server, et se livrent en même temps à toutes sortes de jeux enfantins.
On apporte à la jeune mère un bouquet de fleurs de mai. Cette vie
' Voy. sur ces dessins Van Eye, p. 349-352, 292-294, 311-312.
L'A UT DANN I.A MAISON. 199
de famille intime et aimable, c'est l'âme véritable de ce foyer alle-
mand, " où tout est bien entendu et marche aisément, oii tout res-
pire la paix, la liberté, la joie ».
II
Le foyer domestique était le véritable centre de la vie de nos
aïeux, et l'on ne saurait constater sans admiration la manière dont
ils savaient agréablement et confortablement s'arranger entre leurs
quatre murs. Tout ce qui servait à leurs besoins journaliers n'était
pas seulement d'un usage pratique, mais encore fait pour charmer
le regard. Kampes, plafonds, portes, fenêtres, tables, sièges,
armoires, bahuts, serrures, marteaux de porte, poêles, flambeaux ',
tout révèle le goût fin, la main habile, l'amour de l'ouvrier qui les
exécuta. Les ustensiles de cuisine d'un simple ménage bourgeois,
dont quelques rares échantillons seulement sont venus jusqu'à nous,
offrent le même caractère d'originalité et de goût. Aussi Wimphe-
ling disait-il avec un juste orgueil que l'art allemand méritait l'admi-
ration universelle, non-seulement à cause de ses créations sublimes
dans le domaine de l'architecture, de la peinture ou du dessin, mais
parce qu'il avait su produire des œuvres achevées dans les plus
humbles petits meubles du ménage ^ On apportait à perfectionner
les plus simples objets ce même soin, cette même conscience, ce même
goiït qu'on mettait à l'exécution des grandes choses.
Ce fait s'explique surtout par l'étroite et heureuse union qui
existait autrefois entre les artistes et les ouvriers. L'art était sorti
du métier comme la fleur délicate sort de sa tige; il exerçait une
influence souveraine sur le tronc qui l'avait porté. Son union vivante
et perpétuelle avec lui était sensible dans les moindres travaux des
artisans '. Au reste, les premiers maîtres de l'art ne faisaient nulle
difficulté de se nommer eux-mêmes, tout simplement, « ouvriers ».
Surlin d'Ulm est appelé t- menuisier » dans les documents de l'époque ;
Adam Krafft, - tailleur de pierre »; Pierre Fischer, " chaudron-
nier ». Les plans de simples maisons de ville ou de campagne étaient
souvent tracés par les architectes les plus savants de nos cathédrales;
et ces mêmes artistes qui sculptaient avec tant de perfection les
stalles de chœur de nos églises achevaient avec un soin minutieux de
' Voy. Rettberg, p. 59.
* Voy. HOUAWITZ, Xationale Geschichlschreibung, p. 77.
' Pour plus de détails, voy. Reichenspeuger, Da$ Kvntthandieerk . — Meyer,
p. 185.
200 L'ART ET LA V I K POPULAIUii.
petits ustensiles de ménage; les p\üs grands peintres ne refusaient
pas de prêter leur talent à la décoration du pignon d'une maison
bourgeoise, à Tornementation d'une fenêtre, aux écussons d'une
famille considérée.
Ainsi l'art et le métier se complétaient, s'aidaient réciproquement.
Le plus simple ouvrier avait l'ambition de produire des ouvrages
vraiment artistiques, visait à la perfcclion, et voulait faire œuvre de
maître; cependant il n'avait pas !a pensée d'aller au delà des limites
de sa profession, et trouvait dans sou métier salaire, considération,
honneur et joie. Les moindres objets sortis de ses mains attestent son
amour pour son travail, et voilà pourquoi ils nous produisent une si
agréable impression. Aussi ouvriers et artistes trouvaient-ils occu-
pation et salaire parmi la classe aisée qui, pouvant jouir en repos de
la vie, était fière d'acquérir des œuvres d'art écloses sur le sol de la
patrie.
CHAPITRE V
LA MUSIQUE.
Tandis que rarchilecturc, le dessin, la peinture et la gravure pre-
naient un si admirable essor, le plus puissant et le plus émouvant de
tous les arts, la musique, s'acheminait peu à peu vers la perlection
la plus achevée.
A partir du milieu du quinzième siècle, les compositions musicales
se multiplient d'une manière surprenante. On peut a peine compter
les artistes distingués qui se produisent. Le talent même médiocre
devient jusqu'à un certain point remarquable, grâce aux ressources
plus grandes dont l'art dispose. Les compositions musicales de cette
époque semblent sortir d'un cœur débordant. Ou dirait que les
arts plastiques ont jeté un cri d'appel à la musique. Mais il faut
reconnaître que cet épanouissement magnifique eut sa source dans
rintelHgence populaire, qui sut comprendre la musique avec toute
son àme, l'honorer, l'apprécier dans tout ce qu'elle produisait
de vraiment beau. Destinée principalement à exprimer la pensée
religieuse, elle acquit, dès cette époque, et garda pour toujours,
la valeur et l'importance d'un art; dés lors, les grands compositeurs
eurent dans la société une position entourée de considération et de
respect ', aussi bien dans les églises, dans les chapelles où se célé-
braient solennellement les offices, que dans les académies de chant,
composées d'ecclésiastiques et de laïques '.
Le plain-chant grégorien servit de fond, de base, à tout le pro-
grès réalisé dans l'art musical; c'est en le prenant pour principe que
les artistes allemands établirent les lois de la vraie musique religieuse;
ils ne firent que développer dans renchevêtrement savant de leurs
compositions a plusieurs voix le sens profond et complet des anciens
chants liturgiques. Les messes des maîtres du quinzième siècle,
leurs nombreux motets composés sur un psaume, un antiphone, une
hymne de l'Église, rappellent dans leur unité sévère, dans leurs déve-
loppements savants, les merveilies architecturales de l'époque. La
' Voj ez Ambhos, p. 3-7, 3 î-33.
202 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
science musicale a pour lois fondamentales la mesure, le rhythme,
l'exacte symétrie : de même, dans Tarchitecture, la profondeur de
sentiment la plus sublime est soumise à ces lois rigoureusement
mathématiques qui savent dompter la matière de pierre, de métal ou
de bois, si grossière, si lourde et si roide; ces mêmes lois ont égale-
ment triomphé dans le domaine des sons; elles l'ont affranchi, et
l'ont fait sortir, libre et clair, de la matière en mouvement '.
Le mérite d'avoir dégagé de ses entraves primitives la phrase à
plusieurs voix, et de lui avoir fait faire un progrès si sensible,
appartient à ces mêmes contrées du Sud, où les chants des trouvères
et les mélodies populaires avaient fleuri avec plus d'abondance et
d'originalité que partout ailleurs; c'est là que les orgues et l'art d'en
tirer de beaux sons se sont d'abord perfectionnés. Le Livre de chants
de Lochamer ^, qui date du quinzième siècle, suppose déjà dans son
auteur une connaissance approfondie de l'harmonie. Parmi ces
chants, il en est vraiment d'admirables. C'est un des monuments les
plus anciens et les plus curieux de l'art musical en Allemagne; il ne
contient pas seulement des mélodies populaires allemandes, il s'y
trouve aussi beaucoup d'airs venus des Pays-Bas '. Un autre témoi-
gnage de l'art à cette époque atteste aussi les progrès de la musique
dans les Pays-Bas : c'est un intéressant recueil de chants et de motets,
publié à Augsbourg en 1458 ''.
Jacques Obrecht (f 1507), originaire, selon toute apparence, des
' Voyez LasaL'LX, Philosophie der schönen Künste, p. 121-122. — Entreliens d' Ecker-
mann avec Gœihe, t. !I, p. 88. — Reicliensperger a dit : » La musique religieuse du
moyen âge est comme le compl.-^ment nécessaire de l'architecture religieuse de
cette époque. L'architecture produit ses effets par ses proportions dans l'espace,
comme la musique produit les siens par ses proportions dans le temps. -
[Mélanges, p. 520-523.) — La question de savoir si le nouvel art musical se déve-
loppa d'abord dans l'Allemagne du Sud ou en Flandre n'a aucune importance au
point de vue national, puisque les Flamands sont d'origine allemande. Le seul
fait intéressant pour l'histoire de la musique, c'est l'apparition simultanée dans
l'Allema-gne du Centre et du Sud. et dans les Pays-Bas, de tant de maures remar-
quables qui donnèrent, par l'influence réciproque qu'ils exercèrent les uns sur
les autres, un nouvel élan à leur art.
' Voyez Chrvsandkr, Jahrbuch für miisih. IVissenschaft, t. Il, p. 1-234. — Chroniken
der Deutschen Städte, t. I, p. 98, 214, et plus loin, t. II, IX, X, t. X, p. 189, et t. XI,
p. 515, 611.
* Voy. le chant de la page 121.
* Voy. Paul DE StetteN, Kunst. Gewerh und Handelsgeschichte der Stadt Augshourg, 524.
ANCETRES DE LA MUSIQUE MODERNE. 203
contrées du Hhin, et le Flamand Jean Ockenheim (f 1512), sont
les deux anc(Hres iiilellecfuels de tontes les écoles de musique '.
Dans les œuvres d'Ockcnheim, nous admirons une profonde iiUel-
lijjence de la musique religieuse, une étonnante dextérité dans la
science des canons, une manière de phraser pleine d'ori^jinalilé et
d'ampleur. Ses compositions nous font, pour ainsi dire, entendre
une àme qui chante. On y trouve des périodes entières d'un éton-
nant dessin mélodique et d'une remarquable délicatesse de senti-
ment ^
Le plus doué de ses élèves, Josquin de Prés \ fut l'objet des
louanges enthousiastes de ses contemporains, qui ne pouvaient se
lasser de l'admirer *. « Son talent, dit Henri Loritz, était à la fois si
souple et si puissant qu'il se prêtait à tout ce que voulait le maître.
Personne ne l'a surpassé dans l'expression énergique des sentiments.
Personne ne savait s'emparer d'un sujet d'une façon plus heureuse.
Nul ne peut l'égaler dans son jeu plein de grâce et de légèreté,
de même que nul poète latin n'eût osé se comparer à Virgile. »
Le Luxembourgeois Adrien Coclicus, qui s'était formé sous Josquin,
disait de son maître : " Il était le plus grand, parmi ces musiciens
de premier ordre, qui sont en quelque sorte les rois des autres,
parce que non-seulement ils enseignent, mais joignent la théorie à
la pratique, connaissent les lois de toutes les compositions, et savent
exprimer toutes les émotions de l'âme. )i Aussitôt que Josquin avait
remarqué dans un de ses élèves une intelligence vive et prompte,
il lui apprenait en peu de mots, le guidant toujours par des exem-
ples, à composer à trois, quatre, cinq et six parties. Du reste, il trou-
vait peu de musiciens propres à la composition, et c'était son prin-
cipe qu'on n'y doit former que ceux qui ont un attrait particulier
pour cet art admirable, « Il existe tant d'œuvres ravissantes com-
posées par les anciens maîtres, disait-il; sur mille élèves, un seul à
peine serait capable de faire quelque chose de comparable ou de
meilleur ^ ! »
Jacques Obrecht surpasse beaucoup Josquin et Ockenheim par la
simple beauté du style et l'élévation de la pensée. « L'œuvre
d'Obrecht, dit Glaréan, joint à une grande simplicité une majesté
' ElTNKU, Bibliographie (1er Xlusihsammebcerhc .
* Ambros, p. 170-179. — Jacoc, p. 402.
' Jodocus Pratensis.
* François Commer a publié un clioix des meilleurs motets de Josquin, dans
sa Colleclio ojjerum miisicorum Ballavorum (Berlin, 1S43).
' FORKKL, t. II, p. 516, 550-615. — Voy. la biographie de Coclicus, dans la
Xiederrheinischen Musikzciiung (Cologne, 1861). Année 9, p. 82. — Voyez le célèbre
ouvrage de A. V. Tuimus, Harmonicale Symbolic des Atterthums, t. I, p. 289
(Cologne, 1868).
204 L'ART ET LA VIE POP U LA 1RS.
surprenante. Il vise moins aux effets savants que Josquin; il ne se
propose pas comme lui de produire telle ou telle impression; il laisse
ses compositions s'emparer de l'auditeur. On raconte que son imagi-
nation et son ardeur au travail étaient si grandes qu'il eût été en état
de composer en une seule nuit une messe admirable. •' Plusieurs de
ses messes et de ses motets sont de vraies « cathédrales gothiques,
construites avec des sons ' ».
Obrecht vécut quelque temps à Florence, à la cour de Laurent de
Médicis. Il y rencontra son compatriote Henri Isaack, maître de cha-
pelle à Saint-.leau (1475-Î480), et que Laurent avait chargé d'ensei-
gner la musique à ses enfants. Obrecht fut entouré à Florence
d'une grande considération, et l'empereur Maximilien lui confia des
intérêts diplomatiques à la cour des Médicis. Il passa près de Maximii-
lien les dernières années de sa vie, et faisait, ainsi que Josquin, l'orgueil
et l'ornement de la chapelle impériale -.
Henri Isaack est l'un de nos meilleurs compositeurs, tant anciens
que modernes. Il faut ranger parmi les véritables chefs-d'œuvre ses
deux motets à six voix, si remarquables par leur grandiose structure.
L'artiste y a glorifié les suprêmes pouvoirs spnituel et temporel,
le Pape et l'Empereur. Un autre motet sur une hymne à la Vierge
passe pour un modèle achevé de clarté et de pureté de style. Le tra-
vail dans lequel il a remanié les offices des dimanches et jours de fête
de l'année ecclésiastique renferme un trésor inestimable : c'est une
collection de modèles admirablement choisis pour servir à l'étude
du contre-point et du plain-chant grégorien 3. Une grande partie de
cet ouvrage est due à Louis Senfl, de Zurich, élève d'Isaack, maître
doué, à coup sih', de génie, unissant à un profond sentiment de
la musique religieuse l'imagination la plus riche. Parmi ses chants
d'église, il en est un qui est un vrai diamant, c'est celui qui commence
par ces mots : " Dieu éternel. ^ On y sent passer le souffle d'une foi
ardente; il appartient à ces chants historiques, dans le sens le plus
élevé du mot, où s'incarne avec puissance l'esprit de toute une époque ^
Citons encore un autre compositeur de musique religieuse égale-
ment remarquable, c'est Henri Fiuck, maître de chapelle à la cour
polonaise de Cracovie (1492). Son cantique des Pèlerins, « Mettons-
nous en route au nom de Dieu ;-, s'empare de notre âme aussi forte-
ment que les plus admirables chœurs de Händel. Finck a remanié
un grand nombre d'anciennes hymnes latines;, ces compositions
' FouKEL, 1. 1[, p. 520-027. — Amcros, p. 179-184.
- Ambros, p. 203. — Sur la protection accordée par Maximilien aux musiciens,
voy. le Diarium de Cuspinian, t. II, p. C07. — Voy. Ashbach, Universität Wien., t. U,
p. 8Ü.
' Ambugs, p. 380-389.
^ Ibid., p. AQi-iU.
MUSIQUE PROFANE. 2 05
soat pleines de [;randcur, d'une îonalilô pnissante, d'une valeur
exceptionnelle. On lui doil, encore les Sept Salutations au Sauveur
.souffrant, nioteîs à quatre ou six voix d'une beauté simple, d'une noble
clarlé de style, animés du sentiment de la plus fervente piété. L'art
allemand du quinzième siècle ne peut leur comparer que les deux
Passions d'Albert Dürer, inspirées par la même foi ardente '. L'œuvre
de Finck a aussi du rapport avec les Lamentations à quatre voix du
composilcur allemand Etienne Maliu, précurseur de Palestrina ^, et
presque contemporain de Finck. Le doyen de Leibach Arnold de
Brück a également écrit sous la même inspiration. Ses chants reli-
gieux sont pleins d'enthousiasme, de gravité sévère, d'élévation et
de grâce; ou peut les ranger - parmi ce qui a été composé de meil-
leur dans tous les temps en fait de musique sacrée » ^
Dans toutes ces grandes compositions de musique religieuse, l'idéal
le plus élevé de l'art, c'est-à-dire l'unité de toutes les parties avec
l'ensemble, l'ensemble inspirant à son tour toutes les parties, se
trouve atteint de la manière la plus heureuse. Elles ont toutes pour
principe le plain-chant liturgique, ce qui n'empêche nullement
qu'autour de cette première assise ne viennent se grouper les idées
les plus originales. La phrase fondamentale donne à toutes les
parties « la mesure et la justesse, la vie et le mouvement, la lumière
et la couleur " ; l'harmonie s'élance d'elle-même de la tige sévère, et
reste à la fois originale et soumise. Si l'on y remarque bien des sur-
charges de mauvais goût, comme dans les édifices du style gothique
de la dernière période, le fond de l'œuvre, chez les maitres vraiment
dignes de ce nom, n'est point défiguré par ces taches. Nos anciens
compositeurs combattent ces mauvaises tendances avec d'autant plus
de succès, qu'ils sont résolus de se maintenir toujours sur le ter-
rain de la tradition liturgique et, prêtres du beau, ne veulent servir
que l'aulel*.
La musique profane eut aussi ses grands maîtres. Presque tous
les artistes qui amenèrent l'art religieux à une perfection si haute
' Ambuos, p. 368-371.
'Ces lamentations, seule œuvre importante de Stephan Mahut, ont paru dans
la Musica sacra de Gommer, t. XVH (Berlin, 1876J.
5 • Svon Paier noster à cinq voix pourrait être préféré comme puissance, éléva-
tion, hi'.rmonie, à celui de Palestrina. • Ambt.os, p. 389-404.
* Jacob, p. 395-401. — Kien n'est plus erroné que l'assertion de Brendel : « La
première (irande époque de la musique allemande date de Luther • {Geschichte
der Musik, 5« édition, page 121), et que celle de Franck : « Ce n'est que depuis la
Réforme que l'on peut parler de musique allemande. • (Geschichte der Tonkunst,
3« édit., p 45 ) — Au contraire, les luttes relifjieuses du seizième siècle firent
tomber la musique nationale dans une complète décadence. — Voy. Arnold
et BellerMaNN, dans le Jakrbuch für musikalische Wissenschaft, de Chrysxnder, t. II,
p. 163, 169-170.
206 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
ont ajusté nos chansons populaires à de délicieuses mélodies, et
y ont fréquemment ajouté des beautés qu'on peut encore y admirer.
Les airs sont toujours admirablement adaptés aux paroles, et leur
donnent cette signification profonde que ne possèdent point les mots
fugitifs; l'auditeur, comme le dit très-bien le Luxembourgeois Jean
Ott dans l'introduction de son recueil de chants, ;; impose silence,
dès qu'il les entend, à ses propres pensées, pour songer en lui-même
au sens des paroles * ».
L'air de Henri Isaack, sur les paroles attribuées à l'empereur Maxi-
milien, Innspruck, ich muss dich lassen, est connu de tout le monde.
Mon unique joie en ce monde, du même auteur, restera toujours une
perle inestimable pour tous ceux qui aiment la musique. Tout ce qu'il
y a de délicat, d'intime, d'aimant, dans le genius allemand, y est
exprimé. Une inspiration à la fois naïve et profonde, presque reli-
gieuse, anime également les chansons de Henri Finck.
Dans les compositions musicales, comme dans la peinture et le
dessin, une gaieté malicieuse sait aussi se frayer sa voie. On peut en
suivre les nuances diverses, depuis le badinage enjoué jusqu'à la plus
âpre satire, dans les chansons : Un vieillard voulait faire sa eour, de
Mahu; dans la Petite Fille du paysan, d'Isaack; dans Feuillage et gazon,
de Senti, et dans les rustiques chansons à boire de Finck *.
Ce qui rend la musique de ce temps si particulièrement sympa-
thique, c'est le sentiment de foi, de tendre piété qui l'anime; c'est sa
verte vigueur, sa puissance, inséparablement associée à une si grande
déUcatesse, à une gaieté si saine et si fraîche; on s'en souvient,
nous avions déjà signalé les mêmes dons chez nos dessinateurs et nos
peintres de génie de la même époque. Le peuple allemand s'est
rarement donné à lui-même un plus beau témoignage que daos les
œuvres d'art du quinzième siècle ^
II
Plus la phrase musicale sortait de ses commencements informes,
plus la musique devenait un art, plus aussi l'on redoublait de zèle
et d'effort pour perfectionner ses moyens d'exécution, et obtenir
un son plein, riche et pur.
Ce fut d'abord par l'orgue, le plus puissant de tous les instruments,
qu'on se rapprocha de ce but. Dans aucun pays, on n'apporta à son
1 Voy. Arnold, p. 7. — Gervixls, t. II, p. 269.
- Ambros, p. 370, 383, 390, 409. — Forkel, t. II, p. 670-G91.
' Comme le dit très-bien Ambros, p. 367.
FACTEURS D'ÜIU;UES, ORGANISTES. 2l)7
perfcctionucmcnt un zèle plus persévérant qu'en Allema^-ne, et, dès
le quatorzième siècle, les Allemands passaient pour les plus habiles
fadeurs d'orgues de l'FAiropc. C'est un Allemand qui fabriqua le pre-
mier or}}ue envoyé à Venise; il y excita un étonnement extraordi-
naire, on venait le voir comme une merveille. Un artiste allemand,
nommé Bernhard, qui habitait aussi Venise, conçut alors la pensée
hardie d'élever d'une octave le clavier de l'orgue et d'accompagner
le chant, devenu ainsi plus clair, de doubles basses qui lui donnèrent
un admirable relief. Il acheva de métamorphoser l'orgue et d'en faire
rinsîrument grandiose que nous possédons aujourd'hui, iorsqu'en
1470 il inventa la pédale". Conrad Rosenburger de Nuremberg con-
struisit deux orgues semblables, avec clavier et pédales, pour l'église
des Cordeliers de cette ville et pour la cathédrale de Bamberg
(1475), L'orguede Saint-Sauveur, à Nuremberg (dû vraisemblablement
à Henri Tràxdorf * et perfectionné par le Cordelier Léonard Marca)
(1479), était célèbre par ses proportions gigantesques. En 1463,
Etienne Castendorfer de Breslau ajouta la pédale nouvellement
inventée à l'orgue de la cathédrale d'Erfurt. En 1499, Henri Kranz
construisit le grand orgue de l'église collégiale de Brunswick. Stras-
bourg ne tarda pas à voir aussi les orgues de sa cathédrale se per-
fectionner, et, dèsie commencement du seizième siècle, presque toutes
les grandes villes de l'Allemagne possédaient de magnifiques orgues
à pédale. L'humaniste Rodolphe Agricola est cité parmi les facteurs
d'orgues de l'époque, et passe pour avoir construit celui de Saint-
Martin, à Groningen. Au moins est-il certain qu'il y a travaillée
A mesure que les instruments se perfectionnaient, les exécutants
devenaient plus habiles. Dès la première moitié du quinzième siècle,
plus d'un prêtre ou d'un moine se distingue comme organiste.
L'aveugle-né Conrad Baumann, du Luxembourg, fut le plus célèbre
d'entre eux. Hans Rosenpliit, dans une de ses poésies, dit, eu parlant
de son jeu, '< qu'il rendait le courage au cœur le plus abattu ».
(1 II faut encore, dit-il, que je vous parle d'un maître que Di;;u a bien
affligé. 11 s'appelle maître Conrad Baumann. 11 a reçu un tel don pour la
musique, qu'il est le maître de tous les maîtres, j
Les princes contemporains, l'empereur Frédéric, les ducs de Fer-
rare et de Mantoue entre autres, firent souvent venir auprès d'eux
' Kiesewetter, p. 53-54. — Voy. Rettberg, dans le Anzeiger für die Kunde
Deutscher Vorzeit, t. VII, p. 241-242. — D'après Arnold, p. 68-69, la pédale était
déjà inventée en Allemagne, et Bernhard n'en fut considéré comme le premier
inventeur par les Italiens que parce qu'il avait porté sa découverte à Veuise.
* Voy. LocHNER, p. 222-223.
* Voy. FORKEL, t. II, p. 724-727. — Arnold, p. 67-70. — Voy. Baader, Appen-
dice, t. I, p. 33. — MONE, Zeitsehriß, t. XXIV, p, 256.
208 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
l'artiste aveugle. II ne retournait dans son pays que cumblé de pré-
sents et reconduit dans un carrosse. L'Italie, pour honorer son
incomparable talent, léleva au rang de chevalier. Il passa ses der-
nières années à la cour du duc Albert III de Bavière, prince très-
amateur de musique, et mourut à Munich en 1473. Ce qui nous reste
de ses œuvres forme le monument le plus ancien que nous possédions
de musique instrumentale savamment composée (1452). Aous y trou-
vons la preuve que, dès cette époque, l'art de l'organiste était en plein
épanouissement, qu'il était cultivé non-seulement par quelques indi-
vidus isolés, mais par toute une pléiade d'artistes, et cela dans un
temps où il restait presque ignoré de l'Europe tout entière ^
Citons après Conrad Baumann Paul Hoflieimer, de Rastadt (près
de Salzbourg), organiste à la cour de l'em.pereur Maximilien; il
rendit plus puissant, plus large, l'art de l'organiste. Ottmar Nachti-
gall dit en parlant de lui : " Les morceaux les plus longs ne le
fatiguent pas, et il exécute les plus petits avec perfection. Il se fraye
un libre chemin partout où son inleliigence et sa main le conduisent.
La merveilleuse agilité de ses doigts ne trouble jamais l'essor majes-
tueux de ses modulations. Il ne lui suffit pas d'avoir exécuté quelques
morceaux puissants, il y ajoute toujours des pièces brillantes ou
gracieuses. Personne ne l'a surpassé, personne ne saurait même
l'atteindre. => Il forma quelques organistes excellents qui propagèrent
son enseignement à Vienne, Passau, Constance, Berne, Spire, et à
la cour de Saxe^ Le célèbre organiste maître Arnold Schlick, qui
édita en 1512 le Miroir du fadeur d'orgues, était attaché à la cour
palatine d'Heidelberg. Ses importants ouvrages nous permettent de
connaître exactement la structure de l'orgue à cette époque, et ren-
ferment des documents précieux sur la musique de son temps. Nous
y sommes surtout renseignés sur le plain-chant et la manière dont il
était accompagné par l'orgue. Dans l'application pratique de l'acous-
tique, Schlick a devancé de beaucoup les théoriciens de son siècle et
du siècle suivant ^ C'était aussi un célèbre joueur de luth. Sa tabla-
ture de l'orgue contient quatorze remarquables morceaux pour cet
instrument ^.
L'art du luthier, comme celui du facteur d'orgues, a pris naissance
à Nuremberg. Les luths fabriqués par le Nurembergeois Conrad
Gerla (1460) étaient recherchés de tous côtés; le duc de Bourgogne,
Charles le Téméraire, en fit venir trois pour ses luthiers. Les descen-
' Pour plus de détails, voy. Aunold, p. 71-88. — Baumanx, Orgelhueh, p. 177-224.
-Amekos, p. 373-374. 434. — Balemker, p. 120-121.
^ Monaishcfie fur Musik-Gcschichte. 2' année, 1870, p. 183. — Falk, Zur Beurlhei-
lung des xv« Jahrhunderts, p. 416-417.
* Voy, Amdros, p. 428-429.
THÉORICIENS. 209
danls de Conrad Gerla, les deux IlansGeiia ', étaieut à la fois d'excel-
lents luthiers et de remarquables exécutants. Mais Conrad liaumann
raveu(jle ■• dépassait tous les autres, et élait certainement lui-même
le plus admirable des instruments et le maître par excellence de la
musique de son temps >. Baumann est l'inventeur de la tablature
du lutii^ Elans .ludenkunig, Hans Gerla et lians .Neusiedler publièrent
aussi des méthodes de luth accompagnées de démonstrations théo-
riques.
III
Les brillantes productions des compositeurs avaient depuis long-
temps excité l'émulation des théoriciens, des écrivains et des profes-
seurs. Les plus anciens propagateurs des règles de l'art musical dans
notre pays furent les deux Carmes Jean d'Erfurt et Jean Gooden-
dach. Ce dernier eut pour élève le grand théoricien Franchiuus Gafor,
autour duquel se groupèrent les plus savants musiciens d'Italie au
commencement du seizième siècle. Un autre savant musicien con-
temporain fut le moine Jean Färber, maître de chapelle et chanteur
du roi Ferdinand de Naples, puis chanoine de l'église de INivelle.
« C'est un savant illustre sous tous les rapports ", dit Trithème en
parlant de lui (1495), « un grand mathématicien, un musicien accom-
pli. On lui doit trois livres sur le contre-point, un livre sur les sons, et
un autre sur l'origine de la musique. > Färber a réuni dans ses œuvres
le trésor complet des notions musicales de son temps. Ses ouvrages
sont clairs, d'une science sûre, remarquables par la disposition des
matières comme par leur exposition; écrits en bon latin, ils démon-
trent tous les principes de l'art par des exemples bien choisis, tantôt
composés par l'auteur lui-même, tantôt empruntés aux meilleurs
maîtres K
Le moine Adam de Fulda fut aussi un théoricien remarquable; sou
Traité delà musique parut en 1490; il est l'auteur d'un motet à quatre
voix sur un chant liturgique qui fut très-goùté et très-chanté dans
toute l'Allemagne *. Les prêtres Conrad de Zabern, de Maj ence (1474),
' Sur les deux célèbres fabricants de clairons et de trompettes, Hans IVeuschel
père et fils, voyez Lochner, p. 163-170.
* Arnold, p. 72-73. — Ambros, p. 427.
' Voy. Johannis Tinctoris terminorum musicœ dißnitorium, aveC les explications de
Bellermann, Chrysxnder, Jahrbuch fur musikalische lUissenscka/t, t. I, p. 55-114. —
Ambros, p. 141-142.
* Voy. Baumker, p. 96-103. — Allgemeine Deutsche Biographie, t. I,p. 43. —
Ambros, p. 366. — Voy. Geryinls, t. II, p. 282.
14
210 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
et Sébastien Virdimg, d'Amberg ' ; plus tard Faber de Stablo (1496) et
Michel Reinsbeck, de Nuremberg: (1500), écrivirent également sur le
chant liturgique et sur divers sujets d'art musical. Le manuel que
Jean CochhTus, recteur de Téglise Saint-Laurent à ISuremberg, fit
paraître, en 1511, pour servir à renseignement delà musique et du
chant, est extrêmement intéressant, et nous fournit les renseigne-
ments les plus curieux sur la culture musicale de cette époque. C'est
un petit ouvrage si savant qu'on peut à peine comprendre comment
il pouvait être mis entre les mains des élèves d'une école, et cepen-
dant il était spécialement destiné aux jeunes écoliers de Saint-Lau-
rent, qui, réunis à ceux des deux autres écoles de la ville, soutenaient
tous les ans, le jour de la Sainte- Catherine, un concours musical, et
exécutaient une messe sous la direction de leur recteur*. De sem-
blables concours n'étaient pas rares au quinzième siècle dans les
écoles d'Allemagne.
' Voy. siirces motets les renseignements de Falk, dans Petzholdt, 1879, n°543.
^ Otto, p. 37-39. — Quatre éditions de cette méthode avaient paru avant 1520.
CHAPITHE VI
POÉSIE POPULAIRE '.
Ainiîi que nous venons de le constater, les arts, au moment qui
nous occupe, florissaient à l'envi. Parmi ceux qui frappent l'oreille,
le premier de tous, la musique, avait foit de merveilleux progrès;
mais il n'en était pas de même du second. La poésie, en effet, j'en-
tends la poésie artistique, était au contraire tombée dans une pro-
fonde décadence. On se tromperait cependant grandement si l'on en
concluait que toute puissance poétique fiU paralysée dans la nation.
Le principe essentiel de la poésie, c'est l'imagination créatrice qui
a pour domaine le vaste champ où se meuvent la pensée humaine et le
monde des sentiments. Or, cette imagination s'était affirmée avec
éclat, avec une variété prodigieuse, dans les chefs-d'œuvre des arts
plastiques et dans les compositions musicales; la forme et la matière
différaient seules. Ce n'était pas avec des mots, mais avec des pierres,
des mélaux, du bois, des couleurs et des sous que l'Allemagne avait
été dotée de poésies sublimes ; et comme la musique, dans le déve-
loppement normal d'un peuple, précède toujours la poésie (parce
que le chant, l'épopée, l'art dramatique ne se forment que par l'im-
pulsion qu'elle leur imprime et l'accompagnement nécessaire qu'elle
y ajoute *), l'admirable progrès qui s'était produit dans l'art des sons
faisait espérer qu'un nouveau printemps renaîtrait bientôt pour la
poésie. Mais cet espoir était encore fondé sur un motif plus profond.
A l'époque du premier épanouissement de la littérature, le chant
populaire, origine de nos grandes poésies héroïques et de nos épopées
nationales, avait donné naissance à la poésie artistique; ensuite il
avait été refoulé par le brillant essor de la poésie savante, œuvre des
' • Les chansons des laïques dans le pays d'Allemagne sont faites avec simplicité
et mieux connues de tous que bien des ouvrages où l'on a mis beaucoup d'art et
de travail. » Hugo de Trimberg, dans son poëme intitulé le Renner. Vers 11080,
> Voy. Gervinüs, 2, 249.
14.
2l2 l.'ART ET LA VIE POPULAIRE.
clercs et des chevaliers; mais sitôt que dans le cours du quatorzième
siècle cette veine eut été épuisée, il se fit jour de nouveau, et révéla
une fois de plus la fécondité de son inspiration créatrice. La poésie
artistique aurait pu y trouver une mine féconde d'idées, des sujets
nouveaux et comme une nouvelle vie, si, à ce moment même, le trou-
ble violent survenu au commencement du seizième siècle ne fût venu
interrompre toute culture intellecluelle.
La nouvelle poésie populaire se développa, dans les classes infé-
rieures, en même temps que le sentiment de la personnalité et le
besoin de la liberté; elle n'appartenait pas exclusivement à telle ou
telle classe sociale, mais à la nation tout entière. Ce qui était cher
et précieux au peuple de temps immémorial trouva dans le lyrisme
populaire une expression tantôt joyeuse, tantôt plaintive, toujours
pleine de simplicité et de fraîcheur; c'est justement sa forme dénuée
d'art et toute naïve qui fait sa grâce et produit une impression si
profonde. Sortie directement des sentiments naturels, elle reproduit
avec fidélité l'émotion immédiate, sans y mêler rien d'étranger, et avec
une sincérité exempte de toute prétention. Eu elle, tout est vu de face.
Elle n'a point de réminiscence; nulle part elle ne nous montre le vague
horizon, ni le passé lointain. Tout s'y passe dans l'actualité, tout y
respire la joie franche du moment présent, tout y est personnel; les
arbres et les fleurs ont un langage, ils consolent, ils avertissent, et
même ils voyagent '.
Les chansons populaires étaient le trésor commun de la nation; on
les chantait aussi bien devant l'Empereur et les princes que pendant
les danses champêtres; " sous le tilleul du village, dans le calme tran-
quille du soir ", comme dans les gais repas; môme dans les saints asiles
de nos églises, on entendait souvent retentir les mélodies que le peuple
chantait dans ses réunions joyeuses. L'air et les paroles étaient insé-
parablement unis; la chanson n'existait que par cette union, il n'en
existait point qui fussent destinées uniquement à la lecture. Le poète
populaire, dès qu'il avait composé quelques paroles, les adaptait
aussitôt, soit à un air nouveau, soit à une mélodie déjà connue qui
prêtait à ses simples vers leur vie et leur accent *. Le chant détermi-
nait la durée de la chanson et assurait, pour ainsi dire, la perpétuité
de sa vie. Ce n'était pas seulement par les lèvres que le plaisir du
chant se faisait sentir; le lied servait encore à accompagner les rondes
joyeuses, et le mouvement de la danse lui prêtait une poésie nouvelle.
Beaucoup d'anciennes mélodies nous ont sans doute été conservées
de la sorte dans des danses rustiques encore en usage aujourd'hui '.
' Voy. Gervinus, 1. 11,269-271. Kurz, t. I, p. 590-592.— Vilmar, Handbüchlein,i-1.
*Sur les mélodies populaires, voy. Liliencron, àdiVLS Y Appendice, t. I, p. 24.
^ Voy. GORRES, Alldeutsche Volks und Meislerlieder, t. XVI et XIX. — Sur l'union
CHANSONS D'AMOUR. 213
Les auteurs de ces chansons restent toujours inconnus. Tantôt c'est
un joyeux chasseur qui a « clianfé dans le bois ce qui résonnait dans
son âme ' ; tantôt c'est un l)er{',cr ((ui a « cause avec les fleurs > ; ce
sont des mineurs qui, près du vin frais, « ont trinqué avec délices » ;
c'est un <' pieux chevalier " qui a rimé une chanson tout en parcou-
rant le royaume, ou bien c'est une « cenlille demoiselle > toute
dolente de l'absence de son bien-aimé. La chanson populaire n'est
pas l'd'uvre de la - grande masse », c'est la rêverie de quelques élus
qui épanchent dans leurs chants naïfs ce que le cœur leur envoie.
« Ils ont moins inventé que trouvé, à l'instant voulu, l'accent de joie
ou de douleur, de plainte ou d'allégresse qui passait en ce moment
dans l'âme de la nation. Ce qui, dans le lied, était digne de pénétrer
le cd'ur jusqu'en ses fibres les plus profondes, ce qui pouvait y
éveiller non-seulement une note isolée, mais toute une série d'ac-
cords harmonieux, ce qui prêtait une forme à un sentiment vrai, se
transmettait rapidement de bouche en bouche, d'âme à âme, et deve-
nait comme la propriété indestructible de tous. - Une pensée déplus
s'était envolée d'une simple vie isolée, et faisait désormais partie de la
grande vie universelle qui venait de l'adopter'. ' Voilà pourquoi nous
sentons battre dans la chanson populaire le cœur même du peuple.
Là se manifeste toute sa joie comme toute sa peine ; mais nous y voyons
surtout couler avec transparence et profusion la source de son amour.
Les chansons d'amour surpassent toutes les autres par leur fraî-
cheur, la justesse des impressions, l'enjouement aimable et la sérieuse
profondeur. Beaucoup d'entre elles expriment avec tant de pureté, de
modestie, de calme, un attachement profond, que nous pouvons sûre-
ment les attribuer à des femmes. Celles si nombreuses qui peignent
le chagrin de la séparation sont d'une mélancolie pénétrante. Citons-
en quelques exemples :
« Mon cœur est bien affligé, c'est l'absence qui cause sa peine; mon
cœur ne guérira jamais, il voudrait mourir de sa souffrance. Toi qui es
ma couronne, il faut que je te quitte, que je m'éloigne de toi! Il faut que
je m'en aille, bien au delà de la bruyère -! '
Le voyageur s'éloigne, mais bientôt il s'arrête pour écouter son
cœur :
oLù-haut, sur cette montagne, j'entends le bruit du moulin; il ne
moud que de l'amour, du malin jusqu'au soir; le moulin est brisé, notre
de la danse et du chant, voy. les détails pleins d'intérêt donnés par Lhland,
t. II, p. 39J-403, et les citations, p. 471-486.
' Voy. (JORRES, dans son compte rendu du travail de Griinm [Alldeutschen
Meistergesang) , dans le Heidelb. Jahrbuch, n"' 48, 49, p. 753-773, et Alldeutsche Volks
und Meislerlieder, t. XX-XXI.
- Weckherli.N, Beiträge zur Geschichte alldeutscher Sprache und Diclitkunsl, p. 79.
214 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
amour est fini! Dieu te bénisse, mon doux amour! Pour moi, je m'en vais
dans la misère '. »
Aller " dans la misère ", cela signifie toujours, dans nos chansons
populaires, aller à l'étranger. Les Allemands d'autrefois aimaient
tellement leur pays et avaient un tel besoin d'y vivre, que l'existence
au loin leur apparaissait comme un bannissement cruel et une épreuve
amère -.
Un profond et calme regret d'amour se révèle avec une simplicité
émouvante dans le lied suivant :
a J'entends une faucille qui frôle, qui frôle doucement les blés; j'entends
une douce jeune fille se plaindre, elle a perdu son amoureux. 0 faucille,
frôle encore, continue à frôler le blé avec ton bruit léger! moi, je connais
une triste jeune fille, qui a perdu son amoureux ^! "
Sans souffrance, point d'amour :
» C'est un mot bien connu depuis plus de cent ans : celui qui n'a jamais
connu la peine, comment peut-il dire (ju'il a connu l'amour^? »
Tout chagrin se réfugie vers Dieu avec confiance :
a Mon cœur est bien affligé. Que Dieu mène tout à bien! Je m'éloigne
d'ici avec douleur, mais je vois ([ue je ne puis rien changer h mon sort.
Que Dieu console les cœurs souffrants ^! f
Ces simples chants sont toujours en pleine harmonie avec la vie delà
nature. La jeune fille aimée ressemble à un rosier, elle est comparée
à la petite rose de la bruyère :
a Celui qui cueillera la petite rose, la petite rose de la bruyère, ce sera
un jeune gars modeste et réservé; alors la tige sera toute dépouillée. Le
bon Dieu sait bien à qui je songe! Pense à moi comme je pense à toi,
petite rose sur la bruyère ß! "
La chanson populaire fait sans cesse appel à la sympathie de la
nature. L'été et l'hiver, le bois et la prairie, les feuilles et les fleurs,
les oiseaux et les animaux, l'eau et le vent, le soleil, la lune et l'étoile
du matin, doivent compatir aux souffrances des malheureux ou par-
tager la joie des jeunes cœurs. Tantôt la nature fait partie intégrante
du lied; pensées et sentiments se confondent avec sa vie. Tantôt ses
images ferment l'horizon, et servent de cadre ou de bordure.
Aussi longtemps que l'esprit populaire allemand n'eut pas été
' Uhland, t. I, p. 77. — Voy. t. II, p. 446.
* Voy. ViLMVR, p. 175.
3 Uhland, t. I, p. 78. — Voy. Vilmar, p. 191-192.
* Voyez-en la mélodie dans Forkel, t. II, p. 765.
= Uhland, t. I, p. 137.
6/W., p. 111-112, et t. II, p. 450, 545-546.
CHANSONS A BOIRE, CHANSONS POLITIQUES. 215
altéré et ai{;ri par les passions et les luttes reli^jieuses, il demeura
étroilcment associé à toutes les choses du monde extérieur. Dans sa
littérature et dans ses mœurs, on sent Tinfluenee de son commerce
intime avec la nature. Des fêtes populaires, renouvelées tous les ans,
{^ardaient encore l'empreinte du culte que lui avaient consacré les Ger-
mains ; elle est mêlée à presque tous les symboles, formules et prescrip-
tions du droit allemand; et les arts mêmes qui avaient {grandi à l'in-
térieur des cloilres ou derrière les murs d'enceinte des villes forlitiées,
restaient empreints de cet amour pour la nature, si prolondéinent
implanté dans les cœurs allemands. L'architecture changeait la mai-
son de pierre en un bois fleuri, et la peinture, tandis qu'elle donnait
aux traits humains une expression si élevée, ouvrait l'arrière-plau de
ses tableaux pour laisser entrevoir un verdoyant paysage. Pour ren-
dre l'impression du bonheur par une image, nos poètes ne savaient
rien trouver de mieux que la félicité infinie goûtée dans la foret
ombreuse, au milieu des champs, parmi les fleurs, sous le tilleul em-
baumé où chante l'oiseau des bois *. L'amour de la nature servait
comme de fond commun à la vie intime et à la poésie, et il n'est pas
rare que les chansons populaires, dont le sens poétique est si profond,
soient également remarquables par une fine observation de la nature
comprise jusqu'en ses plus délicates merveilles. Les chants si connus :
« Le joyeux temps de l'été me réjouit le cœur ", « Voulez-vous enten-
dre un conte nouveau »? « Il y a un tilleul dans cette vallée, large en
haut, étroit en bas, où se tient le rossignol ", n'ont jamais été oubliés.
A ces lieder viennent se joindre les chansons de cavaliers, de chas-
seurs, de buveurs : elles sont pleines d'entrain et parfois d'humour
malicieuse.
« Vin! vin du Rhin, pur, fin et clair, ta couleur a un plus joli reflet que
le cristal et le rubis! Tu es un remède pour les affligés! A boire! Ton
pouvoir fait des merveilles! Tu donnes de l'audace au timide, tu rends le
vilain généreux-! "
a Celui que j'aime entre tous est lié par des anneaux; il a une robe de
bois, il rafraîchit malades et bien portants : il se nomme le vin. Versez à
boire! ma voix aura de plus profonds accents! Frère, vide ton verre en un
clin d'œil ^l ■»
' Uhland, t. II, p. 13-15. L'ouvrage d'Ubland sur les chants populaires est cer-
tainement l'un des plus beaux livres qu'ait produits la littérature allemande.
Franz Pfeiffer qui l'a édité n'exagère pas lorsqu'il dit dans la préface qu'on
n'a jamais saisi avec autant de chaleur et d'intelligence, de profondeur et de
charme la forme et la beauté de la poésie populaire. — Voy. aussi le livre de
ViLMAR, Handbnclilcin. Schaller, Briefe zum Kosmos, p. 292. — HOLLAND, Geschichte der
Deutschen Literatur, 155.
* Voy. Holland, Altdeutsehe Dichtkunst, p. 576-577.
* Uhland, t. I, p. 584.
216 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
4 Béni soit celui qui, pour la première fois, a pensé qu'il fallait
diviser la monnaie en liards! il a eu là une bonne idée! Moi, bien souvent,
je dépense toute ma monnaie, et il ne me reste plus que trois liards K '
Les romances et les chansons qui appartiennent au genre de la bal-
lade forment une série à part. Beaucoup d'entre elles, d'une poésie
fraîche, d'un sentiment profond, peuvent être rangées parmi ce que
les poètes populaires de tous les temps et de tous les pays ont pro-
duit de plus exquise Puis viennent les chansons historiques, les cou-
plets sur les guerres, les escarmouches, les batailles, les événements
contemporains; chansons politiques, armes d'ironie et de menace
avec lesquelles les diverses classes de la société se combattaient réci-
proquement, comme souvent elles le faisaient par les armes. Ainsi,
dans la grande guerre entre les princes et les cités (1449), les chan-
sonniers d'Augsbourg composèrent cette satire rimée contre les pré-
lats trop belliqueux d'alors :
s La pauvre commune ne sait plus ce qu'elle fait! Elle verse inutile-
ment son sang dans la guerre. Seigneur, je t'en prie, prends-nous sous ta
garde, car voilà que maintenant les chefs qui gouvernent la chrétienté et
devraient honorer la sainte foi sont les premiers à combattre. L'évêque
de Mayence ouvre la danse; je préférerais qu'il chantât au chœur dans sa
cathédrale, ou f|u'il veillât au bon ordre parmi ses clercs. L'évêque de Bam-
berg danse après lui; l'évêque d'Eichstatt ne manque pas davantage à la
ronde. La guerre est devenue mortelle pour l'aumône. Jadis les saints
Pères propageaient la foi, convertissaient de grands peuples au christia-
nisme; mais ceux-ci détruisent la religion. 0 Seigneur, je me plains à toi
de ce malheur! J'ai entendu dire que les prophéties annonçaient qu'on
en viendrait à tuer les prêtres '^. »
En réponse à cette chanson, on riposta du côté des princes par une
autre chanson; les cités y étaient accusées d'avoir détruit des églises
et des monastères, de ne pas même avoir épargné le Saint Sacrement.
L'orgueil des bourgeois, qui prétendaient égaler le faste et les riches
habillements delà noblesse, devenait intolérable, disait la chanson :
s Ils croient que personne ne peut les égaler; ils se nomment le Saint-
Empire romain, et ce ne sont que des paysans; ils se tenaient derrière la
porte avec force révérences, autrefois, quand passaient les princes qui
gouvernent le pays. Le roi Sigismond était fou en vérité, quand il a per-
mis à ces gens la trompette et le fifre! Leur vanité en a été enflée; d'après
le bon usage, cela ne convient qu'aux princes. »
Pour conclure, on souhaite aux nobles de réussir dans leur entreprise :
' Holland, AUdentsclic Dichikunst, p. 573.
^ Voy. Kurz, p. 593.
* Voy. sur ces prophéties les passages du livre de la Sibylle de lôl5. Nor-
DE.NBERG, Kölnisches Literatur Leben, p. 22-23.
CHANSONS CONTRE LES AVOCATS. 217
«Puisse la noblesse avoir la victoire, et mettre fin aux niaiseries de ces
paysans! Je le souhaite de tout mon cœur! Puissent-ils s'humilier devant
les seigneurs, et ne gagner à cette guerre que repentir, peine et cha-
grin ' ! '
Syi'iacus Spatigenbcrj'; dit dans sa Chronif/ue de Mansfelt (1452) :
. On rima et l'on clianla des chansons pour rappeler aux autorités
le devoir qu'elles avaient de maintenir l'équité dans le goiiverne-
mcnl ; on les exhortait à ne pas accorder trop de liberté et de pou-
voir à la noblesse, à ne pas permet! re aux bourgeois trop de luxe
et de magnificence, h ne pas charger au delà de toute mesure
les gens de la campagne, à tenir les routes en bon état et à rendre
Justice à chacun* ",
C'était en effet du manque de justice et d'équité qu'on avait le plus
souvent à se plaindre. Les représentants du droit romain nouvelle-
ment introduit s'attiraient déjà par leurs fiitales pratiques la répro-
bation populaire. Dans une chanson satirique oi^i les classes élevées
sont mises en accusation, un poète inconnu se fait l'éclio des plaintes
formulées contre les nouveaux légistes :
Il Depuis qu'on a admis ce droit dans le conseil des princes, bien des
maux sont tombés sur le pays ". "
On appelait les légistes : 'c Plieurs de droit, coupeurs de bourse,
sangsues. "
t Partout aujourd'hui l'un trompe l'outre. On toid et l'on fausse le droit.
Le jugement, qui devrait être vérilique, se vend maintenant pour des avan-
tages temporels et de l'argent. Partout procès et appels. Et dans les arrêts
qu'on prononce, le pauvre, qui ne connaît pas la chicane, est souvent
victime... Ce qu'autrefois on aimait et estimait, aujourd'hui on n'en fait
plus de cas. Le vieux droit a été retourné. Les nouvelles inventions sont
aujourd'hui en faveur dans le monde entier, j
Voilà ce qu'on lit dans un pamphlet datant de 1493, et où les
princes, les Juifs et les légistes sont stigmatisés. Ces derniers sont
menacés d'une vigoureuse expulsion; les princes sont rappelés à
l'ordre à cause de leur trafic avec les Juifs usuriers; on les engage
à ne pas tant les aimer :
u Et le plus grand mal encore de tout, c'est que les princes et les sei-
gneurs s'arrangent a\ec les maudits Juiisqui enlèvent aux chrétiens leur
avoir, les mauvais chiens qu'ils sont! Seigneur prince, veux-tu m'entcn-
' LiLiENCRON, t. I, p. 415-419. — Voy. t. II, p. 334-338, les vers composés plus
lard contre les paysans de Nuremberg.
- Voy. LiLiENCRON, t. I, p. 449.
' LlLIENCROX, 1. 1, p. 560.
218 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
dre? Prends garde A toi! Ils te maudissent soir et matin. Prince, comte,
seigneur, suis le conseil que je te donne .- si tu aimes Dieu, si tu veux
parvenir au paradis, évite trois choses sur la terre : ne t'adonne pas à
l'usure, n'abaisse pas le droit jusqu'à en faire ton serviteur, ne t'attache
pas aux Juifs, ne leur donne pas ta confiance : ce sont les voleurs de ton
àme et les insulteurs de IS'otre-Dame. ■•
Les prêtres ne sont pas épargnés non plus; surtout ceux qui sont
nobles, ne cherchent que les bénéfices et s'adonnent au jeu, à la chasse
et aux plaisirs :
« Leur conduite nous afflige grandement! Ce qu'ils devraient nous
défendre, ils le font toute la journée! 11 n'y a qu'une plainte contre eux.
En vérité, je le déclare, ils se déshonorent eux-mêmes. «
Le brigandage de la noblesse est intolérable, dit encore la chan-
son. Les gentilshommes semblent considérer le vol comme une
<• action honorable ". On va même jusqu'à l'enseigner '■ comme on
enseigne à lire aux enfants -. Cela n'était que trop vrai. Werner
Rolewinck nous a donné d'amples détails sur la manière dont on
formait au vol, en Westphalie, les jeunes gentilshommes (1478).
Lorsqu'ils se mettaient en campagne, ils chantaient, dans le patois
de leur pays :
t Volons, pillons sans vergogne ! Les meilleurs du pays le font bien ! »
Les paysans ripostaient à leur tour :
<• Prendre, rouer, di^coller, emprisonner, il n'y a pas là de péché! Si
nous ne le faisions, nous n'aurions rien à mettre sous la dent i. i
On donnait par dérision l'instruetion suivante aux jeunes nobles :
<• Si tu veux te nourrir, écoute, jeune gentilhomme, suis ma leçon :
monte à cheval, mets-tni en campagne, tiens-toi près du bois vert; quand
le paysan viendra abattre du fagot, jette-toi promptement sur lui, saisis-
le par le collet; que Ion cœur se réjouisse, car bientôt tu pourras le dé-
pouiller. Dételle ses chevaux gaiement et courageusement, et, s'il a de
l'argent, coupe-lui la gorge '-. s
Une autre chanson satirique, soi-disant chantée par le gentil-
homme brigand, réclame le pillage des marchands :
" Les marchands sont devenus nobles, on s'en aperçoit tous les jours.
Eh bien! que les chevaliers achèvent de les équiper! Qu'on les dépouille
de leur fourrure de martre, qu'on les échaude, qu'on les pille, ces bons
marchands: Cela rabattra un peu leur orgueil ^! •
'^ De laude Saxoniœ, p. 212-214.
« Uhland, t. I, p. 339.
^ Ibid., p. 369.
CHANT RELIGIEUX. 219
Les chansons satiriques railleuses et dénonciatrices qui s'attaquaient
aux lirréliqucs et leur reprochaient de décliircr l'unité de l'Ej^lise ',
é(aicn( très-répandues parmi le peuple, coninic aussi les chansons
conlre les Suisses, qui voulaient se séparer du royaume et servaient
les Français conlre l'Empereur ^
Le lied élait passionnément aimé du peuple.
On chantait, " parce qu'il n'y a rien dans la vie qu'un refrain fçai,
parti du C(rur, ne change en joie ". Surtout il était d'usaj^e, dans
toutes les réjouissances et divertissements, de chauler leslicder nou-
veaux les plus gais, afin d'empêcher qu'on ne bavarde et ne trinque
avec excès ^ " Lorsque deux ou trois personnes sont ensemble, il
laut chanter ", lit-on dans un livre de piété daté de 1509. " Que tous
chantent pendant le travail, dans la maison, aux champs, pendant la
prière et les exercices de piété, dans la joie et la souffrance, dans le
deuil et les festins. Oua»d hi chanson est honnête, sache qu'elle est
agréable à Dieu; mais lorsqu'elle ne l'est pas, tu pèches en la chan-
tant; évite de le faire. Le chant qui se rapporte à la gloire de Dieu
et des saints, et qu'on entend dans les églises de tous les peuples
chrétiens, celui des après-midi, des dimanches et des jours de fête,
celui que chantent enfants et serviteurs devant les digues pères de
famille, ceux-là sont singulièrement louables, et disposent le C(Pur à
la joie. Or Dieu aime un cœur joyeux*. »
II
La poésie lyrique est l'expression la plus profonde, la plus trans-
parente, la plus élevée de l'àme populaire; semblable à la respira-
tion et au battement du pouls, elle est le témoignage et la mesure de
sa'force et de sa vie \
' WiMPHKLiNG, dans son livre De arte hnprcssoria, p. 17, s'appuie sur l(;s chansons
si répandues parmi le peuple contre les liussites et les autres hérétiques pour
prouver l'esprit religieux populaire de son temps. — Comparez aussi Liliencuon,
t. II, III.
* Voy. WiMPHELiNG, dans les passages déjà indiqués. Le chroniqueur suisse
Anshelm raconte que depuis 1488 les confédérés, surtout à cause de leur attache-
ment pour la France, furent inhumainement poursuivis eu Allemagne par des chan-
sons grossières, méprisantes et railleuses. — Voy. Gruneisen, p. 43. — Liliencron,
t. II, p. 363, sur la rudesse et la vulgarité des chants populaires à partir des
troubles du seizième siècle. Voy. Gervinus, t. II, p. 258, 275-276.
' Voy. ces passages dans GœOEKE, Gnïndriss zur Geschichte der deutschen Dichtung,
122.
* Ein christlich crmanuiig zum f rumen leben (Mayence, 1509).
* Voy. GÖRRES, Alldeutsche Volkslieder, t. IV-VI.
2-20 L'ART ET LA ME POPULAIRE.
Cette vie iulime s'est déjà révélée à nous dans les chants popu-
laires profanes; mais elle se manifeste mieux encore dans les pieux
cantiques qui alimentaient la piété du foyer, et dans le chant d'église
qui se mêlait aux offices publics à l'intérieur des temples, et servait
aux exercices religieux du peuple assemblé.
Les chants religieux et les cantiques spirituels en langue vulgaire
étaient en usage en Allemagne dès le neuvième siècle, et le peu qui
nous en a été conservé met daus fout son jour la piété naïve, la foi
simple, fendre et robuste de nos ancêtres. '^ Le monde entier », écri-
vait, en 1148, le prévôt Gerhoh de Reichersberg dans son Explica-
tion des psaumes, <■ loue maintenant le Sauveur daus des cantiques
composés eu langue vulgaire. L'usage s'en est surtout répandu
parmi les Allemands, dont la langue s'ajuste à merveille à d'harmo-
nieuses mélodies K » i- Ouand nous quittâmes les pays allemands »,
écrivait le moine Gottfried, qui avait accompagné saint Bernard
pendant la prédication de la croisade, à l'évêque Hermann de
Constance (1146), " votre cantique ^ Christ, accorde-nous ta grâce »,
cessa fout à coup, et personne ne se trouva là pour continuer à
louer Dieu. Sachez que le peuple romain n'a point, comme vos
compatriotes, de chants qui lui soient propres, et par lesquels il
puisse témoigner à Dieu sa reconnaissance pour chacun de ses bien-
faits -. "
A partir du douzième siècle, les documents abondent sur les can-
tiques allemands chantés pendant le service divin, les processions,
les pèlerinages, la représentation des mystères et autres saintes
circonstances ^ On les chantait nîême pendant le combat, et si
les chevaliers de l'ordre Teutonique entonnèrent le cantique " Le
Christ est ressuscité » dans la sanglante bataille de Tannenberg
(1410), dès 1167, l'armée allemande avait chanté « Jésus, foi qui es
né d'une Vierge », pendant la bataille de Tusculum, et tandis que
l'archevêque Christian, de Mayence, s'élançait dans la mêlée, sa
bannière à la main. Le cantique avant la prédication, « Viens, Esprit-
Saint » ; celui de Noël, " Un beau petit enfant nous est né » ; celui de
Pâques, " Jésus-Christ est ressuscité, le premier d'entre tous les mar-
tyrs »; le chant de l'Ascension, ^- Jésus-Christ s'est élevé au Ciel »;
celui de la Pentecôte, - Prions maintenant le Saint-Esprit », étaient
depuis le treizième siècle sur les lèvres de tous les fidèles. Frère Ber-
thold, célèbre prédicateur (f 1272), fait dans un de ses sermons
l'éioge du cantique de la Pentecôte : C'est un très-beau cantique,
dit-il; chantez-le d'autant plus volontiers que vous le chanterez plus
' Voy. Hoffmann, Kirchenlied, p. 41.
* Beniaidi Opp , éd. Mabilion, t. II, p. 1197. — Voy. Baumker, p. 125.
^ Voy. Hoffmann, p. 42, 48. — Koberstein, t. I, p. 230-346.
CHANT KEI.KMEUX. 221
souvent; chan(cz-Ic de (ouïe votre âme, qu'il vous aide à appeler
Dieu à votre secours; celui qui Ta composé était un homme sajje; il
a l'ait là une bonne et utile trouvaille. » Bertiiold conseille ensuite à
ses auditeurs d'en composer de semblables, s'ils en ont le talent '.
Dans une des strophes du cantique pascal, attribué au curé Conrad
de Oueinfurt (f 1382), on lit :
« Fnilcs résonner vos accords clairs et doux, vous, fidèles, dans la nef,
vous, |)r^lres, dans le chœur! répétez encore voire cantique, chantez ;\
pleine voix : « Le Christ s'est affranchi aujourd'hui des liens de la
mort -! 1
Jean de Salzbourg-, moine bénédictin, fut au quatorzième siècle
le plus zélé propap,ateur des cantiques spirituels; il traduisit en alle-
mand un nombre considérable des meilleures hymnes de l'ancienne
liturgie, et composa quelques cantiques empreints d'une piété pro-
fonde, qu'il mit en musique avec le concours d'un prêtre séculier.
L'air, le " ton ^ de beaucoup de ces cantiques se conserva; et sur ces
anciennes mélodies on composa et l'on chanta de nouveaux canti-
ques qui étaient encore d'un usage fréquent vers la fin du moyeu
âge ».
Au quinzième siècle, le prêtre Henri de Laufenberg, entré en
1415 au cloître de Saint -Jean, à Strasbourg, tenta d'adapter la
musique profane aux cantiques spirituels, et transforma en chants
pieux les chansons préférées du peuple.
Le quinzième siècle fut l'époque la plus favorable au dévelop-
pement du cantique. Les essais de réforme qui avaient été tentés à
l'intérieur de l'Église, le nouvel épanouissement de la piété, les
innombrables Bibles allemandes et livres d'édification mis pour la
première fois entre les mains de tous, exercèrent tout naturellement
une grande influence sur le chant religieux. Les luttes religieuses
elles-mêmes secondèrent ce progrès, car pour combattre les héré-
tiques qui cherchaient à propager leur doctrine par des cantiques,
on se servit des mêmes armes qu'eux. Les cantiques des diverses
contrées allemandes qui n'avaient jusque-là existé que dans les mé-
moires devinrent, à partir de la découverte de l'imprimerie, le trésor
commun de tous les chrétiens; les fidèles les savaient par cœur;
de 1470 à 1518, on en connaît plus de trente recueils imprimés en
langue vulgaire, abstraction faite de beaucoup d'autres, sans indica-
tion précise de date et de lieu; ils contiennent la traduction des
chants liturgiques, des offices, des hymnes de l'Église, des psaumes
Voy. Holland, Alldeutsche Dichtkunst, p. 418-419.
* Voy. KOBERSTEIN, t. I, p. 346. ^
' Pour plus de détails, voy. Holl\nd, p. 420-423.
222 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
de la pénitence; ou bien ce sont de pieux traités accompagnés de
cantiques '.
« Les papistes, dit Luther, dans un de ses sermons, ont autrefois
composé de beaux cantiques, par exemple : « 0 toi qui as brisé l'en-
fer et vaincu l'exécrable démon - ; ou bien " Le Christ est ressus-
cité, le premier d'entre tous les martyrs ». Ils semblaient vrai-
ment partir du cœur. A Noël, ou chantait : i-- un beau petit enfant
nous est né aujourd'hui "; à la Pentecôte: " Prions maintenant le
Saint-Esprit >; pendant la messe on entendait le beau cantique :
" Dieu saint, sois loué et béni, toi qui nous as nourris de ta propre
substance - ! ■
Plus, durant les quatorzième et quinzième siècles, le chant popu-
laire profane ou spirituel s'était perfectionné, plus aussi la mélodie
populaire proprement dite s'était développée. Les musiciens de pro-
fession sentirent leur émulation s'éveiller % et s'efforcèrent de mo-
duler savamment ces effusions directes de la poésie nationale. C'est
par centaines que nous possédons les admirables cantiques adaptés
à ces inimitables mélodies ^ Les chants d'Église à quatre voix, édités
par Erhard OEglin avec un soin d'artiste si minutieux, marquent le
grand progrès accompli dans le cours du siècle, et montrent avec
quelle aisance les musiciens étaient arrivés à composer des chants à
plusieurs voix. Dans ces compositions, la mélodie populaire primitive
" joue le rôle de note tenue, dans des strophes séparées par des
pauses. La phrase primitive est tout entourée de voix qui, autour
d'elle, composent une symphonie en contre-point. Elle rappelle la
sainte image qui, dans les autels en bois sculpté du moyen âge, forme
le sujet principal, et que nos artistes environnaient de tant de per-
sonnages secondaires \ "
Ces cantiques, dont la beauté a été à peine surpassée de nos jours,
pourraient à eux seuls former un ensemble complet de doctrine reli-
gieuse. Leur piété simple et solide nous offre sans cesse Jésus-Christ
comme principe et fin de tout salut. Que de chants d'un senti-
' Voy. Wackernagel, p. 807; voyez-en le catalogue dans Meister, 36-39.
^Luthers Sämvulkhc Werke. Édit. de Francfort, vol. V, p. 23. Contre l'affirma-
tion de Cawerau que ses cantiques n'étaient point chantés dans l'église, voy. ma
Lrochure Ames critiques, p. 61-62. Plus de la moitié des chants attribués à Luther
ont une origine plus ancienne et ont été seulement remaniés par lui, c'est-à-dire
adaptés à la nouvelle doctrine; d'autres ne sont que des traductions d'hymnes
latines et de psaumes; très-peu sont vraiment de sa composition. Il transporta
aussi dans la nouvelle église les mélodies de nos anciens chants d'église; il est
très-douteux qu'il ait composé lui-même une seule des mélodies qui lui sont
attribuées. — Voy. Meister, p. 16, 30, et Baumker, p. 138, 154.
' Voy. ci-dessus.
* Voy. Arnold, p. 20-60, 165-170.
5 Ambros, p. 368.
CANTIQUES. NOELS. 223
nient fondre cl délicat savent aussi louer avec f/,ràce la Mère de Dieu
et les saiuls! Mais les plus prolonds et les plus élevés sont consacrés
au Sauveur; ils sont d'une tendresse, d'une pureté incomparables, et
ce qui en fait l'immuable fond, c'est toujours une pensée analogue
à celle-ci :
" Au milieu du temps de notre vie, nous sommes environnés par la
mort : qui cherchons-nous donc ici-bas, qui peut nous aider, qui pourra
nous obtenir miséricorde, si ce n'est loi, Seigneur, toi seul, que nos
fautes ont justement irrité ' ! «
Ils expriment aussi la sainte allégresse d'une foi pleine de con-
fiance :
" Jésus, consolateur du pécheur, celui qui te cherche sera délivré,
celui (|ui te prie sera protégé, pourvu qu'il ne cherche que loi seul! O
Jésus! douce fontaine du cœur! Ton éclat est plus brillanl que celui du
soleil, ta bonté chasse toute peine et fait oublier toute la vanité du monde.
Aucune langue ne peut dire, aucun livre n'imaginera jamais, l'homme
éprouvé peut seul savoir ce que c'est que d'aimer Jésus -. »
" Si je sacrifiais ma jeune vie pour Dieu, mon Créateur, il me donnerait
son royaume éternel en échange. Et que pourrait-il m'arriver de plus
heureux? Il a souffert pour nous une mort cruelle et amère, il a combattu
comme un vaillant chevalier, il a abandonné sa royauté pour nous tirer
de la misère. S'il me fallait renoncer au monde, je ne m'en soucierais
guère! Je me tournerais alors entièrement vers Jésus-Christ seul ^. i
Mais c'est dans les noëls que l'esprit si profondément religieux du
quinzième siècle s'exprime avec le plus de grâce et de pureté. Leur
naïveté aimable, leur simplicité émouvante, ne seront jamais égalées
par l'art le plus raffinée Cela est surtout vrai des cantiques sur la
fuite et le séjour en Egypte. Nous possédons environ cent de ces
noëls ^ au nombre desquels se trouve celui qui est le plus répandu
et nous charme autant par sa mélodie que par ses paroles :
ï Un rameau est issu d'une racine délicate. Il sortait de Jessé, comme
nos pères l'ont chanté. Au milieu du rude hiver, vers le milieu de la nuit,
il a produit une petite fleur. »
Parmi les créatures, le plus grand et le plus bel éloge appartient à
* Ph. Wackernagel, p. 750.
* Traduction d'un cantique très-répandu de saint Bernard, tiré d'un manuscrit
de Cologne (1460,. — Hoffmann, Kirchenlied, p. 310-3!2. Ph. Waokernagel, p. 629,
note.
*Tiré d'un manuscrit de Ratisbonne, du commencement du seizième siècle,
Uhland, 1. 1, p. 866.
* Ainsi que le dit Hoffmann, Niederl. geistl. Lieder, p. 3-5.
»Meister, p. 145-273. — Phil. Wackernagel, 631-632, 698-703, 711. — Hoffmann,
Kirchenlied,^. 165.
224 L'AllT ET LA VIE POPULAIRE.
la Vierge Mère. Elle est vénérée comme Tabrégé de toutes les vertus;
elle est invoquée comme notre continuelle et puissante avocate
auprès du Sauveur :
1 J'ai choisi pour l'objet de mon amour une tendre jeune fiile. Elle est
de haute naissance, elle est la joie de mon cœur ! Depuis des milliers d'an-
nées, on a bien parlé d'elle! Elle est de grande noblesse, elle est d'illustre
origine! Elle est comme un jardin joyeux, plein de merveilleuses fleurs.
Ma tristesse a cessé dès que je l'ai aperçue. Elle est la couronne des
femmes, la guirlande des vierges. Elle est la récompense des anges, elle est
l'éclat du ciel! — Isi le soleil ni la lune ne peuvent lui èire comparés '. »
Ce qui domine dans tous ces cantiques pieux, c'est Jésus-Christ,
considéré non -seulement comme Époux de l'Église, mais encore
comme celui de toute âme fidèle. Cette pensée s'y retrouve sans cesse,
elle est développée sous tous ses aspects ^ L'aimable allégorie de la
strophe suivante en est une forme gracieuse :
Nous allons bâtir une petite maison,
Un pelit cloître pour notre âme.
Jésus-Christ en sera le Maître,
La Vierge Marie la ménagère,
La crainte de Dieu la portière.
L'amour de Dieu le sommelier;
L'humilité y habitera.
Et la sagesse tiendra tout sous clef ^.
Le désh' du ciel, véritable nostalgie du chrétien, ne s'exprime nulle
part plus fidèlement que dans le cantique populaire suivant :
c Je voudrais être dans mon pays et dépouillé de toutes les consola-
tions du monde. Je veux parler de mon pays du ciel! L;\ je contemple-
rai Dieu éternellement. Allons, mon àme, prépare-toi! La troupe des
anges t'attend. Le monde entier est trop étroit pour toi. Dans ma vraie
patrie, la vie ne connaît pns la mort, la joie est sans chagrin, la santé
sans souffrance, le bonheur dure aujourd'hui et durera toujours. Là,
mille années sont comme un jour, et l'on ne connaît aucun chagrin.
Allons, mon cœur! allons, mon âme, cherche le bien suprême! Ce qui
n'est pas du ciel, n'en fais aucun cas, et pense toujours à ta vraie patrie:
Tu sais bien qu'il te faudra partir d'ici, que ce soit aujourd'hui ou
demain! Puisqu'il n'en peut être autrement, maud.t le faux éclat du
monde! Pleure tes péchés, améliore-toi comme si tu partais demain pour
le paradis. Adieu, monde! Que Dieu te bénissse! Je pars pour le ciel ^!»
Les cantiques allemands chantés par le peuple n'appartenaient
pas plus qu'aujourd'hui aux offices religieux proprement dits. Mais
' Tiré d'un manuscrit de Stuttgard (quinzième siècle). Uhland. I, 842-844.
' Voy. Hoffmann, Geistliche Lieder, p. 6.
' Tiré d'un manuscrit du quinzième siècle de Vienne. Uhland, t. I, p. 864.
* Voy. Ph. Wackernagel, p. C31. — Uhland, p. 868.
I
OR^(;I^f^: du drame ueligikux. 225
ils prirent peu à peu, par le lonjj usage qu'on eu avail l'ait à Tiiite-
rieur des éf;liscs et au dehors, un certain caractère lilurjyique \
ElTusious d'une foi sincère et tendre, ils étaient en même temps un
puissant moyen de raviver sans cesse la fol populaire; [jrAce à eux,
les fidèles participaient au culte d'une double manière: par la prière
et par le clianl. Les cantiques allemands élaient en usajjc durant les
pèlerinages, les processions, aux principales fêtes de l'année, pen-
dant la représenlation des mystères, aux consécrations d'églises,
aux fêtes des saints, avant et après le sermon, à la suite des proses
liturgiques de la messe, enfin aux offices de l'après-midi et du soir.
C'est donc avec raison que Philippe .Mélanchthon, dans son apologie
de la confession d'Augsbourg, déclarait que l'usage des cantiques en
langue vulgaire <- avait toujours été tenu pour louable dans l'Kglise * 'i .
" Nul peuple de la chrétienté ne pouvait se vanter de posséder un
témoignage plus poétique de sa foi, un plus beau trésor de cantiques
spirituels' ", que le peuple allemand au commencement du seizième
siècle.
111
Le drame spirituel, comme le chant religieux, sortit à la fois du
culte liturgique et de la fraîche et saine vitalité populaire. Si l'on
entre bien dans l'esprit de ces représentations et qu'on se rende un
compte exact de l'action qu'elles exerçaient sur les âmes, on connaî-
tra à fond une grande partie de ce qui constituait à cette époque la
culture intellectuelle du peuple.
Depuis les temps les plus anciens, le service divin, en se dévelop-
pant, avait pris de plus en plus la forme symbolique d'un drame litur-
gique. Le centre de tout le culte, la sainte messe, est en elle-même
une commémoration dramatique, un renouvellement non sanglant
du sacrifice du Golgotha, c'est-à-dire de la plus sublime et de la plus
sainte tragédie qu'il soit possible de concevoir. Toutes ses parties
développent graduellement le drame auguste de l'immolation divine;
il se déroule en cinq actes, si l'on peut ainsi parler, devant les fidèles
' Voy. Hoffmann, p, 192-193. — Voy. Biumker, p. 128-129, qui prouve avec évi-
dence que pendant tout le moyen âge le cliant grégorien latin fut seul chanté dans
les églises, et que les évéques veillaient avec soin à ce qu'il fût intégralement
conservé.
* Voy. Jacob, p. 366-368. — Meister, p. 13-16. — Baumkeu, p. 130-137.
' C'est l'aveu de Pli. W;tckernagel, malgré ses préjugés protestants. — Voy. :
A mes critiques, p. 62.
15
2j6 L'AUT et la vie POPULAIRE.
qui rotfrent et y participent avec le prêtre, et leur fait successive-
ment parcourir toute la gamme des sentiments religieux '. Aussi
la mes<e est-elle tout naturellement devenue le texte de nos grands
compositeurs de musique sacrée. Pendant la grand'messe, prêtre,
lévites et assistants sont en communication continuelle. Ils se
parlent, ils se répondent. Tous les détails du culte sont symboliques:
la couleur, la forme des vêtements sacerdotaux, rornementatiou des
autels, et jusqu'à la pensée qui a présidé à la structure du saint édi-
fice. Les vêpres aussi, avec leurs antiennes et leurs répons, établis-
sent un continuel dialogue entre le prêtre et les fidèles. Les proces-
sions solennelles d'autrefois, suivies par les Ordres religieux et le
clergé séculier en costumes si variés, les corporations et les confré-
ries en habits de fête, les cierges, les bannières flottantes, tout com-
posait déjà une sorte de représentation ^cénique.
A côté des éléments dramatiques qui existaient déjà dans le
développement régulier du culte, les premiers germes du véritable
drame spirituel ne tardèrent pas à se luoutrer. L'initiative du clergé
les fit éclore, et c'est sous sa direction que furent représentés, soit
dans nos églises, soit dans les cimetières ou les cloîtres, les pre-
miers essais des Mystères, destinés à instruire et à édifier le peuple.
Mais il faut en chercher la véritable origine dans ces rites sym-
boliques qui, dès la plus haute antiquité chrétienne, ont été en
usage pour la célébration de nos grandes fêtes. A >i'oël, par
exemple, on a toujours représenté la Crèche, l'Enfant Jésus, sa
sainte Mère; le vendredi saint, on ensevelissait solennellement un
crucifix qu'on venait relever en grande pompe à l'aube de Pâques.
A ces premiers essais se joignit bientôt la récitation de versets
bibliques expliquant la fête, puis des proses, des hymnes liturgiques,
de saintes légendes. On y mêla plus tard des allusions aux événe-
ments actuels; enfin l'élément comique vint s'y mêler, se rappor-
tant plus ou moins à quelque trait du mystère représenté^.
Vers la fin du moyen âge, on était en possession de drames reli-
gieux appropriés à toutes les fêtes du Sauveur, depuis Noël jusqu'à
l'Ascension; mais l'histoire de la Passion, surtout dans les représen-
tations de Pâques, restait le thème préféré du public. Aussi prenait-
on un soin particulier pour l'entourer de magnificence, s'efforçant
' Voy. Guido GÖRRES, Das iheater im MitUlalter, dans la Histor. und pol. Blät., p. 6, 9,
37. Görres a le mérite d'avoir le premier attiré l'atteation des érudits sur l'an-
cien art dramatique allemand. — Voy. ^ur ce sujet les travaux si approfondis de
MoNE (1841-1846), d'HoFFM.vw von Falters, de Leben, de Pichler, de Vi'einhold et
de Hase.
* Voy. Wilken, über die kritische Bthandlung der geistlichen Spiele (Halle, 1873,
p. 7-101.
LES MYSTÈRES. 227
(oii.joiirs d;ivaii(a(je d'y représenter l'histoire de la Rédemption dans
(ont son vaste développement historique. Le mystère commençait
{»énéralcmcnt par la chute de Lucifer et de ses anp,es; venaient
ensuilc le paradis terrestre, le bannissement d'Adam et Kve, et
l'arbre de la science opposé à l'arbre de la croix. Set h est envoyé
par Adam mourant au paradis terrestre afin d'y chercher, pour
la {]?uérison de son père, un fruit de l'arbre de vie. Le chérubin qui
en (jardc la porte lui en donne un rameau qui doit rendre la santé à
Adam et lui oblenir la vie éternelle; mais Adam est mort dans l'inter-
valle, et Seth plante sur sa tombe ce rameau sacré, d'oiinailra un
jour l'ai'brc de la croix. Comme prélude à la grande épopée chré-
tienne, les prophètes sont introduits, ainsi que les païens qui ont
pressenti et annoncé le Christ, tels que Virp,ile et les Sibylles. Puis
viennent des scènes isolées de la vie du Sauveur, quelques-uns de
ses miracles, la guérison de l'aveugle-né, la résurrection de Lazare,
témoignages saisissants de la puissance infinie de Celui qui dispense
la lumière et la vie. Ensuite se développe toute la tragédie de la Pas-
sion; puis la Résurrection, l'Ascension; souvent même, le mystère
s'étendait jusqu'au Jugement dernier '. Comme l'épopée, le drame
chrétien est essentiellement tragique; comme la théologie chrétienne,
il voit dans l'histoire du monde une vaste tragédie, dont le Jugement
dernier est le suprême dénoihnent -.
En dehors des drames religieux qui se rapportent directement au
Sauveur et forment le cycle principal, on jouait de nombreux
mystères sur la vie de la Sainte Vierge, ils étaient représentés soit
isolément (comme le mystère si touchant des Lamentations de Marie),
soit rattachés à ceux du premier cycle. On composait aussi d'autres
mystères sur les légendes des saints, les paraboles, l'Antéchrist, le
Jugement dernier; l'un des plus remarquables parmi ces derniers
est le mystère de Tegernsé, intitulé : De l'avènement et de ta chute de
l'Aulec/irist. C'est le plus ancien drame d'origine allemande que nous
possédions, et l'un des plus grandioses et des plus riches en dévelop-
pements qu'ait produits l'art dramatique au moyen âge. Il a un intérêt
non-seulement religieux, mais politique; car le poëte a établi des
rapprochements entre l'Antéchrist, les princes de la chrétienté et
leur chef suprême, " l'empereur romain de nation allemande «.
Ce mystère semble avoir été fréquemment représenté pendant le
quinzième siècle ^
> Hase, p. 15-20. — Wilken, p. 63-130.
* Voy. IMo.NE, Alldeutsche Schauspiele, p. 16, et Schnuspide des Millclallcrs, t. I, p. 336-
337.
^ A Xanten, d après le témoignage du chanoine Pelz, le grand drame de X'Anic-
ehriti, traduit du latin, fut représenté deux fois, en 1473 et 1481.
15.
2-28 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
Des personnages allégoriques ouvrent le drame : on assiste d'abord
à la lutte du paganisme avec la synagogue; puis l'Église parait : elle
est accompagnée de la Miséricorde, tenant à la main une branche
d'olivier, et de la Justice, portant le glaive et la balance. A sa droite,
se tient le Pape avec tout son clergé; à sa gauche, l'Empereur,
ses hommes d'armes et plusieurs souverains. L'Empereur ordonne
aux rois de lui rendre hommage, " car, ainsi que les historiens l'ont
rapporté, le monde entier est tributaire de Tempire romain ". La
bravoure des ancêtres avait établi cet ordre de choses, mais l'incapa-
cité de leurs descendants l'a détruit; ils ont laissé tomber en désué-
tude la puissance de l'empire; l'Empereur actuel prétend bien la réta-
blir, et tous les souverains doivent lui payer le tribut autrefois exigé.
Les rois de Grèce et de Jérusalem s'inclinent devant sa tou(e-puis-
sance, mais le roi de France résiste audacieusement; il est vaincu
dans un combat et réduit au rôle de vassal. L'Empereur, chef reconnu
de la chrétienté, triomphe ensuite du roi de Babylone, allié des
païens, et vient déposer sa couronne et son sceptre dans le temple
de Jérusalem, en chantant :
tt Prends ce que je viens l'offrir, reçois-le avec complaisance ! Roi des
rois, l'empire est à toi! Nous ne sommes souverains que par ta grâce;
toi seul diriges l'univers! »
Pendant ce temps, grandit à Jérusalem l'ennemi le plus redou-
table de la chrétienté : l'Antéchrist s'avance, entouré de l'Hypocri-
sie et de l'Hérésie. « Oue mou œuvre soit fondée sur vous, dit-il
en se tournant vers elles; c'est par vous que grandira l'œuvre
que je médite; toi, élève l'édifice; toi, anéantis le clergé. »
L'hypocrisie et l'hérésie s'y déclarent préparées. « Depuis long-
temps la sainte religion chancelle, disent-elles; la vanité s'est
emparée de la mère Église. A quoi bon les dépenses de tous ce.^
prêtres somptueusement vêtus? Dieu n'aime pas les prélats mon-
dains. Monte jusqu'au sommet de la puissance ! Grâce à notre utile
secours, le monde entier t'appartiendra. Nous l'avons rendu les
laïques favorables; par toi l'enseignement des prêtres sera détruit, n
L'Antéchrist commence son œuvre : « A la fin, vous m'avez enfanté,
dit-il, moi qui depuis si longtemps étais conçu sous le cœur de
l'Église. Je vais donc enfin déployer ma force et soumettre les puis-
sances! J'abolirai tout ce qui est ancien, et j'établirai des lois nou-
velles! ! On élève le trône de l'Antéchrist dans le temple du Seigneur;
l'Église, persécutée, accablée d'outrages et de coups, se réfugie près
du Pape. L'Antéchrist envoie alors des ambassadeurs à tous les souve-
rains de la terre pour les engager à se soumettre. Les rois de
Grèce et de France viennent l'adorer; il écrit les initiales de son nom
LES MYSTÈRES, 229
sur leurs fronts; mais le roi des Allemands, qu'il veut gagner par des
présents, renvoie ses messagers. Un combat s'engage, et Tarniee
allemande a la victoire. Alors l'Antéchrist a recours aux moyens
superstitieux; il opère des prodiges, guérit un prétendu boiteux, un
faux lépreux, et ressuscite un soi-disant mort. 11 parvient par ces
faux miracles à ébranler la foi des Allemands; l'Empereur s'age-
nouille devant lui, lui i^nt hommage de sa couronne, et se fait ensuite
sacrer et couronner par lui. Aidé des Allemands, l'Antéchrist soumet
le roi de Babylone et fait martyriser les Juift qui avaient d'abord
reconnu son empire, mais que l'apparition d'Enoch et d'Élie avait
convertis à la foi de Jésus crucifié. La domination de l'Antéchrist
s'étend plus loin que le pouvoir de l'Église n'atteignit jamais; il est à
l'apogée de la gloire, et s'écrie avec orgueil :
a Voilà ce que m'avaient prédit mes prophètes, les hommes de mon
nom, ceux qui ont eu soin de mes droits! C'est ma gloire qu'ils ont pré-
parée si longtemps! Celui qui en sera digne la partagera avec moi. Après
la chute des audacieux que la vanité aveuglait, la paix, la sécurité sont
le partage de tous ! »
Mais soudain le roulement du tonnerre lui annonce le châtiment
du ciel; il est foudroyé et précipité de son trône; les hypocrites
s'enfuient; ceux qui s'étaient laissé séduire reviennent à la vraie foi,
et l'Église délivrée chante un alléluia. « Voyez le sort de l'homme
qui n'a pas pris Dieu pour sou protecteur! Pour moi, j'ai été comme
un olivier fertile dans la maison de mon Dieu. Chantez les louanges
du Seigneur'! » L'intérêt du sujet, la musique, le chant, la mise en
scène devaient faire de ce drame, si simple en son essence, une repré-
sentation très-émouvante. Lorsqu'il fut représenté à Francfort-sur-
le-Mein (1469), le conseil de la ville se vit forcé de pourvoir à la
sécurité des Juifs *.
IV
Les mystères furent d'abord entièrement composés en langue
latine; puis, insensiblement, les chants qui y étaient intercalés
furent traduits, puis les textes tout entiers, et l'on en rima même de
nouveaux en allemand. Le drame et le chant progressaient ensemble,
et l'un par l'autre. Quant aux Lamentations de Marie^ dramatiques et
' Voy. Holland, .tUdeutsche Dlchikunsi, p. 612-622. — Voy. l'analyse du drame
dans Hase, p. 25-30, et Wilken, p. 145-153.
* Voy. Rriegk, Deulchcs Bûrgerlhum, p. 440.
230 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
lyriques tout à la fois, elles appartiennent autant aux chants d'Église
qu'aux mystères proprement dits '. La musique prit une part égale
au développement de l'un et de l'autre.
Les mystères étaient devenus si populaires en Allemagne, qu'au
quatorzième siècle on en représentait jusque dans les églises de vil-
lage. Les paysans y prenaient une pari personnelle*. Un fait qui
atteste bieu leur popularité, c'est qu'ainsi que les épopées antiques,
ils n'étaient pas écrits, mais transmis d'une génération à l'autre, et
formaient un trésor appartenant à tous '.
Lorsque les mystères étaient encore représentés dans les églises, le
théâtre se construisait derrière le chœur des chantres; plus tard, on
transporta la scène dramatique dans les cimetières ou sur les places
de marché. Là se rassemblaient tous les acteurs; non des acteurs de
profession, venus pour gagner de l'argent (on ne demandait aucune
rétribution aux spectateurs*), mais des prêtres, des élèves des écoles
supérieures, qui désiraient prendre part à la représentation et se
chargeaient aussi des rôles de femme. Les costumes des acteurs,
comme ceux dont les peintres revêtaient les personnages évangé-
liques, n'étaient autres que ceux qu'il était de mode de porter alors;
seulement, Dieu le Père, les anges et les apôtres avaient l'habit ecclé-
siastique, et Jésus-Christ était vêtu comme un évêque. Acteurs et
spectateurs prenaient la représentation fort au sérieux. Avant que
le mystère commençât, toute l'assistance entonnait le cantique si
connu :
Il Prions maintenant le Saiut-Esprit afin qu'il nous accorde la grâce
de toujours conserver la vraie foi, et nous garde au moment de notre
mort, lorsqu'au sortir de ce monde de misères nous irons enfin dans notre
patrie. Kyrie, eleison! «
Citons le prologue du mystère de sainte Dorothée :
s Au commencement de tout ce que l'homme veut entreprendre, il
doit d'abord invoquer Dieu de son mieux, afin de s'acquitter de ce qu'il
• Voy. WiLKEX, 288-289.
- Euienspitsel trouble dans un village la représentation d'un Mystère de
Pâque.>. L.vi'PENBERG, p. 16 et 232-233.
'Il ne nous a été conservé que peu de textes complets des Mystères de Pâques, même
de ceux le plus universellement en usage; des autres, il ne nous reste que des
espèces de répi-rtoires qui, à chaque représentation, étaient comme des lils con-
ducteurs dans la main de l'imprésario, et ne contenaient que des commence-
ments de discours, de vers ou de chants, et quelques observations sur tel ou tel
moment de la représentation.
^ « rsous allons avoir un Mystère de Pâques; il nous réjouira et ne nous coûtera
pas beaucoup ■> , ce qui veut dire rien du tout. Wackernagel, Geschichte der deutschen
Literatur, p. 308.
I.I.S .MYSTKIU'S 231
va fait«; avec moins do fx'cht' et plus de mérite. Puisse Dieu nous aider,
aliiM|ue ce que nous coninu néons réussisse! Quesainltt [)orotliée, la pieuse
vierge, nous accorde aussi son secours! ('.hant(>ns maintenant tous ensemble
le cantique au Sainl-Esj;rit '. "
Vn saiiif, ordinairernent sninf Aiif;nstin, remplissait le rôle de
coryphée, et doiiiiail aux assistants des éclaircissements sur le pieux
drame. Oiielqiiefois Vir(}ile, ■- le païen d'autrefois -^ était chargé
de cette fonction, et donnait sur le temps, le lieu, Tcnchainement
des parties, les explications nécessaires. Les acteurs s'avançaient sur
le devant de la scène chaque l'ois que leur tour de parler ou d'agir
était venu, puis ils retournaient à leur place. Des enfants de chœur
exécutaient les chants Intercalés dans le drame; les spectateurs se
tenaient debout ou assis autour de la scène; la représentation finie,
on allait généralement entendre l'office à l'église, ou bien acteurs
et spectateurs entonnaient ensemble un cantique. Dans les mys-
tères de Pâques, on chantait ordinairement : - Le Christ est res-
suscité ", ou bien encore : <; Christ, tu es doux et bienfaisant! » —
Les représentations avaient presque toujours lieu dans l'après-midi
et se continuaient souvent durant plusieurs jours. Elles exigeaient
un personnel considérable, surtout à la fin du quinzième siècle,
au moment du plus beau triomphe de la musique et des arts plas-
tiques. A Francfort-sur-le-Mein, en 1498, la représentation du mys-
tère de la Passion dura quatre jours, et eut un si grand succès
que, dans la même année, une seconde représentation eut lieu. " Les
acteurs qui y prirent part >> , lit-on dans un document conservé
dans les archives de la ville, - étalent au nombre de deux cent
cinquante; ils jouèrent pendant quatre jours consécutifs, avec de
très-beaux costumes, et à la satisfaction générale, jusqu'à l'heure du
Salve^. n En 1506, dans la même ville, deux cent soixante-seize per-
sonnages figurèrent dans le même mystère. Le drame finissait ordi-
nairement par l'ascension du Sauveur, puis, comme épilogue, par
le triomphe et la glorification de l'Église. Deux acteurs entraient alors
en scène : l'un représentait l'Église; elle était entourée de chrétiens;
l'autre était la synagogue, environnée de Juifs. Une dispute s'enga-
' Hoffmann von Falleusleben, Fundgruben, t. II, p. 284. — Voy. Hase, p. 51.
*Kriegk, Dürgerihuvi, p. 586, n''419. — Entre 1456 et 1506, il ny eut pas moins de
huit repréisentatious de drames religieux à Francforl-sur-le-Mein. Krie(.k,p.441. —
A Alsfeld, en 1501, 1511, 1517, le Mystère de la Passion fut représenté pendant trois
jours con^écutif.^. — Voy. Wilke.s, p. 110. — A Botzen, en 15(4, on joua pendant
sept jours le drame de la Passion, dont la représentation était divisée entre les
jours de fête qui s échelonnent entre le dimanche des Rameaux et lAscension.
— TlCHLER, Dramen des Millelulters in Tyrol, p. 64. — GUAFE, Leipzit/s religiöses Lehsn
bis zum Ausbruch der Reformation, dans le Zeilschrijifur die Hislor. Theologie de lllgcn,
t. IX, p. 62.
232 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
geait entre les deux religions, à la suite de laquelle huit ou dix Juifs
se faisaient baptiser par saint Augustin, qui se trouvait sur la scène.
A cette vue, la synagogue laissait échapper un cri de détresse; la
couronne tombait de sa tête, et l'Église, au contraire, chantait une
hymne de joie ', à laquelle Tiramense assistance se joignait dans une
sorte de chœur final.
Les scènes de la Passion étaient encore représentées d'une autre
manière, non plus sur un théâtre, mais dans des processions mou-
vantes et animées qui avaient lieu à la fête du Saint-Sacrement : là
aussi (comme, par exemple, à Kiinzelsau, 1479), toulela sainte histoire
était représentée, depuis la création du monde jusqu'au Jugement
dernier, par des groupes successifs. Dans la grande procession qui
eut lieu à Zerbst, les conseillers de la ville, les membres des confré-
ries religieuses et des corporations, se chargèrent de représenter
les personnages de la sainte Écriture (1479). A Freiberg, en Saxe, ces
processions avaient lieu tous les sept ans, au temps de la Pentecôte.
Le premier jour de la fête, les plus antiques scènes bibliques, la
chute des anges, la faute et le châtiment de nos premiers parents,
étaient représentées. Le second jour, venait la rédemption du monde;
le troisième, tout se terminait par la procession du Jugement dernier.
Ces processions étaient faites en grande pompe. Les acteurs appar-
tenaient à toutes les classes sociales, plusieurs d'entre eux faisaient
même partie des autorités de la ville. Les relations du temps, qui font
connaître les impressions des témoins oculaires, attestent l'indicible
émotion des auditeurs à la vue •; d'un spectacle si magnifique ^ «.
Les mystères, pris dans leur ensemble, étaient, pour la foi du peuple,
de grandes fêtes édifiantes. Jeunes et vieux s'en promettaient une
grande joie longtemps à l'avance; elles demeuraient dans toutes les
mémoires et exerçaient une heureuse influence sur la vie morale. Le
sujet, comme celui des tragédies grecques, avait l'immense avantage
d'être familier à tous; quelques traits bien marqués suffisaient pour
faire reconnaître tout de suite une ancienne connaissance dans chaque
type familier à son imagination. Le peuple retrouvait avec bonheur
ces personnages dont les paroles lui étaient si connues, et qui lui
étaient apparus si souvent, dès son enfance, dans les sculptures et
les tableaux des églises. Il les voyait avec joie sortir, pour ainsi dire,
de leur cadre, et s'avancer vers lui, pleins de vie, sous les traits de
ses propres enfants. La sympathie d'une foule animée des mêmes sen-
timents, qui regardait l'assistance aux mystères comme une sainte
action, le nombre considérable d'acteurs de toute classe, rendaient
^ FiCHARD, Frankfurter Archiv., t. III, p. 131, 158. — Kriegk, p. 439.
' Voy. WiLKEN, p. 138-142. — (inAFE, p. 62. — Voy. aussi Schreibfk, Theater &u
Freiburg, p. 25. — Wackerxagll, Geschichte der deutschen Literatur, p. 312-313.
CARACTÈRES DU DRAME RELIGIEUX, 233
ces rcprésenlations suscepliblcs de produire les plus (irands effets
dans les âmes. On n'épargnait rien pour obtenir ce résultat, et Ton
faisait avec !c plus grand soin des répétilions (jénérales muKipliées '.
Ou pourrait comparer l'appareil scénique des mystères â un
immense tableau vivant dont la signification, élevée bien au-dessus
des choses vulgaires et quotidiennes, devait produire l'impression la
plus saisissante. C'est qu'en effet on ne saurait imaginer de sujet
plus émouvant et plus grandiose à la fois que celui de ces repré-
sentations symboliques et historiques tout ensemble, oii se déroulait
dans loufe sa bcauié le plan do Dieu sur l'humanité. Leur trann-iille
caractère épique, leurs innombrables allusions symboliques, offrent
beaucoup d'analogie avec les sculptures et les tableaux de la même
époque. Le grand nombre des personnages, disposés en groupes,
rappelle les statues /jui se pressent aux portails de nos églises et sur
les retables d'autels; acteurs et statues portent les mêmes costumes^
Les arts plastiques, à leur tour, nous font souvenir des drames reli-
gieux, et l'on a comparé avec justesse les représentations des Mys-
tères aux gravures sur bois d'Albert Dürer.
Les mystères n'avaient rien de monotone. Comme les peintres
du temps, les poètes faisaient souvent preuve d'une merveilleuse
variété, aussi bien dans le choix des sujets que dans la façon de
les traiter. Leur manière de rattacher l'histoire de la Rédcm-ption
à la vie réelle et de tous les jours révèle en eux un sens religieux et
philosophique que les mystiques seuls ont possédé à une telle pro-
fondeur. L'art avec lequel ils savent grouper les personnages et les
faits a souvent de quoi nous étonner, et témoigne d'une véritable
habileté dramatique ^ Les intermèdes, dont le sujet est emprunté à
l'Ancien Testament, prouvent l'intuliion artistique qu'ils avaient de
la cohésion organique des faits de la sainte Écriture. Ces sortes de
prologues servaient d'introduction aux événements évangéliques qui
allaient suivre : Joseph vendu par ses frères précède et prophétise la
trahison de Judas.
L'élément comique rude, trop libre, qui s'y introduisit peu à peu
resta toujours inoffensif, du moins en Allemagne, et ne tomba point
dans une dangereuse licence. Exempt d'une indécence déplacée,
il était calculé pour mettre en relief, par le contraste, les choses
saintes \ Les scènes les plus sérieuses, les paroles les plus émou-
' Hase. p. 86. — Holland, Mluhuischc Dichihunsi, p. 631. — Wilken, p. 271, 279.
-Comme le dit Devrient : Gcschidue des deutschen Sc/iauspiels, t. I, p. 73-74. —
Voy. EiCHENDOPvFF, Zur Geschichte des Dramas, p. 17-18.
^ Mone a attiré le premier l'attention sur les rapports qui existent entre le
drame spirituel et les autres arts dans un livre intitulé : Altdeutschen Schauspielen,
p. 15-16.
* Voyez Holland, Geschichte der deutsrhen Literatur, p. 213-2Î7.
234 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
vantes, étaient souvent rapprochées de dialogues comiques où méde-
cins, soldats hâbleurs, charlatans de place publique, Juifs et colpor-
teurs usuriers, venaient exciter la risée populaire. Dans les mystères
de Pâques, le personnage favori était ordinairement le marchand
chargé de vendre des parfums aux saintes femmes se rendant au
tombeau; il se querellait avec sa femme à propos du prix de sa mar-
chandise, tandis que son valet, prodiguant les bouffonneries et les
lazzi de tout genre, dépensait avec libéralité, à la grande joie du
public, les saillies populaires de son esprit, l'abondant trésor d'invec-
tives et d'épithètes du quinzième siècle'. Judas ne manquait pas non
plus de faire rire à ses dépens, lorsque, après avoir marchandé au con-
seil des prêtres le salaire de sa trahison, il s'apercevait qu'il avait été
payé en fausse monnaie. Toujours le démon est chargé d'amuser
malgré lui la foule; tantôt c'est un pauvre diable stupide, tantôt un
présomptueux ridicule. Parfois aussi, comme dans le poëme du
Filet, du diable, il tourne très-plaisamment des sermons contre lui-
même-.
Dans le mystère pascal composé en bas allemand et représenté à
Redent in près Wismar (1475), les scènes où figure le démon sont remar-
quables; bien conçues, bien coordonnées, elles forment souvent des
scènes d'excellente comédie. Lucifer, voyant sa puissance restreinte par
l'œuvre de la Rédemption, entre dans une violente rage; il est assis
enchaîné, dans un tonneau, image de l'Enfer. Son monologue peint
bien son désespoir farouche; il frémit de colère en se voyant contraint
d'avouer que Jésus-Christ est Dieu, puisqu'il est ressuscité, qu'il a
brisé les portes des limbes et délivré les âmes des patriarches. Cette
pensée lui est intolérable; non-seuiemeut il regrette amèrement la
félicité qu'il a perdue, il est encore dévoré de haine et d'envie en
songeant que les hommes vont être sauvés en masse. Il est humilié
lorsqu'il songe que l'homme, créature primitivement placée au-dessous
de lui, et qu'il se flattait d'anéantir, entrera dans le ciel, tandis qu'il
en sera éternellement banni. Cette idée le rend fou; ou se rap-
pelle ici involontairement ce dessin de Dürer où le démon, furieux
de l'incarnation du Fils de Dieu, s'arrache les cheveux en hurlant
de rage. Lucifer, enchaîné, est condamné à l'impuissance; il envoie
donc ses démons dans le monde entier, en les chargeant d'entraîner
dans l'enfer des hommes de toute condition. Mais les démons met-
tent peu d'adresse à s'acquitter de leur mission; mécontent d'eux,
Lucifer finit par les envoyer tous ensemble à Lübeck; là, sans doute,
' Usitées non-seulement dans les classes inférieures, mais encore parmi les
princes.
^EiCHENDORFF, Zur Geschichte des Dramas, p. 20-21. — Voyez Bauack, p. 445. —
IMONE, Schouspielc <les Mittelalters, t. II, p. 33-107. — Wilkkn, p. 2ôu, note.
NULLE HOSTILITÉ CONTRE L'ÉGLISE I)A\S LES MYSTÈRES, 235
ils pourront faire de riches captures. Ici viennent se placer des scènes
du meilleur comique, et la pièce est entremêlée de piquantes satires
sur les vices et les travers de toutes les conditions. De même (jue
Dante, dans sa Divine Comédie, fait de continuelles allusions aux évé-
nements et aux personnalités de son (emj)S, le poète du moyen âge
intercale dans son drame le tableau des différends qui divisaient alors
Lübeck et Wismar. Ces scènes prises sur le vif, pleines d'animation,
de couleur locale, sont vraiment plaisantes. Les deux villes avaient
surtout à se reprocher mutuellement des malversations commer-
ciales, et l'on ne saurait s'empêcher de rire en voyant boulanp,ers,
cordonniers, tailleurs, aubergistes, tisserands, bouchers venir con-
fesser au démon leurs tromperies. L'auleur, pour les mieux railler,
leur fait demander pardon au diable, comme si celui-ci devait être
leur juge au dernier jour, et comme s'il avait le pouvoir de par-
donner. La satire se tourne aussi contre les Allemands, car le démon
ne va pas chercher des âmes dans les villes wendes (slaves) dont
Wismar faisait partie; c'est dans celles d'Allemagne qu'il compte
bien trouver sa proie. Lucifer parle allemand avec les démons et les
pécheurs : - ?se comprends-tu donc plus l'allemand? dit-il à Satan;
crois-tu donc que je sois Wende? " Satan amène devant Lucifer un
prêtre qu'il a surpris dans des pensées mondaines pendant qu'il
lisait son bréviaire; mais ce prêtre rend l'enfer si intolérable à Satan
qu'il est contraint de se réfugier dans un marais sauvage. Là, il se
lamente, il gémit; mais Lucifer se moque de lui : « Ce qui t'arriveest
bien juste, lui dit-il, tu n'avais qu'à laisser ce pauvre prêtre tranquille! »
Le prêtre menace Lucifer du Jugement dernier, sans réussir à lui
faire peur, car la fin du monde est bien éloignée, et jusque-là on
aura le temps de jeter encore bien des pécheurs en enfer. Le poète
veut préserver par là les auditeurs d'une fausse sécurité sur leur
salut. Lucifer pousse des gémissements atroces, il n'a pas de repos;
sa haine et son envie contre les hommes le poussent incessamment
à les tenter. La paix n'a été promise qu'aux justes, et, à cet instant,
toute l'assistance priait d'une seule voix pour les morts : - Donnez-
leur, Seigneur, le repos éternel! »
On voyait fréquemment, dans les poëraes, les nouvelles en prose,
les Hvres de piété de l'époque, les prêtres conduits en enfer, de même
que dans les représentations plastiques du Jugement dernier, on voit
très-souvent le diable traîner par la corde, dans la gueule de l'enfer,
des prêtres, des moines et de hauts dignitaires de l'Église. Les plai-
santeries satiriques et les attaques contre les vices et les imperfec-
tions du clergé sont tout aussi fréquentes dans les représentations
dramatiques qu'à l'intérieur des cathédrales et des cloîtres; mais
l'Eglise elle-même et les choses de la foi restent encore inattaquées.
23Ô L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
Même dans le mystère bien connu de Dame Jeanne, composé par le
prêtre Théodore Scherenberg (1480), et où la légende de la papesse
Jeanne était présentée comme un fait historique (selon la croyance
générale de cette époque), ou ne trouve nulle part une intention
hostile à l'Église. C'est le démon qui a poussé Jeanne à jouer son
odieux rôle. Jésus accuse devant sa Mère la femme audacieuse qui
trouble l'ordre établi dans l'Église et dans la nature. Il veut laisser
mourir la coupable dans sou péché, mais Marie implore sa grâce :
t Toi qui as daigué me chuisir pour ta mère, ne laisse pas la pauvre
âme se perdre! j
Cette intercession apaise la colère divine. La coupable obtiendra
son pardon, pourvu qu'en punition de son crime elle se soumette â
l'humiliation temporelle. Jeanne accepte cette expiation et, pleine
de repentir, se tourne vers le Sauveur, le suppliant de lui pardonner
comme il a pardonné à tant de grands coupables :
c Oublie mes fautes, Dieu miséricordieux! Par ton amer supplice, Sei-
gneur, ne me laisse pas périr! r\e me laisse pas mourir misérablement
dans mon crime! >
Elle implore aussi la miséricorde de la Sainte Vierge :
t Marie, Mère très-pure, consolatrice de tous les pécheurs, je t'apporte
ma plainte! Je ne suis qu'une pécheresse; mes yeux répandent des
larmes de sang! Vierge, laisse-moi en savourer l'amertume, et prie pour
ton cher enfant! -
Elle est mise à mort dans les rues de Rome. Saint Michel délivre
son âme de la puissance des démons, et le Christ Taccueille avec joie
à son arrivée au ciel :
« Sois la bienvenue, ma (ille bien-aimée! Tu seras éternellement heu-
reuse avec moi dans mon royaume céleste, et tout ce que lu as fait de mal
dans la vie sera effacé et pardonné, car Marie, ma mère bien-aimée, t'a
prêté son assistance, ainsi que saint Nicolas! Sois donc en paix, sois heu-
reuse! I
Et les chants des processions de la terre se mêlent à Valleluia
du ciel.
Même dans les divertissements pour le carnaval, rimes par Hans
Rosenplut et par le barbier Hans Folz, compositions toutes profanes,
rudes, grossières et de mauvais goût, où les paysans vaniteux, les
Juifs usuriers, les colporteurs déshonnétes, les prêtres indignes sont
l'objet de mordantes satires, la foi et l'Église sont partout respectées.
Elles sont même souvent défendues contre les Juifs et les hérétiques.
COMIîDIES LATINES. 237
Ainsi, par exemple, Haas Folz, dans la pièce intitulée : l'Erreur de
Bohême (t ^63), allribiie l'hérésie des Hussites (qui comptait à Niirem-
hcxYj beaucoup d'adhéreuls) à une inspiration de Judas '.
Ces divertissements de carnaval étaient surtout de mode à Xurem-
bcrfy. On en retrouve aussi des traces à In^jolstadt, Lübeck, Bamberg,
Lucerne et Bâle. Ils n'ont aucun rapport avec les mystères. Les plus
burlesques bouffonneries de ceux-ci différent absolument des plai-
santeries grossières, des mots <à double entente qu'on y rencontre trop
souvent, et où non-seulement la population des villes, mais encore
les fils libertins des grands négociants de Nuremberg semblent avoir
pris grand plaisir. Au reste, on conçoit facilement qu'il y eut un
certain dérèglement de mœurs dans une ville comme Nuremberg, où
Rosenplnt constatait avec orgueil que l'abondance et la richesse
étaient apportées par sept peuples différents : les Hongrois, les Escla-
vons, les Turcs, les Arabes, les Français, les Anglais et les Hollandais.
Les élèves des hautes écoles et des Universités, pour s'exercer à
parler couramment le latin, représentaient assez souvent des comé-
dies latines. Joseph Griienbeck a publié le recueil des pièces jouées
par la jeunesse scolaire d'Augsbourg (1497). A Zwickau, on avait
accommodé à la scène des comédies de Térence, éditées avec une
introduction allemande et des explications intercalées dans le texte,
destinées à aider l'intelligence des élèves auxquels le latin n'était
pas encore familier. Une traduction en prose des comédies de Té-
rence parut à Strasbourg en 1499. Dès 1486, Hans Nythardt, d'Ulm,
avait traduit une comédie du même auteur et, dans la préface et les
notes, avait essayé de donner quelques notions sur les principes de
la poésie classique, l'essence et la structure de la comédie antique.
Le chanoine Albert d'Eyck donna une bonne traduction de deux
pièces de Plante (Augsbourg-, 1511). En se guidant sur les modèles
de l'antiquité, on composa même des comédies latines, indépendantes
de toute traduction-. Jean Reuchlin en prit l'initiative et fit repré-
■ A. von Keller a réuni en trois volumes les comôdies du carnaval du quinzième
siècle (1853). — Voyez aussi quatre comédies de carnaval ;1161-1468) dans les
Archiv, fur Literatur geschickte von Schnorr von Caro'sfeld, 3, t. I, p. 25. — SUP ies comé-
dies du carnaval A Ingolstadt et en Suisse, voyez Keller, t. III, p. 1076. a Bam-
berg et à Lübeck, voy. l'appendice du nièniL' ouvrage, p. 301.
- Voyez WiLKEN', p. 255, 260. — Mo.NE, Schauspiele des Mittelalters, t. II, p. 369-370.
238 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
senter, chez Jean de Dalberg:, à Heidelberg, une pièce populaire et
humoristique intitulée Heinw, à laquelle il donna la forme et les
divisions de la comédie classique. Reuchlin y raille avec esprit les
prédictions d'un astrologue et les intrigues d'un juriste.
Le trouble violent qui interrompit au seizième siècle le dévelop-
pement de la civilisation, l'anarchie religieuse, les luttes politiques
amenèrent le dépérissement de l'art dramatique, comme de toutes
les autres branches de culture intellectuelle. Dans le déchirement
universel, religieux et social qui suivit, toute force créatrice, tout
enthousiasme périrent, et la pieuse tradition de nos anciens drames
ne se conserva plus que dans quelques vallées ignorées'.
^ Gervinl's, t. II, p. 342-344. — Wackernagel, Geschichte der Literatur, p. 316. —
Geiger, Revchlin, p. 82-92.
CHAPITRE Vil
POÉSIES MORALES ET POLITIQUES.
Tandis que, dans une pleine liberté, le génie poétique de notre
pays donnait ses plus belles fleurs à la poésie populaire, religieuse
ou profane, et que les fêtes nationales, revenant périodiquement,
avec leurs saintes allégresses, leur fraîche poésie, élevaient toutes les
classes sociales au-dessus des préoccupations vulgaires et de la vie de
tous les jours, le moment des hautes inspirations, de Timagination
créatrice, était depuis longtemps passé pour la poésie artistique.
Aucune de ses productions ne nous présente la réalité sous un jour qui
l'embellisse ou l'élève; aucune ne lui prête un charme qui l'ennoblisse
et vienne rafraîchir notre esprit par un prestige poétique. L'« art libre
du poêle " était devenu un métier; un courant rude et réaliste y do-
minait, ainsi que le goiU de ce qui tombe sous les sens, de ce qui est
à la portée de tous. L'effort poétique se produisait de préférence dans
le genre didactique. S'inspirant surtout des impressions du moment,
uos poètes suivaient une direction toute pratique, et s'élevaient rare-
ment au-dessus d'une insipide description ou d'un bon sens terre à
terre. Aussi est-il bien peu de leurs productions qui puissent préfendre
à quelque valeur littéraire. Néanmoins, si Ton a égard au sérieux bon
vouloir, à la franchise, à la loyauté de ces modestes rimeurs, qui
sans verve poétique, il est vrai, mais avec tant de dévouement, se
mettaient au service de leurs contemporains et, partant d'un point de
vue moral et chrétien, se proposaient de relever les mœurs, de perfec-
tionner et d'ennoblir l'état politique et religieux, on ne pourra s'em-
pêcher de leur accorder un certain mérite, et même un certain sen-
timent poétique. Rien que dans la mâle liberté avec laquelle ils
disent la vérité aux puissants de la terre, on sent passer je ne sais
quel souffle fortifiant. Ils nommaient la vertu, vertu; le vice, vice,
et renvoyaient le puissant et l'humble devant le tribunal du suprême
liémunérateur '. " Si tu veux lire des poésies, dit le Guide de l'âme,
choisis celles qui te disent la vérité sous le voile de la fiction, font
' Voy. Gruneisen, p. 50-51.
240 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
l'éloge de la vertu, montrent à nu la honte du mal et t'apprennent à
prier et à travailler '. « Les poètes didactiques, en effet, encoura-
geaient sans cesse le peuple à l'amour du travail, et dans plus d'un
passage des poésies ou des dictons de l'époque, on trouve à sa louange
des vers qui rappellent ceux d'Hans Rosenplut dans le Miracle des
(jouîtes de sueur ^ :
4 Le travail est le plus bel ordre qui ail jamais été fondé sur la terre!
Travailler, c'est servir Dieu. L'homme laborieux a plus d'un avantage
sur le voluptueux fainéant dont la vie est pleine de soucis. La mollesse,
la volupté, sont les sources de beaucoup de maladies. Le repentir suit une
vie sans travail et sans fatigue, j
a Celui qui passera sa jeunesse dans l'oisiveté en pâtira quand il sera
vieux; et peut-être que ses yeux seront rouges et gonflés a force d'avoir
versé des larmes de regret, d
C'est ainsi que s'exprime en vers le moine Ulrich Bonner dans
son recueil de sermons intitulé : Pierres précieuses, premier livre
allemand qui ait été imprimé (146L).
Aux poésies didactiques très-lues, à ce qu'il semble, à cette
époque, appartient l'ouvrage de Conrad Vintler, imprimé pour la
première fois en 1486, et intitulé : le Livre de la vertu. L'auteur s'y
élève surtout contre la vie désordonnée de ces gentilshommes " qui
savent mieux comment le fumier engraisse les champs que la manière
dont un noble doit se comporter '>. 11 raille aussi l'orgueil et les
modes extravagantes des dames de haut parage : " Si quelqu'un, prêt
à entreprendre un long voyage sur mer pour voir des choses nou-
velles et surprenantes, veut venir avec moi, dit-il, je me charge de
lui montrer, tout près d'ici, de quoi satisfaire sa curiosité. Je lui
montrerai d'étranges choses, en fait de manches, touffes de cheveux,
chaperons de toutes sortes! Nos vaniteux de la campagne portent de
vraies défroques de fous. Les femmes ont des traînes de deux aunes
de long qui ramassent la boue, et à leurs coiffes des guenilles de
six aunes. Elles veulent porter les modes des hommes, et se conduire
comme les hommes. En bon ami je les blâme de ce qui les désho-
nore, car celles qui sont pieuses méritent vraiment d'être averties.
Mais il y a tant de pauvres dames nobles qui veulent être vêtues
d'or et d'argent comme les princesses! il en est tant qui portent des
perles, et n'ont pas même dans leur cuisine de quoi élever un poulet!
Et pourtant il est bien vrai, sur mon honneur, que nul ornement ne
les pare mieux que la modestie '. " Finstler, probablement un clerc S
' Page 17.
- Voy. KrLLER, p. 1152.
3 Gervinls, t. II, p. 348-350.
•* Voy. Kürz, p 632.
POÉSIES MORALES ET P O F. ITl 0 U E S . 241
s'attaclK; à bien définir les vices et les vertus. 11 les explique avec
(Icfaii, en s'aidant d'exeinjjles tirés de riiisloire, et coule de nom-
breuses anecdotes destinées à bien persuader son lecteur qu'il est
absurde de croire aux sorciers, aux diseurs de bonne aventure, aux
expli(jneurs de sonjycs :« Si la vieille icniniequi se vante de sorcellerie,
dit-il, pouvait réellement se taire obéir de Dieu, Dieu ne pourrait
plus être tenu pour Dieu! Plus d'un saint homme a passé par de
rudes angoisses avant que le Seigneur l'ait honoré, une seule fois
dans sa vie, d'un éclaircissement sur un mystère. Comment donc
se mettrait-il au service d'une bonne femme? »
Le Miroir du gouvernement à la cour des princes, avec un désir tout
aussi sage et estimable d'être utile, condamne la désastreuse con-
duite des g?rands. L'auteur inconnu de cet ouvrage avait acquis beau-
coup d'expérience dans les cours où il avait séjourné, et présente aux
princes le trop fidèle tableau des actes répréhensibles qui lèsent les
intérêts de leurs subordonnés. Il leur adresse de sérieux avis et
des exhortations excellentes.
.lean Kothe, secrétaire de la ville d'Eisenach, plus tard chanoine,
enseigne aux chevaliers comment ils doivent se conduire, dans le
Miroir du chevalier et dans le poëme didactique intitulé : l'Éducation
du comeiller. L'auteur du Filet du diable dépeint avec une sombre
philosophie les travers et les vices des divers états , dans le dia-
logue qu'il imagine entre le diable et un ermite. Partout il ren-
contre le mal et le péché. 11 ne juge avec indulgence que les
ermites, les béguines, les religieuses régulières, les pauvres volon-
taires et les recluses. Son zèle ardent pour l'unité de l'Église et
pour l'obéissance due à son autorité, repose seul d'une si sévère
misanthropie. Nous sommes également touchés de la chaleur
de sou attachement à l'Empereur et à la patrie '. Pariant des
princes électeurs, il dit en gémissant : « Ils ont juré fidélité
à l'ejiipire, mais ce grand serment est entièrement mis eu oubli,
car ils ont laissé l'empire se démembrer, ils Tout eux-mêmes
morcelé-! »
Le poëme politique et moral intitulé : la Race italienne se montre
surtout préoccupé des événements contemporains, flétrit les vices
des différentes classes populaires et s'attaque particulièrement
aux princes et aux représentants du droit romain nouvellement
introduit. Selon lui, si l'Allemagne veut vivre, il faut qu'elle con-
centre toute la puissance entre les mains d'un seul. Les empereurs
ont beaucoup trop cédé de leur pouvoir, de sorte que personne
ne veut plus obéir. Les chefs de l'empire devraient se réunir
' Voy. les passages cités par Baiwck, p. 446-447.
' Barack, v° 7544-7548, page 238.
16
242 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
taudis qu'il en est temps encore, se grouper autour de l'Empereur,
faire œuvre de fidèles sujets, et lui rendre sa première autorité. Si
par ce moyen l'unité de la patrie était restaurée, tous les maux qui
menacent l'empire pourraient encore être conjurés; mais si l'on con-
tinue à marcher dans la voie actuelle, l'empire ne pourra subsister
longtemps : il s'écroulera de lui-même, une conviction semblable
inspirait à Sébastien Brant l'avertissement qu'il adressait, dans la Nef
des fous, aux princes et aux petits États qui compromettaient l'unité
de l'empire par leur esprit d'égoïste ambition : « Au nom de Dieu,
princes, considérez le dommage que vous avez fini par causer! Si
l'empire vient à périr, vous non plus ne serez pas éternels! Toute
chose non partagée conserve plus de valeur que si elle était divisée.
Aussi longtemps que subsiste l'unité, la force et la puissance croissent;
mais si la désunion commence, le royaume le plus pospère sera bientôt
détruit. Autrefois le nom allemand était si respecté et s'était acquis
une telle réputation que tous lui accordaient l'empire suprême. Main-
tenant, ou voit les Allemands s'appliquer eux-mêmes à détruire leur
propre royaume. Vous avez aujourd'hui un si bon roi pour vous
conduire sous son égide de chevalier! Il maintiendrait si bien tout
le royaume si vous vouliez seulement lui venir en aide! Le noble
prince Maximilien est bien digne de la couronne impériale, et, si
vous le vouliez, il guiderait facilement notre saint et bieu-aimé
pays. Il se mettrait courageusement à l'œuvre, dès aujourd'hui.
Rétablissez l'honneur de l'empire, afin qu'on ne vous compare pas au
batelier qui s'endort sur la mer lorsque vient l'orage. Levez-vous,
réveillez-vous de votre rêve, car je vous le dis en vérité, la cognée
est déjà à la racine de l'arbre ' ! '■
L'auteur de la Race velche déplore surtout l'état dans lequel est
tombée la justice du royaume. Il oppose les simples usages du vieux
droit germanique aux écritures sans fin, aux subtilités contournées
du droit romain, et témoigne ainsi de ses vues larges et de son véri-
table patriotisme.
Le Roman du Renard, publié à Lübeck en 1498, contient les plus
amères attaques contre les vices et les mœurs du clergé, et contre la
politique astucieuse et déloyale suivie par les princes envers les popu-
lations qu'ils exploitent. L'auteur, cependant, ne semble pas avoir eu
l'idée préconçue de donner des leçons de morale, dans ce poëme
plaisant et satirique. Au reste, sou ouvrage n'est qu'un remanie-
ment du Renard néerlandais de Willem et de son continuateur.
C'est le poëme le plus important que nous possédions en bas alle-
mand.
' raragraplie 99.
LA NEF DK. S F O f S . 24S
La Nef des Joua, de Sébastien Braiif, est assurément le plus remar-
quable de (üus ee.s poëmes moraux ou polili([ues (llOi). L'œuvre est
salirùpie daus sa l'orme, mais proroiidémeiil religieuse dans son
essence. Elle rendit un nouvel éclat à la poésie allemande après une
période de triste médiocrité et releva sa gloire, aussi bien dans notre
pays (ju'â l'étranger.
L'histoire littéraire ne nous offre qu'un bien petit nombre d'ou-
vrages ayant exercé une aussi vaste et aussi rapide influence sur les
esprits '. Dans un très-court espace de temps, un nombre incroyable
(fcxemplaires de ce poème se répandit dans la bau'.e Allemagne. La
basse Allemagne et les Pays-Bas se l'approprièrent aussilôt par des
traductions. 11 lut traduit deux fois en latin, trois en français, deux
en anglais. Tous les ans on le remaniait, on l'imitait, ou le contre-
faisait. Les contemporains comparaient Sébastien Brant à Dante :
< La Nef des fous, dit Trithème, est une satire divine », et il se demande
si l'on peut faire une lecture à la fois plus utile et plus agréable.
W'impheling exprime le désir que ce poème soit introduit dans les
écoles et y devienne classique, et Geiler de Kaisersberg l'a com-
menté dans une série de sermons.
Quoique dans la composition de son ouvrage Brant n'ait rien tiré
de son propre fonds et qu'il se soit servi d'anciens moules, depuis
longtemps connus ^ il n'en a pas moins ouvert la voie à une phase
littéraire toute nouvelle. Il est le premier « qui ait su exprimer dans
une forme pleine de justesse l'esprit des bourgeois de nos villes,
et c'est lui qui inaugura la littérature bourgeoise proprement dite •'.
Les deux traits distinctifs du caraclère bourgeois à celte époque :
une gravité digne, un sens humoristisque plein de hardiesse, sont
fondus si harmonieusement dans son livre que, sous ce rapport, nul
poète ne peut lui être comparé. 11 a laissé à la langue l'empreinte de
son individualité, de son esprit, et plus d'une de ses expressions,
plus d'une de ses tournures de phrases sont venues grossir le trésor
linguistique des générations suivantes '.
Brant signale les vices des autorités ecclésiastiques et laïques
avec une courageuse franchise. Partout oii il rencontre le mal, il le
'Comme le dit le plus savant de ses nouveaux éditeurs, Zarncke, LXXIV.
• Ce livre, dit-il, parcuurut rapidement les pays de l'Occident. Brant brilla à
l'horizon intellectuel de son siècle, dans le jugement et les appréciations de ses
contemporains, comme un astre de première grandeur. Il fut au quinzième
I siècle ce qu'avaient été Henri de Veldeckin au treizième, Opitz au dix-septième,
j Goethe au dix-neuvième. On l'honora, on l'admira comme le créateur d'une
nouvelle poésie. »
* ZvuNCKE, Préface à la Ne/des/ous, dans le Serapeum, 1868, pages 49-54. — Voy.
aussi Schmidt, p. 346-348.
* Zarncke, Xef des fous, LXXV à LXX VHI. —Les observ ations de Schmidt (p. 355-
372) ne détruisent pas l'excellente critique de Zarncke sur la Xef det fous.
16.
244 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
dénonce, il le stigmatise d'un trait mordant et acéré. Il fait défiler
devant nos yeux les avoués, les usuriers, les gens qui ont la manie
de bâtir, les ouvriers, les paysans, les chicaneurs, les joueurs, les
chasseurs, les astrologues, les mendiants, etc., avec tous leurs travers
et tous leurs vices, tantôt avec un enjouement malicieux, tantôt avec
une juste sévérité.
S'adressant aux astrologues, il leur dit, par exemple :
a 11 ne sied pas à un chrétien de s'adonner ;\ la science des païens;
d'être atlenlif au cours des planètes, pour voir si aujourd'hui il leur sera
avantageux d'acheter, de bMir, de guerroyer, de se marier, de faire
des amis, etc. Notre entretien, notre travail, notre conduite, notre
récompense ne doivent venir que de Dieu et ne se rapporter qu'à lui
seul '. i
Brant n'a pas seulement combattu les vices, les folies de son temps,
il s'est attaqué à des défauts communs à toute l'espèce humaine -.
Lorsque, par exemple, il blâme sévèrement la vanité qui pousse les
hommes à s'élever au-dessus de leur condition, lorsqu'il raille les
extravagances des modes, se plaint de la falsification des denrées,
s'indigne contre les ouvriers dont le travail est de plus en plus mau-
vais, et qui s'acquittent de leur besogne avec peu de conscience, notre
temps peut se reconnaître eu ce miroir mieux peut-être que ne le
faisait le quinzième siècle. Mais ce qui prouve en faveur des contempo-
rains de Brant, c'est la manière dont ils acceptent des reproches si
peu ménagés, et qui mettent à nu toutes leurs misères morales. Loin de
s'en offenser, ils paraissent avoir toujours témoigné autant d'affec-
tion que de respect à des censeurs, à des conseillers aussi rudes que
Brant, Heynlin von Stein et Geiler de Kaisersberg.
Au reste, Brant n'est pas exclusivement un poëte satirique, encore
moins un moraliste de profession : c'est un poëte profondément reli-
gieux qui regarde comme insensés ceux qui, pour un mince salaire,
une satisfaction d'un instant, exposent l'éternelle félicité de leur
âme. Malgré le nom que porte son livre, la sagesse, celle-là seule
qui peut mettre l'âme en possession du bonheur éternel, y est
enseignée. Aussi Geiler appelle-t-il la Nef des fous le « miroir du
salut î). Le fils de Brant, Onufrius (élève d'Ulrich Zasius, avec quill
était intimement lié), dit en en parlant :
» Bien loin d'enseigner la folie, elle préserve de toute légèreté cou-
pable, et montre combien sont nombreux les insensés que la vanité
aveugle et fait danser sur la corde des fous. Cette nef, ajoute-t-il, nous
' Paragraphe 65.
- Voy. Zarnckt-, XL.
LA NEF DES FOUS. 245
apporte le snliil de l'i^nie. Elle nous enseigne le fondement de toutes les
vertus; si nous savons en profiter, elle nous préservera des peines éter-
nelles et nous conduira si'irement à la rive céleste. Si l'on en comprenait
bien le sens, on l'appellerait la Net' du salut '. »
' Voy. SnmocK, XVII, où le carartère essenliellement reiifjieux du poëme
est mieux apprécié que dans tout autre ouvrafje littéraire ou historique.
CHAPITRE VIII
PROSE ET LITTÉRATURE POPULAIRE.
La prose caractérise aussi bien que la poésie le degré de culture
intellectuelle d'une nation. Au début d'une littérature, la poésie est
comme le premier balbutiement instinctif de la langue; mais la prose
en représente l'épanouissement, conquis au prix des labeurs et des
efforts de l'intelligence. Si l'histoire atteste que chez tous les peuples
les poètes ont précédé les prosateurs, c'est que, pour produire une
prose correcte et élégante, il faut que l'esprit d'une nation soit déjà
parvenu à la maturité '.
En Allemagne, tandis que peu à peu la poésie était tombée dans la
médiocrité, la prose, au contraire, s'était développée, à partir de la
fin du quatorzième siècle,* dans la même proportion, en suivant le
même mouvement que la poésie populaire et les arts plastiques. Elle
fit de tels progrès en ampleur, souplesse, profondeur, que non-seu-
lement elle devint capable de saisir et d'exprimer, dans leurs traits
essentiels, toutes les idées qui dans les siècles suivants devaient être
de son ressort, mais que, dans chaque direction prise à part, philo-
sophie, rhétorique, éloquence, narration, elle produisit des œuvres
nombreuses dont quelques-unes sont achevées.
C'est surtout la prose narrative, dans l'histoire, dans la nouvelle,
qui prit, à partir de ce moment, un remarquable essor. Pour s'en
convaincre, il suffirait de parcourir les recueils d'exemples à l'usage
des prédicateurs parus dans la haute Allemagne, les Nouvelles con-
tenues dans le livre de piété intitulé : la Consolation de l'dmc (écrit
dans le dialecte de Cologne), les contes, les légendes, également en
bas allemand, de la chronique du Dominicain de Lübeck, Hermann
Corner. Dans tous ces livres -, le style est plein de naturel et d'intérêt
' Lasai Lx, p 197.
* Communiqués par Pfeiffer, dans son travail intitulé : Die Predigtmärlcin. Voy.
HISTOIRE. 247
dnmalifjiio. Surfoul dans los Xouvcllos composées en Alsace, on sent
|)ass(M' (111 véritable souille poélicjiie. La naïvelé, la' grâce, rinlime
abandon du récit leur prêtent un attrait lout particulier. Même dans
de simples traductions, par exemple dans le livre, traduit du latin,
des Sept Sages, se révèle un art véritable. Le conteur emprunte ses
expressions à la lanj^ue populaire; il évite presque toujours ces
formes, ces tournures venues des lanp,ues étrangères qui déparent si
souvent la littérature des époques postérieures. Le style est simple,
il caresse doucement l'oreille, et son aimable naïveté nous charme'.
Un grand nombre d'ouvrages d'histoire datant de cette époque sont
remarquables par la sobriété, la simplicité, le tour épique du style,
toujours parfaitement approprié aux événements, aux personnages.
La C/irotiifjuc de Limbourg, qui appartient encore au quatorzième siècle,
est, en sa manière sobre, vigoureuse, fidèle et vivante d'exposer les
faits, un livre modèle en ce genre ^. On peut lui comparer, sous beau-
coup de rapports, la Chronique d'Alsace du chanoine de Strasbourg
Jacques Twinger (de Königshofen) et la Chronique de Thuringe, écrite
par un prêtre d'Eisenach, Jean Rothe. Les chroniqueurs bavarois, Hans
Ebran de VVildenberg, Ulrich Fiittrer et Feit Arnpeck, précurseurs de
l'historien JeanTurmayr (surnommé l'Aventin^), ont fait preuve d'un
labeur persévérant, d'un fidèle amour pour leur mission d'historien,
d'un talent d'où la critique n'est pas absente, mais qui est surtout
littéraire. L'historien du Schleswig-, Pierre Eschenloer, se distingue
par une exactitude diplomatique. La Suisse, relativement parlant,
est le pays le plus riche en bons et solides ouvrages d'histoire. 11 faut
surtout citer : Melchior Russ et Petermann Etterlin, à Lucerne;
Conrad Justinger et Diebold Schilling, à Berne.
Un monument précieux pour l'histoire de la bourgeoisie des pays
allemands, c'est l'autobiographie et la chronique de Burkard Zink
(t 1474) ; Zink était receveur des impôts à Augsbourg, et avait beaucoup
voyagé. D'un ton plein de bonhomie, il expose les faits dans un style
coulant et familier; il raconte ses voyages, ses aventures, et dépeint
la vie active et variée de la riche cité d' Augsbourg; il montre une
sympathie chaude et sincère pour les intérêts de la ville, comme en
Germania, t. III, p. 407-444. — Voy. les Nouvelles dans le livre de Frommann, Deu-
ischc Mundarten, t. I, p. 170-226, et t. II, p. 1-17, 289-302. — Les contes et léijeiides
dans la Germania, t. IX, p. 261-289. — Voyez les récits reproduits dans la Zeits-
chrift fur deutsche Philologie, vON Höpfner et Zacher, t. VI, p. 430-442 (Halle, 1875).
' Voyez Kurz, p. 445. — Dans la haute Allemagne, la prose souffrit beaucoup
du mélange de dialectes différents.
* Ainsi, par exemple, le portrait du héros Cuno de Falkenstein est vraiment
digne de la plus belle épopée, p. 42-43, édit. de 1720. — Chrysander, Jahrbücher,
1. 1, p. 119.
* Voyez A. KluCKHOHN dans ses Forschungen zur deutschen Geschichte, t. VII,
p. 203-213.
248 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
général pour tout ce qui peut contribuer à la prospérité de la bour-
geoisie '.
La Chronique de Ahiremherg, de Sigmont Meisterlin, est d'un
intérêt plus étendu, d'une plus grande portée littéraire; elle fut
longtemps d'une importance capitale pour l'histoire de la ville.
Après avoir reçu une instruction solide chez les Bénédictins de Saint-
Ulrich et Afra, à Augsbourg, école aussi remarquable sous le rap-
port de la discipline ecclésiastique que sous celui des études scien-
tifiques, Meisterlin visita, chargé d'une mission spéciale du conseil de
Nuremberg, les monastères de Franconie, de Bavière et de Souabe.
A'son retour, il rédigea sa chronique, qu'il termina en 1488 *. Il a de
belles paroles dans son introduction et d'autres endroits de son livre,
sur la portée de l'histoire et la mission de l'historien. Il se propose
d'offrir à la génération grandissante le récit du glorieux passé de
Nuremberg, afin qu'elle soit encouragée et fortifiée par les exemples
de ceux qui l'ont devancée, et conserve avec fermeté l'honneur qu'ils
ont acquis. « J'estime, dit-il, que lorsque nos jeunes gens suivent
les excellents exemples de leurs pères et maintiennent la bonne
situation dans laquelle ils ont su établir leur patrie, c'est une chose
glorieuse et utile à tous. L'honneur et la louange augmentent le
zèle des hommes pour le bien. Tous les cœurs sont enflammés, dès
qu'une grande action leur offre l'espérance d'acquérir de la gloire
et des louanges, dit Cicéron; au lieu que l'on tient caché ce qui est
méprisable. Nos jeunes gens concevront une noble ambition quand
ils verront louer leurs pères, qui ont tant peiné, qui ont livré de si
durs combats, lorsqu'on mettra sous leurs yeux leur probité sans tache
et les preuves de leurs persévérants efforts. Alors ils fuiront ce qui
est honteux, ils s'attacheront à la vertu, à la paix, et, dans la guerre
comme à la maison, auront une conduite exemplaire. C'est dans cette
espérance que nous nous adonnons à l'histoire, rejetant toutes les
fables et les contes; nous n'en voulons pas admettre parce que l'histoire
ne réclame que la vérité; nous entreprenons cette tâche dans le désir
d'être agréable à ceux qui aiment la gloire, l'honneur et l'intérêt de
leur patrie. " La déesse de l'envie avoue qu' « eu traversant l'Alle-
magne , elle n'a vu nulle part le service de Dieu plus en honneur, un
clergé mieux discipliné, plus d'aumônes distribuées, une plus stricte
justice rendue à chacun que dans la ville de Nuremberg ^ ».
Après Meisterlin, l'histoire, à Nuremberg, devint, littéralement
Dans le tome cinquième des Chroniken der deutschen Städte. — Voyez la pré-
face, XI-XLI.
-Édité pour la première fois dans le troisième tome des Cluonikcn der deutschen
Städte.
^ Voyez C/ironiken der deutschen Städte, t. III, p. 3-23, 3i, 130, 166.
Il IS TOI HE. 240
parlai! (, l'apana^ic de la bourgeoisie. La clironiquc du bras«eu?' et
curaleur des pauvres, Henri Deichsler, et beaucoup d'aulrcs mémoires
el annales du même {jenre ', introduisent le lecteur dans la pleine
réalité de la vie bourgeoise, si animée à celte époque. Avec nos bons
chroniqueurs, nous parcourons les rues, les places de Nuremberg;
nous pénétrons même dans Tintéricur des maisons et sommes initiés,
par des détails pris sur le vil", à tout ce (jui intéressait et passionnait
alors grands et petits. On pourrait dilficilement citer, à d'autres
époques, des tableaux d'histoire contempoiaine aussi vivants, aussi
populaires que ceux des chroniqueurs de Nuremberg et d'autres
villes allemandes, pendant les dernières années du quinzième siècle -.
Cologne aussi eut sa chronique : un auteur resté inconnu publia
V Histoire de la sainte ville de Cologne. Elle est écrite dans le dia-
lecte du bas Rhin (1499). En général, la prose de la basse Allema-
gne surpasse de beaucoup par son charme, par la grâce attrayante
du récit, ce que la haute Allemagne a produit de meilleur \ et, sous
tous ces rapports, rien ne peut être comparé à la Chronique de Cologne.
C'est une histoire universelle, une source inestimable d'informations
pour l'histoire particulière de la ville durant les quatorzième et
quinzième siècles; mais, à partir de 1450, elle s'étend bien au delà
des limites restreintes de Cologne. L'auteur nous dit dans son
introduction, après avoir parlé de l'utilité des connaissances histo-
riques, « que, pour employer utilement son temps, pour la gloire de
Dieu, de sa sainte Mère et des trois saints rois, il a pris courage,
avec la grâce de Dieu, et s'est mis à composer une chronique tirée
de chroniques allemandes et latines, utiles et plaisantes à lire et à
entendre ». « Je veux écrire ce livre en allemand vulgaire, dit-il, car
il est de l'inclination naturelle de tout homme d'être surtout curieux
de ce qui concerne son pays. Il entend plus volontiers parler du sol
qui l'a vu naitre, où il a été élevé, des actions courageuses et des
glorieuses aventures de ses ancêtres et prédécesseurs, que de ce qui
regarde les étrangers. C'est pourquoi je veux écrire en allemand les
événements les plus remarquables et les plus intéressants des pays
allemands. " L'auteur appelle la " très-glorieuse et sainte ville de
Cologne la capitale et la métropole de tous les pays de l'Allemagne ».
« Il y a un proverbe qui dit : Paris en France, Londres en Angleterre,
Cologne en Allemagne, Rome en Italie; un autre appelle Cologne
une couronne qui brille au-dessus de toutes les villes; c'est pourquoi
je m'étendrai particulièrement sur les commencements et l'origine
' Reproduits dans les X* et XP tomes des Cfironiken der dctUschen Städte.
* Voyez là-dessus Kern, dans les Chrouihen der deutschen Städte, t. X, p. 47-89,
'Voyez FnoJlMANN, Deutsche Mundarten, t. I, p. 173.
250 L'ART ET LA VIE FOPULAIhE.
de notre cité, et rapporterai tout ce que j'ai pu découvrir sur ce sujet
dans les écrits authentiques. " Le chroniqueur ne méconnaît nulle-
ment les plaies du temps, les gra\es abus qui se sont introduits dans
le cierge et parmi les laïques; mais il n'est cependant pas de l'avis de
ceux qui se plaignent toujours de leur siècle. " Les hommes qui ont
vécu avant nous, dans les années écoulées, ont, selon lui, souffert et
supporté des choses bien plus rudes que ceux qui vivent maintenant. »
Les temps présents, à l'entendre, sont < des années d'or » comparées
au passé. « Mais, ajoute-t-iî, parce que dans notre siècle on s'est
habitué à couler des jours paisibles et agréables, sous un ciel pur et
clément, on est facilement ému et troublé par le plus petit nuage
d'anxiété qui menace à l'horizon '. "
La Chronique d'Autriche, de .Jacques Unrest, curé de Saint-Martin,
à Techelsberg, en Cariuîhie, est, parmi beaucoup d'autres du même
genre, celle qui se rapproche le plus de la chronique de Cologne
par son caractère véritablement populaire; elle s'arrête en 1449.
L'allemand des pays du sud, mêlé de dialecte, met dans un relief
agréable et original le sentiment naïf, l'accent plein de sincérité,
l'intérêt vivant du récit. L'auteur voit juste, juge avec intelligence
et sent avec chaleur. Dans ses paroles, exemptes d'emphase, respire
une âme élevée et loyale, amie du droit et de la vérité. C'est surtout
par ces qualités qu'il se rapproche du chroniqueur de Cologne. Les
deux historiens veulent de tout leur cœur, de tout leur loyal bon
vouloir, dire la vérité tout entière sans y mêler aucun ornement;
ils entendent parler en toute liberté, épargnant aussi peu le clergé
que, les laïques quand il y a des fautes à blâmer ou des abus à signa-
ler -. Comme beaucoup d'historiens du même temps, ils paraissent
avoir pris à cœur ces paroles du Guide de l'âme : » Les puissants de la
terre, spirituels ou temporels, doivent apprendre dans l'histoire
des temps passés à devenir graves, humbles et bons; l'homme léger
tombe dans la peine et la honte; l'orgueilleux est frappé par la jus-
tice de Dieu; mais- celui qui est humble et fait le bien de toutes
ses forces trouve la grâce et la joie. Il y a un Prince au-dessus de
tous les princes, un .luge souverain au-dessus de tous les juges de la
terre, un Rémunérateur tout-puissant et un Vengeur redoutable. Voilà
ce qu'il vous faut apprendre dans l'histoire des temps passés; et sachez
que ce qui est mal porte toujours en soi-même son châtiment \ »
' Sur la chronique de Co'ogne, voyez les recherches critiques de Cardauns
dans l'introduction à la nouvelle édition qu'il en a donnée : Chroniken der deutschen
Studie. XIII, p. 211-252.
- Sur Unrest voyez les observations critiques de Kroxes dans les Archit\ fur
Österreichische Geschichte, XLVIII, p. 421-530.
^ Page 22.
HISTOIRE. 25 t
Ces clironùiiicurs simples et vrais, pas plus que les jjraiuls artistes
leurs conlemporaiiis, n'avaient le dessein de travailler dans un but
personnel. Ils laissaient aux laits leur éloquence, et les cliar[',eaient
d'éclairer, d'émouvoir et de saisir l'esprit du lecteur. Les moyens
arlificiels leur étaient inconnus; néanmoins ils avaient le sentiment
inconscient du but élevé de l'histoire, et comprenaient toute la portée
de leur haute mission. « L'historien, disent-ils, doit être le miroir
des jugements de la justice divine; il est chargé de louer et d'hono-
rer les hommes justes du passé, d'élever aux méchants un monu-
ment de honte, et d'indiquer aux vivants ce qu'ils ont à faire. " On
entend souvent retentir dans nos anciennes chroniques l'avertisse-
ment éloquent donné aux grands par Ébrard de Wildenberg : « O vous,
princes spirituels et temporels, détournez-vous des grands péchés, de
peur que le courroux de Dieu ne tombe sur la chrétienté! .le vous
le dis en vérité, vous devrez en répondre au dernier jugement! >'
Dans presque toutes ces chroniques, nous sommes touchés du sen-
timent patriotique de nos historiens, de leur fidèle attachement pour
le peuple, de leur amour pour cet empereur romain de nation alle-
mande que Burkard Zink appelle le « Seigneur de tous les princes
chrétiens ». « La Germanie, amenée par la sainte foi à la douceur et
aux bonnes mœurs, est-il dit dans le Livre des Climniqucs (1493), est
puissante de toutes parts par son commerce et son industrie. Elle
accueille avec bonté ses hôtes, elle est compatissante pour ceux qui
l'implorent, et ne le cède à aucune nation en belles manières, en
bonnes mœurs, en puissance et en habitants. Elle ne le cède non plus
à aucun autre royaume pour ce qui est de la richesse minérale, car
tous. Italiens, Gaulois, Espagnols et autres tirent des marchands alle-
mands presque tout l'argent qu'ils possèdent. iSotre nation, sans
aucune aide extérieure, dispose de tant d'hommes à cheval et à pied,
qu'elle peut facilement tenir tète aux pays étrangers. Il y aurait
beaucoup de choses excellentes à ^dire de sou esprit chrétien, de sa
justice, de sa foi, de sa loyauté '. '>
Les histoires mêmes des peuples étrangers étaient écrites dans le
but de glorifier l'Allemagne, comme le dit expressément Bernard
Schoferlin, dans son Histoire romaine (Mayence, 1505).
Cet ouvrage mérite d'attirer l'attention sous plusieurs rapports,
entre autres à cause de son style. Dans la préface, il est fait une
allusion intéressante aux romans de chevalerie, alors si avidement lus.
L'auteur, d'accord en cela avec le Guide de l'âme, assure < qu'il y a
plus de sens et d'art dans la vérité que dans toutes les inventions des
poètes ". H recommande l'étude de l'histoire comme - un anti-
' Das Duell der Chroniken du receveur de Nuremberg, Georges Alt, dans le Liber
Cronicarum d'Hartmann Schedel, p. 286. Nuremberg, chez Roburger, 1493.
252 L'ART ET LA VIK POPULAIUE.
dote puissant contre les fables ". » .le n'ai pas l'intention d'écrire un
livre tiré de mon propre Ibnds, dit-il; mais je veux recueillir et
transcrire dans les livres latins et grecs venus jusqu'à nous tout
ce qui me paraîtra bon et utile; je lerai comme l'abeille qui, pour
composer son miel, met à profit le suc de tant de fleurs. Je veux
essayer si mon récit une fois terminé sera agréable à entendre en
langue allemande, doux à l'oreille, et si j'en puis attendre des fruits
utiles. J'espère qu il apportera plus de profit à beaucoup d'âmes que
ces fables appelées livres de cbevalerie, remplies de choses rêvées,
imaginaires, invraisemblables, incapables de donner aux hommes les
idées justes et les connaissances utiles que nous puisons dans les his-
toires vraies. » On peut rapprocher de ces paroles celles du Guide du
l'âme : « De notre temps, tout le monde veut lire et écrire; cela est
bien lait et louable lorsqu'il s'agit de bons livres, mais nuisible
lorsqu'il s'agit de mauvais livres qui nous attirent â la volupté et à
l'impureté, comme le font tant de recueils de contes. Ceux-là, ne les
ouvre pas. Lire des livres pieux et des histoires vraies, cela seul est
bon et profitable au salut de ton âme '. " La Consolation de fàme dit
aussi, se plaçant à un point de vue encore plus austère : « Beau-
coup de geus lisent maintenant des livres mondains ou les écoutent
lire volontiers; mais ils perdent ainsi tout leur travail parce ({u'ils
n'y trouvent pas la consolation de l'âme. Les gens vains et légers
lisent les romans de Tristan, de Dietrich de Berne, et les aventures des
anciens héros qui servaient le monde, et non Dieu. Dans ces contes,
il n'y a nul profit à tirer, car on n'y trouve pas la consolation de
l'âme. En les lisant, tu ne feras que perdre Ion temps; or, nous
devrons rendre compte à Dieu de toutes les heures que nous employons
inutilement ^ «
Ces citations peuvent servir à prouver la vaste diffusion des livres
populaires dès cette époque.
11
I
Parmi les livres dont le canevas romanesque et poétique plaisait
à la vive imagination du peuple, ceux qui étaient empruntés aux
sources fécondes des légendes héroïques de notre pays ou de l'étran-
ger étaient surtout recherchés. Ces romans n'étaient souvent que la
simple mise en prose d'anciens poèmes. Citons, par exemple, ÏHis-
' Page II.
' Voyez Geffcken, p. 45.
LIVHES rolMJLAlKES. 263
toire du (Inc. Krns^, éditée à la (iu du siècle, et chère au peuple à
cause des malheurs et du coura{',e de son héros; VHisloirc de Guillaume
d'Aulric/ie (1481); de Wigalois, le chevalier à la roue (1493), et celle de
VlCinpereur Frédéric à la lonç/ue barbe rouge, que les Italiens ont sur-
nommé fiarbr/rossa iiöii)}; les Merveilleuses Aventures de la fée Melu-
sine (1474), roman dont le plus pur amour maternel fait le sujet; la
très-belle Histoire nouvelle des amours du prince Ftor et de sa chère Blan-
cheßor (1499j; les Aventures de Lothaire et de Maller (1514), qui appar-
tieuuent au cycle cariovinfjien; V Histoire du sire Tristan et de la belle
Isculi, publiée pour la première fois en 1498. « Les lecteurs ne doivent
y apprendre qu'une chose, disait le rédacteur dans sa préface, « c'est
(jue l'amour profane et sensuel conduit â la douleur, à l'angoisse eî
à une lamentable fin les personnages même les plus dignes d'admi-
ration ".
Citons encore parmi les livres populaires les plus lus : le Roman de
Griscldis (1471) (Griseldis est une simple paysanne ennoblie par son
mariage et traitée inhumainement par le margrave son mari. Malgré
ses cruautés, elle lui reste cependant d'une obéissance et d'une fidé-
lité touchantes) ; \ Instruction des sept sagcs\ recueil de seize agréables
nouvelles, imprimées en 1476 et souvent rééditées depuis; et V His-
toire merveilleuse de Fortunatus, au chapeau enchanté et à la bourse
toujours pleine.
Les livres malicieux, railleurs, satiriques, dans lesquels la gaieté
populaire parcourt tous les degrés, depuis la plaisanterie enjouée
jusqu'à la bouffonnerie la plus grossière, paraissaient en grand
nombre. Au point de vue des mœurs de l'époque, ils méritent l'atten-
tion spéciale de quiconque veut connaître à fond le quinzième siècle.
On peut leur appliquer ce que dit Eulenspiegel à l'hôtesse de Nugen-
stadten : « Dire la vérité, c'est mon métier »; dans ce métier, nos
auteurs satiriques semblent trouver la justification des rudes vérités
qu'ils adressent aux savants gonflés par une science stérile, et en géné-
ral à toutes les classes sociales, dont ils raillent sans pitié les travers.
L'une des œuvres les plus aimées dans ce genre était le livre intitulé :
Questions et réponses du roi Salomon et de Marcolphe^ dont îa première
édition date de 1487. La grosse gaieté populaire qui y domine est mise
en opposition avec la pédanterie de l'écule; le bon sens naturel
y triomphe de la science acquise, se rengorgeant dans sa vanité.
Toutes les sages maximes que Salomon débite l'une après l'autre
sont parodiées aussitôt par Marcolphe : ^- Cependant le roi très-sage
marche solennellement au soleil, en long et en large, sa couronne
sur la tête, son sceptre à la main, tandis que son ombre, se reflétant
' GOEDEKE, Gruiidriss zur Geschichte der deulschcn Dichtung, p. 118.
254 L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
dans le marais voisin, lui fait perdre tout majestueux prestige '. •
jMarcolphe est encore bien dépassé, en fait d'humour rude et
grossier, par Till Eulenspiegel, le bouffon en titre des classes infé-
rieures. Tout ce que le siècle a pu imaginer de plaisanteries et de
farces se trouve réuni dans ce livre. C'est le manuel le plus complet
de toutes les malices et espiègleries imaginables. Les puissants, les
petits, les simples, les pédants gonflés du sentiment de leur mérite,
les prêtres, les laïques, personne n'y est épargné. Il porte l'empreinte
des basses régions d'où il tire son origine. Sa franchise prime-
sautière va quelquefois jusqu'à la raillerie la plus mordante; une
veine d'âpre satire court dans tout l'ouvrage. On y retrouve cette
rude ironie que l'on s'accorde à reconnaître pour un des traits de
caractère des paysans allemands. De là aussi l'image justement
choisie qui lui sert d'enseigne : un hibou se regarde au miroir et
semble être le symbole de la malice féline qui domine dans le livre.
Sa lourde plaisanterie, sa grossièreté brutale choquent assurément
notre goût, mais s'expliquent par le milieu où il s'est produit; cepen-
dant l'auteur ne s'oublie jamais jusqu'à tomber absolument dans
l'obscène ^. Il est à remarquer que là aussi, comme dans les farces du
carnaval de Nuremberg, en dépit de toutes les satires qui fustigent
les vices du clergé, l'Eglise, en tant que gardienne et représentante
de la foi, n'est attaquée nulle part, au lieu que l'hérésie est fréquem-
ment prise à partie-'.
111
L'attrait pour les lointaines expéditions, si vivement éprouvé par nos
ancêtres depuis le milieu du quinzième siècle, donna lieu à un genre
de littérature spécial* : les aventures de voyages forment une vaste
branche de la littérature instructive et amusante de cette époque,
et fournissent au peuple un aliment toujours nouveau. Les récits
les plus aimés étaient ceux du - noble chevalier et voyageur Marco
' GÖRRES, Volksbücher, p. 189-190.
-GÖRRES, p. 196-198.
3 ' Lorsque Eulenspiegel se rendit en Bohême ■, lit-on dans la vingt-huitième
histoire, « il y trouva encore de bons chrétiens; c'était avant que Wiclef apportât
l'hérésie en Bohême >, etc. Lappenberg, p. 38. Lappenberg a réfuté l'opinion
de Görres, qui affirme que plus tard 1 Eulenspiegel s est divisé en deux parties,
l'une catholique et l'autre protestante. Voyez L.*.ppe>berg, p. 302.
* Sur les curreiidi libido du temps, voyez les passages cités par Barvck dans les
Archiv, des hislor. Vereins von U nlerf ranken , c. 14, 12-13. — Sur leS pèlerinages
d'enfants, voy. Hoffmann, Kirchenlied, p. 185-187. — Voy. Germain, Saint Michel
et le mont Saint-Michel, Paris, 1879.
VOYAGES. 255
Polo », c( les voyan,e.s aventureux de TAugiais .Ican rie Mandeville,
premières nouvelles de ce monde merveilleux dont rOccident venall
d'apprendre l'existence.
Les récits de Godefroy de Bouillon, les historiens des croi-
sades, les descriptions de pèlerina^ycs dans tons les saints lieux de
l'Europe et en Palestine, avaient donné une direction religieuse au
goût des voyages ' : " Beaucoup de livres, dit ï Exiiorlation chrétienne,
décrivent les sainis lieux on les chrétiens fervents se rendent pour
la gloire de Dieu et l'honneur de sa Mère bénie et des saints. Là,
ils prient, ils chantent en commun, se rendant quelquefois dans
des pays très-éloignés, et souvent traversant les mers. Tu feras bien
de lire de tels livres, ils enflammeront ton cœur. Allons, courage!
prends ton bâton, sois joyeux et bien disposé, sois humble et pieux,
prie Dieu et honore ses saints ! Il y a plaisir à voir et à entendre les
choses nouvelles, à visiter les villes des étrangers; il y a aussi une
sainte joie à voyager, à visiter de pieux sanctuaires *. »
On retrouve la trace de ce " saint plaisir du voyage " dans beau-
coup de récits contemporains. Citons celui du barbier et joueur de
luth .lost Artus qui, en 148.3, entreprit un voyage en Terre Sainte :
« J'étais encore jeune, raconte-t-il, j'étais joyeux de parcourir le
monde, d'aller voir beaucoup de villes et de pays très-éloignés; tout
mou désir était d'aller loin, bien loin, le plus loin possible! » " Nous
arrivâmes jusqu'à la mer Salée. Nous étions tous gais et joyeux, et
nous nous mimes à chanter :
I Mettons-nous en route au nom de Dieu, et entrons dans ce vais-
seau... «
« Lorsque nous arrivâmes à l'ile de Chypre, notre jeune compa-
gnon Frantz me dit : < Allons admirer la belle ville de Nicosi », et j'y
allai avec lui. Nous arrivâmes près d'une maison devant laquelle était
une belle cour, bien pourvue de fleurs et de fontaines jaillissantes;
autour de cette maison il y avait une grille en fer. Je m'assis sur un
banc de pierre, je pris mon luth et chantai la chanson allemande :
« Si loin, si loin de la patrie, l'étoile du soir m'a souri. Je te connais,
toi et ta route! Et toi, me reconoais-tu? ^
'- Nous poursuivîmes au loin notre voyage, le cœur heureux et
satisfait; nous aperçûmes enfin la Terre Sainte; alors nous chan-
tâmes, l'âme pleine de bonheur, d'une voix claire et forte :
« Nous te saluons, Terre sacrée, où notre Christ a subi sa Passion! »
' Voy. Falk, Druckkunst, p. 53-79, 106-107.
* Ein cristlich ermanung iumfrummen leben, p. 12.
256 f.'ART ET LA VIE POPULAIRE.
■•' Lorsque nous approchâmes de l;i rive et, (out eu nous dirigeant
vers elle, nous chantâmes joyeusement :
ï Mettons-nous en roule au nom de Dieu et rapprochons-nous du port, s
« Enfin nous vîmes briller clairement devant nous la belle, sainte,
vénérable, noble ville de Jérusalem, et la sainte montagne de Sion!
Et lorsque nous vîmes la cité tant désirée, nous nous jetâmes à terre
pour prier, et nous remerciâmes Dieu. Ensuite nous nous mimes en
procession et chsnïâmes d'une voix joyeuse et claire. ;; <; Mainte-
nant je veux vous parler du Frère Jean, qui donne l'accolade aux
chevaliers du Saint-Sépulcre. C'est un homme du monde, et non un
moine; il n'est pas lié par des vœux, et pourtant il habite le cloitre;
c'est un grand vieillard maigre, avec une longue barbe grise; il est
très-vénéré, même des infidèles '. »
Parmi les descriptions de voyages, le pèlerinage du chevalier Arnold
HarCf en Terre Sainte mérite d'être le premier mentionné, ainsi que
le livre du chambellan Bernard de Breidenbaeh (de Mayence), paru
en 1486 et intitulé les Saints l'oijages à Jérusalem. Ce dernier contient
une description exacte et complète des lieux saints et donne une
idée fidèle de l'état où ils étaient alors. " Je n'ai pas encore connu
ni entendu d'homme qui puisse se vanter d'avoir vu une église aussi
pieuse et aussi riche que celle de Bethlehem, dit l'auteur; on y voit
beaucoup de grandes et magnifiques colonnes de marbre rangées en
quatre ordres; de plus, l'église extérieure appelée nef, depuis le bas
de ces colonnes jusqu'aux solives, est faite d'un bel et noble ouvrage
de mosaïque où est représentée toute l'histoire du monde, depuis le
commencement jusqu'au jugement dernier. L'église est pavée de
marbres de diverses couleurs, qui composent des dessins magnifiques;
tout cela est si précieux que beaucoup croient impossible de l'esti-
mer. ') Ce livre eut plusieurs éditions allemandes et latines, et fut
traduit en hollandais, en français, en italien et même en espagnol
(1498) K
La dédicace, adressée à l'archevêque de Mayence Berthold de Hen-
neberg, contient, sur la ditlusion des livres et la passion d'écrire,
devenue si commune à cette époque, un passage digne d'être cité, et
qui rappelle les paroles du Gxndc de l'âme : « De notre temps, tout
le monde veut lire et écrire. ;; ^ 11 n'y a plus de fin, dit Breidenbaeh,
à la fabrication des livres nouveaux. Les instruits et les ignorants
'Reproduit avec les diverses orthographies dans Vllpius, Cw-iosiiiUen, t. II,
p. 407-422. — Voy. Hoffmann, Kirchenlied, p. 191-192.
- Four plus de détails, voy. Falk, Druckkunst, p. 47-5.3, et la liste des éditions,
p. 104-106. — RÖHRICHT et ."Meisner, Deutsche Pilgerreisen nach dem heiligen Lande
(Berlin, 1880).
TI\AÜU«;T10NS, ho man s, nouvelles, fables. 257
écrivent des poésies et font des livres. La vieille femme radoteuse,
le vieillard retombé en enfance, le sophiste bavard, tout le monde a
l'audace d'écrire et veut faire des griffonnages; tous briUcnt de
dire aux autres ce qu'eux-mêmes ne savent ni ne comprennent. On
en est venu à ce point, d'après le commun dire, que plus d'un, pour
avoir seulement changé le style, c'est-à-dire la manière et la forme
particulière d'écrire d'un autre, se persuade qu'il a composé un livre
neuf. »
IV
Henri Steinhöwel, médecin d'Ulm, et Nicolas de Wyle, chancelier
Avurtembergeois, firent grandement progresser la prose allemande,
et leurs traductions de romans et de nouvelles empruntées au latin,
au français et à l'italien ', méritent nos éloges. D'illustres dames,
comme la duchesse Marguerite de Lorraine, la comtesse Elisabeth de
Nassau-Saarbrücken, sa fille, et l'archiduchesse Eleonore d'Autriche,
se firent aussi remarquer par leurs traductions. Eleonore d'Autriche
traduisit du français le romande Ponlus et Sidoine {Augsbourg, 1483)
qu'elle avait remanié « pour divei tir son époux, l'archiduc Sigismond,
par affection pour lui et aussi dans le désir qu'on y puisât beaucoup
de belles et bonnes instructions ». 11 est particulièrement adressé aux
jeunes gens; Eleonore espère « qu'ils se plairont à entendre raconter
les bonnes actions, les vertus et la gloire de leurs ancêtres et prédé-
cesseurs, et tout l'honneur qu'ils se sont acquis' ».
Les Hauts Faits des Romains ^, premier livre de littérature légère
écrit en bon allemand, mérite aussi notre attention (1489); c'est un
riche recueil de toutes les anecdotes, nouvelles, paraboles dont
rOccident avait été doté depuis les croisades et depuis que l'essor
des études classiques avait fait connaitre les auteurs de l'antiquité.
Il eut beaucoup d'éditions.
« Le peuple allemand, écrit Wimpheling, trouve un intarissable
plaisir à chanter et se plait également à ouïr des contes de tous
■ Parmi les canevas de ces nombreux romans, il en est beaucoup d'une mora-
lité très-douteuse. — Voy. Gervinus, t. II, p. 222-230. — Wacrrknagel, Literatur,
p. 359-360. — Beaucoup d'anecdotes satiriques contre le cleryé tirées des Cent
Nouvelles (si fréquemment reproduites au seizième sièdf) passèrent plus tard
dans les chroniques allemandes, et furent racontées comme s'éianL véritable-
ment passées en Allemagiie. — Voy. Liebrcdu. dans la Germania de Pfeiffer,
a, p. 386 et 4Ü0-401.
* Voy. Wackernagel, Literatur, p. 356-357. — Holland, p. 140-142. — Lixde-
MANN, Geschichte der deutschen Literatur, p. 266-270.
' Gcsta liomanorum.
17
25S L'ART ET LA VIE POPULAIRE.
genres *. " Aussi les auteurs de livres graves, savants, purement
didactiques, y mélangeaient-ils souvent, pour animer et égayer leurs
ouvrages, des nouvelles détachées, sérieuses ou plaisantes; dans
l'excellent ouvrage de science, écrit d'un si bon style, du chanoine
de Bamberg, Albert d'Eyb, nous trouvons une nouvelle intitulée :
Faut- U prendre femme ou non? Le Miroir de la vertu et de f honneur, de
Marquart de Stein (1493), et l'admirable livre de piété déjà si fré-
quemment cité, la Consolation de. l'âme -, renferment des contes, des
nouvelles; dans ce dernier, parmi beaucoup d'autres, nous lisons
l'histoire si connue du bon Fridolin et du méchant Thierry. A la fin
du siècle on possédait déjà trois volumineux recueils de récits moraux,
soit historiques, soit romanesques, et de nombreux .1///-o//"ä contenant
de pieux exemples à l'usage des fidèles '.
Les fables étaient aussi mises à profit pour moraliser et instruire''.
Le duc Eberard im Bart de Wurtemberg fit traduire du latin les
fables orientales de Bidpai, qu'il intitula le Livre des exemples des anciens
sages (1483). Les fables de Cyrille, ou Livre de la sagesse naturelle,
parurent à Augsbourg en 1490. Steinhöwel, à la prière du duc Sigis-
mond d'Autriche, publia en 1404 le Livre et la vie d'Esope le fabuliste,
déjà traduit du grec en latin, puis remanié en allemand. Cet ouvrage
fut un des plus appréciés de l'époque. « Le lecteur doit ici faire
comme l'abeille, dit Steinhöwel : rechercher non la couleur des
fleurs, mais leur miel; non le récit, mais la morale, afin de s'en servir
pour nourrir son âme; car celui qui ne lirait ce livre que pour s'amu-
ser à de jolis contes ferait comme le coq de la fable qui préférait un
grain de mil à une pierre précieuse \ »
La prose, dans les ouvrages d'histoire naturelle, de médecine, de
droit, faisait aussi d'heureux progrès. Le droit surtout dut beaucoup
aux écrits populaires de Sébastien Brant °.
Les écrivains mystiques du moyen âge furent les premiers à nous
révéler la propriété que possède la langue allemande d'exprimer
heureusement les idées philosophiques. Ce sont eux qui découvrirent
1 Dr arte impressoria, p. 17.
s Voyt-z plus haut.
3 Wackeknagel, p. 358.
* Voy. (iERVivus, t. H, p. 295.
5 Pour plus de détails, voy. \VACKi:t\\AGEL, p. 341-346.
•Pour ce qui concerne le droit, consultez Stintzing, Geschichte der populären
Literatur det römisch-canonischen Rechtes.
ALLEMAND VILOAIUL. - 259
l'art (le revêtir les pensées les plus subliles, les plus abslraites, d'uu
l;inj;n{;e clair et plein de justesse'; en outre, un merveilleux charme
p()éti(jnc est répandu dans leurs écrits. Un [jrand nombre do leurs
traités s|)iriluels, recueils de maximes, livres ascétiques propres à
former à la vie contemplative, eurent de nombreuses éditions dès les
commencements de l'imprimerie. Citons particulièrement les œuvres
d'Henri Suso, de .Ican Tauler, d'Otto de Passau, et les nombreuses
traductions de Vltnifalion de Jésus- C/n- ist -. Beaucoup de livres de
méditation et de piété parus au quinzième siècle appartiennent aux
plus beaux monuments de la prose allemande ^ Citons encore et sur-
tout la Route du ciel, la Consolation de l'âme, le Trésor des vraies richesses
da salut. La prose de ces petits traités pieux est simple, énergique;
les idées ont une g,rande profondeur, la vérité s'y montre persuasive
et aimable. Plusieurs sont inimitables dans le genre où ils se ren-
ferment. La pensée qui en est l'âme peut se résumer dans les belles
paroles de Thomas à Kempis : - Un cœur pur pénètre le ciel et l'enfer.
S'il existe une véritable joie sur la terre, on ne saurait la trouver que
dans un cœur pur. «
Geiler de Kaisersberg fut, dans la prose oratoire, un maître puis-
sant, au langage énergique, à l'imagination féconde. Ses sermons
témoignent de sa grande connaissance du cœur humain. Il développe
son sujet avec ordre et clarté, et s'exprime avec une originalité et une
force qui rendent sou éloquem e vraiment populaire. Ses comparai-
sons, images et allégories, ses proverbes, jeux de mots et jeux
d'esprit, ses fables, ses petits récits et anecdotes sont empruntés à
la réalité la plus vivante. Aussi ses sermons sont-ils une mine féconde
pour la connaissance de la société de son temps '.
VI
Vers la fin du moyeu âge, on écrivait encore en divers dialectes.
Mais d'un mélange de haut et de bas allemand, emprunté surtout à
la langue parlée dans rAllemagne centrale, s'était formé peu à peu,
' Voy. Wackernagel, p. 332-336,
* Cinq éditions allemandes en parurent antérieurement à 1500. Hain, n'"91I5-
9119.— Hasak, p. 179-186.
' Les passafjes qu'Hasak a extraits des nombreux ouvrages de philosophie ascé-
tique p;iru5 de 1470 à 1520, sont d'autant plus précieux qu'on ne peut plus que
très-difficilement se pro urer les ouvrages orig;n;iux.
* Les trois séries de sermons intitulés : Paradis de l'âme der Sclen-Paradiess), Le
pèlerinage du chrétien vers la pairie céleste (die Chrislenlich Bilgerschafl :.nm ewigev
l atterlandj et La nef de la pénitence et de la mortification [das Schiff dtr Penitentz und
IT.
260 L'AI, T ET LA VIE POPULAIRE.
daus le courant du quinzième siècle, ce qu'on appela 1' " allemand
vulgaire ». Grâce aux efforts de Maximilien, il fut promptement d'un
usage général et devint le langage officiel de la chancellerie impé-
riale. Toutefois ce résultat ne fut atteint, et le « haut allemand » ne
devint littéraire, qu'après que Luther l'eut popularisé en s'en servant
dans la composition de ses ouvrages. Il s'est défendu d'avoir inventé
une langue nouvelle : « Je n'écris pas, dit-il, dans un langage singu-
lier qui m'appartienne en propre; je me suis servi de l'allemand vul-
gaire, afin que la haute et la basse Allemagne pussent me comprendre.
Je parle le langage de la chancellerie saxonne dont se servent en
Allemagne tous les princes et rois, depuis que l'empereur Maximilien
et l'électeur Frédéric, duc de Saxe, ont fondu dans une même langue
les dialectes allemands de l'empire romain '. "
Si l'on excepte Luther, dont l'éloquence innée et puissante avait
été portée à une extraordinaire perfection, parla lecture assidue des
prosateurs du quinzième "iècle et par ses continuels rapports avec le
peuple, on peut affirmer hardiment que les auteurs du seizième siècle
(pour ne pas parler du dix-septième), lorsqu'on les compare à ceux du
quinzième, ont, dans toutes les branches de la prose, fait des pas en
arrière. A la place de la langue d'autrefois, si pleine de naturel,
d'aisance, de simplicité et de charme, ils ont trop fréquemment sub-
stitué un lourd et informe jargon qu'on ne peut lire sans une impres-
sion pénible 'K
La prose du quinzième siècle est pure, correcte, originale. Dans
cette correction, dans cette pureté, elle demeure l'impérissable
monument du caractère allemand avant que rien l'eût encore altéré ni
faussé.
Buszwürht/ig) , se distinguent parliculièrement par la purelé du langage et
l'exposition serrée et intelligente des principales vérités de la foi. H. Bone a
réédité et remanié la Ne/de la pénitence d.ins une traduction libre (Mijyence, 1864).
L'édition si soignée des sermons choisis de Geiler, de Phil. de Lorenzi, mérite
des éloges (Trêves, 18811. L'introduction traite d'une manière intéressante de
la vie et des écrits authemiques de Geiler, p. 1-112.
• OEum-es complHes, édit. de Francfort. L'expression maintenant généralement
usitée de Hoeh leuisch \vA\xi allemand) ne peut s'appliquer à cette langue, et Luther
ne l'a jamais employée. Vraisemblablement, c'est l'imprimeur de Bâle, Adam
Pétri, qui s'en est servi pour la première fois en 1523, en reimprimant la tra-
duction du Nouveau Testament de Lui her. Mais par ce mot Hochdeutsch, il
li'enten lait parier que de la langue de son pays, c'est-à-dire de la haute Alle-
magne Oberdeu'schi, et ce n'est aussi que dans <ette acception que les premiers
grammairiens allemands l'ont employée. Pour plus de détails, voy. Pfeiffer,
(dans sa réfutation de Grimm), préface de la Chronique de Nicolas de Jeroschin
(Stuttgard, 1854J.
* C'est la conclusion qu'adopte le grand germaniste Fr. Pfeiffer dans la Ger-
mania, t. 111, p. 409. — Voy. aussi Kurz, p. 742-743.
ÉTAT ÉCONOMIQUE
JURIDIQUE ET POLITIQUE DE L'ALLEMAGNE
A LA FIN DU MOYliN AOE.
%
'l
LIVRE III
ÉCOiNOMIE SOCIALE,
Vers la fin du moyen A^je, les prop,rès de l'économie sociale cor-
respondirent exactement au rapide développement des sciences et
des arts.
Cela est facile à comprendre.
La vie d'un peuple, dans ses diverses manifestations, forme une
unilé naturelle, un tout coordonné; aussi une influence réciproque se
fail-elle toujours sentir entre l'économie sociale et l'activité intel-
lectuelle d'une nation. L'économie exerce une puissante action sur la
vie de l'inlelligence, et celle-ci, à son tour, reçoit d'une bonne orga-
nisation matérielle ses conditions et sa mesure. L'histoire démontre
qu'à une civilisation matérielle peu avancée correspond toujours un
faible degré de culture intellectuelle. Les progrès du bien-être déter-
minent les progrès accomplis en général dans les autres formes de
la vie nationale.
L'économie sociale se divise en trois branches de travaux et de
résultats : l'agriculture, l'industrie, le commerce.
L'agriculture, qui embrasse'le labourage et le pâturage, obtient
du sol les produits bruts de la nature. L'industrie se charge de les
mettre en œuvre, et comprend tous les métiers et travaux indus-
triels. Le commerce, enfin, échange les produits soit naturels, soit
industriels, particuliers à chaque pays, et sert d'intermédiaire entre
ceux qui sont dans l'abondance et ceux qui sont privés.
Les différentes branches de l'économie sociale restent dans un
heureux et juste équilibre aussi longtemps que leur développement
est normal; elles ont alors l'une sur l'autre une influence féconde et
reçoivent l'une de l'autre le mouvement et la vie. L'essor de l'agri-
culture amène la prospérité de l'industrie; celle-ci développe Texten-
sion du commerce et, à leur tour, l'industrie et le commerce réunis
produisent le perfectionnement de l'agronomie.
261^ ÉCONOMIE SOCIALE.
C'est dans cette influence réciproque, c'est dans l'équilibre de.>
groupes principaux du travail que git, à proprement parler, la force
économique d'un peuple.
Mais si un trouble essentiel survient, si le commerce et l'espriî
mercantile étouffent le travail réellement productif et fécond; s'ik
développent un luxe exagéré, l'économie sociale en est profondé-
ment atteinte; les mœurs en souffrent, et leur relâchement a pour
premier effet de miner et d'appauvrir la vie religieuse. Ces maux
s'aggravent dans la mesure où le capital, qui n'est que le revenu d'un
gain sans labeur, réussit à influencer les relations et les trafics des
hommes entre eux, pour un profit usuraire et l'exploitation injuste
des travailleurs.
*
v"-"
CHAPITRE PREMIER
VIK ET TRAVAUX DES CULTIVATEURS.
Lorsqu'on se propose d'étudier l'a^yronomie d'un pays, il faut com-
mencer par se rendre un compte exact de la manière dont la pro-
priété foncière y est organisée, connaître la division du sol et le
mode de culture qui y est pratiqué.
Vers la fin du moyen âge, nous voyons en Allemagne comme
ailleurs les princes souverains et les seigneurs féodaux spirituels et
temporels, abbés, évèqucs, chevaliers et communes, en possession de
la plus grande partie du sol. En général, les propriétés des princes
souverains, des seigneurs ecclésiastiques ou des nobles ne formaient
pas encore de vastes agglomérations de terrains. C'étaient, pour la
plupart, des terres disséminées, situées dans des localités souvent
très-distantes les unes des autres; il était fort rare qu'un seigneur
possédât tout un village'. Presque toujours, le village appartenait à
trois ou quatre seigneurs fonciers qui en faisaient cultiver les
terres par leurs colons principaux et ceux qui leur étaient subor-
donnés.
Dans presque toutes les contrées de l'Allemagne, mais surtout dans
les provinces où la noblesse ne possédait pas une grande autorité,
se trouvaient enclavés dans les propriétés seigneuriales * un nombre
plus ou moins considérable de terrains appartenant en propre à
des paysans libres. Au nord-ouest et au sud-est de l'Allemagne, en
Frise, dans la basse Saxe, en Souabe, en Franconie, dans les pays
rhénans, la vieille Bavière, le Tyrol, les archiduchés et quelques par-
' Dans les comtés de Mark, de Recklinf^liaiisen et de Dortmuii J, ils étaient com-
plètement inconnus. — Rive, ßauentgüierwcsen, p. 20, 218, 300.
* Voy. Mau[\er, Fronhtife, t. 111, p. 221-223. — Zeitsrdrifl fur die Geschichte des
Obenheins, p. 27, 227-326. 385-454, et la remarque finale de l'éditeur.
266 ECONOMIE SOCIALE.
ties de la Carinthie et de la Sfyrie, un assez grand nombre de com-
munes s'étaient maintenues libres et prospères '.
Pour les propriétés libres, appartenant aux particuliers -, le droit
de succession n'entraînait presque jamais le morcellement des terres.
Le principe de 1' " indivisibilité de la propriété « garantissait au
paysan le maintien de son bien-être. Le fils aine héritait ordinaire-
ment non-seulement de la propriété, mais encore de tous les instru-
ments de culture, des bestiaux et de tout le mobilier de la maison.
La propriété passait de père en fils; les frères et sœurs du proprié-
taire étaient entretenus de droit dans la maison et faisaient partie
intégrale de la famille, formant ainsi une sorte de « domesticité incon-
gédiable ". La maison ne pouvait être vendue ou hypothéquée sans
le consentement de l'héritier, et la loi saxonne (Saxenspiegel) n'obli-
geait celui-ci à payer ses dettes qu'autant qu'elles ne dépassaient pas
la valeur mobilière ^ Cette loi empêchait le paysan de contracter
des obligations pesantes, et avait aussi pour but de le mettre à l'abri
des emprunts usuraires; car, ainsi que le disait Geiler de Raisersberg,
- lorsque le .Juif sait qu'il a peu ou rien à attendre d'une propriété,
il n'est pas disposé à prêter beaucoup '' ».
On divisait ainsi qu'il suit les fermages seigneuriaux ou libres :
Grandes propriétés, de 3 à 10 menses d'étendue, c'est-à-dire de 90
à 330 arpents.
Propriétés moyennes, de 60 arpents seulement.
Petits biens, de dimensions encore plus minimes.
Outre les fermiers, beaucoup de cultivateurs, sous des dénomina-
tions diverses, ne possédaient point de terres et n'étaient que
locataires d'une chaumière, quelquefois entourée d'un petit jardin
ou d'un petit champ. Les plus pauvres bénéficiaient souvent des
donations faites à l'Église et des vastes acquisitions territoriales du
clergé, car il ne s'y trouvait pas seulement de vastes territoires
isolés, mais encore un grand nombre de petits terrains, au bon
entretien desquels l'Église avait charge de veiller, et dont elle con-
fiait la culture aux paysans qui ne possédaient rien. Cette propriété
d'emprunt leur procurait travail et entretien ^ A mesure que la
population s'accrut, des biens ecclésiastiques plus considérables
' V( y. SUGENIIEIM, Aufhebung der Leiheigenschaft, p. 359.
* Les possessions foncières n'étaient divisées que dans les pays rhénans, soit
parce que l'heritafje paternel était partaj^é entre les enfants, soit à cause du
morcellement de la propriété, amené par la vente de quelques terrains séparés.
On y voyait en même temps un grand nombre de biens inaliénal)les. Lette et
VON RÖNNE, Laiulesculturgeselzgebung, 1, LIX.
' On considérait le paysan établi sur un bien comme inamovible. Voy. C. vox
Vogelsang, Die Xothicendigkeil einer- neuen Grundenllaslimg, p. 11. (Vienne, 1880.)
* Voy. Ju'hmruchcr and Schindercy, p. 41. (Augsbourg, 1739.)
' Arnold, Gesch. des Eigenihiims p. 57.
ORGANISATION DK I,A F' 11 o I' li IKT F.. 267
<uren( confiés à un nombre toujours plus j-rand de petits paysans
locataires, parmi lesquels on en choisissait (jueWjues-uns pour rem-
plir la charjfc de « porteurs du fiel" ". Ils rcciicillaicni i'ar{>cnt des
ferma^jes et les dons en nature, et en étaient responsables '. On
voyait aussi des fermiers libres s'établir dans les possessions ecclé-
siastiques ou sei{',ncuriales, à cliar{>c pour eux, la plupart du temps,
de payer la « troisième (jerbe •' au seigneur. La première [^erbe élail
destinée à couvrir les frais de culture; les deux autres, considérées
comme bénéfice net, étaient parlap,ées entre le locataire et le sei-
gneur. D'autres paysans cultivaient aussi des terrains connus sous le
nom de ccnsives qui leur étaient alloués à vie. D'autres encore
faisaient valoir des terrains dont ils étaient considérés comme
propriétaires perpétuels et héréditaires, pourvu qu'ils s'acquittassent
de quelques corvées et services personnels. On voit aussi des groupes
de fermiers s'associer pour cultiver les terres des seigneurs; ces
derniers pnnaient alors les cultivateurs sous leur protection spé-
ciale. Enfin, un grand nombre de p;iysans étaient simplement des
colons établis sur des terrains particuliers.
Les colons formaient la majorité de la population agraire, et l'on
peut hardiment affirmer que, vers la fin du moyen âge, la plus grande
partie du sol a'ppartenait, dans presque toutes les provinces, moins
aux seigneurs fonciers qu'à ceux auxquels ils l'avaient louée, le pro-
priétaire en titre n'ayant plus droit qu'à une simple redevance ou à
une corvée. Les biens dès colons devenaient peu à peu, par consé-
quent, des possessions presque aussi indépendantes que ceux des
paysans libres *.
On ne voit presque nulle part que tenanciers ou colons fussent
serfs. Le servage, devenu si fréquent à partir du commencement
de la révolution sociale du seizième siècle ^ était fort rare au milieu
du quinzième et n'existait plus guère que chez les paysans slaves de
Tarrière-Poméranie. Dans tout le reste de l'Allemagne, l'influence de
l'Église avait fait prévaloir la loi souabe qui dit expressément :
« Nous avons dans l'Ecriture : c un bomme ne doit pas appartenir à
« un autre homme. » Nous avons emore l'axiome du droit impérial :
« Les hommes sont à Dieu, le cens à l'Empereur ^ " Ces principes
' Voy. Mo\E, Zeitschr., t. V, p. ô9.
' Sur les divers f^enres de proprir-tns de paysnns et leurs différents droits,
voy. Maurf«, Fronhöfe, t. Hl. p. •J18-229. Voy. ausïi l'article de Mittermaier,
Bauer und Banenigut. dans \' Encyclopédie de Ersch et Grlber, t. VIII, p. 159-177.
Peetz, Vollswirihschiifiliche Studien, p. 259-265. Sur la propriété en Prusse, voy.
Lette et vo\ nöWE, t. I, p 15-70 et 2^ 875 876. — IMeitzen, Boden und Landwir-
thschiiftliche l'crhältn sse des prruss, Staates, t. I, p. 366-390.
' Voy. notre second volume.
* Maurer, Fronhöfe, t. II, p. 80, 88-89.
268 ECONOMIE SOCIALE.
furent presque partout mis en pratique pendant un très-grand nombre
d'années. Ceux qui devaient à leur seigneur corvée et redevance
ne pouvaient, il est vrai, quitter sans sa permission et sans qu'il en
fût informé la terre qui leur avait été confiée; ils étaient « liés
à la glèbe », mais personnellement libres, et presque toujours les
terres leur étaient assignées à titre de possessions irrévocables. Par
voie de succession, l'héritage passait à l'un des fils, ordinairement à
l'ainé et, à défaut de descendance mâle, à la fille ainée. Quand le
colon mourait sans enfants, le bien retournait au seigneur. Les
terres des cultivateurs devaient payer impôt, au lieu que les pro-
priétés des seigneurs et des nobles en étaient exemptes. Ce fait
prouve, précisément, que les biens des colons n'étaient pas considé-
rés comme appartenant aux seigneurs, mais plutôt comme consti-
tuant entre eux une propriété inaliénable pour tous deux '.
Au point de vue de l'économie agronomique, on peut caractériser
cette possession du sol par des colons libres personnellement, ayant
leurs droits et leurs devoirs, comme une assurance donnée au paysan
sur la base de la possession héréditaire.
Le cultivateur devait à ce système une condition fixe et la sécu-
rité pour le pain de chaque jour. D'autre part, la location héréditaire
du sol était d'une importance extrême pour la bonne exploitation,
car un fermier héréditaire ne porte pas en général à l'amélioration
de son bien un moindre intérêt que le propriétaire en titre. Le colon
héréditaire (même dans les pays oti plus tard la condition du
paysan devint si misérable, en Poméranie par exemple) n'était nulle-
ment entravé dans le faire valoir de ses terres. Les bâtiments, les
semences, le bétail, les instruments de culture et de ménage, tout lui
appartenait; il était même libre d'employer les coupes de bois de la
propriété pour les intérêts de l'exploitation K " Les paysans de la
Poméranie », dit l'écrivain contemporain Kanzow, « payent une
modeste redevance et ont aussi des corvées déterminées. Ils sont
riches et dans le bien-être, et quand il ne leur plait plus d'habiter
dans la métairie ou d'y laisser vivre leurs enfants, ils peuvent la
vendre avec la permission de leur seigneur, pourvu qu'ils lui aban-
donnent le dixième du prix de vente. Ensuite, avec leurs enfants et
tout leur avoir, ils sont libres d'aller où bon leur semble. Ceux qui
les remplacent doivent également une certaine somme au seigneur. »
Kanzow dit plus loin en parlant des colons de l'île de Rügen* :
' So:m:meu Entwicklung der bauerlichen [{echtsrerhciltnisse, t. I, p. 94-1 53. 235. — Voy.
sur les Homines proprii l'opinion d'Ulrich ZASirs, dans Stintzing, fol. 149.
'Voy. G.EDE, GiUsherrlich-bäuerliche. BesilzverhiUtnisse, p. 34-36.
' Kanzow, Pommerania, t. II, p. 418.
* Kanzow, t. II, p. 433. — Voy. Dahnf.rt, Samml. Pommerscher und Rügenscher
Liinde%w hundin, t. III, p. 835-835. — Vov. G.€DE, p 40. — LETTE und VON RÖNNE.
DROITS ET DEVOIRS DES SEIGNEURS ET DP: S COLONS. 269
" Les cultivateurs de ce pays jouissent du plus {jrand bien-être; ils
payent une légère redevance et font corvée, mais en dehors de
cela, ils n'ont aucune obligation à remplir; la plupart d'entre eu\
n'ont inôinc pas de corvée à l'aire, et la remplacent par une imposi-
tion d'argent. Aussi les paysans se regardent-ils comme absolument
libres; ils ne veulent plusse montrer soumis envers la petite noblesse
du pays, d'autant plus qu'il arrive fréquemment qu'un noble tombé
dans la pauvreté donne sa fille à un riche paysan dont les enfants,
plus tard, se considéreront comme demi-nobles. »
Les biens héréditaires, les biens « purement temporels », ceux
qu'on appelait « du bon plaisir », « de gracieux don », ou d'autres
semblables, ne pouvaient jamais être enlevés au cultivateur et à ses
enfants arbiM*airement et par caprice. Jamais non plus, pour obte-
nir un plus haut fermage, le seigneur ne pouvait faire passer sa
propriété à un autre colon '.
II
Dans la plupart des pays allemands, les droits et les devoirs réci-
proques des seigneurs et des colons étaient exactement déterminés
et fixés dans ce qu'on appelait les « livres de sagesse » ou « coutu-
miers » (Weissthümer). Ces recueils de droit, qui ont été pour la
plupart rédigés au quinzième siècle, nous fournissent des preuves
souveni admirables de l'élévation, de l'impartialité, de l'esprit d'équité
du droit national allemand, et nous montrent constamment le bon
sens uni aux usages et aux coutumes du pays*. Du coté des seigneurs
comme de celui des cultivateurs, les plaintes sur les atteintes portées
aux droits existants par l'intérêt personnel sont très-fréquentes; en
temps de troubles et de guerre, les empiétements mutuels, même
les voies de fai*^ contre les faibles, ne sont pas rares ; mais, la plupart
t. I, XVII. — Les. ferinafjes d'autrefois y étaient tous héréditaires. Pour la Prusse
orientale et occidentale^ l'ordonnance provinciale suivante avait force de loi
depuis 14i4 : - si un cultivateur donne la direction de sa ferme à un répondant,
à la CDunaissance et avec le consentement de son seigneur, et qu'il ail payé sa
dîme à celui-ci, le seigneur ne peut pas l'empêcher de s'en aller oii bon lui
seml)lera. • Voy. Lette et von Rönne, t. I, xlv. — En Westphalie, nous
voyons le mot servage employé pour la première fois dans un document datant
de 1558 KiNDLiNGER, Hörigkeit. Pour les propriétés du S hleswig-ilolstein, il
n'est pas question de servage avant le milieu du seizième siècle. Voy. Hanssen,
Die Aufkebung der Leibeigenschaft in den Herzog thümern Schleswig und Holstein, p. 12
(Pétersbourg, 1861).
' Voy. Mauuf.r, Fronhofe, t. \\\, p. 218-220. — Sugenheim, p. 358-360.
* Voy. Jacob Grimm, Hechisalierthümer , IX. — Voytz uu intéressant chapitre
■270 ECONOMIE SOCIALE.
du temps, nous voyons les différends s'arranger à Tamiable, ou aisé-
ment tranchés par la décision du juge.
Presque toujours, les colons et cultivateurs fermiers étaient mis
solennellement en possession de leurs terres par le seigneur ou l'un
de ses délégués. Avant cette installation régulière, véritable investi-
ture, ils devaient prêter serment d'hommage, et promettre de se
conformer a tous les droits existants. Avec ce serment d'hommage
commençaient aussi les devoirs du seigneur, qui s'engageait de son
côté à protéger le cultivateur et sa propriété, à prendre soin de
lui en cas de maladie ou en temps de grande calamité, pendant
la guerre ou la famine. Bien que -< lié à la glèbe >, le paysan avait
cependant le droit d'envoyer ses enfants ou les membres de sa
famille gagner leur pain loin de la métairie, s'ils ne l'y trouvaient
plus en suffisance. Ceux-ci pouvaient être ouvriers, serviteurs, dans
les villes ou villages éloignés, et même y obtenir droit de bour-
geoisie, sans qu'il fût nécessaire pour cela d'obtenir la permission
du seigneur'. Quant au fermier lui-même, lorsqu'il voulait quitter
sa métairie, il lui fallait d'abord payer les redevances arriérées,
s'acquitter des corvées en retard, satisfaire ses créanciers, enfin faire
publiquement connaître son dessein, par exemple, « le dimanche à
l'église ». Il devait faire cette déclaration « en plein jour -, et « non
en cachette '. Ses préparatifs de départ devaient également avoir
lieu, comme le prescrivaient les « Sagesses ', « pendant le jour ».
Le feu devait être éteint " au beau midi ». Le soir, le bagage était
chargé sur une charrette dont le timon devait être tourné du côté
où le paysan avait dessein d'aller, et, pendant le trajet, il devait être
accompagné de < gens eu nombre ^ . Les anciens possesseurs des
fermes pouvaient, s'ils en avaient le désir, revenir dans la propriété
qu'ils avaient quittée, à condition de s'engager de nouveau à remplir
les obligations imposées ^
mtitulé : Silte tind Siniilfjkcit im AUdcuischeii Recht, dans la Kölnichen l'olhszciiung , 1882,
n" 263. Première page.
iMvOBEix, Fronhöfe, t. III, p. 128-132.
* CouiiJiTiier de la métairie de Pronzfeld près de Prüm (1476), de Niederbiirer»
(1469), de Tablait (1471), dans Grimm, W eisihümer , t. II, p. 558; t. I, p. 219, 225.
Dans les rèjilements de l'abbaye d'Alpirsbach, on trouve la prescription sui-
vante : « Lorsque les fermiers se sont bien acquittés de leurs obligations, ils
peuvent, s'ils le veulent, se rendre dans quelque autre endroit; le bailli doit
les accompagner et leur dire : " Pars au nom de Dieu, et reviens si tu crois plus
" tard y trouver ton avantage; tu nous trouveras envers toi ce que tu nous as
« déjà trouvés. • Grimm, t. I, p. 376.
2 Voy. les Couiumiers de 1477, 1518, dans Grimm, t. I, p. 243; t. II, p. 292. —
Maurer, Fronhöfe, t. III, p 134-137. — Au commencement du seizièm- siècle,
beaucoup de seigneurs donnèrent à leurs fermiers une complète indépendance.
Voy. les rescrlLs du dnc de Saxe Georges Le Barbu datés de 1508 et cites par
Maurer, t. IV, p. 496.
COIIVÉKS. 271
Les redevances des colous consistaient généralement en prix de
fermage très-modérés, quelquefois même étonnamment modiques ',
en prestations en nature ou en corvées et services personnels :
corvée de chevaux, de labourage, de chasse ou de pèche, dont le
nombre était exactement déterminé. Dans les duchés autrichiens,
aucun cultivateur n'avait par an plus de douze jours de corvée à
faire ^ Lorsque le colon mourait, sa famille devait une redevance
spéciale au seigneur, qui avait alors droit à la « meilleure tête > ou
bien à la -< meilleure pièce ", c'est-à-dire à la plus belle bote du
bétail ou au plus bel habit de la garde-robe. Cette redevance avait
beaucoup de rapport avec la taxe sur les héritages prélevée, dans les
villes, sur les habitants qui n'y avaient pas droit de bourgeoisie;
mais, en général, elle était moins lourde, car celle-ci s'élevait souvent
Jusqu'à 20 pour 100 de l'héritage \ Dans les duchés autrichiens où
le droit -■■ de meilleure tète ' avait été aboli, - comme étant une into-
lérable vexation «, on prélevait une redevance mortuaire de 5 pour 100
sur la propriété mobilière ou immobilière affranchie de toute dette
laissée par le colon; mais les legs pieux du défunt, les instruments
de culture, les habillements, etc., n'entraient point en ligne de
compte*. En Tvrol, le seigneur n'avait droit qu'à un bœuf dans tout
l'héritage du tenanciers
Dans beaucoup de pays, les colons étaient tenus à des danses de
corvée, alors regardées comme une reconnaissance symbolique de la
suzeraineté du seigneur. Ainsi, dans les districts de Laugenberg,
tous les ans, le troisième jour de la Pentecôte, les paysans de plus
de huit villages devaient venir par couples et se rassembler d'eux-
mêmes sous un tilleul, pour exécuter uni' danse en présence de leurs
seigneurs. Ceux-ci leur faisaient servir de la bière et des gâteaux.
Les paysans absents ou refusant de d mser étaient punis'.
Pendant la corvée, les paysans ét.iient nourris par les seigneurs.
Nous voyons par d'anciens documents que les chevaliers de l'ordre
Teutonique de Fischingen (domaine de Röteln) étaient tenus de don-
ner à leurs corvéables -■■ du vin rouge, du bœuf et du pain de seigle ».
Nous lisons dans le coutumier des métairies appartenant à l'évêché
de Strasbourg (à Sasbach, dans l'Ortenau) : « Il est à savoir que tout
colon doit corvée de son corps trois jours par an, comme le bailli
' Voy. MoNE, Zeiisc/iri/l, t. X, p. 264. 268. Fol.
' BuCHHOLTZ, Ferdinand der Erste, t. ^ III, p. 50-53.
' Comme, par exemple, à Constauce, d'après les comptes de la ville en 1512.
MoNE, WII, p. 132.
* BUCHHOI.TZ, t. VIIî, p. 53.
^ ZlMMEKM4N\, Bauernkrieg, t. III, p. 4-0.
* Voy. Maurer, Fronhöfe, t. III, p. 306-307.
272 ECONOMIE SOCIALE
doit le lui prescrire. Quand le travail de la journée sera fini, il
s'assiéra sur un escabeau, et le bailli lui donnera une miche assez
grande pour aller de son genou à son menton, celle qui est appelée
miche de nuit, =' Dans le coutumier de la ferme d'Hausberg (près de
Strasbourg), il est dit que - le corvéable aura droit une fois par an â
un repas composé de deux piafs; et la viande doit déborder de
quatre doigts des deux côtés du piaf; on servira le paysan dans des
gobelets et plats neufs, et on lui donnera du vin en quantité suffi-
sante '. A Alzey, les corvéables, hommes et femmes, étaient tenus
d'aider à la moisson pt-ndant deux jours. « Mais si la femme a un
petit enfant, elle pourra retourner trois fois par jour à la maison
pour l'iillaiter =;, dit le coutumier. « Le soir, on donnera à chaque
homme un pain, dont vingt-quatre semblables doivent être pétris
dans un muid de grain. » On fixait exactement d'avance la quantité
de nourriture et de boisson à laquelle le corvéable avait droit lors-
qu'il avait à faire des transports de vin, et nous pouvons constater
dans les règlements qui nous ont été conservés, qu'on pourvoyait avec
largesse à ses besoins. Nous y lisons en effet : « On lui servira deux
sortes de pain, deux plats de viande et deux sortes de vin :>. On doit
cependant l'empêcher de boire avec excès : " Quand le charretier
des vins arrivera le soir à la Moselle >', dit le coutumier de l'abbaye de
Prüm, « on lui servira une soupe, et du vin en quantité suffisante.
Pendant sa route, il aura droit à chaque mille à un quart de vin. Mais
il doit éviter de trop boire, afin de pouvoir bien garder le vin de son
seigneur. Quand il arrivera à destination, on lui donnera suffisam-
ment à boire et à manger; on lui servira deux sortes de pain, deux
sortes de viande et deux sortes de vin. Le charretier ne doit pas
boire avec excès, afin de ne pas heurter la porte en entrant, car s'il
la heurtait, il devrait payer une amende à son seigneur*. =; Le temps
de la corvée durait en général deux jours, mais plus souvent encore
un jour et une nuit. Ordinairement, les corvéables retournaient chez
eux le même jour -.
Les redevances en nature et en argent étaient presque toujours
apportées au seigneur ou à son intendant par le tenancier ou cor-
véable en personne. 11 n'était pas rare que ces taxes fussent compensées
par des dons équivalents, ou même dépassant la somme apportée'.
Le contribuable ou son messager devait être hébergé lorsqu'il arri-
vait chez le seigneur. Dans quelques pays, on lui donnait un habille-
ment complet, quelquefois même on le récréait par la musique ou la
' Voy. Grimm, IVeisthûmer, t. I, p. 321, 4l4, 717, 799; t. II, p 525.
* Voy. Malrek, t. III, p. 303, 320. — Grimm, llechlsalieri/iûmer, p. 354.
» Id., p. 395.
UK DEVANCES. 273
danse. Le foresfier de Laiilor), par cxcniplc, recevait pour «a peine,
lorsqu'il venaif amener au cliàlcau de Coiislance « les porcs de la
dime », le poids pesé en seifyle de son cochon le plus {jras. Le mes-
sager qui apportait au cliAloau (rilirsciiolm les plus beaux morceaux
de son porc engraissé, devait (Mre placé à une (able abondamment
servie, manger et boire « dans de la vaisselle blanche ». Son cheval
devait avoir assez d'avoine pour qu'elle montât jusqu'au poitrail,
et passait la nuit à l'écurie. l,e matin, lorsque le paysan reparlait,
il recevait, suivant l'ancien usage, un pourboire. Les charbonniers
et charpentiers de la métairie de Sigolsheim, entre Colmar et
Schicsiadt, étaient encore mieux partagés : quand ils apportaient
leurs redevances, on donnait à chacun une aune de bon drap
pour faire des chausses. « Plus, dit le terrier, ceux qui viennent
couper le bois dans notre domaine peuvent réclamer dans chaque
maison ime once de pfennigs. Ils pourront aller ensuite à Miiusler-
thal, et là on les hébergera honnêtement et de bonne grâce. »
« La nuit, on leur fera un lit avec de la paille, et l'on engagera un
vielleur qui leur viellera pour les endormir, ainsi qu'un valet pour
garder leurs vêtements, de crainîe que le feu ne s'y mette. Monsei-
gneur l'abbé de Saint-Grégoire leur fera donner deux paires de
souliers neufs. Ensuite ils s'en iront à la ferme de Wilre et y pren-
dront le matin un morceau. Après quoi ils se rendront à la ferme
de Durinckheim, où l'on devra les recevoir le mieux possible et
leur donner du vin rouge tiré au tonneau '. ' Dans le coutumier
du bailli de Mcnchin (1441), ou lit : « Le bailli a un droit de fenaison.
Tous ceux qui ne pourront pas faucher, peti(s locataires de chau-
mière ou veuves, devront faner un jour pour lui. On sonnera la
grand'cloche pour les avertir. Tout de suite après l'avoir entendue,
ils se rendront dans la cour du bailli; ensuite un fifre les conduira
jusqu'au champ, et le soir les ramènera. " Le même terrier assure
aux corvéables les avantages suivants : « Quand le pêcheur apporte
le poisson à la cour du bailli, la femme du bailli doit lui donner
une bonne miche. Mais s'il apporle plus ou mieux qu'on ne lui
demandait, elle doit être très-gracieuse envers lui et lui donner un
bon rôti de bœuf». "
' Grimm, IVeisthümer, t. I, p. 105, 446, 666.
* GniMM, Rechtsalterihümer, p. 318, 395. • Je crois, a dit Grimm.qiie les fermaf^es
et servitudes du temps passé étaient en beaucoup de choses plus supportables
et moins rebutants que les devoirs et le jjenre de vie auxquels sont mainte-
'• nant tristement assujettis nos paysais et nos ouvriers de fabrique. • « La
rèf;le imposée par le droit national, prescrivant que le lever ou le coucher du.
I soleil serait comme le témoin de tous les actes lejjaux, était en beaucoup de
I cas favorable au colon. Dans les anciennes prestations de services, les devoirs
se rattachaient souvent aux incidents de la vie de la nature. Il y avait là un
élément indéterminé, et quelque heureux hasard pouvait servir l'intérêt du
18
274 ECONOMIE SOCIALE.
Les redevances n'étaient pas toutes apportées par les corvéables.
Les « dîmes réclamables " devaient être perçues par les seigneurs.
Les nombreux règlements qui précisent la manière dont ces taxes
doivent être prélevées consignent les égards montrés aux paysans,
et sont animés d'un véritable esprit de bonté et de ménagement.
Il y est recommandé de prendre garde de réveiller Tenfant couché
dans son berceau; le coq, perché sur le treillage, ne doit pas être
effrayé, et si la iemme du paysan est en couches, le collecteur sei-
gneurial doit se contenter, comme d'un simple simulacre de rede-
vance, de la tète du poulet qui lui est dû. Le reste de la bête est
laissé à l'accouchée, < atin qu'elle puisse reprendre des forces « '.
Lorsque le seigneur justicier réclame Ihospitalité d'un de ses colons,
il est tenu de « laisser son épée et ses éperons à la porte, afin de ne
pas effrayer la femme ".
Le règlement de la métairie de Walmersheim, appartenant au mona-
stère de Priim, nous fournit un exemple intéressant de la minutieuse
exactitude avec laquelle les droits mutuels étaient alors fixés : « Cha-
que quart de terrain, y est-il dit, outre d'autres redevances, doit sept
œufs et demi au seigneur; la femme mettra sur le seuil le huitième
œuf, et le bailli le coupera avec un couteau. Ce qui tombe en deçà
de la porte est au paysan; ce qui tombe au delà, au seigneur ^ "
Les décisions contenues dans les règlements et droits seigneuriaux
touchant les punitions que doivent subir ceux qui n'apportent pas à
temps leurs redevances, sont d'un très-grand intérêt et nous permet-
tent de nous rendre un compte exact de la position des colons. Ces
punitions consistent la plupart du temps en amendes de peu d'impor-
tance, dans la remise de quelques pains ou d'une mesure de vin.
Quelquefois on exigeait que le cultivateur en retard de ses payements
fournit des gages, parfois aussi on lui retirait tout à fait le bien qui
lui avait été confié; mais il était interdit < d'agir envers lui avec
légèreté ou colère; on devait lui laisser du temps lorsqu'il était en
retard, et ne pas le punir trop sévèrement. S'il était pauvre, on re-
commandait à son égard la miséricorde, et l'on ne juge digne d'être
sévèrement puni que celui qui a vraiment négligé son devoir et s'est
montré récalcitrant et obstiné. » En général, on accorde de nou-
veaux délais au colon qui ne peut s'acquitter au temps voulu : « Celui
qui n'a pas remis sa redevance au jour fixé, pendant que le soleil luit
plus faible. Les difficultés, les épreuves des paysans dà présent ont un caractère
plus écra.'^ant. Les devoirs qui leur sont imposés se rapportent à un but plus
étroit, plus uniforme, et la manière d'ai teindre ce but n'est pas toujours en
rapport avec les habitudes et les occupations ordinaires du paysan. • Hechtsal-
terihiimer, l XVI, p. 395. — Voy. Peetz, fol. 290.
1 Voy. (iniMM. ll'eislhiimer, t. I, p. 534, et Maurer, Fronhöfe, t. III, p. 347.
* Grimm, Weisihumer, t II, p. 525, 538, et t. III, p. 16.
REDEVANCES. 275
et avani qu'il se couche, dit un fonicr de Kleinfrankenheim (basse
Alsace), payera une amende de sept sliillin[;s comptant; et alors l'in-
tendant pourra lui retirer le bien. Mais la chose doit se passer en
présence de deux témoins, et le colon doi! être préalablement averti
par (rois l'ois en l'espace de (piinze jours, (^elm' qui encourt de pareils
avertissements donnera chaque lois â ceux qui viennent lui signifier
la disposition prise contre lui deux mesures de vin. Si, au bout de
quinze jours, il n'a pas payé, il n'aura pendant un an aucune pour-
suite à redouter. Mais si, après l'année écoulée, sa redevance n'est
pas encore soldée, les intendants du seigneur prendront jugement
contre lui, et la terre retournera au seigneur, qui pourra alors en
faire ce qu'il voudra comme de sa légitime propriété. Mais si ce
tenancier lent et récalcitrant ne s'était pas trouvé chez lui lors des
avertissements prescrits, et que, revenu dans l'intervalle, il eût payé
tous ses impôts et redevances arriérées, le bailli devra le laisser dans
sa terre'. •' Le colon en retard de ses redevances pouvait jusqu'au
dernier moment remettre sa dette au collecteur venu pour prendre
des gages. . Tout colon -, dit le règlement de la métairie de Birgel
appartenant à l'abbaye de Saint-Pierre de Mayence, « doit, le jour de
saint Thomas qui précède Noël, payer trente pfennigs avant le cou-
cher du soleil, et se présenter dans la résidence de son seigneur. S'il
n'a pas d'argent, il pourra fournir des gages; si, dans le cours de la
journée, il n'a apporté ni gages ni argent, le bailli remettra la terre
entre les mains du seigneur. Si l'intendant du seigneur, venant récla-
mer les taxes, rencontre le pauvre homme apportant ses redevances
arriérées avant qu'il soit parvenu à la grand' porte et sorti de l'en-
clos, il devra lui faire grâce *. " Le règlement de la métairie de
Biebern (dans le Huudsriick) dit, dans le même esprit de conciliation,
sur la question de savoir comment on doit contraindre à payer celui
qui n'a apporté ni ses redevances en nature ni son argent : « Voici
comment on agira : le bailli ne fera pas la saisie lui-même; il ira
trouver le juge du district, et celui-ci viendra avec lui chez le paysan,
et s'efforcera de trouver dans la maison des gages suffisants pour
répondre de ce qui est dû. Le bailli restera en dehors, sur le fumier,
et n'entrera pas. Et si le juge trouve des gages suffisants, il les pas-
sera à l'intendant à travers les treillis de l'enclos; que s'il n'en trouve
pas assez, l'intendant sera miséricordieux pour le pauvre homme,
jusqu'à ce que Dieu lui ait tendu la main '. »
' Grimm, t. I, p. 744.
* Par les mots « pauvre homme, pauvres gens », on désignait, dans les titres
de propriété seij^neuriaie, les colons, les paysans cultivant des terres affer-
mées, etc. Voy. MvURER, Dorfierfassuiig, t. I, p. 135.
' GaiMM t. I, p. 517, 744; t. II, p. 191.
18.
276 ECONOMIE SOCIALE.
Toutes ces ordonnances prouvent suffisamment que >' le pauvre
homme » du moyen âge, libre, quoique appartenant à la terre, n'était
pas sans droit vis-à-vis de son seigneur, et que ses rapports avec lui
n'avaient rien d'avilissant ni d'oppressif. D'autre part, la dépendance
du cultivateur le mettait à l'abri des soucis de la vie matérielle, et la
plupart du temps lui garantissait de père en fils une demeure, et le
droit d'exploiter la métairie.
Lorsque le colon entrait au service personnel de son seigneur, il
faisait partie de la famille.
II!
Les établissements ruraux différaient beaucoup entre eux. Dans les
pays montagneux, une graude partie du Tyrol, la haute et basse
Autriche, en Styrie, eu Carinthie, dans les montagnes de la Bavière
et les pays marécageux du nord, sur les rives de la Baltique et de la
mer du Nord, les villages u'éf aient que des métairies groupées
non loin les unes des autres. Dans les pays plus plats, les vastes
plaines de l'Allemagne du Nord, les plateaux du sud, s'étendaient au
contraire de grands villages cohérents aux maisons contiguës. En
Westphalie, les fermes séparées, les propriétés seigneuriales, les vil-
lages étaient confondus. Les paysans de la basse Bavière et de la
Poméranie habitaient des métairies entourées de vastes terrains. Les
cultivateurs rhénans avaient de petites propriétés formant de grands
villages. Enfin ceux des forêts de l'Ouest habitaient de petites bour-
gades o.u hameaux groupés les uns auprès des autres.
Dans tous ces villages, on retrouve l'institution du communal, telle
que les anciennes lois agraires germaniques l'avaient établie. Le
communal consistait en bois, prairies, pâtis, haies; ces terrains
indivis, appelés aussi connimne, donnèrent leur nom ä l'association
villageoise. Tous y avaient un égal droit, même dans les villages
composés de biens seigneuriaux, non-seulement le paysan libre,
mais aussi le colon attaché à la glèbe, pourvu qu'il appartint réel-
lement à la commune, qu'il y eût « son propre feu ", " son foyer ",
« son pain et sa nourriture bien à lui » ; en un mot, son chez-lui et son
mémige; mais quelquefois c'était sous la condition d'une modique
redevance. Ainsi à Ilornau et à Kelchheim, dans le Taunus, nous
voyons, d'après un règlement de 1482, que les membres de la commune
devaient fournir le mardi gras ' un poulet, et de plus payer trois
CO M M [I NA I,. 57 7
iiards .. Daas im villajje ai)|)arieiianl à l'abbaye de Lindau, le paysan
dcvail aussi, selon le rè[;lcjiicnl, ' une poule le mardi gras ». A Winni-
{>cn-sur-Moselle, il lui fallait l'aire " une oUrande gracieuse en vin •,
odraude dont la mesure variail selon (pje Tannée avait été bonne ou
mauvaise. Mais la plupart du temps, les paysans exempts de toute
rétribution étaient libres d'employer comme ils l'eniendaient, et
le plus utilement possible pour leurs intérêts, leur part de commu-
nal'.Ils avaient donc - l'eau, le pAtis.le terrain inculte (vaine pâture),
le poisson sur le sable, le gibier dans la campagne, pour les besoins
et nécessités de leur subsistance*". Aucune parcelle de communal ne
pouvait jamais être vendue. Les seigneurs fonciers, sans l'assenti-
ment du village, ne pouvaient non plus rien en distraire, et n'a-
vaient pas même le droit, sans la permission des paysans, de faire
couper du bois et de le faire transporter en dehors des limites du
village ^
On voit que le colon d'une métairie, ou de tout autre bien appar-
tenant à un propriétaire ecclésiasiique ou séculier, avait, outre la
propriété héréditaire et soumise à des redevances qui lui était confiée,
une copropriélé réelle dans les terrains de la commune *.
Au quinzième siècle, les droits au communal, dans la plupart des vil-
lages, consistaient encore en droit de pâtis pour les bestiaux, droit de
glandée cl droit de libre coupe dans les bois. Les coupes, les « jours
de bois ^ , étaient fixées à des époques déterminées, et les villageois
venaient abattre ce qui leur était di\; puis, sous la surveillance des
représentants de la commune, qui précisaient exactement les parts de
chacun selon ses charges et nécessités, le bois de bâtisse et de chauf-
fage, de charme, de haie, d'échalas ou autres, était distribué. Comme
la richesse des paysans consistait presque toujours en bétail, on se
préoccupait surtout du bon entretien des pâturages mêlés aux champs
et aux bois. Ordinairement, ou fixait le nombre de bêtes que chaque
fermier avait droit de posséder.
A ceux des habitants du village qui ne jouissaient pas de leurs
pleins droits, et qu'on appelait les < manants ", classe composée pouj'
la plupart d'ouvriers, de journaliers, gens absolument destitués de
toute propriété, on constituait aussi certains droits au communal.
Ils pouvaient y mener paître une chèvre, un porc, en un mot le bétail
' Pour plus de détails, voy. Maurer, Dorfverfasiung, t. I, p. 54-161. — Sur les
propriétés de bois et les démarcations des foréls dans le Rheingau, voyez Ziux,
p. 5J.
' (;iUMM, Weiithumcr, t. II, p. 321.
' Voy. par exemple, le coulumier de Sclnvanlieim il453). Grimm, t. 1, p. 522.
♦ C'est pourquoi le pilla^je des propriétés ecclésiastiques au seizième siècle fut
fréquemment au détriment du « pauvre homme , auquel il faisait perdre sa
part de communal.
278 ÉCONOMIE SOCIALE.
nécessaireàrenlretien de leurvie.On attribuait auxplus pauvres soit un
jardiu, soit les fruits de quelques arbres, soit même des pièces de terre
qu'ils pouvaient défricher, puis culîiver pendant un espace de temps
plus ou moins long. Outre cela, on leur abandonnait quelquefois du
terrain pour y bâtir une cabane, et, dans beaucoup de communes,
du bois de construction et de chauffage '. Les femmes en couches,
qu'elles appartinssent ou non à la commune, avaient droit dans beau-
coup de villages à une provision de bois; à la naissance d'un garçon,
elles recevaient le double de la somme accordée à la naissance d'une
filles
On appelait les livraisons de ce genre " offrandes gracieuses envers
ceux qui ont besoin de notre assistance •^. Ces offrandes gracieuses
s'étendaient aussi, dans une certaine mesure, aux voyageurs qui tra-
versaient le pays. On trouve en abondance dans les « Sagesses » du
temps des prescriptions analogues à celle-ci : « S'il survient un étran-
ger, et qu'il veuille pécher une fois dans les limites de notre commune,
il pourra jeter ses lignes dans le ruisseau. " " Tout étranger, de
quelque lieu qu'il vienne, pourra pécher un plat d'écrevisses ou de
poisson, mais il devra le manger dans l'enceinte du village, chez un
aubergiste ou un habitant du pays. » " Un passant étranger pourra
manger du raisin autant qu'il en voudra. Mais il ne pourra pas en
emporter dans son sac; le garde ne lui demandera rien pour ce qu'il
aura mangé, mais l'engagera seulement à continuer son chemin, et le
remettra en bonne voie, s'il s'est égaré. » » Un voyageur, passant
à cheval à travers champs, a le droit d'emporter aulant d'épis qu'il
en pourra tenir dans ses deux mains pendant une course rapide. «
« Un charretier traversant la route pendant la moisson peut réclamer
trois gerbes. " On devai' aussi prendre soin des bétes fatiguées du
voyageur : « S'il advenait qu'un homme passât en voiture avec son
attirail et ses bêtes, et que la nuit le surprit dans le territoire du vil-
lage, il pourra y prendre son repos et mener ses bêtes passer la
nuit dans le communal. " Le voyageur avait aussi le droit de prendre
dans les forêts communales le bois qui lui était nécessaire, au cas ou
sa charrette ou voiture aurait eu besoin de réparations \
Les bois et les champs composant la propriété commune étaient
considérés comme « biens sacrés et inviolables ». A des époques
déterminées, on en faisait l'inspection solennelle en processions
qui se faisaient tantôt à pied, tantôt à cheval, et pendant lesquelles on
en Consta ait exactement les limites. Ces inspections étaient regardées
' Maurer, Dorfverfassung , t. I, p. 228-244.
* Maurer, t. I, p. 23U-231.
' (iRiMM, t. m, p. 456, 462. — Maurer, Dorfrcrfassung, t I, p. 331-332, Introduc-
tion, p. 165-167, 193-194. — GriMM, liecshlaUerthumer, p. 400-402.
HABITATIONS DES CU LT I VA T E Ü li S. 279
comme fort importantes; elles avaient souvent lieu bannières dé-
ployées, tambours et fifres en tète, et constituaient en même temps
des actes religieux. Un autel était construit sur la limite du commu-
nal, rÉvangile y était lu, puis le curé du villaj;e bénissait les champs '.
Üans les communes seigneuriales ou mixtes oii des biens seigneu-
riaux étaient mêlés à ceux des paysans, des délégués du seigneur
devaient prendre part à la procession. Les champs appartenant aux
particuliers, prairies, jardins, vignes ou bois, é'aient aussi surveillés
et protégés, et la plupart du temps entourés de haies. Toute rupture
de haie était sévèrement punie. La partie habitée du village était
en général entourée d'une haie, d'un fossé ou d'une simple mu-
raille '.
Le mode de construction des maisons de paysans variait, comme
les costumes, suivant les diverses races et les différentes contrées. En
Franconie, l'habitation, les éfables, le hangar, la grange, tout était
contenu dans une sorte de quadrilatère dont les divt-rses parties
n'étaient point séparées par une cour, de sorte que le paysan, sans
mettre le pied hors de chez lui, pouvait aisément avoir l'œil à tout.
En Souabe, le villageois n'habitait pas à côté, mais au-dessus de ses
étables; sa maison avait deux étages, et tout auprès, sous le même
toit, se trouvait la grange. Dans les habitations des paysans de Saxe,
le foyer était établi juste au milieu de la maison, et la ménagère,
assise auprès, pouvait diriger toutes choses et surveiller aisément
enfants, serviteurs, chevaux, vaches, cave, grenier et pièce d'habita-
tion. La place auprès du foyer était la plus belle ^; le feu était allumé
tout le jour et la nuit même brillait d'une faible lueur. On ne Tétei
gnait jamais, si ce n'est le jour de la mort du maitre, selon l'antique
usage '.
L'indissoluble union du paysan et de sa demeure était symbolisée
par l'enseigne qu'il y attachait, et qui était une sorte de témoignage
parlant. La charrue, la faucille, la gerbe , le hoyau peint ou sculpté
sur la porte du cultivateur semblaient dire à tous les passants que le
maitre de la maison était fier de son travail, qu'il y mettait sa gloire.
' Maurer, Introduction, p. 73, .325. — Dorfverfasning, t. II. p. 6-10. — Voyez
aussi l'ordonnance villageoise d'Ingersheim {iiii), dans Mo.ne, Zeitschrift, t. I,
p. 12.
* Mairer, Introduction, p. 37-39, 220-223. — Dorf Verfassung, t. I, p. 32-33, 357.
— NordhipFF, HoL und Steinbau Westfalens, fol 125.
' Voyez MoNE. Zeitschrift, t. V, p. 130-131. — Sur les maisons de paysans en
Saxe, voyez Nordhoff, Hola und Steinbau Westfalens, p. 12-2d. — Sur les maisons
des paysans d'Osnabriick, voy. J. Moser, Patriotische Phantasien, t. III. p. 143-145.
* Tout ceci est en ore en usage aujourd'hui dans le^ riches familles de paysans
d'Oldenbourg et dans le Schleswig. Voyez Riehl, Familie, p. 213.
280 ÉCONOMIE SOCIALE.
" Le vrai cultivateur, dit le lAore des grains, plantes et arbres, ne
met rien au-dessus de sa maison, rien ne lui est plus cher que sa
femme, son enfant, et tout son petit peuple, il tient le travail en
grand honneur, et se regarde comme en possession de la plus belle
profession de ce monde, car Dieu lui-même Ta instituée dans le pa-
radis '. »
Aussi la chanson populaire disait-elle :
Le chevalier a dit au laboureur : » Je suis sorti d'une race illustre! '
Le laboureur lui a répondu : « Je cultive le blé, j'ai, selou moi, un sort
bien plus agréable que le tien! Si je n'étais cultivateur, lu ne jouirais pas
longtemps de la noblesse! C'est moi qui te nourris avec le fer de ma char-
rue! Je n'attache aucune imporiance A ion faste; j'ai mon droit de paysan,
il me semble bien supérieur. A quoi le servent les tournois et tes danses?
Je n'y vois rien qui puisse le rendre plus fier, au lieu que mon rude labeur
supporte le monde ''^! »
IV
Les travaux des cultivateurs élaieul étroitement associés à l'admi-
nistration communale, qui réunissait toutes les familles d'un village
dans une association bien organisée, où les devoirs et droits de cha-
cun étaient clairement délerminés. Tout membre de la commune
était appelé à participer au maintien de la paix et de la justice, ei
à donner son avis dans les jugements et sentences judiciaires. Eu
toutes circonstances concernant les intérêts du village, il exerçait
un droit de vote. Quand il survenait des querelles, des débats, le
principe : ^ Tous pour un, un pour tous », faisait loi *, et cette fra-
ternité bien cimentée, fondée sur les simulitudes du travail et de
l'établissement agraire, constituait cette association rurale que le
paysan estimait être la meilleure, et qu'il préférait ä tout.
Les villageois bien constitués en droit, colons et hommes libres,
choisissaient des maires, des présidents, des conseillers communaux.
Ceux-ci avaient le droit de décider non-seulement sur l'emploi du
' Dans l'opuscule intitulé : De regimine rusticorum , Rolewinclc dit, pa.i^e 8 :
« Dignittis ruslica?ia esl defendtnda et hoc Iriplicitcr : Primo quia a Dec esl iiistUuCa, secundo
quin a natura est princîpaliter intenta, tertio quia a celeberrimis riris est plurimum appro-
bata et viuitipl citer prioilegiala. . SclOQ lui, leS paysans SOnt appelés ad dignissi-
mum inlcr omnia niechanica officium.
' UhlaND, t. I, p. 337.
' Voy. GiEUKE, Gcnossenscliafisrecht, t. II, p. 210-300.
DIVKliS MODES DK CUl.TUliE. 28f
communal, mais encore sur l'exploifaiion des terrains apparlenant
aux pai-licnlicrs. Dans les questions interessant (oute la commune,
l'axiome de la loi saxonne : « La minorité ne pourra s'opposer à ce
(jue le maire aura décidé avec l'assenlimenl de tous », était encore
mis en prafiipie à la fin du mojen à{]C, pour tout ce qui rcjyardait
les intérêts communs.
Quant à l'aménagement du terrain, on avait naturellement égard
aux qualités particulières du sol. Le système des trois nssolements,
généralement employé pour le connnunal, était presque partout mis
en usage, un ensemençait un champ de trois manières allernées :
d'abord de grains d'hiver, puis de blé d'été; enfin le champ, labouré
seulement à la surface, restait en jachère, afin que les sucs nourris-
sants, dépensés par les récolles précédentes, pussent se reconstituer
de nouveau dans les molécules, par la pulvérisation des parcelles de
pierre et de roche, et par la décomposition des résidus organiques.
Dans beaucoup de localités, on commença dès le quinzième siècle à
tirer parti des champs restés en jachère ' en y ensemençant ce qu'on
appelait " grains de jachères », consistant surtout en vesces et en
pois. Dans toute la haute Allemagne et jusqu'au bas Rhin, on voit, à
côté des champs de culture proprement dits, des champs particuliers
spéciaux, composés des meilleures terres, champs qui jamais n'étaient
mis en jachère, et servaient à la culture des légumes, des plantes
utiles, du chanvre et du lin. Dans les pays montagneux de l'Allemagne
du Sud et sur les rivages de la mer du Nord, la culture des prairies
prédominait*. On alternait dans les mêmes terrains la culture du blé
et du foin dans un ordre déterminé d'avance. Dans quelques contrées
du bas lihin tous les champs étaient ensemencés cliaque année \
Presque toujours l'administration communale décidait sur les
modes de culture, fixait le temps des semailles, prescrivait pour les
terres les années de production ou de repos, établissait des règle-
ments précis sur l'élevage des bestiaux, l'irrigation des prairies et
l'aménagement des Corèts. Aucun produit du communal, bois, paille,
foin, iourrage quelconque, nulle matière première et nul objet
fabriqué ne pouvaient, sans l'autorisation de la commune, être trans-
portés hors du village.
L'agronomie et l'économie forestière, qui la touche de si près,
firent, vers la fin du moyen âge, des progrès incontestables. En
' LOBE, Gesch. der Alteiihurgischen Landwirlhschaß, p. 27.
* Voy. MONE, Zeitschrifl, t. V, p. 259-2()0.
' Cette niiinière d'alterner les semailles des réréales venait Araiseinl)la1)le-
ment de Flandre, où, dès le coininencenient du seizième siècle, les champi
furent cultivés à peu près comme aujourd'hui. Voy. Uoscuer, Ackerbau, p. 94,
note 7. — Voy. aussi PeeTz, iom Ackerbau, fol. 206.
282 ÉCONOMIE SOCIALE.
général, le système d'élaguer les forêts en faisant dans tout le bois
des coupes irrégulières, opérées d'après l'âge, l'espèce ou le groupe-
ment des arbres, dominait encore; cependant on trouve déjà
des règlements forestiers oîi les coupes de bois sont organisées
d'après une méthode fixe divisant les arbres dans tout l'espace de
la forêt en catégories d'âge. Ainsi une ordonnance d'Oberwitten-
thïir (1472) prescrit « de déterminer les coupes de chaque année de
manière à faire le moins de tort possible à la forêt ■ ". Les arrêtés
réglant l'exploitation des forêts, dans les pays frontières du Rhin,
remontent à une époque plus ancienne encore^. On apportait beau-
coup de soin au renouvellement des arbres abattus ou trop vieux. Ils
étaient promptement remplacés par de nouvelles plantations corres-
pondant le mieux possible aux intérêts de l'économie forestière de
ce temps. La culture des plants de chênes et de hêtres qui servaient à
l'engraissement des porcs avait une importance capitale, à cause de la
si grande place qu'avait à cette époque la chair de ces animaux dans
l'alimentalion ; aussi lui donnait-on des soins tout particuliers. L'art
de cultiver les pépinières de chênes, même avant le seizième siècle,
avait subi des réformes auxquelles les temps modernes ont eu peu de
chose à ajouter. On ensemençait d'abord les champs avec des glands;
plus tard on transplantait les jeunes plan'ations dans des pépi-
nières entourées de haies ^ Pour donner une idée de l'importance
qu'avait alors l'élevage des porcs, citons un seul exemple. Dans la
forêt de Lusshart, entre Bruchsal et Philippsbourg, trente-cinq mille
porcs, appartenant aux sujets de l'archevêque de Spire, et huit mille
autres, appartenant à l'électeur palatin, venaient à la glandée. En
outre, de grands troupeaux de porcs étaient amenés par ceux qui
possédaient quelque droit sur la forêt *.
De nombreuses ordonnances forestières règlent, à partir de la
seconde moitié du quinzième siècle, l'aménagement des forêts*; mais,
lorsqu'elles émanent des seigneurs fonciers ou des princes souve-
rains, elles sont souvent associées à des lois de chasse barbares.
Ces lois devinrent plus tard un des principaux mobiles de la guerre
qui éclata entre seigneurs et paysans, à propos des droits forestiers.
' Grimaj, Wcisthiïmer, t. I, p. 127.
* Voyez Bernhardt, Gesch. des lUaldeigeutlmms, t. I, p. 166-167.
' Beknhardt, t. I, p. 160.
* MONE, Zeitschrift, t. VUl, p. 133.
* Voy. ROSCHER, Ackerbau, p. 632. — Fraass, Landbau und Foritwisscnschafl,
p. 496-501.
LK »LlVllE iJ'ENGli r.MANN ». 283
Le niiénan Nicolas Engelmann, premier intendant du domaine
archiépiscopal d'Erfurt appartenant à l'archcveque de Mayence
(1 i9ß-l510), a laissé un tableau plein de vie de l'économie agraire
de sou temps, dans le Règlement qu'il dressa pour la bonne admi-
nistration du domaine.
Ce domaine, situé à Erfurt et aux environs, se composait de nom-
breux terrains sépares les uns des autres, formant en tout une étendue
de 660 acres d'Erfurt, et consistant en champs, prairies, jardins, hou-
blonnières, vignes, moulins, en bois plantés de saules et d'aunes et en
futaies. — Un grand nombre de colons et de corvéables relevaient
de cette vaste propriété dans les cinq villages environnants et dans la
ville, et beaucoup de maisons lui devaient la dime ou la corvée. Engel-
mann, pendant son administration, renouvela tous les cadastres,
et composa un terrier très-minutieux aussi bien pour les censives
péagères que pour les censives héréditaires. Il y ajouta des
ordonnances très-complètes pour le bon aménagement des eaux et
moulius, et composa enfin le Règlement dont nous parlons, grâce
auquel nous pouvons nous rendre un compte exact des détails de
l'économie intérieure, aussi bien que de l'excellente administration
générale du domaine. Les prescriptions concernant les champs,
foré! s, prairies et vignes démontrent avec évidence les progrès de
l'agriculture. Le règlement d'Engelmann est vraiment un monument
historique. On peut dire qu'il est eu quelque sorte, pour l'économie
agraire de la fin du moyen âge, ce qu'est au commencement de cette
période le capitulaire de Charlemagne, au point de vue de l'histoire
de la civilisation '.
A la tête de l'administration du domaine était placé celui qu'on
appelait le maître de cuisine. Il avait la direction de la maison,
était chargé de la comptabilité et de la surveillance générale des tra-
vaux des champs. Sous ses ordres, en qualité de sous-intendant, venait
' Dit l'éditeur Michelsen, page 17. Il suffirait du livre d'Engelmann pour
détruite la singulière opinion de Roschei" [Ackerbau, p. 537i « sur l'animosité pro-
fonde du clergé contre toutes les choses rationnelles de l'économie rurale du
moyen âge à son déclin ». Langethal, dont l'excelleiil commentaire sur le livre
d'Engelmann a été souvent mis à profit par nous (quelquefois mot pour motj,
dit fort bien que tous les règlements de la métairie de Mayence « lui rap-
pellent le proverbe si connu : " Il fait bon vivre sous la croiSe. • (Voy. Gesch.
an- deutschen Landich ihscknft, t. III, p. 147, 187-189. — Voy. les ordonnances de
Pancrace dr Freyberg, dans Peetz, fol. 289.)
Î84 ÉCONOMIE SOCIAI-K,
leporlicr, homme experl, qui, eatoutcconnais.sancedecaii.se, donnait
son avis sur les travaux agricoles; puis le secrétaire du maître des cui-
sines qui administrait les récolles; l'intendant des cuisines qui avait la
direction de la ferme, et le premier forestier qui, outre l'aménage-
ment des bois, devait encore surveiller dans les champs les travaux
des journaliers et des corvéables. L'administration employait de plus
un messager, uu intendant des salines, un péager de pont et ses
trois aides et deux huissiers de justice, A l'exploitation, prenaient
encore part un forestier et son aide, un maître laboureur et son
second, deux valets de charrue, deux valets de prairies, trois chefs
vignerons, un cuisinier, un cellerier, un boulanger, un meunier avec
ses aides, un valet pour la maison, la laitière, la fille de basse-cour el
un vacher; outre cela, tonneliers, pêcheurs, brasseurs et pâtres.
Le règlement indique avec précision les occupations et les devoirs
de chacun. Parmi tant de serviteurs, deux femmes seulement sont
engagées, et les hommes sont chargés des différents travaux géné-
ralement confiés aux femmes. Tous ceux (jui appartenaient à l'exploi-
tation, depuis le plus grand jusqu'au plus petit, devaient savoir lire
€t écrire.
Le domaine de ville comprenait la maison principale et la chapelle; .
et la seconde maison, où se trouvaient la roberie, les greniers,
les écuries, deux élables, une grange, un hangar, les chambres des
serviteurs, une prison, une brasserie, une boulangerie et une maison
de bains.
Dans la maison principale habitait le premier intendant. Confor-
mément à la simplicité des nnrursde l'époque, il n'occupait que deux
pièces, un parloir et une chambre; ou ne voyait d'autre luxe, dansée
modeste logemeut, que de bonnes fenêtres, des portes solides et de
beaux planchers. Le secrétaire et le scclleur habitaient avec le pre-
mier intendant. Dans la seconde maison se trouvaient les chambres
pour les hôtes et les salles à manger des comptables.
Le corps de bâtiment le plus important était le grenier général,
où étaient apportés tous les grains battus : froment, méteil, seigle,
avoine, orge, pois, lentilles, navette et houblon. Le boulanger en
chef en avait la charge; trois fois par an, il devait remuer les grains,
et les vanner une fois chaque année, comme cela était d'usage dans
les bonnes exploitations pour éviter les charançons. 11 séparait, avec
l'aide du portier, du forestier, du premier cultivateur et de bat-
teurs en grange expérimentés, les grains de semence de ceux qu'on
destinait à la brasserie et au moulin. H surveillait dans le temps des
semences l'emploi quotidien et minutieusement réglé des semailles.
Pour se rendre compte de l'exacte quantité de g:rains livrée tous les
jours, on faisait des crans dans des tailles de bois. Le laboureur en
IE '^MVRK D'ENGELMANN ». 28r.
rccev.'iil une, et le b()ulaii{;cr laissait raiifrc dans les (as de forains.
On ajyissait de même pour la livi'aison du iilé destiné au moulin, à la
brasserie et aux bestiaux. Là aussi, on employait la double (aille
comme mesure d'ordre et d'exactitude. Le meunier était surveillé de
(rès-près.
Les tâclies des {jranjjers, valets d'écurie, valets de cuisine, étaient
réglées d'avance avec précision. Les inventaires des instrumen(s de
culture, des objets de ménage, des chambres à provisions, étaient
exactement dressés. Xous les possédons encore et connaissons ainsi
parle menu tous les ustensiles et objets de ménage de ce temps.
L'été, on menait le bétail paître dans les prairies, et le vacher était
tenu de veiller - très-diligemment '> à ce qu'il ne nuisit en rien ta la
culture des champs, à la sève d'été. A midi, les vaches laitières
étaient conduites à la ferme pour être traiies. La laitière surveillait
la fille de basse-cour chargée de traire, afin qu'elle s'acquittât bien
de son devoir, et que les vaches eussent une bonne pâture. La fille
de basse-cour portait le lait à la cave et le versait dans des baquets.
Pendant l'hiver, les vaches étaient nourries dans l'étable. Les pâtres
apportaient la paille et les fourrages, et aidaient la servante à enlever
les lumiers. On veillait à ce que les vaches ne pussent se blesser dans
les loges d'étable où elles passaient l'hiver. En dehors du beurre
distribué dans les cuisines, on conservait du beurre salé dans des
tonneaux.
Les champs étaient cultivés d'après le système de trois assolements.
Tour à tour le terrain était mis en jachère, ensemencé, passé à la
herse ou égalisé avec le rouleau. Grâce aux vastes étables, on ne
manquait point de fumier. Pendant la moisson et la récolte des
foins, les colons devaient prêter assistance. Les corvées de chevaux
étaient assez rarement réclamées. Les journaliers travaillaient à
forfait'. On se servait de la faucille pour récolter le seigle et les
froments; l'orge, l'avoine et les lentilles étaient fauchées. On laissait
les blés dans les champs jusqu'à ce que l'ivraie qui s'y mêle fût flétrie.
Alors les blés étaient liés en bottes réunies ensemble par tas de
quinze gerbes, puis chargées sur les grands chars de moissons.
On apportait un soin extrême au bon aménagement des prairies,
d'autant plus important à cette époque que le trèfle n'était pas cul-
tivé. Le maître des prairies se rendait au printemps dans les prés
avec son hoyau et son râteau, et veillait à la destruction des taupi-
nières. On exigeait de lui, à l'époque de la croissance de l'herbe, une
surveillance continuelle, afin que tout dégât piU être évité. Les haies
qui entouraient les prés devaient être tous les ans remises en bon
' MlCHELSEN, p. 22.
286 ÉCONOMIE SOCIALE.
état. Les fenaisons se faisaient à forfait. Lorsque le foin était rangé
en tas, les gens de corvée devaient le disperser, le ratisser, le
rassembler de nouveau soigneusement, puis le mettre en meules. Le
maître des prairies avait charge de veiller à ce qu'il ne fût pas entassé
avant d'être entièrement sec, et à ce que les prairies fauchées nou-
vellement fussent passées au râteau.
Ouanf à l'aménagement des forets, d'une importance si considérable
pour le domaine, on était déjà arrivé à faire les coupes d'après un
système mixte. Toute l'exploitation était divisée en trois coupes. Les
saules, coupés tous les trois ans, n'étaient qu'à moitié abattus, eu
sorte que la pousse de six ans était exploitée. Dans le bois destiné au
chauffage, on metlai! à part ce qui devait servir aux perches du hou-
blon, aux échalas, aux pépinières; on taillait, on préparait, on ran-
geait en tas séparés toutes ces catégories diverses. Les branches
destinées aux pépinières étaient mises dans l'eau jusqu'au moment du
replantage. Les taillis étaient régulièrement coupés après des espaces
de temps fixés d'avance. On assignait une tâche spéciale à chaque
bûcheron dans un espace déterminé de la forêt. Le forestier veillait
à ce que ce travail fiU " proprement exécuté >-, c'est-à-dire à ce que
les arbres fussent coupés avec une hache bien aiguisée, et qu'ils ne
fussent pas ébranchés maladroitement. 11 avait soin que les fagots
fussent bien faits et rangés en tas de soixante bien comptés. Pour
compléter et renouveler la haute futaie, chaque bûcheron devait
laisser un certain nombre de « pieds de réserve ' dans l'espace de
forêt dont il avait la charge. Tous les soirs, sa besogne une fois
terminée, il pouvait emporter chez lui une charge de fagots et
l'hiver aller chercher du bois tous les jours. Les fossés bordant la
forêt, ceux des chemins de prairies et de champs, devaient, si cela
était nécessaire, être relevés tous les ans, et entretenus de façon
à recueillir les eaux sans causer aucun dommage au voisin.
Le vignoble du domaine s'étendait sur soixante-dix acres de ter-
rain. D'après ce que dit Engelmann des travaux qui y étaient exécutés
et de la manière dont se faisait la vendange, nous pouvons juger
du grand soin avec lequel les vignes étaient entretenues. De même
que les faneurs et les moissonneurs, les vignerons travaillaient à
forfait. Avant la vendange, le cellerier faisait réparer, recercler et
échauder les futailles, tonneaux, auges, cuves, hottes, barils, et les
longs et étroits tonneaux alors en usage. Les ponts et bascules de la
cave étaient huilés. Vendangeurs, porteurs et fouleurs étaient sur-
veillés par le forestier et l'écrivain de cuisine. On devait faire la
vendange " promptement et proprement ", porter avec diligence le
raisin dans les hottes et le fouler « comme il faut > . Après la ven-
dange, le cellerier remettait au maitre de cuisine les produits
I,E « LIVRE D' F N(;E I.MANN ' 287
obtenus, vend.'iit les marcs mis en tonneaux, surveillait avec soin
la f'ermentaliün, séparait la lie du vin, et la vendait aux distillateurs;
il mettait aussi à part le vin trouble dont on se servait pour remplir
les tonneaux de vinaigre et laire bouillir les poissons.
Dans les bonnes années, on vendait en détail le vin dont on ne pré-
vovait pas l'emploi dans l'exploitaiion. Cette venie était animée, et
parfois orageuse. Les aciieieurs accouraient en loule, tous voulaient
être servis à la fois. Il en résultait souvent tumulte et désordre. (Quelque-
fois même les disputes e( les coups étaient de la partie. 11 élail recom-
mandé aux péa{jers présents à ces ventes d'empêcher touie fraude,
et de s'efforcer de faire la paix, autant que cela leur était possible '.
Le vin réservé pour les besoins domestiques était l'objet des
soins les plus attentifs du cellerier. 11 le tirait au temps voulu, et
remplissait les tonneaux en vidange. Toutes les fois qu'il mettait sur
la table une mesure de quatre pots, il faisait un cran à sa taille, et
aussitôt qu'un tonneau était vide, il en faisait un nouveau. On
n'oubliait pas non plus de iioler le chiffre des tonneaux pleins. A la
fin de l'année, on comparait la quantité de vin employé avec le
nombre des entailles, on se rendait compte de la quantité de vin
resté dans les tonneaux, et tout devait exactement concorder.
Le cellerier avait aussi la charge de la brasserie. 11 veillait aux
arrosages de l'orge, à sa croissance, au dessèchement et à la torré-
faction du malt. Puis il le faisait conduire au moulin, prenait dans
le grenier la quantité de houblon nécessaire, louait des ouvriers
brasseurs, et les surveillait pendant leur besogne. Le soin de la bière
lui était également confié, et c'était lui qui mettait sur la table les
cruches pleines.
Les cuisines et les caves étaient tenues en bon état. Tous les tra-
vailleurs, journaliers et corvéables, étaient nourris dans la maison.
Les mets devaient toujours être copieux, et les serviteurs de la mai-
son avaient l'œil sur les ouvriers du dehors, afin qu'ils n'empor-
tassent pas les restes des repas et ne les fissent point passer à
d'autres. Un des buts particuliers de l'exploitation, c'était qu'une
nombreuse classe de travailleurs pauvres y trouvât une nourriture
abondante et saine, et ce n'était pas en vain que le nom de maître
de cuisine avait été donné à l'intendant général. Les bœufs, veaux,
moutons et porcs étaient abattus dans la métairie; jambons et
saucissons y étaient préparés, ainsi que les viandes salées et fumées.
L'intendant supérieur devait exactement veiller à ce que l'écrivain de
cuisine et le cuisinier s'acquittassent consciencieusement de leurs
emplois. Il devait de temps en temps s'assurer par lui-même que les
' MiCHELSEN, p. 29, 35. — Voy. LiNGETHAL, t. III, p. 176-177.
288 ÉCONOMIE SOCIALE.
bœufs et les porcs destinés à être salés fussent tués au temps
voulu, que la viande fût « bien salée, pendue, fumée et séchée ", et
qu elle fiU préparée proprement et sainement, ainsi que la viande
fraîche employée toute Tannée. Chacun devait en recevoir une por-
tion suffisante. L'intendant devait encore avoir soin de la desserte, la
mettre de côté, en tirer parti le mieux possible, et veiller à ce que
le cuisinier " préparât les repas des maîtres et des serviteurs d'une
façon propre, convenable, et dans des proportions suffisantes' ».
Les bains faisaient alors partie des nécessités premières de la vie.
Aussi le règlement d'Engelmann prescrit-il au valet de maison et
autres serviteurs les devoirs suivants : « Toutes les fois qu'on dési-
rera se baigner, le valet portera le bois, versera l'eau dans les bai-
gnoires et dans la chaudière. La laitière et la fille de basse-cour
devront ensuite faire un bon lessivage des chambres, les chauffer,
laver soigneusement bancs, planches, tabourets et petits escabeaux. ;>
Le valet de maison, outre toutes ses attributions, devait encore
chauffer les chambres de bains, les balayer tous les jours, mettre de
l'eau fraîche dans la fontaine où l'on se lave les mains, et la tenir
très-propre, ainsi que " le bassin de dessous ".
Le livre d'Engelmann ne nous offre pas seulement le tableau com-
plet de la vie rurale à cette époque, il nous fournit encore des détails
intéressants sur la discipline chrétienne qui réglait autrefois les
mœurs et les habitudes. A Erfurt, une règle exacte était maintenue.
L'autorité agissait avec fermeté, mais eu même temps l'équité avait sa
place. La bonté et l'amour de la paix caractérisaient le gouvernement
intérieur. L'intendant général avait ordre d'éviter tout ce qui pou-
vait amener des querelles avec les propriétaires voisins et devait
s'efforcer d'entretenir la meilleure intelligence possible avec la muni-
cipalité. On lui recommandait d'être d'un accès facile, de recevoir
avec bonté les bourgeois de la ville, de leur répondre toujours
avec cordialité lorsqu'ils venaient pour le consulter, et de les aider
de ses avis dans quelque difficulté qu'ils se trouvassent. Les bons
usages anciens relatifs au soutien des pauvres étaient encore obser-
vés à Erfurt. Les vendangeurs corvéables, quoiqu'ils fussent tenus
d'encaver gratuitement le vin et la bière, recevaient néanmoins, selon
l'ancienne coutume, de soixante à cent vingt gros de salaire, bien
qu'on ne leur dût rien. Si quelqu'un, par simple ignorance, avait
frustré le péage, la moitié ou plus de l'amende encourue lui était
remise. Les colons des villages dépendants de la propriété pouvaient
vendre des champs à des étrangers, pourvu qu'ils exigeassent que
l'acheteur ajoutât cinq shillings au prix de vente, somme qui « re-
' MiCHELSEN, p. 22-35.
PRlÈn E ET Ti'.AVAir.. 2b9
prér^cntaif le ciroif souverain du seijjaeui' ». Si l'acliclcur se refusait
à remplir celte obligation, les produits de son champ éiaient frap-
pés d'arrôt; s'il méprisait cet arrêt, il s'exposait à les voir saisis.
Riais avant d'en venir là, on essayait de la douceur, « car l'arrôt et la
saisie sont vexatoires, et en{iendrent beaucoup de divisions et de
discorde >■. Le colon refusant de suivre dans son village la procession
annuelle des Piogalions était menacé de cinq schillings d'amende;
ses fils devaient aussi y assister, « afin de pouvoir bien se rendre
compte de la dimension des champs et de leur exacte situation' '.
Une discipline rigoureuse réglait tout â l'intérieur de la maison.
Ceux qui eu faisaient partie devaient obéissance à l'intendant en
chef, et promettaient, en s'engageant, « de se montrer serviablcs et
complaisants envers lui dans toutes les choses justes et louables - ;
d'éviter soigneusement tout ce qui pourrait faire quelque tort à
i( leur très-gracieux seigneur Sa Grâce le prince électeur » ; d'agir
de leur mieux dans son intérêt, de faire, en un mot, fout ce qui est
du devoir d'un fidèle serviteur ou d'une fidèle servante. 11 était
défendu de dire des injures à ses camarades ou de se livrer envers
eux à des voies de fait. Si quelqu'un avait à se plaindre de l'un de
ses compagnons, il devait s'en ouvrir à l'intendant et s'en remettre
ensuite à sou jugement. L'infraction au règlement enîrainait la
peine de la prison pendant un temps proportionne à la grandeur
de l'offense. Le maître des cuisines ne devait jamais tolérer que
quelqu'un passât la nuit dehors sans sa permission. Mais il ne faisait
emprisonner le coupable, il ne le congédiait, qu'après l'avoir préala-
blement averti une ou deux fois. Ce n'était que pour de graves con-
traventions à l'honneur que l'on exerçait une rigueur inexorable.
Celui qui avait volé, porté quelque sérieuse atteinte au droit d'autrui
dans la maison ou monté quelque mauvais coup impossible à excuser,
recevait immédiatement le montant de ses gages, et devait s'éloi-
gner de la métairie après avoir juré de ne pas se venger.
Le maître des cuisines devait avoir à cœur de donner le bon exemple
à ceux qu'il était chargé de diriger. Tous les jours, avant de com-
mencer sa tâche, il devait se rendre à la chapelle : « Le maître des cui-
sines ira tous les jours de bonne heure à l'église ", dit le Règlement.
« Il y entendra une messe et ne manquera pas d'ajouter à ses prières
cinq Pater et cinq Ave en l'honneur des cinq plaies et de la sainte
Passion du Sauveur. Il remerciera Notre-Seigneur de l'amer tour-
ment qu'il a souffert pour nous sur la croix, le priera de lui par-
donner, dans sa bonté, ses offenses et négligences, lui demandera sa
grâce et bénédiction afin qu'à l'avenir il se garde de tout péché et
'MicncLSEN, p. 26-43.
19
290 ErOîVOMIE SOCIALE.
réussisse à diriger et conduire tout ce qui lui a été confié selon sa
divine volonté, en servant fidèlement son Dieu et son p;racieux sei-
gneur. Il invoquera aussi la Mère de Dieu, récitera une prière en
l'honneur de sa sainte nativité, et la suppliera d'intercéder pour lui
auprès de son cher Enfant', n
Au reste, l'observance exacte des devoirs religieux était de stricte
obligation dans toutes les exploitations du même genre. Nous lisons
dans le Règlement domestique dressé pour les s^erviteurs et ouvriers
de Königsbrück, près de Selz : " Item, tous les dimanches et fêtes
d'obligation, les serviteurs entendront la messe tout entière ainsi que
le sermon; personne ne pourra s'en aller avant d'avoir entendu la
messe; celui donc qui, sans permission, se retirerait sans l'avoir ouïe,
ou bien avant le sermon, n'aura pas de viande à son dîner, ou bien,
s'il le préfère, on lui retirera cinq schillings sur ses gages. Les ser-
vantes qui se rendraient coupables des même fautes subiraient la même
punition. Item, le majordome, toutes les fois qu'il se mettra à table
pour partager le repas des serviteurs, se souviendra de commencer
par frapper la table avec son bâton pour avertir de la prière. Celui
qui, après cet avertissement, se permettrait de rire ou de plaisanter et
refuserait de prier, encourrait l'amende d'un batz ^. Item, quand VAvc
Maria sonne, le majordome engagera les serviteurs à prier; celui qui
ne voudra pas obéir sera puni de la même manière. " L'échanson
Érasme d'Erbach donne un ordre analogue dans le Règlement dressé
pour ses biens dans l'Odenwald (1483) : " Les serviteurs se souvien-
dront que travail et prière doivent marcher de concert; ils prieront
donc en commun avant et après les repas, et diront VAve Maria
toutes les fois qu'il sonne; pour cela ils interrompront leur travail,
et ne s'excuseront pas en disant qu'ils ont trop à faire. Tous les
dimanches et fêtes d'obligation, ils entendront la messe et le sermon,
et auront soin de ne pas troubler les autres par leur bavardage
et leurs rires. Celui qui enfreindrait cet ordre serait puni, et si le
cas se représentait souvent, à la fin de l'année il ou elle sortirait
du service. Le maître intendant, l'économe, tous ceux enfin qui sont
chargés de surveiller les autres auront un soin particulier de donner
fidèlement le bon exemple; le maître intendant surtout ne man-
quera pas de commencer tous les jours sa journée de travail par
entendre une messe 2. »
' MlCHELSEN, p. 19.
^ MoNE, Zeitschrift, t. I, p. 183. — Le monastère de Lichtentlial possède un
rèfïlenieut analogue. Le règlement domestique du monastère de Königsbrüek
offre un parfait modèle de la bonne ordonnance d'une ferme. Il était lu un«
fois par an à tous les serviteurs réunis.
* Voy. Bernhardt, t. I, p. 107, 159, 170.
BOUnOEOIS CULTIVAT KL' US. 29 J
VI
Les possessions foncières des villes élaient Irès-imporlantes. Afin
de subvenir le mieux possible aux besoins des habitants et d'arriver
à une pleine indépendance financière, les villes s'empressaient
d'acquérir de Ions cùlés de vastes terrains, surtout des lorèls. Nous
voyons en 1453 la municipalité de Görlitz acheter les propriétés
d'une famille noble tombée dans la misère. La ville de Grossglogau
lait, vers la même époque, l'acquisiliou de plusieurs domaines de che-
valiers avec les bois y aliénant. Par des achats, des hypothèques, en
partie aussi par la conquête, beaucoup de villes finirent par pos-
séder ainsi des territoires considérables. Le territoire de Hothen-
bourjy, petite ville de Franconie qui comptait à peine G, 000 habi-
tants, était de six milles et demi carrés; celui d'Ulm, de quinze;
celui de Nuremberg, de vingt.
Les possessions urbaines élaient presque toutes cultivées par des fer-
miers libres; le nombre des colons y était relativement fort restreint '.
Il ne faut pas s'imaginer que les villes fussent alors exclusivement
des centres commerciaux ou industriels; l'agriculture y tenait une
place considérable. Comme les villages, les cités avaient générale-
ment leur communal, consistant en prairies, pâturages et bois, dont
les limites étaient marquées par des croix, des images saintes ou
des rangées d'arbres; on en faisait chaque année la vérification
solennelle *. Tout bourgeois demeurant dans la ville et y possédant
droit de bourgeoisie avait part à la propriété commune, et pouvait
en faire l'usage qui se rapportait le mieux à ses besoins. Il avait
droit de pacage, droit forestier, droit de prairie. A Francforl-
sur-le-iMein, les bourgeois pouvaient faire paître leur bétail non-
seulement dans les prés et bois du communal, mais encore dans
' SuGENHEiM, p. 352. Au Commencement du quinzième siècle à peine se trou-
vait-il encore deux cents colons parmi les habitants de Rothenbourg. Bensen,
Vnlersuchungen über Itolhenburg, CtBEiNSEN, Gesch. des Bauernkriegs in Ostfranken, p. 19,
note 11.
* Voyez Maurer, Siüdlcverfassung, t. II, p. 1C2-17I, 802-803, et t. III, 181. — « En
Westpbalie, beaucoup d'élégantes maisons de ville (comme à Beckum), ou cer-
taines parties d'une ville (comme à Paderborn), ont gardé des traces de la vi«
rurale d'autrefois. Même dans une ville comme Munster devenue de plus en
plus commerçante, on voit encore, dans les rues les plus fréquentées, des maisons
aux grandes portes cochères, et de vastes aires s'ouvrant des deux côtés. C'est
là qu'étaient autrefois les étahles, transformées aujourd'hui en chambres d'ha-
bitation, j NORDHOFF, Hoh-und Steinbau Westfalens, p. 46-47.
19.
292 ECONOMIE SOCIALE.
les champs appartenant aux particuliers; ces champs, d'après une
ordonnance remontant à 1504, devaient être laissés tous les trois ans
en jachère'; le conseil de la ville en réglait raménagement, indi-
quait la manière dont ils devaient être labourés, entre! enus, mis en
jachère; décidait sur les plantations des arbres et les diverses façons
de la vigne ^ absolument comme il faisait pour le communal.
Il était assez fréquent que les grandes abbayes, les seigneurs ou
princes voisins, possédassent des métairies importantes dans l'inté-
rieur des villes; ces fermes urbaines devaient à leur situation l'écou-
lement facile de leurs produits. Les bourgeois non cultivateurs
entretenaient tous des vaches et des porcs, destinés à leurs besoins
domestiques, car on regardait alors comme humiliant de n'avoir
point de bétail à soi, et d'être obligé de se procurer au dehors
la viande et le lait^ Dans les villes où le commerce était le plus
florissant, on voyait circuler dans les rues de grands troupeaux
de vaches, de porcs et de moutons. A Fraucfort-sur-le-Mein, une
ordonnance du conseil de la ville défend en 1481 de construire des
étables à porcs dans le bas côté des rues. A Sachsenhausen, les trou-
peaux de moutons appartenant aux chevaliers de Tordre Teutonique
sont si nombreux que le commandeur se voit forcé de s'engager, par
contrat, à n'avoir pas plus de mille moutons dans une propriété située
tout proche de la ville, le conseil craignant que le trop grand nombre
de ces animaux ne nuisît aux forêts. Oies, poulets et canards sont
élevés en grand nombre; l'élevage des pigeons joue un rôle si con-
sidérable à Francfort, que le conseil institue une commission spéciale
composée de trois ou quatre conseillers qu'on intitule les " seigneurs
pigeonniers^ ". A Ulm, on est obligé d'établir un règlement sévère,
regardant surtout les boulangers, défendant d'élever chez soi plus
de vingt-quatre porcs. Les bourgeois envoient au labour leurs
bœufs, préalablement bien nourris, que le soir on ramène aux éta-
bles. Les pauvres gens peuvent faire paitre leur bétail pendant le
jour, mais de manière à ne faire tort à personne. Ce n'est qu'en 1475
qu'il est interdit à Nuremberg de laisser aller librement les porcs
dans les rues \ A Lübeck, Brème, Magdebourg, Spire et Worms, la
' KuiEGK, Zustände Praiic/urts, p. 239-240.
- Voy. Maurer, Sludievcr/aisunt;, t. III, p. 6-7. — Kriegk, Dürgerthum, p. 284-285.
' Buch von den Früchten, p. 13.
■'Kriegk, Zustände Franc/uris, p. 242-243. — L'élevage des moutons devint plus
important à mesure que l'exportation des laines non travaillées et du drap
grossier prit du développement. Le grand commerce de laine qu'entretenait
Strasbourg avec le Milanais était alimenté par l'élevage de moutons du haut
Rhin. — Voy. Mone, Zeitschrift, t. IV, p. 14.
5 SCHMOLLER, Fleischconsum, p. 296-298. — Jager, Ulm, p. 610-611.
BOURGEOIS CULTIVATEUiiS. 293
culture des champs, l'élevage des bestiaux, jouaient un rôle impor-
tant, et cela bien au delà du moyen â{je. Les bourgeois de Munich
y trouvaient leur priiHi|)al moyen de subsistance'. A Kàle, Bibrach,
Francfort, Landau, Heutlin(',en, Spire, Ulm, Worms, etc., les culti-
vateurs, comme les jardiniers et les vignerons, formaient une cor-
poration particulière *.
On se livrait avec zèle â ragriculture jusque dans les villes; en
tenant compte de la différence de population, on a constaté que
les travaux des champs occupaient alors un bien plus grand nombre
d'hommes que de nos jours. Aussi avait-on bien plus abondam-
ment le blé et la viande de boucherie; en moyenne, ou se les pro-
curait à des prix très-modérés. Dans la classe pauvre, on faisait une
consommation de viande beaucoup plus grande que maintenante
Il faut, il est vrai, se souvenir que,. toutes prospères qu'elles fussent,
les villes n'avaient encore aucunement souffert de l'excès de popu-
lation*. Le prix des choses indispensables à la vie, nourriture, vête-
' .M.VUliEU, Sladlcvcrfassung. t. II, p. 799. — SctiMOLLEn, p. 299. — En 1589, le
(lue de Bavière déclare ■ que la bourgeoisie de Munich ne peut se passer de prai-
ries communes ». M.vlreu, t. I, p. 273. A la ville et à la campagne, tout père de
famille se faisait un point d'iionnenr d'avoir et d'entretenir son propre bétail.
— Voy. MONE, Zeilschriß, t. III, p. 398-414, et t. VI, p. 397.
- MACHER, t. II, p. 470-471.
' D'après les comptes de Kloden dans le Jahrbuch für nationalöhonomie d'Ililde-
br.ind, t. I, p. 218, nous voyons qu'à Francfort-sur l'Oder, au commencement
du quatorzième siècle, on ne tuait pas moins de trente mille huit cent cin-
quante-quatre bœufs pour une population de 6 à 12,000 hal)itants, de sorte
que la ville consommait douze fois plus de bœufs qu'en 1802. A Nurem-
ber{ï, d'après ce que rapporte Conrad Celtes, outre une grande quantité
de porcs et de moutons, on tuait au moins cent bœufs par semaine. On faisait
aussi une grande consommation de volailles. Sciimoller, Flcischconsum, p. 291.
— Kr.iEC.K, Bärgerihum, p. 382. — Mascher, Deutsches Gewerbewescn, p. 280.
■^ D'après d'exactes statistiques modernes, Strasbourg avait, au quatorzième
siècle, 50,000 habitants. En 1415, Danzig en comptait 40,000; en 1448, Nurem-
berg en a 20,219; Bâie, 25,000 en 1450; Erfurt, pendant le moyen âge, au
plus 32,000; Constance n'eut jamais plus de 10,000 habitants. Schmoller, Fleish-
consum, p. 296. — ScHWZ, Gcsellenverbände, p. 8. — La population de Nurem-
berg augmenta beaucoup dans la seconde moitié du quinzième siècle. Le
nombre des naissances pour l'année 1482 est estimé à deux mille trois cents, " à
peu près six enfants par jour ■ . Ckronilcen der dcnischm Siiidie, t. X, p. 370. — Conrad
Celtes, en 1502, évalue à quatre mille par an les naissances de Nuremberg. —
Voy. Chroniken der deutschen Studie. Froissard évalue en 1497 la population rurale
du Rheingau (« de Mayence jusqu'à Bingen sur les deux rives du fleuve ») à
environ trente mille âmes. Lettre XIL Certains passages relevés dans les livres
de dîmes du Hanovre Lichtenberg (1492; semblent prouver qu'autrefois les vil-
lages étaient moins peuplés que maintenant; mais il ne faut pas oublier qu'au
moyen âge. le nombre des villages était beaucoup plus considérable que de nos
jours. Des centaines de villages, encore florissants au quinzième siècle, ont
été complètement détruits dans la guerre des paysans et les guerres suivantes,
surtout dans la guerre de Trente ans. Leur nom même a complètement disparu.
— Voy. Landau, lUûste Ortschaften, p. 382-386, 390. — Sur les ravages causés par
la peste au moyen âge, voy. Grantoff, Lübeckische Chroniken, t. II, p. 278. —
Hamburg. Chroniken, p. 257-409. — SCHMOLLER, Fkischconswn, p. 301-302.
29Î ÉCONOMIE SOCIALli.
ment, ameublement, était accessible à tous; au contraire, on ne pou-
vait se procurer les objets de luxe qu'à des prix élevés \
La culture du lin et du chanvre, dans la banlieue de beaucoup de
villes, avait pris un très-grand développement. Aux environs d'Ulm,
une si grande quantité de lin élait cultivée et travaillée, qu'à la fin
du quinzième siècle, les blanchisseries de la ville préparaient souvent
plus de soixante raille pièces de toile et de futaine par an^ On pré-
tendait que tout le reste du monde ne produisait pas autant de lin
que l'Allemagne en fournissait à elle seule ^
Aux environs des grandes cités, à mesure que le commerce et le
luxe avaient pris un plus grand essor, la culture des jardins était
devenue plus importante. Aux environs d'Altenbourg, le lin était cul-
tivé avec tant de succès qu'en 1500 la ville en retira un produit de plu-
sieurs milliers de thalers \ A Erfurt et aux environs, la culture du
pastel, du eafre, de l'anis, du coriandre, du cardon et en général de
tous les légumes, était florissante. On faisait alors usage d'une si
grande quantité de pastel* que, dans plusieurs villages des environs
d'Erfurt, on en vendait pour plus de cent mille thalers dans les bonnes
années (somme calculée d'après la valeur actuelle de l'argent) *"'.
Erfurt était célèbre pour la beauté et la belle ornementation de ses
jardins; Mayence, Wurzbourg et Bamberg, pour leurs parcs et leurs
semis; Francfort, Nuremberg et Augsbourg étaient fières de leurs
superbes jardins d'agrément où les mauves, les primevères, les
jacinthes, les oreilles d'ours de toutes nuances étaient cultivées avec
'Dans la seconde moitié du quinzième siècle, une longue planche coiitait en
Saxe un demi-gros; un fer à cheval, le même prix; un baquet, un gros; une
paire de couteaux, le même prix. On payait une table neuf gros. A la même
époque, une livre de sucre coûtait de neuf à dix gros; une livre de bonbons,
dix-sept gros. Une livre de safran coûtait plus cher qu'un cheval de labour;
un bœuf engraissé coûtait moins que deux aunes du velours le meilleur
marché! Voyez Falke, Geschichtliche Statistik der Preise im Königreich Sachse»,
p. .378-390. A Fribourg en Brisgau, entre 1470 et 1480, une demi-once de noix
muscade coûtait autant qu'une aune de la plus belle toile de Cologne, une livre
(le :^i]cre deux fois et demi autant qu'un cochon de lait. — Mone, Zeitschrift,
t. V, p. 404-405. — Sur le prix des oiijets de luxe, voy. aussi Zimmermann,
Baueridrieg, t. I, p. 307.
- A peine un pays entrait-il en rapport avec nos marchands que la toile
allemande y était importée. En Silésie, la plus grande partie des habi-
tants étaient tisserands ou filateurs. — Voy. Uildebrand, Jahrbuch fur Xational-
nconomic, 7« année, t. II, p. 21â-230. — Sur le commerce du chanvre aux environs
de Constance, voy. Mone, t. IV, p. 14.
' Voy. Fischer, Gesch. des Teulschen Handels, t. II, p. 510.
* LOBE, p. 26.
5 Qui remplaçait l'indigo.
fi Voy. Langetual, t. IH, p. 110-114.
LES VIGNOBLES. 295
prédiicclion ^ L'aiilcup du Livre des grains, arbres et plantes célJ^bre
les J.'irdins merveilleusement tracés de TAllernngne et lait surfout
l'élojje de ceux du pays rhénan. Il vante « non-seulement ceux des
seijjiieurs, mais encore ceux qui entourent les maisons des plus
liumblcs paysans* ".
Le poète latin Eysengrein décrit ainsi les environs de Spire :
Le froment, sur sa tige vigoureuse, berce les lourds épis,
Et le blé d'or se balance dans les sillons pressés.
Le cep, chargé de fruits mûrs, est fier de son raisin luxuriant.
Dans des lignes élégamment tracées, les lourdes grappes mûrissent.
L'h.ibile jardinier cultive avec amour les fruits les plus succulents.
Les herbes aromatiques ne manquent point à nos cuisines.
Un sol admirablement ferlilo produit des plantes de tout genre;
Des gazons vigoureux séduisent l'œil par leur vert attrayant.
Les hautes tiges du poirier, du pécher et du figuier s'élèvent et prospèrent;
Le néflier, le mûrier, le châtaignier portent des fruits abondants,
Et l'amandier y épanouit ses fleurs charmantes^.
« Entre Spire et les montagnes de l'ouest », rapporte Sébastien
Münster dans sa Cosmoyrap/iie, " il y a tant d'amandiers que, grâce à
eux, presque toute l'Allemagne est approvisionnée d'amandes. Sur-
tout près de la petite ville de Deidesheim, la campagne n'est pour
ainsi dire qu'un vaste bois d'amandiers. " « L'excellent vin du ter-
ritoire de Spire » , rapporte Eysengrein dans sa Chronique, " est
expédié par terre et par eau en Suisse, en Souabe, en Bavière, en
Lorraine, dans la basse Allemagne, et quelquefois même jusqu'en
Angleterre *. »
Vers la fin du moyen âge, la vigne fut, en Allemagne, l'objel
d'un soin tout spécial^; elle prospérait admirablement dans des
contrées d'où elle a maintenant complètement disparu. A Erfurt,
dans les bonnes années, on récoltait jusqu'à soixante mille seaux
de vin.
En Hesse, la vigne était cultivée avec un tel succès par les abbés,
les seigneurs, les bourgeois, les chevaliers de l'ordre Teutonique et
' Langhthal, t. III, p. 121-122. Nuremberg était également célèbre pour ses
belles pépinières, (ciltes, De orig. .Vorimb., cap ii.) En 1505, l'empereur Maxi-
milieu envoie ses jardiniers à l'école des jardiniers de Nuremberg pour
s'instruire dans l'art de semer les pins et les sapins. C'est de Nuremberg
que Francfort apprit l'art de semer ces arbres. Rriegk, Gesch. von Francfuri,
p. 15G.
* Page 14. — Voy. A. Kalfma.NX, L'ber Gartenbau im ÂlUlelallcr und wahrend der
Periode der Renaissance. — Voy. Pick, Monatsschrift fur rhcinisch-icestfalische Ges-
chichtsforschung, t. VII, p. 129-155,
^ Eysengrein, Urbis Spirae Encomium, dans Geissel, Kaiserdom zu Speyer {CoXOQne ,
1876), p, 590-596.
* Voy. Mone, Zeitschrift, t. III, p, 261, 271-272.
* Langenthal, t. I, p. 174.
296 ECONOMIE SOCIALE.
même par les simples paysans que, vraisemblablement, plusieurs crus
égalaient ceux du Rhin ou de la Bourgogne. Fulda, Marbourg,
Eschwege, Witzenhausen et Cassel formaient les points centraux
des vignobles. Les villages environnants n'étaient presque habités
que par des vignerons. Dans le Brandebourg, les coteaux de vignes
et les clos de vin entouraient les villes de Rathenow, Brande-
bourg, Cologne sur laSprée, Oderbcrg, Guben, Lubben, etc.; et dans
le Mecklembourg, sans parler des importants vignobles de Schwe-
rin et de Planen, il y avait en 1508 des vignes en plein rapport à
Lubz, Grevismiihlen et Stargard. Elles s'étendaient jusqu'à Lübeck '.
Dans les pays vignobles, la vigne s'étendait, à cause de lapins
grande consommation de vin qui se faisait alors, sur un bien plus
grand espace de terrain que de nos jours. Aux environs de Frauc-
fort-sur-lc-.Mein, elle occupait presque tout le territoire de la ville
et finit par envahir si bien le pays, que le conseil, dans l'intérêt
des jardins et des champs, défendit de planler à l'avenir de nou-
veaux ceps (lôOl). Entre 1472 et 1500, le produit des vignes s'éleva,
bon an mal an, à 7,000 foudres. En 1483, il monta même jus-
qu'à 32,000 foudres. Il n'est donc pas surprenant qu'aux noces des
patriciens de Francfort on biU aisément un foudre entier de vin, et
qu'à la noce d'Arnold, seigneur de Glaubourg (1515), sept muids
aient été vidés-. Dans le district de Ratisbonne, depuis Kelheim,
sur la rive gauche du Danube, les vignes attenaient aux vignes, et
cela dans plus d'un terrain aujourd'hui inculte et complètement
improductif. A l'intérieur et à l'extérieur de ses murs d'enceinte,
Ratisbonne comptait, en 1509, quarante-deux clos de vignes. Les
bourgeois faisaient un grand commerce de vin rouge de Bavière,
lequel n'était pas seulement débité dans le pays, mais souvent
expédié à l'étranger, en France, par exemple. Le vin, et non la
bière, était autrefois la boisson favorite des Bavarois ^ " En Bavière,
dit le Livre des grains et des arbres, le plus simple ouvrier fait
usage de vin deux fois par jour, comme deux fois par jour il mange
de la viande *. ;' Les vignobles abondaient aussi dans le Palatinat
bavarois ^ A Ulm, les jours de marché au vin, on voyait souvent
arriver sur la place jusqu'à 300 voitures chargées de tonneaux".
A Vienne, la vendange durait quarante jours, et deux ou trois fois
' Voy. Nordhoff, Der vormalige Weinbau, p. 19-26.
- Krikgk, Zustände Frankfurts, p. 241. — Burgerthum, p. 280-287. — .Vcue Folge,
p. 244, 406. — Arnoldi, t. III, 29-55.
^ Voy. Scherer, Über den Weinbau bei Regensburg von der Römcr^cit bis zur Gencnirart,
p. 4-7 (Ratisbonne, 1869).
* P. 14''. \\. Wackernagel, Kleincrc Schriften, t. I, p. 89, 92.
5 Voy. MONE, Zeitschrift, t. X, p. 195.
^ Jager, Ulm, p. 715-717.
I.ITTF.RATIt! E A(;[nC()LE. 297
par .jour, environ 900 voitures chargées de vin doux entraient dans
la ville'.
Mais le vignoble par excellence de l'Allemagne, c'était le pays du
Haut-Hliin. Les crus du Pdicingau étaient les pins célèbres. Les Béné-
dictins du .loliannisbcrg, les Cisterciens d'Eberbach étaient par-
venus, par une culture attentive et des soins incessants, à produire
des vins exquis*.
L'élevage des abeilles jouait aussi un grand rôle dans tous les pays
allemands; mais vers le milieu du seizième siècle l'apiculture lut
presque entièrement abandonnée '.
VII
C'est au déclin du quinzième siècle que la littérature agricole
apparaît, et les nombreuses éditions des ouvrages qui la composent
nous prouvent l'intérêt dont l'agriculture était l'objet, surtout dans
les villes. Onze éditions, tant latines qu'allemandes, du célèbre
ouvrage sur l'agriculture de Petrus de Crescentiis, sénateur bolonais,
parurent à Louvain, Augsbourg, Strasbourg, Mayencc, entre 1470
et 1194. L'édition de Strasbourg et celle de Mayence sont ornées
de belles gravures sur bois ^ " Le Livre de la Nature, pour lequel un
homme extrêmement savant a fait durant ([uinze ans des recherches
et des travaux », était aussi très-célèbre. La première édition ne porte
' Voy. !ir:i\r>icir, TcuUchc lUùchf.rjcsch. t. IV, p. 604. — l.e dixième pfenning du vin
qui se vcüdait en détail à Vienne devait être prélevé comme impôt; ornons
voyons cet impôt s'élever par an à donze mille florins d'or. yE.\. SYLV.,£'pp.,p. 719.
- Pour plus de détails sur les vij;nol)les du Hhin, voyez Bn.vux, /ins der Mappe
eines eleu! SI- hcn lieichsbürgers, t. I!, p. 106-119. On connaît l'ancien proverbe :
Vinum Bîosellanîim est omni tempore sanum,
Vinum Rhenense decus est et gloria mense.
Nordhoff, Weinbau, p. :'ô. — Sur les vignoliles des environs de Coblenz, de
1494 à 1506, voy. Mone, Zeitschrift, t. X, p. 183.
' L'élevaye des abeilles avait alors une tout autre importance que maintenant,
à cause du ;';r;;nd usaf^e de cire qu'on faisait dans les éjyliscs, et parce que le
mitl remplaçait le sucre. — Ahhandhmg iibcr Birncnwirthschaft und Uicncnrceht des
Miitelaiiers, p. 47 (Nordlingen, 18o5). Voy. aussi Buscn, Handbuch des heutigen in
Deutschland geltenden Biincnrcchles, p. 14 (Arnstadt, 1836). Schmid und Klf.iv, Leit-
faden für den Unterricht in der Bienenzucht, p. 3 (Aördlinjjen, 1S6.)).
* 1Iai\, n" 5826-5835. — Voy. üelbig, les Concurrents de P. Schiffer, dans le Biblio-
I phile belge, dixième année (Bruxelles, 1876), p. 22-25. — La première édition
I Italienne date de 1478, la première française de 1486. — Voy. sur cet ouvrage
! Bernhardt, t. I, p. 192.
298 ÉCONOMIE SOCIALE.
aucune indication de lieu ni d'année; les suivantes parurent eu 1475,
1478, 1481, chez Hans Bämler, à Augsbourg; eu 1482 et 1499, che?
Hans Schönsperger; en 1482, chez Antoine Sorg '. Le livre est en
partie composé de notions bizarres sur la nature humaine, les ani-
maux, les arbres, les plantes, les pierres et les métaux. L'auteur com-
mence par déclarer « qu'il va traiter un sujet très-utile et très-récréa-
tif, où tout lecteur pourra apprendre des choses singulièrement
curieuses >. Mais ces choses « singulièrement curieuses » se trouvent
heureusement mélangées à des observations pleines de sens sur la
culture des arbres et l'élevage des abeilles. L'ouvrage de Columelle,
sur les jardins, fut édité à Louvain par un imprimeur westphalien ^
et Cuspinian accompagna la seconde édition d'une préface ^ un
ouvrage imprimé en 148.3 et intitulé : les Vertus des plantes, traite
de la phytologie. Mais l'écrit le plus remarquable sur l'agricul-
ture est celui que nous avons déjà bien des fois cité : le Livre
des cjrains, des arbres et des plantes K II contient la description des
diverses espèces de blés, indique la manière de les semer eu égard
aux différentes propriétés du sol, dit dans quelle saison les semailles
sont faites avec le plus d'avantage, traile des engrais, de la façon
de les employer selon les qualités du terrain, des meilleures manières
d'en obtenir d'excellents, parle des pépinières, et s'étend avec prédi-
lection sur la culture des champs et celle de la vigne. " Les soins donnés
à la vigne >), assure l'auteur, « plaisent tout particulièrement aux Alle-
mands, car cette plante si précieuse est singulièrement louée dans la
Sainte Ecriture. Aussi », ajoute-t-il non sans malice, « dans notre
pays tous les bons chrétiens et amis de la Sainte Écriture font-ils
usage de vin. '
VIII
Nous possédons, sur l'état général de l'agriculture à cette époque,
des renseignements contemporains provenant de deux régions dif-
férentes : du Rheingau et de la Poméranie.
" Le pays le plus fertile et le plus beau de l'Allemagne ", dit le
Livre des cjrains, « c'est celui du Rheingau. Le vin y est généralement
si abondant que le paysan même peut en boire à sa soif; le fro-
' IlAiN, n" 4040-4046. — Voy. aussi L\>geth\l, t. II, p. 23.
-llAiv, n" 5496.
3 Ibid., n" 5499.
* Itiid., n" 9797.
F.TAT GÉNKliAL DK f/A C H l CULT U P. E. 29»
mciil, Ic scißle, les fruils de toutes sortes y croissent et y prospè-
rent. " « Le piiys, depuis Mayencc jiis(iu'ji Bin{;en, est très-peuplé
fies deux côlés du Meuve; la ferme touche à la ferme, le villa{;e au
villajje, et si l'on veut savoir ce que peuvent produire la richesse
du sol et le labeur de l'homme réunis, il faut visiter cette con-
trée. La pauvrelé s'y renconire rarement parmi les paysans (]ui
aiment le travail. L'élevage des abeilles y a pris un grand accrois-
sement '. " Frère Rarihélemy, religieux anglais de l'Ordre de Saint-
François, fait à son tour la description suivante du niieingau : « C'est
un petit territoire qui, depuis Mayence jusqu'à Bingen, s'élend entre
des montagnes riantes Ce pays, tout petit qu'il soit, est extrême-
ment agréable et fertile; non-seulement ses habitants y sont heureux,
mais le voyageur même qui ne fait que le traverser, est ravi, charmé,
et croit être transporté au pays de la félicité. Le sol produit des
céréales et des fruits avec autant d'abondance que de rapidité; le
môme champ donne les espèce^ de fruits les plus diverses; les noyers
y réussissent, les blés de toutes sortes y prospèrent, et la culture
des arbres fruitiers n'empêche pas celle de la vigne. Le même petit
champ produit ici blé, raisins, noix, fruits à noyaux, pommes, poires
et bien d'autres fruils encore. " Jean Butzbach, dans son « Livret
de voyage " (1500), dit aussi : « Le Bbeingau est une contrée aimable
et riante, riche eu eaux vives, en vignobles, champs, bois, vergers
fertiles. Ses beaux villages ressemblent à des villes. Le Rhin y coule
entre des rives charmantes, aux belles lies verdoyantes, dont quel-
ques-unes ont une assez grande étendue. Ici, le peuple jouit d'un
grand bien-être; il est heureux et brave. Le sol produit des fruits en
abondance. J'y ai connu un paysan qui, dans une seule année, a tiré
de ses cerisiers un bénéfice de 30 florins^. »
La culture des fruits dans le Rheingau, et aussi, à ce qu'il semble, en
Bavière, rapportait beaucoup aux paysans. Le Litre des g)yi ins pav\e des
grands bois d'arbres fruitiers entourant les villages du Rhin. « De très-
habiles jardiniers les dirigent avec intelligence ", dit-il; " j'en dis
autant de la Bavière, où j'ai vu des vergers très-florissants et plaisants
à voir tout proches des métairies. Pendant la saison d'hiver, le paysan
peut se procurer pour quelques liards pommes, poires, noix en abon-
dance pour lui, sa femme et ses enfants. Ces vergers si bien soignés
sont très-dignes d'être loués, et devraient se trouver partout ^ " Dans
le Rheingau, les pommiers, cultivés avec soin, produisaient des fruits
de tant d'espèces différentes, de forme, de goût, de couleurs si
' Page 17.
* D'après la valeur actuelle de l'aryent, environ cinq cents marcs chonika,
p. 127-129.
' Page 19.
3U0 ECONOMIE SOCIALE.
variés, qu'on ne pouvait presque plus eu cnumérer les espèces '.
Voyons maintenant ce que rapporte Kanzow de la Poméra-
nie : « Ce pays, dit-il, produit en abondance toutes espèces de
céréales : seigle, froment, orge, sarrasin, pois, avoine, si bien
qu'on n'y fait usage que de la vingtième partie des récoltes. Le
seigle et l'avoine sont expédiés en grande quantité vers l'Ouest, en
Ecosse, en Hollande, en Zélande et en Brabant. Le houblon et l'orge
sont surtout exportés en Suède et en ÎNorwége. 11 n'est pas rare de
voir un bourgeois embarquer par an pour l'étranger quatre cents
charges de blé, c'est-à-dire environ dix mille boisseaux. Item, on
élève en ce pays de bons chevaux de différentes races, de nombreux
moutons, bceufs et porcs. Les abeilles y produisent beaucoup de miel
qu'on envoie à l'étranger; la contrée abonde en prairies, en
pâturages. Les bestiaux fournissent encore d'autres genres de mar-
chandises réservées pour la plupart à l'exportation : beurre, lard,
laine et cuir. Le suif rapporte aussi de bon argent comptant au pays.
Coqs de bruyère, perdrix, lapins, cygnes, outardes, oies sauvages,
canards se voient en profusion dans la campagne; mais on ne se
soucie pas de leur faire la chasse. Si de temps en temps les oies sau-
vages, les canards ou les perdrix paraissent sur la table, c'est qu'un
prince a permis à ses pâtres de chasser. Quant aux autres bêtes, les
chasse qui veut et qui peut. Le pays est aussi très-riche en excel-
lents poissons -. "
IX
L'élan donné à l'agriculture en Allemagne eut pour résultat, parmi
les cultivateurs de nos contrées, un bien-être qui forme un éton-
' Langethai., t. III, p. 247. — Les paysans et les jeunes mariés de la Hesse
devaient, A leur installation dans la commune, planter un certain nombre
d'arbres (fruitiers ou autres) dont ils étaient tenus de prendre soin. Dans la com-
mune de Baar (canton de Berne), il était d'usage que tout villageois, chaque
fois qu'il lui naissait un enfant, plantAt douze arbres fruitiers dans le communal;
l'enfant devait plus tard les cultiver. — Voyez Maurer, Dorf Verfassung, t. I,
p. 287-289.
* Kanzow, t. II, p. 421, 424, 427. — Sur l'ancienne fertilité de Sangershausen,
Spangenberg dit dans sa chronique (terminée en 1554) : " Cela se passait il
y a longtemps, avant que les pauvres gens fussent accablés de tant d'impo-
sitions et de taxes intolérables. Il y avait aussi une excellente nourriture, parce
que tout ce qui concernait l'élevage des bestiaux, les pâturages, le poisson, le
gibier, le pain, la bièreet le vin était l'objet déplus de soins que partout ailleurs. •
D'après lui, la ville était le grenier de toute la Thuringe du Nord. — Buder.
Nütdiche Sammlung verschiedener Schriften, p. 297 (Francfort, 1735).
BIEN-ETRE DES PAYSANS. 301
nant contraste avec la lamentable situation où ils se trouvèrent plus
lard réduits,
« En Pornéranic et dans l'île de Rujjen ", écrit Kanzovv, « les paysans
sont riches; ils ne portent que des vêlements anfjlais et d'autres
habillements coiHeux, semblables à ceux que portaient autreiois la
noblesse et les bourgeois aisés '. »
Les paypans d'Allenbourp; portaient des bonnets de fourrure en
peau d'ours, des chaiues de corail où étaient suspendues des pièces
d'or et des rubans de soie, objet de luxe alors très -dispen-
dieux -.
Werner llolewinck met cette parole dans la bouche des nobles
westphaliens : « On prête maintenant plus facilement à un paysan
qu'à dix d'entre nous, et le cultivateur capitalise comme il veut'. »
Les paysans cjui se rendirent par milliers, en 1497, auprès du
nouveau prophète populaire surnommé par eux le <■ trompette de
Niklashausen » avaient de l'argent en quantité, des joyaux, des
habits précieux; ce fait prouve l'heureuse condition des paysans
de l'Allemagne du JXord et de l'Allemagne centrale. En un seul jour,
s'il faut en croire le chroniqueur Stolle, il y aurait eu à iMklashausen
soixante-dix mille paysans réunis, dont la plupart apportaient des
cierges tellement gros que trois ou quatre hommes pouvaient à
peine en porter un. Le prédicateur tonna contre les vaines parures,
les colliers précieux, les vêtements de soie et les souliers poin-
tus, et son zèle nous permet d'apprécier la richesse des paysans
d'alors *.
Wimpheling dit à propos des populations rurales de l'Alsace :
« Le bien-être a rendu orgueilleux et voluptueux les paysans de notre
pays et de bien d'autres contrées d'Allemagne; je connais des villa-
geois qui font tant de dépenses aux noces de leurs fds et de leurs
filles, ou bien à l'occasion des baptêmes, qu'on pourrait acheter avec
l'argent qu'ils prodiguent une maison, un champ, et par-dessus le
marché une petite vigne. Ils dépensent des sommes ridicules pour
la nourriture et le vêtement, et boivent des vins recherchés ^ »
Ce que nous savons des fêtes patronales et des noces en Franconie
atteste, parmi les cultivateurs, le même bien-être matériel ^
Unrest, dans sa Chronique autrichienne (1498), dit des paysans
de Carinthie : « Personne ne gagne plus d'argent qu'eux; on les
'Kansow, t. II, p. 406-407.
^VOy. L.VNGETilAL, t. III, p. 201.
' De laude Saxoniœ, p. 22-î.
* Voy. Barack, Hans Böhm und die Wallfahrt nach .Viklashansen, p. G et 25. —
MONE, Zcitschri/l, t. XIX, p. 12-22.
' A la fin de l'écrit : De arte impressoria.
• Bense\, Bauernkrieg in Ost/ranken, p. 89.
302 ECONOMIE SOCIALE.
reconnait facilement à ce qu'ils portent de plus beaux habits et
boivent de meilleur vin que leurs seigneurs '. »
Aussi la diète de Lindau (1497), et beaucoup d'autres qui lui sont
postérieures, rendent-elles des ordonnances spéciales défendant aux
^t villajjeois, aux ouvriers des villes et des campagnes, de porter du
drap coûtant plus d'un demi-florin l'aune ". L'or, les perles, le
velours, la soie,. les robes tailladées leur sont interdits, ainsi qu'à
leurs femmes et à leurs enfants ^
11 n'était pas rare qu'une " cuisine succulente " correspondit à ces
riches vêtements : •' Le paysan travaille, es(-il dit dans le Livre des
grains, mais aussi \l a une nourriture excellente; il manp^e de la viande
de toute sorte, du poisson, du pain et des fruits en ;tbondance; il boit
souvent du vin avec excès, ce dont je ne puis le louer; mais sauf cela,
sa table est réputée pour la plus saines »
c< Du temps démon père, simple villageois de Souabe », rapporte le
trop réaliste écrivain Henri Müller, « on se nourrissait (out autrement
que maintenant; on avaittous lesjours de la viande; les mets étaient
abondants. Lesjours de fête et de kermesse, les tables crevaient lit-
téralement sous le poids des mets. On engouffrait alors le vin comme
si c'eût été de l'eau; on se gorgeait de mangeaille, et l'on empor-
tait encore avec soi tout ce que l'on voulait, tant la richesse et l'abon-
dance étaient générales. Mais aujourd'hui tout a bien changé! Les
temps sont durs, tout est coûteux. La nourriture des paysans les
plus à leur aise est bien inférieure à celle des journaliers et des ser-
viteurs d'autrefois^. »
1 Unrest, p. 631-642. — Sur le bien-être des paysans dans les duchés autri-
chiens et dans le Tyrol, voy. Bochiioltz, Ferdinand der Erste, t. VIII, p. 50, 53,
313,316. — Le poëteautricbien llelbliiiij parle avec une certaine amerluinede la
richesse des paysans et dit que « selon lui, les paysans sont les seuls hommes
libres de l'Autriclie ». P. 421.
- Neue Sammlung der Reichsabschiede, t. II, p. 31. — Voy. t. II, p. 47, 79. — Mas-
cher ( ile un document du quinzième siècle, dans lequel il est dit : « On voit
rarement dans les champs un cultivateur au travail qui nait sur la tête
un bonnet de jjrand prix, valant plus que tout le reste de l'habillement du sire.
Les autres (c'est-à-dire les nobles et les bourgeois) portent presque tous
de la soie, de la toile fine, de l'or, de l'argent, du drap fin et des souliers à la
poulaine. Il n'y a du reste aucune différence entre les bourgeois, les ouvriers
et les paysans. » La gloutonnerie et les excès de boisson des paysans sont fré-
quemment raillés dans les chansons populaires. Voyez Uhland, t. I, p. 646, 651-
653. — Voy. Thomas MurNER, Xarrcnbcschwörung , p. 2J4-226. — Seeber, fol. 425.
^ Page 17. uolewinck adresse cet avertissement aux paysans dans son écrit
De regimine rusticorum, fol. 39 : « Sit mensa pro quotidiano victu de ciliis substan-
tiosiset simpliciter preparatis, non delicatis... Cibus simplex et substantiosus ac
uuiformis naluram roborat, sanitatem conservât, et ad laborandura corpus
aptat et bene in stomacho durât. Delicie vero ac crebre epularum variationes
naturam inflammant et dis>ipant ac plures egritudines introducunt. »
* Curieuse Nachrichten, p. 19. — Sur la décadence de l'agriculture, voy. Peetz,
fol. 346.
SALAIÜES DliS .lOURMAMERS ET S KRVI T E U R S . 303
X
Les '-journaliers, les serviteurs jouissaient à la fia du moyea âge
d'un aussi grand bien-6fre, relativement parlant, que celui des
paysans. D'après les renseignements recueillis dans presque (ouïes
les contrées de l'Alleniagne, ils recevaient pour leur travail un
salaire étonnamment élevé. La nombreuse classe des journaliers
ruraux destituée de toute propriété et vivant du travail quotidien
ne fui jamais, ni avant ni depuis, dans des conditions matérielles plus
heureuses que vers la fin du quinzième siècle jusqu'aux dix premières
années du seizième.
Pour apprécier justement les salaires, il (aut commencer par éta-
blir aussi exactement que possible les rapports alors existants entre
la valeur de l'argent et le prix des choses indispenbles à la vie (nourri-
ture, habillement, etc.). Cherchons ä découvrir ces rapports dans des
contrées diverses et des espaces de tenqjs précis : si tous nos ren-
seignements concordent dans les points les plus importants, nous
arriverons à un aperçu général assez exact sur la question qui nous
occu;)e.
Pour l'Allemagne du Nord, examinons d'abord les documents qui
nous viennent de Saxe.
En Saxe, entre 1455 et 1480, une paire de souliers ordinaires coiUe
en général de deux à trois gros; un mouton vaut quatre gros;
vingt-cinq morues, quatre gros ; une corde de bois tout apportée,
cinq gros; une aune du meilleur drap du pays, cinq gros; un bois-
seau de seigle, six gros quatre pfennigs. Or, un journalier ordinaire
gagne par semaine, à la même date, de six à huit gros; il peut
par conséquent se procurer, avec le salaire de sa semaine, un mouton
et une paire de souliers; avec le salaire de vingt-quatre jours, au
moins un boisseau de seigle, vingt-cinq morues, un stère de bois et
deux ou trois aunes du meilleur drap du pays. Les vêtements sont
alors extraordinairement bon marché : pour la façon d'un habit,
d'une paire de chausses, d'un chapeau rond et d'une jaquette, nous
voyons un chantre de Leipzig payer en tout sept gros. Le duc de
Saxe achetait les chapeaux gris qu'il portait ordinairement trois gros
et demi ou quatre gros. On voit donc que les journaliers saxons
pouvaient vivre à bon compte du prix d'un travail bien payé, et
satisfaire à peu de frais aux premières nécessités de la vie.
On comprend aussi que les journaliers, au commencement du
seizième siècle, aient amèrement regretté le bon temps disparu,
304 ECONOMIE SOCIALE,
puisque leur salaire n'avait augmenté que de six pfennigs, tandis
que le prix du seigle, de six gros quatre pfennigs qu'il était aupa-
ravant, était monté à vingt-quatre gros le boisseau, et que le mou-
ton, coûtant autrefois quatre gros, en valait dix-huit; les autres
denrées avaient enchéri dans les mêmes proportions'.
Ailleurs, les salaires des journaliers étaient encore plus élevés.
A Clèves (pays rhénan), le journalier, nourri par celui qui rem-
ployait, pouvait se procurer, en six jours de travail, un quart de
boisseau de seigle, dix livres de viande de porc ou douze livres de
veau; six grandes cruches de lait et deux charges de fagots. 11 lui
restait encore en surplus, au bout de quatre ou cinq semaines,
une somme d'argent représentant la valeur d'une blouse de travail,
de six aunes de toile et d'une paire de souliers -. A Aix-la-Chapelle,
vers la fin du quatorzième siècle, on a calculé qu'en cinq jours un
journalier rural gagnait la valeur d'une brebis; en sept jours, celle
d'un mouton ; en huit jours, celle d'un porc ; et qu'en un seul jour il
gagnait presque la valeur de deux oies ^
A Augsbourg, le salaire quotidien, dans les années ordinaires, égalait
le prix de cinq ou six livres de la meilleure viande ; dans les années
d'abondance, le journalier pouvait se procurer, par son travail de
chaque jour, une livre de viande ou sept œufs, un quarteron de
pois, une mesure de vin et le pain qui lui était nécessaire. Outre cela,
il lui restait la moitié de son salaire pour payer ses frais de loyer,
d'habillement, et couvrir ses autres dépenses '.
Dans la principauté de Bayreuth, un journalier gagnait, en 1464,
18 pfennigs ; à la même date, une livre de saucisson coûtait 1 pfen-
nig; une livre d'excellent bœuf, 2 pfennigs ^
Les renseignements recueillis en Autriche attestent les mêmes
faits. Nous voyons dans le livre de comptes du prévôt Jacob Pamperl
de Klosterneubourg, intendant des biens de l'abbaye de 1485 à 1509,
I Voy. Falke, Statislik der Preise in Sachsen, dans le Jahrbuch für .Vationalökonomiel
d'IliLDEBRAND, 7« année, vol. 2, p. 370-394. Année 9, vol. 1, p. 30-53. — GALLETTr, '
Gesch. Thüringens, t. V, p. 198. — Schmoller, Ficisc'iconsiim , p. 356. — LOBE,
p. 40-42. — A Constance, en 1487, un cheval de labour coûtait cinq florins.
MONE, t. X, p. 56. — A Francfort, eu 1512, le jambon de Westphalie coûtait
huit liards la livre. Kuiegk, Bürgcrthum, p. 382. — A Aschaffenbourg, la livre de
viande coûtait environ deux liards. Kittel, Spiialer, p. 15, 21.
- D'après un calcul minutieux de Pelz, 18. Sur les denrées alimentaires et
les salaires à ^Xanten en 1426, voy. Beissel, Stimmen aus Maria-l.aach, 1882,
cah. 2, p. 228-229. — Dans le durhé de Nassau, les conditions de la vie étaient
aussi très-douces pour les ouvriers et journaliers. — Voy. Arnoldi, 3^, p. 82.
^ Voy. Laurent, Aachener Stadirechnungen, p. 7-8. — SchMOLLer, Flcischconsum,
p. 354.
* Voy. les divers prix des objets et denrées dans l'appendice de la chronique
de Burkard Zink, Chroniken der deutschen Städte, t. V, p. 438.
5 Lang, Gesch. Baireuths, t. I, p. 59-60.
ALIMENTATIOIV DES JOURNALIERS CULTIVATEURS. 305
que le salaire d'un journalier était de quatorze deniers par jour. En
outre, il élait nourri; or, à la môme épocjue, d'après le taux légal,
une livre de viande ne valait que deux deniers. Une paire de souliers
ordinaires d'homme ou de femme coi\tait environ seize deniers; la
façon d'une paire de chausses, dix deniers; un habit de paysan,
vingt-quatre deniers '.
Pour les journaliers à la fois payés et nourris , des ordon-
nances spéciales réglaient minutieusement en bien des contrées
la mesure et la quantité de nourriture et de boisson auxquelles
ils avaient droit. (^ Tout journalier, qu'il travaille aux champs
ou ailleurs ", est-il dit dans le règlement de maison établi pour les
biens de l'archevêque de Mayence Berthold de Henneberg, « aura
le matin une soupe et du pain; à son diner, l'après-midi, une bonne
soupe, de la bonne viande, des légumes et une demi-cruche de vin
ordinaire; le soir, de la viande et du vin, ou bien une bonne soupe
et du pain. "
L'échanson Érasme d'Erbach établit dans ses biens le règlement
suivant (1483) : « Les journaliers engagés à la tâche, les corvéables,
les serviteurs et servantes auront deux fois par jour de la viande et
une demi-cruche de vin; les jours de jeune, du poisson ou d'au-
tres mets capables de les bien soutenir. Ceux qui ont travaillé toute
la semaine doivent être bien traités le dimanche ; après la messe
et le sermon, ou leur donnera du pain et de la viande en quantité
suffisante, plus la moitié d'une grande cruche de vin. Les jours de
fête, ils auront une bonne portion de rôti; on leur donnera en
outre, pour emporter dans leur maison, une grosse miche de pain,
et autant de viande que deux personnes en peuvent manger à leur
diner ^ »
D'après le règlement domestique du comte bavarois Joachim
d'OEttingen (1520), les journaliers, corvéables et serviteurs de l'exploi-
tation avaient tous les jours à leur repas, « le matin, une soupe
ou des légumes (les journaliers du lait, les autres de la soupe). A
midi, soupe et viande, une cruche de vin , une bouillie aux épiées
ou de la viande marinée; des légumes ou du lait, en tout quatre
plats. Le soir, de la soupe et de la viande, des raves ou de la viande
marinée, des légumes ou du lait, en tout trois plats. » Les femmes
qui apportaient dans la maison les coqs, les poulets et les œufs,
avaient droit à une portion de soupe et à deux pains; mais
lorsqu'elles avaient fait pour venir plus d'une demi-lieue, ou
' Voy. M. Fischer, Archiv. Jür Kunde öslerr. Gcsclùclusqucllen, t. I, p. 181-102.
* Règlement d'Ehrbach : OEuorcs posihumes de Bodmann. communiqué par Bohmer.
20
306 ECONOMIE SOCIALE.
devait leur servir« la soupe, un plat et une cruche de vin' d.
En Saxe, la nourriture des ouvriers et des serviteurs semble avoir
été plus abondante encore, car une ordonnance publiée par les ducs
Ernest et Albert (1482) porte expressément : " Les journaliers et
faucheurs doivent se tenir pour satisfaits lorsqu'en dehors de leur
salaire ils ont deux fois par jour, à diner et à souper, quatre plats : la
soupe, deux plats de viande et un plat de légumes, et les jours
maigres, cinq plats : la soupe et deux sortes de poissons accompagnés
de deux légumes différents ^ >;
La viande était si généralement la nourriture quotidienne de
Touvrier que le Guide de l'âme dit, voulant citer une preuve de parti-
culière misère : « Il y a des pauvres qui passent quelquefois une
semaine et même davantage sans manger de viande; d'autres ne
peuvent s'en procurer que de mauvaise ^ » Les conditions de la vie
ont déjà notablement empiré lorsqu'on 1533, les États bavarois
ordonnent aux échevins " d'avoir soin que les gens du peuple
mangent tous les jours de la viande, fassent plus de deux repas par
jour, et que, dans les auberges, on leur serve du rôti ou du bouilli >'.
A cause de la dureté des temps et de la pénurie générale, ils pres-
crivent à l'ouvrier de s'abstenir de viande au moins deux ou trois
fois par semaine. En dehors des heures ordinaires de repas, " les
aubergistes ne lui serviront pas de viande ni de mets cuits, mais seu-
lement du fromage, du pain ou des fruits* ". La restriction apportée
à la consommation de la viande vers le milieu du seizième siècle fut
l'un des signes les plus évidents de la triste transformation qui s'opé-
rait dans l'économie générale du pays. Les salaires des journaliers
baissèrent de moilié relativement à ce qu'ils étaient entre 1450 et
1500 ^ La viande, autrefois nourriture ordinaire des pauvres gens,
devint de plus en plus l'aliment de luxe des riches".
Au quinzième siècle, la condition des serviteurs était en général
' Communiqué par V. LÖffelholz, Anzeiger für Kundi; deutscher Vorzeit, t. IV,
p. 44, 115-116.
ä Galletti, Gesch. Thüringens, t. V, p. 201-202. — Quel que fût le rang des per-
sonnes invitées, on ne devait pas servir plus de six plats; le soir, cinq plats et
pas plus de deux sortes de vin et de bière : " De nos jours », rera.irque Galletti
avec raison, « la table d'une famille noble est à peine aussi bien servie que celle
des ouvriers d'autrefois. » Voy. aussi Sohmoller, Fleischconsum, p. 356.
3 Page 21.
•* BüCHHOLTZ, Ferdinand der Erste, Urkundenband, p. 41-42.
* ScHMOLLEu, Fleischconsum., p. 355-361, et sur les conditions de vie des tra-
vailleurs, Hildebrand, Zeitschrift, année 10, vol. 2, p. 300.
* On peut faire des observation, analogues eu Italie et en Angleterre. Eu
Italie, au quinzième siècle, la situation de toutes les classes ouvrières était
infiniment meilleure qu'elle ne l'est maintenant dans les pays les plus floris-
sants de l'Europe. Voy. SiSMODI, Hist. des républiques italiennes, ch. xci. Le lord ■
SALAIRES ET NOURRITURE DES DOMESTIQUES. 307
tout aussi satisfaisante que celle des journaliers et travailleurs ruraux.
Au château de Dolina (Saxe), tous étaient lo(}és et nourris; le valet
d'écurie recevait par an neuf florins; Tànier, sept florins quatre gros;
les filles de basse-cour, trois florins dix-huit gros, et cela à une époque
où un bœuf engraissé coiffait de trois à quatre florins. A Dresde,
les gages d'une cuisinière logée et nourrie étaient de sept florins
quatre gros; ceux d'un marmiton, de deux florins dix gros; ceux
d'un porcher, de quatre florins. Ce dernier gagnait donc le prix du
plus beau bd'uf ou de vingt moutons'.
A Mosbach (1483), une fille de basse-cour gagnait treize florins
trente-six kreutzers paran ; un premier valet, vingt-trois florins trente-
six kreutzers, et de plus cinquante-quatre kreutzers pour son habil-
lement, üans les environs du lac de Constance, un valet de charrue
nourri et logé recevait par an dix-neuf florins trente et un kreutzers,
plus " la chaussure, quatre aunes de drap et six aunes de coutil - ».
En général, la nourriture des domestiques était la même que celle
des journaliers, avec lesquels ils prenaient ordinairement leurs repas.
Des notes relevées dans les livres de ménage du temps prouvent que
partout le vin était abondamment servi sur leurs tables. Dans le contrat
de location d'un valet de charrue (1506) il est expressément notifié
qu'on lui donnera du vin « de bon cœur ", mais non parce qu'on s'y
regarde comme obligé. Une autre fois, il est dit dans le contrat
d'une servante " qu'on ne s'eng;age point à lui donner de vin ^ ". Un
règlement dressé pour les domestiques de Konigsbruck porte « qu'on
ne donnera ni viande ni pain au serviteur qui ne sera pas exact à
l'heure du souper* )>. D'après une ordonnance concernant les jour-
chancelier Fortescue dit en parlant des ouvriers anglais du commencement du
quinzième siècle : « Ils ont une nourriture abondante, mangent de la viande,
du poisson, et sont généralement habillés de bons vêtements de laine. Leur lit
et le reste des étoffes de leur ameublement sont en laine, ils ont un nombreux
mobilier. En Ustensiles de ménage et autres instruments nécessaires à leur
travail, ils sont très-bien fournis. Chacun possède, selon la mesure de son état,
toutes les choses qui rendent la vie commode et agréable. • Sous Henri VIII,
un acte du P.uiemen' désigne comme constituant la nourriture des classes
pauvres quatre sortes de viande : bœuf, porc, mouton et veau. Mais, à partir
de ce moment, les travailleurs anglais sortent de l'âge d'or pour entrer dans
l'âge de fer. Les lois sur les pauvres, sous Elisabeth, ne sont qu'un trop évi-
dent témoignage de leur triste situation. Enfin, par l'introduction de 1 impôt des
pauvres, le paupérisme est officiellement reconnu. — Voy. IIallam, Europe
during l/te pcriod of the Middlc âges, part. 2, ch. IX. — COBBETT, Hislorij of ihe Protes-
tant Reform, p. 471. — Makx, Das Capital (2' éd.), p. 745, 751. — SchMOLLER,
Fleischcoitsum.
' Falke, Gcschichliche Statistik, p. 392. — A Altenbourg, en 1492, un bœuf
engraissé coulait trois florins. Lobe, p. 41. — Galletti, t. V, p. 198. — Grimm,
Rechtsalterthümer , p. 357.
ä MONE, Zeitschr., t. XIX, p. 278, 393, et t. VI, p. 400.
' Mo\E, Zeitschr., t. I, p. 192-193.
* MONE, t. I, p. 186, \V> 30.
20.
308 ECONOMIE SOCIALE.
naliers d'Oppenheim et de quatre villages environnants, Touvrier
n'a droit pendant Tété qu'à une mesure de vin; en hiver et au prin-
temps, « il doit se contenter de la moitié ou des deux tiers d'une
mesure' >. A Siegbourg, le vin comptait pour l'homme du peuple
parmi les premières nécessités de la vie^. A Ulm, en 1425, le conseil
de la ville interdit de donner du vin aux journaliers ^
Les abaissements de salaire imposés aux serviteurs et aux pâtres
par les ordonnances légales et forçant les serviteurs à accepter des
conditions d'existence toujours plus désavantageuses, datent tous
du milieu du seizième siècle, ainsi que l'introduction du service
domestique forcé, par lequel les colons se virent contraints de laisser
leurs enfants servir chez les seigneurs, soit gratuitement, soit en
échange d'un gage très-modique \
En résumé, les renseignements recueillis dans les diverses contrées
de l'Allemagne prouvent que le salaire du travailleur ou du serviteur
rural pouvait suffire non-seulement à son propre entretien, mais
encore, s'il était marié, aux besoins de sa famille, c'est-ii-dire de la
génération grandissante des travailleurs de l'avenir. Le cultivateur
ou serviteur laborieux gagnait au delà du nécessaire, et jouissait en
outre de ce superflu qui procure l'indépendance et le bien-être \
» MONE, t. I, p. 194-197.
- " Les journaliers ordinaires avaient tous les jours cliez le maître qui les em-
ployait du vinsur leur table. La quantité devin qu'un homme pouvait alors absor-
ber est extraordinaire. » Voy. les Annales de la Société historique du Bas-lihin (Co-
lof^ne, 1876),cah.30,p. 140. A propos de la grande consommation de viande et de vin
d'autrefois, Henri Müller dit, dans les Curieuse A'achrkhten (1550), « que les Allemands
du quinzième siècle ont dû à cette alimentation leur forte structure et l'âge
avancé auquel ils parvenaient ». Les renseisiiements sur le même sujet fournis
par la Chronique de Zimmer, t. I, p. 448, sont aussi dignes de remarque, « En 1483,
et même auparavant, la nation allemande avait des hommes si vigoureux, que
les gens peu instruits de maintenant croiraient fabuleux les renseignements
que nous pourrions donner sur ce point. » Dans un acte notarié énuraérant les
localités soumises au tribunal de Nassau (I43I), le secrétaire rapporte que les
employés ont fait comparaître devant eux les hommes de la commune, dont,
plusieurs avaient cent ans et au delà. Dans une déposition de témoins, l'un d'euî
accuse cent cinq ans. Arnoldi, 3^, 9.
3 Jager, Ulm, p. 614.
* Voy. COLLMANN, Gesch. Und Statistik des Gesindewesens in Deutschland. — HiLDE-
BKAND, Jahrbuch, t. X, p. 244. — Schmoller, Fleischconsum.
s Par conséquent on ne connaissait pas encore la triste nécessité de suppléer!
au trop modique salaire de la classe ouvrière par des taxes d'état appliquées
aux pauvres.
CHAPITRE II
VIE ET TRAVAUX DES ARTISANS.
Vers la fin du quiiizième siècle, les progrès de réconomie furent
encore plus sensibles pour l'industrie que pour Tagriculture. Le tra-
vail des artisans, dans ses diverses branches et ses différents pro-
duits, atteignit alors un degré de perfection que le seizième siècle
ne connut plus. A partir du seizième siècle en effet, l'industrie
tomba dans un dépérissement qui alla toujours en s'aggravant.
C'est à ce même génie qui sut donner la vie à toute l'organisation
du moyen âge, c'est à Charlemagne qu'on doit l'impulsion féconde
imprimée à l'industrie et au commerce, impulsion qui se fit sentir
durant des siècles. Ses soins minutieux et attentifs s'attachèrent au
développement de tous les métiers. Il releva les utiles fabriques que
les Romains nous avaient léguées, et accrut encore cet héritage par
des établissements nouveaux. Dans tout domaine impérial un peu con-
sidérable, ferrons, orfèvres, cordonniers, tourneurs, charrons, char-
pentiers, armuriers, savonniers, brasseurs, boulangers, aléniers furent
établis. C'est aux ordonnances administratives du grand empereur
qu'on doit l'introduction des mineurs qui exploitèrent les premiers
les mines de fer et de plomb de la Franconie rhénane, de la Souabe
et de la Thuringe. Grâce à Charlemagne, les tanneurs, les fabricants
de drap et de toile se multiplièrent; les teinturiers et les foulons com-
mencèrent à embellir les étoffes tissées. Comme les domaines impé-
riaux étaient nombreux dans les pays allemands, les règlements admi-
nistratifs, à l'exécution desquels l'Empereur veillait avec une grande
sévérité, couvrirent en peu de temps ses Étals d'un vaste réseau indus-
triel. Pour élever ses palais, pour construire les édifices publics, il fit
venir de tous côtés des tailleurs de pierre et des maçons, donnant ainsi
naissance sur le sol allemand à l'art de la construction en pierre. Les
architectes étrangers stimulèrent le zèle de ceux du pays : à partir
de cette époque, on rencontre dans les cloitres et les abbayes un grand
nombre de fondeurs, de sculpteurs et de peintres.
De même que, durant de longs siècles, les moines avaient été les
premiers maîtres des agriculteurs, des jardiniers, des vignerons, on
les vit aussi favoriser les progrès de l'industrie. Ils élevèrent le
310 ECONOMli; SOCIALf.
métier du tailleur de pierre à la hauteur d'un art. Les plus grands
" entrepreneurs de maçonnerie " du moyen âge sont, à proprement
parler, les évoques, et « Ton pourrait faire de la truelle l'un de leurs
plus glorieux symboles héraldiques ".
Dans les premiers siècles de la fondation de l'empire allemand,
un grand nombre de villes romaines furent relevées et rebâties sur
les deux rives du Rhin, en Souabe et en Bavière, par les soins des
évêques. C'est ainsi que, plus tard, tous les sièges épiscopaux sans
exception devinrent des cités et que, pendant longtemps, l'idée
d'une ville resta inséparable de celle d'un évêché. Dès qu'un évêque
prenait possession d'une cité, l'industrie y était en même temps
introduite , et les foires , les marchés qui venaient se rattacher aux
fêtes religieuses, assuraient aux échanges du commerce une activité,
une extension toujours croissantes '. Les résidences royales des
temps carolingiens devinrent aussi le point de départ des villes que,
plus tard, les princes élevèrent dans leur voisinage. Les progrès
les plus rapides, le plus riche épanouissement du commerce et de
l'industrie se manifestèrent dans les pays du Rhin et du Danube,
dans les villes datant de l'époque romaine, qui renfermaient à la
fois un siège épiscopal et un palais; Mayence, Cologne et Ratisbonne
brillèrent au premier rang dès les commencements du moyen âge;
vinrent ensuite, dans l'Allemngne du Sud : Augsbourg, Nuremberg
et Ulm, et dans l'Allemagne du Nord : Brème, Hambourg, Lübeck
et Danzig. L'activité industrielle était, depuis le quatorzième siècle,
presque exclusivement concentrée dans les villes, et restait insépa-
rablement associée à la vie communale.
Toute ville, au point de vue des relations sociales, formait alors une
association indépendante, exclusive; ses membres, reliés entre eux
par des devoirs et des services réciproques, constituaient une sorte de
grande famille, à la prospérité de laquelle son administration ne
devait pas veiller avec un moindre soin que le père de famille ne veille
à tout ce qui regarde les intérêts de ses enfants. Cette sollicitude
était regardée comme le devoir le plus essentiel de l'autorité, et
n'avait pas seulement trait à la vie morale, mais encore à la vie
matérielle. " En vue des besoins et des intérêts de tous », eu égard
aux conditions d'existence particulières à chaque ville, le conseil
surveillait les produits du travail, le partage et l'écoulement des
denrées, réglait le prix de vente et inspectait le débit. Pour assurer
à chaque habitant dans le territoire de la cité les choses néces-
saires à la nourriture, à l'habillement, au loyer, on s'arrangeait de
' Voy. Arnold, Becht und ll'irthschafl nach geschichtl. Ansicht, p. 82-83.
DROIT AU THAVAIL, CORPORATIONS. 3lf
manière que chaque melier y fiU exercé, c(, laat qu'on n'avail pas
obtenu ce résultaf, on alîirait des villes étranjjères, en leur {jaran-
fissant des avantages particuliers, les ouvriers qui faisaient défaut.
En même temps, afin que les artisans fussent assurés de pouvoir
ga(;ner leur vie, on oblij^cait les citoyens à ne faire leurs commandes
et leurs achats que dans la ville. Les artisans jouissaient donc du
monopole comme d'un droit acquis, el la vente de leurs produits leur
était garantie. Ils avaient droit au travail; le travail était pour eux
une propriété stable et, comme des biens-fonds, leur assurait des
bénéfices certains. Aussi leurs privilèges devaient-ils être respectés
de tous.
Le droit au travail était concédé aux artisans « de par Dieu et de
par Tauforité ", et le travail était considéré comme une fonction
que Dieu et l'autorité confiaient à l'artisan dans l'intérêt général, et
pour le bien de tous.
Les magistrats civils, responsables de la juste distribution du tra-
vail, donnaient, pour ainsi dire, l'investiture aux différents groupes
d'artisans, et ceux-ci formaient à l'intérieur de la commune urbaine
des sociétés particulières, reliées les unes aux autres et pourtant
indépendantes '.
Les premières en date comme les plus considérées de ces corpora-
' La question si souvent soulevée de l'origine des corporations a été traitée
à fond par \V. Stieda, dans le Jahrh. fur Nationalökonomie d'IllLDEBRAND,
14« année, vol. II. p. 1-I63 léna, 1876). Voy. aussi sur le même sujet ScrnioLî-rR,
Strassburg zui Zeit der Zuii/tkiimp/e, p. 4-12. « Dans l'iiistoire du système corporatif
en Allemagne, nous pouvons suivre jusqu'au seizième siècle un mouvement
progressif non interrompu. » (P. 66.) « L'esprit de corporation et d'association,
dit V0\ Lancizolle [Grwuhiige der Geschichte des deutschen Städleieesen , p. 73),
s'était presque universellement répandu et, revêtant mille formes et expres-
sions diverses, était parvenu, comme on le voit encore de nos jours en
Angleterre, à répondre par son organisation bien entendue à toutes les exi-
gences de la vie sociale. Il se fait jour dans toutes les conditions, pénètre
dans le domaine religieux et dans les intérêts temporels, et partout nous le
reirouvons senibhible à lui-même, bien qu'appliqué ù des objets différents. Le
système corporatif ne reposait pas sur des chiffres sans vie ni sur des con-
venances de lieux. Son point de départ comme son aliment, c'étaient des
relations réelles, vivantes, des vues et des besoins communs. Le système féodal
et l'esprit d'association en formaient les deux principales assises. Sous ces deux
aspects, il fonda, au moyen Age, une vie publique pleine d'activité et d'animation.
Il est vrai que cette vie publique n'était pas celle que rêvent souvent et vou-
draient voir réalisée nos politiques modernes, vie où l'individu ne doit pas
être considéré comme un membre vivant, organique et indépendant d un grand
ensemble, mais comme un simple chiffre, un pur atome; vie où ce qu'on a
appelé les états dans l'État, c'est-à-dire de vivants organes formant en se
groupant une société bien régie, sont réputés comme incompatibles avec
l'idée de l'unité nationale. Non, rien de tout cela au moyen âge, et pour-
tant, l'unité n'y fait point défaut. » Lancizolle constate que ce fut dans les
derniers siècles du moyen âge que le système d'association produisit ses plus
heureux fruits. » L'histoire des quatorzième et quinzième siècles, écrit Schön-
berg {Zur tcirthscliafllichen Bedeutung des Zunftwesen im Mittelalter,) p. 51-52, 77,
3)2 ÉCONOMIE SOCIALE.
tions paraissent avoir été formées presque partout par les tisserands
de toile et de laine. A Ulm, vers la fin du quinzième siècle, on
comptait tant de tisserands de toile qu'en une seule année, deux
cent mille pièces, tant de toile que de demi-toile, furent confec-
tionnées '.
A Augsbourg, en 1466, dix-sept cent trente-quatre tisserands
étaient employés, et le nombre en augmentait d'année en année -. Dans
les grandes villes, les tisserands de toile et de laine formaient ordinai-
rement deux corporations distinctes. Les tisserands de laine se divi-
saient encore en deux catégories : les uns préparaient la fine laine
flamande et italienne, les autres la grosse laine du pays. Les fabri-
cants de drap se divisaient aussi fréquemment, vers le milieu du
seizième siècle, en tondeurs et fabricants proprement dits. A Nurem-
berg, les tisserands habitaient un quartier spécial; Va. se trouvaient
les logements et les ateliers servant aux différents ouvriers de la
profession (tondeurs de laine, peigneurs, foulons, rattacheurs, éten-
deurs, etc.), les métiers, les magasins, la maison de corporation
et la buvette. " Dans beaucoup de villes de la Westphalie ", écrivait
Wimplieling, " le métier touche au métier; il est difficile d'évaluer
les centaines de mille pièces que les corporations préparent chaque
mois. Les tisserands sont partout aussi laborieux qu'habiles, et très-
considérés de leurs concitoyens K "
témoigne d'un élan industriel et d'un état de bien-être parmi les ouvriers
que nous ne trouvons à ce degré dans aucune autre période de notre histoire.
Il est temps que le voile qui recouvre encore le véritable état de l'éco-
nomie à cette époque soit déchiré, et que les jugements aussi indignes
qu'inexacts qui ont été portés sur les ouvriers allemands du moyen âge cessent
de se produire. En vérité, quant à ce qui concerne la dignité du travail et
ses résultats, quant aux devoirs moraux qui, dans l'économie d'une nation,
incombent à ceux qui possèdent davantage et qui sont mieux partagés sous le
rapport des dons intellectuels, les prôneurs du temps actuel ont beaucoup à
apprendre, dans leur propre intérêt et dans celui de tous. Ceux qui considè-
rent l'égoïsme de l'individu comme le puissant levier de la prospérité d'un
État, ceux qui parlent sans cesse de la vraie naiurc de l'homme historique et des
expériences de la vie, pourront précisément apprendre en étudiant l'organisa-
tion corporative du moyen âge combien peu Vhomme historique justifie de si
fausses conclusions. -> » si aujourd'hui, en Allemagne et en France, et cela presque
simultanément, l'idée de rétablir les associations ouvrières tend à se produire
sous de nouvelles formes (en deux pays où leur développement fut si peu
semblable), ce fait prouve certainement en faveur du système dont nous par-
lons; et si dans les diverses classes de la société les intolérables abus du libre
échange continuent à grandir, on ne voit pas qu'il puisse être apporté d'autre
remède au régime oppressif qui nous menace que le retour au système d'as-
sociation. » (Stieda, p. 128.)
' Voy. Hildebrand, Jahrb. für Natiovalölonomie, 7« année, vol. II, p. 228-229. —
Sch:\IOLLER, Slrasshurger Tücher und ll'eberzun/t, p. 519.
- Uerberger, Augsburg und seine friihere Industrie. A Augsbourg, on comptait
quatorze teintureries aux abords de la ville et davantage encore à l'intérieur.
SCHMOLLER, p. 519.
^ A la fin du manuscrit : De arte impressoria.
EPANOUIS SEMENT DU SYSTEME CORPORATIT. 813
En même temps que les tisserands, nousvoyons paraître les teintu-
riers : (einluricrs fie noir, flecoulcnr, leinliiriers (lep,uède. La grande
culture de chardons et de jjuède d'Erriirl alinienlail les fabriques de
drap et les teintureries de la ville. Comme le cuir et la fourrure étaient
beaucoup plus employés qu'aujourd'liui dans les babils, les corpo-
rations des tanneurs et des pelletiers étaient florissantes. Les cor-
donniers et tailleurs s'y rattachaient, et, pour la confection de gants
et de chausses en laine et en cuir, les [gantiers et les chaussetiers. Les
cordonniers se divisaient en dilférenles catégories : maîtres du neuf,
savetiers et pantoufliers. Les tailleurs se séparaient aussi quelquefois
eu tailleurs de vieux, tailleurs de neuf.
Les bouchers, pécheurs, jardiniers, tonneliers, brasseurs, encaveurs
satisfaisaient aux besoins de ralimentation publique. Les hôteliers
formaient quelquefois une association spéciale et, dans les grandes
villes, se divisaient même en aubergistes des nobles, aubergistes des
bourgeois et gargotiers '.
Le travail était surtout divisé parmi les ouvriers en métaux.
Les maréchaux, couteliers, serruriers, chaîniers, cloutiers for-
maient des corporations séparées. Les armuriers se partageaient en
heaumiers, écussonniers, cuirassiers, polisseurs et lormiers. Quelque-
fois une catégorie spéciale d'ouvriers s'attachait à la fabrication de
chaque pièce séparée d'une armure, ce qui explique le fini, la per-
fecliou que nous admirons souvent dans le plus simple équipement.
Beaucoup d'armures conservées jusqu'ici sont de véritables œuvres
d'art.
L'art et le métier étaient si étroitement unis dans les industries si
variées des orfèvres d'or et d'argent, des chaudronniers, des ouvriers
travaillant la pierre et le bois, que leurs produits divers intéressent
autant l'histoire de l'art que celle de l'industrie.
Les corporations des maçons et des architectes avaient plus
d'importance que toutes les autres, et, dans l'Europe entière, les Alle-
mands passaient pour les « premiers constructeurs du monde ".
« Si quelqu'un veut faire exécuter une œuvre d'art en airain,
en pierre ou en bois ', écrivait en 1484 Félix Fabri (d'Ulm), « il la
confie aussitôt à un Allemand. J'ai vu faire chez les Sarrasins, par les
orfèvres, joailUers, tailleurs de pierre et carrossiers allemands, des
choses merveilleuses. Ils surpassent les Grecs et les Italiens. L'année
passée, le sultan d'Egypte a mis à profit le conseil, l'habileté artis-
tique et le travail intelligent d'un Allemand, et le port d'Alexandrie
a été entouré d'une muraille qui fait l'étonnement de tout l'Orient. "
Fabri vante encore une autre industrie allemande. " L'Italie, dit-il,
' Il en était ainsi à Bâle, Nuremberg et Ulm. Voy. M.vürer, Stäihever/assuny,
t. II, p. 469-470.
31 i ECONOMIE SOCIALE.
le plus célèbre pays de la terre, n'a de pain qui ait du goût et qui
soit sain et agréable, que celui qui est préparé par les boulangers
allemands. Aussi le Pape et les prélats, les rois, les princes, les grands
seigneurs mangent-ils rarement de pain qui ne soit cuit à la manière
allemande. Pour la préparation des biscuits, aliment de première
nécessité dans les guerres de terre et de mer, les Vénitiens n'emploient
dans les paneteries de l'État que des boulangers allemands, dont ils
vendent les produits en Illj rie, en Macédoine, sur les bords de l'Hel-
lespont, en Grèce, en Syrie, en Egypte, en Libye, en i\ïauri(anie, en
Espagne, en France, jusque dans les Orcades, ainsi que dans les ports
de mer anglais et allemands*. "
Les corporations devaient obéissance aux autorités communales.
Elles é(aient obligées de leur soumettre leurs statuts et ordon-
nances. Lorsqu'il survenait quelque querelle entre les membres d'une
même corporation, ou avec ceux de corporations différentes, le con-
seil des villes remplissait les fonctions d'un tribunal de commerce;
il édictait les lois commerciales après s'être entendu avec les syndics
des corps de métiers, faisait des règlements pour les marchés, se
chargeait de la police commerciale, fixait le prix des diverses mar-
chandises, surveillait les produits et avait soin qu'il ne s'y glissât ni
falsification ni fraude. Jusqu'au seizième siècle, on peut constater le
loyal et mutuel effort qui sans cesse se renouvelle pour maintenir
l'équilibre entre le pouvoir des autorités et celui des corporations,
la libre administration et le droit de contrôle, la liberté corpora-
tive et l'unité de la commune. Dans les choses qui regardaient
exclusivement les intérêts du corps de métier, le libre gouverne-
ment des syndics ne connaissait, pour ainsi dire, nulle entrave ^ Les
œuvres d'art les plus parfaites de l'architecture et de la sculpture de
cette époque, où nous admirons un principe d'unité maintenant avec
harmonie et puissance l'idée principale, tout en permettant l'indé-
pendance et la variété des détails, nous semblent le vivant symbole
de la vie industrielle à cette époque '.
' Voyez Mascher, p. •263-26i. — Herbi-rger, Augsburgs Industrie, p. 44. L'Italien
Paul Jove assure que ses compatriotes faisaient venir d'Allemagne leurs archi-
tectes, peintres, sculpteurs, tailleurs de pierre, graveurs sur cuivre, mécani-
ciens, géomètres et architectes hydrauliques. Voy Fischer, Gesch. des deutschen
Handels, t. II, p. 506. " Le quinzième siècle, dit Schmoller, p. 497, fut une période
brillante pour l'art allemand; il excitait l'admiration des nations voisines, et
sous le rapport artistique, nous en sommes réduits à considérer aujourd'hui
cette période comme un paradis perdu. »
- Voy Schönberg, p. 13-23. — Maurer, Stadieverfassung, t. Il, p. 428-435. —
GiERKE, t. I, p. 371-378. — Schmoller, Strassburg zur Zeit der Zunßkämpfe, p. 65-67.
— Meyer, Slrassburger Goldschmiedezunft, p. 160.
^ Voy. Lancizolle, p. 74.
ORGANISATION DES CORE'S DE METIERS. 3J5
Mais le grand but poursuivi par les unions corporatives, ce
n'était point d'obtenir et de protéger des bénéfices. Les corpo-
rations étaient des » Iraternilés », embrassant tous les besoins,
tous les rapports sociaux. Ceux qui en faisaient partie devaient,
comme tant d'ordonnances corporatives le leur prescrivent, " |)ra-
tiqucr les uns envers les autres l'amour et la fidélité fraternelle >•,
et, « comme membres d'une même famille », se témoigner réci-
proquement affection et dévouement, selon les capacités de cha-
cun; ils devaient " vivre ensemble paisiblement et amicalement,
d'après la loi chrétienne de la charité fraternelle », et cela « non-
seulement dans le cercle de leurs rapports mutuels », mais encore
partout et toutes les fois que l'occasion s'en présentait*.
« Ce que se proposent surtout les unions et corporations », lisons-
nous dans le pieux traité intitulé : Exhortation chrétienne, « c'est
d'organiser toute la vie laborieuse d'après la discipline et la charité
chrétiennes, et de sanctifier le travail. Travaillons pour obéir au
commandement de Dieu, et non uniquement pour le gain; sans cela,
notre labeur ne serait pas béni et ferait du tort à notre âme. L'homme
doit travailler pour glorifier Dieu qui a ordonné le travail, et afin
de mériter par son labeur la bénédiction divine. Or cette bénédic-
tion git dans l'âme. L'homme travaille encore pour se procurer
ce qui est nécessaire à sa vie, à celle des siens, et ce qui peut
contribuer à le réjouir chrétiennement, mais il doit aussi tra-
vailler afin de pouvoir partager les fruits de son labeur avec les
pauvres et les malades. Les unions et associations de métiers sont
bonnes lorsqu'elles envisagent ainsi les choses, et celui qui ne les
considère pas de cette manière, ne cherchant qu'à se procurer le
gain et la richesse, agit mal, et son travail est de l'usure. Or saint
Augustin a dit : N'exerce pas l'usure avec le travail de tes mains, car
tu perdrais ton âme, et ailleurs : On ne doit pas tolérer les usuriers;
la société doit les rejeter de son sein comme des membres inutiles et
dangereux ^. »
Cette manière de concevoir le travail, de l'envisager comme une
sainte action, comme le compagnon nécessaire de la prière et le
principe de toute vie chrétienne bien ordonnée, cimenta cette union
entre la religion et l'atelier que les simples et pieux artistes de
l'époque cherchaient à symboliser, lorsqu'ils représentaient les saints
portant quelque instrument de leur métier ou bien occupés à leur
travail. La Mère de Dieu, près du berceau de l'Enfant Jésus, tisse ou
' Voy. ces passages dans Kriegk, Zustände Francfurts, p. 360. — Maurer, Städte-
ver/assung, t. II, p 412. — VViLDA, Gildwesen im Mitlelaller, p. 335. — HiRSCH, Das
Handwerk und die Zünfte in der christlichen Gesellschaft. Berlin, 1854.
* P. 23».
316 ECONOMIE SOCIALE.
file; saint Joseph manie la scie ou la liache. " Or, puisque les saints
ont ainsi travaillé -, à\\Y Exhortation chrétienne, -■ le chrétien, prenant
exemple sur eux, doit comprendre combien le travail est honorable,
et comment, grâce à lui, on procure la gloire de Dieu, on accomplit
sa volonté sainte et Ton parvient au Paradis, aidé de la miséricorde
divine '. "
L'union du travail et de la religion donnait à toutes les cor-
porations un caractère pieux. Toutes avaient leur patron spécial
qui, d'après Thisloire ou la légende, avait autrefois exercé la même
profession. Elles célébraient la fête de ce saint protecteur par
l'assistance aux offices et de solennelles processions, et levaient
parmi leurs membres des contributions destinées à soutenir les
œuvres charitables et les institutions ecclésiastiques. Beaucoup étaient
spécialement attachées à une église particulière, y avaient leurs
ex-voto, leur autel, assez souvent même leur chapelle. Elles étaient,
en quelque sorte, copropriétaires clans la maison de Dieu, s'y
sentaient chez elles et y occupaient une place réservée. A des épo-
ques fixes, elles faisaient dire des messes pour les associés vivants
et morts. " D'après la loi chrétienne ", dit un règlement de la
corporation des tailleurs de pierre (1459), " tout chrétien est
tenu d'avoir soin de son âme; mais que ne doivent pas faire les
maîtres et compagnons à qui le Seigneur, dans sa miséricorde, a
donné le talent de lui bâtir des demeures et d'exécuter tant d'autres
louables ouvrages, grâce auxquels ils ont pu gagner honorablement
leur vie? S'ils ont un cœur vraiment chrétien, ne doivent-ils pas être
remplis de reconnaissance et, par leur zèle, s'efforcer de mériter le
salut de leur âme en accroissant le service de Dieu -? =; La fraternité
des confrères devait durer jusqu'au delà de la mort : " Celui qui
ne veut pas donner son offrande, lorsqu'il s'agit de pourvoir à
l'enterrement convenable de son frère, celui qui ne songe pas dans
la prière au salut de son compagnon, est infidèle à la parole qu'il a
donnée en entrant dans l'association ^ »
L'union de la vie laborieuse avec la religion reliait entre eux les
corps de métiers par un lien d'honneur, donnait au travail une sorte
de consécration, un motif de consolation profonde, et toute cette
gravité, toute cette ferveur avec lesquelles le chrétien convaincu
s'efforce de traiter ce qui lui vient directement de Dieu. La sanctifi-
cation des dimanches et fêtes était rigoureusement imposée dans
presque toutes les corporations. L'ouvrier qui, ces jours-là, chaque
samedi après les sonneries des vêpres, ou la veille des saints jours
I ll'ijliegertlehi, p. 9.
* .Iannep., Baulditten des deutsclien Mitlelaltcrs, p. 165-166.
^ Ëijn ciistlich ermanung, p. 23''.
ORCANISATION DES CORPS DE MÉTIERS. 317
que rK[;Iise ordonne de sanctifier par le jeûne, travaillait ou faisait
travailler, était passible d'une amende'.
L'union des corporations avec la religion avait encore un autre
but : le soutien mutuel des associés. « Comme frères, à cause de
Jésus-Christ et de ses saints -, les compagnons d'une même corpo-
ration devaient s'entr'aider dans toutes leurs peines, faire de chari-
tables dons à leurs frères malades ou tombés dans la misère, pour-
voir à l'honorable sépulture de ceux qui mouraient dans la misère,
et s'intéresser aux veuves et aux orphelins. La corporation devait,
outre cela, " penser fraternellement " aux besoins des malheureux eu.
général. Dans les statuts d'une confrérie de Kiel, il est stipulé que,
(c pendant la grand'messe célébrée en l'honneur du patron de la cor-
poration, douze indigents seront nourris, et douze écoliers indi-
gents auront droit à un bon morceau de bœuf et à un pain de seigle " .
Souvent aussi des établissements charitables étaient créés par les cor-
porations. L'hôpital de Saint-Job, ou hôpital de la petite vérole, à
Hambourg, fut fondé par l'association des pécheurs, colporteurs et
crocheteurs (150ô)-. Dans les villes, le nombre des confréries de cha-
rité établies parles ouvriers était souvent très-considérable. A Lübeck,
vers la fin du moyen âge, on en comptait soixante-dix; à Cologne,
quatre-vingt-dix environ; à Hambourg, plus de cent".
En dehors de cette charité effective, les obligations religieuses et
morales des membres des corporations avaient encore un autre
objet : les associations devaient avoir à cœur la réputation sans
tache de leurs membres; tout artisan voulant en faire partie devait
être honorable, issu de père et mère légitimes, car tous les bien-
faits et honneurs de la cité étaient réservés au mariage '. Sa conduite
devait avoir été sans forfaiture; il fallait qu'il fût - prud'homme,
sans nul reproche -, que sa bonne réputation fiU garantie par des
attestations dignes de foi, ou ; par un certificat scellé, attestant
qu'il était né en légitime mariage de parents chrétiens, et était lui-
même chrétien fidèle ^ ». La paresse, l'absence de la maison du
maitre pendant la nuit, la boisson, le jeu et la débauche étaient
interdits aux compagnons comme aux apprentis et sévèrement punis °.
1 Kriegk, Francfurter Ziislibide, p. 368-368. — Mauuer, SUidlcrerfassung, t. II,
p. 401-408. — MONE, Zeitsclirifl, p. 2-3. — BRENTANO, .-Irheitergilden, p. Ô3. —
GlERKE, t. I, p. 384-386.
* WiLDA, p. 366-368.
* WiLDA, p. 47 et 346. — GiERKE, t. I, p. 238.
* Voy. ce qu'en dit Moser dans ses Patriot. Phantasien, t. II, p. 165.
5 Tiré des statuts de la confrérie des orfèvres de Francfort. Kriegk, Francfurter
Zustände, p. 362.
" ScHÖXBERG, p. 1 18-1 19. Note 264. — Schanz, Gesellenverhände im Mittelalter, p. 3-6.
— IIiRSCU, Dantziger Handel, p. 296. — Stockbacer, Nürnbergs Handwerhsrccht,
p. 17-36.
3!8 ÉCONOMIE SOCIALE.
Ceux qui avaient été sous le coup d'un châtiment déshonorant étaient
exclus du corps de métier.
La façon dont les corporations, en tant qu'associations industrielles,
concevaient l'ensemble de la vie ouvrière, se reflète dans la manière
dont elles envisageaient le travail. Elles voyaient en lui une manifes-
tation de la personnalité et voulaient qu'il fiU irréprochable comme
l'ouvrier lui-même, témoignant aux yeux de tous du dévouement de
l'artisan à un devoir librement choisi. Les ouvriers se préoccupaient
surtout de mettre en relief, par leur système de vie, le principe de
l'égalité et de la fraternité; d'opposer au droit de posséder le droit
de l'individu, ou, en d'autres termes, le droit du travail à celui du
capital. Pour les acheteurs et les pratiques, on avait grand soin
d'assurer le bon marché et la bonne qualité des produits.
Quant à ce qui concernait exclusivement les associés, la corpora-
tion partait du principe que le droit au travail était la propriété du
corps de métier, et appartenait à chacun de ses membres par le fait
même cju'il en faisait partie, et non en vertu d'un droit personnel.
Tout associé, en même temps qu'il se voyait obligé au travail, avait
la certitude de participer au bénéfice de ce travail; mais chacun
devait payer de sa personne. Il n'était donc jamais question dans les
corps de métiers de ces entrepreneurs uniquement occupés de
spéculations qui, " restant eux-mêmes oisifs, vivent des sueurs des
autres et sont pleins d'orgueil au milieu d'une vie de plaisir' >. La
corporation n'était composée que de vrais travailleurs. Dès qu'un de
ses membres tombait malade, elle lui donnait un suppléant ; les veuves
seules avaient le droit de faire continuer le métier par des gérants.
Mais si chacun était tenu de travailler, tous, en revanche, étaient
en possession de droits certains; le plus fort ne devait pas opprimer
le plus faible, et des prescriptions minutieuses veillaient aux intérêts
de chacun.
Ce n'était pas l'individu, mais l'association qui se chargeait de
l'achat de la matière première. Ou bien elle était achetée par des
délégués de la corporation, qui la divisait en parts égales entre les
individus, eu égard à leurs besoins respectifs, ou bien les syndics
précisaient le temps et le lieu d'achat, et tous les associés étaient libres
d'acheter la même marchandise au même moment. Si l'un des associés
trouvait quelque bonne occasion d'acheter, il était tenu de la faire
connaître, afin que chacun pût en profiter. S'il achetait en gros,
il devait céder une partie de son lot au prix coûtant à ses frères, car
tous devaient avoir " les mêmes moyens de subsistance, et l'avantage
' Voy. Eyn crislliche ermanung. P. 24*.
/
LES C0,4îP0RATI0NS : ASSOCIATIONS INDUSTRIELLES. 319
du pins pauvre devait toujours éfre sauvegarde ». Chaque corporation
foriiiov* donc une sorte de sociéfé pour l'achat des matières premières.
Pour égaliser le prix de revient entre tous les confrères, l'asso-
ciation fixait les salaires des compa^jnons, et surtout ré(jlait les rap-
ports entre les maîtres et leurs aides. Aucun maifre n'avait le droit
d'embaucher ou de détourner les ouvriers d'un de ses confrères; il
ne pouvait non plus prendre chez lui le compagnon ou l'apprenti
renvoyé par sa faute, ou ayant failli soit à l'honneur de la profes-
sion, soit aux bonnes mœurs.
Quant à la somme de travail que chacun devait fournir, fout était
réglé d'après le principe de l'égalité et de la fraternité. Le maître
ne pouvait avoir qu'un nombre limité d'apprentis et d'ouvriers; il ne
devait pas exploiter injustement leurs forces; il lui était interdit de
les faire travailler la nuit, les dimanches et jours de fête.
Les maîtres avaient tous également droit aux établissements com-
muns de la corporation; par exemple, pour les tisserands, au four à
laine, au moulin des foulons, à la maison de polissure, à la teintu-
rerie, aux prairies de blanchissage et aux magasins.
Par rapport à la vente des produits, tous les membres de la corpo-
ration étaient égaux. Le prix des diverses marchandises, le lieu, le
mode et le moment de la vente étaient fixés. 11 était défendu à
l'individu d'avoir plus d'une boutique ou d'un endroit de vente à la
fois; le colportage était interdit. Le vendeur devait » rester assis
dans sa boutique, attendre le chaland, mais n'appeler personne ».
Quelques corporations allaient jusqu'à défendre à un compagnon
d'accepter la commande du débiteur d'un confrère ou de lui accorder
un crédit quelconque. Les meubles et immeubles du corps de métier
appartenaient à tous ses membres et servaient aux besoins et usages
de tous. Ce capital commun permettait non-seulement de soutenir
les malades, les pauvres et les veuves, mais encore de faire des
avances ou des prêts à ceux qui en avaient besoin. Toute corporation
était donc une société de prêts et de crédit'.
Les intérêts des acheteurs et consommateurs étaient sauvegardés
avec le même soin que ceux des ouvriers eux-mêmes, et les efforts
des autorités de la ville et des corporations s'unissaient pour servir les
intérêts de tous. La fonction industrielle, que les corporations avaient
prise à leur charge, devait, d'après leur propre manière de l'envi-
sager, avoir égard le plus fidèlement et le plus consciencieusement
possible à l'avantage de tous et à l'honneur du corps de métier. Aussi
les corporations étaient-elles attentives â ne livrer que des produits
qui se recommandaient à tous comme ■ bous, irréprochables, non défec-
' SCHÖNCERG, p. 72-115, 122-124, — Gierke, t. I, p. 390-396. — Stahl, Das
deutsche Handwerk, p. 355. — Schmoller, Slrassburgcr Tucher und llebersun/t, p. 453.
320 ECONOMIE SOCIALE.
tueux ",ergarantissaientleurboimeqiialitéetsoiidi(e. Afin de pouvoir
les établir dans les meilleures conditions possibles, elles ne se lornaient
pas à exifjer en général de leurs compagnon^ un travail conscien-
cieux : elles entraient dans des détails précis sur la matière à emplover,
la façon, la forme et les dimensions de tout article destiné à la ve." ■ '.
Afin d'éviter que rien de falsifié ou de défectueux ne fût livré, - pour
que le riche et le pauvre soient traités également ", ^- que personne ne
fût trompé et que l'honneur de la profession ne reçût nulle atteinte ",
les chefs de corporation, unis le plus souvent aux délégués de l'auto-
rité de la ville, faisaient des " tournées régulières » dans les ateliers
privés, et « tout ouvrage mal fait ", falsifié, mal conditionné, était
frappé de saisie ou même détruit. Dans quelques corporations, toute
marchandise devait être inspectée et approuvée avant d'être livrée à
la pratique ou mise en vente. Des punitions pécuniaires ou corpo-
relles châtiaient la confection et la vente de mauvais produits, la
falsification, la fraude. A Danzig, les joailliers devaient payer une
amende de quatre livres de cire lorsqu'ils avaient livré au chaland
quelque faux bijou; chez ceux de Lübeck, on brisait dans les bou-
tiques les objets " n'offrant pas des garanties de solidité suffisantes •>.
A Berlin, les tisserands de laine et les drapiers qui avaient mis de
fausses marques à leurs draps, ou en avaient vendu de mal teints en
les faisant passer pour bonne marchandise, en un mot ceux qui
s'étaient rendus coupables d'une falsification quelconque, perdaient
le droit de faire partie du corps de métier, et leurs effets de vente
étaient brûlés, rais en pièces ou coupés '.
Les denrées alimentaires étaient particuhèrement l'objet d'une
inspection sévère, ayant également pour objet la qualité et le prix.
Pour garantir aux gens de petites ressources des prix modérés, les
autorités civiles faisaient assez fréquemment le commerce de bestiaux;
elles se chargeaient aussi de la vente du blé dans le but d'empêcher
l'accaparement-. Pour la surveillance des matières premières et des
produits alimentaires, des inspections de farine, pain, viande, pois-
son, vin et bière avaient lieu fréquemment de tous cotés. Le froment,
le seigle, l'avoine et l'orge devaient être cuits au four séparément et
former diverses sortes de pain. A Augsbourg, les autorités prescri-
vaient la mise en vente de six espèces de pain. Le prix des denrées
alimentaires était établi d'après le calcul du prix de revient mis en
balance avec le juste salaire dû au travaiP. Les prix de vente fixés
1 Voy. Schönberg, p. 43-63. — Meyeu, p. ICO. — Schmoller, p. 455. — Mascher,
p. 259. — Stieda, p. 33-95. Pour plus de Jétails, voy. Wassermaxx. Voy. encore
Stockbaler, Ochexkowsky, p. 77.
- Voy. Maurer, SliUltcver/assung, t. III, p. 144-145,
^ Pour plus de détails, voy. Maurer, t. III, p. 22-26-
LES COIU'ORATIONS : ASSOCIATIONS INDUSTRIELLES. 321
par la ville et les corporalions ne pouvaient être dépassés par
les vendeurs isolés. 11 ne leur était pas non plus permis de faire
baisser les prix '. Les boulan^jers peu scrupuleux qui avaient vendu
de mauvais pain, les bouchers qui avaient livré de mauvaise viande
ou l'avaient mise en vente à des prix plus élevés que le (aux légal,
subissaient une peine sévère. A Vienne, Ratisbonne et Zurich, les
boulangers fraudeurs subissaient le supplice de " la corbeille ".
Placés dans des paniers, ils étaient violemment lancés à droite et à
gauche (in die Schnelle), ou mis « à la corde >', c'est-à-dire placés dans
une corbeille attachée à une longue perche et plongés ensuite dans
une mare*. A propos de Tinspeclion des viandes, nous lisons dans
une pièce de vers composée en l'honneur de Nuremberg :
« Voici comment se passe la vente de la boucherie : lorsqu'on tue une
vache ou un bœuf, il se trouve là trois ou quatre employés chargés
d'estimer la viande très-exactement, et d'indiquer à quel prix il faut dé-
biter chacfue morceau aux chalands, si c'est pour deux, trois ou quatre
pfennigs. Le prix fixé et la qualité de la viande sont ensuite inscrits sur
une planchette. De cette manière chacun peut se rendre compte des choses,
et les gens ne passent point pour imbéciles en achetant de la viande de
vache au lieu de viande de bœuf 2. >
Les veaux trop jeunes étaient refusés. On interdisait aux bouchers
de torturer les animaux. A Danzig il était défendu de les égorger;
on commençait par les saigner, puis on les achevait, selon l'ancien
usage*. Le vin et la bière étaient soumis dans les villes à une inspec-
tion sévère. Le vin ordinaire, les vins de pharmacie mélangés de
vaidasse, de soufre, d'ormin, d'œufs, de lait, de sel, de plâtre ou
d'autres ingrédients étrangers étaient saisis, et celui qui les avait
mis en vente était puni, car ainsi que le dit une ordonnance de
Bâle : " tout vin doit rester tel que Dieu l'a fait croître ». La vente
du vin sous une fausse étiquette n'était pas moins sévèrement défen-
due. C'est à la stricte surveillance exercée par la police que la bière
de Bavière doit sa réputation européenne ^
' Voy. GiEUKE, t. I, p. 381.
* Mascht:i\, p. 259. — Maurer, t. III, p. 23. — Hullmann, Städiaceten, t. I, p. 78;
t. TV, p. 80.
' Falke, Deutscher Handel, t. I, p. 270.
* IJiRSCH, Dantziger Handel, p. 310-311.
* Maurer, t. III, p. 24-25. — Rein lard von Geilenkirchen, membre du conseil,
fut mis en prison pour avoir soufré son vin, puis exclu du conseil et déclaré
indigne de faire désormais le commerce de vin. V'oy. Ennen, dans le Zciischriß
für deutsche Kulturgeschichte (,1874i, p. 61, et Gesch. Cölns, t. III, p. 744-745. — KUNST-
MANN, p. 293-294. Sur la falsification des denrées alimentaires, voy. Brant,
I Narrenschiff, § 102, et Geiler, A'arrenschiff, p. 198. — A Nuremberg, en 1456, deux
colporteurs furent brûlés vifs pour avoir vendu du vin falsifié. Voy. Wasser-
mann, p. 12-20, qui cite encore d'autres exemples.
21
322 ECONOMIE SOCIALE.
Mais rexposition et rexamen des produits d'une branche quelcon-
que d'industrie n'eût pas été possible si tous ceux qui dans la ville
exerçaient la même profession n'étaient pas entrés dans la cor-
poration de leur métier et ne s'étaient soumis à ses règlements.
Aussi la nécessité de 1' « entrée par contrainte " s'était-elle l'ait sen-
tir de tous côtés. Les corporations étaient donc des sociétés obliga-
toires jouissant du droit et de la protection du travail de par l'assen-
timent des autorités. Au reste, c'est principalement à 1' « entrée
forcée » qu'on est redevable de l'épanouissement de l'industrie. Cette
mesure ne devint préjudiciable et funeste que lorsqu'elle dégénéra
vers le milieu du seizième siècle, à propos de l'adoption de nouveaux
membres, en un égoisme étroit, en un monopole exclusif, réservé à
un certain nombre de familles de maîtres et blessant par conséquent
d'une manière révoltante le droit naturel au travail '.
II
A l'époque du plus riche épanouissement du système d'association,
toute corporation formait une société judiciaire maintenant elle-
même, au dedans et au dehors, sa propre sécurité, et assurant à
tous ses membres les bénéfices de la paix et de la justice. Le véritable
organe des droits de l'association, la source de tout pouvoir résidait
dans l'assemblée des maîtres autorisés par la loi à entreprendre une
industrie indépendante. De ces maîtres émanait l'élection du conseil,
du syndic et de ses adjoints. Le conseil était l'autorité responsable
et assermentée de la société; il convoquait les assemblées et y avait
la préséance. Il avait aussi le droit d'exercer la justice de paix^
gérait les revenus et faisait rentrer les impôts et les amendes. De
plus, il était chargé de la police industrielle et du maintien des cou-
tumes et usages, soit de son plein chef, soit avec la participation des
membres de l'association ou de leurs délégués; il décidait dans les
cas douteux et lorsqu'il s'agissait de punir, car toute corporation
avait un appareil complet de justice établi de l'assentiment de tous ses
membres; et ce tribunal, publiquement, de vive voix et toujours
gratuitement, exerçait son autorité soit à la maison commune, soit
dans les églises et cimetières, souvent aussi à ciel libre. Il décidait
sur les altercations survenues entre les confrères, tant maîtres que
compagnons, et punissait les délits commis contre les lois et règle-
' Voy. FlLKE, Geschichte des Deutschen Handels, t. II, p. 349-351. — ScHMOLLER,
Slrasburger Tucher-und ll'eberzun/t, p. 535. — Voy. EndeMANN, Nationalöhonomische
Grundsätze der canonistischen Lehre, p. 170.
UNION DES CORI'OHATIONS D'UN MÊME PAYS. 323
ments. Les punilions imposées consistaient en amendes pécuniaires;
(|uel(iucrois on expulsait temporairement ou définitivement le cou-
pable, qui perdait alors le droit d'exercer le métier. Les délinquants
pouvaient presque toujours en appeler à l'autorité du conseil de la
ville; mais jamais un différend professionnel n'y était apporlé
avant d'avoir été préalablement jugé devant le tribunal de la cor-
poration. Les syndics présidaient les réunions de la maison commune.
Lorsque les corporations eurent conquis leur place dans le gouver-
nement de la cité, ils représentèrent les corps de métiers au milieu des
magistrats civils, et choisirent parmi leurs associés les membres
devant faire partie du conseil. En temps de guerre ils se mettaient
a la tète de la corporation.
Pour favoriser les intérêts généraux des ouvriers, les divers corps
de métiers d'une même ville se réunissaient parfois, et formaient
un seul corps, plus ou moins organisé. Dans le même but des
assemblées réglementaires unissaient assez fréquemment toutes les
corporations d'un district ou d'un pays. Ces réunions et d'autres
analogues avaient surtout lieu entre villes ayant l'une avec lautre
des rapports de voisinage ou de fréquentes relations commerciales.
Elles variaient beaucoup de forme et d'importance; tantôt on y
discutait des points spéciaux, tantôt on y adoptait une méthode
commune de traiter et de discipliner les ouvriers. C'est ainsi que
' les frères du métier de tailleur d'Héchingen et de tout le comté
de HohenzoUern >, avec le consentement du comte et de la ville
d'Héchingen, « pour la gloire de Dieu et l'intérêt commun », convo-
quèrent tous les maîtres tailleurs du pays en assemblée générale. Cette
assemblée décida l'établissement d'une confrérie, désigna un jour
de réunion annuelle, et vota une certaine somme destinée à l'entretien
d'un cierge dans l'église abbatiale d'Héchingen et aussi à l'enterre-
ment des associés. Elle fit aussi des règlements précis sur les œuvres
de maître, le salaire des apprentis, la durée de l'apprentissage, le
temps du voyage obligatoire des compagnons, les diverses façons
du travail, les heures de travail, les salaires, les cas de renvoi et la
mise en pratique de l'entrée par contrainte. Cette assemblée était
donc la réunion générale d'un corps de métier pour un pays tout
entier'. Ce fait est intéressant, parce que nous y apercevons le pre-
mier germe des ordonnances générales de commerce établis plus
tard dans tout l'Empire.
De même que le clergé formait un corps séparé, de même que
toute la chevalerie composait une caste particulière et que les mar-
^ GiERKE, t. I, p. 406. — MONE, Zeitschrift, t. XIII, p. 313-317.
21.
324 ECONOMIE SOCIALK.
chands « du Saint-Empire romain d'Allemagne « formaient une
société distincte, les artisans, eux aussi, étaient fiers de leur
association puissante qui reliait entre elles toutes les corporations
industrielles. Bien que leurs staluts ne fussent point écrits, une
grande similitude de vues et de principes finit par composer une
sorte de code, un ensemble d'usages, de prescriptions, presque un
droit industriel pour tous les pays de l'Empire. Grâce aux traditions
solides et aux règles de ce droit, tout ouvrier, lorsqu'il arrivait dans
une ville, y trouvait protection et abri, pourvu qu'il s'adressât à la
corporation de son métier. S'il s'acquittait envers elle de ses obliga-
tions, il s'y trouvait de prime abord chez lui, au milieu des usages, de
la discipline et des règlements qu'il avait toujours été habitué à
respecter. Les années de voyage imposées aux ouvriers au début de
leur carrière, avaient beaucoup contribué à faire peu à peu adopter
dans toutes les cités allemandes les mêmes usages, les mêmes règle-
ments corporatifs, la même organisation intérieure'.
Outre les membres en possession de tous leurs droits, les corpora-
tions avaient au dehors des associés placés sous sa protection, qui,
sans avoir de droits positifs, bénéficiaient de la sécurité et de
la justice assurées à tous ceux qui en faisaient partie. L'appui de
la corporation s'étendait aussi aux femmes et aux enfants des com-
pagnons et maîtres. Les enfants prenaient part aux services reli-
gieux, aux plaisirs pris en commun. Devenus grands, ils étaient
appelés de préférence à d'autres à faire partie de la société. La
continuation du métier par les veuves, les fils et beaux-fils des
défunts, n'était que la conséquence toute naturelle de l'intime union
qui régnait entre tous les membres de la compagnie. La femme du
maître tenait une place si importante, qu'à elle aussi on demandait
d'être digne de la profession. ^ Celui d'entre nous qui veut prendre
femme ■■, dit un règlement corporatif de Lübeck daté de 1414,
ic doit choisir une jeune fille de bonne réputation, sans reproche et
digne de notre état. » « La femme du maître ' , dit un autre règle-
ment (1459), « doit être de naissance légilime et d'origine allemande.
Si elle n'a pas ces qualités, le maître perdra le droit de faire partie
de l'association. " On constate aussi à cette époque l'existence de
quelques corporations de femmes, dirigées par des maîtresses élues
parmi elles '.
A l'origine, apprentis et compagnons étaient vis-à-vis du maître
dans les mêmes rapports que les membres mêmes de la ftimille.
L'admission d'un apprenti était, vu les grandes conséquences qu'elle
' Voy. GiERKE, t. I, p. 407,
* GiERtE, t. I, p. 401-402,
LES APPRENTIS. 325
avait pour toute la vie, un acte particulièrement solennel. Elle avait
souvent lieu à l'hôtel de ville, devant les autorités municipales'.
On exposait « à l'ouvrier de naissance lé{jitime >' ses devoirs moraux
et profcssionnels. On lui remettait ensuite une lettre d'apprentis-
sage lui donnant droit d'entrer dans la famille d'un maître. Le
maître avait sur l'apprenti, pendant tout ce temps d'apprentissage,
les mêmes titres à sou obéissance que s'il eiU été son père; il
lui ensei[;nait son état d'après les règles et sous la surveillance du
corps de métier. ^ Le maître qui se charge d'un apprenti ■-, disent
les règlements du temps, - doit le garder jour et nuit dans sa
maison, lui donner son pain, sa sollicitude, et le tenir enfermé
avec la porte et le gond ^ » Le maître veillait à ce que le jeune
ouvrier fréquentât l'église; il devait le maintenir dans la crainte
de Dieu et l'amour de tout ce qui est bien, le traiter, en un mot,
comme son propre fils. Xous lisons dans V Exhortation chrétienne :
" Nulle profession ne peut être exercée honorablement que si
l'apprenti est instruit de bonne heure dans la crainte de Dieu. Il doit
à son maître la même soumission qu'à son père; matin et soir, et
aussi pendant le travail, il doit demander à Dieu sa protection et
son secours, car il ne peut rien sans Dieu : l'assistance de tous les
hommes mis ensemble reste stérile sans le secours de Dieu et fait
même souvent tort à l'âme, parce qu'elle est cause qu'on s'appuie
sur les hommes; et les hommes sont misérables, et la mort les
emporte. L'apprenti doit entendre la messe et le sermon les dimanches
et jours de fête, et apprendre à aimer la lecture de bons livres. Pen-
dant le travail, il doit être diligent et ne chercher son honneur que
dans la gloire de Dieu. Il faut aussi qu'il ait à cœur l'honneur de son
maître et celui de sa profession, car elle est sainte, et lui-même sera
peut-être un jour maître des autres, si Dieu le veut et qu'il soit digne
de le devenir. » <■• O les gens au cœur étroit et avare que ceux qui
n'apprennent et ne veulent travailler que pour gagner de l'argent
et pour obtenir les récompenses et les honneurs de la terre! C'est
fort mal fait. Si l'apprenti pèche contre la crainte de Dieu et l'obéis-
.sance, on doit le punir sévèrement; cela fera du bien à son âme, et
le corps doit souffrir afin que l'âme se porte mieux. Le maître ne
doit pas être trop faible ni trop facile envers son apprenti, mais il
ne faut pas non plus qu'il soit tyrannique et exigeant, comme cela
arrive souvent; il doit le protéger contre les railleries, les tirements
d'oreille, les tapes, les bourrades; j'ai vu mon propre père défendre
ainsi ses apprentis lorsqu'il était maître de l'honorable profession des
cordonniers, à Colmar. Que Dieu l'ait en sa grâce! ;> " Maître, songe
1 Brentano, Arhcitergilden, p. 51 et 271, n" 190.
* Stahl, Das deutsche Handwerk, p. 206.
326 ÉCONOMIE SOCIALE.
à tes devoirs. L'apprenti t'est confié par la corporation afin que tu
veilles aux besoins de son corps aussi bien qu'à ceux de son âme,
comme les règlements le prescrivent et comme l'ordre de Dieu le
demande. Tu dois être équitable envers lui et le traiter comme ton
propre enfant; tu n'es pas maitre seulement pour gouverner les
autres et faire des œuvres de maitre, mais encore pour te maîtriser
toi-même comme tout chrétien le doit, et comme l'honneur de ta
profession l'exige. Sache que pour ta femme, tes enfants, tes frères,
tes apprentis et tous tes domestiques, tu dois être maitre en bon
exemple '. "
Le maitre devait entretenir son apprenti « convenablement, suffi-
samment ", selon les nécessités de la vie matérielle. Les règlements de
beaucoup de corporations lui font même un devoir de l'habiller.
On faisait grande attention aux vêtements de l'ouvrier « à cause de
l'honneur de la profession ». On li( dans une ordonnance de la cor-
poration des charpentiers (Strasbourg, 1478) : « Outre quatre livres
de liards, salaire de l'apprenti, le maitre doit encore à l'ouvrier qu'il
instruit des chausses blanches autant qu'il en aura besoin; plus, tous
les ans, quatre aunes de drap gris pour se faire un habit et quatre
aunes de coutil pour sa blouse. Il lui donnera encore une hache, une
cognée, une scie, un coin, une tenaille, un vilebrequin; enfin, toutes
les semaines, il lui remettra deux liards de pourboire ^ »
Si l'apprenti, par négligence, exécutait mal quelque travail, le maitre
était toujours responsable. On répète, dans d'innombrables règle-
ments corporatifs, les avertissements suivants : < Le maître doit
remplir si loyalement ses obligations de toutes sortes envers l'ap-
prenti, il doit être si fidèle et si zélé à lui montrer son état, qu'il puisse
un jour répondre de sa conduite devant Dieu. 11 doit employer le
mieux possible l'argent que le jeune homme lui confie, et ne rien lui
cacher de ce qui concerne sa profession, afin qu'après avoir terminé son
temps d'apprentissage, il soit en état de gagner toutes les semaines
un bon salaire chez un maître. S'il arrivait qu'à la fin de l'appren-
tissage *, l'ouvrier ne sût pas bien son état, et cela par la faute du
maître, il serait confié à un autre; l'ancien devrait payer tous les
frais; de plus, une amende à la corporation. >; Pour offrir sous ce
rapport des garanties au jeune artisan, le jour de son admissian
solennelle, le syndic faisait circuler à la ronde la question sui-
vante : « A-t-on quelque chose à reprocher au maître chez lequel cet
apprenti doit entrer? A-t-on quelque chose à reprendre à sa manière
d'enseigner le métier? -i S'il arrivait que le maitre maltraitât son
'p. 21.
^MONE, Zeitschrift, t. XVI, p. 159.
* Le temps d'apprentissage durait ordinairement de trois à cinq ans.
LES APPRENTIS. 327
appretili, il lui devait réparation; il ne pouvait le renvoyer que pour
cause de vol ou d'immoralité. Pour tout autre manquement, il devait
d'abord porter plainte devant la corporation. Le syndic faisait alors
une enquête, puis rendait la sentence. Dans une ordonnance corpo-
rative de Lübeck, il est dit qu'un apprenti ayant volé plus de six pfen-
ni{js doit être renvoyé, et déclaré pour toujours « indigne de la
profession ». Le même jugement était rendu contre lui lorsque,
sans motif réel, il avait pris la fuite à plusieurs reprises. D'après un
règlement fait à Lübeck en 1508, l'apprenti, après s'être sauvé une
fois, ne pouvait être repris par le maître sans l'assentiment du
conseil de la corporation. La seconde fois, tout le corps de métier
devait décider de son sort, et la troisième, il fallait, pour le gracier,
obtenir l'agrément du conseil de la ville. La corporation dédomma-
geait le maitre du tort que lui avait causé la fuite d'un apprenti K
Lorsque le temps fixé pour la durée de l'apprentissage était expiré,
l'ouvrier était relevé de ses engagements et admis au nombre des
compagnons; on rendait cette déclaration aussi solennelle que l'avait
été sa première admission dans la société. Elle avait lieu en pré-
sence de tout le corps de métier. On interrogeait tour à tour chaque
maitre, et à trois reprises différentes, pour s'assurer qu'il n'avait rien
à reprocher à l'apprenti, nulle remarque à faire sur la manière dont
il avait été instruit; d'autre part, on demandait au jeune ouvrier si,
pendant l'apprentissage, il avait vu chez son maitre quelque chose
de contraire aux intérêts du métier. S'il en était ainsi, il devait
immédiatement le déclarer et ensuite promettre de se taire pour
toujours. Si tous les suffrages étaient en sa faveur, et que l'on ne
sût rien sur lui que d'honorable, le syndic, après avoir constaté qu'il
avait bien soutenu son épreuve, en vertu du pouvoir placé dans la
corporation, en son propre nom, au nom de la Sainte Trinité, le décla-
rait reçu, et dès cet instant il prenait rang parmi les compagnons.
Dans les premiers temps de leur admission, les compagnons se trou-
vaient vis-à-vis de leurs maîtres et de la corporation dans les mêmes
rapports que les simples apprentis; ils avaient généralement * dans la
maison du maitre non-seulement la nourriture et le logement, mais
encore le feu, la lumière et le blanchissage, et faisaient bien plus
étroitement partie de la famille que s'ils n'eussent reçu qu'un simple
salaire. La justice de paix établie dans la corporation protégeait
tous leurs droits et tranchait les différends qui s'élevaient soit
entre eux, soit avec le maitre. Leur travail, comme leurs mœurs,
étaient soumis, ' de par la volonté de l'association », à la surveil-
' Stahl, p. 208-220. — Wehrmann, Die ait. Lübeckischen ZunflroUen, p. 248. —
GlERKE, t. I, p. 403.
* Sur les exceptions à cette règle, voy. Stahl, p. 277.
328 ÉCONOMIE SOCIALE.
lance du maître, qui ne pouvait se soustraire à ce devoir sous peine
d'amende. Le soir, tout compagnon devait être rentré à la maison à
une heure déterminée, ordinairement neuf ou dix heures. Aucun ne
pouvait passer la nuit dehors, aucun n'était autorisé à ramener à la
maison le compagnon ou l'apprenti d'un autre maître, et encore
moins à le garder la nuit. Le jeu, surtout le jeu de dés, était sévère-
ment défendu; bien souvent même, celui qui avait été plus d'une fois
à l'auberge dans la semaine, était puni. Si un ouvrier avait été ren-
voyé par son maître pour cause de mauvaise conduite ou ne l'avait
pas quitté de " bonne amitié », il n'était plus reçu chez un autre
maître. Son habillement devait toujours être propre et convenable,
<i ainsi que le demande l'honneur du métier ». Comme « gens libres »,
les compagnons aussi bien que leurs maîtres avaient droit de porter
des épées et d'autres armes, et les danses à l'épée que les compagnons
cordonniers de Francfort-sur-le-Mein et les compagnons couteliers
de Nuremberg- avaient coutume d'exécuter pendant le carnaval
prouvent assez que les ouvriers étaient habiles à manier les armes.
A Francfort-sur-le-Mein, à la suite de rixes qui s'étaient produites,
le conseil de la ville se vit obligé de rendre une ordonnance portant
que dorénavant aucun maître ni serviteur de la profession de cordon-
nier ne porterait ni épée, ni longs couteaux, ni dagues plus longues
que celles dont la mesure était indiquée sur le Römer' (1511). Les
compagnons cordonniers de Leipzig, offensés par quelques membres
de l'Université, appelèrent au combat les docteurs, licenciés, maîtres
et étudiants de la Haute-École, pour soutenir le droit qu'ils avaient de
porter des armes et défendre « l'honneur professionnel ^ ».
Cet honneur professionnel trouvait un appui spécial dans les compa-
gnonnages, qui, malgré les obstacles que les maîtres s'efforcèrent de
leur opposer, prirent un grand développement pendant le quinzième
siècle, et atteignirent leur apogée vers la fin de ce même siècle.
Ils étaient formés sur le modèle des grandes corporations et leur
restaient associés; mais ils avaient cependant leurs propres « rôles
et statuts », choisissaient leurs syndics et leurs employés, et se
rendaient à eux-mêmes justice lorsqu'il s'agissait de régler leurs
différents particuliers. Dans certains cas, ils tranchaient même les
contestations survenues avec les maîtres. Ils prélevaient des contri-
butions, imposaient des amendes ^ administraient les revenus com-
' Lersner, Frnnlfurtar Chronik, t. I, p. 483.
- Voy. Zarncke, Deutsche Universilälen des Millelallcrs, t. I, p. 209-220. — On a
même retrouvé un cartel adressé par un cuisinier, son marmiton et ses filles
de cuisine au comte Ott de Solms (1477). Loch.ner, Das deutsche Miitclalier, t. II,
p. 426.
' Voy. ScHANz, p. 73-74.
POSITION CONSIDÉRÉE DES OUVRIERS. 329
muns servant à soulenir les ouvriers malades ou tombés clans la
misère, et faisaient des avances d'ar{çent à ceux qui en avaient besoin.
Lorsque la justice était rendue dans les compap,nonnafi[-es, le doyen
avait la présidence el, en sif>ue de sa di(jnité de jiifye, tenait en main
leb;Uonde compaji^non. Mais, selon l'usajje germanique, il devait se
borner â poser la (jucslion juridique. Les compag^nons rangés en
cercle autour de lui examinaient tous les griefs apportés, puis ren-
daient la sentence et la faisaient exécuter par les plus jeunes'.
Comme les corporations de maîtres, ces associations étaient obliga-
toires et forcées. Dans tous les documents qui les concernent, il est
fait mention de Tenlrée par contrainte. Les ouvriers qui ne veulent
pas s'y soumettre sont menacés d'être exclus de toute union de
travail, de toute vie commune *. Les assemblées avaient ordi-
nairement lieu tous les quinze jours, quelquefois toutes les quatre
semaines. Elles avaient pour objet « le maintien de la concorde et de
la paix, et les collectes nécessaires à l'entretien de la maison com-
mune ".
L'ouvrier allemand exerçant sa profession dans une ville, apparte-
nait donc à une société libre jouissant d'une constitution organisée,
lui tenant lieu de famille et de patrie. S'il tombait malade, il ne
se sentait pas délaissé et n'était pas abandonné à la compassion
publique; il était soigné dans la famille du maître ou aux frais de
ses confrères. " Si notre Seigneur Dieu permet qu'un bon et hono-
rable compagnon soit visité par la maladie ', dit un règlement du
temps, « on devra lui prêter sur la caisse générale de quoi payer
les soins qui lui sont nécessaires; on lui demandera seulement de
fournir deux cautions, et lorsqu'il reviendra à la santé, il remboursera
la caisse. S'il vient à mourir, ou se dédommagera par la vente de
ses habits; s'il ne laisse pas d'habits, ses amis devront payer pour
lui. Si ses amis ne peuvent payer pour lui, le bon Dieu acquittera sa
dette, lui qui est un riche Rémunérateur, lui qui a déjà payé pour
tant de pauvres gens ! "
Le compagnon, à l'aide de signes et de saints convenus dans sa
profession, pouvait voyager librement dans tout l'Empire; franchis-
sant les frontières, il passait en France, en Italie, en Languedoc, à
Florence, Lucques, Pise, partout, en un mot, où des corporations alle-
mandes étaient établies ^ Mais s'il voulait être • loyal •', il ne devait
accepter de l'ouvrage que chez un maître de sa corporation. Dès
qu'il arrivait, il était sous la protection du corps de métier dont il
I ' Maurer, Städtcver/assung, t. II, p. 438.
' SCH.VNZ, p. 73
1 ' Voy. Maurer, t. II, p, 495-496.
330 ECONOMIE SOCIALE.
faisait partie, et pouvait exercer son droit professionnel. Toute
hôtellerie de corporation devait le recevoir. Dans la salle de cette
liotelierie étaient inscrits sur une planchette les noms des maîtres
ayant besoin de compagnons. Lorsque l'ouvrier en voyage entre-
prenait quelque travail, c'était aux mêmes conditions que celles
en usage pour les ouvriers du lieu; s'il ne pouvait trouver de
besogne, il s'en allait plus loin, muni par ses confrères d'un peu
d'argent pour ses frais de coucher et de nourriture, et d'un < pfennig
de voyage » destiné à subvenir à son entretien jusqu'à la prochaine
ville de corporation.
Le compagnon était donc, en premier lieu, associé à la famille de
son maître, avec laquelle il partageait ordinairement la table et le
logement; en second lieu, étroitement uni à ses camarades d'âge et
de métier dans le compagnonnage dont il faisait partie et qui le
défendait et l'appuyait en cas de besoin; enfin il était tout particu-
lièrement attaché à l'Église, et faisait partie d'une confrérie se
rattachant d'ordinaire au conpagnonnage, mais pouvant aussi rester
indépendante. L'origine de ces pieuses sociétés ne remonte guère,
en général, au delà de 1435. La confrérie des porteurs de drapeaux
à Francfort-sur-le-Mein date de 1440; celle des cordonniers et des
tailleurs, de 1453; celle des garçons bouchers, de 1455; des tisse-
rands de futaine, de 1460; des arquebusiers et barbiers, de 1471;
des jardiniers et faiseurs de palissades, de 1482; des boursiers et
mégissiers, de 1495; des boulangers, de 1497; des maréchaux, de
1512; des maçons, de 1518 ', etc., etc. Ces confréries formaient pour
la plupart des associations de bienfaisance venant en aide à tous les
genres de misères.
La considération générale dont jouissaient les compagnons s'affir-
mait tout particulièrement dans les fêtes établies par eux et qui appar-
tenaient aux divertissements favoris du peuple. Les compagnons cor-
donniers de Nuremberg organisaient tous les ans ce qu'ils appelaient
la procession des bains. Un jour, pendant le carnaval, ils se rassem-
blaient dans leur hôtellerie, et, partant de là, faisaient une procession
solennelle dans la ville, revêtus de robes de bain blanches, et portant
le chapeau de bain sur la tête. Précédés de trompettes et de fifres,
ils se rendaient à la maison de bains et revenaient ensuite dans leur j
hôtellerie, où ils se faisaient servir un bon régal. Les boulangers, char- '
pentiers, pain d'épiciers, bouchers, serruriers, couteHers, etc., exécu-
taient à certains jours, dans le costume particulier à leur corporation,
des processions et des danses solennelles. Les tonneliers dansaient la ,
« danse du cerceau » en chausses de drap rouge avec de belles che- 1
' Voy. Kriegk, Bürgerthiim, p. I8i-185. Il arrivait souvent que le conseil défen- 1
dît la fondation d'une nouvelle confrérie.
GREVES DES AüTISANS. 331
mises blanches et des chapeaux hongrois verts, garnis de rubans sur
\e C(Ué. A Hambourg, les brasseurs célébraient tous les deux ans ce
qu'ils appelaient la « Ilogue », divertissement qui durait huit jours
coiisécuMts et consistait en processions publiques, danses, jeux et
repas pris en commun. Mais la i'èle qui nous parait avoir offert le plus
d'iniérèt, c'est la procession des compagnons boulangers de Fribourg
en lirisgau. La chapelle de leur corporation était celle de l'hôpital du
Saint-Esprit; ils se rassemblaient le premier jour de l'an dans la salle
du Conseil de l'hôpital, puis parcouraient la ville, musique et ban-
nières en tête, portant solennellement un énorme craquelin; un sapin,
magnifiquement orné à Noël, était secoué pendant la procession par
le doyen des compagnons, au bénéfice des pauvres qui avaient droit
d'en ramasser les gâteaux et les fruits. On faisait ensuite une distri-
bution de vin, et la journée se terminait par la danse'. Les fêtes
de ce genre, alors si nombreuses, donnaient à la vie du moyen
âge un caractère particulièrement joyeux et cordial, et fortifiaient
dans le peuple l'esprit d'association. Elles donnaient aux classes
ouvrières l'occasion de se produire en public, éveillant ainsi dans
les individus le sentiment de la dignité personnelle. Comme toute
la population y prenait part, elles rapprochaient les divers états.
Lorsque les confréries et les fêtes de compagnons furent supprimées,
ou vit péricliter peu à peu parmi les ouvriers l'émulation d'honneur,
la solidarité d'autrefois ^
La lutte de dix ans que les compagnons boulangers de Colmar
soutinrent contre les échevins de la ville, nous fournira la preuve
évidente de la force avec laquelle cet esprit de solidarité s'était déve-
loppé parmi les artisans durant le quinzième siècle. Nous y étudierons
aussi les liens étroits qui rattachaient l'une à l'autre les confréries
d'un même métier dans des pays différents, et nous verrons comment
ces alliances étaient arrivées à constituer de vraies ligues offensives
et défensives.
En 1495, les compagnons boulangers de Colmar abandonnent leur
travail et quittent la ville, sous prétexte que leur corporation « dont ils
se sentent obligés dedéfendre les droits, les traditions et privilèges »,
a été offensée par les membres d'autres corporations, et cela par la
faute de l'autorité. Entre autres griefs, ils se plaignent qu'on les a
privés de leur rang accoutumé dans la procession du Saint Sacre-
' Voy. Maurer, t. II, p. 440-413. — Schreiber, Geschichte Freibwgs, t. IV,
p. 271-278.
* Schanz remarque avec justesse qu'après que « l'introduction du droit
romain eut ôté aux villes et aux corporations le droit de juridiction et les eut
ainsi rendues impuissantes, elles furent entièrement livrées au pouvoir ambi-
tieux des princes souverains ».
332 ECONOMIE SOCIALE.
meut; ils quittent donc Colmar, et le conseil de la ville les met au
ban, pour avoir déserté malgré leur serment et leur devoir, et sans
cause légitime. " De peur qu'une disette ne s'ensuive, il autorise
tous les boulangers, et même tous ceux qui le désirent, à apporter
tous les jours sur le marché le pain blanc, le pain bis, le pain de
gruau, enfin le pain de toute farine, jusqu'à ce que le conseil ait
réussi à rétablir les choses dans leur premier état. ■.^ Les compa-
gnons et l'autorité amènent alors leur différend devant le tribunal
d'Oberbergheim, qui condamne les compagnons à payer une am.ende
pour avoir quitté Colmar malgré leur serment et les lois de la cilé,
non par la porte de la ville, mais en secret. La ville, de son côté,
est condamnée aux dépens pour avoir, sans enquête préalable, mis
les compagnons au ban. Mais ceux-ci ne se tiennent pas pour battus;
ils refusent de se soumettre, déclarent que la sentence ne donne
pas réparation suffisante à leur honneur et en appellent à la cour
souveraine d'Ensisheim. Lorsque, en 1496, le premier jugement porté
contre eux est confirmé, ils se tournent vers la Haute Cour de Jus-
tice du Saint-Empire à Francfort-sur-le-Mein. Écrits, contre-écrits
sont échangés; et l'abandon du travail ne dure pas moins de dix
années, pendant lesquelles les irréconciliables compagnons sont sou-
tenus dans leur résistance par l'assentiment et les secours d'argent
de leurs confrères du haut Rhin. Les corporations de boulangers
décident à l'unanimité que tout compagnon qui entrera chez un
maître de Colmar sera mis au ban. En vain plusieurs autres villes
veulent intervenir, tout est inutile, et la situation de Colmar
devient intolérable. Ce ne fut qu'en 1505 qu'un accommodement put
avoir lieu. Plusieurs membres du conseil de Colmar, et plusieurs
représentants de la corporation des boulangers appartenant aux
corps de métier de huit villes du haut Rhin, comparurent devant
le seigneur de Rappoltstein, choisi pour arbitre et juge en dernier
ressort. La sentence décisive fut enfin prononcée; elle portait dans
ses points essentiels que les compagnons boulangers payeraient à
la ville une amende de 166 florins, mais qu'ensuite, tout ce qui avait
eu lieu contre eux à Colmar serait considéré comme nul, anéanti et
non avenu. Il fut en outre décidé que la corporation conserverait ses
statuts, constitutions et privilèges, et surtout serait rétablie dans le
rang qu'elle avait préalablementj occupé à la procession du Saint
Sacrement. La victoire, incontestablement, resta donc aux compa-
gnons •.
' Voy. les Boulangers de Colmar (1495-1513), épisode inédit de l'Histoire des coali-
tions ouvrières en Alsace au moyen âge de P. Merklen, par X. jMossmwn. Colinai",
1871, n" 18-23. Schanz, dans son ouvrage fait avec tant de soin, p. 78-92, cor-
rige et complète l'histoire de cet intéressant incident.
EXIGENCES DES AUTISANS. 333
Un autre fait intéressant se produisit à Nuremberg en 1465.
Les maîtres laillandiers , profilant d'un renchérissement sur-
venu dans les denrées alimentaires, voulurent réduire la nourri-
ture de leurs compagnons. Ceux-ci se déclarèrent mal satisfaits,
abandonnèrent le travail et quittèrent la ville. Ils se rendirent à
VVunsiedel et à Dinkelsbühl, et mirent lous les maures de Nurem-
berg au ban. Grâce à l'union des compagnonnages, tout ouvrier
taillandier en faisant partie refusa de travailler chez un maître de
Nuremberg. A la suite de cet incident, la profession de taillandier,
l'une des plus anciennes et des plus considérées de Nuremberg,
périclita de telle sorte que nous ne voyons plus aucun de ses
membres faire partie dans la suite du conseil de la ville. Un cer-
tain nombre de maîtres allèrent se fixer à Amberg et à Donauwerth;
ceux qui restèrent s'appauvrirent de plus en plus, et peu à peu le
métier fut totalement abandonné K
De tels faits n'étaient pas rares et avaient généralement pour pré-
texte un mécontentement à propos de la nourriture, le désir d'obtenir
un salaire plus élevé ou de voir abrégées les heures de travail.
Les compagnons tailleurs se montraient fréquemment les plus
remuants et les plus exigeants. A Wesel, sur le Rhin (1503), ils se
révoltèrent contre leurs maîtres pendant les fêtes de la Pentecôte
sous prétexte de nourriture et de salaire insuffisants, et soutinrent
avec eux une lutte qui alla même jusqu'aux voies de fait. Les auto-
rités de la ville tentèrent en vain d'amener un accommodement; les
compagnons s'obstinaient, soutenant que « ceux qui travaillaient
le plus devaient aussi gagner le plus »; ils s'unirent les uns aux
autres « par la parole et le serrement de mains >', et tournèrent le dos
à la ville; '^ si bien que les habits qui avait été commandés pour la
fête restèrent inachevés ". C'est à la suite de cet incident que le
bourgmestre déclara devant tout le corps de métier rassemblé que
cette expérience, ajoutée à bien d'autres, le fortifiait dans l'opinion
« que les compagnons tailleurs avaient un caractère singulière-
ment inquiet et étaient enclins plus que d'autres aux révoltes et au
désordre '. « Mais les maîtres ont aussi grand tort ", continue-t-il,
" car ils ue donnent pas à leurs ouvriers trois bons repas par jour,
comme les compagnons ont le droit de l'exiger; de plus, ils les
accablent d'ouvrage. " Le bourgmestre les menace d'une puni-
tion sévère, s'ils contraignent encore les ouvriers à travailler les
dimanches et jours de fête, ou jusqu'à l'heure de la grand'messe,
et s'il advient qu'on donne des coups de poing ou qu'on tire les
cheveux aux apprentis refusant de profaner le dimanche ou de
' Staul, p. 281, 427.
334 ÉCONOMIE SOCIALE.
se prêter ce jour- là à toutes les corvées qu'on leur impose '.
A Mayence, les compagnons tailleurs révoltés abandonnent le tra-
vail et se retirent sur la montagne de Saint-rsicolas. Leurs maîtres
les excluent de la corporation, dressent la liste des déserteurs et
décident que ceux qui y sont inscrits ne seront ni reçus, ni logés,
ni admis chez aucun d'entre eux, et ne pourront rentrer dans
la corporation qu'après s'être excusés devant elle " et avoir promis
de s'amender ». Cette décision était hardie, car les tailleurs de
Mayence étaient en alliance réglée avec les corporations de dix-
neuf villes pour la défense réciproque de leurs droits ^ En 1505,
les maîtres tailleurs de vingt et une villes du Rhin, du Mein et de la
Wetter tiennent à Oppenheim une assemblée générale où sont dis-
cutées des questions d'administration et la conduite à tenir envers
les ouvriers. L'esprit séditieux de ceux-ci et leurs exigences exagé-
rées, quant au salaire, deviennent, disent-ils, intolérables : - Avant
tout, ce grand perturbateur, Henri Ruffs, de Worms, qui parcourt
les villes et excite les compagnons contre leurs maîtres ', doit être
autant que possible mis hors d'état de nuire; il est important de
veiller à ce que les corporations n'abandonnent plus aux compagnons
la libre et pleine administration de leurs caisses communes, car
c'est par leur secours qu'ils se soutiennent les uns les autres et
s'encouragent à la révolte. Les compagnons n'ont pas le droit
d'exiger le soir " plus d'un plat de viande ^, et l'on n'est pas forcé
de leur donner du rôti plus de deux fois par semaine. Ils ne doivent
pas exiger de vin le soir, et en tout cas, jamais plus <- d'une petite
demi-cruche . On peut apprécier quelles étaient en effet les exi-
gences des compagnons quant au salaire et à la nourriture, en
parcourant les documents qui nous ont été conservés sur un soulè-
vement des bateliers du Rhin et de l'Amurg. Outre '; un florin par
jour de salaire, les compagnons ", comme les maîtres s'en plaignent au
margrave de Bade, ^ ne veulent pas se contenter à leurs repas d'une
soupe, d'un bon légume, d'une portion convenable de viande, de pain
et de fromage; ils réclament encore un premier plat et du rôti ».
' Cela nous semble vraiment déraisonnable -, disent les maîtres; - nous
ne pouvons suffire à nourrir nos ouvriers d'une façon si coûteuse ^ >•
Du reste, la plupart des différends entre compagnons et maîtres
'Butzbach, IVatiderbüehlein^Tp. 120-123.
- Brentano, Arbeitergilden, p. 56. — Janner, Bauhütten, p. 43-53.
s Voy. MONE, Zeitschrift, t. XIII, p. 155, 306, et t. IX, p. 159; t. XVIII, p. 12. —
GiERKE, t. I, p. 40G. — Stahl, p. 413-416. <■ Trois ou quatre plats composaient, au
dire des artisans, des < repas ordinaires - . Le commun du peuple, dit Jean Butz-
bach dans son Petit Livret de voyage, a rarement à ses repas, dîner ou souper,
moins de quatre plats. Outre cela, l'été, des pâtes frites avec des œufs au beurre
et du fromage. Entre le diner et le souper, ils goûtent arec du fromage, du pain
et du lait. »
BIEN-ÊTRE DES ARTISAN». 335
étaient promptemcat accommodés, grâce à la bonne organisa-
tion des uns et des autres, et grâce aux arbitres dignes de toute
confiance choisis pour les trancher. Souvent aussi les autorités
intervenaient avec succès; ainsi, par exemple, lorsqu'en 1469 les
compagnons cordonniers d' Emmerich abandonnèrent le travail, le
conseil de la ville s'efforça de mettre d'accord les ouvriers et les
maîtres. Après « de longs pourparlers, la paix fut rétablie par contrat
réciproque, et les deux parties, pour sceller la réconciliation, burent
et se réjouirent ensemble; depuis elles vécurent dans la même union
qu'auparavant ". A Geroldshoffen, en 1479, des querelles et des
séditions éclatèrent dans la corporation des cordonniers, et les com-
pagnons résolurent de ne plus travailler pour leurs maîtres. Les
baillis princiers et le conseil de la ville parvinrent à apaiser leur
querelle; après quoi, il fut décidé pour l'avenir, comme le porte le
jugement, que quand un compagnon cordonnier ne s'entendrait
pas avec son maître, il porterait plainte devant le bourgmestre et
arrangerait avec lui le différend. Désormais, il lui était interdit d'avoir
jamais l'audace d'exciter ses camarades à abandonner la besogne et
à quitter l'atelier au mépris de son maître '.
Sur le salaire des ouvriers, prétexte ordinaire des querelles
et des révoltes, nous n'avons de renseignements exacts que pour
quelques professions; mais rapprochés les uns des autres, ces ren-
seignements conduisent à la certitude que la situation matérielle des
artisans était encore meilleure que celle des cultivateurs. A Kloster-
ncubourg, entre 1485 et 1509, à une époque où la livre de bœuf
coiUait généralement deux deniers, le salaire quotidien d'un maçon
ou d'un charpentier était de vingt deniers l'été et de seize l'hiver,
de sorte qu'il gagnait journellement la valeur de huit ou dix livres
de bœuf. En Saxe, à la même date, un maçon ou un charpentier
recevait par jour environ deux gros quatre pfennigs, c'est-à-dire
plus du tiers de ce que valait alors le boisseau de blé. A Meissen
(Saxe), l'ouvrier maçon, outre ce salaire, avait encore droit, chaque
jour, à deux cruches de cornet - et à trois gros pour son argent de
bain. En six jours, en ne comptant que son salaire quotidien, il
pouvait acheter trois moutons et une paire de souliers ^
' Archiv, des Hislor. Vereins fur den Untermainlcreiss (Wurzburg, 1835, tonie III,
P- 162). Aebi, Buchdrûkerein in Beromiinster, p. 13.
- Sorte de boisson fermentée.
' Voy. Falke, Geschichil. Statistik, t. I, p. 373-393, et t. II, p. 66-67. — Mon'e,
Zciischrifi, t. VI, p. 400. — J. I). Blavignac dit dans son travail intitulé : Comptes
et dépenses de la construction du clocher de Saint- Xicolas à Fribourg en Suisse (Paris, 1858) :
• H résulte des documents dont nous présentons l'analyse que le travail des
ouvriers était bien plus avantageusement rétribué au moyen âge que de nos
jours, comme on peut s'en convaincre par nos indications. » Sur les salaires
d'ouvriers à Bâle, Cologne et Ratisbonne, voy. JA^^ER, Bauhütten, p. 172-174.
336 ECONOMIE SOCIALE.
Les offrandes généreuses faites par les ouvriers aux œuvres de
bienfaisance ou aux églises ne peuvent d'ailleurs s'expliquer que par
le grand bien-être dont ils jouissaient. Les compagnons boulangers
de Colmar donnent en 1495, pour la procession du Saint Sacrement,
quatre cierges valant chacun vingt florins (d'après la valeur actuelle
de l'argent, environ deux cents florins '). A Xanten, sur le Rhin, les
seize compagnons cordonniers de la ville offrent pour l'achat d'un
tableau et la décoration d'un autel cinquante-sept florins; de plus,
douze florins tirés de leur caisse particulière*. A Danzig, en 1408,
les porteurs de charbon, de blé et de bière offrent deux cents marcs
pour la construction de l'église Sainte-Marie, et font en outre ter-
miner une verrière à leurs fraisa
L'aisance dont jouissaient les ouvriers exphque seule les ordon-
nances si souvent réitérées qui restreignent le luxe d'habillement
par lequel ils cherchaient à s'égaler à la plus haute bourgeoisie. Aux
diètes de Fribourg et d'Augsbourg (1498 et 1500), il leur est interdit,
pour leurs chausses et capuches, d'employer du drap coûtant plus
de trois quarts de florin l'aune; il leur est aussi enjoint de se servir,
pour leurs habits et manteaux, de drap du pays, « dont l'aune ne doit
pas coûter plus d'un demi-florin ■ . L'or, l'argent, le velours, la soie,
les perles, le camelot, les robes déchiquetées leur sont défendus*.
« Sache, compagnon ouvrier ;, àitV Exhortation chrétienne, « qu'une
dépense exagérée pour tes habits, l'or, l'argent et tous ces autres
objets de luxe ne te conviennent nullement. Ne dis pas : Je gagne un
bon salaire, je peux bien me permettre cette dépense; car ton âme
ne peut pas se la permettre, et cette prodigalité est contraire à la
modération chrétienne qui convient à ta profession. Il est juste que
tu reçoives un bon salaire; tu dois être bien nourri; tu peux, si tu
le veux, avoir trois, quatre habillements, plus encore si ton gain
se rapporte à cette dépense, et alors il te sera honorable de les por-
ter; mais souviens-toi que la prodigalité te dérobe ton âme; elle
est très-nuisible aussi à ton corps, car elle engendre des vices de
toutes sortes. Que ton cœur reste courageux et pur, ton corps
vigoureux et sain! Pour cela, use, dans tes moments de loisir, des
récréations qui te sont permises, comme les exercices du corps, le
jeu de flèches, d'arbalètes, le bain, ou tout autre délassement ^ »
1 SCHANZ, p. 80.
- Pelz, p. 27.
' Voy. Hirsch, Danlziger Handel, p, 219, note 905.
* A'eue Sammlung der Reisshsabschiedc, t. II, p. 47, 79.
' Page 19».
POSITION CONSIDÉRÉE DES OUVRIERS. 337
m
« Une sollicitude particulièrement attentive aux besoins des classes
laborieuses, pour la propreté et la bonne tenue des artisans, des
serviteurs, des pauvres, a établi des bains dans les villes et les vil-
lag^es ', poursuit le livre déjà cité, « et c'est une habitude très-louable,
très-profitable à la santé, que de se baigner au moins tous les quinze
jours '. »
Les établissements destinés aux ouvriers, où, soit g^ratuitement,
soit pour quelques liards, ils pouvaient se baigner, étaient très-nom-
breux dans les villes. A Lübeck, dès la tin du treizème siècle, chaque
rue avait le sien *. Au quinzième siècle on en comptait onze à Ulm,
douze à Nuremberg, au moins quinze à Francfort, vingt-neuf à
Vienne'. Toute bourgade ayant un marché et presque chaque village
avait ses bains *. Les ouvriers s'y rendaient ordinairement tous les
samedis '. Aussi commençaient-ils dès le samedi le repos du dimanche;
dans beaucoup de corporations, ils recevaient un salaire supplémen-
taire « pour le bain ». Les ouvriers qui avaient terminé une tâche y
avaient droit. A Ratisbonne, comme nous l'apprend le registre de
la commune, on donnait aux journaliers, au lieu de pourboire, " des
liards de bain^ ". On gratifiait souvent les apprentis d'une petite
somme pour le même usage. " Ils doivent avoir grand soin de bien
l'employer », dit V Exhortation chrétienne, ^- car tout travailleur, petit
ou grand, doit tenir son corps proprement; cela profite aussi à
l'âme ^ »
Les pauvres n'étaient pas oubliés. A Francfort, les bourgmestres
recevaient tous les samedis un certain nombre de liards et de bons
qu'ils distribuaient aux pauvres rassemblés autour des établisse-
ments de bains ^ Dans les villes, de bonnes gens déposaient sou-
vent entre les mains des magistrats une somme fixe, un petit
' Patîe \9^.
- Pauli, Lübecler Zustände, p. 42.
' Kriegk, Bürgerlhum, Xeuc Folge, p. 15-21.
* Kriegk, p. II. — Mo.ne, Zeitschrl/i, t. XII, p. 19-20, et t. XVII, p. 254. — Jager,
Ulm, p. 497-499.
' Voy. Zappert, Ucber das Badewesen miltelallerlicher und späterer zeit, t. I, p. 58.
• On disait alors Dadegdd, comme on dit aujourd'iiui Trinkgeld, et de même
qu'aujourd'hui les artisans font d'un verre de bière lenjeu d'une partie, on
jouait autrefois le prix d'un bain. Kriegk, p. 12.
' Eym crisiUch ermanung, p. i^^.
' Kriegk, p. 12.
338 ÉCONOMIE SOCIALE.
capital, afin que tous les ans, au jour anniversaire de leur mort, un
bain fiU préparé aux indigents. Ces sortes de fondations portaient
le nom de « bains des âmes n, et les pauvres, récréés par le bain et
par le repas qui le suivait, étaient tenus de prier, ce jour-là, pour le
repos de Tàme de leur bienfaiteur. Beaucoup de ces pieuses donations
permettaient aux pauvres de se baigner gratuitement quatre fois par
an, quelquefois même tous les huit ou quinze jours. A Nuremberg,
au commencement du seizième siècle, les « bains des âmes » s'étaient
tellement multipliés, que le conseil de la ville résolut d'employer une
partie de l'argent qui leur était destiné à d'autres bonnes œuvres'.
Une ordonnance scolaire de Nabburg (1480) prescrit aux maîtres de
conduire leurs élèves au bain le mercredi, parce que « le samedi, les
bains sont trop encombrés par les grandes personnes ". Dans les villes
de sources minérales, on pensait aussi aux pauvres : « Depuis les
temps les plus anciens s dit un document de 1480, « l'entrée des
bains de Baden-Baden a été laissée libre aux indigents pour l'amour
de Dieu ^ "
Outre les bains publics, les maisons de simples ouvriers avaient
fréquemment leurs bains domestiques, servant à toute la famille.
A Ulm, eu 1489, on en comptait cent quatre-vingt-seize. Le linge de
bain faisait alors partie de la garde-robe de toute respectable femme
d'ouvrier, et comptait parmi les choses de première nécessité. « Les
bains pris à la maison », dit V Exhortation chrétienne, " sont bien pré-
férables à ceux du dehors pour l'artisan, car bien des scandales ont
souvent lieu dans ces derniers, ainsi que dans les établissements
publics où l'on se rend pour sa santé ou son plaisir. De tels bains
sont inutiles à ceux qui se portent bien; au lieu que ceux que
l'ouvrier prend à la maison aident à la conservation de sa santé et le
réjouissent après son travail. Aussi sont-ils agréables à Dieu et très-
utiles à la classe laborieuse ^ "
1 Zappert, p. 58. — Maurer, Städlever/assung, t. III, p. 120-123. — Kriegk, p. 22-
23. Les autorités de la ville fixaient le prix des bains et affermaient les établis-
sements de bains, très-souvent avec la condition qu'à certains jours les pau-
vres y auraient libre entrée.
ä/Z»'iVZ.,p. 149.
' Page \2^. Le bain était alors considéré comme très-important pour l'hygiène
et faisait en même temps partie des plaisirs favoris du peuple. On prenait
presque toujours un bain à l'occasion des grandes fêtes. On s'explique facilement
que les scandales fussent fréquents dans les bains publics. Il en est encore ainsi
aujourd'hui dans les villes d'eaux, l^en souvent fréquentées pour de tout
autres motifs que le rétablissement de la santé.
INDÉPENDANCi: KCONOMIQUE DES CORPS DE MKTIEP.. 339
IV
Les corporations, les compagnonnages reliaient ensemble toute la
population industrielle des villes. Ces sociétés qui se rattachaient les
unes aux autres formaient un grand ensemble, un corps hiérarchique
organisé, régi par ses propres règlements et par ses constitutions.
L'ouvrier se regardait comme membre actif d'un petit monde qu'il
aimait, et dont l'honneur et le bon renom ne lui tenaient pas moins
an cœur que la gloire et la prospérité de la cité n'étaient chères au
cœur du bourp,eois. Se sentant à l'aise dans les limites de sa position
sociale, se respectant, lui et sa profession, l'artisan était à l'abri de
ce funeste sentiment d'envie qui voit avec mécontentement et jalousie
ceux qui occupent un rang élevé. Il ne pensait pas que son état le
mit au-dessous de n'importe quel puissant personnage. Il avait une
haute idée de sa profession, et la regardait comme instituée par Dieu
même et nécessaire au bien de tous. Il croyait tenir tout aussi bien
son rang dans l'ordre social que le Pape, l'Empereur, le seigneur
ecclésiastique ou temporel. « Celui qui est arrivé à la maîtrise en sa
profession », dit V Exhortation chrétienne, « n'a pas une charge moins
honorable que n'importe quel dignitaire du pays. " Ce que l'ordina-
tion est au prêtre, l'accolade au chevalier et le grade de docteur au
savant, la transmission de la maîtrise l'était pour l'ouvrier. A ses
yeux, l'ensemble des devoirs du maître constituait une mission élevée,
dont, par un labeur infatigable et une irréprochable conduite, il
s'efforçait de se rendre digne. Les insignes de sa profession lui
tenaient lieu d'armes bourgeoises. Sa demeure, rien qu'en son appa-
rence extérieure, avait un caractère à part, et toutes les personnes
qui composaient sa domesticité et partageaient son labeur faisaient
partie de sa famille et de « sa maison ».
Le travail mis en commun et la propriété inaliénable protégeaient
l'indépendance économique des diverses industries comme de ceux
qui s'y adonnaient et garantissaient l'équitable répartition des béné-
fices. Ils assuraient à la classe ouvrière, dans toutes ses catégories, le
bien-être et l'aisance, et par conséquent l'éducation, la situation
sociale. D'autre part, le système corporatif empêchait l'individu de
s'élever trop au-dessus des autres. La liberté absolue crée incontesta-
blement des fortunes colossales, mais conduit trop souvent à l'exploi-
tation des forces du travail, et par conséquent à l'oppression de
centaines et de milliers d'êtres.
22.
340 ÉCONOMIE SOCIALE.
Les corporations minières avaient de bonne heure mis à profit le
droit d'association, et formaient une catégorie toute spéciale
d' « unions fraternelles ' ".
Le droit allemand avait aussi pris la défense du travail des mineurs
contre l'exploitation. L'ensemble de toutes les constitutions qui les
concernent peut se résumer dans ces paroles empruntées à une
ordonnance minière de Kuttenberg : « Chacun doit se montrer satis-
fait de son travail, et nul n'aura l'audace de s'approprier dans l'oisi-
veté ce qu'un autre a créé au prix de ses efforts et de son labeur, car
le travail et la peine sont sous la protection de la loi. " Aussi s'effor-
çait-on d'empêcher que les propriétaires de mines ne devinssent les
" seigneurs fonciers du travail » et ne fussent libres d'exploiter à
leur guise les ouvriers et les terrains. La prospérité de la mine devait
être dans un rapport exact avec le bien-être des mineurs. La police
minière veillait à la sécurité et à l'hygiène des ouvriers, avait soin
qu'un air salubre circulât dans les souterrains, prenait toutes les dis-
positions nécessaires pour préserver les mineurs des divers accidents
auxquels ils sont exposés, et veillait à ce que des établissements de
bains leur fussent ouverts. Chaque maître était chargé de procurer
dans le quartier où il dirigeait les travaux tout ce qui est nécessaire
à l'entretien de la vie, et cela dans une mesure suffisante; il surveil-
lait la juste répartition des denrées et les établissait à des prix
modérés. Le temps du travail, la tâche, étaient exactement fixés;
ordinairement les mineurs travaillaient huit heures par jour ^ Les
journées étaient plus courtes dans beaucoup d'exploitations, rare-
ment plus longues. La paye était réglée sous la surveillance et avec
le concours des syndics miniers. Elle était établie sur une " base
fixe », et ne pouvait subir aucune modification arbitraire, aucune
augmentation ou diminution subite. Elle était la même pour tout le
district; aucun propriétaire minier ne pouvait payer ses ouvriers
plus ou moins qu'un autre. « Les maîtres ", dit un ancien règle-
ment, « doivent apporter une grande loyauté, un soin charitable
et chrétien à accorder aux mineurs un salaire convenable, afin
qu'ils puissent subvenir à leur entretien, et que l'insuffisance de leur
paye ne les expose pas à dérober. Car lorsqu'on retranche injuste-
' Voy. II. ACHENBACH, Gemeines deutsches Bergrecht, t. I, p. 69. — J. VON RÔNNE-
RITZ.
'BUCHHOLTZ,
. II. ACHENBACH, Gemeines deutsches Bergrecht, t. I, p. 69.
Voy. Weber, Archiv, fur Sächsiche Geschichte, t. V, p. 15.
ÎHOLTZ, t. VIII, p. 244. — ACHENBACH, p. 110.
CO n PO RAT IONS MIMKH ES. 341
ment aux ouvriers et aux serviteurs une partie de leur salaire ou de
leur nourriture, on en l'ait des voleurs domestiques ou des brigands
de {yrands chemins'. ^ Les mineurs qui tombaient malades ou deve-
naient incapables de travailler étaient soutenus par la caisse de
secours de la corporation minière administrée par les doyens de la
compafjnie ou par des employés de la mine. Les veuves et les orphe-
lins recevaient sur cette caisse de quoi subvenir à leurs besoins, et
cela, non à litre de secours charitable, mais comme une pension jus-
tement due '.
L'exploitation des mines est une industrie tout allemande. Elle
se perieclionna en se développant, et devint le modèle de toutes les
entreprises analogues des autres pays. En Bohème, les mineurs
allemands étaient en majorité \ C'est un Allemand qui découvrit les
filons de cuivre écossais et introduisit en Ecosse l'art de l'exploi-
tation minière ^ En 1452, le roi d'Angleterre fit venir nos mineurs
de Misnie, d'Autriche et de Bohème pour exploiter les mines royales ^
Il est probable qu'en France aussi les xVllemauds furent initiateurs,
car la plupart des termes qui se rapportent en français à l'exploi-
tation des mines sont d'origine allemande.
En Allemagne, les travaux des mines créèrent peu à peu des
vallées animées, des villes florissantes là où n'était jadis que la soli-
tude des montagnes et des bois ^ et enrichirent à la fois princes
et ouvriers. Au moyen âge, l'exploitation minière était considérée
comme une « occupation divine, honorable et juste », les mines pas-
' Voy. WeiSKE, Aufsatz icber den Bergbau die Christl-socialen Blätter itS7 5), n°' 49 ei
50. Du même auteur. Der Bergbau und das Bergregal. (Eisleben, 1845.)
* Voy. ACHENBACH, Lie deutschen Bergleute der Vergangenheit, p. 89-92.
^ Fischer, Gesch. des Handels, t. II, p. 319-320.
*Lesle, De BebnsScot., p. 430.
5 Rymer, Fœdera, t. XI, p. 317.
* Sur les villes minières, voy. ;\[0SCH, Zur Geschichte des Bergbaues in Deutsch-
land, t. Il, p. 223. « Après qu'en 1471 on eut. découvert la riclie mine de
Schneebergen Saxe, la ville du même nom s'éleva tout à côté comme par enchan-
tement. Le pays environnant fut exploité et fouillé par suite de i'afttuence des
mineurs. C'est avec la même rapidité que Joachimsthal, en Bohême, devint une
ville prospère après que la mine actuelle y eut été pour la première fois mise
en exploitation (J516). On assure que huit mule mineurs s'y rassemblèrent. Ces
précédents et d'autres semblables n'ont d'autre équivalent dans les temps mo-
dernes que la prompte création de villes nouvelles dans les terres aux riches
minerais de la Californie et de la Nevada. Mais en AIIema;;ne des lois pratiques et
libérales furentpromptement appliquées aux villes ainsispontanémentcréées, et
dans un temps relativement court ces lois furent adaptées aux nouveaux centres
industriels. " Achenb.\.CH, Die deutschen Bergleuten der Vergangenheit, p. 83. Le prin-
cipe de la liberté de la mine régna d'abord en Allemajjne, permettant à chacun
la fouille des rainerais précieux et garantissant à celui qui découvrait un bon
filon une propriété certaine en des limites précises. Cette liberté des mines,
qui fut incontestablement un levier puissant pour leur prospérité, remonte en
Allemagne à la fin du douzième siècle.
342 ÉCONOMIE SOCIALE.
saient pour l'un des plus grands et utiles présents fait par le Tout-
Puissant aux pays allemands, non-seulement à cause des trésors
d'argent, d'or, de cuivre, d'étain, de fer, de plomb, de vif-argent
qu'elles contenaient, mais surtout parce que, grâce à elles, plus de
cent mille Allemands ' trouvaient leurs moyens d'existence. " Les
travaux des champs et des mines -, dit Georges Agricola, " sont éga-
lement dignes de respect, parce qu'ils enrichissent sans faire tort à
personne. Souvent la guerre, même lorsqu'elle est juste, enrichit aux
dépens des innocents. Les receveurs d'impôts et les marchands
s'attirent la haine populaire s'ils font des profits considérables, et
ne font point fortune s'ils sont modérés. Au lieu que, sans léser per-
sonne, nous tirons du sol bien travaillé des bénéfices abondants. Les
mines rapportent encore davantage ^ "
« Parmi les richesses actuelles de l'Allemagne ", écrivait Éncas
Sylvius en 1458, « les filons d'or et d'argent découverts récemment
tiennent une fort grande place. Les mines des monts Kutten en
Bohême; en Saxe, celles du mont Rammel; en Misnie, celles des
Freiberger, Geisberg et Sclineeberg ont montré d'inépuisables
veines d'argent. Dans les vallées de l'Inn et de l'Eus, près de Saint-
Léonard et dans le comté de Styrie, les ducs d'Autriche ont aussi
découvert des mines fécondes. Le Rhin roule delà poussière d'or, et
la Bohême possède des fleuves où les Taborites trouvent des grains
d'or de la grosseur d'un pois. L'Allemagne possède en abondance le
fer, le laiton, le cuivre, et reçoit l'or de la Hongrie ^ »
La mine d'argent découverte dans l'Erzgebirge (1471) était l'une
des plus productives de l'Allemagne. Dans les premières années,
elle rapporta environ 352,000 quintaux d'argent. Le syndic minier
faisait faire des tables et des chaises avec la matière brute. Le duc
Albert de Misnie se fit un jour servir son repas dans un minerai
d'argent pesant 400 quintaux. Souvent, au lieu de payer les mineurs en
argent monnayé, on leur donnait leur salaire sous forme de gâteaux
d'argent *. Entre 1490 et 1500, on tira des mines de Glashütte et de
Schreckenberg, dans la région méridionale de l'Erzgebirge, un pro-
duit net de 24,838 florins du Rhin. Les mines d'étain d'Altenberg
rapportaient annuellement (entre 1490 et 1500) cinq à six mille quin-
taux d'étain. On tira, entre 1476 et 1499, au moins 125,000 thalers
des mines d'argent de 1' Annaberg; en 1505, le produit s'éleva à
' Voy. Bl'CHHOLTZ, t. VIII, p. 245.
* Voy. ROSCHER, Gesch. der Xationalnhonomik, p. 49-.'0.
3 De ritu, silu, moribus et comUlione Germaniœ descriptio, dans l'édit. des OEuvres
d'/EncasSyhius, Bâle, 1053-1086.
* FiSCriER, t. II, p. 481. — Gmelin, Beyträgc zur Geschichte des deutschen Bergbaut,
p. 306. Ln 1478, une fouille de trois mois rapporta deux tonnes d'or.
RICHESSES MINIÈRES. 343
400,000 florins; en 1504 on partagea entre tous les ouvriers plus
de 10,000 thalers'.
Les mines du territoire de Mansfeld rapportaient des sommes
presque égjales. « Les comtes de Mansfeld » , dit une chronique
minière, " ont dans leurs domaines une mine de schiste incompa-
rable; ce schiste produit du cuivre dont le quintal se vend de vinjjt
à vingt-quatre onces d'argent, résultat si considérable qu'on y peut
à peine croire. 11 semble que le sol soit inépuisable; de quelque
côté qu'on l'entr'ouvre, on y découvre des trésors. Dans les années
médiocres, on en tire de 8,000 à 15,000 quintaux de schiste; dans
les bonnes, de 13,000 à 30,000«. .)
Les montagnes de Bohème étaient d'une telle richesse minérale
que, dans les environs de Bergreichenstein, trois cent cinquante
moulins à or fonctionnaient journellement ' ; et cependant elles
étaient encore bien moins productives que les riches mines d'or du
Riesengebirge *.
On a calculé que les mines de Salzbourg rapportèrent plus de
40 millions de monnaie d'or et d'argent en l'espace de deux cents
ans. Le Tyrol aussi renfermait d'inépuisables richesses. Les bords
de l'Adige passaient dans l'Allemagne du Sud pour une source d'or
intarissable. A elle seule la mine de Schwaz rapportait annuelle-
ment 300,000 florins à la cour de Vienne. En 1483 on y frappa
48,000 marcs d'argent pur \
« Pour apprécier les sommes considérables que les Allemands
tirent de leurs mines et de leur commerce », dit Enéas Sylvius, ^ il
ne faut qu'examiner leurs mobiliers, le luxe de leurs habillements,
leurs tables chargées de vaisselles d'argent. » « Quelle est celle de
vos auberges », demande-t-il au chanceHer de Mayence Martin Mayer,
>' où l'on ne serve à boire dans de l'argent? Quelle est la femme (je
ne parle pas ici de la noblesse, mais de la bourgeoisie) qui n'ait des
parures d'or étincelantes? Que dirais-je des chaînes de col des che-
valiers, des mors de leurs chevaux travaillés avec l'or le plus pur, de
leurs éperons et gardes d'épée ornés de pierres précieuses, de leurs
bagues, ceinturons, casques, harnais qui tous resplendissent d'or?
Que vos meubles d'église sont riches ! que de reliques sont enchâs-
sées dans l'or et les perles! que vos autels sont splendidement ornés!
que vos prêtres sont magnifiquement vêtus ! Quelles richesses con-
^ Gmelix, p. 302-304, 351-352. A la même époque la Saxe trait d'immenses
revenus de ses inestimables mines de sel à Halle et Goslar. Fischer, t. II, p. 484.
- FiscHEU, t. II, p. 482-4.S3.
' Peithnet., Gesch. der böhmischen und mährischen Bergwerke, p. II,
* Fischer, t. II, p. 484.
* Ibid., p. 485-486. — SpergeS, Tyrolische Bcrgwerksgetchichte, p. 88.
zu ECONOMIE SOCIALE.
tient rintérieur de vos sacristies * ! « « Il n'est pas rare, dit Wim-
pheling, qu'à la table des marchands on soit servi dans de la
vaisselle d'or et d'argent. Moi-même, un jour, à Cologne, j'ai été
traité de cette manière avec onze autres invités. Les marchands alle-
mands établis à l'étranger font souvent venir de leur pays, pour leur
ameublement, des objets d'or et d'argent pesant 30, 40 et souvent
jusqu'à 150 livres. Ils mènent grand train, et tirent vanité de leurs
plats et gobelets, surtout en présence des étrangers. » Ce témoi-
gnage rappelle ce que raconte Jérôme lilïinzer, médecin de Nurem-
berg, de l'accueil qu'il reçut des marchands allemands de Barcelone ^
(1494), « Nos riches négociants ", dit encore Wimpheling, « font
circuler l'or et surtout l'argent de notre pays dans presque toutes
les contrées de l'Europe ^ « « La Germanie est riche et puissante par
son industrie et son commerce >', dit le Livre des Chroniques (1493).
« En fait de richesses minérales, elle ne le cède à aucun autre pays de
la terre, et tous les peuples. Italiens, Français, Espagnols, etc., tirent
des marchands allemands presque tout l'argent dont ils font usage*. -
' De rillt, etc., 1055. — SPITTLER, Gesch. U'irtemhergs, p. 69.
- Miinzer rencontra dans son voyage des marchands allemands d'Augsbourfj,
d'Ulni, de Ravensbourg, etc., à Barcelone, Valence, Lisbonne et d'autres
villes de la péninsule des Pyrénées. Lui et ses compagnons furent traités avec
un grand faste par les marchands de Barcelone. « Invitati ad eorum domos ex
solo auro et argento bibimus et comedimus more Cathelauorum et steterunt
continue musici cum diversis generibus instrumentorum. ut recrearemur, fece-
runt coreas, saltationes more .Maurorum. » Ku\stma>\, p. 296-298. D'après ce que
rapporte Conrad Celtes, presque toute la vaisselle des marchands de Nuremberg
était en argent.
^ A la fin de son livre : De arte imprcssorta.
* L'Angleterre tirait l'argent monnayé de la haute Allemagne; le Danemark
et la Norwége, des villes hanséatiques les plus proches. • Si l'on réfléchit, dit
Fischer (II, 489), que sur beaucoup de mines dont l'existence est hors de doute,
nous manquons absolument de renseignements, et que sur d'autres mines
très-fécondes comme celles de Freyberg, Annaberg, Marienberg, nous n'avons
que des documents incomplets offrant de grandes lacunes, on ne pourra hésiter
à reconnaître que l'Allemagne était le Mexique et le Pérou des Européens
d'alors. • Voy. aussi p. 511.
CHAPITRE m
LE COMMERCE ET LE CAPITAL
En même temps que les corporations ouvrières, les villes avaient
vu se fonder de toutes parts des compagnies commerciales, embras-
sant, elles aussi, tous les intérêts sociaux de leurs membres, et for-
mant des sociétés solidement établies. Leurs vues morales et reli-
gieuses, les devoirs de mutuel appui obligeant tous leurs associés
étaient les mêmes que dans les corporations; comme les corpora-
tions, elles avaient des privilèges particuliers; un appareil spécial de
justice, un tribunal exerçant le droit de punir; des revenus mobiles
et un capital inamovible consistant principalement en maisons de
réunion, entrepôts et magasins; la famille des compagnons mar-
chands était de droit sous la protection de la compagoie, ainsi que les
apprentis et les aides. Mais tandis que les corporations se rappor-
taient àTéconomie industrielle en généralet se proposaient principale-
ment la protection des métiers et l'extension générale de l'industrie,
les compagnies marchandes avaient pour premier but de procurer à
leurs membres le plus d'avantages commerciaux possible, et d'obtenir,
soit le droit exclusif d'exercer le commerce dans tel ou tel pays, soit
le monopole de la vente d'un produit.
Non-seulement dans les villes allemandes, mais aussi dans les pays
étrangers oii florissait notre commerce, ces compagnies (appelées
aussi hanses ') s'étaient depuis longtemps établies et avaient obtenu
des souverains et des gouvernements de nombreux privilèges com-
merciaux, ainsi que la liberté d'association.
' Le mot Hansa,h\en que synonyme Aegüda, fut surtout et d'abord employé en
Anfïleterre pour signifier une association marcliande. — Sartorius, Gesch. der
deuisckcn Hansa, t. I, p. 73-75. On trouve déjù le mot de hansa dans ülfilas, pour
signifier eoÄor* ou multitude. — Voy. aussi Maurer, Stadieverfassung, t. II, p. 254,
note 1.
346 ÉCONOMIE SOCIALE.
Peu à peu, les hanses particulières des villes de l'étranger se fon-
dirent en une seule et même société, et formèrent un corps puissant,
fermé aux étrangers et leur faisant concurrence.
C'est ce qui eut lieu à Londres : les diverses compagnies mar-
chandes de Cologne, Hambourg, Lübeck, etc., s'unirent et formèrent
la " Compagnie générale des marchands allemands ». Chaque asso-
ciation prise à part garda son indépendance, mais l'Union générale
devint l'organe autorisé de tous les droits et devoirs communs. En
sa qualité de corps hbrement constitué, elle concluait des contrats
avec la ville et se portait garante des privilèges commerciaux des
hanses particulières. A la maison centrale, un " alderman », aidé
des membres du conseil, rédigeait les lois, les règlements, et les
soumettait à l'approbation des associés le jour de l'assemblée géné-
rale. La maison centrale était située dans un vaste enclos " bien
protégé » où se trouvaient les logements, les entrepôts, les bou-
tiques. Elle prit le nom de Stahlhof et fut donné en toute propriété
à la compagnie par le roi d'Angleterre en 1474. La Hanse générale
avait droit de juridiction et droit de punition dans une mesure
très-étendue; elle exerçait une police sévère. Sur la caisse commune
formée par les contributions, les amendes et les taxes, elle payait
les gages des employés et des serviteurs, faisait les présents et les
dons honorifiques, et subvenait aux frais généraux d'entretien. Les
associés vivaient entre eux dans une communauté presque monastique,
et sous le rapport religieux étaient dans une étroite union *.
• Les documents relatifs à la Hanse générale de Bergen, en Nor-
vège, nous retracent le fidèle tableau de cette vie commune. La
Hanse y possédait vingt et un établissements indépendants formant
ensemble deux paroisses et séparés les uns des autres par des palis-
sades ou de solides murailles. Ils étaient entourés de longs bâtiments
de bois s'éteudant au loin. Chaque établissement avait son nom, son
enseigne particulière, et sur la rive, son débarcadère, où les bate-
liers déchargeaient les marchandises. L'établissement recevait géné-
ralement quinze « familles » ou « compagnies de table » composées
de maîtres, de compagnons et d'apprentis. La " famille » était gou-
vernée par celui qu'on appelait le « maître de maison " (Usbonde),
chargé d'exercer une surveillance générale sur les employés de com-
merce, les ouvriers, les domestiques, de pourvoi'* à leur entretien et
de maintenir la discipline. Les intérêts communs étaient confiés à un
' Lappenberg, llrhundl. Gesch. des hansischen Stahlhofes tu London [YidJOboMTQ, 1851).
Dans la « taverne du Rhin ^ associée à la hanse allemande, les compagnons de
William Shakespeare, les plus joyeux gourmets de Londres, se régalent du vin
du Rhin, de langue de bœuf fumée et d'autres mets allemands. — Bai\thold,
Gesch. der deutschen Hansa, t. II, p. 131. — Voy. 0. Schwebel, Der Hansische
Stahlhof zu London (18S1)
ASSOCIATIONS DES MARCHANDS ALLEMANDS A L'ÉTRANGER. 347
« alderman « nommé par élecfion. Dans les bâtiments qui s'éten-
daient autour de l'enclos se trouvaient, à l'étage inférieur, les
boutiques d'élalage et les hangars de marchandises. Au-dessus
étaient les parloirs, les chambres à coucher des facteurs et autres
habitants de la maison, la cuisine et le < petit schutting " qui ser-
vait aux " familles '> de salle à manger et de parloir. Au fond de
l'enclos, un solide bâtiment de pierre renfermait, dans ses sous-sols,
des caves silres, des celliers pour les marchandises précieuses. En
haut était le ' grand schulting =>, salle commune où les « familles »
se tenaient pendant l'hiver et prenaient leurs repas. Contre les
murailles de cette salle, de nombreux foyers étaient éîablis, servant
de fourneaux de cuisine et chauffant tout l'emplacement. Le soir,
chaque " famille " rentrait dans sa chambre à coucher. Des veilleurs
armés et des chiens féroces, déchaînés la nuit, défendaient contre
les voleurs. Tout, dans l'enclos, était soumis à une discipline exacte
et sévère. Les heures de travail, les récréations, les repas, les assem-
blées réglementaires et les plaisirs pris en commun étaient fixés par
une loi stricte, et toute tentative pour se soustraire à la discipline
était rigoureusement punie. Le nombre des associés des établis-
sements réunis variait, à partir de la seconde moitié du quinzième
siècle, entre deux et trois mille ; les femmes en étaient exclues et ne
pouvaient pénétrer dans l'enclos. Un des associés s'étant marié,
perdit pour toujours le droit de faire partie de la compagnie. Les
autorités élues se chargeaient de toutes les parties de l'administration
et rendaient la justice de leur autorité privée. Celui qui voulait entrer
dans l'association devait s'engager à y rester dix ans. Les jeunes
gens parcouraient successivement tous les degrés de la science com-
merciale depuis l'apprentissage; et c'est ainsi qu'au milieu d'une
lutte continuelle avec une mer redoutable, dans un pays rude et
montagneux, entravée par un climat sévère, sous des lois rigou-
reuses, soumise à un âpre labeur, se forma l'une des plus excellentes
écoles de commerce de l'Allemagne du Nord.
Les jeux proposés aux apprentis de Bergen suffiraient seuls à
nous faire comprendre comment était formée la génération d'acier,
endurcie à toute souffrance, qui y était élevée. Les principaux étaient
ceux du ;< fouet ^ et de 1' « eau »; ils avaient lieu pendant les fêtes
de la Pentecôte. Pour le jeu de l'eau, les apprentis, après un repas
plantureux, étaient plongés sans vêtements dans la mer; on les
jetait çà et là parmi les vagues encore glacées par l'hiver, puis on
les en retirait à moitié transis, et ils étaient fouettés de verges par
quiconque pouvait les atteindre jusqu'à ce qu'ils aient pu reprendre
leurs vêtements. Le « jeu du fouet « était encore plus terrible.
Eu grande pompe, après toutes sortes de cérémonies, les apprentis
348 ÉCONOMIE SOCIALE.
recevaient de dix " husbondes » et de compagnons désignés d'avance,
de rudes coups de fouet; puis venait un repas de fête où ils étaient
obligés de servir toute la compagnie et par conséquent leurs bour-
reaux. Avant la flagellation, le doyen des " maîtres de maison ) les
exhortait, dans un discours solennel, à la bonne tenue, à la probité, au
travail, à l'obéissance; il les mettait en garde contre l'ivrognerie,
l'esprit querelleur, etc. Le jeu qui allait avoir lieu, leur disait-il, était
destiné à servir d'épreuve, et celui qui ne croyait pas pouvoir s'y
soumettre jusqu'au bout avait encore toute liberté de se retirer.
Chacun alors acceptait 1' < épreuve ». Pendant sa durée, si quelque
apprenti, vaincu par la souffrance ou la fatigue, s'asseyait, il était le
lendemain matin plongé dans la mer ' pour être fortifié ' ".
La réunion de toutes les compagnies des villes d'un même pays en
unseul et même corps nous offrira dansunplus vasterayon un exemple
du système d'association commerciale à cette époque. En Angleterre,
les hanses de Lynn, Boston, York, Bristol, Ipswich, Norwich,
Yarmouth, Hull et autres s'unirent à la grande hanse de Londres, et
se firent représenter par elle en dehors du pays. L'aldérman placé à
la tête de cette union générale avait par conséquent sous sa direc-
tion le commerce allemand de toute l'Angleterre. La puissante com-
pagnie commerciale de Novogorod s'organisa de la même manière.
Elle réunit tous les marchands allemands en un seul corps, et fit con-
currence au commerce russe. Dans les pays Scandinaves, la grande
compagnie de Wisby, dans l'ile de Gottland, joua le même rôle,
ainsi qu'à Bruges le célèbre « Komtoor ", centre de toutes les com-
pagnies marchandes des Pays-Bas. Dans l'intérêt de la bonne admi-
nistration, pour le maintien et la défense des droits commerciaux, le
Komtoor était divisé en trois branches : les villes du pays de
Lübeck, les cités weudes et saxonnes formaient la première; la
seconde reliait les villes de \Vestphalie et de Prusse; enfin la troi-
sième comprenait les villes de Gottland, de Livonie et de Suède.
Chaque division constituait un corps séparé et exerçait, par l'entre-
mise de chefs élus, l'autorité judiciaire et la justice de paix. Dans
les délibérations générales, la majorité faisait loi*.
Cette sorte de confédération partagée en trois cercles et s'inli-
tulant : « Compagnie des marchands réunis du Saint-Empire d'Alle-
magne ", devint le point de départ de la " Hanse générale allemande ' .
Tandis que le système d'association se développait à l'étranger
' Voy. Falke, Gesch. des deutschen Handels, t. I, p. 221-230. Dans le SudiUwf de
Londres, on ne trouve aucune trace de ces jeux dans lesquels la force de résis-
tance physique et la fermeté d'âme du pauvre novice étaient éprouvées d'une
manière presque inhumaine. — Barthold, t. II, p. 134.
* GiERKE, t. I, p. 352-357. — Falke, Gesch. des Handels, t. I, p. 230-23i.
LA HANSE ALLEMANDE. 349
(l'une manière si grandiose, à l'intérieur de noire pays, au nord et
à l'ouest, beaucoup de villes commerçanlcs entraient aussi dans
une étroite ligue défensive et offensive pour le maintien de la
paix, la sécurité des échanges, la régularisation des questions judi-
ciaires, les douanes et le change. C'est ainsi que se forma peu à peu
l'Union générale des villes, société fondée sur la libre alliance de
toutes les compagnies commerciales appartenant d'origine et de
droit à la basse Allemagne. De l'union de cette confédération avec
la Hanse générale existant déjà à l'étranger, naquit la célèbre Ligue
Hanséatique, où entrèrent peu à peu toutes les villes de l'Allemagne
du Nord, depuis Riga jusqu'aux frontières de Flandre, et, au sud,
jusqu'au pied des montagnes de la Thuringe.
La Hanse était divisée, comme le « Komloor ;> de Bruges, en
sections, ou « quartiers » dont les limites et l'étendue variaient
fréquemment. Elle fut enfin définitivement partagée en quatre
quartiers. Lübeck était le centre du quartier wende; Cologne, du
quartier rhénan ; Brunswick, de la Saxe, et Danzig, de la Prusse et
de laLivonie. En dehors de la Hanse, les villes du duché de Clèves,
de Westphalie, de Gueidre, de Frise, de Poméranie, etc., formèrent
des associations particulières.
La Hanse représentait les marchands allemands à l'étranger,
■défendait les droits des compagnies commerciales, assurait et
multipliait leurs libertés, veillait à la sécurité marchande sur les
mers eu appareillant des vaisseaux destinés à combattre les pirates,
réglait tous les intérêts commerciaux, posait, en un mot, par l'exer-
cice de sa vaste autorité les premières assises d'un droit commer-
cial universel. Jouissant d'un pouvoir législatif sans restriction dans
les questions de commerce et de marine marchande, jugeant et punis-
sant à l'intérieur de son administration, y maintenant la paix et la
justice, elle formait un vaste État dans l'État. Cependant elle nuisait
aussi peu au pouvoir et à l'unité de l'Empire que, dans un cercle plus
restreint, les corporations et unions marchandes nuisaient au pou-
voir et à l'unité des villes. Bien que la Hanse ne s'appuyât point sur
l'Etat, ses sentiments envers l'Empire étaient pleins de dévouement.
Les armes qu'elle s'était choisies suffiraient presque à nous le
prouver. A côté de la clef des armoiries de Novogorod; à coté de la
morue de celles de Bergen, apparait dès le quinzième siècle le demi-
aigle double; les armes du Stahlhof de Londres et du Komtoor de
Bruges portent l'aigle tout entier '.
' Voy. les armoiries dans le second vol. de Sartorius, Gesch. der Hansa. —
SCHLÖZER, Verfall und Unler gang der Hansa, ^. 80-82,
350 ECONOMIE SOCIAL t.
II
C'est au quinzième siècle que la Hanse atteignit son plus haut degré
de puissance. Son autorité commerciale s'étendait en Russie, en Suède,
en Danemark, en Norvège, en Angleterre et en Ecosse , en France,
en Espagne et en Portugal, dans tout l'intérieur de l'Allemagne, en
Litlmanie et en Pologne. La Russie et les pays Scandinaves lui
étaient, commercialement parlant, entièrement assujettis. Quant à
l'Angleterre, au même point de vue, elle se trouvait vis-à-vis de
l'Allemagne dans la situation où l'Allemagne est actuellement vis-
à-vis d'elle '.
Entre les villes hanséatiques Danzig tenait le premier rang et
avait su conquérir une importance universelle. Dès le commencement
du quinzième siècle, cette ville élait en rapport direct avec tous les
pays entrés par leur marine marchande dans le réseau hanscatique,
et s'était frayé des voies particulières en Lithuanie, en Pologne et en
Hongrie. Ses marchands tiraient des pays Scandinaves le fer, le cuivre,
la pelleterie, les poissons, la résine, la poix, le goudron, plusieurs
sortes de bois, et y importaient surtout le drap fin, les soieries, le
velours, les métaux, le froment, le seigle, le lin, le chanvre, le hou-
blon, l'huile, les vins d'Espagne et du Rhin, les épices et la toile *. De
Lisbonne, ses vaisseaux exportaient du bois, de la farine, de la bière,
des poissons séchés, et y apportaient du sel, du liège, de l'huile, des
figues, des oranges, des vins fins et des fourrures précieuses. Pro-
tégés par le gouvernement portugais, les marchands de Danzig
exportaient aussi du bois de construction pour les navires '. Leur
commerce était très-actif sur les rives de la Galicie et les bords occi-
dentaux de la France, surtout à Raie ^, port situé au sud de Nantes,
d'où ils tiraient, entre autres marchandises, le fameux sel du pays.
En 1474, soixante-douze vaisseaux de Danzig abordèrent en Rre-
1 Voy. KiSSELBACH, Der Gang des irellhandcls, p. 235. — Les marchands des
hanses anglaises étaient appelés Easterlings ou marchands de l'Est, par oppo-
sition aux marchands de l'Ouest, c'est-à-dire aux Belges et aux Hollandais. Le
mot sterling ou livre sterling est une abréviation à'easterling, parce que pendant
longtemps tout l'argent qui circulait en Angleterre provenait de la Hanse. —
LiST, Gesammelle Schriften, t. HI, p. 37.
* Sur le commerce hanséatique avec la Russie et les pays Scandinaves, voy.
aussi Beer, Allgcm. Gesch. des Welthandels, t. I, p. 253-261.
^ Voy. Hirsch, Danlzigs Handelsgeschichte, p. 271-272.
* Voy. Hirsch, p. 90-92, et ses observations sur ce sujet dans laCkroniquc de
Wcinreich, t. VIII, note 3.
LA IIANSF ALLEMANDE. 35t
tagne, et cinquante et un de ses navires mouillèrent à la fois à
rcmbouchuredc la Vistule'. Le commerce avec i'Anglelerre formait
pour Danzig la plus importante branche d'échan^yes^ Elle y impor-
tait ses céréales, ainsi que les bois de consiruclion des rives de la
Vistule, et exporlait les laines anglaises. Danzi{j envoyait souvent
en Angleterre de six à sept mille vaisseaux chargés de blé, et expor-
tait la laine et les fourrures. Ses marchands apportaient à la
Flandre différentes espèces de bois et de céréales, et en rapportaient,
surtout de Bruges, centre commercial de tous les peuples, les pro-
duitsvariés de l'industrie universelle. Le commerce de Danzig avec la
Hollande était si considérable que rien qu'en une seule année (1481),
onze mille de ses navires, grands et petits, y apportèrent du blé.
Les Hollandais, de septembre 1441 à mai 1447, par conséquent en
l'espace de cinq ans et demi, payèrent à la ville de Danzig plus
de douze millions, c'est-à-dire, d'après la valeur actuelle de l'argent,
environ cent vingt millions de thalers \ Danzig formait de véri-
tables flottes, composées de trente à quarante navires, et chacune
d'elles, de par l'autorité de la ville, était suivie de vaisseaux de
guerre destinés à la protéger.
Une discipline sévère régnait sur les navires hanséatiques. Lorsqu'un
bâtiment avait atteint la pleine mer après une demi-journée de
traversée, le capitaine rassemblait tous les marins et voyageurs, et
leur tenait le discours suivant : « Nous voici entre les mains de
Dieu. Nous sommes livrés aux vents et aux vagues, nous aurons à
partager les mêmes périls; c'est pourquoi, ici, tous doivent être
égaux : nous aurons peut-être à affronter des ouragans soudains,
la rencontre de pirates; des dangers sans nombre nous menacent
au milieu des flots redoutables. Aussi notre voyage ne pourrait-il
bien s'effectuer si nous ne commencions par établir une ferme disci-
pline. Avant tout, prions. Chantons à Dieu de pieux cantiques; obte-
nons du Seigneur un bon vent et une heureuse traversée; ensuite,
selon le droit marin, nous nommerons des éclievins pour le main-
tien de la justice. " Alors, avec l'assentiment des assistants, on
procédait à l'élection d'un bailli, de quatre échevins, d'un justicier
chargé de punir ceux qui seraient en faute, et d'autres fonction-
naires encore. Puis la loi marine était proclamée : « Il est interdit
de jurer par le nom de Dieu, de prononcer le nom du démon, de
' IIIUSCH, dans la Chronique de IVeinreich, t. VIIL
* Sur le commerce anglais à Danzig, voy. : Hirsch, Dantzigs Handelsgcschichte,
p. 98-116.
^ Hirsch, Dantzigs Handelsgcschichte, p. 98-116. En 1428, cent seize vaisseaux
hollandais et anglais entrèrent à Danzig. — Voy. Ropp, Hanserecesse (Leipzig,
1876), vol. I, IX, note 1.
352 ÉCONOMIE SOCIALE.
s'endormir pendant la prière, d'aller et venir avec des lumières; de
gaspiller les denrées alimentaires; d'empiéter sur les droits du caba-
retier; de jouer aux dés ou aux cartes après le coucher du soleil;
d'empêcher le cuisinier de bien rempHr ses fonctions; d'entraver les
manœuvres des matelots, le tout, sous peine d'amende. » On menaçait
de sévères punitions corporelles ceux qui dormiraient au lieu de faire
le quart, feraient du tapage à bord, sortiraient leurs armes de leurs
fourreaux, causeraient, en un mot, quelque désordre. Lorsque la
traversée approchait de sa fin, le bailli et les échevins réunissaient
de nouveau l'équipage; le premier se démettait de sa charge en
disant : " Pardonnons-nous mutuellement tout ce qui s'est passé pen-
dant la traversée; regardons-le comme mort et non avenu; nous
avons rendu les sentences nécessaires dans un esprit de justice et
d'équité; aussi, je demande à chacun, en toute loyauté, d'oublier
l'inimitié qu'il pourrait avoir conçue pour un autre, et de jurer, sur
le sel et le pain, de n'y plus jamais songer avec amertume. Cepen-
dant celui qui se croirait lésé dans ses droits peut, d'après l'ancien
usage, porter plainte devant le bailli du bord et réclamer justice
avant le coucher du soleil. " Chacun mangeait ensuite le pain et le
sel; on renonçait mutuellement à toute rancune; une fois le vaisseau
entré dans le port, le tronc contenant les amendes était confié au
bailli, afin qu'il en distribuât le contenu entre les pauvres.
L'importance des navires de Danzig, calculée d'après les charges
de céréales ou d'après les tonneaux, peut s'apprécier par les chiffres
suivants : ils étaient de quarante à douze cents tonneaux et recevaient
de soixante à trois cents charges de blé. Le fameux Pierre de
Z)an2/(/ porta même jusqu'à deux mille deux cent cinquante charges de
sel (1474); il avait souvent à bord quatre cents hommes d'équipage.
Pourvus de gaillards d'avant solides, quelquefois même doubles, les
plus importants navires de Danzig faisaient en même temps le service
de marine de guerre et de marine marchande '. Danzig, utilisant
avec intelligence ses richesses forestières, déploya pour la construc-
tion des vaisseaux une activité remarquable. Aussi les bâtiments sortis
de ses chantiers étaient-ils très-recherchés, ainsi que toute matière
brute ou fabriquée destinée à la marine et provenant de ses ateliers.
Danzig, dans la plupart de ses opérations commerciales avec
l'étranger, était associé à Lübeck *, ou du moins aidé de sa coopé-
ration. Lübeck devait toute sa richesse commerciale à ses vastes
échanges avec Kiga, Revel, Dorpat, INovogorod et les villes russes,
échanges dont le monopole lui ùit longtemps conservé. C'est
' Voy. J. D., ll'undercr's Reisebericht, dans les Arch, de Francfort de FiCH.vnD, t. Il,
p. 245.
* Hirsch, Dantzig's Hand.Ujcschicktc, p. 133.
ESSOR DU COMMERCE. 353
par le canal de Lübeck que les malièi-es premières russes, ainsi
(pie les prodiiils <lcs plaines de la Polo{jne et de la Lidiuanic (bois,
goudron, loiirrures communes et fines, cuirs et cuivre, cire, miel,
graisse, viande, céréales et lins), étaient importés en Occident, et
que les produits naturels et les œuvres d'art d'Allemagne, de Filandre
et d'Angleterre étaient exportés dans le rsord. La célèbre bière de
Lübeck s'expédiait dans tous les pays du rs'ord, et la prospérité com-
merciale de cette ville allait toujours en croissant. Les étrangers y
affluaient. C'était, parmi les ports de la Baltique, le centre principal
de ces grandes caravanes de marchands, d'artisans, de chevaliers, de
voyageurs de toute condition, qui, jusqu'au seizième siècle, se ren-
daient tous les ans en Livonie '. " Lübeck possède de telles richesses,
un si grand pouvoir ; , écrivait yËneas Sylvius en 1458, < que le Dane-
mark, la Suède et la Norwége sont accoutumés à élire et à déposer
les rois sur un signe d'elle ^ ".
Le commerce de Breslau avait aussi une grande importance. Par
ses relations avec Vienne et Presbourg, il mettait la Belgique en
com.munication avec le Danube, atteignait l'Elbe supérieur en passant
par Prague, Brème et Leipzig, descendait les pentes de l'Allemagne
du Sud jusqu'à l'Oder, et là, partageait avec Stettin l'empire com-
mercial du pays ^
Les villes rhénanes saxonnes, celles de la haute Allemagne et de
l'Allemagne du Sud, avaient aussi un commerce florissant : " Cologne,
par ses vastes affaires et ses inestimables richesses ", dit Wim-
pheling, " est la reine du Bhin. Que dirais-je de Nuremberg qui
entretient des relations avec presque tous les pays de l'Europe et
débite au loin son orfèvrerie d'or et d'argent, ses ouvrages artis-
tiques de cuivre, de bronze, de pierre et de bois? On peut à peine se
faire une juste idée de sa richesse, et j'en dis autant d'Augsbourg. La
ville d'Ulm, bien moins importante, tire, dit-on, de son commerce
plus d'un demi-million de florins par an *. Les villes alsaciennes
font de magnifiques affaires, et Strasbourg surtout est extraordinai-
rement riche \ =!
' Falke, Gesch. des deutschen Handels, t. I, p. 176-178. — ScHLÖZER, Verfall der
Hansa, p. 75, 100.
- Voy. SCHLÖZER, p. 74.
^ Klöde>", Gesch. des Oderhandels (1852). — Falke, Gesch. des deutschen Handels, t. I,
p. 181.
* Ce cliiffre n'est pas exagéré. — Jäger, Ulm, p. 376-377-387. Ulm avait le
plus célèbre commerce de vins de l'Allemagne da Sud, et vendait surtout les
vins rouges et blancs du Rhin que ses marchands achetaient surplace. — Jager,
p. 715-717.
*A la fin de son traité : De arte impressoria. En 1507, l'Italien Vettori disait
à propos de Strasbourg : Argentina ha tanto d'entrata, que dicono aver con-
Gregato in communita moite centinaja di migliaja di fiorini. » Il n'y a point de
23
354 ECONOMIE SOCIALE.
Par Strasbourg, Colmar et les petites villes de l'Alsace, par Bâle,
Constance et Genève, le commerce allemand s'étendait jusque dans
l'intérieur de la France, et par Marseille jusqu'aux rives de la Méditer-
ranée. Du Pdiin, au nord, ildescendait jusqu'à l'embouchure du fleuve;
du nord-est de l'Allemagne, en passant par l'Allemagne centrale, il
pénétrait dans les contrées de l'Elbe et de la Baltique; à l'ouest, par
les villes de Franconie et de Saxe, il prenait possession des pays danu-
biens; au sud, par les Alpes suisses, il gagnait Gênes, Venise, Milan,
Lucques, et Florence. Enfin, par les passages des Alpes suisses et
tyroliennes, les marchands de l'Allemagne du Sud formaient le
point de jonction entre l'Europe du Sud, le nord-est de l'Empire el
les populations slaves qui en marquent la limite.
Pour faciliter les communications, un service de messagerie reliait
entreelles un grand nombre de villes de commerce. On avait établi à
Danzig des courriers réguliers pour les correspondances commer-
ciales. Dès le quatorzième siècle un service semblable rattachait
Augsbourgà Venise. Il était confié aux " officiers messagers ", fonc-
tionnaires nommés par le conseil, et formant une corporation parti-
culière K
Le commerce de l'Allemagne avec Venise avait une importance
ville en Allemagne -, dit Machiavel, - qui n'ait un trésor public, et tout le-
monde sait que Strasbourg possède à elle seule plusieurs millions de florins. »
Opère, IV, p. 153. Érasme disait que Strasbourg était si riche, qu'au lieu de
l'appeler Argentoratus, la ville d'argent, on devait la nommer Auiata, la ville d'op.
— Voy. ScHiiOLLER, Strassburg, zur Zeit der Zunftlampfc, p. 68. — Voy. Falke, II,
363, 364.
' Greiff, Tagebuch ron Lucas Rem, p. 77 — En 1444, trois " coureurs » furent
pillés et assassinés sur la grand'route entre Cöslin et Colberg. — Hirsch,
Daniùgs Handelscjeschichte, p. 221. Un messager, envoyé à Bâle par les marchands
de Nuremberg, fut pillé et maltraité près de Ehingen (1436). — Roth, Gesch. des
Nürnberger Handels, t. I, p. 176, et t. IV, p. 273. Dans beaucoup de villes de lAlle-
magne du Sud, le service des postes était confié à la corporation des bouchers,
qui, ayant souvent des livraisons à faire aux environs, se chargeaient d'y
porter les lettres. Leurs messagers voyageaient à cheval ou en voiture, et
annonçaient leur arrivée ou leur départ en sonnant du cor, origine du cor que
les bouchers avaient quelquefois dans leurs armes de corporation. De là, pro-
bablement aussi, l'origine du cor des postillons. — Voy. Flegler, Geschichte der
Posten (Nuremberg, 1858), p. :8-29. Les postes bouchères continuèrent dans
une partie de l'Allemagne jusqu'au dix-septième sièele. —Voy. Haberli.x, Hand-
buch des deutschen Staatsrechtes, t. III, p. 80, et Stangel, Das deutsche Postwesen
(Stuttgard, 1844 , p. 15-17. Dès la fin du quatorzième siècle, l'ordre Teutonique
de Prusse avait organisé un service de poste complet. Le premier maréchal de
cavalerie, qui habitait à Marienbourg, résidence du grand rnaitre, remplissait en
même temps les fonctions de premier maître de poste et inspectait les postillons
qui parcouraient à cheval les routes postales. Dans chaque maison de l'ordre,
le commandeur, en sa qualité de maître de poste, devait surveiller l'échange
régulier des correspondances, ainsi que les messagers qui en étaient chargés.
— J. Voigt, Das Stilleben des Hochmeisters des deutschen Ordens, und sein Fürstenhof,
dans le Histor. Taschenbuch de Räumer, t I, p. 218-221. — Flegler, p. 30. L'orga-
nisation des postes ne vient nullement du Tyrol. Sa formation sous Maximi-
ESSOR DU COMMERCE. 355
tout à pari. L'élablisscment que les Allemands y avaient fondé, le
Fondaco ou Foïilajo, comparable en imporlance depuis sa reconslruc-
tion (1505) à la maison et aux magasins de la hanse d'Anvers, com-
prenait, outre les boutiques et les entrepôts de marchandises, les
logements de nos marchands, et servait aussi d'auberge aux voya-
geurs et aux pèlerins '. Au quinzième siècle, à l'époque où le com-
merce était le plus florissant à Venise, il arrivait souvent qu'une cen-
taine de marchands allemands s'y trouvassent réunis. « J'y ai séjourné
quelque temps », raconte dans ses souvenirs de pèlerinage le cheva-
lier Arnold de Harlf (1497), < et j'y voyais tous les jours expédier
de tous côtés quantité de marchandises (épices, soieries, etc.).
A Venise, chaque ville a son propre comptoir. J'y vis ceux de Colo-
gne, de Strasbourg, de Nuremberg, d'Augsbourg, de Lübeck et
d'autres cités impériales. Nos marchands m'ont assuré que leur
établissement rapportait parfois à la seigneurie 100 ducats de béné-
fice net par jour -, abstraction faite des marchandises achetées et
bien payées dans la ville. « Félix Fabri évalue à 20,000 ducats les
droits de douanes prélevés annuellement par Venise sur les marchan-
dises exportées en Allemagne (1484). « Outre cela ", dit-il, « plus d'un
ballot échappe aux douaniers et s'expédie derrière leur dos ^ » « La
maison de commerce des Allemands ", rapporte le voyageur italien
Pietro Casola, « était si bien fournie, qu elle eiit été en élat de
satisfaire à elle seule aux besoins de toute l'Italie. " Sanuto assure
que pendant le seul mois de janvier 1511, les marchands allemands
établis à Venise achetèrent pour 140,000 ducats d'épices, de sucre
et d'autres denrées *. Les principaux articles exportés en Allema-
gne étaient : les épices, les figues et autres fruits du Midi; le
poivre, le drap, les couvertures de soie, les étoffes précieuses
tissées de fil de soie et d'or, le sucre et les verreries. Les Allemands,
de leur côté, importaient à Venise et dans toute l'Italie leurs miné-
raux, fer, cuivre, plomb, étain, or et argent, et, en fait de produits
lien I" se relia, par l'intermédiaire des Pays-Bas, à l'organisation française. —
Voy. Flegler, p. 33-35.
' Il existe encore, dans la partie la plus animée et la plus commerçante de la
Tille, au Canal Grande, près du pont de Rialto.
^ De péaîjes et diverses taxes. — Arnold von Harff, Pilgerfahrt, p. 41.
' Ex hoc fontico tantae merces emittuntur in Alemaniam, quod nemo credit.
Nam de publiais mercibus egredientibus recipiunt Veneti per annum ultra
XX millia ducatorum pro telonio, demtis privatis minutis et furtivis mercibus,
quae noctibus educuntur vel aliis rebus ignobilioribus commiscentur. • Evaga-
torium, t. III, p. 432.
■* Voy. W. IIeyd, Das Haus der deutschen Kaufleute in Venedig, dans le Zeitschrift de
Sybel, t. XXXII, p. 193-220. — EnneN, Die Stadt Köln und das Kaufhaus der Deutschen in
Venedig, dans le Monaslehrft de Pick, für rheinisch-tceslfüUsche Gcchicktsforschung, t. I,
p. 105-138. — Voy. la description du Fontego dans Tentori, Saggio suHa storia di
Venetia, par Mone, Zeitschrift, t. V, p. 5.
23.
356 ÉCONOMIE SOCIALE.
fabriqués, du cuir, de la corne, des lainages, des toiles et des four-
rures de toutes sortes.
Parmi les villes rattachant à rAllemagne le commerce de Venise,
Ratisbonne, Augsbourg, Ulm, Auremberg et Lübeck étaient au pre-
mier rang. Juscju'au seizième siècle, et même après que le commerce
eut perdu beaucoup de son ancienne splendeur, les Augsbourgeois
envoyaient encore les jeunes gens à Venise comme à une haute école
de science commerciale. Les Fugger, Weiser, Baumgartner, Herwart,
Rem et autres y avaient des comptoirs '.
Ce n'était pas seulement quelques villes isolées qui s'efforçaient
d'étendre ^- le commerce du Saint-Empire - jusqu'à la Méditerranée
et cherchaient à en faire le point central des échanges entre le nord
et l'est de l'Europe : toute la bourgeoisie de la haute Allemagne,
les villes des frontières de France au delà du haut Rhin, depuis
les Vosges, le long du Mein et du Danube jusqu'à la frontière hon-
groise, prenaient part avec le même zèle et la même persévérance
à cette vaste ramification.
Les habitants de la haute Allemagne, les Alsaciens, les populations
du haut Rhin et des rives du lac de Constance -; les Allemands de
Franconie, de Bavière, des possessions héréditaires d'Autriche, entre-
tenaient les relations commerciales les plus animées avec l'Italie et
le Levant, source principale de leur richesse et des progrès de leur
industrie ^
Jusqu'à la fin du quinzième siècle, l'Allemagne fut le foyer du
commerce universel, l'entrepôt et le marché du monde entier pour
les matières premières aussi bien que pour les produits fabriqués.
Par la Ligue hanséatique, non-seulement elle dominait le com-
merce de la Baltique et de la mer du Nord, mais encore, possé
dant la clef de tous les défilés et passages des Alpes, elle ratta-
chait à son courant d'affaires les réseaux commerciaux aboutissant à
la Méditerranée. Francfort-sur-le-Mein était le centre des échanges
de la haute et basse Allemagne. <= A la foire de Francfort -, écrit
Jérôme Miinzer (1495), » les marchands flamands, hollandais, anglais,
polonais, bohémiens, itahens, français affluent de tous côtés. De
presque toutes les contrées de l'Europe on les voit apporter leurs
' Le Journal de Lucas Rem, pultlié par Greiff, et qui s'ouvre en 1494, ne nous
offre pas seulement un brillant témoignage de l'ancienne splendeur et impor-
tance du commerce d'Augsbourg, il nous présente aussi le tableau attachant
de la vie et des habitudes dun marchand allemand à cette époque. Sur le
commerce de Nuremberg avec l'Italie, voy. Roth, t. I, p. 111-114, 271. — Voy.
Kleinsch:\IIDT, Augsbowg, Xuremberg und ihre Handelsfürslcn im fünf:.ehnten und scchzenlen
Jahrhundert ICassel, 1881).
- Sur le commerce des villes du lac de Constance, voy. .aione, Zciischrifi, t. IV,
p. 6-67.
3 Voy. Falk, t. II, p. 35-37.
ESSOll DU (KJMMEIICE. 357
marchandises, et ils font les plus brillantes affaires '. " François I"
refjardait Francfort comme la plus [jrande ville de commerce non-
seulement de l'Allema^iue, mais presque du monde entier-. La
célèbre foire de Francfort était la source la plus abondante des
revenus de la ville. Afin de proté{>;cr l'aller et le retour des mar-
chands étrangers, la municipalité avait or[;anisé une ;■• escorte " com-
posée de seize, vingt-quatre, trente et souvent même quatre-vingt-dix
ou cent arbalétriers, suivant le plus ou le moins de danger de la route
à parcourir. En 1404, pour aller à la rencontre des marchands de
Limbourg et de Montabaur, l'escorte mit cent onze hommes sur pied.
Tous étaient habillés de blouses de coutil blanches et noires, ornées sur
le côlé gauche de glands noirs, rouges et blancs'. Les sommes que les
marchands en voyage étaient obligés de payer aux seigneurs fonciers
dont ils traversaient les domaines pour en obtenir de sûres escorles
formaient, avec les taxes si nombreuses dont les marchandises étaient
alors grevées, les lourdes et onéreuses plaies du commerce au moyen
âge; mais si l'on tient compte de ces difficultés, jointes à taut d'autres,
on n'en admirera que plus l'essor grandiose de l'industrie à l'époque
dont nous nous occupons*.
III
Par la découverte du passage maritime conduisant aux Indes orien-
tales, le principal courant du commerce universel reliant l'Europe
à l'Asie avait été transporté du centre de l'Europe à l'ouest, vers
la mer, et la position commerciale de l'Allemagne s'en était trouvée
profondément modifiée. Toutefois ce changement ne fut pas la
première ni la seule cause de la décadence du commerce survenue
plus tard dans nos villes du Sud. Tant que le Portugal conserva la pré-
pondérance dans les échanges avec le Nouveau Monde, il fut plutôt
une cause de progrès et de vie. Les marchands du Sud, et surtout ceux
de Nuremberg et d'Augsbourg, s'aperçurent bien vite que leur situa
tiou centrale eu Europe ouvrait désormais trois roules à leur com-
merce avec l'Asie : la voie ancienne, passant par Venise et Gênes,
' Kunstmann, p. 308.
- Voy. Lers.ner, Frankfurter Chronik, t. I, p. 129.
'Sur la foire et l'escorte de Francfort, voy. surtout Kriegk, Franl/urier
Zustände, p. 294-329.
* Pour plus de détails, voy. Falke, Gesch. des deutschen Handels, t. I, p. 237-247.
— Un exemple suffira pour nous donner une idée des innombrables péages alors
réclamés : Des marchands se rendant de la fronrière de la Bavière à Vienne
sont obligés de payer onze fois les douanes dans leur voyage. Falke, p. 237.
358 ÉCONOMIE SOCIALE.
celle si longtemps parcourue conduisant d'Anvers aux rives occiden-
tales de l'Europe; enfin la route nouvelle de Lisbonne. Ils se ser-
virent de cette dernière presque aussitôt qu'elle fut ouverte. Les
Allemands de la haute Allemagne avaient pris le plus vif intérêt aux
découvertes portugaises, et l'un de nos compatriotes rendit d'impor-
tants services à Yasco de Gama lors de sa première expédition aux
Indes'. En 150.3, Wilser, négociant d'Augsbourg, et plusieurs mar-
chands d'autres villes fondèrent à Lisbonne un vaste établissement,
et obtinrent du roi don Emmanuel le droit d'établir aux abords et
à l'intérieur de la ville des maisons de commerce pourvues d'entre-
pôts. Parmi les privilèges donnés parle Roi à la compagnie des mar-
chands allemands, privilèges dépassant les faveurs accordées à ses
propres sujets, il faut surtout citer ceux qui se rapportent au com-
merce des Indes. Les épices, les bois du Brésil et autres marchan-
dises, provenant soit des Indes, soit des iles nouvellement décou-
vertes, purent désormais être achetés et transportés affranchis de tous
droits de douanes. La compagnie fut en outre autorisée à se servir
des vaisseaux de toute grandeur construits dans le pays, avec la
jouissance des franchises concédées aux bâtiments portugais, et obtint
aussi le droit d'employer ses propres navires, pourvu toutefois que les
hommes d'équipe fussent Portugais. Par des lettres de franchise
datées du 3 octobre 1604, le roi de Portugal accorde aux marchands
allemands établis dans ses États le droit d'avoir un tribunal particu-
lier. Les célèbres commerçants Wilser, ainsi que leurs secrétaires,
sont invités à prendre part à 1 expédition indienne, et à mettre à la
suite de la flotte royale quelques-uns de leurs bâtiments. " Les pre-
miers d'entre nos compatriotes ", écrit avec fierté Conrad Peutinger
au secrétaire impérial Biaise Hiilztl (.3 janvier 1505), '• nous avons visité
les Indes, et c'est un grand honneur pour nous ^. " Des trois vaisseaux
allemands qui prirent part à ce voyage sous la conduite du vice-roi don
Francisco de Almeida (1505), deux comptaient parmi les plus grands
de cette admirable flotte. Le 15 novembre 1606, ils rentraient dans
le port de Lisbonne. « Nous avons entrepris et achevé ce voyage au
nom de Dieu », écrit l'un des passagers, Bernard Sprenger. A lui
seul soient honneur et gloire, maintenant et dans l'éternité! Amen K »
' Voy. dans le présent volume ce que nous avons déjà dit sur la part prise
par les Allemands à la découverte du Nouveau Monde.
^ Greiff, p. 171. — Les lettres et renseifjnements de Conrad Peutinger écrits
entre 1497 et 1506 se rapportent tous au commerce des Indes et à la découverte
d'une nouvelle voie maritime, et prouvent suffisamment avec quelle attention
les grands négociants d'Augsbourg (les Fugger, Weiser, etc.) suivaient les
découvertes de leur temps et savaient les mettre à profit.
^ Voy. F. Klwstman.N, Fahrt der ersten Deutschen nach dem portugiesischen Indien,
dans les Bislor. pol. ßl., p. 48, 277-309.
LES VILLES ALLEMANDES. 359
L'équipement des vaisseaux avait coûté 66,000 ducats, et pourtant les
grands nejjociants qui avaient entrepris l'expédition retirèrent des
marchandises exportées un i)énéfice net de 175 pour 100 '.
« C'est vraiment ciiose merveilleuse ", dit le voyageur fran-
çais Pierre de Froissart (1497), " que la hardiesse et l'esprit d'entre-
prise des marchands allemands. Ils ont un véritable j;énie pour mul-
tiplier leurs richesses. La prospérité de leurs villes , la magnificence
de leurs édifices publics et de leurs maisons privées, les précieux tré-
sors qui ornent l'intérieur de leurs demeures le prouvent éloquem-
ment. C'est plaisir de séjourner parmi eux et de prendre part aux
divertissements publics des bourgeois *. »
Environ soixante ans auparavant, le métropolitain russe Isidore, se
rendant au concile de Florence avec une suite de plus de cent per-
sonnes, tant ecclésiastiques que laïques, visita Lübeck, Lunebourg,
Brunswick, Erfurt, Nuremberg, etc., « et grand fut son étonnement »,
a rapporté l'un de ceux qui l'accompagnaient. Toutes ces villes floris-
santes, avec leurs maisons belles et spacieuses, leurs magnifiques
jardins, leurs canaux savamment construits; la richesse et la splen-
deur des églises et des cloîtres, l'animation du commerce, l'activité
des habitants, les nombreux chefs-d'œuvre d'un art élevé, la dignité
des magistrats, le juste orgueil de la bourgeoisie, la noble attitude
des chevaliers, toutes ces choses éveillèrent chez les Russes des impres-
sions inattendues, et les jetèrent dans un enthousiasme aveugle.
Erfurt était, à leur avis, la ville la plus riche de l'Allemagne; aucune
n'avait un commerce aussi prospère et ne possédait plus de chefs-
d'œuvre artistiques \
L'Italien ^Eneas Sylvius exprime la même admiration (1468). « Nous
l'avouons en toute franchise • , dit-il, « jamais l'Allemagne n'a été
plus riche, plus brillante que de nos jours; cette nation est au-dessus
de toutes les autres par sa magnificence et ses grandeurs, et l'on peut
affirmer qu'il n'en est pas à qui Dieu ait fait plus de dons. Nous
y voyons de toutes parts des villes animées, des prairies cultivées, des
champs de blé, des vignes, des jardins d'agrément et des vergers,
égayant la campagne comme les abords des villes; partout de beaux
édifices, de gracieuses maisons des champs; partout des montagnes
' Roth, l. I, p. 271.
- Lettre 17. L'Italien Augustinus Patritius, cardinalis, Senensis Legati in Ger-
mania secretarius, écrivait en 1471 : « Est Germania, ultra quam nostri homines
credant, magnifica et pulchra... ita, ut multœ suit inter eas urbes, qua' multi-
tudine populi, pulciiritudine aedificiorum, templorum magnificentia et civitatis
splendore nostris Italicis liaud multum cédant, iuterdum etiam superent. »
Fr.EHER, Scripti., t. II, p. 288.
^ Voy. Strahl, Ituashutfls älteste Gesandlschaftcn in Deutschland, dans les archives de
la Société des antiquités nationales allemandes, t. VI, p. 526-527. — Karamsix,
Gesch. des Russischen Reiches, traduction allemande (Riga, 1 825, 5= partie, p. 228-229}.
360 ECONOMIE SOCIALE.
couronnées de châteaux, des villes ceintes de murailles, villes dont les
plus remarquables nous montrent dans tout leur jour la puissance de ce
peuple, la splendeur de ce pays. Où trouver dans toute l'Europe une
cité plus magnifique que Cologne ', avec ses admirables églises, ses
hôlels de ville, ses tours et ses bâtiments aux toits de plomb, ses
riches bourgeois, son beau fleuve et les campagnes fertiles qui
l'entourent? Allons plus loin, visitons les villes populeuses de Gand
et de Bruges, entrepôts de tout le commerce de l'Orient; il est
vrai que le droit français paraît y régner, mais elles sont allemandes
de langue et de mœurs. Passons aux gracieuses villes du Brabant,
parcourons Bruxelles, Malines, Anvers et Louvain. Retournons par
le Rhin, admirons Mayence; c'est une ville ancienne, richement
ornée de splendides édifices publics, de belles demeures bourgeoises,
célèbre par sa cathédrale et ses églises. Il n'y a vraiment d'autre
reproche à lui adresser que l'étroitesse de ses rues. Pias loin, voici
Berne; ce n'est pas une grande cité, mais c'est du moins une très-
jolie ville. Spire aussi, très-peuplée, très-bien bâtie, plait à tout le
monde. Strasbourg, avec ses nombreux canaux, aux eaux douces et
limpides, est comme une seconde Venise, mais une Venise saine et
gracieuse, au lieu que la vraie Venise est traversée de canaux boueux,
à l'odeur nauséabonde. Outre la cathédrale, chef-d'œuvre d'architec-
ture digne de toute notre admiration, on y voit un nombre considé-
rable d'églises et de couvents remarquables. A Strasbourg, beaucoup
de maisons ecclésiastiques et bourgeoises sont si belles qu'aucun roi
ne s'y trouverait déplacé. Bâle se fait remarquer par les toitures de
ses églises et de ses maisons privées; ces toitures en tuiles brillantes,
bariolées, sont d'un admirable effet lorsque les rayons du soleil cou-
chant les font briller au loin. Ses maisons bourgeoises, proprement
tenues, ornées de jardins, de fontaines, de cours, sont peintes à l'exté-
rieur, et d'un blanc étincelant. Berne est si puissante qu'elle pourrait
facilement mettre sur pied 2,000 hommes armés. Augsbourg surpasse
en richesse toutes les villes du monde. Munich est très-florissante. Mais
Vienne est la ville la plus remarquable de toute l'Autriche. Ses palais
sont vraiment royaux, et ses églises feraient l'admiration de l'Itahe.
Nous renonçons à décrire Saint-Étienne, nous manquons de termes
et de talent pour rendre l'impression que cette église fait éprouver. »
Des ambassadeurs de Bosnie, après eu avoir longtemps contemplé le
clocher, s'écrièrent enfin, pleins d'admiration, - qu'il avait dû coûter
plus d'argent que le prix de tout le royaume de Bosnie ne saurait
en fournir ». « A Vienne », dit-il à un autre endroit, '^ les maisons
bourgeoises sont spacieuses et richement décorées. Elles sont bâties
' Nihil masuificentius, nihil ornatius tota Europa reperias.
FUNESTES CONSÉQUENCES DU LUXE. 361
en pierre do (aille; elles ont de hautes et imposantes façades et sont
peintes intérieurement et extérieurement; les portes ont des ferme-
tures de fer et les fenêtres des vitres. On croit entrer dans des
demeures princiéres. " ;' Il est impossible de passer Nuremberp; sous
silence. Quand on vient de la basse Franconie et qu'on aperçoit de
loin cette ville magnifique, elle apparaît dans une splendeur vraiment
grandiose; lorsqu'on y péuètre, l'idée qu'on s'en était faite est
confirmée par la beauté de ses rues, la propreté de ses maisons. Les
églises de Saint-Sébald et de Saint-Laurent sont dignes d'être
vénérées aussi bien qu'admirées. Le château impérial domine fière-
ment la ville, et les demeures bourgeoises semblent avoir été bâties
pour des princes. En vérité, les rois d'Ecosse souhaiteraient d'être
aussi bien logés que le moins favorisé des bourgeois de Nurem-
berg... '. " « A parler franchement, aucun pays d'Europe n'a de
villes plus belles, plus plaisantes que l'Allemagne. Elles sont riantes,
fraîches d'aspect; il semble qu'elles aient été achevées d'hier. "
« Nulle part, chez les autres peuples, on ne trouve autant de
liberté que dans les villes d'Allemagne. Les habitants des soi-disant
États libres d'Italie sont de véritables serfs, comparés aux bourgeois
allemands. A Venise, à Florence, à part le petit nombre de ceux qui
ont en main le gouvernement, les bourgeois sont traités en esclaves.
Ils n'osent ni employer leurs revenus comme il leur convient, ni dire
hbrement ce qu'ils pensent, et sont soumis aux plus rudes exigences
fiscales. En Allemagne, au contraire, tout est gai, tout est facile;
personne ne se voit frustré de son avoir, chacun garde son héritage,
et l'autorité ne gène que ceux qui nuisent aux autres -. »
« L'Allemagne ", écrivait Wimpheling environ cinquante ans plus
tard, " n'a jamais été plus riche ni plus florissante que de nos jours,
et cette prospérité, elle la doit surtout au labeur infatigable et aux
industrieux efforts de ses bourgeois, artisans et négociants. Les
paysans mêmes s'enrichissent. De tous côtés, depuis un siècle et plus,
s'élèvent les plus magnifiques églises, les plus splendides monuments
pubhcs, et, chose encore plus digne d'être louée, les établissements
charitables destinés aux pauvres et aux malades se multiplient et
sont libéralement dotés. "
« Mais la richesse », poursuit Wimpheling montrant le revers de
la médaille, « a aussi de grands périls, comme nous en avons tous
les jours la preuve; elle engendre un luxe exagéré, la sensualité,
la débauche, et, ce qui est tout aussi désastreux, elle fait naître la
cupidité et la soif de posséder des richesses toujours plus grandes.
Cette cupidité rend l'esprit des hommes frivole et conduit au
' Médiocres Norimbergae cives.
- Voy. l'ouvrage cité ci-dessus. De rliii, ciiu, etc. Op., 718.
362 ECONOMIE SOCIALE.
mépris de Dieu, de l'Église et de ses lois. Le mal se montre dans
toutes les classes. Même parmi les prêtres, Famour du bien-être se
rencontre très-fréquemment, surtout chez ceux qui appartiennent à
la noblesse; ils n'ont aucun souci des âmes et veulent égaler les riches
marchands par leur faste. Les moins entachés des vices du temps,
ce sont les paysans et les ouvriers ; ceux-là vivent encore d'après les
simples mœurs d'autrefois, .l'en dis autant de ces curés de paroisse
qui dans les villes et les campagnes se montrent pleins de zèle pour
le salut de leurs ouailles. Dieu merci ! le nombre de ces bons
pasteurs est grand! Les monastères oi^i l'esprit de la règle vit encore
et qui ne possèdent pas de grandes richesses sont aussi à l'abri
des erreurs du siècle. Le mal se produit surtout dans les cités où le
commerce a pris une grande extension et permet d'acquérir en peu
de temps des bénéfices considérables, parce qu'il excite et satisfait
dans le peuple des besoins de luxe toujours nouveaux. Un commerce
si prospère n'est pas toujours un bien, surtout lorsqu'il a pour
objet de coûteuses bagatelles, de riches habillements, des mets
délicats '. «
V Exhortation chrétienne dit aussi : " Tout est loin d'être louable dans
l'état du marchand. Le commerce est honorable et nécessaire quand
il se rapporte à des choses indispensables à l'homme, comme la nour-
riture, l'habillement, l'habitation, car on ne peut se procurer par-
tout les choses nécessaires à la vie. Mais il en est tout autrement de
ces bagatelles superflues qui ne servent qu'à amollir les hommes, à
flatter la sensualité, à engendrer les mauvaises mœurs et les mauvaises
modes, comme nous en avons trop souvent la preuve dans les villes et
même dans les campagnes. La chose en est venue à un tel point que
je crains les sévères jugements de Dieu sur nous. Les modes varient
si souvent que cela est à peine croyable. Elles sont d'une extrava-
gance inouïe; hommes et femmes affublent leurs corps périssables de
vêtements dont on ne saurait imaginer la magnificence -. "
IV
Le luxe des habits, en effet, était arrivé à un degré d'extravagance
étrange. Les simples bourgeois, tout comme les nobles et les hauts
dignitaires civils, portaient des perles à leurs chapeaux, à leurs
chausses, pourpoints et manteaux; des bagues d'or à leurs doigts,
^ A la fin de son ouvrage De arte impressoria.
* Page 8.
LUXE DES COSTUMES. 363
des ceintures en arguent ciselé, des couteaux, des épées, même des
ceintures d'or et d'argent massits. Leurs habits étaient brodés d'or et
d'argent; ils portaient du velours, du damas et du satin et d'élégantes
chemises de soie, plissées et toutes galonnées d'or. Leurs manteaux
et leurs pourpoints étaient doublés et garnis de zibeline, d'hermine
de martre. Les femmes et filles de bourgeois mêlaient des fils d'or
j à leurs nattes et à leurs boucles, se couvraient de bijoux et se paraient
I de perles, de couronnes d'or, de coiffes brodées d'or et de perles.
I Les étoffes de soie, de velours, de damas ou de satin dont se servaient
les femmes, étaient encore plus riches que celles employées par les
I hommes. Les chemises tissées d'or étaient regardées comme « parure
I indispensable pour toute dame honorable ". Le conseil de Ratisbonne,
voulant diminuer par une loi somptuaire la magnificence outrée des
; habillements, la profusion des bijoux précieux, ordonne aux femmes
j et aux filles de la haute bourgeoisie d'observer à l'avenir le règle-
ment suivant : •■ Il leur est interdit d'avoir plus de huit habille-
ments, six manteaux longs, trois robes de danse, un manteau à gros
plis. Les robes ne doivent pas avoir plus de trois paires de manches
en velours, damas, ou autre étoffe de soie; deux chaperons garnis de
perles sont permis, pourvu qu'ils ne dépassent pas le prix de douze
florins chacun*; un diadème d'argent et de perles, d'une valeur de
cinq florins, est autorisé; trois voiles seulement sont accordés, parmi
lesquels un seul pourra valoir huit florins, et la frange ne devra pas
peser plus d'une once d'or. On permet de garnir les robes de franges
de soie; celles de perles et d'or sont interdites. Il est permis d'avoir
une collerette garnie de perles, de la valeur de cinq florins, un plas-
tron de perles de douze florins, autour des manches deux rangs de
perles de cinq florins l'once ; une petite chaîne d'or avec médaillon de
quinze florins; un collier de vingt florins. Excepté la bague de fian-
çailles et de mariage, point d'anneaux dépassant vingt-quatre florins.
Trois ou quatre Pater noster, chacun de la valeur de dix florins. Galons
ou ceintures, de soie ou d'or, sont tolérés, mais pas plus de trois *. »
« Si j'examine la parure de plus d'une bourgeoise ", dit Geiler de
Kaisersberg, •. je constate qu'elle porte sur elle, en sa magnifique robe
et ses joyaux précieux, la valeur de plus de trois à quatre cents
florins; dans ses armoires, pour la vaine parure de son corps, elle
possède pour plus de trois mille florins d'habillements et d'objets
précieux. » Cette somme est colossale pour l'époque.
' Pour douze florins, on pouvait alors acheter trois bœufs engraissés. Voy.
plus haut.
* Gemeiner, Chronik von Rcgenslmrg, t. III, p. 679-684. — Sur les lois somptuaires,
voy. Malreu, Stikltever/assung, t. III, p. 81-86. — Lois somptuaires des diètes de
Lindau (1497), de Fribourg (1498), dAugsbourg (ISOO}, dans la nouvelle collec-
tion des arrêts des États, t. II, p. 31, 47-48, 78-79.
364 ECONOMIE SOCIALE.
K On voit parmi nous ", dit encore Geiler, - des femmes qui laissent,
comme les hommes, leurs cheveux pendre sur le dos; elles ont des
bérets garnis de plumes de coq sur la tète. Quelle honte el quel
péché! ^'e vois-tu pas qu'il n'est maintenant personne qui n'ait des
oreilles d'âne? ^'e vois-tu pas les joyaux d'argent que les femmes
attachent à leurs bérets, et n'est-ce pas une honte qu'elles portent
maintenant des coiffures d'homme"? Les hommes, à leur tour, ont
des bonnets brodés de soie et d'or comme les femmes; les femmes se
font des diadèmes comme les saintes d'église. Tout leur corps est
plein de folie, au dedans, au dehors, sous la ceinture, dans la cein-
ture, hors de la ceinture. Leurs chemises sont plissées; elles ne savent
qu'imaginer pour s'affubler ; tantôt leurs manches sont démesurément
larges et ressemblent à celles des frocs de moines; tantôt elles
sont si étroites qu'elles peuvent à peine y pénétrer. Les autorités
des villes et celles des campagnes devraient leur interdire les robes
abominablement courtes qu'elles adoptent maintenant'. Vois donc
les ceintures qui entourent leurs tailles! Tantôt elles sont de soie,
tantôt d'or; tantôt d'un travail si précieux que l'orfèvre, pour les
ciseler, ne prend pas moins de quarante ou cinquante florins. Elles
traînent dans la poussière les longues queues de leurs robes, et ne son-
gent guère, eu se parant, à la nudité du Christ dans ses pauvres, n
" Ouelque«:-unes ont tant de robes que durant toute la semaine elles
ont de quoi en changer deux fois par jour, le matin et l'après-midi.
Si elles vont le soir à la danse ou à quelque divertissement, elles en
'ont encore en réserve, et aimeraient mieux les voir dévorées par les
mites que d'en donner le prix aux malheureux. ^ -■ Les femmes ne
sont pas seules à laisser traîner leurs robes dans la boue : les prêtres
et les prélats en font tout autant. •
" Autrefois ■-, poursuit Geiler, ^- l'hermine, la zibeline, les four-
rures précieuses n'étaient que pour les princesses et les grandes
dames; aujourd'hui, les bourgeoises ne peuvent plus s'en passer. »
Une chanson populaire le leur reproche :
' Sur les modes immodestes de l'époque, voy. Sermones et varii tractatus de i
Geiler lArgeut., 1518), fol. 26^. — Voy. de Lorenzi. t. II, p. 17-23. — Keller, j
Nachlese, p. 328. — HcLLMiNN, Sladlcircsen, t. IV, p. 135-152. — SibeXkees, Mate- \
rialien, t. IV, p. 603. Beaucoup d'ordonnances contre des modes semblables sont j
venues jusqu'à nous, par exemple celles de Berne (en 1481, 1486, 1495.) — Axshelm, j
t. I, p. 255, 408. et t. II, p. 19G. « Mais les seigneurs du conseil ', dit VExhorta- I
lion chrèiienne, ^ ne prennent pas de mesures sérieuses contre le luxe, car il
rapporte aux marchands beaucoup d'argent, et celui qui le blâme, et censure
les habillements immodestes, n'est pas vu d'un bon œil. » Lorsque .Jean
Capistrano prêcha à Ulm contre les modes du jour et les mauvaises mœurs
(1461), le conseil de la ville le fit jeter eu prison et le chassa peu après de la
cité. JÀGER, Ulm, p. 509.
LUXE DES COSTUMES. 365
t Les femmes se couvrent de pelleteries rares; elles sont parées comme
des princesses. Qui peut maintenant distinguer leur rang? C'était bien
mieux dans l'ancien temps! Le renard était alors leur plus belle fourrure.
» Flics se fardent plusieurs fois le jour, se mettent de fausses dents',
et portent des cheveux qui ne leur appartiennent pas. »
« () femme = , dit Geiler, n'as-tu pas peur, le soir, lorsque tu
songes qu'au grand péril de ton âme tu portes des cheveux étran-
gers qui ont peut-être appartenu à une femme morte? »
Le zèle du prédicateur de Strasbourg' prend encore à partie ces
hommes efféminés qui s'oignent de baume et s'inondent d'eau de
roses. « Bien souvent », dit-il, « ces jeunes fats, ces fils de mar-
chands qui se croient quelque chose parce que leurs pères ont de
l'argent et la moitié du jour sont assis dans les auberges ou se
pavanent dans nos rues, sont encore plus insensés dans leurs modes
que les femmes. Ne vois-tu pas comme ils crêpent leurs cheveux, se
teignent, se graissent le museau? » " Ils se barbouillent avec de la
graisse de singe », dit Sébastien Brant dans la Nef des fous; « ils
font bouffer leurs cheveux avec du soufre, de la résine et des blancs
d'œufs battus jusqu'à ce qu'ils se tiennent tout roides sur leur
tête. » « Voyez leurs chausses », dit Geiler à un autre endroit, ;: elles
sont bigarrées comme la tablette d'un échiquier; elles sont découpées
en tout petits morceaux, et la façon en est plus coûteuse que l'étoffe.
Toutes ces modes nous viennent d'Italie et de France. » Il fait honte
aux Allemands, " le premier, le plus admirable peuple de la terre », et
leur reproche de se laisser affoler par les modes des pays voisins et .
de singer les plus extravagantes fantaisies des tailleurs étrangers. Les
marchands, selon lui, sont surtout responsables de ce luxe honteux
dans les costumes. « Grâce à leur cupidité, grâce aux navigateurs
revenus des pays lointains, nous voyons arriver parmi nous », dit-il,
« tant de modes étranges, tant d'habits saugrenus et d'inventions
bizarres, que l'on nous prendrait pour des fous! Nos marchands se
sont embarqués fous et reviennent plus fous que jamais, dans leurs
costumes absurdes; et malheureusement ils trouvent un grand trou-
peau d'insensés pour les imiter. » " Celui qui veut maintenant se
faire tailleur de fous doit être vraiment un habile homme M »
Jean Butzbach, racontant ses années d'apprentissage chez un
tailleur d'Aschaffenbourg, nous dit dans son Livret de voyage :
« Nous étions obligés de confectionner les pièces d'habillement
' Anshelm fait mention de fausses dents en ivoire dès 1509, t. IV, p. 30.
- Xarrenschiff, p. 27-28, 185. Judciiicucher und Schiiulerey, p. 18. — Gr.VNATAPFEL,
p. 102. — Voy. Dacheux, Jean Geiler, p. 213-215. — Voy. sur les modes extrava-
gantes portées par les paysans du temps une chanson populaire publiée dans le
livre d'Uhland, t. I, p. 525-531.
366 ECONOMIE SOCIALE.
les moins importantes non pas en drap uni, mais en drap de toutes
couleurs. Il nous fallait, comme si nous eussions été peintres,
broder artistement sur ce drap des nuages, des étoiles, le ciel bleu,
des éclairs, la grêle, des mains croisées; ou bien encore des clés, des
lys, des roses, des arbres, des branches, des croix, des lunettes et
d'autres innombrables folies que la vie brillante de la cour, la
légèreté et Faraour du plaisir variaient et renouvelaient sans cesse.
Les costumes étaient confectionnés avec les étoffes les plus riches,
l'écarlate, le ^ane^ anglais, les draps de Liège, de Rouen, de Grenoble,
de Bruges, de Gand, d'Aix-la-Chapelle, et d'autres plus précieuses
encore. En fait d'étoffes de soie, on employait le velours, le damas,
le camelot, brodés de semis de roses ou garnis de zibeline K »
Les modes variaient perpétuellement, et les costumes de toutes les
nations étaient imités. « Il ne faut que venir à Strasbourg, » dit
Geiler, " pour savoir comment «'habillent les Hongrois, les Bohé-
miens, les Français, les Italiens etc. ^. » < Les formes des habits
changent constamment », dit Conrad Celtes, décrivant la vie des
bourgeois de IS'uremberg. ^ La mode subit Finfluence de toutes les
nations avec lesquelles Nuremberg fait le commerce. » « Tantôt on
porte le costume sarmate, large vêtement à plis garnis de fourrure,
et turban autour de la tête; tantôt c'est la veste hongroise cpii
domine, et Fon porte par-dessus un manteau italien; ou bien la
mode est à la française, et alors les habits ont des parements et
des manchettes ^ » « A certaines fêtes ", dit un auteur contem-
porain, '! les nobles s'habillent trois fois le jour, et chaque fois
revêtent le costume d'un pays différent; tantôt ils paraissent en
Allemands, tantôt en Italiens, tantôt en Espagnols; aujourd'hui en
Français, demain en Hongrois *. »
Car la noblesse, elle aussi, donnait depuis longtemps dans la
coûteuse extravagance du luxe des habits, et « partageait toutes les
folies des petits-maîtres citadins ". Ce travers devint même une des
causes principales de son appauvrissement. « Si la noblesse est main-
tenant abaissée dans notre pays >, dit un contemporain, « c'est
aux modes coûteuses qu'elle doit s'en prendre. Les nobles veulent
mener aussi grand train que les riches marchands des villes; ils les
devançaient autrefois sous ce rapport, et maintenant ne veulent
pas souffrir que les filles et femmes de simples négociants soient
^Chronica, p. 121-123. — Voy. Falke, Trachten und Modewelt, t. I, p, 290-293. —
Weiss, Kosiümkunde, 3« et 4^ livraison, Stuttgard, 1868.
- Voy. Dachel'x, p. 215,
3 Norimberga, cap. vi,
* Voy. G. A. I\lE.\ZEL, Gcsch. der Deutschen, t. VIII, p. 218.
LUXE DES COSTUMES. 367
mieux c( plus riclicmcnt habillées que les leurs. Mais ils n'ont point
rar{',enl (jnc possèdenl les marchands et ne sauraient amasser la
viUj'jtiùme partie de la fortune que ceux-ci ont acquise par leur sor-
dide métier et leur affreuse usure. Alors ils s'endedent et deviennent
la proie des usuriers juifs et chrétiens; ils se voient forcés de vendre
leurs biens ' tolalement ou en partie, et c'est ainsi que la noblesse
tombe dans la misère pour avoir voulu mener une vie fastueuse et
dépenser au delà de ses moyens, méprisant les simples coutumes de
ses ancêtres ^ Je crains fort que tout ceci n'amène de grandes cala-
mités dans les pays allemands ^ "
Pendant les Diètes, les plaintes " sur le luxe de la noblesse j, sur
l'argent que dépensent les femmes pour leurs toilettes et celles de
de leurs filles et de leurs gens, se renouvellent continuellement.
Pour satisfaire leur vanité, les nobles retranchent même sur leur
nourritin-e; ils vont s'endettant de plus en plus, car en Allemagne
« les modes changent presque tous les ans. Les étrangers por-
tent bien plus longtemps que nous leurs costumes d'apparat. " " Les
dépenses déraisonnables et la ruine en sont les conséquences néces-
saires, et les chevaliers brigands sont bien proches parents des nobles
endettés. A cause d'un luxe si extravagant, beaucoup de dignes filles
nobles ne se marient point; elles sont contraintes d'entrer dans
les abbayes contre leur gré, parce que leurs parents n'ont plus le
moyen de les entretenir dans l'éclat qu'ils jugent convenable à leur
rang*. "
« Mais ce qu'il y a de plus déplorable ", dit Y Exhortation chrétienne
parlant des tristes conséquences du luxe, ^ c'est que dans les villages,
les rustres et leurs femmes commencent à porter les draps étrangers
les plus coûteux, et se font même des habits de velours et de soie; ils
adoptent les modes les plus folles et se vêtent comme les nobles. "
Sur ce point les plaintes sont universelles.
Il II y a quelques années " , dit Brant, «les gens de nos campagnes étaient
encore simples; le bon sens, qui s'était enfui des villes, semblait s'être
' Une veuve de Heudorf vendit pour une modique somme tout un village
afin de pouvoir porter à un tournoi un manteau de velours bleu. — Zimmerische
Chronic, t. I, p. 396-397. — Mauuer, Fronhöfe, t. W , p. 470. Sur l'appauvrisse-
ment de la noblesse de Westphalie, voy. Rolewinck, De laude Saxoniœ, p. 224.
• Notre noblesse autrefois si considérée tombe de jour en jour; les étrangers
possèdent notre héritage, de nouveaux propriétaires s'élèvent, et nous, avec
nos armoiries, nous descendons toujours plus bas. = — Voy. Keller, t. II,
p. 647.
^ Voy. RuxN'ER, Turnierhuch, p. 219. • — ■ Voy. Zimmerischc Chronilc, t. I, p. 460,
463 ; t. II, p. 520. — Strauss, Ulrich von Hulten, t. I, p. 9.
^ Eyn christlich ermanung, Bl. 11.
i Actes des diètes, t. XXXIV, p. 252-270, et t. XXXIX, p. 7-18, dans les Archives de
Francfort,
368 ECONOMIE SOCIALE.
réfugié parmi eux; mais tout est bien changé maintenant ! Nos villageois ne
veulent plus porter de coutil ni de blouse: il leur faut des habits en drap
de Londres ou de iMalines, tout tailladés, tout déchiquetés; iln'yaplus
de simplicité dans le monde. Les villageois, gorgés d'argent, portent des
vêtements de soie et des chaînes d'or '. '
On lit dans une comédie de carnaval :
.' La mode que le noble imagine, le paysan veut immédiatement
l'imiter -, '
Materne Berler, de Ruf fach, dit dans sa chronique :
« Personne ne veut plus rester dans sa condition, et le rustre singe le
gentilhomme. >•
" C'est un bien mauvais signe ), dit Geiler, " que l'impossibilité où
l'on est maintenant de reconnaître la condition à l'habit. Quand
l'ouvrier veut s'habiller comme sou maître, la servante comme sa
maîtresse, le paysan comme le noble, le mal grandit de tous côtés. »
« Voyez où nous en sommes venus! Personne maintenant n'a sur
l'autre aucun avantage. Aujourd'hui, en s'adressant à un paysan, on
l'appelle : Très-honoré monsieur! JXe souffre pas qu'on te nomme
ainsi; ce nom ne te convient nullement; il sied aux princes et aux
seigneurs, non à toi; au lieu de t'honorer, il te rabaisse. — Pourquoi
cela? dit le paysan; j'ai de l'argent bien à moi, j'ai acheté les mêmes
habits que les Irès-honorés seigneurs, » Geiler dit encore à un autre
endroit : " Il y a trente ans, avant que je vinsse habiter ici ^ lorsque
j'étais encore à Ammerschweyer, là-bas, dans la campagne où j'ai
appris VA b c et où j'ai été confirmé, il n'y avait pas dans toute notre
petite ville un seul homme portant un manteau court, si ce n'est
un sergent ou valet civil. Tous avaient de longs vêtements tombant
jusqu'aux genoux, suivant la coutume des paysans d'autrefois; mais
à présent nos cultivateurs portent des vêtements déchiquetés, et si
courts, et si galonnés que Ton n'en voit point de semblables dans les
grandes villes. La gourmandise et la malice grandissent chez les villa-
geois en proportion du luxe, au lieu qu'il y a trente ans, je le répète,
ils menaient une vie sage et retirée*. » Anshelm, dans sa Chronique
suisse, se plaint aussi de ce que l'ancienne loyauté, simplicité et modé-
ration ont grandement à souffrir des nouvelles modes introduites
dans le pays; il dit que les paysans commencent à porter des habits
' GoEDEKE, 162, note. — Zarncke, Scb, Brani., p. 427. — Sur la démorausation
des riches paysans dès le treizième siècle, voy. Seebe.x, p. 426.
2 Keller, t.'lll, 1158 et 1124-1134.
3 A Strasbourg, en 1478.
* Postille, t. III, p. 104. — EmeiS., p. 21. —Judenwucher, p. 19.
AMOUR DU BIEN-I-ITRE ET DU PLAISIR. 369
tic soie, et qu'avec le luxe des costumes bien des maux viennent de
compagnie : « alors se mulliplicnt les vins élranjjers, les mets
reclicrchés, les maisons élevées, les verrières armoriées, les jeux de
dés et de cartes '. »
« Chez les marchands, dans les maisons bourgeoises, dans les châ-
teaux, très-souvent môme chez les paysans on lait usage de ces den-
rées inutiles et nuisibles à la santé, que les marchauds cupides ont
importées parmi nous : clous de girofle, cannelle, noix de muscade,
gingembre, etc. Et l'on n'en use point avec modération, on les pro-
digue, on n'en a jamais assez; aussi les poches se vident-elles, tout
devient plus cher d'année en année, et les commerçants vendent
leurs marchandises ce qu'il leur plait. Le luxe de la table n'est pas
moins exagéré que celui des habits. Les noces, les baptêmes et
autres fêtes sont devenus l'occasion de bien plus grandes dépenses
qu'autrefois, et toutes les ordonnances des princes et des munici-
palités n'y font absolument rien, car les princes et les seigneurs du
conseil sont ceux-là mêmes qui se montrent les plus gourmands et
aiment le plus les grandes tables et les bons festins. Ce qui se boit et
se consomme en ces réjouissances (qui durent parfois plusieurs jours
de suite, souvent même une semaine entière) est chose surpre-
nante ^ » « On redoute peu les châtiments du ciel parmi toutes ces
' Ansehoi, t. III, p. 2Î7-251. Voy. t. III, p. 17, et t. II, p. 123. — En Suisse ce
fut surtout après la guerre de Bourfjogne que le luxe grandit. On portait avec
profusion des chaînes d'or et des bagues, et ces dernières, non-seulement aux
doigts de la main, mais à ceux du pied. On coupait le cuir des souliers afin
de les laisser voir. — Voy, K. Pfyffer, Gesch. der Stadt und des Cantons Luzern,
t. I, p. 230 (Lucerne, 1861).
^ Eyn christlich ermanung Dl., p. 12. — Voy. sur les ordonnances contre le luxe
de la table, sur les noces, baptêmes et repas funèbres, Hullman.v, t. IV,
p. 150-»16C). — Kriegk, Bürgerthum, p. 378-407, et Diirgerlhum, Meue Folge, p. 175-193,
222-258. Au festin des noces d'Arnold von Glaulmrg à Francfort, on consomma
239 livres de bœuf, 315 poulets et poules, 3,100 écrevisses, 30 oies, etc. La fête
coûta 116 florins 2/3, somme dont la véritable importance peut être appréciée
par ce fait qu'alors le muid de blé coûtait 1 florin et le foudre devin 9 florins.
Lucas Rem, marchand d'Augsbourg, dépensa au festin de ses noces 222 florins
(1518). [Journal de Greif/, p. 47-48.) A la noce du comte Ebrard de Wurtemberg,
4 sceaux de Malvoisie, 12 sceaux de vin du Rhin, 500 sceaux de vin de Necker
furent absorbés (1474). V. Stalin, t. IIl, p. 587. — Voy. Vettori, l'iaggio, p. 161-
162. La description d'un festin à la cour épiscopale de Strasbourg nous offre un
exemple du luxe alors déployé dans les festins (1449i. » Après la messe, l'évêque
et ses invités se rendirent au château; on se mit à table, et l'on servit quan-
tité de plats étrangers. On plaça devant l'évêque un gâteau représentant
un donjon; l'évêque y pratiqua une fenêtre d'où s'envolèrent des oiseaux;
ensuite il ouvrit une petite porte, et l'on vit alors que le château renfer-
mait un étang plein de petits poissons vivants, etc. " Schilter Gloss, 69. —
Voy. Maurer, Fronhnfc, t. II, p. 306. Les abbayes et monastères donnaient de
magnifiques festins aux jours de grandes fêtes, maison ne doit pas juger de
l'ordinaire des religieux d'après les comptes rendus qui nous ont été laissés; leur
table quotidienne était presque toujours simple. Dans le livre de comptes du
monastère de Gunsterthal, près de Fribourg, vers le milieu du quinzième siècle,
24
370 ECONOMIE SOCIALE.
bombances; mais quant à moi, je crains fort que Dieu ne nous punisse
et que sa justice ne s'appesanlisse sur nous. Les hôtelleries, les mai-
sons de bains, le jeu, la danse sont trop en vogue. Dans les cités, les
jeunes gens riches, surtout les fils de nos grands marchands, vont au
bain, boivent des vins étrangers ou des eaux-de-vie ', se baignent
de nouveau ^ puis se font oindre de parfums. Honte à leur mollesse
efféminée! Dans les bains, dans les hôtelleries, ces jeunes coqs
font scandale ^ » « Ils se tiennent assis dans une petite salle de
bain ", dit un prédicateur du temps, « et parlent comme des héré-
tiques contre Dieu et l'Empereur. » Geiler fait aussi allusion dans
ses sermons aux propos impies tenus dans les maisons de bains
sur les sacrements ''. Wimpheling exhortant les échevins de
Strasbourg à interdire les festins trop fréquents donnés dans les
hôtelleries, leur donne les conseils suivants : " Ne souffrez pas que
vos fils s'abandonnent à l'oisiveté, qu'ils aient une mauvaise tenue,
affectent de parler en libertins, et que leurs coiffures, leurs habits,
leur attitude révèlent leur conduite frivole. Qu'ils ne restent pas toute
la journée dans la boutique des baigneurs ou dans les hôtelleries, car
ils j font tort à leur corps, à leur âme, à leur bourse et à leur honneur
au milieu de la débauche et du jeu. Craignez qu'ils ne deviennent les
esclaves de leur ventre et de leur chair, et qu'au jour de leur mort on
n'ait d'autre éloge à faire d'eux que celui-ci : C'étaient de bons com-
pagnons de bouteille, ils burent, jouèrent et aimèrent les femmes \ »
il est dit qu'ils avaient pour dîner le lundi deux plats de farine d orge, le mardi
et le samedi deux plats de pois blancs, le mercredi et le vendredi trois plats
de pois gris. Mo.ne, Zeiischri/t, t. II, p. 185. Le livre de Jéiôme Bock « sur
la cuisine allemande » et « sur ce qui est nécessaire aux {jens sains et
malades pour la nourriture de leur corps », est très-intéressant. Strasbourg,
chez RICHEL, 1555.
1 Sur l'abus de l'eau-de-vie à cette époque, voy. Beckman\, Miuheilungen, t. II,
p. 279. — Voy. Wachsmuth, F-uropaische Sitlengeschicle, t. IV, p. 281-282. —
MURNER, Narrenbeschirörung, p. 196.
* on se baignait souvent trois fois par jour; dans les bains d'eau minérale,
on restait jusqu'à dix heures par jour dans l'eau. Zappert, Badewesen, p. 125,
127. Lucas Rem, du 20 mai au 9 juin 1511, ne se baigna pas moins de cent vingt-
sept heures. Journal, t. XVI, p. 23, 24, 26, 28. On mangeait et buvait dans le
bain ; on y choquait les verres, et souvent on y chantait des chansons graves ou
joyeuses. ° De l'eau au dehors, du vin au dedans, voilà ce qui nous rend tous
joyeux! » Kriegk, Bürgerlhum, Neue Folge, p. 9.
3 Page 19.
* Voy. Zappert, Badewesen, p. 136, — Sur les bains de Cologne, voy. Ennen,
t. III, p. 917-918.
* Tiré de la Germania ad Rempuhlicam Argentinensem, dans ScHWARZ, p. 187. AveC
la sensualité, la débauche et la fréquentation trop prolongée des hôtelleries, les
jurements, les blasphèmes et beaucoup d'autres vires allaient de compagnie. La
« peccata luxuria, praesertim fornicatio et concubinatus », dont se plaint amè-
rement Geiler de Kaisersberg, étaient très-fréquentes dans les grands centres;
il suffit, pour s'en assurer, de parcourir le livre de Kriegk, Bürgenthum Xcue
Folge, p. 259-334 — Voy. aussi Keller, t. III, p. 1273-1278. Mais il faut se garder
LE CHANGE ET L'USURE, 371
« Trop de personnes », disent les conseillers d'UIni dans une ordon-
nance contre le jeu édictée vers la fin du quinzième siècle, « prèlent
aux jeunes gens qui n'ont pas encore de fortune à eux, les excitent à
jouer, et clierclicnt l'occasion de leur regagner leur argent *. « Cet
argent élait ensuite remboursé à gros intérêts.
« L'usure », dit Wimpheling, « va toujours en croissant. Depuis
que les marchands ont importé parmi nous tant de produits étrangers,
la classe moyenne a des besoins, des exigences toujours nou-
velles; elle aime les habillements luxueux, les mets délicats.
L'usure pratiquée par les Juifs est épouvantable, mais sous ce rap-
port, bien des chrétiens sont encore plus coupables que les Juifs. On
ne saurait se passer de changeurs, et ceux-ci pour leur peine et leurs
débours ne trouvent pas répréhensible de faire un petit bénéfice.
Or l'usure et les prêts à inlérêts ruinent le peuple. Temps lamen-
table où l'argent a commencé à régner, produisant l'argent dans
une proportion toujours plus grande *! »
Le commerce des changeurs dut toute son importance à la confu-
sion presque incroyable survenue au moyen âge dans le système
monétaire.
A l'origine, le droit de battre monnaie était un privilège exclu-
sivement réservé à l'Empereur. Mais peu à peu ce droit fut reven-
diqué et exercé par les chefs des petites principautés et par les
en lisant ces renseignements sur les mœurs des grandes villes, d'en tirer des
conséquences sur la moralité du peuple en général; les grands centres de
commerce étaient encore, comme aujourd'hui, les sentines de l'Allemagne ; mais
dans les villages et les petites villes régnaient la retenue et la décence, et les
fautes contre les mœurs étaient rigoureusement punies. Kriegk dans son intéres-
sant ouvrage rend un honorable témoignage aux femmes de Francfort : « Dans
l'histoire du nombreux et riche patriarcat de Francfort au moyen âge », dit-il,
• je n'ai trouvé qu'un seul exemple d'infidélité parmi les épouses. » Page 286. Pen-
dant tout le quinzième siècle, nous ne trouvons à Francfort que six cas de bigamie,
et les coupables furent chassés delà ville à coups de fouet. P. 290. A Nuremberg,
dans le même siècle, on ne trouve qu'un seul exemple d'inceste, deux sodo-
mites et pas un seul infanticide. Au contraire, dans le seizième siècle, depuis
les troubles religieux, on constate six infanticides, douze incestes, sept sodo-
niites. Hisior. diplom. Magazin, t. III, p. 223. — Ce que rapporte Vettori dans ses
voyages est digne d'attention (1507) : • E noto a ciascuno, in Alamania de' Sodo-
miti si fà asperriraa giustizia in modo che si puo credere che questo vizio da
quella provincia sia quasi tutto estirpato. • Viaggio, p. 125.
• Jageu, Ulm, p. 539-544.
' A la fin de l'ouvrage : De arte impressoria.
24.
372 ÉCONOMIE SOCIALE,
villes indépendantes qui s'attribuèrent aussi le droit de toucher les
revenus, des douanes. Dès lors d'innombrables monnaies de princi-
pautés, de comtés, de villes impériales, furent mises en circulation',
et tous les efforts des empereurs pour établir une loi générale et mettre
plus d'ordre et d'unité dans le système monétaire, restèrent sans
succès. Les assemblées, si souvent renouvelées, dont la question moné-
taire était l'unique but, et on les petits souverains et les municipalités
la discutaient entre eux, ne parvinrent pas davantage à établir
l'ordre tant désiré. On changeait perpétuellement les monnaies.
On retirait et l'on décriait de vieilles pièces, ou en frappait de nou-
velles et l'on en introduisait beaucoup d'étrangères. Enfin la confu-
sion devint telle, que l'argent, au lieu d'être la mesure fixe,
immuable, de la valeur des marchandises, devint lui-même une mar-
chandise. Sous la même désignation, la même valeur nominale, une
pièce avait à Amberg, par exemple, une tout autre valeur qu'à Ratis-
bonne; à Ratisbonne une autre que dans les duchés de Bavière, qu'à
Augsbourg, Nuremberg, Francfort ou tout autre district impérial.
Cet état de choses suffit pour expliquer comment le commerce ne
pouvait absolument se passer de changeurs. Ceux-ci faisaient office
de véritables marchands : ils échangeaient marchandise contre mar-
chandise, les gros de Prague contre les pfennigs de fiatisbonne, les
gülden allemands contre les florins d'Italie; les monnaies d'un pays
contre celles d'un autre, en un mot, l'argent que désirait le chaland
contre celui qu'il ne pouvait employer, et prenaient pour cette trans-
action une taxe supplémentaire, ou argent de change. Le marchand
avait absolument besoin de l'office du changeur dans les différentes
places de marché où il se rendait, non-seulement à l'étranger, mais
à l'intérieur même de son pays, car il lui était impossible d'avoir tou-
jours à sa disposition toutes les monnaies qui y avaient cours. A son
retour, il lui fallait de nouveau échanger les monnaies rapportées de
telle ou telle ville contre celles de la cité qu'il habitait ou qu'il tra-
versait. Aussi le change était-il une industrie fort étendue et très-
lucrative. Elle fut longtemps et presque exclusivement entre les mains
de ces marchands d'argent de la haute Italie connus sous le nom de
Lombards, dont le nombre devint si considérable au quatorzième
siècle, lorsque le commerce entre l'Italie et l'Allemagne eut pris un
large développement. Dans les grandes villes du Danube, du Rhin,
de la mer Baltique, surtout à Lübeck et à Danzig, les changeurs lom-
bards fondèrent des établissements permanents. Mais vers la fin du
moyen âge ils se virent de beaucoup dépassés par les Juifs, qui
' Rien qu'à Danzig, on trouve à la fin du quatorzième siècle quatorze sortes
différentes de monnaies étrangères et du pays, et dix-sept sortes de monnaies
d'argent et de cuivre. — Voy. NeumaNN, Gesch. de» Wuchers, p. 315-352.
JUIFS USURIERS. 373
firent du commerce d'argent leur presque unique affaire, et surent lui
donner une extension toujours plus vaste'.
Les Juifs n'accaparèrent pas seulement le commerce du change
proprement dit : la véritable source de leur fortune, c'était l'usure et
le prêt d'argent à intérêts ou sur gages, qui leur rapportaient bien
davantage. Ils devinrent peu à peu les véritables banquiers du temps,
les bailleurs de fonds de toutes les classes sociales. Prêtant à l'Empe-
reur comme au simple artisan et au cultivateur, ils exploitèrent
grands et petits sans le moindre scrupule, et leurs procédés illégaux
leur attirèrent bientôt d'universels reproches. On peut se faire une
idée approximative des proportions qu'atteignait leur trafic, en exa-
minant les taux des intérêts autorisés par la loi pendant les quator-
zième et quinzième siècles. En 1338, l'empereur Louis de Bavière
accorde aux bourgeois de Francfort, « afin qu'ils protègent les Juifs de
la ville et veillent à leur sûreté plus volontiers et de meilleur cœur »,
un privilège spécial, grâce auquel les emprunts qu'ils feront aux
Juifs pourront ne plus être annuellement qu'à 32 ~ pour 100; mais en
traitant avec les étrangers, les Juifs sont autorisés à mettre l'intérêt
sur le pied de 43 ~ pour 100, et - personne ne pourra les contraindre
à faire un marché moins avantageux ^ •■-■, dit l'ordonnance royale. Le
conseil de Mayence ayant fait à quatre Juifs de la ville un emprunt de
1,000 florins, leur permet de réclamer 52 pour 100^ d'intérêt. A Ra-
tisbonne, Augsbourg, Vienne et ailleurs, l'intérêt légal monta même
assez fréquemment jusqu'à 86 | pour 100*.
Mais les intérêts les plus vexatoires étaient ceux que les Juifs exi-
geaient pour des prêts minimes, contractés à de plus courtes
échéances, prêts auxquels le petit bourgeois et le paysan étaient si
souvent forcés de recourir au jour de la détresse. « Les Juifs pillent et
' Falke, Gesch. des Deutschen Handels, t. I, p. 276-283. — ENDEMANN', Studien,
p. 102-104. — HcLLMANN, Stadtewesen, t. I, p. 437-440. Les différences de valeur
dans réchange des diverses sortes de monnaie passaient pour ■ ex eo quod non
est ejusdein inetalli, ex ina^quaii bouitate, ex inaequali figura, ex pondère ex
diversitate loci ubi est, ex majori abundautia =. — Voy. Endemann, Xatioimlöco-
nomische Grundsätze, 84, et p. 72-92.
'BÖHMER, Codex Mœnofrancofurtanus, p. 553-554. — Voy. KrieGK, Francfurter
Zustände, p. 418.
' Kriegk, p. 536, note 20S. — Keller, t. I, p. 110. — Voy. aussi Keller,
Nachlese, p. 305-307.
* Voy. Stobbe, Die Juden in Deutschland, p. 110 et 235. En 1224, le taux à intérêt
monta même en Autriche jusqu'à 174 pour 100. Rizy, i'ber Zinstaxen und Uu-
chcrgestze. En France, le roi Jean permet en 1360 que le maximum d'intérêt
demandé par les Juifs atteigne 86 2/3 pour 100. Voy. Roscher, Grundlagen der
A'ationalöconomie, t. V, p. 191, note 12. En 1491, les Juifs de Francfort sont auto-
risés à réclamer 21 2 3 pour lOO. Kirchener, Gesch. Francfuris, t. I, p. 457. Dans
le Brandebourg, jusqu'au dix-huitième siècle, on leur accorde 24 pour 100. —
Neumann, Gesch. des ll'uchers, p. 322.
374 ÉCONOMIE SOCIALE.
écorchent le pauvre homme », dit en gémissant réclianson Érasme
d'Erbach (1487). « La chose devient vraiment intolérable; que Dieu
ait pitié de nous! Les Juifs usuriers s'installent maintenant à poste fixe
dans les plus petits villages ; quand ils avancent cinq florins, ils prennent
des gages qui représentent six fois la valeur de l'argent prêté; puis ils
réclament les intérêts des intérêts et de ceux-ci encore des intérêts
nouveaux, de sorte que le pauvre homme se voit, à la fin, dépouillé
de tout ce qu'il possédait'. " L'iutroducîion du prêt à la semaine, <; le
plus en usage de tous «, et auquel on pouvait avoir recours pour la
plus modique somme, même pour un emprunt de trente pfennigs*,
prouve assez que c'étaient les petites gens surtout qui avaient recours
aux prêteurs.
Les grands seigneurs, les princes, les nobles, se laissaient aussi
entraîner par les Juifs dans d'inextricables dettes =>. Après leur avoir
abandonné leurs effets précieux, leurs valeurs mobilières, ils se
voyaient forcés, pour payer les intérêts des grosses sommes emprun-
tées, d'hypothéquer leurs revenus, les redevances de leurs subor-
donnés. Alors les trafiquants juifs venaient faire avec l'agent des
taxes seigneuriales le recouvrement de ces redevances, et voilà com-
ment, de tous côtés, les Juifs s'attiraient la haine, et passaient pour
« les extorqueurs et les infâmes ennemis du peuple ». 11 n'était pas
rare que la répulsion qu'ils inspiraient, la fureur du créancier qu'ils
avaient sucé jusqu'au sang, ne leur attirassent les représailles les
plus violentes*. " Les Juifs », dit Pierre Schvarz (1477), " reçoivent
de temps en temps de fort rudes leçons; mais ils les ont vraiment
bien méritées par leur astuce méchante! Ils trompent les gens, ils
perdent les propriétés en les grevant d'impôts usuraires; ils com-
mettent des meurtres secrets, comme chacun le sait. Voilà ce qui
leur attire de telles persécutions, et ce ne sont point d'innocentes vic-
times. Il n'existe pas de peuple plus méchant, plus rusé, plus avare
plus impur, plus vagabond, plus venimeux, plus colère, plus inso
lent, plus imposteur, plus éhonté. Ils ne savent ce que c'est que de
' Tiré des ouvrages posthumes de Bodmann, communiqué par Böhmer.
' Par exemple à Ratisbonne. Falke, Gesch. des deulschen Handels, t. I, p. 300
' Ainsi par exemple un Juif eut entre les mains une reconnaissance du duc
Boleslas de Liegnitz et Brieg de huit mille marcs, c'est-à-dire environ sept cent
cinquante mille marcs de notre monnaie. OElsner, p. 70.
* • Credo fuisse exordium Judaorum magnam et infinitam pecuniam, quam
barones cum militibus, cives cum rusticis iis schere tenebantur « , dit un chro-
niqueur. Voy. Nelmann, p. 330. Au déclin du moyen âge, bien des persécutions
contre les Juifs, l'anéantissement de leurs lettres de créance, etc., doivent être
considérées comme des crises de crédit de l'espèce la plus barbare, et comme
une forme de ce que nous appellerions aujourd'hui la révolution sociale. Roscher,
Stellung der Juden, p. 515.
PERSKCdTIONS CO MUE F. ES JUIFS. 375
tenir parole, si ce n'est dans la limite où leur crédit est en ques-
tion'. » « Aucun peuple ", dit l'iiumanisle licatus Rhenanus, « n'a
jamais exécré, comme le peuple juif, les hommes d'une croyance
opposée à la sienne; aucun, en revanche, n'a été l'objet d'une
pareille répulsion; aucun, pour prix de sa haine, n'a recueilli, comme
juste salaire, une haine plus implacable ^ » La voix publique semblait
être l'écho des vers du poëte autrichien Heibling :
I II y a bien trop de Juifs dans notre pays! C'est une honte et un péché
de les tolérer! Si j'étais prince, si je pouvais mettre la main sur vous,
Juifs, je vous le dis en vérité, je vous ferais tous brûler M i
On accusait les Juifs de porter une haine mortelle à la chrétienté
tout entière; d'insulter et de blasphémer le Sauveur du monde
dans les synagogues. On prétendait qu'ils empoisonnaient les fon-
taiues, propageaient à dessein la peste, volaient ou achetaient les
enfants chrétiens et leur tiraient le sang des veines dans le désir
superstitieux de se procurer par là des moyens soi-disant infaillibles
de réussir dans leurs desseins, dont la plupart restaient secrets \
« Il n'est que trop facile à comprendre », ditTrithème, « que chez
les petits comme chez les puissants, chez les hommes instruits et chez
les ignorants, chez les princes comme chez les paysans, se soit enra-
cinée contre les Juifs usuriers une aversion profonde, et j'approuve
toutes les mesures légales fournissant au peuple les moyens de
se mettre à l'abri de leur exploitation usuraire. Quoi donc! une
race étrangère doit-elle régner sur nous^? Est-elle plus puissante que
la nôtre, plus courageuse? Sa vertu est-elle plus digne d'admiration?
Non, sa force ne git que dans le misérable argent qu'elle gratte
de tous côtés et se procure par tous les moyens possibles, argent
' Voy. Pawlikowski, p. 63!.
' Voy. UoRAWiTz, p. 71, 668. — L'humaniste Conrad Celtes dit en parlant des
Juifs dans son Eloge de Xuremberg : = Exscindenda profecto gens aut ad Cauca-
suin et ultra Sauroraatas perpétue exilio releganda, qua?, per Universum orbem
in se totiens iram numiuum coiicitat, immani generis societatem violans et
COnturlians. » Voy. Roscbek, Stellung der Juden, p. 511-512, et Gesch. der Xationalö-
conomik, p. 36-37.
^ Voy. Stobbe, Juden im Mille'alter, p, 163-164 et 267, n° 152.
* Pawlikowski a dressé la liste des crimes réels, ou supposés, des Juifs,
p. 678-690. Le juriste Nicolas Marschalk, professeur à Rostock, écrivit en 1512
l'histoire des profanations d'hosties qui eurent lieu à Sternberg en 1492, et du
supplice des Juifs qui y avaient pris part (1493). Il nomme les Juifs « genus raor-
talium impium et perfidissimum ". Lisch, p. 86-88. — Friedunder, Beitrage iur
Buchdrucker g csch., Berlin, 4. Le margrave Joachim de Brandebourg fit brûler en
1510 trente-huit Juifs accusés d avoir profané des hosties. Trith., Chron. Sponh.,
p. 433.
' Dans un manuscrit de Saint-Blasier (1440), on lit : • Dominantur in nobis,
scilicet rebus temporalii)us perfidissimi et iniquissimi luda'i, pessimain usuram
sibi a nobis Christianis usurpant miserrime... » Voy. Mo.ne, Schauspiele des Mit-
telalters, t. II, p. 109-110.
376 ECONOMIE SOCIALE.
dont la recherche et hi possession semblent constituer la félicité
suprême de ce peuple! Les Juifs doivent- ils être autorisés à
s'engraisser impunément des sueurs de Touvrier et du cultivateur?
A Dieu ne plaise! Mais que la persécution des innocents mêlés aux
coupables reste également loin de notre pensée! Une chasse à
courre injustement dirigée contre les Juifs; l'emprisonnement de
tous ceux qui n'ont commis d'autre crime que d'appartenir à leur
nation; la saisie arbitraire de leurs revenus, que souvent la seule
cupidité des princes et seigneurs a mis entre leurs mains, tout cela est
contre le devoir et contre le droit. Les Juifs commettent des crimes,
il est vrai; ils profanent le très-saint Sacrement; on va môme jusqu'à
leur reprocher de mettre à mort des enfants chrétiens et de s'abreuver
de leur sang. .Mais ces accusations sont -elles toutes fondées? Et
quand bien même les forfaits de quelques misérables seraient avérés,
est-il équitable d'en rendre responsable toute une race '? » Trilhème
en appelle sur ce point à la bulle d'Innocent IV, où le Pape, prenant
la défense des Juifs, adressait aux chrétiens de justes reproches : « Sans
accusation > , avait dit le Souverain Pontife, " sans aveux préalables,
sans preuves, malgré les ordonnances du siège apostolique, d'une
manière impie et contraire à tout droit, on dépouille les Juifs de leurs
biens, ou les réduit à mourir de faim, on les jette en prison; on les
soumet à tous les tourments imaginables; on en met à mort un grand
nombre delà façon la plus barbare, de sorte que, sous la domination
des princes, des puissants et des nobles, ils sont réduits à un sort plus
affreux que celui de leurs pèresautemps de Pharaon*. » La répulsion
universelle que les Juifs inspiraient obligea le pape Paul II à déclarer
ouvertement : » que leur refuser les bénéfices de la justice, qui doit
être la même pour tous, est coupable, et grandement préjudiciable au
salut' (14G9) ». En 1446, lorsque les Juifs de la marche de Brande-
bourg sont surpris, jetés dans les cachots, dépouillés de leurs biens,
■ Chmel, Materialien zur österr. Gesch., t. II, p. 306. Les enfants juifs étaient sou-
Tent baptisés sans la connaissance et la volonté de leurs parents; aussi le pape
Martin V interdit-il aux clercs d'introduire les Juifs dans l'Église avant l'âge
de douze ans 1421). Voy. Stoece, p. 16G. « Il est certain, dit Kos,GnuK[SieUuug
der Juden im Mittelalter, p. 503i, que les papes, dans la persécution contre les
Juifs, ont bien plus contenu qu'excité la haine populaire. - Le célèbre historien
Israélite Gratz eu convient lui-même (vol. V, p. 41, et VI, p. 81, lui qui ne
se montre rien moins que doux envers tous ceux qu'il regarde comme les
ennemis de sa nation. Le grand empereur Frédéric II, adversaire à tant d'égards
de la papauté, déclare ouvertement que 1' « imperialis auctorit;iS » a imposé
aux Juifs une " perpetuam serviiutem ad perpetuara judaici sceleris ultionem«.
Document de 1237, publié par Hlillard-ErÉholles, t. I, p. 57.
-De Judœis, dans le Codex Camp., fol. 19. Voy. Ascheacu, Gesch. der Wiener Uni"
versilä;, p. 398, note 1.
* Voy. la bulle de Grégoire X publiée à Francfort et citée par Böhmeh,
Codex, M. F., p. 232.
LES PA l'ES ET LES JUIFS. 377
l'évoque Etienne de Brandebourg s'élève avec la plus vive indigna-
tion contre un pareil procédé : « Les princes blessent la justice »,
dit-il, « lorsque, mus par une avarice inouïe, sans cause légitime,
ils dépouillent les Juifs de tout ce qu'ils possèdent, les jettent en
prison, les mettent à mort, ou refusent, par cupidité, de leur resti-
tuer les biens qu'ils leur ont ravis'. »
« Ce ne sont ni des persécutions violentes ni des représailles
opposées à l'esprit chrétien qui nous débarrasseront de la plaie des
Juifs ", dit Trilhème. " 11 faut avant tout leur retirer les moyens de
se livrer à l'usure, de pratiquer leurs honteuses tromperies, et
les occuper à des travaux utiles aux champs ou dans les ateliers.
Voilà quel est le devoir de l'autorité; elle est également tenue de
veiller, après avoir équitablemeut fixé les droits de chacun, à ce que
les Juifs restituent aux chrétiens* l'argent et les biens dont ils les
ont injustement dépouillés ^ " « Les Juifs ", demande Geiler de Kai-
sersberg, « sont-ils au-dessus des chrétiens? Pourquoi donc ne
veulent-ils pas travailler de leurs mains? Ne sont-ils pas soumis
comme nous au commandement de Dieu, qui a dit expressément :
Tu gagneras ton pain ä la sueur de ton front? Or pratiquer l'usure
n'est pas travailler; c'est exploiter les autres en restant oisifs*. »
Jean Busch était aussi d'avis que les Juifs renonçassent à l'usure et
s'adonnassent aussi bien que les chrétiens aux travaux de l'agricul-
ture, à l'industrie, au soin des jardins, ou bien à des services publics
moindres encore, comme par exemple au nettoyage des rues ^
Gabriel Biel pensait que les Juifs devaient être entièrement exclus
du commerce des hommes, parce que leurs richesses ne provenaient
ni du travail ni de l'industrie, mais de l'usure''.
Les Dominicains, plus que tout autre Ordre religieux, avaient pris
à tâche d'inculquer au peuple l'obligation morale du travail. Aussi
condamnaient-ils sévèrement l'usure, pratiquée soitpar les Juifs, soit
parles chrétiens, et la taxaient-ils de grave péché. « Leur zèle les
faisait détester », rapporte Trithème, " non-seulement des Juifs, mais
de tant d'habitants de nos villes, chrétiens de nom seulement, et qui
sont de tout aussi grands usuriers que les Juifs''. "
' Klodex, Zur Geschichte der Marienverchrung in der Mark Brandenburg, p. 122.
*En 1512, le synode de Ratisbonne ordonne ce qui suit : « Judœos ad remit-
tendas Cliristianis usuras per principes et potestates compelli pra'cipimus
saeculares. » Hautzheim, t. VI, p. lüß. Sur les dispositions prises par d'autres
synodes, voy. Neu:mann, p. 328-329.
' De Judœis, p. 19.
* Voy. Cher Judenwucher und Schinderey (Augsbourg, 1739), p. 41.
^Ruscnius, p. 818.
" Voy. J, Falke, dans Mvll^v^, Zeitschrift für Deutsche Cultur Geschichte (1874),
p. 167-206. — COL'TZEN, Gesch. der volkswirlhschaftUchcn Literatur, p. 164.
' De Judœis, p. 20.
378 ÉCONOMIE SOCIALE.
« La haine contre les Juifs est si générale en Allemagne », écrit
Pierre de Froissart en 1497, '• que les gens les plus calmes sont
hors cVeux-memes dès que la conversation se met sur leur usure. Je
ne serais pas étonné si tout à coup une persécution sanglante écla-
tait contre eux dans tous les pays à la fois. Ils ont déjà été expulsés
violemment de bien des villes'. "
Les Juifs, pour cause d'usure, sont chassés de Saxe en 1432; de
Spire et de Zurich en 1435; de Mayence en 1438^; d'Augsbourg en
1439. A Constance et plusieurs villes du voisinage ils sont jetés en
prison (1446j. En 1450, le duc Louis le Riche les expulse de la
Bavière. Ils sont chassés delà ville épiscopale de Wurzbourg en 1453;
de Brïmn et d'Olmiitz en 1454; de Schneidnitz en 1757; d'Erfurt
en 1458; de Neisse en 1468; de l'archevêché de Mayence en 1470.
En 1476 le conseil d'Helbronn prend contre eux l'arrêté suivant :
« A cause du grand tort que l'usure fait à notre ville, il ne sera
plus permis à aucun Juif d'y entrer; le petit nombre de ceux qui
y seront tolérés devra renoncer à toute usure. " « Aucun bour-
geois, aucun paysan «, dit une ordonnance postérieure, « ne pourra
contracter une obligation quelconque envers un Juif. Si un Juif veut
passer par Heilbronn, il faut qu'il soit accompagné d'un sergents »
A Wurzbourg, oti les Juifs avaient reparu malgré les ordonnances,
on les expulse une seconde fois (1498). Ils sont chassés de Genève
en 1490; de Glatz en Thurgovie en 1491 ; du Mecklembourg et de la
Poméranie (où ils étaient en très-grand nombre et avaient su pénétrer
dans tous les recoins et jusque dans les petits villages) en 1492; du
diocèse de Magdebourg en 1493 ; de Styrie, de Carinlhie et de la Car-
niole en 1496; du diocèse de Salzbourg et du Wurtemberg en 1498*.
La même année, Maximilieu les fait expulser complètement de
Nuremberg à la requête du conseil de la ville. « Leur nombre ", au dire
des échevins, - s'était beaucoup trop accru; sous prétexte de prêts,
ils se livraient à un trafic usuraire dangereux et détestable. Beaucoup
d'honorables bourgeois, trompés par leurs ruses, s'étaient tellement
endettés, qu'ils se voyaient menacés dans leur honneur privé et dans
leurs moyens d'existence. Pour ces causes, les Juifs sontinvités à quitter
' Lettre 21. Sur les persécutions contre les Juifs, inspirées non par des
motifs religieux, mais par des raisons sociales et politiques, voy. OElsner, p. 64.
* Voy. Stobbe, p. 192-193. En 1431, trois mille paysans se rendirent à Worms,
demandant que les Juifs leur fussent livrés. Bezold, Bauernstand, p. 131. En 1448,
Hans von Glogau chasse les Juifs de sa ville '- parce qu il les regarde comme les
ennemis du bien public, et la cause de la ruine des pauvres gens ». GEls.ner,
p. 95. Jean Capistrano prêchait avec zèle contre l'usure juive. Son compagnon
raconte que les Juifs tremblaient au seul énoncé de son nom. OElsner, p. 91.
3 Jager, Heilbronn, t. I, p. 260, 302.
* Voy. Stobbe, p. 292. — Voy. Kamzoav, t. II, p. 221.
ÉTABr.IS SEMEXT DE BANQUES. 379
la ville tousensemble dans un délai fixé par le conseil. Il leur est permis
d'cmpoiier leurs valeurs mobilières; mais désormais aucun d'eux
n'aura le droit de résider à Nurember^j '. » Le conseil d'IJlm décide leur
j expulsion à peu près de la môme manière (1499) et lait publier l'arrêté
! suivant : " Toute personne rencontrant dans la ville un .luiCqui oserait
encore s'y montrer, pourra impunément agir envers lui selon son bon
1 plaisir^. »Les Juifs sont chassés de Ilitrdlingcnen 1500. En 1515 et dans
I les années suivantes l'électeur de Mayence, Albert de Brandebourg,
I cherche à former une ligue parmi les princes et les autorités des
villes pour leur expulsion perpétuelle ^ Mais ce qui inspirait un tel
, dessein à l'avare et voluptueux prince, comme le pensait non sans
I raison le Francfortois Biaise de Holzhauseu, « ce n'était pas le souci de
l'intérêt commun, mais bien son avantage personnel, car il se ven-
I drait lui-même aux Juifs ", ajoute-t-il avec amertume, <= pourvu que
I l'enchère en valiUla peine * ".
Pour remplacer les boutiques des Juifs (les échanges d'argent
j et les emprunts étant indispensables au commerce), des banques
' furent établies dans les principales villes de l'empire. Maximi-
lien décréta qu'à Nuremberg, à certains endroits désignés dans
l'intérieur de la ville, des banques d'emprunt seraient ouvertes, ne
prenant qu'un intérêt modique. Ces établissements étaient entrete-
nus avec les sommes formées par les intérêts, sommes sur lesquelles
les employés recevaient aussi leurs salaires; le surplus, s'il y en
avait, revenait à la caisse municipale '. A Francfort-sur-le-Mein,
dès le commencement du quinzième siècle, le conseil avait fondé
quatre banques entièrement indépendantes des Juifs, qui, en dehors
du change proprement dit, faisaient des affaires d'argent dans le
sens moderne du mot, se chargeaient de faire les rentrées pour la
municipalité, et en cas de besoin lui faisaient aussi des avances d'ar-
gent. Des autorisations de ces banques comme de l'apparition simul-
tanée de changeuses et de douanières péagères, ressort un fait inté-
ressant : c'est qu'à cette époque les femmes de marchands prenaient
non-seulement une part active au commerce, mais encore faisaient
des affaires commerciales à leurs propres risques et périls*^.
' Würfel, Hislor. Xachrichlen von der Judengemeinde der Reichsladl Xiirnhcrg, p. 153-
154. — OElsner, p. 65-66. — Stobbe, p. 62.
Mager, Ulm, p. 407-410.
' SCHAAB, Diplomal. Gesch. der Juden zu Meinz und dessen Umgebung (Mayence, 1855),
p. 148-160.
* Sencke.NBErg, Acta, p. 501.
* Würfel, Hislor. Xachrichten, p. 153. — Curieuse Xachrilen, p. 114. — Stobbe,
p. 66. — Neumann, p. 400-404.
* Kriegk, Franc/urter Zustande, p. 330-343. Sur le commerce de change à Ulm,
TOy. Jager, Ulm, p. 391-393. — Hirsch, Dantziger Handel, p. 232-239.
380 ÉCONOMIE SOCIALE.
VI
Mais rexpulsion des Juifs ne parvint pas à extirper « l'esprit juif
pratique ». Les usuriers chrétiens semblèrent en avoir hérité, et le
propagèrent si bien, qu'il finit par envahir la société tout entière,
grandissant toujours à mesure que le commerce prenait une extension
plus vaste et que le luxe devenait plus général. Alors on vit s'affir-
mer des principes qui contredisaient absolument les sévères prescrip-
tions établies par le christianisme, et créèrent bientôt un état d'hos-
tilité déclaré entre les partisans de l'usure et l'Eglise. Dans son His-
toire de l'Empire romain, Hans Folz dit à ce propos (1480) :
" Que dirais-je de la conduite de ces grands personnages qui font de
la musique avec les Juifs sur le même violon? Mais les pièces de môme
monnaie vont de compagnie, et comme dit le proverbe, « qui se res-
semble s'assemble ». Depuis que Juifs et chrétiens sont devenus bons
amis, comme je l'ai entendu dire, notre Seigneur Dieu est gravement
offensé, et le mal croît tous les jours '. »
Brant dit aussi :
" Je ne parlerai pas de la manière inique dont les Juifs trafiquent des
intérêts et des crédits. Plus d'un gagne plus d'argent en une seule matinée
qu'une année de travail ne pourrait lui rapporter. De nos jours on
donne de la monnaie, et l'on s'attend à recevoir de l'or en échange. Au
lieu de dix, on écrit onze dans son livre. Certes, la plaie des Juifs était
affreuse, mais maintenant ils ne pourraient revenir parmi nous, car les
Juifs chrétiens ont pris leur place. Je connais plus d'un de ces chrétiens,
mais je ne veux nommer personne ! Plusieurs que je pourrais citer se
livrent à un commerce déloyal, et cependant la loi et la justice se taisent
et laissent faire -. «
On accusait surtout les directeurs des compagnies commerciales du
sud de l'Allemagne, les Weiser et Hochstetter à Augsbourg, les Imhof,
Ebner, VoUcamer à Nuremberg', Ruland à Ulm, d'autres encore, de
grande usure et d'extorsions iniques, et comme les Juifs, les grands
commerçants encoururent la haine populaire. Si beaucoup d'accusa-
tions dirigées contre eux peuvent sembler exagérées ou sans fon-
dement, on ne saurait nier que leurs énormes capitaux, leur habile
' KrLLER, t. III, p. 1320. On lit dans une autre comédie de carnaval : « Les
usuriers qu'on chassait autrefois et qu'on n'aurait pas voulu enterrer en terre
sainte, sont assis maintenant au conseil; ils ont le haut bout de la table. •
Relleu, t. m, p. 1132.
^ Narreyischiff, parag. 93. — Voy. GœDECKE, p. 188.
JUIFS CHRÉTIENS. 381
manière de faire hausser les prix, n'aient exercé dans l'Empire ua
pouvoir oppressif, et qu'ils n'aient une lourde responsabilité dans les
troubles funestes qui se produisirent plus tard dans l'ordre social.
Ces « compagnies commerciales » s'entendaient entre elles à de
certains moments pour exploiler une branche spéciale de commerce.
Les bénéfices obtenus étaient ensuite divisés entre tous les associés,
dans la mesure plus ou moins grande des sommes exposées pour
l'entreprise. Les efforts tentés par ces sociétés pour accaparer sur le
marché allemand le commerce de toutes les marchandises importées de
l'étranger avaient été singulièrement secondés par les relations mari-
times, devenues bien plus directes, entre les Indes et l'Europe, et parla
translation à Lisbonne de la principale voie du commerce des épiées.
Autrefois, les marchands, disposant de capitaux bien moins considé-
rables, faisaient leurs acquisitions à Venise, à Gènes, villes relati-
vement voisines; au lieu que pour arriver à Lisbonne, la route à
travers la France et l'Espagne était beaucoup plus longue; le
retour dispendieux rendait les achats plus difficiles et nécessitait
à Anvers et à Lisbonne la présence de facteurs spéciaux; aussi
peu à peu le commerce des épices tomba-t-il entièrement entre les
mains des grandes sociétés particulières, qui fixèrent et haussèrent
les prix selon leur bon plaisir.
Mais ces sociétés ne restreignaient pas leurs vastes entreprises
au commerce des épices , elles s'entendaient aussi pour accaparer et
faire hausser les prix de toutes espèces de produits. On pour-
rait presque dire qu'elles devinrent les compagnies générales de
l'exploitation du peuple. Elles accaparaient les récoltes encore sur
pied. Aussi Geiler de Kaisersberg leur reproche-t-il de duper le
peuple, et de le gruger plus encore que ne l'avaient jamais fait les
Juifs. « Non-seulement », dit-il, i- les gros marchands tirent profit
des marchandises venues de l'étranger et dont on pourrait aisément
se passer, mais ils s'emparent de la vente des denrées de première
nécessité, comme le blé, la viande, le vin, etc. Ils pressurent le
peuple, exigent des prix que fixe leur cupidité rapace, et se nour-
rissent de l'amer travail des pauvres. » « Ceux qui sucent notre
sang '•■, dit-il en un autre endroit, •• les accapareurs de blé et de vin,
sont les ennemis du bien public; nous devrions nous lever en masse
pour les chasser de nos communes comme on chasse les loups. Ils
sont haïs de Dieu et des hommes, parce qu'ils ne craignent ni les
hommes ni Dieu. Ils affament le peuple par renchérissement des
denrées et causent la ruine des pauvres gens K »
Christophe Kuppener, professeur de droit à l'Université de Leipzig,
' Sehinderey und Judenwuchcr, p. 42. — Xarrenschiff, p. 195.
382 ECONOMIE SOCIALE.
animé du même zèle (1508), reproche aux autorités de manquer à
leur devoir en ne s'opposant pas aux riches négociants, aux grandes
compagnies commerciales : " Les accapareurs qui ont en main de gros
capitaux -, dit-il, ^ postent leurs agents à Venise, en Russie, en Prusse,
et lorsqu'ils apprennent qu'une marchandise est chère, qu'elle monte,
ils l'achètent en masse, afin de pouvoir la revendre ensuite au prix
qui leur convient. Une telle manière d'agir ne devrait pas être tolérée
dans nos pays et nos villes. Elle est coupable, elle nuit gravement à
l'intérêt commun, elle est en contradiction avec la loi naturelle. Les
princes et gouvernants ne devraient pas souffrir de pareils agisse-
ments. Ils sont tenus d'avoir égard à l'intérêt général et ne doivent
pas accorder de privilèges aux particuliers '. »
« Tout le monde sait, et la chose est passée en proverbe ", dit
Kilian Leib, « que certains marchands font impunément dans l'inté-
rieur de nos villes et dans leurs maisons privées ce que faisaient autre-
fois les chevaliers pillards '^ au péril de leur vie : ils dépouilleut les
gens de leurs biens, et cela sans courir aucun risque \ "
Ce n'est qu'en 1512, à la diète de Cologne, que l'autorité impériale
se décide enfin à sévir contre les sociétés commerciales. Nous lisons
dans un arrêt rendu à cette date par les États : <= Depuis quelques
années il s'est établi dans l'Empire de grandes compagnies mar-
* Voy. NeüMANN', Gesch. des Wuchers^ p. 591-592. — Mutiier, Aus dem Uiiiversilälsh-
ben, p. 156-166. " Trop souvent les princes et ceux qui -fjouvernent sont secrè-
tement associés aux grands financiers; ils tirent un f^rand profit personnel en
argent et en joyaux des riches accapareurs et hommes d'argent. Vciilà pourquoi
ils font comme s'ils ne voyaient rien de ce qu'ils devraient voir dans 1 intérêt
du peuple », dit l'Exhortation chrétienne, p. 17. Voyez aussi Ansehlm, t. II, p. 113.
En France, on trouve sous le roi Charles Vii le premier exemple d'un grand
financier et accapareur devenu ministre des finances ; il s'appelait Jacques
Cœur et était marchand à Bourges. Matthieu de Coucy, historien contempo-
rain, dit de lui : « Le Roi avait dans son royaume un homme de basse naissance
qui, par son habileté, son expérience et ses soins, parvint à être à la tête
d'un commerce considérable de marchandises précieuses; en même temps il
était argentier du Uoi. Il avait sous lui beaucoup de caissiers et de facteurs qui
trafiquaient ses marchandises dans tous les pays et royaumes de la chrétienté.
Sur la mer, il entretenait à ses frais plusieurs grands navires qui, grâce aux
autorisations du sultan et des Turcs, étaient libres de tout impôt maritime et
allaient débarquer dans le Levant, l'Egypte, la Barbarie, les plus belles et les plus
riches marchandises; Jacques Cœur se faisait rapporter d'Orient des étoffes d'or
et d'argent, des toiles de soie de toutes sortes et de toutes couleurs, des fourrures
de martre et de putois, outre bien d'autres marchandises de prix telles qu'on
peut s'en procurer dans ces pays. Il les faisait ensuite vendre à la cour, dans
îes principales villes du royaume et dans tous les ports étrangers. Il avait
au moins trois ou quatre cents facteurs à ses gages, et, à lui tout seul, gagnait
annuellement plus que totts les autres marcliands et commerçants réunis du royaume. Au
moment de la conquête de la Normandie tl449!, il prêta au Roi plusieurs rail-
lions. » Il mourut persécuté et proscrit à Famagousta. Voy. Risselbach, Gang
des Welthandels, p. 231-232.
* Quod pridem Franconura aequites latrunculi capitis faciebant periculo.
• Voy. ArÉtin, Beiträgen zur Geschichte und Literatur, t. VII, p. 650-651.
JUIFS CHRÉTIENS. 383
chandes qui ont la hardiesse de prendre en main, d'accaparer et de
monopoliser toutes sortes de denrées et de marchandises : épices,
mélaux, lainages, etc., afin d'eu trafiquer avant tous les autres et de
pouvoir en fixer les prix selon leur volonté et pour leur profit
exclusif. Puisque par une telle conduite ils causent au Saint-
Empire et à toutes les classes de la société un tort considérable, il
est arrêté, à cause de la pressante nécessité de la chose publique,
que désormais des abaissements si pernicieux seront interdits, entiè-
rement abolis, et qu'à l'avenir personne ne pourra s'y livrer ni les
mettre eu pratique. Si néanmoins quelqu'un osait encore s'en
rendre coupable, ses biens seraient confisqués au profit des autorités
locales. Ces mêmes sociétés et marchands ne pourront plus désor-
mais se l'aire donner de saul^couduits par n'importe quelle auto-
rité de l'empire, quels que soient les clauses, interprétations ou
termes de ces sauf- conduits. Mais pour bien prouver que ces
mesures ne sont pas uniquement diri(jées contre les compagnies
commerciales, l'association ne sera défendue à personne; la loi déclare
que chacun pourra acheter des marchandises et les revendre où il lui
plaira, pourvu qu'il ne tente pas d'accaparer une marchandise, de lui
donner un prix arbitraire, et n'exige pas du vendeur qu'il ne la
livre qu'à lui seul et la détienne uniquement pour lui. Malgré ces
prescriptions, si les marchands avaient encore l'audace de taxera de
trop hauts prix leurs marchandises, il serait du devoir des autorités
de veiller diligemment et efficacement à ce que de tels enchérisse-
ments soient rendus impossibles et à ce que des prix honnêtes et
modérés soient fixés. Dans le cas où elles manqueraient à ce devoir,
le fiscal impérial agirait et procéderait contre elles comme il con-
vient K »
Mais la puissance de l'argent fut plus forte que le pouvoir exécutif
dont pouvait disposer l'empire. D'ailleurs, beaucoup de membres des
conseils urbains étaient secrètement associés aux « compagnies^ », et
parmi les conseillers impériaux eux-mêmes plus d'un ne dédaignait
pas les gros pots-de-vin offerts par les marchands, et participait à
l'exploitation capitaliste du peuple. « Les conseillers de l'Empereur
étaient à l'affût », dit un chroniqueur contemporain. " Presque tous
' Nouvelle Collection des arrêts et sentences des Etals, t. II, p. 144, § 16-18. — EnneN,
Gesch. Kölns., t. II, p. 724-725.
' Voy. les actes des corporations d'Ulm en 1513. Voy. Pressel, Die Unruhen in
Ulm, p. 214. Maximilien, dès 1507, avait mis en garde les hal)itants d'Ulm contre
le tort que faisaient les grandes compagnies commerciales au commerce de la
Tille; mais le conseil nia qu'elles eussent une action nuisible, se fondant sur
les moyens de subsistance qu'un grand nombre d'iiabitants trouvaient dans
leurs maisons. On fut cependant contraint d'avouer au conseil que les grandes
compagnies étaient causes « de la ruine des marchands isolés •. Scbmoller,
Nationalökonomische Ansichten, p. 500.
384 ECONOMIE SOCIALE.
étaient riches, et l'Empereur restait pauvre, » « Quelques-uns faisaient
cause commune avec les marchands, et plaçaient en secret des fonds
dans leurs entreprises'. "
Aussi les abus du monopole allèrent-ils toujours en croissant, et
des plaintes sur renchérissement général se firent-elles toujours plus
entendre. Dans le Wurtemberg, à partir de 1510, le vin monta peu
à peu de 49 pour 100; le blé, de 32. Ces hausses énormes concor-
daient avec la dépréciation de Targent, due, non aux importations
des mines d'Amérique, mais aux compagnies commerciales, qui
avaient réussi à monopoliser l'exploitation des mines allemandes ^
Les Fugger, d'Augsbourg, tiraient annuellement des seules mines
de Schwatz (Tyrol), dont l'exploitation leur avait été concédée,
200,000 florins. La compagnie des Hochstetter, à Hambourg, ne lira
pas moins de 149,770 marcs d'argent, et de 52,915 quintaux de
cuivre de ces mêmes mines, entre 1511 et 1517 ^
Dans les pays héréditaires d'Autriche, les compagnies d'Augsbourg
et de Isuremberg achetaient en masse les denrées de première néces-
sité devant les portes mêmes des villes, ou sur les marchés. De cette
manière elles arrivaient bien vite à dominer tout le petit commerce,
et fixaient alors tous les prix selon leur gré. Aussi les députés envoyés
par ces pays et réunis à Innsprïick en diète provinciale (1518), obtin-
rent-ils contre elles l'arrêt suivant : " Les grandes sociétés de com-
merce ont leurs centres hors de notre pays. Elles ont entre leurs
mains ou celles de leurs facteurs toutes les marchandises indispen-
sables à la subsistance : argent, cuivre, acier, fer, toile, sucre, épices,
céréales, bestiaux, vins, viandes, saindoux, suifs et cuirs. Leurs for-
tunes les ont rendues si puissantes, que pour le marchand et l'indus-
triel ordinaire, ne possédant que de 1 à 10,000 florins, elles détruisent
toute possibilité de faire le commerce. Lorsqu'elles sont en force,
elles font les prix selon leurs volontés et amènent la hausse quand il
leur plaît. Beaucoup de ces compagnies possèdent des revenus
princiers, au grand détriment du pays. Il est donc décidé qu'à
l'exception des jours de marché, on ne leur permettra plus de
prendre leurs quartiers dans la ville et de s'y installer avec leurs
marchandises pour la vente quotidienne. Afin d'éviter la fraude et la
contrebande, personne n'entretiendra de relations soit publiques,
'Greiff, p. 100-101.
^ Voy. Helferich, Gcldentwcrthung, p. 475-492. Ce ne fut qu'en 1560 que l'argent
américain amena l'abaissement de la valeur monétaire, p. 491. Sur la déprécia-
tion des monnaies d'argent, entre 1399 et 1511, voy. Ennen, Gesch. Kolas., t. III,
p. 907-908.
' Voy. Greiff, p. 94. Le monopole des Fugger sur les mines eut une grande
part aux troubles des paysans du Tyrol. En Hongrie, les meneurs de la révolte
contre la noblesse étaient facteurs des Fugger. Höfler, dans les Archiv, fur
kunde Osterreich. Geschichtsq., t. XI, p. 204.
EXPLOITATION CAP IT A I, I S T i; DC PKIPI,F.. 385
soit .secr(>tes, avec elles. Pendant les foires el les marchés publics de
Vienne, Baulzen, du Vorarlberg}, etc., il csl délendu aux compnfjnies
d'accaparer avant la fin du marché les denrées ou marchandises quel-
conques par des olïres renchérissant sur celles des autres acheteurs. »
« Il leur est inicrdil d'acheler en masse les bcsiiaiix honjjrois ou ceux
du pays, sous peine de saisie. Tout achat lait d'avance dans le but
d'en trafiquer à l'étranger est défendu, La compagnie qui vient de
se former pour le commerce du savon est dissoute, connue faisant
tort au pays. > " Le prix des épices et autres substances alimentaires
avait en effet subi une hausse énorme. De plus, les marchandises
achetées dans de bonnes conditions à Venise, Calcutta, Lisbonne,
Anvers, Lyon el Francfort étaient falsifiées avant d'être mises en
vente; le gingembre, le poivre, étaient coloriés avec de la poudre de
brique ou mêlés à des ingrédients malsains'. " Il en était de même
de beaucoup d'autres produits. .
Les bénéfices des spéculateurs étaient souvent monstrueux. Bar-
thélémy Rem, d'Augsbourg, avec une somme de 500 florins seule-
ment, prêtée à Ambroise Flochstetter pour courir les chances de son
commerce, réalisa un bénéfice de 24,500 florins d'or entre 1511
et 1517. De tels résultats justifient évidemment le reproche si fré-
quemment adressé aux compagnies, - de dépasser sept fois l'usure des
Juifs- '. Une note laissée par Conrad Mayer, secrétaire des Fugger,
donne l'idée des énormes revenus que réalisaient souvent les gros
capitalistes de l'époque. Cette note constate qu'en l'espace de sept
ans, la fortune des Fugger avait augmenté de 13 inilUons dcßorins ^
Des discussions s'élevaient fréquemment à l'intérieur des grandes
compagnies à propos du partage des bénéfices, et les directeurs
étaient souvent accusés de malversations. On lit dans la Chronique
d'histoire actuelle commencée à Augsbourg en 1512 : " Les marchands
' Voy. Falke, Gesch. des danschen Handels, t. II, p. 338-339. — Voy. Kellep., t. I,
p. 478. — De LORENZ!, L II, p. 274-275. — Voy. aussi notre second volume. Voy.
SCHMOLLER, X'ationainhonomische Äinichtcii, p. 497. - Les compagnies ", dit Sébastien
Franck dans son IVcltbuch, p. 153% - achètent tout ce qui se présente, même les
aiguilles, les miroirs, les couvertures, les céréales, le vin, la toile, et en
revanche nous rapportent des pays étrangers des bagatelles inutiles qu'elles
enchérissent à l'envi parmi nous, telles que soie, velours, muscade, clous de giro-
fle, poivre, cannelle, etc. Ce que l'artisan leur donne, il ne peut plus le racheter
qu'en le payant le double. Et ces marchands ont grand soin de n'exposer ni leur
corps ni leur âme; ils dirigent toutes choses à l'aide de commis à leurs gages
qui traversent les mers et leur rapportent les bénéfices et les comptes. »
En 1523, rien que par les compagnies commerciales de Lisbonne, Irente-six
mille quintaux de poivre, vingt-quatre mille quintaux de cannelle furent intro-
duits en Allemagne. Ces marchandises étaient très-fréquemment falsifiées, .irrê/s
et sentences des États, t. XXX VIII, p. 241-271, dans les archives de Francfort.
- Greiff, p. 92-93.
* Greiff, p. 94. La fortune des Fugger s'éleva jusqu';'» soixante-trois millions
de florins.
386 ECONOMIE SOCIALE.
avaient formé de grandes compagnies et avaient amassé des fortunes
colossales, mais plusieurs étaient peu honnêtes, et dupaient les
autres, leur faisant quelquefois tort de plusieurs milliers de florins.
Ceux d'entre eux qui étaient chargés d'établir les comptes étaient de
beaucoup les plus riches. On les appelait des gens habiles, des gens
intelligents, car on n'osait les nommer larrons, comme ils l'eussent
bien mérite. Dans le contrat d'association, ils prenaient des enga-
gements envers tous; mais lorsqu'il en fallait venir aux comptes,
les commis, lès intéressés dans l'affaire, ayant aussi bien qu'eux
exposé leur argent et couru les chances, étaient obligés de se
déclarer satisfaits de la part qui leur était faite, et feignaient de
croire à leurs assurances déloyales. Ces sortes d'engagements secrets
ont fait de grands coupables, et il est fort probable qu'il n'y a pas
de voleurs plus rusés que les administrateurs de quelques-unes de
ces grandes compagnies'. "
« Mais on a beau prendre des mesures sévères pour empêcher
l'usure », dit un prédicateur du temps (1515), ' rien n'y fait. Tout le
monde voit la rapidité avec laquelle les grands marchands accapa-
reurs deviennent riches; chacun veut arriver comme eux à la for-
tune et rêve de tirer de gros intérêts de son argent. L'ouvrier et
le villageois placent leur petit avoir dans une compagnie ou chez un
grand spéculateur, danger qui n'existait pas clans l'ancien temps;
en dix ans, le mal a pris un accroissement énorme. On se pro-
pose de beaucoup gagner, mais souvent on perd tout ce qu'on avait
confié-. »
Bien des gens connurent de semblables déceptions. Le grand capi-
taliste d'Augsbourg, Höchsteifer, fit un grand nombre de dupes. Les
princes, les comtes, les gentilshommes n'avaient pas été seuls à lui
confier leur argent; les paysans, les valets, les servantes lui avaient
livré leurs modestes économies. " De pauvres villageois ne possédant
pas plus de dix florins '>, rapporte Clément Sander, d'Augsbourg,
c. ont cru bien faire en les plaçant chez Ilochstetter, persuadés qu'ils
en retireraient un bon intérêt. Tant de personnes ont partagé cette
confiance, qu'Höchstetter et ses associés ont eu pendant plusieurs
années de suite un million de florins d'intérêts à payer. » « Il faisait
semblant d'être bon chrétien, mais il a trop souvent lésé l'intérêt
public et le pauvre homme. Non- seulement il était sans probité
dans les grandes et importantes spéculations, mais encore il s'enri-'
clîissait d'une manière inique en vendant à des prix modérés des
denrées felsifiées. Ainsi, par exemple, il accapai'ait les bois de frêne
lorsque les chemins étaient bons et les amenait sur le marché lorsqu'ils
» Greiff, p. 100.
2 Dans le Cod. Camp,, p. 29.
FUNESTIiS Ti; NI) AN CK. S K C 0 N () M I O U K S . 387
(Uaieul devenus mauvais; il afjissalt de môme pour le vin et le bl(\ et
c'est ainsi qu'il a fini par trop tendre les cordes du ludi. Souvent
il achetait en masse un produit (ju'il payait plus cher qu'il ne valait,
a/in de pouvoir ensuite oppriuior â sa {juise les comnierçants moins
riches qui n'avaient pu acheter à un taux aussi élevé, il amenait
dans le pays renchérissement d'une denrée, puis il la revendait au
prix qui lui convenait. Aucun marchand du pays n'ayant en sa pos-
session plus de 50 ou de 100, 000 florins, personne n'était en nie-
surc de lutter avec lui, de sorte qu'il (jagnait tout ce qu'il voulait. »
ic Ambroisc Ilochstettcr a accaparé le mercure dans tous les royaumes
et territoires. 11 l'a acheté plus cher qu'on ne le vend ordinairement,
j)ayant le quintal jusqu'à 8 Morins, faisant tort par cette manœuvre
aux autres trafiquants, puis le revendant à 14 florins une fois qu'il
était tout entier entre ses mains. Il en avait acheté pour 200,000 flo-
rins, mais à dire le vrai il eu avait perdu le tiers, parce qu'entre
temps, on découvrit une grande quantité de mercure en Hongrie
et en Kspagne; il a essuyé d'autres désastres encore : un de ses
navires chargé d'épiccs a sombré; des cargaisons de marchandises,
venant des Pays-Bas et se dirigeant vers Augsbourg, ont été pillées
par des voleurs de grande route, etc., etc. Mais tout cela eût été
très-réparable si ses fils et ses neveux se fussent honorablement
conduits, s'ils avaient eu un soin convenable de leurs affaires, et
si tous les ans le vieil Ambroise lui-môme avait fait ou fait faire des
comptes exacts; alors tout ce qui est arrivé aurait pu être évité.
Mais son fils Joachim et son gendre Baumgartner faisaient des
dépenses extravagantes : en une seule nuit ils gaspillaient dans un
repas de fête de 5,000 à 10,000 florins, et perdaient au jeu, en une
seule fois, 20,000 ou 30,000 florins. Le jeune Ambroise Hochstetter, fils
du vieil Ambroise, et Joseph Hochstetter, son neveu, ont mal conduit
la maison, mais cependant moins mal encore que les deux autres. »
A la suite d'une administration si déplorable , Hochstetter, quelques
années après, fit une faillite de 800,000 florins. Condamné à la prison,
il y mourut misérablement '. Ses fils eurent aussi de longues années
d'emprisonnement à subir. " Ils ont fait grand tort à de braves gens,
riches ou pauvres, et le luxe et la magnificence qu'ils ont étalés ont
fait dire de tous cotés cju'ils avaient bien mérité d'aller mourir au
cachot. Qu'ils servent d'exemple à ces fripons qui dépensent plus
qu'ils savent ne pouvoir payer! » C'est à propos de la banqueroute de
Hochstetter que le conseil d'Augsbourg fit construire la prison pour
dettes, et On fut d'abord extrêmement irrité contre les Hochstetter »,
remarque un chroniqueur, " mais peu à peu la rancune alla en s'adou-
' Greiif, p. 95-96.
25-
388 ECONOMIE SOCIALE.
cissant. En vérité, ce serait grand dommage de plaindre de tels
scélérats! îls ont pris d'une manière honteuse Targent des hon-
nêtes gens! D'ailleurs, après avoir fait faillite ils sont souvent
plus riches qu'auparavant, car les loups se mangent rarement entre
eux*, »
Il est incontestable que, sous le rapport économique, de fâcheuses
tendances commençaient à se faire jour. Les gens prévoyants et
attentifs regardaient l'avenir avec effroi. Un commerce trop puissant
avait engendré une passion immodérée pour les richesses. L'amour
du luxe, des habillements somptueux, des mets recherchés, avait pris
des proportions effrayantes. Les gros capitaux mis en œuvre faisaient
une situa iion de moins en moins tolérable aux classes laborieuses.
« Quel bon temps pour les pays allemands », dit le sermon que nous
avons déjà cité (1515), ■•■■ que celui où toutes les marchandises étaient
évaluées à des prix fixes, où l'autorité ne souffrait ni les accapa-
rements ni l'usure! Mais depuis que le commerce a pris un accroisse-
ment si vaste, depuis que les grandes compagnies produisent un
enchérissement général, tout ce dont le pauvre homme a besoin pour
se nourrir et se vèlir devient d'un prix si élevé, qu'il ne pourra bientôt
plus, ou que très-difficilement, se procurer les moyens de vivre. Si
les temps ne changent, de grands troubles et de déplorables révoltes
sont à redouter? « De l'argent! de l'argent! - crient les seigneurs, et
plus le commerce et l'usure leur eu apportent, plus ils crient : - De
l'argent! de l'argent! car l'argent fait l'homme-. >' Et si quelqu'un
les reprend et leur dit : - Tu es un usurier, tu extorques le bien du
peuple; la colère de Dieu et des hommes s'appesantira sur ta tète, et
tu perdras ton âme =>, ils regardent un tel donneur d'avis comme un
niais, vu de mauvais œil et détesté. Ils méprisent l'Église, et ses
commandements leur sont devenus à charge parce qu'ils s'opposent
à leurs désirs. ^ " Sache que le Dieu tout-puissant est le seul maître
des biens d'ici -bas. Tu n'es que l'administrateur et le représen-
tant de Dieu pour toutes les choses que tu possèdes. Ne t'imagine fi
donc pas qu'ua jour tu n'aies pas à en rendre compte; ne pense
pas que tu sois libre d'en faire ce que bon te semble, et qu'il te soit
loisible de tondre et de dépouiller le pauvre homme comme si tu
n'étaispasson frère et son égal. Il t'a été ordonné de travailler, et non
pas de viyre dans la paresse; si tu es marchand, tu es tenu de vendre
à un prix équitable, de quelque marchandise qu'il s'agisse. Surtout
l'usure pratiquée par l'argent et les intérêts t'est défendue! Mais
un tel langage sonne désagréablement à l'oreille des usuriers, des
accapareurs, des fabricants d'argent! Ils sont maintenant devenus
' r.r.KiFF, p. 95-98.
- Keller, t. II, p. 652.
M- TRAVAIL D'AI'KÈS M! DROIT «JERMAMQUE CIIUÉTUTN. 389
de (■rancis seigneurs, ils on! obtenu des lettres de noblesse *, et
depuis ce temps se pavanent orj^ueilleusement parmi nous; mais
il n'en est pas moins vrai , poursuit le prédicateur, « que leur
conduite outra^je la sainte F{jiise; quafjir comme ils le font, c'est
la iiH'priser, et qu'ils vont contre tout ce qu'elle enseigne sur la pro-
priété, le travail inqiosé aux hommes, les intérêts, l'usure et le prix
lép.al des marchandises. •-
VU
D'après l'enseignement de l'Église, toute propriété terrestre appar-
tient à Dieu seul. Dieu, créateur de toutes choses, en est aussi le pro-
priétaire unique, exclusif. Il veut que les hommes soient pourvus de
tout ce qui est nécessaire à leur subsistance, mais sa volonté s'oppose
à ce que les biens de la terre se trouvent dans la propriété commune,
car, s'il en était ainsi, la nature pervertie de l'homme ferait régner
partout la discorde et la ruine. Ce n'est qu'eu reconnaissant à l'individu
le droit de posséder que l'ordre indispensable à la bonne administra-
tion et à l'amélioration des biens peut être maintenu, et la paix
assurée aux hommes; mais personne n'a sur ce qu'il possède, même
légitimement, un droit de propriété sans restriction. Il ne lui est
jamais permis d'en disposer selon sou caprice. Il ne peut, en en fai-
sant usage, agir et procéder arbitrairement, comme ^i ces biens
n'étaient pour lui que les moyens de satisfaire sa soif de jouir et de
dominer, car d'après l'ordre établi par Dieu, l'homme n'est que l'usu-
fruitier de la richesse qu'il possède. La volonté divine exige de lui qu'il
se conduise en fidèle intendant, et qu'autant que possible il dépense
ses revenus de façon à servir l'intérêt général ^ C'est par l'exercice
de ce dernier devoir, ^- donner d'après son revenu ", qne se produit
l'équilibre entre la richesse et la pauvreté, et que l'inégalité du partage
' Les marchands enrichis achetaient des lettres de noblesse, se plaisaient à
étaler leur faste dans les tournois et à singer les gentilshommes; ils sont raillés
sans pitié dans un pamphlet du quinzième siècle : Contra cives nobiUtatos, qui a été
publié par Wattknbach, AdimlQ Anzeiger für die Kuiidedmtscher Vorzeit, t. XXIII, p. 273-
274. Guillaume Werner, juge à la chambre de justice de Spire, dit très-bien dans sa
chronique : »Ils détestent par nature et par longue tradition tout ce qui tient à
la noblesse, et cependant, dès qu'ils en ont le moyen, ils ne songent qu'à la
contrefaire. »
* Le célèl)re axiome de saint Thomas d'Aquin est fréquemment répété dans
les écrits canonistes du quinzième siècle : « Bona temporalia, qua^ homini divi-
nitus conferuntur, ejus quidem sunt quantum ad proprietatem, sed quantum ad
usum non solum debent esse ejus, sed etiam aliorum, qui ex eis sustentari possunt
ex 60 quod ei superfluit. » Voy. Contzex, Gesch. der rolhsicirschaftl. Literatur, p. 84.
390 ECONOMIE SOCIALE.
des biens trouve une intime compensation. Le soutien de ceux qui
sont dans le besoin, sous quelque forme cjne ce besoin se produise,
ne doit donc pas être considéré comme un pur acte de charité chré-
tienne : il est de stricte oblij^ation '. " Que les riches se sou-
viennent ", dit Trithème, s'appuyant en cela sur l'opinion de
saint Augustin et du pape Gréjyoire le Grand, " que leurs biens ne
leur ont pas été confiés pour qu'ils en jouissent à eux tout seuls, mais
afin qu'ils en fassent un bon emploi; ils doivent les considérer comme
appartenant à l'humanité tout entière. En procurant à ceux qui sont
dans l'indigence ce qui leur est nécessaire, ils ne font que leur donner
ce qui leur appartient. Mais lorsque le devoir de la bonne admi-
nistration des biens est négligé dans une large proportion, soit par
le clergé, soit par les laïques; lorsque les riches s'imaginent être les
seuls maîtres et seigneurs de ce qu'ils possèdent, et ne regardent pas
les indigents comme leurs frères, il en résulte nécessairement un
trouble social profond. De faux docteurs, comme nous l'avons vu en
Bohême, séduisent le peuple, lui persuadent que les biens doivent être
également répartis entre tous, et que, par la violence, il faut con-
traindre les riches à les partager. Alors des faits déplorables se pro-
duisent; la guerre civile s'allume, nulle propriété n'est épargnée,
nul droit de légitime possession reconnu, et les riches peuvent se
plaindre à bon droit de la perte des biens cpii leur ont été ravis. Mais
qu'ils s'interrogent de bonne foi : dans les jours de calme, en gérant,
en dépensant leurs revenus, ont-ils eux-mêmes reconnu les droits du
souverain propriétaire, c'est-à-dire de Dieu'? ;
La doctrine du droit canon sur la propriété était, en ses points
essentiels, en complète harmonie avec les principes de notre droit
national, tout imprégné de l'esprit de l'Église'.
Ainsi que le droit canon, le droit allemand considère la propriété
comme un fief prêté par Dieu, comme un droit protégé par son com-
mandement. En conséquence, tout propriétaire est responsable devant
Dieu de l'administration du bien qui lui a été confié, et l'étendue,
la mesure de son droit de possession, a pour limite et pour frein
le droit moral, l'unique titre de sa propriété. Le propriétaire
est autorisé, mais en même temps il est tenu d'user de ses biens
eu égard à la fin morale qu'ils sont chargés de servir. Il ne peut,
par conséquent, en disposer selon son caprice. Son droit do
les garder ou de s'en défaire est subordonné à la question de l'avan-
tage général, à la considération des égards légitimes et équita-
' Dchiliim legale.
- De Jnilœis, p. 5.
^ Voy. Schmidt, Der principielle Unterschied zin'scheti dem römischen und germanischen
Becht, p. 217-247.
LE TRAVAIL D'APRÈS LE DROIT OERMAMQUE CHUKTIEN. 391
bles dus à (ous, mais particulièrement à ceux de sa famille, à ses
voi.-ins et aux uiallicureiix. Noire ancienne l(''{|isia(ion élève partout
les oljli^ations morales à la hauteur de devoirs lc(jaux. Elle men-
tionne diverses strictes oblign lions de donner; riiospitalilé en était
une, et |)arlu)!ii y domine ce principe, que celui qui a faim, qui est dans
le besoin, est autorisé à prendre pour ses nécessilés immédiates une
certaine part des produits des champs et des bois.
Kn toute rencontre, l'équité est la base morale de Texercicc du
droit de propriélé.
Le droit allemand est aussi entièrement d'accord avec le droit
ecclésiasiique en ce qui concerne l'acquisition de la propriété par le
travail de valeur.
Toute propriété tire son orip,ine du travail; le travail est à pro-
prement parler l'unique trésor de l'homme qui craint Dieu. Seuls,
le travail, manuel ou intellectuel, et la pauvreté innnéritée sont auto-
risés, d'après les docteurs ecclésiastiques, à parliciper aux biens de
la terre.
a Travailler, c'est servir Dieu en obéissant à sou commandement »,
dit VExJiörtalion chrétienne ', « et tous les hommes sont obligés de se
soumettre au travail. Les uns se chargent des travaux manuels, soit
aux champs, soit à la maison, soit à l'atelier; les autres s'adonnent
aux sciences ou aux arts; ceux-ci sont gouverneurs du peuple ou
magistrats, ceux-Uà font la guerre et défendent leur pays. D'autres
encore se font les serviteurs spirituels de Jésus-Christ dans les églises
et les monastères; d'autres font leur unique occupation de la prière,
ils louent, glorifient Dieu et lui demandent grâce pour les péchés
des hommes. Ces derniers sont très-nécessaires, et tu ne dois pas
t'imaginer qu'ils restent oisifs, car le travail de la prière est fécond,
et tous en ont besoin, mais particulièrement toi, si tu pries peu.
Seul, celui qui ne fait rien méprise le commandement de Dieu. >;
Sébastien Brant appelle le paresseux « le plus fou d'entre les fous ».
« H est aux hommes -, dit-il, « ce que la fumée est aux yeux, ce que
le vinaigre est aux deuls. Dieu n'accorde la récompense et l'honneur
qu'au travail'. ■■>
" Instruits parle témoignage de la sainte Écriture », écrivait Wer-
ner Ilolewinck, prieur des Chartreux, ^ nous savons que Dieu et les
hommes laborieux sont seuls véritables seigneurs de tout ce dont il
nous est permis de faire usage ici-bas. « Celui qui ne travaille pas,
dit l'Apôtre, ne doit pas non plus manger. » Tous ceux qui ne font
rien, ou ne sont pas occupés à répartir les fruits du travail, sont
des mendiants. One personne donc ne s'imagine pouvoir vivre en
' Page 23».
^ Narrenschiff, % 97.
392 ECONOMIE SOCIALE.
une lâche fainéantise, de peur qu'il ne fasse l'expérience du châti-
ment dont le Seigneur menace ses pareils au livre de la Sagesse. « Au
dernier jour •^, y est-il dit, " les justes, pleins de joie, s'élèveront
avec une grande assurance contre ceux qui les ont opprimés et leur
ont ravi le fruit de leur travail '!
u L'homme est né pour travailler comme l'oiseau pour voler ;>,
dit Trithème. « Il agit contre sa nature lorsqu'il vit dans l'oisiveté
comme le fait l'usurier. Adam lui-même, lorsqu'il était encore inno-
cent, devait garder et cultiver le paradis, par conséquent travailler.
Mais après son péché le travail lui fut imposé comme un joug pesant
auquel ni lui ni aucun de ses descendants ne pourraient jamais se
soustraire, et la parole de Dieu : < Tu gagneras ton pain à la sueur
de ton front ■•, a été prononcée pour tous-. :^
« Un travail ardu et pénible '■, enseigne Henri de Langenstein dans
un traité d'ailleurs fort remarquable sur l'économie, « est un joug
imprescriptible de pénitence mis sur les épaules des fils d'Adam par
la juste sentence de Dieu; mais, parmi les descendants du premier
homme, beaucoup, par toutes espèces de faux-fuyants, cherchent à
se soustraire à ce joug et s'efforcent de se procurer surabondamment
les choses utiles et indispensables à la vie tout eu demeurant dans une
inaction stérile. Les uns y réussissent par le vol, le pillage; d'autres
par l'usure et les transactions usuraires; d'autres encore par le men-
songe, les tromperies, et toutes ces innombrables façons d'obtenir
par la ruse et l'injustice un salaire immérité, que les hommes ont
inventées et inventent encore tous les jours pour réussir à se procurer
sans labeur de grandes richesses. Mais tandis que ces imprudents
secouent l'obligation du travail justement imposée par Dieu même,
ils accumulent en leur conscience un pesant fardeau d'iniquités, de
sorte qu'après une vie passée dans le bien-être, ils se voient tout à
coup précipités dans l'enfer. Les fils intelligents d'Adam agissent bien
différemment. Réfléchissant que les choses nécessaires à la vie ne se
peuvent obtenir qu'en acceptant le châtiment imposé à nos premiers
parents après leur péché, ils l'acceptent patiemment dans l'espérance
' De laude Saxoniœ, p. 42. ^ Sacro iiamque eloquio testante scimus, quod Deus et
laboralor sunt rcri domini omnium, qnœ in usum veniunl humamim. Et apostolus dicit :
Oui non lal)orat,nec manducet.Cetei'i omnes auteui sunt dispensatores aut men-
dici. " Dans son ouvrage: De regiminc rusticorum, cap. vi, Rolewinck dit: ■ Clerici
autera et milites utriusque (seil, rusticorum et mecanicorum) dehiiores sunt;
quilibet secundum siatum suum. Et quia istis, quando recte faciunt, major
labor et majus periculum iraniinet, ideo etiara major lionor ipsis debetur,
dicuutur enim status regitivi, quia aiios regere habent. Nam pra'lati spirituales
cum suis clericis regunt populum christianum quoad spiritualia; principes
vero sa?calares cum suis officiariis quoad lemporalia.
■^ De Judœis, p. 17. Voyez aussi Jean Gep.sox, Op., t. IV, p. 2ô7'>. Édition de
Cologne, 1484.
LE TliAVAIL D'AI'ISKS LK DU OIT GERMANIQUE CHRETIEN. 393
d'obicilir ainsi le pardon de leurs offenses, et de se rendre difjnes
par une occupai ion honorable d'acquérir les i)icns de la vie pré-
sente el ceux de la vie fudire. Les uns, par le travail manuel, se
procurent ù eux et aux aulres, à la sueur de leur visage, ce qui est
nécessaire à la vie : tels sont les cultivateurs, les ouvriers, les mar-
ciiands; les autres, assujettis à des devoirs entourés déconsidération,
méritent vraiment d'être nourris par leurs frères : tels sont ceux qui
dirigent la comnnnie et par leurs efforts laborieux assurent à leur
concitoyens le calme et la sécurité sans lesquels ils ne sauraient
vivre, .l'en dis autant de ceux qui administrent les biens spirituels,
et parleurs soins zélés et actifs procurent à eux-mêmes et aux autres
ces biens de l'âme auxquels doivent tendre et se rapporter tous les
efforts de l'homme ici-bas. Ceux qui se livrent alternativement au
travail manuel et spirituel sont dignes d'un très-particulier éloge.
Saint Paul était de ceux-là : il se nourrissait du travail de ses mains
et annonçait en môme temps TEvangile aux païens '. »
C'est ainsi que Langenstein prône partout, en son ouvrage, l'obli-
gation, la di{}uité, le mérite du travail. « Celui qui ne gagne point
sa subsistance par un travail utile , dit-il, •; consomme aux dépens
des autres un bien injustement acquis. " Il va jusqu'à ajouter qu'on
devrait, ou chasser un tel homme de la société, ou le contraindre au
travail. Tous les écrivains canonistes s'accordent avec lui pour regar-
der le travail comme la source du gain et comme y donnant seul
droit. Lui seul, non la propriété, confère un titre valable de posses-
sion, et voilà pourquoi le travailleur ne doit jamais être frustré du
fruit de son labeur. Le travail est encore plus inhérent à la nature de
l'homme que la propriété. Le travail, c'est l'homme même. En toute
occasion le droit canon le protège, et proclame sa sainteté, sa dignité,
sa force civilisatrice -.
Le droit allemand, de son côté, lui assurait honneur et pro-
tection, et le considérait comme un mode d'acquisition complète-
ment indépendant de la propriété. Il posait par exemple en principe
que celui dont les soins ont obtenu une bonne récolte a droit aux
fruits de cette récolte, et que partout où l'on peut améliorer le sol,
toute valeur que le travail y a ajoutée doit accroître les revenus de
' Traclalus de coiitractihiis cmpltoms cl vendilionis dans V Appendice ailX OPliVreS de
Gekson, t. IV, p. J 85-224. Voy. sur cet ouvrage d'économie un article de Iloboff
dans les Christi. ■socialen Bl., 1875, n<" 42 et 52.
* Dans son discours sur l'usure (Berlin, 1866), Endemann dit : ' La doctrine
du droit canon a élevé le travail au suprême honneur social. Les écrivains
canonistes, fidèles au principe de la morale chrétienne, glorifient le travail
comme action libre et devoir moral, et le regardent comme l'unique facteur de
la production. Le travail seul a droit au bénéfice. Le capital doit rester impro-
ductif. • Voy. E>DEMA.\\, Vortray über die Bedetilemg der ll'uehcrlclirc, p. 37.
394 ÉCONOMIE SOCIALE.
celui qui a contribué à ramélioration. Cette doctrine sur Tacquisition
par l'amélioration du sol conduisait à reconnaître que les biens
affermés au colon devenaient peu à peu sa légitime propriété, tandis
que le droit du propriétaire foncier allait s'amoindrissant toujours
davantage, jusqu'à ce qu il se réduisît à une simple charge imposée
à sa terre, et consistant en taxes et prestations'.
Le droit canon honorait particulièrement les cultivateurs. Il voyait
dans l'agriculture la mère, la condition essentielle et fondamentale
de tout ordre social et de toute civilisation; la plus importante
source de profits de la plus grande partie des hommes; la nourrice
de toutes les industries, et par conséquent la base de la prospérité
publique-. Aussi réclame-t-il pour elle une protection toute spé-
ciale, se fondant sur ce que, plus que toute autre source de bénéfices,
elle enseigne la crainte de Dieu et la justice, et ennoblit le caractère
de celui qui s'y livre. - Le cultivateur doit être protégé et encouragé
dans tous ses travaux >;, dit V Exhortation chrétienne, ;< parce que son
labeur est indispensable à tous les hommes, aussi bien à l'Empereur
qu'au moindre de ses sujets, et que le travail de ses mains est par-
ticulièrement agréable k Dieu. La loi divine et humaine lui doit
aide et protection. :' Nous lisons dans un acte de pacification
locale (1438) ^ : « Avant tout, le laboureur ou vigneron doit être en
sûreté de sa maison et des instruments de travail qu'on porte aux
champs et qu'on en rapporte. Il doit pouvoir en toute sécurité couper
les récoltes, cueillir les raisins, et ramener !e tout chez lui *. Tout aussi
bien que les églises, abbayes et cimetières, les charrues attelées, les
instruments nécessaires à la culture des vignes et des champs doi-
vent être l'objet du respect de tous. Celui qui fait quelque tort à un
laboureur ou à un vigneron doit être puni aussi sévèrement qu'un
voleur de grande route •'. -
Immédiatement après l'agriculture vient l'industrie. Elle aussi est
agréable à Dieu, surtout lorsqu'elle se rapporte à des objets néces-
saires et utiles. ' Quand le travail de l'artisan est exécuté avec dili-
gence et adresse, Dieu et les hommes s'y complaisent ■, dit un livre
de piété du temps. - Il faut aussi grandement louer l'habileté de
ces artistes qui élèvent de beaux édifices et composent des tableaux
' Arnold, Vergleiclmng des römischen und des deulscfieii Einentlnims in dessen Cullur und
Recht der Römer, p. 171-205.
- Voy. EXDE]\IANN, Nationalöhonomische Grundsätze, p. 175. — (JOLDSCHMIDT, l'erhdl.
des sechs'en deutschen Jurisienlcincs, t. I, p. 230. I.cs écrivains Canonistcs peniaient
qu'un développement social qui amènerait le peuple à abandonner en masse
les simples occupations de Tagriculture pour l'activité industrielle, ne pourrait
être que déplorable.
3 Page 20.
* Nouvelle collection des Sentences et arrêts des Etats, t. I, p. 153-154.
* Landfrieden zu Eger, 1389. Actes des Etats allemands, t. II, p. 160.
I.E l'IîKT A INTÉRÊT D'APRÈS LE DROIT GFRMANIOUE CHRÉTIEN. 395
si vai-iés. Leur talent glorifie Dieu; l'Ame dc.i hommes devient
plus douce lorsqu'ils contemplent de belles clioscs, et que, pleins de
respect et de Joie, ils considèrent comment tout niélier, tout art, est
un don <pie Dieu a lait aux hommes pour servir à leurs besoins, à
leur hien-(Mre, à leur édificntion '. »
Le commerce était tenu en moindre estime : « un marchand
honorable -, dit Trithème, <= que l'amour du gain ne dirige pas
nnicpiement, qui se guide en son négoce d'après les lois divines et
humaines, et donne volontiers aux nécessileux en prenant sur ses
revenus cl ses bénéfices, mérite le même respect que les autres tra-
vailleurs. Mais ce n'est pas chose facile de garder toujours une
stricte probité lorsqu'on est engagé dans le commerce; il est très-
aisé de devenir l'esclave de la cupidité en cherchant à grossir
ses profits. Sans le commerce, il est vrai, la société ne pour-
rait sidîsister; mais lorsqu'il devient trop puissant, il lui est plus nui-
sible qu'utile, parce qu'en engendrant la soif du gain il énerve et
amollit le peuple, et développe le désir de jouir. Aussi les Pères de
l'Église et le droit ecclésiastique nous mettent-ils en garde contre
ses al) us -. ;)
Les docteurs ecclésiastiques ne croyaient pas < que lorsque les mar-
chands, semblables à des araignées, viennent se nicher partout afin
d'attirer les chalands et sucer tous ceux qui s'approchent d'eux ", la
société eût quelque avantage à tirer de leur réussite. Témoins de la
prédominance funeste que prenait l'esprit mercantile à leur époque,
ils n'étaient que trop autorisés à condamner la marche envahissante
du commerce et à répéter avec saint Thomas d'Aquin qu'il altère la
loyauté et la bonne foi, ouvre la porte à la fraude et met un
luxe facile à la portée de la bourgeoisie. - Dès lors, disaient-ils, cha-
cun, sans considérer l'intérêt général, n'est plus occupé que du sien
propre ^ »
La façon dont le droit canon envisageait le commerce domi-
nait encore les esprits au quinzième siècle et était adoptée par les
grands comme par les petits. L'aversion ressentie pour l'exploitation
du peuple érigée en système par les compagnies commerciales, la
haine pour les grands monopoHstes qui avaient amené renchérisse-
ment dans le pays, donnaient souvent lieu à des jugements pleins de
partialité. On ne voyait dans le commerce qu'une industrie coupable;
tous les marchands passaient pour trompeurs, gens sans conscience,
' ll'yliegerdiii, p. 13.
* De Judœis, G.
'Trithème attache une particulière importance à l'opinion de saint Thomas
d'Aquin : » Unde oportet, quod perfecta civitas moderato mercatoribus utatur. •
■ Dignior est civitas, si aljundaiitiam rerum habeat ex territorio proprio, quam
si per mercatores abundct. •
396 ECONOMIE SOCIALE.
usuriers, ennemis de la société. On pensait généralement que le
commerce ne peut augmenter la richesse publique, parce qu'il se borne
à faire passer les valeurs dune main dans une autre, et que le béné-
fice qui revient au marchand de cette transaction est pris aux dépens de
tous. « Les marchands ••, dit Érasme, >- sont les plus fous et les plus
sordides d'entre les hommes. Ils pratiquent la plus méprisable des
industries, et cela de la manière du monde la plus basse. Bien qu'ils
soient menteurs, parjures, voleurs, trompeurs, et ne soient occupés
qu'à duper les autres, ils veulent être partout les premiers, et
grâce à leur argent, ils y réussissent. >' « Un marchand désireux
de faire fortune n'amasserait guère s'il pensait sur l'escroquerie et
l'usure ce qu'en pense le sage. • • Les marchands -, selon l'huma-
niste Henri Bebcl, ;. acquièrent leur richesse moins par d'honnêtes
moyens que par l'usure. ■ ■ Leur trafic ", dit avec douleur Sébas-
tien Franck, " est devenu un véritable brigandage, une usure publi-
quement pratiquée, dont l'enfant encore au berceau doit déjà porter
la peine. Qui a jamais entendu parler de fortune et d'aubaines comme
on en voit maintenant de par le monde? Oui sait, comme le mar-
chand, accaparer tout pour lui, comme le vent de Cffcias attire les
nuages? ■ Dans l'opinion d'Hans Sachs, -• les marchands ne cher-
chent qu'à éviter un travail réel, et prétendent s'enrichir dans
l'oisiveté au moyen de l'usure et des accaparements -.
. Tout est troublé dans le pays; les biens de la terre passent à des
tiers avant que le travailleur en puisse rien avoir. Aussi se nourrit-il
toujours avec plus de difficulté; si cet état de choses dure, le pauvre
homme ne pourra bientôt plus subsister ' ! ■;
Dans sa sollicitude pour la classe laborieuse, le droit ecclésiastique
voulait que l'action économique eût pour objectif, non l'intérêt
personnel, non la cupidité insatiable, avide de posséder et de jouir,
mais l'amour fraternel, unissant tous les hommes, et s'offrant à
tous les esprits comme la vraie solution sociale. Il tendait par tous
ses efforts à faire des lois éternelles de droit et de justice si haute-
ment proclamées ^ par l'Église, la base de l'économie sociale.
' Voy. SCHMOLLKR, Xationalolonomische Ansichun, p. 626-627. — IF.vGEN, Deutschlands
Literarische und religiöse Verhältnisse, t. III, p. .387.
- • L'Église espérait -, dit Endemann, • façonner le commerce et le droit com-
mercial d'après son idéal de vérité et de justice. Il ne faut pas nous faire une
idée exafjérée de l'efficacité pratique de sa doctrine et de sa législation; mais les
questions vitales auxquelles elle se heurtait étaient de telle nature qu'on ne
peut qu'admirer le courage qu'elle a montré en les combattant. » (Studien in der
romanisch canonisiische;i, Wirthschafts Rechtslehre. p. 22-23.) l.e même auteur dit
en terminant son ouvrage sur VEconomie nationale : . La doctrine du droit canon
est une œuvre grandiose, dans sa méthode comme dans ses résultats. Elle
embrasse toute l'existence matérielle et intellectuelle de la société humaine
avec une telle puissance, d'une façon si complète, qu'elle ne semble laisser
place à aucun autre genre de théorie en dehors du dogme social qu'elle pro-
L'USIIRK f»'AI'RK.S l,i; ilIidlT CKUMAMOUK CHR¥:TIEN. :i97
Aussi l'Église condamnait-elle le prêt usuraire et le regardait-elle
comme une l'orme part iculièn; du vol, eslimant que le travail est seul
producliC de valeur et (pie rarjjciil est de lui-même improduclif '.
Par Tinterdiclion du prêt à iutérét, elle voulait assigner au capital,
ou tout au moins an capital susceptible d'être prêté, une place parti-
culière sous la protection du droit.
Mais chacun, bien entendu, était autorisé à défendre sa propriété,
le produit de son travail, lorsqu'un véritable tort lui avait été fait
par un emprunt. [I pouvait alors réclamer une indemnité correspon-
dante; il avait aussi le droit d'exiger une compensation pour le profit
que, dans sa vie de travail, il eiU pu retirer de son argent au cas où
il ne l'eiU pas prêté; quand il s'était exposé au danger de ne recou-
vrer son argent qu'en partie, à grand'peine, à grands frais ou point du
tout-, il pouvait réclamer l'équivalent de la somme prêtée; mais dans
toutes ces circonstances le principe général " que l'argent ne peut pro-
duire l'argent » n'était pas lésé, et il ne pouvait être question d'usure.
nuilp,ue. C'était bien là son but, et en présence de l'artion colossale, de la
domination puissante qu'elle a véritablement exercée, l'impression de grandeur
que nous ressentons ne saurait nous empêcher de nous féliciter qu'elle n'ait
jamais pu réussir à régner avec l'absolutisme qu'elle rêvait. » {.Vationa/okdnomische
Gntudsiiize der canonistischen Lehre, p. 192-193.) La question de savoir si c'est réel-
lement un bonheur que les doctrines du droit ecclésiastique et celles du droit
germanique (qui lui était si étroitement uni) n'aient pu prévaloir parmi nous,
est suffisamment résolue par la triste situation économique des siècles sui-
vants, et particulièrement du nôtre.
' L'antiquité païenne déclarait déloyal et indigne d'un homme libre de ré-
clamer l'intérêt du capital; et Platon surtout avait fait ressortir les funestes effets
politiques, moraux et sociaux du système de prêt à intérêt. - Par lui » , dit-il, • on
multiplie les riches fainéants et les pauvres mécontents, et l'on bouleverse la
société. La conscience du peuple romain n'admit jamais le prêt à intérêt.
Intérêt et usure restèrent pour lui des termes synonymes. La répulsion uni-
verselle s'afürina surtout contre le prêt usurier. » Voy. Arnold. Cultur und Recht,
p. 264. Chez les Germains, l'intérêt était complètement inconnu. Voy. Neu-
M.vNx, Gesch. des Wuchers, p. 28-29. La langue allemande n'avait pas même de
terme pour exprimer une idée qui lui était originairement étrangère. Voy.
Arnold, p. 300. Zins n'est que le census latin, et signifie dans tout le moyen âge
un impôt tiré sur les produits naturels du sol; le mot zins semblait donc signi-
fier que le sol seulement était productif, et non le capital d'argent. Un passage
des Citron. Gaufredi (Bibliothèque manuscrite de Labbé, t. II, p. 73-74) montre
combien ici Arnold a vu juste. » Les usuriers », y est-il dit, '^ étaient autrefois
tenus pour des ennemis; maintenant ils sont devenus si nombreux qu'ils
appellent le cens usure, comme si l'usure était un produit du sol. {Censvs quasi
reddUus agrorum.) Voy. aussi WeiSKE, Neue Jahrbücher für Politik und Gesch., 1849,
1. 1, p. 1 19-120. " Il est impossible de nier » , dit P. Laband, « que nous devons aux
corporations du moyen âge, aux difenses du droit canon interdisant le prêt à
intérêt, à tout ce que, dans le domaine économique, nous sommes habitués à
considérer comme le résultat de la pitoyable étroitesse de vues du moyen Age,
l'affranchissement du travail libre et l'abandon définitif de l'esclavage. » Deutsche
Vierteljahrschrift, 1860, cah. 2, p. 258.
■- Les axiomes Lien connus sur : damnum emergens, lucrum cessans, pericu-
lum sortis. Vov. Tengler, Layenspicgel, dans Neumann, Gesch. des Wuchers, p. 111-
112.
398 ECONOMIE SOCIALE.
Au contraire, tout intérêt, tout bénéfice que le prêteur se fait
payer par Tempriniteur uniquement comme prix de l'emprunt, était
considéré comme usuraire, " car en vertu de la loi nul emprunteur
ne peut être contraint de donner plus qu'il n'a reçu ". La doctrine
du droit ecclésiastique voulait surtout que l'on ne réclamât jamais un
intérêt quelconque de riiomme en détresse, qui s'est vu forcer d'em-
prunter dans une pénurie momentanée, immédiate. Une telle exi-
gence était, selon lui, l'infâme exploitation du malheur d'autrui
et l'appropriation cupide d'un bien qui n'est pas à nous. L'état du
moyen âge, qui incarne en lui, pour ainsi dire, la théorie chrélicnne
de l'ordre social, avait donné force de loi à cette conception reli-
gieuse et morale, et la défense ecclésiastique du prêt à intérêt régnait
pratiquement dans les tribunaux civils aussi bien qu'ecclésiastiques'.
On lit dans le Miroir souabe (Schwaben Spiegel) : '• Dieu, le Pape,
l'Empereur, l'autorité ecclésiastique et le droit défendent à tout
chrétien de réclamer des intérêts de quelqu'un. Cette défense a été
faite expressément au concile présidé à Rome- par le pape Léon et
par le feu roi Charles ^ ^
La seule forme permise du prêt à intérêt, c'était ce qu'on appelait
l'achat de rente, c'est-à-dire l'obligation contractée par le débiteur
de payer une rente au créancier en échange de la possession d'un
fonds de terre. En règle générale, le débiteur seulement, non le
créancier, avait le droit de dénoncer le contrat; mais le créancier
ou sou héritier pouvait, en remboursant le prix d'achat, racheter en
même temps l'intérêt resté à sa charge*.
' Voy. Endemann, Studien, p. 24-37. — Neumann, p. 37-46, 67-70.
- Voy. Neumann, p. lOft-ui et 77. A Nureml^erg, ce ne fut qu'en lôGî que le
prêt à inlérêt fut léf^alement autorisé. SroGiin, Reclusquclk, t. H, p. 305.
5 Un arrêté de la diète d'Aujjsbourg (de 1600; déclare l'achat de rentes auto-
risé; au contraire, tous les contrats • usuraires et pernicieux » sont sévère-
ment défendus. (Nouvelle collection des Anäset sentences des Étais, t. II, p. 81.)
Voy. Neumann, p. 539.
* "Nous avons yrand'peine à comprendre de nos jours ■> , dit Juste Moser (/'a-
triotische Phaniasien, t. U, p. Qd-iOi), " pourquoi la religion a été si longtemps opposée
à tout prêt à intérêt, et pourquoi le droit canon l'interdisait si sévèrement. Mais
si l'on réiléchit à l'intention de l'Église en faisant cette defense, si l'on songe
qu'elle ne voulait, comme la .suite l'a prouvé, que favoriser par ià l'achat des
renies, on admirera certainement sa haute sagesse,car l'intérêt (ou le droit qu'aie
créancier de retirer le prêt, droit qui lui est étroitement associé) est complètement
opposé à la doctrine de la propriété comme à celui de la liberté. Une guerre, une
disette ou toute autre calamité peuvent contraindre mille propriétaires à
s'endetter du moment qu'il est au pouvoir du créancier de saisir le moment le
pi us défavorable pour se faire rembourser; le créancier redevient alors proprié taire
au détriment de l'État et peut faire de ses concitoyens des esclaves, etc. En un mot,
le prêt à intérêt est un grand obstacle à la prospérité de la propriété foncière. •
(Voy. sur l'achat des rentes l'opinion de Gérard Groote et d'autres théologiens,
dans l'édition de Cologne des OEui-res de Gerson, t. IV, p. 229.) Langenstein,
Tract,: pars 2, c. i-ui. Les réflexions du célèbre juriste Pierre de Ravcnne
L'USUHL DAl'UKS l.K 1) Il 0 IT GERMANlOUt C II li KTl i; N. :iü!)
Pour empocher le pauvre, en cas de pressante nécessité, d'avoir
recours à rusuricr, l'Église avait partout encouragé les monls-de-
piété. Ces banques de prêts avançaient de peliles sommes aux indi-
fjeuts, contre des gages ou de modiques redevances destinés à entre-
tenir les établissements et à payer les employés. L'argent ou les gages
sont aussi très-dignes d'être étudiées. Il dit dans un de ses sermons : « Quem
habiluriis erat de maiidalo dorn. Martini episc. Lamincnsis. (.lurea opusc., p. 14.)
Prohibita est nsura , quia aliis ncf^otiis licilis et mercimoniis ornissis divitis
intenderint usuri , si essent permissaf. Ut sit aliquod lucrum pecuniaiiurn sine
usuraria pravitate, volo tradcre duo optima consiiia. Et primo consulo, quod
emantur aimui reditus, quod est licitum de jure, qui sint constituti, de antiquo
super aliqua domo vel possessione. (Le droit canon voulait que les rentes
fussent prises sur un fondus précis.) Vel ex laboribus libéra' person;« vel servi,
quia Loc non est inutuum, sed vera venditio. Secundo consulo, quod pecunia
tradatur alicui niercatori ad lioneslum lucrum cum hoc quod si perunia pcreat
casu forluito, sit commune periculum et lucrum dividatur per medium... Baldus
dicit, ' quod ista non est usura, sed divisio lucri induslrialis. « C'est la societas,
idée inconnue et désapprouvée de nos pères, et qui ne fut introduite parmi nous
que lorsque le droit romain y fut adopté. Les canonistes plus modernes l'accep-
tèrent. Les thèses de lick sur ces sujets ont donné lieu chez plusieurs historiens
modernes à de fausses interprétations. Tandis qu'on reproche perpétuellement
à l'F.i'jlise d'avoir ref;ardé le prêt à intérêt comme illcfjitime, Schi\ioller dii avec
assurance dans son livre sur l'économie nationale ; - Lts faits attestent que l'Église
catholique a soutenu la légitimité du prêt à intérêt. .Jean Eck même écrivit sur
ce sujet, et soutint une dispuie à Bologne pour réhabiliter Vusure. « Comme
preuve à l'appui d'une si étrange affirmation, Schmollerse borne à citer le pas-
sage suivant, tiré du pamphlet intitulé Lettres des hommes inconnus: ^ De
usura, quam admittit Ihcologia, sicut Bononia; est disputatum et per ma-
giitros nosiros prohatum. » R.vnke, dans son Histoire d'Allemagne, t. I, p. 436,
(lit aussi que Eck a défendu la cause de l'usure à Bologne. (Voy. aussi Strvüss,
Ulrich von Hütten, t. I, p. 2.33.) Or, voici la vérité sur ce point ; Eck publia à Ingol-
stadt, dans l'automne de 1514, diverses thèses dont on pouvait conclure en effet
qu'un contiat par lequel les marchands s'engageraient ù donner 5 0,0 d'inlérét
pouvait être considéré comme légal. Ces thèses firent scandale, et l'évêque
d'Kichstadt défendit la dispute en sa qualité de chancelier de l'dniversité ; l'uni-
versité de Mayence. consultée h ce sujet, déclara qu'il n'était pus prudent de
livrer de tels sujets à la discussion, parce que, dans l'opinion publique, ils
pourraient sembler entachés d'une tendance cupide. Eck ne se laissa pas intimider
et soutint une dispute à propos de ses thèses à l'Université de Bologne (1 J15). Il
était appuyé par les juristes les plus en renom du temps, et les marchands se
réjouissaient d'avoir trouvé pour leur système un terrain légal apparent;
c'étaient eux, surtout les Fugger, qui avaient excité Eck à développer cette doc-
trine et l'avaient pourvu d'argent et de lettres de recommandation pour son
voyage à Bologne. '• J'aurais souhaité ■ , lui écrivait Willibald Pirkheimer,
• que lu ne te sois pas mêlé d'un sujet qui ne peut que souiller ta conscience et
l'apporter de la honte, parce qu'il touche au salut des unies; j'ai \u dernière-
ment, de mes propres yeux, des lettres de nos grands marchands dans lesquelles
ils se vantent que le contrat qu'ils désirent tant voir légalisé, est désormais
permis. Ils s'appuient sur ce que cette assertion a été l'objet d'une dispute publi-
que. Ils ne parlent pas des conclusions de cette dispute, ils se gardent bien de
parler des restrictions qui y ont été apportées. » Eck cependant n'avait pas
positivement défendu la cause du prêt à intérêt, il l'avait seulement tenu
comme admissible pour les riches qui font des prêts aux marchands dans des
buts commerciaux; il n'avait fait que défendre la légitimité de ce qu'on appelait
alors le « contractus trinus » . Mais les théologiens les plus rigoureux de l'époque se
déclarèrent contre lui : à Bologne, Cochlaeus fut son adversaire décl2''é. A l'uni-
400 ECONOMIE SOCIALE.
réclamés à remprimteur étaient proportionnés aux dépenses".
Mais en Allemagne, les efforts de rÉjjlise pour multiplier ces sortes
de maisons n'eurent que de faibles résultats. - Chez nous •; , dit
y Exhortation chrétienne, a les monts-de-piété font défaut au pauvre
et à l'ouvrier, et pourtant ils leur seraient bien utiles. Les autorités
sont trop négligentes sur ce point; aussi l'usure prend-elle un
grand accroissement ä. " Kuppener, dans son Traité sur l'usure, laisse
échapper la même plainte (1518). « Plût à Dieu ••, dit-il, ■■ que les
dignes princes, les États, les communes qui en auraient le pouvoir
établissent et soutinssent parmi nous ces monts-de-piété, qui seraient
d'un si grand secours aux pauvres gens, qui leur permettraient
d'améliorer leur nourriture, les consoleraient, et surtout détrui-
raient parmi nous la diabolique usure, devenue malheureusement si
commune parmi les chrétiens comme chez les Juifs, parmi les Alle-
mands comme chez les Polonais, et livre tous les jours tant d'âmes au
diable^!'- ■' Si l'usure prend de telles proportions parmi nous ", dit aussi
{"Exhortation chrétienne, •• c'est que les commandements de l'Église
sont méprisés, surtout par les marchands et ceux qui, ayant beau-
coup d'argent, veulent dejoureu jour en posséder davantage. Il
semble que l'argent soit pour eux et leurs enfants la félicité suprême
de l'Ame! Mais sache bien que l'on n'est pas seulement usurier avec
de l'argent et pour de l'arg^ent; on pèche tout aussi gravement en
n'attribuant pas un prix équitable à n'importe quel objet de vente,
ainsi que le prescrit le droit ecclésiastique et séculier. •'
Le droit ecclésiastique, en effet, réclamait le contrôle de tous
les produits et la juste estimation des denrées, l'Église visait à
la répartition aussi égale que possible des biens de la terre, et selon
sa manière d'envisager le commerce, le service rendu devait toujours
être exactement compensé par un service réciproque. Elle voulait
donc que les échanges fussent surveillés, soit par les autorités, soit
par les corporations ouvrières, et qu'on s'entendit pour fixer équi-
tablement le prix des marchandises en l'établissant d'après leur
valeur réelle et le juste calcul des peines et dépenses qu'elles
versité de Vienne, où Eck voulut aussi défendre sa thèse (1516), la faculté de
théologie interdit la discussion. A Nuremberg, le pieux et savant prévôt Antoine
Kress, dans un écrit sur le droit, se déclare contre Topinion qui permet de
prendre 5 0 0 d'intérêt. Eck ne trouva pas de partisans parmi les théolo^iiens
allemands; de sorte que sa dispute peut bien plutôt servir à prouver combien le
clergé se montrait opposé à tout prêt à intérêt. Voy. Otto, Jean Cochl.îus,
p. 52, 60, 60-67. Albekt, dans le Zeit se/, riß fur Histor. theoL, 1873, p. 382, 390. On
voit qu'il est impossible d'affirmer que Eck ait défendu Vusure.
' Sur la fondation et le développement des monts-de-piété, voy. E\dema\\,
Studien, p. 460-471.
- Page 21.
^ Nelmann, Gesch. da ll'uchers, p. 415.
ESTIMATION HKS MA KU IIA M) I ,S E S . 401
représentaient '. Les exemples donnés sous ce rapport par les cités
ou les corporalions - à l'époque de ror{;auisation ré[^ulièrc du
travail correspondaient donc de tous points aux principes et aux
prescriptions du droit canon. La surveillance lé^jale des échanges
était destinée, dans la pensée de l'Église, à servir d'entrave salu-
taire aux eliorts tentés parla cupidité individuelle au détriment des
chalands.
« On se tromperait fort », dit Trithènic \ ■■ en s'im.sginant que
l'établissement de prix fixes oppose au commerce des barrières
capables de nuire à son extension. Nous sommes témoins au con-
traire (ju'il se développe heureusement partout où l'on s'efforce de
maintenir les justes prix, partout où les hommes sont garantis par les
lois contre une avide exploitation. Lorsqu'on supprime ces lois ou
que l'on cesse de veillera leur exécution, on voit aussitôt la confiance
publique diminuer, et les produits perdre en bonne qualité. Commer-
çants et ouvriers font à l'envi enchérir les denrées, et l'acheteur,
qui, de son côté, presse sur les prix, n'oblieut pour son argent que
de mauvaise marchandise ''. »
Pour être taxés équitablement, les produits, selon le droit canon,
ne doivent pas être cotés d'après leur valeur nominale, sui-
vant le taux du jour ou dans l'idée préconçue d'en retirer le plus de
bénéfice possible : leur prix ne doit se rapporter qu'à leur valeur
réelle et au prix de revient. Le marchand ne doit pas étabHr ses prix
d'après la position qu'il suppose être celle de l'acheteur; l'acheteur,
de son côté, ne doit pas être infîucncé par ia silnalion du vendeur;
car profiter de la {',ène du prochain pour eu tirer un avantage
personnel est contraire à la justice et défendu sous peine de grave
péché.
C'était surtout dans le commerce des denrées nécessaires à la vie
que le juste prix devait être rigoureusement maintenu. Si quelqu'un
les achetait en gros, non pour son usage personnel, mais dans le
dessein de les conserver et de les revendre plus tard au taux le
plus élevé possible, son action était considérée comme usuraire ^
" Celui qui accapare le blé, la viande ou le vin dans le but d'amener
ime hausse de prix et de réaliser des bénéfices personnels aux dépoAs
' L'axiome de saint Thomas d'Aqulo est fréquemment cité à ce sujet : <■ Si
prelium excédât quantiîatein valoris rei, vel e converso res excédai pretium,
tollitur Justitiar »qualitas. Et ideo carius vendere vel vilius eraere rem quam
valeat, est secundum se injustum et illicitum. ■> Tour plus de détails, voy. Endk-
J!AN\, Matioiialökunoinische Grundsülze, p. 87-100.
* Voy. plus haut.
^DeJudwis, p. 19.
* Naircnsciiijf, parasv- 48. — (Jokuek.!;, p. 87-88. Voy. notre second volume.
■" Voy. LVbE.u.iNN, Xaliünaliikoiioiiiische GrundsäUe, p. 104-10o.
26
402 ECONOMIE SOCIALE.
des autres > , ilil Trithèrae, " doit, d'après les principes du droit
ecclésiastique, être mis au rang des malfaiteurs. Dans une société
bien organisée, il faut s'opposer avec décision à reuchérissenicnl
arbitraire des choses de première nécessité, indispensables pour se
vêtir et se nourrir. En temps de disette, il est permis de contraindre
les marchands cjui possèdent de telles marchandises à les vendre à
un prix équitable, car, ainsi que les Pères de l'Église l'ont toujours
enseigné et comme la nature des choses suffirait seule à le faire com-
prendre, l'intérêt de la majorité doit primer celui de l'individu, et
Ton ne saurait tolérer qu'un petit nombre d'hommes, pour le désa-
vantage et la ruine de la masse, s'enrichissent d'une manière inique,
pour mener ensuite une vie de luxe et de plaisir avec un argent
injustement acquis '. L'autorité doit prendre un soin particulier des
pauvres et des moins favorisés de ce monde. Les lois sont établies
pour sauvegarder leurs intérêts, et c'est ce que réclame d'elles le droit
ecclésiastique. Aussi, dans les sociétés bien réglées, les marchan-
dises sont-elles taxées à de justes prix, ainsi que les salaires dus
au travail-; de cette manière, personne n'est lésé, et chacun peut
se vêtir et se nourrir conformément à sa condition. '>
' Langenstein dit qu'un État où » aliqui putici totum liaberent et ceteri nihil
seu non secundum statum eorum ' ne se trouve pas dans une situation heu-
reuse. • Talis eniin ina^qualilas facit seditioncm in civitate et nonnunquam fecit
inferiores insurgere contra superiores. Putu etiam, quod princeps plus halieret
a suhdilis, c[i!ando quilil)et secundum ejus statum couipetentcr haberet; essct
cniui civitas tnnc forlior et poi)ul()sior proptcr copiaui communis viclus. » Il
laucc l'auathöme aux gouvernements qui ■ permitluul unumquemque vendcre
quam care vult -. Relativement au prix des marchandises, il est bien facile au
gouvernenient » invenirc a'Stimatione sufficJenler propinqua quanlitatem justi
valoris vel prêta rerum venalium sive naturales sint vive artificiales ' ou seule-
ment ceux » quipra'sunt civitati velreyioni, viri prudentes suut et industriosi,
quales esse del)ent... lige iniquitates (usuraria-, carius quam res valet veu-
dendo comm\iS>&') pœnis acerrimis exterminandœ sunl. . Tract., cap. x-xi. Les passages
les plus remarquables sur le '^ justiun pretium » se trouvent dans Anionini Summa
(Argent., 1490), t. II, tit. I, cap. xiv, § 3. L'auteur condamne le « Proverbium
legale : Res tantum valet, quantum vendi potest. - Gerson dit aussi : '^ Justa
lege potest institui pretium rerum venalium. • Oiip., IV, 295, a.
- Brentano dit très-justement dans son ouvrage sur les corporations ouvrières :
« Il est devenu de mode de représenter la régularisation des salaires comme
un instrument politique destiné à favoriser l'oppression du travailleur. Cette
opinion est soutenue avec une hypocrisie toute pharisaïque par des hommes
désireux de mettre dans une lumière favorable la politique moderne, lorsque,
comme cela est arrivé souvent dans le siècle précédent et dans la première
moitié du nôtre, les ouvriers réclament cette régularisation. Mais une pareille
assertion déligure absolument le véritable état delà question. La régularisation
des salaires n'était autrefois qu'une forme de la théorie générale du moyen à';e,
regardant comme le premier devoir de l'État le soutien des faibles contre la
toute-puissance des forts, et proclamant non-seulement le droit de l'individu,
mais aussi son devoir vis-à-vis de la couimuuauté, condauinant comme usu-
raire toute Leiitaiive ayant pour but de tirer de la détresse mouieutauéu du
prochaiu le prétexte d'un injuste prolit personnel... • Le but de la loi, qui
L'KCONOMIR n'APRKS LE DP.OFT HO M A IN. 403
Pour CCS niofils, le droil canon voyait dans tout accaparenienl de
marchandises amenant des liausscs arbitraires, dans tout agissement
monopoliste' se rapportant non-seulement aux matières premières,
mais à tout ce dont les hommes peuvent avoir besoin, des actes
réprcheusibles, défendus, nuls et dij^nes de châtiment.
Aussi lonjylenips que ces prescriptions et celles du droit allemand
(qui en était issu) furent respectées, l'économie se développa dans
d'heureuses conditions. C'est l'abandon des principes de l'Église (fui
amena la ruine de la classe ouvrière et créa j)eu à peu le prolétariat
moderne.
VIII
La guerre entreprise contre la doctrine d'économie germanique
chrétienne fut conduite avec ardeur par (ous ceux qu'elle gênait dans
leur désir démesuré de posséder et de jouir, et dans leur métier
d'exploiteurs populaires.
L'engin le plus redoutable de cette guerre fut fourni par le droit
romain uouvellenicut introduit, dont les principes étaient en oppo-
sition tranchée avec les idées adoptées jusque-là ®.
D'après la conception romaine, tout individu a la liberté et le droit
de chercher exclusivement son propre intérêt ; il n'est nullement obligé
d'avoir égard au bien général et à l'intérêt des autres, et n'a pas à se
préoccuper de la ruine à laquelle il peut les exposer. Pour lui, la
base, les titres de la propriété ne sont plus, comme l'enseigne le droit
germanique chrétien, un pouvoir moral exercé sur les biens de la
terre dans le dessein de servir des intérêts élevés : la propriété n'est
qu'une domination physique dont. l'étendue est uniquement déter-
minée par la volonté du propriétaire '.
était de prologer les âiililes, se monlrc clairement dans les chAtiments imposés
aux riches lorsqu'ils avaient paye aux ouvriers de plus hauts salaires que les
autres, élevé ainsi le niveau des salaires, et rendu difficile aux moins riches
d'engager des ouvriers. Si la politique du moyen âge, considérée au point de
vue économique moderne, peut être condamnée comme insensée (?;, le mépris
pharisaiquc qu'on lui témoigne de nos jours n'en est pas moins pitoyable, car,
à tous égards, elle était plus morale que celle qui nous guide aujourd'hui,
lorsque, livrant sans défense nos travailleurs à ceux qui les exploitent, nous
les mettons dans l'alternative de se soumettre aux conditions qui leur sont
faites, ou d'entrer dans la worllrmsc, ou de tomber dans la dernière misère.
' Omne, quodmonopoliumsapit. Voy. ENDF.M.vn.V, Nalionalokonoviiscke Grumhäizc,
p. 107.
- " Le droit romain a pour base la légalisation de l'égoïsme le plus absolu ,
dit Em>e:\i.v>n, Xalioiwlnhonomiscke Grundsätze, p. 196.
•* Voy. Arnold, CuUur und Recht der Römer, p. 171-205. — Brüder, Zur öcono-
26.
■JOi ECONOMIE SOCIALE.
Cette doctrine immorale troubla profondément le sentiment de
solidarité mutuelle qui avait dominé jusqu'alors dans la nation.
Elle eut pour résultat le développem.ent démesuré de l'amour des
richesses.
Le droit romain n'admet pas que le labeur de l'homme soit la
source de l'acquisition de la propriété. La valeur du travail libre,
la subordination de l'individu à la loi du travail, tout cet ordre de
choses lui est absolument inconnu. Aussi ne s'occupe-t-il pas plus
d'organiser le travail d'une manière quelconque que d'en partager
cquitablement les produits. Le labeur rude et pénible est le lot des
esclaves opprimés; au contraire, les classes qui ont en main la puis-
sance possèdent et jouissent. On vit bientôt, grâce à cette doctrine,
le droit illimité de propriété, la liberté sans restriction du commerce
et le pouvoir toujours croissant de l'argent, conduire à l'asservisse-
ment de ceux qui ne possèdent pas au profit de ceux qui possèdent.
Plus, dans le cours du seizième siècle, cette doctrine s'enracina dans
le sol allemand ; plus ces principes, légués par un Etat païen fondé sur
l'esclavage, prirent pied dans notre pays, plus aussi les abus de la
propriété devinrent fréquents, plus les classes laborieuses se virent
opprimées, plus, en un mot, l'économie rétrograda. Non -seule-
ment l'industrie en souffrit , mais la vie agricole en fut grandement
troublée'.
fiiischen Charnklcrislik des römischen Rechtes, t. XXXIII, p. 694, et t. XXXV, p. 313. —
Schmidt, Principiellc Unierschicd, p. 217-247. En vertu de son pouvoir exclusif et [
illimité, le propriétaire peut faire l'usage qu'il lui plait de sa propriété; il peut i
la laisser improductive, la détruire; même vis-à-vis des nécessiteux, il n'a j
aucune obligation légale.
' Pour faire encore plus de lumière sur cotte question, nous ajouterons ici !
quelques appréciations des juristes modernes : « Le droit romain n'admet nulle
part le dévouement de l'individu l\ un !)ut économique quelconque; les biens
matériels, avant tout l'argent (qui contient en lui seul tous les biens), ne sont \
que des objets de possession et de jouissance. Une soif ardente pour l'argent i
et les biens de la terre se révèle dans tous les axiomes du droit romain; il n'y
est question que de la façon d'arriver à posséder et à jouir. Il ne manque qu'une
chose à l'estime exagérée qu'on fait des biens matériels : c'est de reconnaître
la fin pour laquelle ils nous ont été donnés. Le droit romain n'a aucune vue
morale et équitable sur l'économie. ■ Endemann, p. 196. Tel peuple, tel droit :
« L'esprit du peuple et l'esprit du temps sont aussi l'esprit du droit. » Ihring,
Geist des remischen Hechtes, t. I, p. 45. ^ Sous le rapport moral, le droit romain
n'est que l'expression exacte de la civilisation romaine : il n'est ni meilleur ni
pire que celle-ci. • .\rnold, Cidtur und Recht der Römer, p. 464. Le peuple romain,
depuis les guerres puniques, était devenu une nation mercantile ; sa vie se passait ]
dans les spéculations, les affaires d'argent et de banque. Tout se rapportait à la !
question d'acquéiir et de gagner. L'intérêt propre étouffait le sentiment de la
solidarité; la liberté individuelle dénouait les liens de la famille (p. 258). La
nation était exclusirement marchande, cl voilà pourquoi sa législation devait naturellement ■
servir les intérêts du commerce. » « Le Commerce enlaça dans son réseau tout le •
droit prive et lui imposa une empreinte mercantile (p. 287). Le développement
du commerce u'a servi qu'à agrandir la mésintelligence entre le riche et le
pauvre. » l'âge i.6i : > La richesse avait beau s'élever démesurément, elle ue laisUit
FUNESTK INFLUENCr. \)V DKOIT I50MAFN. 405
Les funestes conséquences du droit nouvellement introduit s'étcn-
dir(Mir hion .'lu dcl;'i des (jueslions (réc()norni(i. Les principes f'ondn-
meiilaux qui ;iv;iicnl présidé jus([ue-ià au maniement des alTaires
religieuses et politiques s'ébranlèrent, et subirent son action îrou-
hlante et desiruclive. Prêtant une continuelle assislance au pouvoir
arbitraire, (ravaillant à l'asservissement du peuple en l'avorisant
l'absolutisme des princes, le droit romain mina dans l'empire les
assises du droit allemand et de la constitution allemande.
qu'accélérer la ruine {generale. Quelques individus nageaient dans l'abondance,
les autres étaient condamnés à mourir de faim. ■ Page 36 : • L'histoire romaine
commence par une question d'argent et finit comme elle a commencé : De
l'argent! et rien que de l'argent! C'est le commencement et la fin de la civili-
sation romaine. » P. 38 : • Le capital faisait au travail une guerre semblable à
celle dont nous sommes aujourd'hui témoins. • Page 34 : - Le petit paysan était
débordé, les anciens fiefs avaient disparu, les propriétaires d'autrefois étaient
devenus les fermiers endettés ou les journaliers des capitalistes. " P. 34 : « Plus,
dans les villes allemandes, le commerce et le capital créèrent une situation
analogue, plus, tout naturellement, le besoin de l'admission Ju droit romain se
fit sentir. » Voy. Bkli>ei\, t. XXXIII, p. 702-724. Le droit romain eut d autant plus
d'adhérents qu'il était plus obscur, plus contourné, moins connu des Allemands,
de sorte qu'à l'aide d'un avocat vénal et retors, on avait toute liberté de faire
parler à la justice un langage déloyal en invoquant le droit romain. Dans les
villes, dil H.ir.EN [Deutschlands literarische und rcligii'se l'crhidlnissc, t. I, p. 17), le Com-
merce avait créé le besoin croissant de satisfaire toutes les jouissances; il avait
fait naître une tout autre manière d'envisager la vie que celle qu'avait préco-
nisée jusque-là l'austère morale du moyen âge.
.^'^
LIVRE IV
I/EMPIRE ROMAIN GERMANIOUE ET SA SITUATION EXTÉRIEURE.
CHAPITRE PREiMlP:n
CONSTITUTION ET DROIT.
II faut cherclier l'oriçine de notre coustiliiiion dans riilstoire même
de la ioudation de l'Empire.
Dès la première apparition des Allemands dans Thisloire, nous
voyons en eux une race (|ui se distingue nettement des autres par sa
constitution physique, sa langue et ses mœurs, mais qui ne forme
pas un corps de nation compacte. Ses tribus indépendantes, qu'aucun
lien politique ne rattache, sont entre elles dans les rapports les plus
divers. Quelques-unes sont alliées, d'autres vivent en hostilité, d'autres
enfin demeurent dans un isolement complet.
Beaucoup de ces tribus se mêlèrent avec le temps avec d'autres
populations, en grande partie romanes, et virent ainsi périr leur
caractère national. Tels furent les Vandales d'Afrique, les Visigoths
d'Espagne, les Ostrogoths d'Italie. D'autres restèrent pures de tout
alliage, mais ne sorlirent pas de leur isolement et conservèrent une
indépendance complète; tels sont encore aujourd'hui les Danois
et les Suédois, et tels furent les Anglo-Saxons, jusqu'au moment
où s'unissant aux Normands romauisés, ils devinrent les Anglais
modernes.
Sur le bas Rhin les anciens Francs formèrent comme un noyau
central, et se réunirent en un tout. Ils soumirent peu à peu à leur
domination des peuplades d'origines très-différentes, allemandes,
romanes et slaves. De tant d'éléments divers sortit un peuple qui
s'établit entre le Rhin et le Weser. Les Saxons lui opposèrent une
408 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
résistance plus longue que les Souabes et les Bavarois, et ne se sou-
mirent qu'après de longues années de guerre. Sous Charlemagne,
le royaume des Francs était devenu le centre politique et intellec-
tuel de l'Occident. C'est dans le juste sentiment de leur puissance que
les Francs mençaient ainsi leur code de lois :
« La nation des Francs , illustre, ayant Dieu pour fondateur, forte
sous les armes, ferme dans les traites de paix, profonde en conseil,
noble et saine de corps, d'une beauté singulière, est hardie, agile et
rude au combat. Elle désire la justice, elle garde la foi. "
Après la dissolution de la grande monarchie franquc, les éléments
purement germaniques qui en avaient fait partie s'organisèrent
séparément. Une nouvelle maison royale fut fondée par Tavénement
de Henri I". L'empire, établi sur la libre association de tribus ayant
les mêmes droits, Francs, Saxons, Bavarois et Lorrains, eut pour
lien solide et puissant la constitution ecclésiastique allemande. La
législation resta franque, et tout ce qui avait trait à l'unité de l'empire
se rattacha aux Francs. Le Roi devait être élu et couronné en terre
franque, et s'il n'était franc lui-même, devait du moins, après son
élection, adopter le droit Franc et par conséquent la nationalité
franque. Le premier prince ecclésiastique de la Franconie était
l'archevêque de Mayeucc; le premier prince temporel, l'électeur
palatin du Rhin. Tous deux, placés à la tête des princes allemands,
étaient chargés de les convoquer lorsqu'il s'agissait d'élire un roi.
Le pouvoir électif appartenait à toutes les tribus et constituait un
droit national. Dans les jours de décision suprême, comme par
exemple en 1024 pour l'élection de Conrad II, ou en 1125 pour celle
de Lothaîi-e III, les tribus en armes, c'est-à-dire l'ensemble de leuvs
hommes Iflîres, parurent au cœur du pays, entre Oppenheim et
Mayence, et donnèrent leurs suffrages pour l'élection préalable par
l'organe de leurs évêques, de leurs ducs et de leurs comtes. Le résultat
de l'élection l'ut ensuite communiqué à l'assemblée et confirmé par
l'acclamation, le cliquetis des armes et les mains levées. Aussi long-
temps qu'une maison royale possédait de légitimes héritiers, les
tribus choisissaient leur roi dans son sein , ayant soin, autant que
possible, que la dynastie fût continuée de père en tils. L'Allemagne
était donc un royaume électif héréditaire, et connut ses plus belles
époques de gloire aussi longtemps que dura cette organisation.
Sa constitution n'avait point de plus belle expression que le ser-
ment du couronnement prêté par tous les empereurs jusqu'à Fran-
çois II. Avant de poser la couronne sur la tête du Roi, l'archevêque
de Mayence lui adressait les six questions suivantes :
" Votre Majesté veut-elle maintenir la sainte foi catholique et
apostolique, et la fortifier par des œuvres justes?
CONSTITI'TION ET DliOIT. ^09
. Vofre i\Jajesf(' veut-elle proléryer rK{;li<e e( ses serviteurs'.''
Voire Majesté vent-elle [juiiverner l'empire que Dieu lui ronfle
selon la justice de nos ancêtres, et promet-elle de le défendre éner-
p,iqiicment?
. Votre Majesté veut-elle maiulenir les droits de l'Empire, recon-
quérir les Ktats qui en ont été séparés injustement et les rép.ir
ensuite de manière à servir les intérêts de rEmpirc?
« Votre Majesté veut-elle se montrer jufje équitable et loyal défen-
seur des pauvres aussi bien que des riches, des veuves et des
orphelins?
■■■ Votre Majesté veut- elle prêter au Pape e1 à la sainte Eglise
romaine l'obéissance, la fidélité et le respect qui lui sont dus? "
Lors({ue le Koi avait répondu à chacune de ses questions par un :
« Je le veux « distinctement prononcé, il montait jusqu'à l'avant-
dernière marche de l'autel, posait les deux premiers doigts de la
main droite sur TEvaugile et prononçait le serment suivant :
Avec l'aide de Dieu, je jure de me coniormer fidèlement à tout
ce qui vient de m'étre dit, aussi vrai que Dieu m'aide et son saint
Évangile. »
Après la prestation du serment, l'archevêque officiant se tournait
vers les corps de l'État réunis ainsi que vers le reste 4e l'assemblée
(qui dans l'esprit du cérémonial représentait le peuple tout entier),
et, les interrogeant, disait : « Voulez-vous promettre obéissance à ce
prince et seigneur? Vous engagez-vous à fortifier son empire? Con-
sentez-vous à lui prêter foi et hommage? Vous engagez-vous à vous
soumettre;! tous ses commandements, selon cette parole de l'Apôtre:
Que chacun soit soumis à l'autorité qui a puissance sur lui, et au
roi qui est le chef suprême? Toute l'assemblée répondait alors :
" Ou'il en soit ainsi! Amen! •' Cette cérémonie auguste consacrait,
par l'intermédiaire du représentant de l'Église, les devoirs réci-
proques du souverain et du peuple; un contrat était passé entre la
nation et le souverain. Ensuite avaient lieu le couronnement et le
sacre. L'Église sanctifiait l'ordre temporel dans la personne du Roi;
elle le pénétrait de l'esprit du christianisme. Pendant la cérémonie
solennelle, l'archevêque adressait à Dieu cette prière : « Seigneur,
toi qui règnes depuis le commencement au-dessus de tous les
empires, bénis notre roi que voici, et confère-lui la sagesse qui
lui est nécessaire pour régir son peuple avec douceur et dans la
paix; qu'il te soit soumis, maintenant et toujours; donne-lui le
triomphe et la gloire dans les guerres inévitables qu'il aura à sou-
tenir. Fais qu'il excelle à rendre la justice; accorde-lui que son
peuple soit fidèle; rends-le affable et agréable à tous; éloigne de
lui les mauvais désirs; fais qu'il soit équitable et serve la vérité, afin
410 EMPIRE ROMAIN CERMAMOTE, SITUATION EXTERIEURE.
que pendant son rèfijne le peuple croisse eu force, et trouve sou
bonheur dans la paix. -
Toute autorité publique était considérée comme un pouvoir d'em-
prunt conféré par Dieu sous la forme d'une charge. Lelîoi la recevait
de Dieu; il la transmettait aux vassaux de l'empire; de ceux-ci elle
passait à leurs hommes et à leurs vassaux, et descendait ainsi jusqu'aux
plus humbles de ceux qui avaient une part quelconque de la force
publique. Tout seigneur devait service à un autre seigneur plus grand
que lui; tout subordonné, à son tour, pouvait être seigneur d'un sei-
gneur moindre que lui. L'ensemble de la vie sociale reposait sur ces
deux principes dominants : commander et servir'. L'organisation
intérieure de la société, le pouvoir souverain ou secondaire
avaient pour base un droit inféodé, entraînant avec lui un service
correspondant. Un lien de fidélité reliait ensemble toutes les par-
ties de la nation.
Il était dans l'essence du droit germanique d'accorder le plus
d'indépendance possible aux diverses classes sociales. Elles étaient
libres de diriger et d'administrer librement leurs intérêts privés.
Une hiérarchie organique s'élevait de bas en haut. Le père de
famille gouvernait sa maison en toute liberté; la réunion des familles
formait les communes; les communes s'organisaient en districts, en
cantons, en pays, et dans cette échelle d'associations, remontant
jusqu'à la royauté elle-même, chaque degré ne fournissait au degré
suivant que la part de service réclamé par l'intérêt généraP. La
royauté était la clef de voûte de l'édifice social.
Le Roi était moins le maitre que le premier tuteur du royaume. Il
n'était pas propriétaire, mais administrateur en chef de ses domaines
comme de la toute-puissance; généralissime, gardien et protecteur
souverain de la justice et de la paix. C'est de lui qu'émanait (oulc
justice. Avec le concours des corps ecclésiastiques et laïques, il
veillait, pendant les diètes et cours royales de justice, à ce que les
lois et institutions du pays fussent maintenues. Les diverses classes
sociales étaient auprès de lui les interprètes naturels des traditions
et des droits nationaux, et son devoir principal était de garantir
aux diverses races allemandes et à chaque classe sociale ses droits
et privilèges particuliers. Les lois recevaient de sa sanction une
force plus élevée; tous les droits souverains, droits de taxes, do
monnaies, de marché, lui appartenaient. Cependant il n'était
pas au-dessus du droit. S'il violait le serment prêté à son cou-
ronnement, il avait à comparaître devant un tribunal de prince,
' GlERKE, t. î, p. 153.
- Voy. FiCivER, Üus deutsche Kaisericcht in seinen universalen und nationalen Be:iehun-
gen, p. 5Î.
pui:v()ii;s .sPiürriiM, KT Tr.Mi'OREi,. iii
et, dcdarr coupable, poiivail èlrc condamné, et même déposé '.
I/andqne royanfé allemande avait ses profondj'S racines dans le
cd'Mi" même de la nalion. Pendanl de lonj^s siècles le peuple se repré-
senla son roi Ici qu'il se montre à nous dans le pins ancien poëmc
héroïque de la Germanie chrétienne, Héliand. Le Hoi résumait en lui
la jyraudeiir et la gloire de sa nalion et de sa race.
Le peuple se l'imaginait hardi, vaillant, généreux, puissant et
doux. Dans sa personne .s'unissait, pour ainsi dire, toute la fidélité
de l'homme privé envers ceux de sa nation, et toutes les joies, les
peines, les luttes et les triomphes du peuple. 11 rayonnait au dehors;
il était le symbole magnifique dfi la puissance nationale.
II
f Depuis Othon I" jusqu'à la chute de l'Empire, la royauté germa-
nique demeura dans une alliance étroite et non interrompue avec
l'empire romain -. La pleine intelligence de ce fait ne peut s'acquérir
que par une juste appréciation des rapports qui, au moyen âge,
rattachaient le pouvoir temporel au pouvoir spirituel.
L'Église et l'État sont les deux formes différentes et toutes deux
nécessaires de la société humaine. L'État gouverne l'ordre temporel
et naturel; l'Église se rapporte à une sphère plus élevée, à des
conceptions surnaturelles. — Or les pouvoirs dirigeants de l'Église
et de l'État seraient dans une lutte continuelle si, par un équilibre
voulu de Dieu, lesdeux puissances, sansque la prééminence soit pour-
tant retirée à la plus élevée, ne restaient dans leurs limites respec-
tives. L'État doit donc borner strictement son action à ce qui est
' Voy. I.ÖHFR , Dus Bi'chverfahren bel König Wenzel's Absetzung, dans le Münchener,
Hist. Jahrbuch von 1865, p. 1-27. — Voy. l'art. : Einige Streil/ragen aus der Gesch.
der .Uselzting König Wenzel, dans ]es ffisl. polit. Bl., t. XC, p. 185 (Munich, 188-2).
- • La nalion allemande ^ , dit la loi saxonne, « a le droit d élire son souverain.
Quand le roi est sacré parles évèques qui en ont le pouvoir et qu'il s'assoit sur
le irone d'Aix-la-Chapelle, il est investi de la puissance royale et se nomme le
roi; quand il est sacré par le pape, il est investi de la puissance impériale et se
nomme l'Empereur. » Voici comment s'exprime Innocent III d;ins sa célèbre
bulle Vencrabilium : - Verum illis principibus jus et polestatem eligendi regem,
in imperatorem postmndum promovendum recofynoscimus, ut debemus, ad
quos de jure ac antiqua consuetudine noscitur pertinere ; prescrtim, cum ad
eos jus et potestas hujusmodi ab anostolica sede pervenerit, qua- Romanum
Imperium in persona masjuifici Caroli a Graecis transtulit in Germanos. Sed
et principes recofjnos cere debent, et utique recognoscunt, sicut iidera in
nostra recojjnovere pr?psentia, quod jus et auctoritas examinandi personam
eleclam in rej^em et promovendam ad Imperium ad nos spectat, qui eum inun-
gimus, consecranuis et coronamus, etc. -
412 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
humain, terrestre et temporel, et l'Église ne doit gouverner que
dans le domaine de ce qui est spirituel, surnaturel et divin.
Tel est le sens de cette célèbre définition du pape Gélase, qui,
durant tout le moyen âge, fit le fonds de la doctrine sur les rap-
ports de l'Église et de l'État.
" L'origine de la séparation des pouvoirs spirituel et temporel -,
avait enseigné le pape Gélase à la fin du cinquième siècle, ^ doit être
cherchée dans l'ordre même établi par le divin Fondateur de l'Église.
Songeant à la faiblesse humaine, il a pris soin que les deux puis-
sances demeurassent séparées et que chacune restât dans le domaine
particulier qui lui a été attribué. Les princes chrétiens doivent se
servir du sacerdoce dans les choses qui se rapportent au salut. Les
prêtres, de leur côté, doivent s'en rapportera ce que les princes ont
établi, danstout ce qui a trait aux événements temporels; ensorteque
le soldat de Dieu ne s'immisce pas dans les choses de ce monde, et
que le souverain temporel ne porte jamais la parole dans les ques-
tions religieuses. Lorsque les deux pouvoirs sont ainsi partagés, il
doit être pourvu à ce que ni l'un ni l'autre ne puisse s'attribuer une
puissance prépondérante, et à ce que chacun reste fidèle à la mission
qui lui a été confiée '. " Le pouvoir spirituel subsiste par lui-même, il
est entièrement indépendant de l'État, car l'Église est un organisme
parfaitement développé, renfermant en lui-même tous les moyens
d'atteindre son but; cependant elle est nécessairement dans un co-
ntinuel échange de rapports avec le pouvoir temporel, qui possède
également, dans les choses de son ressort, une autorité souveraine,
autonome, que l'Église doit reconnaître et respecter *.
Lorsque les pouvoirs sont ainsi séparés, tous deux gouvernant
avec indépendance et gardant cependant entre eux la concorde et
l'unité, la pensée d'élever et de perfectionner l'ordre temporel, de
lui-même terrestre, secondaire et imparfait, et de le modeler sur
l'ordre spirituel, s'offre naturellement aux esprits, car l'ordre que la
société civile voit établi dans l'Église, surtout l'unité de sa hiérarchie,
doit être son idéal, et l'État devrait s'efforcer de le reproduire quand
bien même il ne viserait par là qu'à rendre plus parfaite son union
avec l'Église.
Placé vis-à-vis de l'unique et universelle Église ^ le pouvoir tem-
porel peut, il est vrai, subsister dans des pays différents, parmi des
peuples indépendants les uns des autres, sans que rien d'essentiel lui
' Voy. ces passages dans Molitor, Die dccrctah Per ï'enerabilem, p. 211-212.
(Munster, 1876.)
- C'est là le véritable sens de la bulle si discutée du pape Boniface VIII ;
L'nam sanctam. — Voy. MOLITOR, p. 84-110.
^ Hanc aulem veneramur et unicam, etc., dans la bulle l'nam sanctam.
LE .SAINT-KMl'fUE ET LA l'AI'AlITK, 413
mauqiie; mais sou orf^anisation est plus parfailc, le lien qui le ral-
tache à l'ordre spirituel est plus étroit, lorsque, pour lui aussi, il
n'existe plus cutre les peuples de mur de séparation, et que Tunion
de la race liuuiaiue s'exprime et se reflète daus un unique maître et
un souverain juge.
Les papes réalisèrent ces pensées avec grandeur et clarté eu
instituant le Saint-Empire romain, au sceptre tout-puissant duquel
tous les peuples de la terre devaient rendre hommage. L'Empereur,
de son côté, considérait comme la plus sublime de ses attributions la
tutelle et la protection de l'Église. Aussi Charlemagne, qui porta le
premierla couronne impériale, s'intitulait-il « le défenseur et l'humble
auxiliaire de l'Église et du Saint-Siège ■ , regardant comme sa mis-
sion la plus haute le devoir de garantir la paix, l'union et l'harmonie
à tout le peuple chrétien. L'Évangile devait devenir le code des
nations, taudis que l'État chrétien consoliderait le sol sur lequel, de
siècle en siècle, TÉglise répand la semence des vérités révélées.
Dans l'union de la papauté avec l'Empire au profit du développe-
ment d'une monarchie universelle, chrétienne, catholique et romaine,
résidait le principe même de la théorie du moyeu âge sur l'État :
" Dieu », dit le Miroir saxon, « a laissé deux épées sur la terre pour
défendre la chrétienté. Il a remis l'épée spirituelle au Pape, et l'épée
temporelle à l'Empereur. »
L'Empire, issu d'une concession papale, devait être obtenu du
Pape par le souverain nouvellement élu au moment de son couronne-
ment et de son sacre. Cette investiture auguste conférait cà l'Empe-
reur la fonction sacrée de protéger l'Église. Mais cette tutelle n'était
pas encore le dernier mot de sa haute mission : ce qui en faisait le
fond, c'était une pensée de politique universelle.
La dignité impériale était laissée à la libre disposition du Souve-
rain Pontife. Elle n'était pas nécessairement attachée à telle ou telle
nation ; mais depuis qu'en 962 le Pape eut posé la couronne sur la tète
d'Olhon l", elle fut, par une prérogative universellement consentie,
remise pour toujours à la nation allemande.
Toutes les fois qu'un empereur était couronné, l'alliance entre les
deux pouvoirs était renouvelée. Dans leur mutuel serment de fidé-
lité, tous deux manifestaient au dehors leur intime union. Le Pape
n'exerçait aucun droit sur l'élection du Hoi en Allemagne. L'Empire
allemand n'était en aucune manière un fief de la papauté, et par le
serment de son sacre l'Empereur ne devenait point le vassal du Saint-
Siège. 11 s'engageait seulement, par un serment solennel, à bien s'ac-
quitter de la plus haute prérogative de cette charge auguste : la dé-
feuse de l'Eglise et de son chef.
(jiardit'u, prolecteur de l'Ëglise, l'Empereur avait en outre plus que
m EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
tous les princes chrétiens le devoir de défendre et de protéger la loi
contre les infidèles, les hérétiques et les schismatiques. « Gomme
Técorce recouvre et protège l'arbre et ne fait qu'un avec lui " , écri-
vait au roi d'Angleterre l'empereur Venceslas, tout indigne souve-
rain qu'il fut, « l'Empereur doit se tenir au côté de l'Église armé de
l'épée temporelle, prêt à la défendre au prix de sou propre sang si
cela était nécessaire. »
L'Empereur, chef souverain de l'ordre temporel, ne devait pas viser
à l'établissement d'une monarchie universelle, chercher à assujettir
les autres peuples, ni détruire les différences de leur nationalité. La
société bien plus élevée de l'Église, dans laquelle toutes les nations
prennent fraternellement place, suffit à remplir cet idéal d'union
qui est le but le plus élevé de l'humanilé. L'Empereur n'était chargé
que de fonder parmi les peuples de la chrétienté une sorte de droit
des gens, universel, applicable à toutes les nations. 11 était le pre-
mier et le souverain monarque , la pierre angulaire et fondamen-
tale de l'édifice social; il incarnait eu sa personne l'idée de toute
possession légitime, de tout droit, de toute justice, u Otez le droit
de l'Empereur, disait Pierre d'Audlau eu 1451, et qui pourrait encore
dire : Cette maison, cette terre, est à moi '? «
A l'Empereur, gardien suprême et protecteur du droit, incombait
encore le devoir de s'eut rcnîcttrc et de décider dans les querelles qui
survenaient entre les divers royaumes^; seul, durant bien des siècles,
il porta le titre de Majesté. Lui seul avait le droit de conférer le
tihe de roi; même dans les temps d'extrême impuissance politique
de l'Empire, les princes et les peuples reconnurent à 1' « Empereur
romain de nation germanique « une prérogative unique, un pri-
vilège d'houneur le plaçant au-dessus de tous les souverains de la
chrétienté.
Comme la royauté, l'Empire, bien qu'indépcadaut de celle-ci, était
cher à la nation, et cet attachement avait poussé des racines profondes
dans toutes les classes sociales. Le peuple, dans les grands siècles de
son histoire, était fier devoir son empereur, revêtu de lapins haute
dignité de la chrétienté, devenu le rocher sur lequel s'appuyait
tout l'ordre spirituel; aussi était-ce avec joie qu'il faisait les sacrifices
exigés par l'exercice de ces suprêmes fonctions. Sous le nom (Vcxpé-
dition romaine, le royaume fournissait sa seule levée d'armes générales,
sa seule prestation de service obligatoire pour tous. Tandis que le
' Cette parole se trouve déjà dans le Coip. jur. can., Dca: pars prima, Uist.,
t. vni, ch. I.
- C'est ainsi que le roi Edouard III d'Angleterre comparut en 1338 à l'audience
impériale de Louis de Bavière pour y apporter ses griefs et demander justice
du roi Philippe de France. — Voy. Bohmeu, Foiues, i, p. 190-1S>2.
LE SAI NT-EM l'I II E. 415
Jlui, pour loulcs scsaulrcs caru|)a{;nc.s, avait besoin de rasseiiliiiient
des Kla(s, cet asseutiineiit lu; lui était pas nécessaire lorsqu'il s'ajjis-
sait de former l'armée destinée à protéger son voyage à Home. Les
vassaux et arrière-vassaux de l'empire étaient obligés sous peine de
perdre leur fiel" de prendre j)art à l'expédition, dont le but était con-
sidéré connue une question d'honneur intéressant la nation tout
entière. Les classes même dépendantes qui n'y prenaient point part,
les colons, les paysans, devaient y contribuer d'une certaine manière
déterminée d'avance. Les uns apportaient des dons en argent ou en
nature; d'autres fournissaient des pièces d'équipe; d'autres offraient
leurs services ou lai.'^aicut corvée. Tous, de quelque manière que ce
fût, participaient à la campagne. Mais alin que l'Empereur ne fut pas
tenté de faire servir à des fins ambitieuses et personnelles le résultat
des sacrifices de toute la nation, une loi sage avait établi que l'obli-
gation de suivre l'armée prenait fin le jour même du courou-
ueincu! '.
III
Jusqu'au treizième siècle, époque de sa décadence, l'Empire
romain germanique fut le centre des peuples européens, Son étendue
territoriale ciU suffi à elle .«eulc pour mettre les nations chré-
tiennes à l'abri des grands bouleversements et des guerres euro-
péennes générales. Composé de trois royaumes unis sous nu même
sceptre, l'Allemagne, l'Italie et la lîour/jognc, l'Empire s'étendait
des rives de la mer du Nord et de la Baltique jusqu'à l'Adriatique et
la Méditerranée, et des embouchures du Rhône, de 1' Arno et du Tibre
jusqu'aux imposantes forteresses des Alpes, dont les passages étaient
gardés par ses vassaux. Il occupait donc tout le centre du monde
chrétien. Depuis la chute de l'empire romain, aucun royaume européen
n'a conservé aussi longtemps une puissance et une autorité semblables
à la sienne. Toutefois il ne se servit jam.ais de son immense pouvoir
pour étouffer le génie national des Romans soumis à sa domination, ni
pour mettre obstacle aux formes particulières de leurs constitutions ^
' Voy. FiCKER, Das deulschù Kaiserreich, p. 87-91.
^ Voy. FlCKEi\, Das deutsche Kaiserreich, p. 76-81 j et Deutsches Konigthum und Kai-
seirihum, p. 50-52. " F.e droit romain fut vaincu par le principe f,ermanique,
nni n'imposait pas au vaincu le droit du vainqueur, mais laissait vivre chacun
d'après le droit de sa nation. Le droit germanique a sauvé la vie à ses futurs
oppresseurs. - Modderiianx, Die licccption des römischen Hechte, p. 15. — Voyi
vo\ S.vvit'.NY, Gesch. des romischen Rechics, t. F, cap. III. — Stobbe, Bechisquellcn, t. I,
p. 26, 260.
416 EMi'iRE Domain (;ermanioue, situation extérieure.
Devenu roi d'Italie et roi de Bourgogne, le souverain allemand s'était
borné à remplacer le prince national dépossédé. La féodalité elle-
même, si imporlante alors et qui influençait tous les ressorts de la
vie politique, se développa dans ces pays conformément aux lois et
usages que les Allemands y avaient trouvés en vigueur au commen-
cement de leur domination.
Mais l'unité et la puissance de l'Empire ne subsistèrent qu'aussi
longtemps que les souverains surent maintenir les fermes assises sur
lesquelles il reposait. Son - principe vital - perdit peu à peu de sa
force à partir du moment où la maison régnante des Hohenstaufen
abandonna l'ancienne tradition, s'efforça de briser les entraves que
l'Église, jalouse de son indépendance, les États et les diverses races
allemandes avaient opposées à son ambition, et voulut exercer un
pouvoir sans limites. Frédéric I" n'envisageait déjà plus la puis-
sance impériale d'après l'idée que s'en faisait depuis des siècles la
chrétienté occidentale; il entendait l'exercer selon la théorie de
l'antique droit romain '. On vit alors reparaître les doctrines des
légistes de Rome païenne^ affirmant que l'Empereur doit s'affranchir
de toute loi, parce qu'il est lui-même la source du droit. Frédéric
prétendit disposer à son gré du siège apostolique, et se sépara ains
pour longtemps de l'unité de l'Église. Frédéric II débuta d'une
manière plus funeste encore. Ses prétentions à jouer le rôle de Pape-
César, son despotisme oriental, suscitèrent entre lui et l'Église une
lutte à mort qui compromit bientôt de la manière la plus grave
l'aiitorilé des deux puissances-.
Le pouvoir temporel de l'Empire et de la royauté allemande
s'affaiblit encore davantage lorsque la maison des Hohenstaufen eut
conquis le royaume de Sicile, complètement étranger à l'Empire.
Le centre du pouvoir fut alors transféré au loin, et l'Allemagne se
trouva ainsi séparée de l'ensemble de la nation. Sous Frédéric 11,
l'Empire tomba sous la domination illusoire de princes mineurs.
1 « c'est de la théorie romaine du pouvoir impérial que sortit l'effrayant
appareil de doctrines despotiques mis en œuvre plus tard par les juristes ita-
liens. » Nitzsch. Slaufische Studien, dans le Hislor. Zcitschrifl de Syeel, t. III, p. oô2.
Pour plus de détails, voyez Ficker, liainald von Dassel, p. 14.
- Frédéric V déclare en 1165 " Vestigia pradecessorum suorum, divo-
rum imperatorum, magni Constantini videlicet et Justiniani et Valentiniani ■
et les « Sacras eorum leges, » et qu'il les vénère comme divina oramla. Sous son
règne on trouve déjà employé l'axiome césarien : « Quotlprincipi placuit, legii
habet vigorem, cu)n j)opulus ei et in cum omne suuin imperium et polestalem concesseril. '
■ Ouodcumque imperator constituerit vel coguosceus decreverit vel edicto
pr;pceperit, legem esse constat. » Frédéric II, dans sa lutte avec le Pape,
allégua le principe .suivant ; " Princeps legibus solutus est. " Louis de lîavièrc
dit plu.s lard : • Nos qui sumus supra jus. » Voy. Otto Fiu.sing. Gcsia. I''rid..
I, lib. Il, cap. xxu. Uaiko. (iesta Frid., lib. If, cap. iv, et d'auires passages
eucore dans Siobbe, Rcclitsqueilm, t. I, p. 4G5, note 10, et 61Ü, note 29.
AFFAIBLISSEMENT DE LA HOYAUTK. 417
Dès lors, ou cessa de s'intéresser aux afftiires générales du pays;
les liens qui avaicut uni jusque-là les différenles races allemaudes se
relàclièreu! , et TKuipIre cessa de former un puissant ensemble. Les
revenus des domaines impériaux, sur lesquels la puissance royale
avait été orij^inairemcnt élablie, furent dilapidés; les préro{ïativcs
royales furent par(agées entre les é(ats ; la royauté cessa de former un
centre d'action, et d'année en année grandit la puissance territo-
riale des princes. Frédéric I" y avait travaillé lui-même lorsque,
par la suppression des duchés de Saxe et de Bavière, il avait anéanti
l'existence réelle des tribus allemandes. A partir de ce moment les
princes ne visèrent plus qu'à ac(|uérir des États dont ils fussent les seuls
maures, et Frédéric 11 donna imprudennnent une base légale à cette
tendance en leur accordant des lettres de faveur. Dès lors les terri-
toires se formèrent au hasard des conquêtes des princes souverains,
qui ne montrèrent nul souci du maintien des anciennes frontières.
L'élecUou royale, à laquelle les tribus avaient pris autrefois une
part égale, devint, après la destruction de leur libre nationalité, le
monopole exclusif de quelques princes qui se l'attribuèrent contre
toul droit.
Mais les traditions nationales des divers pays furent néanmoins
conservées dans une certaine mesure. Même après la chute de la
plupart des malsons ducales et lorsque le droit d'élection eut été
transporté aux sept électeurs, les princes souverains et les anciennes
villes des duchés restèrent si étroitement unis par des traditions et
des conventions mutuelles, que cette union fournit plus tard le plan
tout préparé de la division du pays en disiricts, division qui subsista
jusqu'à la chute de l'Empire.
LA ROYAUTÉ ET LES PRINCES DEPUIS l'INTERRÈGNE.
Pendant l'interrègne, les affaires intérieures de l'empire tom-
bèrent dans une telle confusion que le Français Charles de Luçon,
après avoir séjourné quelque temps dans les pays rhénans, croyait
pouvoir parler " de la fin de F Allemagne ' ;). Mais les réclamations
populaires, et surtout Fattitude menaçante de la grande ligue rhé-
nane formée pour combattre les fauteurs fie troubles, obligèrent
les princes électeurs de faire choix d'un prince vraiment digne du
trône.
AvecPtodolphe de Habsbourg commence, dans FEmpire, un travail
de restauration (1273). Le nouveau souverain parvient à affermir
la paix et la justice^; il anéantit la puissance du roi de Bohême
' cité dans les Lettres de Pierre de Froissard, p. 7.
- Sub cuius doraini 11... regiminc tanta fuit pax in omnibus partil)U6 Ale-
27
418 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
Ottocar, et, avec le consentement des États, reprend l'Autriche qui
avait été enlevée à sa maison par les Tchèques. Si alors, comme
jadis, la succession au troue eut été héréditaire, l'Autriche, pour le
salut de l'Empire, eût fourni à la nouvelle maison régnante une
large compensation aux domaines jadis ravis à la couronne, et ses
forces, unies à celles de la nation, eussent permis à l'Allemagne de
redevenir un État indépendant, une monarchie unie, étendant son
autorité sur toutes les tribus qui la composaient ^
Mais les princes électeurs, dans leur égoïsme étroit, ne souhaitaient
nullement voir s'effectuer « l'unité ■^, et redoutaient l'établissement
d'un pouvoir central vraiment fort. Après la mort de Rodolphe, ils
se livrèrent à un honteux trafic de suffrages, et finirent par élever
sur le trône l'impuissant Adolphe de Nassau. Adolphe fut l'homme
de leur choix aussi longtemps qu'il consentit à n'être entre leurs
mains qu'un instrument docile; mais dès qu'il voulut prendre une
attitude indépendante, et que, soulenu par une armée de mercenaires,
il eut déclaré aux princes « qu'il entendait être roi, et agirait eu con-
séquence )', il leur parut " tout à fait mal inspiré, et ils le mépri-
sèrent ') . Ils eurent peur « qu'il ne devint un nouveau César rêvant
d'assujettir toute l'Allemagne à sa domination ', et depuis cette époque
ne songèrent qu'à le déposer.
" Ils essayèrent ensuite ce qu'on pourrait faire du fils du roi
Rodolphe, Albert; mais ils furent étrangement déçus en lui - > , dit
une ancienne chronique. Secondé par la bourgeoisie, si désireuse
de voir s'établir l'unité de l'Empire, et à laquelle il avait adressé un
appel plein d'énergie, l'invitant à former une ligue contre le despo-
tisme des princes, Albert défit les électeurs du Rhin, démantela leurs
forteresses, les contraignit à restituer les possessions impériales
qu'ils retenaient injustement, et affranchit le commerce du Rhin de
toute taxe ^ Pour achever de gagner définitivement la bourgeoisie
aux intérêts de la couronne, il favorisa de toutes manières le libre
manie, eliam usque quo dominus R... spirituin contineret vile, quod tanta et
talis pax in ipsa terra nuiiquam fuit habita val visa. Adhuc quievit omnis Aie-
mania in conspectu eius et a facie suc timuit omnis home. Chron. Ellenhardi
momim. script., XVII, p. 134. — Voy- Franklin', Reishof gericht, p. 136-139.
' Voy. BÖH3IER, Kaiserregeslcn von 1246 à 1313, p. 54.
- Fragments d'une chronique allemande datant de la première moitié du
quinzième siècle.
^ Voy. GRirSHABER, Oberrheinischen Chronik (Rastadt, 1850). — Hagex, Deutsche
Gesch. seil Rudolf von Habsbourg, t. I. p. 64. Sur la politique ambitieuse des princes
électeurs considérée comme le vice radical de la politique alleniande et comme
la cause des dissensions intérieures, des révoltes et des guerres, voy. les impor-
tants mémoires adressés par Albert au pape Roniface VIII. Archiv, für Oesierr.
Geschichlsq., t. II, p. 290. — BÖHMER, liaiserregcsten, von 124G-13I3. page 42i. —
L'évècjue Bruno d'Oimntz avait déjà formulé le même reproche contre It .^
priiKto éicctcur.s qui u>urp.iv( lüiit tiiiiLi. quod reges ilomaiioiiim |)riqitei
LA HOYAUTi'; ET LES l' lil N C E S I) E l' l' I S L'I N T ERR KGN E. H9
développement des villes, protégea leur commerce avec Tétranger,
revisa leurs rèf/lemcnts corporatiis, et réforma les impôts. Il insista,
ce qui était surtout nécessaire, pour " que les villes puissent apporter
leurs suffrages et avoir leurs députés dans les diètes où se réglaient
les intérêts du pays «. L'action de députés provinciaux dans les
assemblées des États eiU eu sans nul doute les plus importants
résultats pour la constitution et la formation politique de l'Empire;
malheureusement une indigne trahison vint anéanlir tous les grands
projets du Hoi. 11 fut victime d'une conspiration princière à laquelle
l'infortuné Jean Parricida eut le malheur de servir d'instrument '.
Albert est le martyr d'une grande idée, celle du rétablissement
de l'unité de l'Empire. Eu vain, après le mcurlre « du puissant
seigneur et roi " (1308), soupira-t-on après l'avènement d'un souve-
rain énergique, « pouvant tenir entre ses mains l'épée de Charles
le Grand » et « rogner les griffes des oiseaux de proie ", le système
politique d'Albert périt avec lui, et tous les avantages qu'il avait
essayé d'assurer à l'Empire pendant les dix années de son règne
furent perdus pour la nation. Henri de Luxembourg, qui lui succéda,
raviva, il est vrai, par l'expédition romaine les souvenirs presque
éteints de l'antique splendeur impériale; mais tandis qu'il s'efforçait
d'obi enir la couronne à Rome, le sol de sa puissance s'ébranlait en
Allemagne.
Après sa mort, la double élection de Frédéric d'Autriche et de
Louis de Bavière, fruit des discordes des princes électeurs, nécessita
une réorganisation politique. C'en était fait désormais de la restau-
ralioii de la monarchie dans le sens qu'avait eu autrefois ce mot.
impotent iani et necessariorum defecîiim non possunt, pro dolor, juxta majes-
tatis sue debitum et decentiani reguare utiliter et preesse " (1273). — Voy.
R.vYN.vLDi Annales, ad ann. 1-273.
' Les contemporains n'iynoraient pas que Jean n'avait été que l'instrument
d'une conspiration de princes (■ fraudulento concilio primipuui iniquorum
circumventus et traditus -]. Voy. les documents cités par BoiiMEr,, Fontes, I,
p. 486, et dans les Kaiserregcsicn, von 1246 /"'s 1313. Dans un poème contemporain
sur la mort d'Albert, on lit :
« Qui nuliuin timuit, quem nulla poteiitia fregit,
Qui iiiie fraude fuil, fraus hune iiiopina subegit. »
Kopp, Urkunden fur die Gesch. der Eidijenössischen Blinde, p. 80. ToUS nos li\res
d'histoire, comme chacun lésait, représentaient jadis Albert comme un tyran et
l'accaljlaient de calomnies. Ce fait ne s'explique, comme le suppose judicieu-
sement Böhmer, que par le besoin qu'on avait d'inventer un tyran pour la
léjîende de Guillaume Tell, découverte au duinzième siècle et embellie depuis
de nombreux détails. De nos jours, une critique impartiale a rendu justice au
roi .Vlbert. Lichnowsky, dans son Histoire de la maison it Habsbourg , le juge d'une
manière équitable, et Kopp, effaçant l'auréole de gloire qui avait jusque-là
rayonné sur la soi-disant délivrance de la Suisse, attribue tout simplement
l'orijjine de la confédération helvétique à la chute du pouvoir central eu Alle-
magne.
27.
420 EMPIRE ROMAIN (iERMANIOüE, SITUATION EXTERIEURE.
Le règne de Louis et de Frédéric marque cette phase de transi-
tion. Le royaume, jadis uni, devint un État confédéré, et la
bulle d'or de Charles IV reconnut légalement ce nouvel ordre de
choses,
La loi constitutionnelle de TEmpire appelée la Bulle d'or trans-
portait pour toujours le droit d'élire le souverain entre les mains de
sept électeurs : trois ecclésiastiques et quatre laïques. Les trois ecclé-
siastiques étaient : les archevêques de Mayence, de Trêves et de
Cologne; les quatre princes temporels : le comte palatin du Rhin, le
duc de Saxe-Wittenberg, le margrave de Brandebourg et le roi de
Bohême. Cette loi établissait solidement l'indivisibilité des j)rinci-
pautés électives; elle y maintenait le droit de primogéuilure. Elle
confirmait les princes électeurs dans les droits régaliens déjà en leur
pouvoir : droit d'exploiter les mines enclavées dans leurs domaines;
droit de battre monnaie, de lever des taxes, etc.; elle leur conférait
aussi la liberté juridique, décidant qu'aucun de leurs subordonnés
ne pourrait avoir recours à un autre tribunal qu'au leur. L'appel
au tribunal suprême de l'Empereur n'était autorisé qu'en cas de déni
de justice. La Bulle d'or déclarait de plus que tout attentat à la vie
d'un prince électeur serait considéré comme aussi criminel que s'il eût
été commis sur la personne même de l'Empereur.
La puissance passa dès lors aux mains des sept électeurs. L'Empire
fut établi sur la souveraineté des princes, et, dès le règne de Charles IV,
plusieurs prérogatives d'abord réservées aux seuls électeurs s'éten-
dirent à d'autres princes.
Mais les villes, la noblesse, particulièrement menacées par la
nouvelle puissance des princes souverains, pouvaient être tentées de
résister, au cas où leurs libertés et leur indépendance seraient en
jeu; aussi, pour leur enlever leurs meilleurs moyens de défense, la
Bulle d'or interdisait toute union confédérative formée sans Tassen-
timent des princes. Cette défense resta néanmoins sans résultat;
Charles ayant extorque des villes de grosses sommes d'argent, par
un procédé sans précédent jusque-là, et livré aux princes en caution
plusieurs cités impériales \ la grande ligue souabe s'organisa, el finil
par unir toutes les villes libres de l'Allemagne du Sud en une confé-
dération presque indépendante. Le but principal de cette ligue était
de faire à l'élément bourgeois une plus large part dans le gouverne-
ment de l'Empire. Les villes rhénanes, bavaroises et franconienne
ne tardèrent pas à y entrer, et ce mouvement de concentration
marque le dernier grand effort tenté par la nation pour asseoir
l'Empire sur l'association de communes libres, ayant des droils
' Aussi, dans les villes libres, Charles était-il représenté comme 1" • iiisulteur
de la chrétienté >. Voy. Chroniken der deuUchcn Slädcc, t. IV, p. 42.
LA HOYAUTK ET LES l' III N C E S I) E I' (' I S LI NT E H RKfiNE. 421
égaux à ceux des princes souverains, et faisant reconnaître la liberté
des ÉJa(s à côté de l'autorité des princes '. ^- Les villes ", dit la
chronique de Liinbourg, " lornicrent celte alliance avec une grande
sagesse et libéralité, travaillant en cela au maintien de leur honneur
comme à la commune prospérité du pays. " ' Mais -, continue
l'auteur, ^ rcnfreprise ne réussit guère ^ » En effet dès le commen-
cement de la guerre, la bourgeoisie dilt céder à la force bien supé-
rieure des princes, et h partir de ce moment, elle ne joua plus qu'un
rôle secondaire dans la conslituliou de l'Empire.
Sous Venceslas, « qui affaiblit et déshonora le Saint-Empire, le
droit et la justice ne trouvèrent plus place dans la nation, et les puis-
sants purent impunément opprimer les faibles ". Rupert, qui lui
succéda, était un prince d'une stricte probité. " Il abondait en
bonnes intentions, mais n'avait pas en main un pouvoir suffisant
pour fortifier le droit et combattre l'injustice ^ -^ « Le roi Rupert est
généreux et bon ', écrivait en 1407 un digne bourgeois de Cologne,
« il voudrait bien venir â bout des princes, mais j'ai grand'peur qu'il
n'y parvienne point, car il est pauvre \ » Une disposition testamen-
taire de Piupert nous révèle en effet la situation piteuse où la royauté
était alors réduite. Le Roi ordonne que tout de suite après sa mort
« sa couronneet divers précieux joyaux soient vendus, afin d'acquitter
ses dettes chez l'apothicaire, le forgeron, le cordonnier, le peintre
d'Heidelberg, et pour que quelques pauvres ouvriers d'Amberg
pussent toucher ce qui leur était dii ^ > .
Nous lisons dans une chronique du temps : -^ Après Rupert, le roi
Sigismond monta sur le trône; il avait, â lui appartenant, plusieurs
pays sur lesquels il avait pleine autorité et disait souvent qu'il voulait
réformer le royaume; mais au fond, son propre pays lui tenait bien
plus à cœur que l'Empire. De plus, il était d'une volonté indécise; car
aujourd'hui il voulait ceci, et demain cela. Cependant les princes sont
encore bien plus à blâmer que lui : tout occupés de leurs jalousies et
rivalités personnelles, ils ne voulurent jamais rien faire pour aider à
établir ce qui eilt été utile au bien public "^ .» Aussi Sigismond
disait-il amèrement : ^ La couronne ne peut plus apporter au souve-
rain ni joie ni gloire; elle n'est plus pour lui qu'un lourd fardeau,
presque au dessus de ses forces. '>
La révolution que la Rulle d'or avait opérée dans les principautés
' GirnKF., Das Wesen des Bundes gut zusammenge/asst , t. I, p. 483-486.
- Limbiirgische Chronik, p. 98.
' Pa{je 435.
* Voy. Francfurts Reickscorrespondenz, t. ï, p. 247, note.
* Testament daté du 16 mai HIO. — Francfurts Reichscnr respondcnz, t. L P- 802-
804.
" Pa.fre 435.
'r2-2 EMPIRE ROMAIN (;ERMAMQUE, SITUATION EXTERIEURE.
électives se reproduisit peu à peu dans les autres domaines prin-
ciers. Les prélats, les chevaliers, les villes, qui auparavant n'avaient
reconnu aux princes qu'un droit de protection et ne leur étaient
attachés que par un lien féodal ou juridique, durent bientôt subir
une sorte de vasselage; il devint de plus en plus facile aux princes
d'agrandir leurs États en arrachant aux uns ou aux autres des lam-
beaux de territoire.
Le royaume, autrefois uni, n'était plus qu'un assemblage de
parties disparates, reliées entre elles par des liens fragiles. Le Roi
pouvait à peine s'intituler encore '= président de la communauté
impériale ». Les revenus du royaume étaient tellement fondus que,
dès le règne de Sigismond, ils ne s'élevaient plus qu'à treize raille
florins *.
te Et taudis que les revenus fondaient :; , l'ancienne organisation
militaire de l'état féodal croulait misérablement par suite de l'inven-
tion de la poudre à canon. Les guerres contre les hussites firent â
l'honneur de l'Allemagne une tache indélébile,
A l'intérieur, le - droit du poing ", les funestes guerres privées
désolaient les citoyens; à l'extérieur, l'Empire n'inspirait plus ni
crainte ni respect. " Les princes et seigneurs font de nous la risée
des nations étrangères par leurs guerres privées et leurs démêlés
incessants -, dit un chroniqueur du temps; • l'incendie et le pillage
dévastent continuellement le pays -. Si la royauté, autrefois si grande
et si noble, est tombée dans une telle impuissance; si en Italie et en
Bourgogne personne ne redoute plus ni le roi des Romains, ni le
Saint-Empire de nation germanique, la faute en est aux princes ^ '
Un poëte franconien fait entendre â ce sujet des plaintes éloquentes:
c 0 noble royauté, élue entre toutes! 0 toi qui étais autrefois si fière
et donnais l'honneur et la gloire à notre nation! Maintenant te voilà
déchue, tu gis impuissante dans la poussière, et ceux qui devaient tepro-
' - Les taxes et impôts des pays alleniauds réunis sont tellement diminués et
fondus que l'empire n'en retire pas plus de treize raille florins par an -, dit le
roi Sigismond dans sa lettre circulaire aux états (30janv. 14i2). Fiancfurts Reichscor-
respondenz, t. I, p. 242. Yoy. les passages cités par IIöfler, König fluprechr. ^Repe-
ritur (in Alemania) aliquis archiepiscopus vel epi.scopus, qui forte in duplo
plus habet in reditii)us, quam percipit rex Romanorura in omnibus terris sibi
subjectis. -
- Les déprédations et pillages exercés par les princes les uns contre les i
autres étaient devenus proverbiaux même à l'étranger. Charles VI, roi de France, j
commence une de ses ordonnances par ces paroles : ■- Les nobles de l'empire
ont coutume de guerroyer les uns contre les autres. • Voy. Lindner, Gcsch. des
deutschen Reichs vom Ende des vierzehnten Jahrhunderts, t. II, p. 107. — Voy. aussi
Francfuri's lieichscnrrcspondcnz, note I. Le roi Sigismond lui-même fut un jour
dépouillé par un chevalier brigand entre Ulmet Ratisbonne (1434;. — Aschrach.
Sigmund, t. IV, p. 231.
^Page 435.
LÜTTE J)i;S l' Il IN CE S AVEC LES ÉTATS. 423
l('{ï('r s'adonnent à un brigandnjje honteux! Les princes sont les voleurs,
les voleurs de ta fjloire ! Oh! i)uisse venir hifmlrtt nn venpfeur pour le
peuple (ît pour la royauté '! »
Lorsque Albert II de Habsbonr^jmonlasin' le (rônc, on espéra, pen-
dant un court espace de lemps, qu'un souverain énerp^iquc avait enfin
pris en main le pouvoir, qu'il rétablirait la paix et la justice à l'inté-
rieur, et rappellerait les princes et les autres ambitieuses petites puis-
sances au sentiment de leurs devoirs envers l'Empire et envers le bien
public. •• .ie ne suis pas sans quelque espoir »^ écrivait Guillaume
Becker en parlant de la nouvelle cour (1439). « Albert est un puissant
seigneur, expérimenlé dans les choses de la guerre, d'une activité
infatigable et bien pourvu d'hommes et d'argent -. «
On disait d'Albert qu'aucun souverain d'Allemagne n'avait encore
fait concevoir autant d'espérances au début de son règne ^; les villes
se flattaient qu'il opposerait une résistance efficace " aux procédés
indignes et déloyaux des princes et des seigneurs ". « Les cités se
réjouissent >>, disent les échevins de Spire, -^ d'avoir un souverain de
la maison d'Autriche* ". Les députés des villes, après avoir visité la
cour, rapportaient qu'Albert avait vraiment le caractère allemand
dans le plus noble sens du mot. « Et il est très-bien disposé en faveur
des villes ", ajouîaicnt-ils ^ Tous les contemporains, même les adver-
saires de l'Autriche, s'accordaient à vanter la justice et la mâle
énergie du nouveau souverain ".
Dans les plans de réforme qu'Albert présenta aux États à la diète
de Nuremberg touchant la restauration de la paix publique et la
meilleure administration de la justice (1438), il résume les points sur
' CfiACELii Carmen, t. III. Pierre d'Ailly pouvait dire avec raison : • llodie adeo
depressa est imperialis potestas, ut magis honoretur ac vereatur etiain a
maximo usque ad minimum aliquis capitaneus gentium armigerorum initalia,
quam imperator vel rex Romanorum. " V. d. Hardt, Magnum consilium Consiant.,
t. I, p. 322.
- Mémoire du 2 février 1439. — OEuvres posthumes de Bodm.vxx.
' Nemo unquam maiore spe ad imperium venit. — Ebendorffer de Haselb.vch,
Pez, Script, rer. /iuslr., t. II, p. 854.
* Voy. Francfurts Reichscorrespondenz, t. I, p. 440, n" 805.
^ Voy. Francfurts Rcichscorrespondem^ t. II, p. 104, n» 151.
" Albert I" et Albert II appartiennent tous deux au petit nombre des souve-
rains expérimentés dans l'art de la guerre de la maison de Habsbourg. « In
armis promptus, facere quam dicere raalebat •, écrivait à propos d'Albert
.Lineas Sylvius. Voy. Abhandlungen der hönigl. böhmischen Gesellschaft der Wissens-
chaften, partie 5, t. I, p. 116. « Cujus anima requiescat in sancta pace, quia fuit
bonus, licet teutonicus audax et misericors », lit-on dans la Chronique de Bar-
tossii, publiée par Docnef.. Monuni. Hist. Boem., t. I, p. 204. Le conseil d'Aix-la-
Chapelle déplore la mort d'Albert comme étant ■ chose lamentable et cruelle ^
pour les villes impériales. Ebrard Windeck nous dit : -^ Et ce roi fut très-
pleuré des noldes et des bourgeois, des riches et des pauvres; nul souve-
rain depuis la naissance du Christ n'a été aussi regretté. •• Voy. Francfurts
Reichscorrespondenz, t- I, p. 486.
424 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
lesquels doit porter d'abord la réforme politique. Sans se préoccuper
de retendue et des différences intimes des domaines particuliers, il
propose que, « pour le maintien de la paix ", tout le royaume soit
divisé en quatre cercles, et que chacun de ces cercles soit administré
par des gouverneurs nommés par le Roi. « Si ces plans sont exé-
cutés '■, disait avec raison un contemporain sagace, '= la puissance
du souverain sera extrêmement fortifiée par ces quatre chefs n'ayant
h obéir qu'à lui. La royauté, appuyée sur de nouvelles bases, ayant
en main un pouvoir exécutif assez fort pour s'opposer aux rebelles
et appliquer rigoureusement les châtiments, pourra enfin remettre
l'ordre partout où règne maintenant la confusion ; le royaume et le
peuple retrouveront la considération et l'honneur dont ils jouissaient
autrefois, et l'Empereur pourra songera rapportera la couronne les
domaines qui en ont été séparés. Or ce que le Roi a déclaré être sa
volonté, il veut très-fermement le mettre à exécution. Je lui ai
entendu dire que s'il pouvait être sûr de l'appui des villes et de la
noblesse, il saurait bien prouver aux princes, et au besoin par les
armes, qu'il doit y avoir en Allemagne un maître souverain', ü Mais
malheureusement pour l'Empire, une mort prématurée vint ravir
Albert à son peuple dès la seconde année de son règne.
Frédéric III lui succéda. Son règne ne dura pas moins de cin-
quante ans et fut également fatal à la puissance impériale et à la
politique extérieure de l'Empire. " Il réfléchissait toujours, et restait
toujours indécis. » Sous son gouvernement, les princes, surtout
après la victoire remportée par eux dans leur seconde campagne
contre les villes (1450), étendirent toujours davantage leur domi-
nation, au grand détriment du pays. Frédéric ne tenta même pas
une seule fois de saisir énergiquement le pouvoir et de châtier
« les contempteurs de son honneur et de son nom ", " la race des
puissants, indifférents à la gloire et à l'honneur de l'Empire, et ne
songeant qu'à leur propre intérêt ^ )'. u Ce fut un empereur inutile ';,
dit tristement l'auteur de la chronique de Spire; « il ne sut jamais
réprimer les guerres et les dissensions. Il resta dans son pays, et
l'on n'eut d'autre secours de lui que des lettres ^ » Pendant l'espace
de vingt-cinq ans, Frédéric ne parut même pas une fois dans son
royaume''; la nation avait presque oublié qu'elle avait un roi, un
défenseur, un juge suprême. Les ennemis déclarés de Frédéric ne
furent pas seuls à porter atteinte à la dignité royale ; les princes qui se
1 p. 440, note 3.
* Lettre de Guillaume Becicer de Mayence, 9 avril 1458. OEuvret postkumei de
BODMANN.
•^ MONE, Quellensammliing der badischen Landesgesch., t. I, p. 410-450.
* Fn.VNKLlX, Rciehshofgericht, t. I, p. 347.
IMPORTANCK DES VILLES. 425
tenaient à ses où lés et faisaient semblant d'rlre lout dévoués à ses
in(éréls, Uii firent souvent tout aulant de loiM par leurs aelcs de vio-
lence : témoin ce margrave Alberl-Acliille de llolienzollcrn, aussi
puissant que rusé, loup et renard à la lois, qui avait coutume de
dire « que Tincendle est rornement de la fjuerre comme le MdijnifiCMt
est le couronnement des vêpres », et qu'en lait de polllupie II lallail
se souvenir « quecelui qui est sans ver{jop, ne ne sera jamais humilié ' «.
Ces deux axiomes résument au reste admirablement les théories poli-
tiques et militaires des princes de son temps.
IMPORTANCE DES VILLES.
Si les villes n'avaient pu réussir à entraver le développement de la
puissance des princes; si, dans la constitution de l'Empire, elles
n'avaient pu faire reconnaître le principe de l'indépendance de l'Etat
comme étant au-dessus de l'ambition des princes, elles avaient du moins
réussi à empêcher que le morcellement de l'Empire en principautés
et domaines particuliers n'amenât sa dissolution complète. Elles con-
servèrent religieusement le sentiment de l'unité, et le désir de voir
les divers pays allemands former un tout homogène sous un souve-
rain unique.
Dans l'état féodal, le droit public est entièrement fondé sur un
système de devoirs et de charges réciproques; au lieu que dans les
constitutions des villes, le principe de l'unité se trouve sur le premier
plan. D'après ce principe, le droit n'est que l'expression de la libre
conviction des membres de la communauté, et tous les ressorts de
l'administration, depuis le plus grand jusqu'au plus infime, reposent
sur un droit librement adopté et sur la libre obéissance des citoyens
à des chefs élus par eux ^
En vertu de ce principe, les grandes villes placèrent peu à peu toute
leur administration entre les mains d'assemblées bourgeoises, de
bourgmestres et d'échevins nommés par elles. Aussi longtemps que le
sentiment de l'honneur et de l'indépendance demeura vivant et actif
en elles, le but le plus élevé de leurs efforts fut le maintien et la défense
de leur gouvernement personnel et de leurs libres délibérât ions. Durant
cette période glorieuse, les villes libres furent en Allemagne le centre
de la civilisation et du commerce, et offrirent au pays, dans toutes
les branches de l'organisation sociale, l'idéal d'un bon gouvernement.
Leur administration bien réglée, leur prospérité solide faisaient dire
avec raison à Machiavel ^ qu'elles étaient - le nerf de l'Allemagne ».
' Voy. IIOFLER, Ludwig von Eyb., p. 74-77.
* Pour plus de détails, voy. Bitzer, p. 543.
' Operf, IV. p. 157.
i-26 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
Restées ou devenues indépendantes de toute puissance princière et
nyant acquis p;ir ellos-ménies v.nc part de souverainefé, les villes impé-
riales attciîjnirent le plus haut degré de riudépcndaucc poliliquc.
Leur développement fut surtout remarquable dans les pays où,
depuis la dissolution des anciens duchés, nulle famille princière
n'avait pu obtenir la primauté; en Souabe et dans les pays rhénans,
leur nombre s'élevait à plus de cent, parmi lesquelles nous citerons :
dans le Bas-Rhin, Aix-la-Chapelle et Cologne; dans le Rhin central,
Mayence, Spire, Worms et Francfort; dans le Haut-Rhin, Strasbourg,
Colmar et Bâle; dans l intérieur delà Suisse, Berne et Zurich; sur
les bords du lac de Constance, Schaffhouse, Constance, Saint-Gall,
Überlingen et Ravensbourg; dans la haute Souabe, Kempten, Kauf-
beuren, Memmingen, Augsbourg, Ulm et Rottweil; dans la basse
Souabe, Reutlingen, Weil, Eisling, Heilbronn, Wimpfen, Hall, Nord-
lingen, Donauwörth et Bopfingen. Bien que le duché de Fraaconie
eiît été dissous, les nombreuses et puissantes principautés ecclé-
siastiques qui s'y étaient établies entravèrent le développement de
la bourgeoisie indépendante, et nous n'y trouvons, en dehors de
Nuremberg, que cinq petites cités libres. Le même fait se reproduit
en Westphalie, où nous n'en comptons que deux : Dortmund et
Herford. En Bavière, où l'ancienne famille ducale était restée en
possession d'un territoire assez important, Ratisboune était la seule
ville impériale. Dans les trois États sépares du Brandebourg, de
l'Autriche et de la Bohême, il n'en existait point. Nommons encore
quelques villes situées dans d'autres régions : en basse Saxe, Lübeck,
Brème, Hambourg et Goslar. Eu Thuringe, Erfurt, Mulhouse et
Nordhausen; dans les Pays-Bas, Cambrai, Deventer, Nimègue et
Groningen; en Lorraine, Metz, Toul et Verdun.
Les villes avaient fourni elles-mêmes tous les cléments de leur
constitution; il en résultait que chacune avait ses institutions propres
et ses formes particulières de jurisprudence. Les organes de leurs
libertés, quoique partout les mêmes dans les points essentiels,
variaient beaucoup dans les détails, et nous offrent une riche variété
de formes. Les constitutions de nos cités libres sont souvent de véri-
tables chefs-d'œuvre, aussi dignes d'admiration que les dômes élevés
à l'intérieur de leurs murailles.
Aux douzième et treizième siècles, le gouvernement municipal était
exclusivement réservé aux patriciens; mais dès le commencement du
quatorzième siècle, nous voyons les corporations prendre part au
conseil, aux charges de la cité. Dans quelques villes, ce résultat fut
obtenu par le tranquille développement des choses; mais d'autres
n'y arrivèrent qu'après de rudes et sanglantes luttes intérieures.
Enfin patriciens et artisans s'unirent pour former une seule et même
IMl'üUTANCh DES VI 1,1, 11 S. 427
l»()iir(;eoi.sic, et In constitution rivilo reçut ainsi son couronnement
ii.ilnrrl. lui i)('auc()U|> de villes, comme â Ulm, Frandorl et .Xurem-
Ikm-j';, les nobles conservèrent sur les corporations une certaine
jirééminencc, mais clans la plupart on vit s'orjjaniser ce qu'on appela
le ffouvernemeut corporatif, sur lequel toute la Constitution civile
vint s'appuyer. Les bourjyeois, ceux mêmes qui ne s'occupaient pas
d'industrie, durent entrer dans les cadres des corporations existantes,
et les patriciens se virent forcés de faire de même, ou de former
(litre eux des associations analo^jues.
Avant comme après la victoire des corporations, le conseil, même
dans les villes où la bour(jeoisie prenait part à l'élection des éclievins,
resta au-dessus de la commune, et ne fut jamais assujetti à ses
volontés. Ordinairement le conseil exerçait le droit de se recruter en
élisant les bourgeois qu'il jugeait capables de remplir les fonctions
d'éclievin; souvent aussi il choisissait ses élus parmi ceux qui lui
étaient présentés.
Ce n'étaient que dans des cas exceptionnels, comme par exemple
lorsqu'il s'agissait de faire une loi ou de prélever un impôt, que,
dans quelques villes, les bourgeois réunis prenaient directement
part aux délibérations. En dehors de ces circonstances graves, l'acti-
vité du conseil suffisait à tout, embrassant tout ce qui avait rapport
à la sécurité, à l'ordre, à la discipline, ä l'honneur, à la prospérité,
à l'épanouissemeul et à l'accroissement de la cité. Les affaires étaient
expédiées tantôt dans des assemblées générales, tantôt par des com-
missions particulières, chargées des diverses branches de l'adminis-
tration. Pour t< l'honneur, l'utilité et ie profit de la ville >',une stricte
surveillance était exercée sur le commerce et les échanges, ainsi que
sur la vente des denrées alimentaires. Le conseil était chargé de
l'inspection des bâtiments, de la police des étrangers, et souvent
édictait des lois somptuaires. Les questions économiques constituaient
une partie importante de sa tâche. Il déterminait le taux des contri-
butions indirectes imposées sur les céréales, la viande, la bière, ie
vin, etc., et, à partir du quinzième siècle, les impôts sur le capital
et le revenu. Il appliquait le produit des taxes aux besoins immédiats
de la ville, les faisant servir soit à l'entretien des forteresses, des
édifices publics, des ponts, passerelles et chemins, soit à couvrir les
impôts d'empire, à payer les troupes enrôlées ou les frais occasionnés
par les guerres privées et les expéditions à main armée. Il donnait
une attention spéciale au système militaire ', et, après la découverte
de la poudre à canon, sut tirer parti, dans l'intérêt des villes, de
tout l'ancien appareil de guerre. Les arsenaux furent abondamment
' Voy. MOJEAN, Städtische Kriegseinrichltingen im 14 et 15 Jahrh. im Programm des
Gymnasiums zu Stralsund, 1876.
4-2S EMPIRE ROMAIN (iERMANIOTE, SITUATION EXTERIEURE.
])ourvii^ d'eiigiiis de tous genres; les forteresses, préparées à sou-
tenir le feu de l'artillerie; les moulins à poudre, multipliés; les fon-
deries de canon, établies. Daus les guerres de l'Empire, la disposition
de l'artillerie fut pendant fort longtemps confiée exclusivement
aux conseils urliains '-. Aux jours libres et fériés, et les autres jours
après le travail ", les exercices militaires faisnient partie des occupa-
tions favorites des bourgeois. Même après que la levée de troupes
soldées fut passée en usage, les bourgeois, en cas de nécessité,
entraient d'eux-mêmes en campagne et venaient se ranger sous la
bannière de la ville, portée en grande pompe et considérée comme
un svmbole sacré. ■■ Celui qui l'abandonnait pendant le combat était
regardé comme un lâche '. •■
■Mais l'esprit de la bourgeoisie n'exerçait pas seulement son
influence dans les cités impériales; il avait aussi une grande action
dans les villes, souvent tout aussi fortes et importantes, placées sous
la juridiction de princes laïques et ecclésiastiques. Citons particuliè-
rement les villes épiscopales de Magdebourg, Halberstadt, Hildesheim,
Osnabrück, Minden, Paderborn, Munster, Soest, Trêves, Coblentz,
Passau, Freising, Wurtzbourg et Bamberg. Dans les domaines
de l'ordre Teutonique, Danzig, Königsberg, Elbing et Thorn.
Viennent ensuite, en Poméranie : Greifswalde et Stralsund; dans le
Mecklembourg, Rostock et Wismar. En Brandebourg, Berlin, Bran-
debourg et Francfort-sur-l'Oder. Dans le Brunswick lunébourgeois,
Lunébonrg, Brunswick, Göttingue et Hanovre. En Saxe, Dresde et
Meissen,'lhürgau et Wittembcrg. Dans !a Hesse, Marbourg et Cassel.
En Bavière, Munich, Ingolstadt, Landshut et Xeubourg. En Autriche,
Vienne, Gratz, Klagenfurt, Brixen et Insprïick. Ces villes possédaient,
comme les villes impériales, un grand nombre d'associations et d'insti-
tutions répondant admirablemmeut aux buts et aux besoins les plus
variés de la vie sociale. Elles jouèrent un rôle politique important,
surtout dans la question de la constitution des états provinciaux.
CONSTITUTIONS DES ÉTATS PROVINCIAUX.
Les constitutions des états provinciaux, basées comme celles des
villes sur le principe de l'unité, eurent presque toujours pour origine
les associations formées par les villes, la noblesse et les prélats pour la
défense de leurs droits communs contre les princes souverains. Jusqu'à
' Lettres de Pierre de Froissard, 19. Le Français voit dans ce fait - le témoi-
gnage suprême de l'honneur allemand •. Vettori dit dans son l'iaggio, p. 110 :
« É coia da considerare in Alamagia. che in ogni minima villa v'c l'ordine ed il
luogo, dove gli uomini si ridicuno le feste, chi a tirare colla balestra, chi collo
schiopetto, e cosi si assuefanno; e quesf ordine non si preterisa, ed in ogni
terra e villa, dove io fui, lo trovai. •
CONSTITUTIONS DES KT AT S P I! O VI N C I A U X. i29
la fin du moyen âge, ces conslitutions surent garantir au peuple et
à la bourgeoisie une liberlé si (Mcnfluc qu'on peut à peine en trouver
l'équivalent soit clans les r(''publi(iues de Taiiliquité, soit dans les
temps modernes. Grâce à elles, les i)rinces souverains de cetle
époque ne possédaient aucun de ces droits plus tard désignés sous le
nom de droits régaliens, aucun de ces codes qui parvinrent dans la
suite à se substituer arbitrairement aux droits anciens légitimement
acquis. Les princes n'avaient nulle influence dans les choses de la
justice, point de droit d'impôt, point d'arbitraire domination déguisée
sous le nom de haute j)olice; nul })ouvoir de contraindre l'individu
à s'enrôler, et la décision de la guerre ou de la paix n'avait pas encore
été remise entre les mains d'un seul.
Ceux (jui possédaient de grandes propriétés dans le pays furent
tous peu à peu autorisés à prendre rang dans les assemblées des
états provinciaux. Le corps des prélats, le corps des chevaliers
et des seigneurs, les députés des villes en firent tout naturellement
partie. Dans quelques contrées, dans la Frise occidentale et le
Tyrol, par exemple, les paysans indépendants avaient aussi droit
d'y siéger et d'y voter. Le premier corps était partout formé par
les prélats, l'évèque, les chefs de communauté et les abbés. Dans
les possessions ecclésiastiques, les chanoines avaient droit de pré-
séance. Si les états, tels qu'ils étaient alors organisés, ne formaient
pas encore une représentation nationale complète, ils avaient cepen-
dant à statuer sur tous les intérêts de la province, et s'intitu-
laient quelquefois eux-mêmes la « Corporation représentative du
pays»..
Ordinairement, le prince, à son avènement, confirmait par un acte
authentique le droit traditionnel et le droit écrit; il jurait ensuite de
s'y conformer, et c'était généralement après la communication de la
lettre de franchise qu'avait lieu la prestation de fidélité. Ainsi, eu
15ÜG, nous voyons le duc de Bavière, Albert IV, ordonner que tout
fils de prince ou héritier d'un domaine, avant même de recevoir le
serment d'hommage, commence par confirmer « de bonne grâce,
aux fidèles députés des États, aux prélats, aux nobles, aux délégués
des villes, leurs libertés, anciens usages et louables coutumes, et
cela sans nul délai * '. L'assurance formelle que - le pays et cliacun
de ses habitants seraient laissés en possession de ses droits et cou-
tumes ", était une garantie préventive laissée au pays, dans le cas on
sans .= l'avis, la connaissance et la volonté des états ••, les princes
eussent voulu exercer un pouvoir législatif arbitraire.
Il n'était pas rare qu'avant la prestation de fidélité, les états for-
' Voy. ces passages dans IJngkr, t. îl, p. 432-443.
- KRK\.NEr,, Baicrischc LandUifishandlungen, t. XV, p. 373.
430 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
massent une sorte de ligue, afin d'être en mesure de résister au prince
au cas où il eût refusé de reconnaître leurs libertés, ou de tenir
ses promesses. Assez souveul ils prenaient rengagement de s'aider
mutuellement <; pour le maintien et la défense de leurs libertés »
contre quiconque voudrait y attenter, sans en excepter les princes
souverains. Au reste, les princes, comme nous le voyons dans beau-
coup de documents de cette époque, reconnaissaient expressément
aux états le droit de leur refuser obéissance et de se servir de la
résistance à main armée. '■ Si, ce qu'à Dieu ne plaise ", déclare le
duc Frédéric de Brunswick-Lunebourg en 1471, " nos prélats, nos
sujets ctbourgeois, étaient, soiten général, soiten particulier, atteints
dans leurs droits ou déçus dans la parole qu'on leur a loyalement
donnée, nous les autorisons à maintenir leurs privilèges, et à se
défendre, ou réunis ou individuellement, contre nous, nos héritiers
et descendants, jusqu'à ce qu'on leur ait fait justice sans délai ni
restriction '. •
En beaucoup de domaines, les états avaient institué des tribunaux
chargés d'accommoder les différends qui pouvaient survenir entre
les princes souverains et eux; ces tribunaux s'efforçaient d'apaiser
les querelles « à l'amiable ■■ ; lorsqu'ils n'y pouvaient réussir, ils
« tranchaient juridiquement la question '. Les états étaient con-
stitués au-dessus du prince et pouvaient le juger, de même que,
selon l'ancien droit allemand, un tribunal de princes était étabU
au-dessus du Roi et pouvait le faire comparaître devant lui s'il venait
à violer son serment et à compromettre les hberiés du royaume. Si le
prince ne se soumettait pas au jugement prononcé contre lui, ses
sujets avaient droit d'en venir à une résistance armée; mais géné-
ralement il codait, car il n'avait pas en main un pouvoir suffisant,
point d'armée permanente, pour venir à bout de ceux qui s'oppo-
saient à lui; la noblesse avai? les armes, les prélats et les villes,
l'argent.
Des tribunaux établis par les états veillaient à éloigner du prince
les conseillers capables de lui nuire et de mal l'influencer. Dans la
plupart des domaines princiers, les états avaient obtenu que les con-
seillers du prince ne dépendissent pas de lui, mais formassent une
sorte de comité relevant d'eux et servant d'intermédiaire entre les
bourgeois et le gouvernement. Tantôt ce comité agissait au nom des
états, tantôt il en réclamait la convocation, tantôt il les convoquait
de sa propre autorité.
Généralement, la convocation des états émanait du prince souvc-
' .Iacodi, F,iineburg, Landlagsahschiede, t. I, p. 73. — Vov. ÜNGEn, t. II. p. 251-
•254.
CONSTITUTIONS DES KTATS P H O VINCIAUX. i.U
rain, qui assistait personnellement aux assemblées et très-frcquem-
ment traitait les affaires clc concert avec eux.
Les états lormaient dans tous les pays un corps homogène, bien que
leur mode de délibération ne fïit pas le même partout. Dans quelques
principaulés, le clerfyé, la noblesse et les députés des villes consti-
tuaient une seule assemblée; dans d'autres, chaque corps formait
une curie à pari, ayant sa voix particulière. Les décisions étaient
généralement adoptées dès qu'elles avaient obtenu la majorité des
voix, mais souvent aussi elles ne passaient que lorsque les trois corps
en étaient arrivés à une parfaite entente. Assez fréquemment on
instituait des commissions chargées de veiller à l'exécution des réso-
lutions adoptées, et surtout à surveiller le bon emploi des impôts
consentis par les députés et accordés au souverain.
Le droit d'accorder ou de refuser les impôts irisait partie des
plus hautes prérogatives des états; nul prince ne pouvait lever un
impôt de sa propre autorité. Le consentement des états au prélè-
vement d'une nouvelle taxe, de quelque genre qu'elle fût, n'était
nullement « chose obligatoire ", mais devait être accordé de ^ bonne
volonté ", et seulement pour un temps et un but déterminés. S'il
arrivait que le souverain réclamât un impôt extraordinairement oné-
reux, les états étaient légalement autorisés à résistera main armée'.
Plus la maison des princes devint considérable, plus les petits sou-
verains accrurent leurs dépenses et leur luxe, plus aussi les récla-
mations devinrent fréquentes, plus grandirent les exigences; mais
les droits des états, quant à l'administration et à l'application des
revenus, avaient grandi en proportion. En Bavière, en 1463, on voit
qu'ils sont chargés de veiller à la juste répartition des impôts : « Le
recouvrement des subsides consentis », porte la lettre de franchise
des ducs Jean et Sigismond, ■ sera confié à ceux qui auront été
choisis à cet effet par les étals. Ensuüe, nos conseillers entendus,
avis pris desdépulés des élats, ils seront distribués et employés pour
les besoins, profits et utilité des princes, du pays et de ses habi-
tants-. » Pour empêcher que les petits souverains n'amenassent dans
le pays la dépréciation des monnaies, les élats prenaient fréquem-
ment en main toute l'administration monétaire.
Pluslesprinces souverains, de plus en plus avides d'argent, eurent
besoin «du bon vouloir des états », plus ceux-ci, fortifiant leur pouvoir,
se mirent en mesure de leur résister. A propos du vote des impôts,
ils conquirent même des droits de la plus grande importance : il fut
interdit au prince de bâtir sans leur autorisa lion des donjons ou des
' Voy. Falke, SlcucrbeicilUgungen, in der Zeilschrijl fur die gcsammte Slaalswisscns-
chii/i, l. XXX, p. 402. — Falke, p. 410
- Voy. Ungek, t. îï, p. 425-426.
432 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
forteresses; de contracter des alliances, d'cntre}3rendre une guerre,
de signer des traités ou de conclure la paix de leur autorité privée.
Si dans de telles circonstances les états n'avaient pas été consultés, ils
refusaient les impôts. Dans beaucoup de cas ils servaient d'arbitres,
et jugeaient en dernier ressort les différends survenus entre leur
prince et les souverains voisins. Ils exerçaient le même office dans
les affaires intérieures du pays, lorsque surgissaient quelques doutes
sur la succession au trône, la tutelle de princes mineurs, ou l'héritage
de maisons alliées. Sans leur consentement, aucun morcellement de
pays n'était toléré, et nulle portion de territoire ne pouvait être
aliénée ni hypolliéquée'.
En un mot, les droits des états vis-à-vis desprinces souverains étaient
d'une telle étendue que le Français Pierre de Froissard pouvait dire à
bon droit à ce sujet : « Les princes qui ont amené l'Empereur sous
leur dépendance et n'ont voulu lui reconnaître que certaines préroga-
tives, dépendent maintenant à leur tour du bon plaisir des états- ".
LE DROIT GERMANIQUE ET SES RAPPORTS AVEC l'ÉTAT.
Les restrictions constitutionnelles apportées par les états à l'exer-
cice du pouvoir souverain faisaient partie des garanties offertes
aux citoyens par la loi germanique pour la défense légitime de leurs
droits contre toute entreprise arbitraire. Ces restrictions se ratta-
chent étroitement aux théories de notre ancienne législation tou-
chant l'essence du droit, la liberté, Thouneur, et l'attitude que la
justice doit garder vis-à-vis du pouvoir.
Supposant avant tout un ordre de choses supérieur et surnaturel,
la loi germanique envisage le droit comme découlant de Dieu même,
et veut que tout acte public ou juridique ait en vue la dépendance
où les hommes doivent être de Dieu.
A son point de vue, le droit n'est pas seulement une règle établie
par les hommes pour leur propre avantage; c'est une manifestation
de la volonté de Dieu, c'est une disposition divine, ayant sa source
en Dieu même, comme la loi morale.
Aussi le Miroir saxon commence-t-il l'exposition de la théorie du
droit par rappeler l'ordre divin établi dès le commencement dans
le monde : « Dieu lui-même est le droit -, dit-il expressément, « et
voilà pourquoi le droit lui est cher. >! Et la glose ajoute : » Le droit
est un éternel mandat de Dieu. » « Le droit », dit-elle encore eu un
autre endroit, « tire son origine de la nature ou de la coutume. »
" Le droit naturel peut s'appeler aussi droit divin, puisque c'est
' Pour plus de détails, voy. Ungeu, t. II, p. 331-360.
2 Lettre XVII.
DROIT (;ERMAM0UE. 433
celui que Dieu a donné à toute créature. > Tous les droits <= découlent
du droit naturel, lequel doit être mis au-dessus de toute loi, de
toute coulume > . ; L'nc loi élablie par les hommes peut bien en
annuler une autre, mais jamais détruire un droit naturel. =)
L'ordre légal, fondé sur la révélation divine et sur la loi morale,
cnpjCndre les droits privés, qui servent à l'appliquer dans la pratique,
et lui empruntent leur forme et leur substance; non-seulement les
droits privés sont sanctionnés par Dieu, mais ils constituent en quelque
sorte un dépôt confié par sa providence, et les hommes sont respon-
sables devant lui de l'usa^je qu'ils en font pour son service. Ces droits,
par conséciuent, ne peuvent être lésés arbitrairement par personne
sans qu'il en résulte une offense faite à Dieu même. Tout droit légi-
time, c'est-à-dire acquis par des moyens moraux, est donc considéré
comme inviolable, soit qu'il regarde l'individu, soit qu'il se rapporte
au pouvoir public, parce que l'État doit être assujetti au droit aussi
bien que l'homme privé, et ne doit jamais se croire au-dessus de
lui. L'ordre moral, d'où naissent les droits légitimes des individus
et qui leur prête leur caractère d'inviolabilité, n'a pas été créé par
l'État, il est plus ancien que lui, puisqu'il remonte à l'origine des
choses. L'État n'a d'autre mission que de l'appliquer; il n'est que
l'organe de la justice; sa charge la plus haute, pour ne pas dire
unique, consiste - à fortifier le droit, à affaiblir le tort ■'. — Aussi
l'Empereur, représentant suprême du pouvoir, était-il appelé •■ le pro-
tecteur souverain du droit, le juge suprême de l'empire -. Pendant la
cérémonie de sou couronnement, le peuple suppliait Dieu de lui com-
muniquer sa sagesse, afin qu'il dirigeât le peuple dans les sentiers de
l'équité. " L'Empereur ne s'appelle empereur -, dit Mathieu de Vienne,
« que parce qu'il doit trouver {kiesen} le droit et châtier énergique-
ment ce qui est inique. Son cœur doit être enflammé de zèle pour le
droit. " Lorsque après la mort d'un empereur ou disait de lui qu'il
avait été •• un sévère ami du droit, un juge intègre •^, on lui avait
décerné le plus bel éloge qu'il pût ambitionner.
Le pouvoir public en protégeant les droits légitimes assurait la
liberté des citoyens, car cette protection, selon la loi germanique,
c'était la liberté elle-même.
La liberté, disait-elle, n'est autre chose que la faculté laissée à
l'homme de diriger sa vie d'après les préceptes de la révélation
divine et selon les lois de la morale. L'État n'a d'autre mission
que d'aider l'individu à atteindre la fin particulière de son être. Le
droit protégé par l'État n'est destiné qu'à garantir à chacun la possi-
bilité de remplir ici-bas le but moral pour lequel il a été créé.
Mais comme ce but moral varie selon les diverses vocations des
hommes, la liberté veut que chaque état ait un droit correspon-
28
434 EMPIRE ROMAIN GERMANIOUE, SITUATION EXTERIEURE.
dant à sa mission spéciale îci-bas. Selon la loi germanique, l'égalité
des di'oits ne consiste nullement à ce que les mêmes avantages
soient assurés à chacun, mais à ce que chacun soi( protégé confor-
mément à sa situation, à son état; non à ce que tous soient auto-
risés à faire ce c{ui est permis à quelques- uns, mais à ce que personne
ne soit empêché de iaire ce que la loi morale lui indique comme
faisant partie de ses devoirs particuliers. 11 en résulte que les principes
moraux doivent restreindre et modifier les droits privés, et que la
liberté ne reçoit aucune atteinte lorsque des actes d'une évidente
immoralité sont entravés ou interdits par la loi K
Dans le dévouement désintéressé apporté par l'individu à l'accom-
plissement de son devoir particulier, réside son honneur. Hon-
neur et fidélité étaient autrefois des termes qui, en dehors de leur
sens moral, avaient une haute signification juridique. " Presque
tout honneur ^ dit la glose du Miroir saxon, .; dérive de la fidélité
et de la foi. Or, on peut être fidèle pour trois causes différentes :
premièrement, lorsqu'il s'agit de tenir un serment ou de reconnaître
un bienfait reçu, et c'est la fidélité que tout homme lige doit à son
seigneur et tout seigneur à son subordonné -. La seconde fidélité se
doit aux liens naturels ou de parenté, et s'appelle aussi fidélité natu-
relle, parce qu'elle dérive du droit naturel. La troisième fidélité,
enfin, doit se témoigner à ce qui est en soi-même juste et nécessaire;
c'est celle que nous pratiquons lorsque nous défendons avec énergie
tout ce qui est conforme au droit et à la justice, et il ne saurait y
avoir rien de plus louable que de garder inviolablement les droits les
plus sacrés de l'homme, en s'efforçant de les mettre à l'abri de toute
attaque perverse. L'honneur, qui a pour origine la fidélité au devoir
et à la justice, est un bien beaucoup plus précieux que la liberté.
C'est le plus riche trésor de l'homme, le seul qu'on ne puisse lui ravir;
aussi, pour le conserver, doit-il être prêt à sacrifier à chaque instant
non-seulement sa fortune et ses biens, mais encore son sang et sa ^
vie; car, ajoute la glose, un bien sans honneur ne peut plus être
regardé comme un bien, et c'est avec justice que le droit considère
comme sans vie un corps qui est privé d'honneur. »
Celui qui perd son honneur perd en même temps son droit, car
le droit a été confié à l'homme comme un fief ou comme une charge,
destinée à lui faire atteindre une fin élevée ; or il est impossible de
supposer que l'homme sans honneur fasse usage de ses droits dans
le dessein de parvenir à sa fin divine. Il ne possède donc plus de
droits dès l'instant qu'il n'a plus d'honneur, et lorsqu'il fait partie
d'une société quelconque, communale, féodale ou industrielle, il lui
' Voy. Schmidt, p. 124, f. 170.
^ Glose du Sachsenspiegel, t. III, p. 78. — Voy. SCUMIDT, p. 170-180.
ÜUülT f:i;U.MA.\IOUE. 435
faut renoncei' à tous ceux qui lui avaient été concédés lors de son
admission. - Les gens d'iioniieui' ;, les véritables ^i honnêtes gens »
sont seuls établis d'après la lui germanique '^ dans la plénitude de
leurs droits ».
Comme riiouueur et les droils du citoyen sont au-dessus de tous
les biens, celui qui a été ofleasé dans son honneur ou lésé dans ses
droits estnon-seuleracnt autorisé, mais moralement tenu à demander
réparation de l'injure qui lui a été faite; sa réputation serait souillée
s'il acceptait tranquillement un pareil outrage, ou négligeait de se
disculper d'un reproche injuste. L'honneur veut qu'il ne tolère aucune
hijustice, et qu'au besoin il expose ses biens et sa vie pour défendre
et maintenir son droit; et comme, d'après le principe germanique,
les individus sont obligés « de se prêter mutuellement secours dans
toutes les choses utiles et louables >', ou doit prêter assistance
à celui qui se voit forcé de se défendre. Tout Fédifice de la liberté
germanique reposait sur « la noble passion du droit ' ».
Pour mettre à l'abri de toute attaque arbitraire du pouvoir public
la justice, l'honneur et la liberté, la loi germanique veut que tout
détenteur de ce pouvoir (en remontant jusqu'à l'Empereur lui-
même) soumette la légalité de ses actes à l'appréciation d'un juge.
Dans les attaques à main armée elle permet à celui qui est attaqué
de se défendre ^; elle restreint le pouvoir public par l'autorité des
états, dont le premier devoir est de maintenir les citoyens dans leurs
droits légitimes; elle autorise chaque profession, chaque classe
sociale prise à part à développer les droits particuliers qui corres-
pondent à ses besoins, et leur permet de s'organiser autonomique-
ment. Enfin, elle rend la justice absolument indépendante du pou-
voir public; l'Etat n'est pas chargé de définir le droit; il doit se
borner à l'appliquer ^
Le droit allemand, " vraie propriété nationale », sorti de la
vivante conscience populaire, s'était développé librement, avec indé-
pendance et originalité. 11 avait ses plus vigoureuses racines dans la
tradition et dans la coutume, où s'incarnait avec énergie l'idéal de
justice de la nation. « Les bonnes coutumes », dit le Miroir souahe,
'. ont autant de valeur que le droit écrit; une bonne coutume est
celle qui n'est pas contraire au droit divin, ni à l'ordre humain, ni
opposée au salut et à l'honneur *. »
Ces bonnes coutumes, issues du sentiment populaire, s'exprimaient
en premier lieu dans les traditions juridiques, c'est-à-dire dans la
' Expression de Juste Moser. — Schmidt, Becepiîon, p. 252.
-Sachsenspiegel, t. III, p. 78, § 2, 5. Voyez plus haut.
•^ Voy. Schmidt, Prinapielhr Unterschied, p. 155-160.
* Dans l'ancien droit, on distinguait déjà la bonne tradition de la mauvaise
28.
436 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE. SITUATION EXTERIEURE.
concordance de jugements rendus par les tribunaux populaires à
propos d'incidents analogues. Les arrêtés, les décisions émanant de
sociétés particulières et indépendantes, de corporations autorisées
par rÉfat, de conseils urbains ou d'états provinciaux, étaient aussi
rangés parmi les sources juridiques les plus importantes.
Les empereurs ne discutaient avec les états que très-peu de lois
générales et n'édictaient qu'un très-petit nombre d'ordonnances
légales'; les seigneurs, dans leurs domaines, n'exerçaient point de
pouvoir juridique; aussi les diverses classes sociales, à la ville comme
h la campagne, étaient-elles convenues d'un certain nombre de déci-
sions toutes préparées, répondant à leurs besoins p.irticuliers. Les
princes souverains conféraient des questions juridiques avec les états
provinciaux; les échevins, avec les membres delà commune; les sei-
gneurs féodaux ou ceux qui avaient des colons sous leurs ordres, avec
leurs vassaux et administrés; les propriétaires ou baillis, avec leurs
subordonnés. Quant aux corps de métiers, aux associations, leurs
lois particulières étaient discutées dans des assemblées privées. Les
recueils de droit qu'on commence à voir se former à partir du
douzième siècle, codes, droits provinciaux, droits des cités, droits
féodaux, droits seigneuriaux, sagesses ou coutumiers, ne créent en
aucune façon un droit nouveau; ils ne font que sanctionner un usage
établi depuis longtemps, ou que définir celui que de nouveaux besoins
ont fait adopter, afin d'en rendre le sens plus sûr et plus clair. Les
plus importants de ces codes sont le Miroir saxon (Sachsenspiegel),
le Miroir souabe (Schwabenspiegel) et le Miroir allemand (Deut-
schenspiegel), qui tient de l'un et de l'autre ^
Comme chaque pays, chaque ville, chaque village, chaque métier,
chaque condition avait un droit qui lui était propre, on était prodi-
gieusement riche en recueils de lois, en sources juridiques. Variant
(voy. les passages cités par Zöpfl, p. 96). Après l'introduction du droit romain,
on commença à désigner tout l'ensemble du droit germanique sous le nom de
■ mauvaise coutume » .
• Les lois d'empire ont trait aux droits de l'Empereur et des états, ."^ ceux de
l'Église et à l'adminislration ecclésiastique, à la justice, aux lois pénales, parmi
lesquelles les ordonnances se rapportant à la paix publique tiennent le premier
rang.
- Le Miroir saxon tient les bonnes coutumes pour aussi valables que le droit
écrit; il exprime cependant le désir de voir tous les droits consignés par écrit.
Voy. Franklin', Réception, p. 165. D'après \ Infurmaiio ex spécula Saxonico, cinq mille
copies du Miroir saxon avaient été répandues en Saxe et en Westphalie au
quinzième siècle. Le Miroir saxon était la base de tous les droits au sud de l'Alle-
magae, et aussi la source directe et principale de tous les recueils de droit
à la ville comme à la campagne. C'était d'après ses prescriptions qu'une grande
partie du peuple allemand vivait et se gouvernait. On a conservé un nombre
encore plus considérable de manuscrits du Miroir suuabe, qui, en sa qualité de
droit impérial, était d'une application très-étendue. Stobbe, Rcchtsqucllen, t. I,
p. 360-317, 412. — Frankmx, p. 167,
DROIT OF.RMANIOUi:. 437
beaucoup dans les détails, ils sont tous inspirés par de communs
principes et des tendances analofjues. Bien qu'applicables à des
genres de vie fort didérenls, ils attestent, en leur ensemble, l'unité
de notre droit national. Ce droit, presque exclusivement populaire,
se rapporlait à loutes les conditions sociales, et tout homme d'ex|)é-
rience le possédait à fond en tant qu'il avait trait à sa situation et à
son état.
PROCEDURE.
La procédure s'adaptait parfaitement au droit que nous venons
de définir, et dont l'influence sur le cours de la justice était d'autant
plus directe que les juges et assesseurs n'avaient pas à appliquer
une loi écrite, n'étaient que les organes de la conscience populaire, et
les fidèles interprètes des notions nationales sur le droit.
Chaque condition, chaque état avait ses institutions, ses lois par-
ticulières; les paysans, les bourgeois et les nobles vivaient d'après
« leurs propres droits •>; aussi le principe que nul homme ne peut
être jugé que par ses pairs avait-il universellement prévalu. Le prince
comme le simple villageois devait comparaître en personne ou repré-
senté par un fondé de pouvoirs devant le tribunal compétent; c'est
ainsi que, malgré la différence des classes, la plus parfaite égalité
régnait du haut en bas.
Ce mode de justice se maintint jusque vers la fin du quinzième
siècle dans son antique simplicité, et retint jusqu'à cette époque les
anciennes traditions de la loi germanique. Toute procédure civile
nécessitait la discussion; toute procédure criminelle, l'accusation.
Sans accusation, il n'y avait ni juge ni sentence.
L'organisme judiciaire était extrêmement simple et ne réclamait
pas une coûteuse armée d'employés.
Un juge, un comte, un bailli, un juge de district, un juge impérial
ou provincial, interprétait le droit et prenait en main les débats;
il dirigeait la discussion, mais seulement comme « questionneur sur
le droit >;. Il n'avait pas à émettre son avis; son emploi se bornait
à interroger les assesseurs et les pairs des parties, puis à prononcer
la sentence rendue par eux '. Ces " assesseurs ' étaient de simples
hommes du peuple, pauvres de la sagesse puisée dans les livres, mais
riches d'expérience et de bon sens, et possédant à fond les anciens
' Voy. Maurer, Gcrichtsi^erfalven, p. 107. On exigeait que le juge ait une atti-
tude grave. D'après une ordonnance judiciaire rendue à Soest, il devait se tenir
sur son siège ■ comme un vieux lion en colère -. Emminghaus, Memorab. Susat.,
p. 396. Sur r " humour dans le droit allemand •, voyez les charmants articles de
la Kolmachai Volkszcitung , 1878, n"' 12 et 18, f. 3.
438 EMPIRE ROMAIN GERMA?aOUE, SITUATION EXTERIEURE.
usages nationaux et les coutumes légales du pays. Ils prêtaient ser-
ment avant de donner leur avis.
Tous les débats étaient publics. Les parties non-seulement pou-
vaient, mais devaient comparaître devant le tribunal, et cela dans les
cas criminels comme dans les cas civils. Le juge pouvait les voir, les
entendre, les interroger, et approfondissait ainsi plus facilement et
plus sûrement la vérité, que si, en l'absence des parties, il ent eu
affaire à de subtils avocals, intéressés à voir le procès tirer en lon-
gueur. Les débats étaient aussi ouverts à ce que Ton appelait
r « assemblée judiciaire . Cette assemblée était composée de membres
libres de la commune, qui servaient de témoins, apportaient des
preuves, et, là où n'existaient point de jurés proprement dits, déci-
daient de concert sur les questions de droit. L'assemblée judiciaire
avait pour mission de veiller à ce qu'aucun usage contraire aux
anciennes coutumes ne s'introduisit dans la procédure; elle ne déci-
dait point sur les points controversés, mais était souvent consultée
par le juge, les assesseurs ou les parties.
Les tribunaux admettaient des « médiateurs ». Plaignants et
accusés, dénonçants et dénoncés étaient autorisés à en faire usage.
Tout homme « jouissant de la plénitude de ses droits " pouvait en
tenir lieu et venir exposer devant le tribunal la cause de son client,
mais jaroLS seul, toujours en présence de ce client ou bien de son
chargé de ; ouvoirs. On ne connaissait point encore ces personnages
intermédiaires qui, en l'absence des parties, apportent des preuves
et fournissent par écrit les accusations et les réponses. Il n'y avait
pas non plus d'avocats de profession, vivant de procès, et par consé-
quent prompts à en faire naitre; aussi le poëme intitulé : la Race
welche dit-il à la louange du droit germanique :
K Chez nous on ne sait ce que c'est que de gloser sur le droit; on ne
farde point la justice; le pauvre peut h loisir mettre à profit le droit
que Dieu lui a donné. Chez nous, on ne souffre point d'avocat. r>ous ne
délivrons point de sentence pour gagner de l'argent ou obtenir la faveur.
Chez nous, la justice ne se vend point '. i
Les preuves devaient être apportées publiquement, en présence
des parties, du juge et de F - assemblée ». Le vote aussi était public.
Cette publicité étabUssait des liens étroits entre le peuple et le juge.
Il était rare que le soupçon et la méfiance vinssent troubler leurs
rapports; un lien de concorde rattachait entre eux juge, asses-
seurs et peuple. Le juge trouvait sa meilleure récompense dans
l'estime du peuple en présence duquel il s'acquittait de ses fonc-
' Wehchgatlting, p. 2 et 4.
DHOIT CERMANIQUE. 439
lions, et les Iribunnux eux-mêmes, de quelque ressort qu'ils fussent,
('laiciil leiiusen liaulc considération, et passaient pour le « premier
honneur » de la commune ou du pays.
La publicité de la procédure avait d'incontestables avantages. On
rcdonlait une scnlence prononcée en public; on craijynait de perdre
l'eslimc de ses conciloyens, de sorte que les parues hésifaieut à
faire des poursuites, et que les « médiateurs ", de leur côlé, recu-
laient devant la défense d'une mauvaise cause; tous avaient intérêt à
n'user (pic de procédés loyaux. Plus d'une affaire litigieuse, entamée
sur de frivoles prétextes, était abandonnée presque à son début. Enfin
la publicité des débats ravivait constamment dans les esprits le senti-
ment de la justice, répandait la connaissance du droit, le faisait passer
dans les mœurs populaires, et le rendait familier à tous et véritable-
ment national. Le peuple était à lui-même son code vivant. La publi-
cité conservait et alimentait sans cesse dans la nation rintelligence
des affaires pubii<pies, l'intérêt pour la prospérité ouïe malheur des
individus, des autorités, de la nation tout entière. Moins, dans la
suite, le peuple fut admis à prendre part aux débats juridiques,
moins i! lui fut facile de conuaiire exactement de ses droits, plus il
se désintéressa des affaires publiques, et perdit ce sentiment de
solidarité, d'honneur, de liberté, qui ne peut être nourri et entre-
tenu que par une participation personnelle et vivante à la vie poli-
tique.
Tant qu'elle fut ouverte à tous, la procédure resta orale. Dans
tous les tribunaux, les débats étaient conduits uniquement par la
parole. Les parties ou leurs " médiateurs » exposaient oralement
la cause. Les dépositions des témoins étaient orales; les pièces
nécessaires apportées devant le tribunal, lues et discutées à haute
voix; la sentence prononcée devant tous, et ce n'était que sur la
demande des parties qu'on rédigeait un compte rendu, un procès-
verbal ou un jugement '.
Une fois la décision prise, la sentence était prononcée par le juge,
et si elle n'était pas immédiatement contredite -, si personne n'en
mettait en doute l'ecjuite, elle était déclarée irrévocable. Ni juge, ni
' Dkyer, .\W;c?w;!(;î.'/ch, p. 174-17G. On peut voir dans i)eaii'onp de documents
datant delà fin du moyen ûge avec quelle promptitude les jugements étaient
alors exécutés : « Le premier lundi de carême. Claude Antoine, bourgeois de
Budstatt, a égorgé un autre bourgeois de la même ville nommé Heinz Kirch-
nern, comme celui-ci était dans la cave du conseil, où tous les deuxavaient bu
de compagnie. Il l'a égorgé, dis-je, avec un couteau à pain. Heinz est mort sans
pouvoir dire ah! ni hélas! On s'est aussitôt emparé du meurtrier, et le même
soir, après que le conseil eut tenu sur ce fait trois séances, il eut la tête tran-
chée. « Müller, Annal. Saxon, ad ann. 1470, p. 40. — Voy. Maurer, Gcrichlst>erfn -
siing, p. 283-299.
- Pour plus de détails, voy. Zöpfel, p. 897-900.
4fO EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
censeur, ni prince, ni même empereur n'avaient le droit d'y rien
changer sans l'assentiment de ceux en faveur desquels elle avait élc
prononcée, et cela dans les causes criminelles comme dans les causes
civiles. Totalement indépendants du pouvoir public comme de toute
influence étrangère, les tribunaux n'avaient jamais besoin de faire
sanctionner leurs jugements par le gouvernement, ou par une chan-
cellerie quelconque '.
Si la sentence était attaquée, la cause venait généralement devant
d'autres assesseurs; ceux-ci ne constituaient pas un tribunal supé-
rieur, mais seulement un tribunal différent, composé des mêmes élé-
ments et organisé de la même manière que le premier -. Dans les
cas douteux, les assesseurs, à la ville comme à la campagne, pouvaient
réclamer l'assistance d'un tribunal voisin. En ce cas, la sentence ainsi
obtenue éiait indéniable et gratuite, et s'appelait, à cause de cela,
r " aumône du pays ".
En outre, dans un grand nombre de ci(és allemandes, des tribu-
naux supérieurs, appelés Cours souveraines, avaient été établis.
Elles n'étaient pas non plus composées de juristes savants, mais
d'hommes du peuple, expérimentés dans les questions de droit et
chargés d'éclaircir des points controversés, d'appliquer le droit,
ou, lorsqu'un jugement avait été contesté, de juger en dernier res-
sort. Les villes de fondation relativement récente devaient en référer
aux tribunaux des villes plus anciennes dont elles avaient adopté
le droit. Aussi un continuel mouvement juridique se produisait-il
entre les localités d'un môme pays, d'une même principauté, et
même entre des communes appartenant à des centres politiques très-
différents. Trente-deux villes ou bourgs se rattachaient à la juri-
diction de Fribourg en Brisgau, soixante ä celle de Francfort-sur-le
Mein, soixante-dix à celle de Cologne. Les prescriptions légales
émises par ces tribunaux touchaient à toutes les questions juri-
diques, et c'est ainsi que les Cours souveraines', dont la réputation
s'étendait au loin, eurent une part considérable à la formation
de la jurisprudence en Allemagne, et parfois même jusque dans les
pays voisins. Francfort exerçait une grande autorité juridique sur
les pays du Rhin central; Cologne, sur le bas Rhin et le sud-ouest de
l'Allemagne; Lübeck et Magdebourg, dans l'Allemagne du Nord et
les contrées limitrophes. Les nombreux arrêts de justice datés de ces
dernières villes et venus jusqu'à nous prouvent avec évidence que
' Maurer, p. 124-287. — Voy. aussi Besfleu, p. 287-295. — 7>îaurer, p. 177, et
.Waciitf.r, Beitrüge, p. 11-.38 et 150-187. — Voy. aussi Achengach, Der Freistuhl an
der breiten Eiche und der Frcigraf Jacoh mit der liondcn, Siegen, 1881.
' Dans les protocoles des assesseurs de Francfort (1332-1464), on ne trouve pas
trace d'instances ni d'appel. Voy. Thomas, p. 10.
GUERRES PRIVÉES. 441
les Cours souveraines étaient encore en plein exercice au quinzième
siècle '.
Kn {',énéral, le droit, à celle époque, trouvait son organe naturel
dans les tribunaux populaires, 6t la manière dont il était appliqué
correspondait exactement aux besoins du temps. Les arrêts, les
^! sagesses » du quinzième siècle nous fournissent d'abondantes
preuves de la sûreté, de la souplesse avec lesquelles les assesseurs
savaient appliquer le droit national. Les nombreux statuts provenant
de la môme époque montrent qu'on savait dès lors exposer avec
clarté et précision les données fondamentales du droit en vigueur ^
A cette date, la loi germanique vit encore dans la conscience
populaire; elle s'exprime dans ses traditions, ses usages, son esprit;
elle inspire toute la jurisprudence. Nul code étranger au pays n'a
rompu l'harmonie de ses principes; nul abime n'a été creusé entre
la nation et sou droit.
DÉCADENCE DE LA JUSTICE.
« Le peuple allemand maintient son droit avec énergie ■-, écrit
Pierre de Froissard en 1493. '^ Il regarde les antiques traditions,
le système judiciaire d'autrefois comme un bien sacré légué par ses
ancêtres. Cependant de toutes parts on n'entend que des plaintes,
et l'état des choses ne le fait que trop comprendre. La jurispru-
dence, dans les tribunaux impériaux comme dans tous les autres, est
complètement déchue; lorsqu'à force d'efforts on obtient une sen-
tence, on manque, pour l'appliquer, d'un pouvoir exécutif prompt
et énergique. En même temps, les guerres privées sont depuis
longtemps devenues la plaie du pays; les chevaliers brigands rendent
les routes peu sûres et ne se mettent en peine ni du droit ni de la
justice ^ ')
Dans ces paroles, Froissard découvrait le mal le plus profond de
l'état juridique de l'Allemagne.
Le droit de guerre privée était légalement reconnu par les
Landfrieden, c'est-à-dire par les ordonnances impériales ou terri-
toriales établies pour le maintien de la sécurité publique. Tout
homme libre, sous le plus léger prétexte, pouvait entreprendre une
attaque à main armée contre celui dont il se croyait l'offensé.
Quelques restrictions étaient cependant apportées à ce droit. On
n'était autorisé à exercer des représailles, fût-ce envers le plus
criminel malfaiteur, qu'après avoir tenté de se faire rendre justice,
' Stobbe, Uechisquellcn. t. II. p. 64
- Voy. Beseleu, p. 26.
' Lettres 5, 6. '
442 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
Ce n'était que quand le juge légal avait refusé d'intervenir ou n'avait
pas été en état de le faire, qu'en dernier ressort, il était permis
d'avoir recours à la guerre privée. « Si quelqu'un a été lésé dans ses
droits », dit le Landfriede de 1235, '= qu'il ne se venge pas; qu'il se
plaigne à son juge. ■> « Que s'il ne reçoit pas satisfaction de la .justice,
il pourra alors, eu cas de nécessité, attaquer son ennemi. -^ Le
Landfriede publié à Francfort en 1438 dit de même : <; Que personne
ne fasse subir quelque dommage à un autre avant d'avoir eu préala-
blement recours à la justice. •
« Et si ;, continue la prescription déjà citée, « justice ne lui est
pas rendue, qu'il n'attaque ni ne nuise avant d'avoir annoncé son
intention et mis son ennemi sur ses gardes trois jours et trois nuits
d'avance •. •■
Celui qui en cas de nécessité avait recours à la guerre privée était
tenu aux formalités suivantes : il devait faire à son adversaire un
avertissement public et formel trois ou quatre jours avant de com-
mencer la guerre; interrompre toute hostilité pendant les jours de
la semaine consacrés à la Trêve de Dieu ; mettre à l'abri de son droit
de représailles certaines personnes et certaines choses; n'attaquer ni
prêtres, ni pèlerins, ni laboureurs, ni vignerons ni autres cultiva-
teurs; respecter les églises et les cimetières. S'il contrevenait à ces
règlements, s'il entreprenait une guerre privée - sans avoir au préa-
lable cherché l'appui de la justice -, il était considéré comme viola-
teur de la paix publique, et ordinairement conduit à la potence.
Plus, au déclin du moyen Age, par suite de l'impéritie du gouver-
nement et de l'ébranlement de l'ordre public, l'adminis! ration de la
justice tomba en désuétude, plus - les tribunaux énergiques et l'exé-
cution rigoureuse des sentences rendues :■ devinrent rares, plus aussi
s'accrut le nombre des guerres privées autorisées par la loi; et les
escarmouches illégales des princes et des nobles, entreprises pour
le simple plaisir de piller et de voler, devinrent de plus en plus
fréquentes, causant les dévastations les plus effroyables dans les
champs, les villages et les petites villes. ÀN'entendit-on pas le mar-
grave de Brandebourg se vanter un jour d'avoir brûlé dans sa vie
cent soixante-dix villages-? La plupart des différends qui survenaient
entre les grands du royaume ne se terminaient pas au moyen d'une
procédure régulière, mais à main armée. Les cas où l'inlervcntion
d'un arbitre et son arrêt décisifparvenaient à terminer le débat, étaient
rares.
Cet état de choses doit sur'out être attribué à la manière défec-
' Voy. Franc/arts Reichscorrespondenz. t. I, p. 434, n" 5.
- Wächter, Beiträgen, p. 42-58.
TRIBlIiWL SUPRKMi;. 443
tueuse dont clail organisé le Souverain Tribun;il de rempire, et au
peu de respect et de confiance que, par conséquent, il inspirait à la
nalion.
Le droit allemand voulait que l'Empereur en personne s'acquittât
de SCS fonctions de jujye; elle le rendait responsable de la fidf'lc et
consciencieuse administration de la justice. L'ne telle disposition était
sans doute de la plus haute importance quant à la situation du chef
suprême de l'état vis-à-vis de son peuple, mais elle était inséparable
de graves inconvénients. En effet, ce Tribunal Souverain que nous
voyons si souvent appelé dans les documents historiques (à cause de la
vaste action qu'il était destiné à exercer) " l'empire proprement dit' »,
était ainsi rendu dépendant des destinées particulières de l'Empereur.
Il n'avait point de lieu de résidence fixe, et devait suivre la cour dans
tous ses voyages. Cet inconvénient, à hn seul, était déjcà fort grand,
car il enlevait ä la plus grande partie du peuple la possibilité de
chercher appui et protection auprès de l'Empereur contre la vio-
lence et l'injustice.
Après que les souverains de la maison de Luxembourg eurent
transporté le siège du gouvernement et l'administration du royaume
aux frontières occidentales de l'Allemagne, il devint presque impos-
sible qu'un tribunal si éloigné du centre piU prêter au droit un
appui vigoureux. Il en fut de même, et à bien plus forte raison, sous
Frédéric III, qu'on ne vit pas dans l'empire pendant des dizaines
d'années.
Lorsque, après un voyage long, pénible et dangereux, les plaignants,
venant réclamer l'appui du souverain, arrivaient enfin au lieu de
résidence de la cour, il n'était pas rare qu'ils apprissent que le tribunal
ne tenait point en ce moment ses séances, « parce qu'il n'avait pas
été possible de trouver d'assesseurs ». C'est que le Tribunal Suprême
n'était pas un corps organisé, permanent, solide; il n'avait point
déjuges attitrés; pour chaque cas différent, il devait se réorga-
niser à nouveau, selon que le temps et les circonstances le per-
mettaient, et d'après ce que réclamaient l'état et la position des
parties *.
Le souverain le mieux intentionné et le plus compétent ne pouvait
d'ailleurs se consacrer à l'administration de la justice qu'autant que
les affaires publiques lui en laissaient le loisir. Les guerres exté-
rieures, les troubles, les révoltes intérieures amenaient une interrup-
tion forcée dans les séances du Tribunal Suprême. Enfin la sentence
une fois prononcée ne pouvait être exécutée, le rebelle puni, les
' Voy. Franklin-, Reichshnfgerkht, 1. 1, p. 328-343,
- Harppuecht, Staatsarehiv des Reichslcammergericht , t. II,
444 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
actes de violence réprimés, la justice, en un mot, exercer une auto-
rité réelle et efficace, que dans les limites où la puissance du souve-
rain pouvait atteindre et la mesure où il lui était possible d'exiger
l'obéissance.
Pendant les règnes de Sigismond et de Frédéric III, la manière
arbitraire et onéreuse dont la justice était rendue provoquait d'uni-
verselles plaintes. Sigismond accueillait ou cougédait les plaignants
selon les intérêts de sa caisse toujours vide'. « A la cour -, écrit à
Francfort un député de la ville, " on achète tout ce qu'on veut à prix
d'argent. » Sous Frédéric III, des délégués de la même cité résument
les " usages habituels •■' du Tribunal Souverain par ces courtes
paroles : « Délais, iniquités; plaintes venues de toutes parts attirant
fort peu l'attention; la justice toujours ajournée. -^ « Les gens parlent
fort mal du Roi notre sire >, ajoutent-ils, « prétendant qu'il rend la
justice avec une extrême lenteur, et ne termine rien. » « Les bonnes
villes ne font que se lamenter. Elles se plaignent de ne pouvoir
obtenir justice ni du Tribunal Souverain ni de la chancellerie. ' On
disait proverbialement en parlant de la manière dont les affaires
étaient expédiés à la cour : « Beaucoup d'argent, court délai; peu
d'argent, longue attente *. »
Il en était de même dans les tribunaux impériaux dont l'action
n'avait à s'exercer que dans certaines parties de l'empire. Les
choses n'étaient pas plus satisfaisantes dans les cours de justice des
princes, ni dans les tribunaux de moindre importance encore;
partout l'administration du droit était remplie d'imperfections.
Les princes, les seigneurs, absorbés par leurs perpétuelles guerres
privées, se souciaient fort peu de la justice, et trop souvent ne fai-
saient servir leur autorité judiciaire qu'à l'augmentation de leurs
revenus.
<' La difficulté d'obtenir justice contre les puissants », dit Grégoire
de Heimbourg, « est devenue la plaie de la nation. Les princes sont
les tyrans de leurs peuples. L'Allemagne n'a pas su s'accommoder
d'un seul souverain, et maintenant il lui en faut supporter un grand
nombre. Comme on ne peut avoir nul recours contre les grands, la
force règne seule, et les crimes les plus audacieux restent impunis
dès que ce sont eux qui les commettent. La loi n'est aucunement
respectée; il n'y a point d'ordre et point de paix. " " L'Allemagne
' Voy. par exemple le procès entre l'ancien et le nouveau conseil de LuJjeck.
— Franklin, Reichshofgericht, t. î, p. 266-270.
* Voy. ces passages et d'autres analogues dans la Correspondance d'Eiat de
Francfort, t. I, p. 3l9, 330, 370, 390, 412, et t. II, p. 54, 65, 69, 88, 101, 113, 122,
253. — Voy. aussi les plaintes de \' Informatio ex spécula Saxonico, dans HOMEYER,
Abliandl. der königl. Académie der Wissenschaften zu Berlin, 1856, p. 674. — Voy.
Franklin, Rcichshnfgericht, l. I, p. 350, 354.
PLAN DK HKKORMK. 445
est riche, elle a des biens en abondance «, dit Jean de Lysura dans
un discours prononce en llôî à la diète de Hatisbonne; -: mais,
malheureusement, la paix lui fait défaut. La justice est dans un état
piloyable, de sorlc que l'empire est sans cesse troublé et ébranlé. »
Le clerfjé n'a uuilc sécurité; la noblesse, aucun souci de son hon-
neur; le pays est ouvert au brigandage. Nous haïssons tous, il est
vrai, la guerre; nous soupirons après la paix; nous nous plaignons
(lo l'iusécurilé générale, mais nous ne découvrons pas le remède qui
pourrait nous j^uérir : sans équité, point de repos; sans justice exe-
cutive, point de paix. A la vérité, on pourrait dire que l'Empereur
est là pour administrer la justice, et que s'il ne s'acquitte point de
sou devoir, il est responsable de tout ce qui arrive. Mais où l'Empe-
reur prendrait-il les ressources nécessaires à l'entretien des tribu-
naux? Et lorsqu'une sentence est prononcée, qui peut contraindre les
rebelles à s'y soumettre? » ^ C'est en vain qu'on proclame la loi,
qu'on préside les tribunaux, qu'on définit le droit, si la force répres-
sive manque pour mettre les récalcitrants à la raison '. »
L'urgent besoin d'une réforme se faisait donc sentir à tous.
PLAN DE RÉFORME.
Le même génie qui dans le domaine de la religion et de la science
avait tracé le plan d'une transformation grandiose, Nicolas de
Cusa, élabora, vers le milieu du quinzième siècle, un vaste projet de
réforme, destiné à relever l'administration de la justice et surtout
à consolider et réorganiser les ressorts ébranlés de l'empire. 11 a
développé toutes ses idées dans son célèbre ouvrage intitulé : De l'unité
catholique.
« L'empire est atteint d'une maladie mortelle ■^, dit-il au début de
son travail, '< et la mort s'ensuivra indubitablement si l'on n'y apporte
promptement un remède énergique. »
Nicolas attribue surtout l'état malheureux de l'Allemagne à la
• «Frustra leges condimus , judicia tenemus, sententias praeferinius, nisi
rnanus adsit armata, qua' contumaciam, coerceat subditorum. » Dans Manci,
Appendix ad orntiom's PU II (Lucap, 1759), p. 48, 50. — Voy. Franklin, t. I, p. 362.
Cependant l'état de la justice n'était pas {généralement aussi mauvais que cette
appréciation pourrait le faire croire. A l'époque où l'on s'en plaignait si amè-
rement en Allemagne, les Italiens, les Grecs, les Espagnols enviaient sous ce
rapport notre situation. Voy. ce que dit à ce propos Enéas Sylvius ; voy. aussi
sur ce sujet l'opinion de Machiavel, Opère, t. IV, p. 133-154. Le Grec Chalco-
condylasdans son histoire de l'empire byzantin cite le peuple allemand comme
étiint celui qui est régi par les meilleures lois, et le légat du Pape Rodriguez
de Zamorrlia qualifie d'excellent l'état de la justice dans les villes allemandes
vers le milieu du quinzième siècle. Voy. ces passages dans Schmidt, Réception,
p. 182.
446 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
uégligence des empereurs, qui, s'imaginant ne pouvoir remédier au
mal que par la douceur, out laissé le champ libre à l'ambition et à
l'étroit égoisme des princes; ceux-ci ont accaparé la toute-puissance,
affaibli le pouvoir impérial et perdu entièrement de vue les intérêts
de l'empire. ^ Or », dit A'icolas, « si chacun n'a souci que de lui-même
tandis que sombre l'empire, que peut-on attendre d'un pareil état de
choses, si ce n'est la ruine générale? S'il n'y a plus d'autorité souve-
raine pour tenir la bride aux discordes intérieures, l'ambition, la
rapacité progresseront toujours; la guerre, la division, la jalousie,
éclateront de toutes parts; l'empire, divisé contre lui-même, sera
entièrement détruit, et ce qui a été injustement acquis sera gas-
pillé. » « Que les princes ne s'imaginent donc pas qu'il leur sera
permis de s'eurichir aux dépens de l'empire et de jouir en paix
du fruit de leur injustice; lorsqu'ils auront lacéré et rompu le
lien d'union qui rattachait tous les ressorts de l'État, lorsqu'ils
auront détruit la puissance souveraine, et que l'ordre hiérarchique
sera désorganisé, il n'existera plus d'autorité première vers laquelle
ou puisse se tourner pour obtenir du secours, et dès que l'auto-
rité n'existe plus, arrive nécessairement le désordre; personne
alors n'est plus en sécurité. Tandis que les nobles se querellent
entre eux, ceux qui ne connaissent d'autre droit que celui des armes
s'élèveront pour les combattre, et de môme que les princes ont
déchiré le royaume, les gens du peuple renverseront les princes. »
'c Alors, en Allemagne, on cherchera l'empire et on ne le trouvera
point. Des étrangers prendront notre place, ils se partageront ce
qui nous appartient, et nous devrons porter le joug d'un peuple
étranger, 'j
<: Combien, au contraire », poursuit JNicolas, ^ la situation de
l'empire était heureuse lorsque les empereurs veillaient encore à tout
et se faisaient obéir; lorsqu'ils étaient les gardiens de la paix publique,
et, comme tels, possédaient une puissante armée pour la défense des
faibles et la terreur des oppresseurs! En ce temps là, les princes et les
ducs n'étaient que des fonctionnaires du royaume; leurs charges leur
étaient confiées par le souverain à titre de fiefs; toute injure contre
la fidélité due au Roi était châtiée; les empereurs, soit en personne,
soit par l'organe de juges assermentés, présidaient les tribunaux et
rendaient la justice à leurs vassaux. Le plus puissant d'entre les
princes ne pouvait impunément transgresser une loi; les diètes veil-
laient au ferme maintien du droit, et la loi recevait de l'unanimité
absolue des suffrages la force de répression sans laquelle elle est
morte. » " La paix et le bonheur régnaient en Allemagne. » « L'Em-
pereur était redouté des princes et des grands; et le peuple, qui
voyait en lui le défenseur de la liberté, le libérateur des opprimés, le
l'LAN DE RÉKOliMi:. 117
vcnfjeur et le juge sévère des perturbateurs de la paix, l'entourait
d'alTcclioji et de respect. »
« Cet heureux temps u'est plus », couliuue JNicolas, « la justice
et la paix sont proibiidénieut ébraulées par les malheureuses {jueri-es
privées, qui donnent au puissant audacieux la jiossibilité de j)iller et
de dépouiller le foible. L'honneur est séparé du droit par un soi-
disant iionneur, et les nobles s'imaginent qu'ayant envoyé une nnsé-
rable let(re de défi, ils sont autorisés à conserver ce qu'ils ont ravi
sous UQ prétexte rêvé à plaisir, même quand il s'agit des biens de
l'Église ou du clergé. En vérité, cette audace inouïe blesse tout droit,
toute justice! N'est-il pas inique de faire une question d'honneur de
cequi est visiblement contraire à l'équité? Peut-on supposer qu'il soit
permis de garder honorablement un bien injustement acquis? rs'a-t-il
pas été établi que toute lettre de défi, envoyée sans l'assentiment du
juge suprême, est déloyale et injuste? Ne savons-nous pas tons que
ceux qui s'emparent de cette façon des biens de leurs adversaires ne
sont autre chose que des brigands? Les biens de l'Église sont-ils la
propriété privée d'un prince de l'Église ou d'un clerc, et la faute
d'un prélat doit-elle tourner au détriment de l'Église tout entière?
Comment donc le gentilhomme peut-il se croire autorisé à envoyer
une lettre de défi à un clerc, à une abbaye, à un prélat; et comment
quelqu'un peut-il être assez insensé pour soutenir qu'un acte qu'on
ne peut commettre sans tomber dans le crime de sacrilège et sans
encourir la grande excommunication, puisse être honorable? »
Si l'on veut réiablir la sécurité publique, il faut commencer
tout d'abord par abolir le droit de guerre privée, proclamer
la paix pubhque perpétuelle et réorganiser la justice et les tri-
bunaux.
Pour parvenir à ce but, Nicolas propose de diviser l'empire en
douze cercles, ou davantage. Chaque cercle aurait un tribunal
impérial composé de trois juges assermentés, dont l'un appartiendrait
au clergé, l'autre à la noblesse, et le troisième à la bourgeoisie. Ces
juges décideraient sur toutes les questions de droit se présentant
dans leur district, même sur les querelles survenues entre les membres
du clergé, pourvu qu'elles aient trait aux affaires temporelles. L'un
des juges conduirait et dirigerait la procédure, selon la qualité des
parties : le juge ecclésiastique pour les clercs; le noble pour les
gentilshommes; le bourgeois pour les membres de la commune. Mais
la sentence n'aurait force de loi qu'après avoir obtenu l'assentiment
des trois juges. S'ils n'étaient pas d'accord, la majorité ferait loi.
Dans les cas douteux, on aurait recours à l'expertise d'arbitres com-
pétents. Les juges seraient autorisés à faire exécuter leurs sentences
par le ban et par le bras séculier. Les punitions et amendes imposées
Î48 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
retourneraieut à la caisse de l'État, sur laquelle on prélèverait les
émoluments des juges.
L'établissement de semblables tribunaux mettrait immédiatement
fin à toute guerre privée, car les griefs des citoyens les uns contre les
autres pourraient tous être amenés devant la cour judiciaire de chaque
cercle. On se saisirait de celui qui se permettrait de se faire lui-même
justice par la force; il serait traité comme un malfaiteur et un voleur
de grande route. Si le tribunal, soit d'une ville, soit d'un village, dif-
férait de le punir, les biens du juge coupable retourneraient au fiscal
sans autre contestation. Tout prince ayant porté atteinte à la paix
publique serait déclaré déloyal; on laisserait à l'appréciation de
l'Empereur la question de savoir si ses propriétés devraient être ou
non confisquées. Si l'inculpation était dirigée contre un prince ecclé-
siastique, il serait déposé par un synode ; on lui retirerait l'administra-
tion du temporel, et désormais il serait obligé de se soumettre à la
tutelle d'un laïque. Un exemplaire de cette loi, signé par tous les
princes, et scellé, serait déposé dans la chancellerie de l'empire; le
tribunal de chaque cercle en garderait copie '.
Au-dessus des tribunaux impériaux, il n'y aurait que la diète, qui,
tous les ans, tiendrait ses séances à Francfort-sur-le-Mein au moins
pendant un mois consécutif, et à une époque fixe -. La diète devien-
drait le centre de toute la jurisprudence. L'Empereur, autant que
possible, la présiderait en personne; s'il en était absolument empê-
ché, le premier prince électeur aurait la préséance en son nom. Là
seraient apportées toutes les questions relatives à la prospérité du
royaume; on s'efforcerait d'y remédier à tout ce qui aurait besoin de
réforme. Les questions en litige entre les princes seraient réglées
d'après l'avis général. Tous les juges impériaux se réuniraient à
l'époque de la diète à Francfort, et porteraient à l'attention de
l'assemblée les choses pouvant intéresser le royaume et les diffé-
rents pays, s'ils jugeaient important de les faire discuter et décider
par les états. Nicolas, voulant assurer à l'élément bourgeois la
représentation à laquelle il avait droit, proposait aussi qu'outre les
princes électeurs et les juges impériaux, un député de chaque capi-
tale, évêché, ville libre importante, eût son siège à la diète '. Tous
les membres de l'assemblée devaient, avant l'ouverture des séances,
jurer de n'avoir en vue que le bien public dans leurs délibérations et
décisions, une disposition très-importante voulait que les juges
' De concordatilia cutholica, t. III, C. xxix-xxxi, p. 33-34. — Voy. STUMPF, p. 59-68.
- • Francofordiae, quae videtur locus ex situ et aliis circumstantiis aptis-
simus. •'
3 « De qualil)et civitate et metropo'.i a« oppidis niafjnis imperialibus. « De
concord. cath., t. III, p. 35.
PLAN DE REFORME. 449
prissent noie des coutumes de droit en usap;e dans leurs districts
respectifs, afin de les soiimcllro à l'examen de la dicte, de les rame-
ner, aulant que possible, à ruuilc de principes généraux, et d'en
retrancher tous les abus et inconvénients, ceux surtout qui pouvaient
léser les intérêts des pelits et des faibles '.
La mise en praliqne de cetle cxcclienic idée aurait compensé le
maïupic d'une direction {générale donnée au développement populaire
(lu droit par l'aclion législalivc de l'Empire. Le fonctionnement de
la justice eût été ré{;ulier, et n'eût pas entravé le pro(;rès particulier
de charpie race et des diverses classes sociales. Les coutumiers des
territoires allemands eussent été fondus dans un code national unique.
Une dip,ue salutaire et puissante eût été opposée à l'envahissement de
la lé{}isla(ion romaine, et l'on eût réservé au peuple pour l'avenir le
droit de prendre une part personnelle à l'administration de la justice *.
« Mais le droit le mieux élaboré, les lois les plus excellentes >,
Nicolas le reconnaissait, " ne pouvaient être de quelque utilité que
si l'Kmpercur était mis en possession d'un pouvoir exécutif vrai-
ment fort, lui permettant de punir les rebelles, de les ramènera
l'obéissance, de faire respecter la loi et de veiller à la prompte exé-
cution des jujfjements rendus. "
Pour atteindre ce but, Nicolas proposait de créer une armée per-
manente, destinée au maintien de Ja paix et à la défense du droit.
Grâce à cette armée, disait-il, les énormes sommes que les princi-
pautés, les comtés, les corporations sont obligés de sacrifier sans
cesse pour pouvoir résister aux fauteurs de trouble seraient dimi-
nuées, la violence exercée à l'intérieur rendue impossible, et l'auto-
rité de l'Empire consolidée.
Les dépenses nécessaires à l'organisation de l'armée d'État seraient
couvertes par les revenus provenant des douanes et par un impôt
' Voici les passages les plus importants de ce projet : « Examinentiir ibi pro-
vincialiuin consuetudines et redigantw, quantum fieri potest, ad commîmes obscr-
v-miias, et maximœ captiosce fnrmœ omnino undique tollantw, quoniam sanpe sim-
plices pauperes injustissime per cavillationes causidicoruin extra formam
ducunlur et a tota causa caduut, quoniam qui cadit a syiiaba radit a causa, ut
ssepe vidi per Treverensim diocesira accidere. Deinde tollantur pessimœ consuetu-
dines, quae admittunt juramentum contra quoscunque et cujuscunque numeri
testes. Et sunt taies pessimse observantia; multae per Germaniam contra justi-
ciam veram ac eciara peccata nutrientes, quœ particulariter enumerare nemo
sciret. Unde propter hoc cor.currere debeant provinciarum judices et in scripiis
consuetudines suaium provinciarum redigere et porrigere in concilio, Ut examinentur. »
llajouteens'adressant à l'Empereur : " Oportet eciamomnemparticularera legem
— reformare.utcommunilegi, qua;bonopublicoprovidet,aceciamfontali legum
principio, scilicet rational! et natural! juri non obviet. » Cap. xxxv, p. 41,
'Bien que Nicolas eût fait des études approfondies sur le droit romain, il
resta toujours ami du droit national et de l'organisation des tribunaux telle
qu'elle était encore en vigueur de son temps. Voy. sur ce sujet l'excellente
appréciation de Stumpf, p. 20-24, 67-58, 69-70.
29
4j0 empire ROMAîN r.ERMAMQUE, SITUATION EXTERIEURE.
général sur lequel la diète de Francfort aurait à statuer, üue partie
devait eu être abandonnée à l'Empereur pour rcutreticn de sa
maison.
L'armée d'État, garantissant la sécurité publique, mettant les
citoyens à l'abri de tout acte arbitraire du côté des princes laïques,
aurait encore un autre avantage : désormais les cvèques pourraient
s'adonner en paix aux devoirs de leur charge, laissant leurs propriétés
et affaires temporelles entre les mains de curateurs fidèles '.
Ainsi l'autorité de l'Empereur, sans laquelle il était impossible de
compter sur rien de stable dans les réformes souhaitées, serait cou-
solidée; le pouvoir juridique, législatif et exécutif, centralisé; et la
paix intérieure du royaume étant rétablie, toutes les réformes utiles
pourraient enfin être mises à exécution. « 0 Dieu! '• s'écrie Mcolas,
• si les cœurs de tous ceux qui approuvent ces pensées s'enflammaient
d'un vrai zèle pour leur mise en pratique, (lue nous verrions
bientôt l'Empire refleurir! Mais si nous continuons à nous mou-
trcr lâches et indifférents, si nous nous laissons entramer par nos
penchants aveugles, si nous restons attachés à notre ancienne rou-
tine, sans nul doute, avant peu, le Saint-Empire périra! ^
La pensée qui domine tout le plan de Cusa, c'est que l'affermisse-
ment du pouvoir central j)eut seul opposer une digue efficace aux
envahissements des petits souverains, et que la monarchie impériale,
dans l'ancienne signification du mot, est seule capable de rétablir la
justice et la paix, et de mettre l'Empire à couvert des bouleversements
qui le menacent. Cette manière de voir se trouve souvent reproduite
dans maint plan de réforme ultérieur.
« Ce n'est point une bonne législation qui nous manque ", dit
Guillaume Becker (1439); " nous avons de bonnes lois, d'excellents
coutumicrs; le mal, c'est que dans les tribunaux de l'Empereur
comme dans ceux des princes, des seigneurs, et dans tous les terri-
toires de l'Empire, le droit n'est point appliqué avec vigueur. Ce qui
nous manque encore, c'est une armée permanente, stable, bien orga-
nisée, qui, sous la conduite de chefs prévoyants et braves, pénétrés de
respect pour la justice et pour la loi, soit en état de faire exécuter les
arrêts prononcés avec une rigueur inexorable, et d'extirper jusqu'en
ses racines le brigandage de la noblesse. L'Allemagne, devant laquelle
les peuples étrangers tremblaient autrefois; l'Allemagne, qui possède
plus de richesses que tous les autres pays de la terre el qui, plus que
toute autre nation, a des hommes d'armes expérimentés et vaillants,
sera-t-elle donc toujours déchirée au dedans par une oppression bru-
tale et désolée par les dissensions de ses enfants? L'Empire, déjà si
' Pour plus de déUiils,, voyez Stumpf, p. 70-82.
UÉFOllMES OBTENUES SOLS 1 Kl':; IJ ÉRI C III. î.jl
alliiibli, scra-t-il condamné, par suite des discordes des princes
cl (le riiiipuissancc du souverain, à ne jamais reconquérir la position
(Iiril a occupée durant tant de siècles, cl qui lui appartient entre
tous les peuples? Ce ne sera que lorsque le pouvoir du chef sera
alïermi et que l'Empereur portera avec honneur la suprême couronne
teiiiporeile, que les membres seront à leur tour lortifiés, et (pie les
diliérentes races qui composent la nation, unies sous le sceptre d'un
jii{;e tout-puissant, pourront entin jouir de la sécurité et de la paix.
Au contraire, tant que l'Empereur restera dans une dépendance con-
tinuelle du bon plaisir des princes; tant que, privé d'armée et de
revenus, il ne pourra ni l'aire respecter ses ordres, ni pourvoir h
rexéculion des ju^icments rendus, la loi et l'équité ne pourront fleurir
parmi nous, et n'auront aucune durée. Aussi je le déclare : tout ce
qui l'ortifie lé[}itimemeut la puissance impériale fortifie l'ensemble
de la nation et contribue à sa prospérité; au contraire, tout ce qui
affaiblit le pouvoir souverain fortifie l'iniquité. '>
La paix permanente, la réorjjanisation radicale des tribunaux impé-
riaux, l'armée d'Empire et les impôts d'État, tels étaient les mots qui
étaient alors sur toutes les lèvres et renfermaient les constantes aspi-
rations de ceux qui avaient à cœur " l'honneur et la dignité de
l'Empereur, la paix du peuple, et le rétablissement du prestige de
l'Empire en face des nations étrangères ' :j.
Déjà, durant les diètes qui avaient eu lieu sous Frédéric III, la
nécessité d'une réforme générale, et surtout d'une réorganisation de
la justice -, avait été démontrée et discutée avec ardeur. Les délibéra-
tions de l'Empereur et des états à ce sujet n'étaient pas restées sans
résultat. Les villes libres avaient obtenu pour leurs dépuiés le droit
de siéger et de voter dans les assemblées, bien que dans une mesure
correspondant peu à leur importance; les délibérations générales
avaient pris une forme plus régulière, et les états avaient été divisés
en trois collèges, composés des sept princes électeurs, des princes
souverains et des députés des villes. Les efforts du jeune Maximilien
avaient réussi à faire proclamer la paix publique de dix ans (1486),
et, de par son autorité, l'Union souabe avait été créée, frayant la
voie à une ligue générale pour le maintien de cette paix. Aux cheva-
liers, prélats et villes libres souabcs, premiers alliés de la ligue,
plusieurs princes s'étaient empressés de se joindre, entre autres
Sigismond, archiduc du Tyrol et de la Haute-Autriche, le comte
Ebrard de Wurtemberg et l'archevêque de Mayence, Berthold de
' '^ Ralschlag u-ai dem Reich,: not lue -, 1 î93. Voy. 11ÖFLER, Politische Re/ormhcice-
guiig in Deutschland im 15 Jahrhundert, p. 37-i3. et PaLACKY, L'rlundl. Beitrüge zur
Gesch. Buhmciii in Fontes rcr. Ausir., t. 11, p. 20, 313-322.
- Voy. MuLf-ER, Reickitagilhcatrum unter Friedrich dem Dritten^ t. Î, p. 511-5H.
29.
452 EMPIRE ROMAIN GERMAMOÜE, SITUATION EXTERIEURE.
Henneberg. Redoutant ia puissance toujours croissante de ralliancc
souabe, le duc Albert de Bavière n'avait pas tardé à en faire partie,
de sorte qu'en peu d'années les alliés avaient vu se réaliser l'espé-
rance qu'ils avaient exprimée dans leur adresse au Saint-Père :
« La lif;ue avait eu une action bénie, non-seulement eu Souabe, mais
dans l'Allemagne entière, et les voyageurs et marchands de tous les
pays avaient bénéficié de sa protection'. »
Malgré ces améliorations intérieures, il fallut bien reconnaître, à
la fin du règne de Frédéric III, que, dans les tribunaux impériaux et
autres, régnait une confusion déplorable, et que, pendant la longue
vie de l'Empereur, le pouvoir public, bien loin de s'être affermi,
avait, au contraire, beaucoup diminué, aussi bien eu Allemagne que
dans l'opinion des nations étrangères. Ce qui avait pris un accrois-
sement énorme, tandis que l'autorité souveraine allait s'affaiblissant
toujours, c'était le pouvoir des princes et des grands, opprimant de
plus en plus les faibles.
POUVOIR CROISSANT DES PRINCES.
Toutes les maisons princières destinées à jouer un rôle plus ou
moins important dans les destinées du peuple allemand virent leur
puissance s'affirmer sous Frédéric III, au commencement du seizième
siècle. Les Hohenzollern dans le Brandebourg; la maison de Wettin
en Saxe, en Thuringe et en Misnie; les landgraves de Hesse dans
l'Allemagne centrale; les Zähriugen à Bade; les Wittelsbach dans le
Palatinat et la Bavière; les comtes, plus tard ducs de Wurtemberg
en Souabe, tous ces petits souverains n'acquirent une véritable impor-
tance qu'à partir de cette époque.
Quelques maisons princières, par exemple celle du Brunswick-
Lunébourg, d' Anhalt et du Palatinat de Wittelsbach, restent divisées
en plusieurs branches. Mais dans la plupart des autres maisons, à
dater de la seconde moitié du quinzième siècle, on voit les princes
tendre de toutes leurs forces à l'affermissement de leur pouvoir par
la réunion des diverses possessions de famille. C'est ainsi que, sous
le duc Henri de Schwerin, les pays du Mecklembourg s'unissent ( 1471) .
En 1479, sous le duc Bogislas X, ceux de la Poméranie, et, en 1488,
ceux de Bade, forment un seul État, dont le margrave Christophe H
devient le souverain; bientôt après, sous le landgrave Guillaume II,
père de Philippe le Magnanime, les territoires hessois s'organisent eu
une unique principauté. Dans le Bas- Rhin, sous le duc Jean III, un
État considérable est formé, composé des comtés de J uliers -Clèves-ct-
• Autojjraphe daté du 23 avril 1488.
I' ou VOIP, TMiOlSSANT I) K S l' I! 1 N C E S . 453
Berg-, de Mark et de Ravensboiirg. En Bavière, sous le duc Albert IV,
les territoires de Wittelsbacli s'unifient, et Neubourg seul reste
indépendant. En H8i, les ducs Ernest et Albert, de la maison de
Wettin, partagent leurs États; le premier garde la Courlandc saxonne
et la Thuringe, et devient la souche de la ligne Ernesline, tandis que
le second, premier prince de la ligne Alberfinc, règne sur la Misnie
etsur tout le reste du pays. Mais, plus in'elligents que tous les autres
princes, les Holienzollern, par la conquête, les échanges, les achats,
parviennent à étendre toujours leurs possessions, à fortifier leur
pouvoir, et gr;\ce à leurs alliances, aux annexions venues par héritage,
ils régnent, vers la fin du moyen Age, sur la moitié de l'Allemagne.
A la même époque, un nombre considérable de principautés ecclé-
siastiques deviennent la propriété de princes laïques, et ce fait con-
tribue encore à augmenter considérablement le pouvoir des princes.
Plus s'accroît leur importance politique, plus diminue l'action civi-
lisatrice de l'Empire sur la constitution intérieure; et l'on voit les
différents territoires se développer presque exclusivement sous des
influences particulières.
La puissance des princes souverains va toujours en croissant; elle
se fait sentir aussi bien aux diverses conditions sociales (jusque-là
regardées comme les assises mêmes de la société) qu'à la petite
noblesse, aux conseils urbains et aux assemblées des états.
Dans quelques territoires, l'autonomie des villes libres est déjà
complètement détruite, surtout dans la marche du Brandebourg, où
leséchevins, an lieu d'être comme autrefois librement élus par les
bourgeois, se voient contraints de descendre au rang de conseillers
du prince électeur '.
A leur tour, les comtes et seigneurs ne maintiennent plus qu'à
grand'peine le principe, autrefois si puissant, du gouvernement per-
sonnel. Les chevaliers voient aussi leur situation menacée. L'axiome
du temps passé : « Le chevalier conquiert son bien à la pointe de
l'épée ", n'a plus de sens, depuis qu'à la guerre l'introduction des
armes à feu a donné la prépondérance à l'infanterie sur la cavalerie.
Les donjons fortifiés, où les nobles pouvaient autrefois se croire
indépendants de toute autorité, perdent leur importance. Pour
munir leurs châteaux forts des pièces d'artillerie devenues néces-
saires, pour entretenir des canonniers (qui faisaient alors payer fort
cher leurs services), pour se procurer les coûteuses armes à feu désor-
mais indispensables, il fallait pouvoir disposer de sommes impor-
tantes, et la plus grande partie des chevaliers pouvaient d'autant
plus difficilement se les procurer que leurs revenus étaient considé-
' Voy. l'explication donnée par le margrave Jean (1490; dans Bitzer, p, 583-
593.
454 EMPIRE ROMAIN GERMA.MQUE, SITUATION EXTERIEURE.
rablement diminués par la division trop fréquente des héritages,
rabaissement de la valeur foncière provenant du développement du
capital, et l'habitude d'un luxe excessif. « Il résulte de tout cela ", dit
le judicieux et pénétrant Pierre de Froissard, « que la chevalerie a
beaucoup perdu en honneur et en considération. Elle est menacée
dans SCS droits et dans sa liberté, et risque fort de tomber sous la
complète domination des princes, '>
' De tous côtés », ajoute-t-il, « le pouvoir des maisons princières
prend de l'extension. L'indépendance des villes est menacée. Du
reste, les cités semblent tourner toutes leurs aspirations et tout leur
effort vers l'accroissement de leur commerce, et n'ont d'ardeur que
pour les gros bénéfices et la richesse; le maintien de leur rang dans
l'Empire parait leur devenir indifférent. »
Quant aux relations des princes avec les élats, Froissard, au même
endroit où il constate que les princes ont mis l'Empereur sous leur
dépendance et ne veulent plus lui reconnaître que quelques préroga-
tives, après avoir dit qu'ils sont à leur tour tombés sous la domina-
tion des états ', ajoute cette réflexion: « II n'en est plus ainsi dans
bien des principautés. Les princes ne cherchent qu'à mettre obstacle
à l'indépendance de la noblesse et des villes, et rêvent leur entière
destruction; ils mettent à profit les discussions partout où elles se
produisent, et jusque dans les assemblées générales nourrissent avec
soin les dissentiments, afin d'en profiter pour leur avantage personnel
et l'accroissement de leur pouvoir. Les docteurs en droit et les
légistes romains qu'ils installent dans les universités et fixent à leurs
cours, les secondent merveilleusement dans ce dessein, et n'épargnent
rien pour établir le pouvoir absolu de leurs bienfaiteurs ; ils affirment
que l'autorité des princes a seule force de loi, et qu'elle doit tout
primer. »
« Ces docteurs et d'autres savants interprètes du droit sont
extrêmement en faveur auprès des princes, qui les comblent d'hon-
neurs et reconnaissent magnifiquement leurs services. Mais ils n'en
sont pas moins hais et méprisés des petits et des grands. Le peuple
les accuse hautement de vouloir diminuer ou détruire leurs anciens
droits et coutumes. On les regarde comme une plaie encore plus
funeste que celle de?, chevaliers-brigands, qui du moins ne dépouil-
lent les gens que de leur bourse. On les tient pour une peste,
gagnant peu à peu tout le pays, et menaçant de détruire le droit
national '. »
' Lettres 14 et 15.
en APITUE II
INTROniiCTION n'UN DROIT ÉTRANGER.
I
La fuucstc influence exercée sur les peuples romans et germa-
niques parle droit romain-byzantin nous est venue en premier lieu de
i'école de Bologne. A partir du douzième siècle, cette école remplit
les innombrables étudiants qui y affluaient de tous les pays de
l'Europe, d'un respect exclusil', d'une sorte d'idolâtrie pour le droit
•■1 ranger.
Le droit romain exerça sur les jurisconsultes de Bologne sur-
nommés les glossateurs ', et plus tard sur leurs disciples, précisément
la même action que devait avoir peu après la littérature classique sur
les hum.anistes italiens et allemands de la jeune école.
De même que ceux-ci, pleins d'une admiration exclusive pour le
passé, séduits par le génie païen, soutenaient que la civilisation
antique, la forme de vie et de pensée des anciens était la seule
vraie, la seule vraiment humaine et par conséquent la seule légi-
time, de même les glossateurs, fascinés par la beauté du droit
romain, enthousiasmés par sa pénétrante méthode d'analyse, ses
déductions d'une logique serrée, ses démonstrations lumineuses et
l'énergique concision de sa forme, se crurent de bonne foi revenus à
l'époque romaine, et se prirent à revivre de telle sorte dans le génie
antique qu'ils ne reconnurent bientôt plus pour bon et raisonnable
que ce qui leur paraissait tel au point de vue romain.
Le droit romain, enseignaient-ils, renferme l'exposition logique
des vérités démontrées par la raison naturelle; il est applicable,
par conséquent, à tous les temps, à tous les peuples; il est doué de la
même universalité que celle qu'on attribue aux lois de la logique
et des mathématiques. Il est la raison écrite [ratio .scripta) ^ Sa doc-
' Irnériiis, fondateur de l'école de Bologne, et après lui ses disciples, donnaient
sur les passages obscurs du code .Juslinien de courtes explications juridiques ou
grammaticales : GLossœ ml ipsam legum liUeram. De là leur nom de glossateurs.
- " I<e refus de reconnaître d;ins le droit romain le droit modèle, le seul droit
véritable, en un mot le droit même, n'empêche nullement de reconnaître la per-
fection achevt e de sa forme. Elle n'en ressort au contraire que dans un relief
plus saisissant. Le droit romain nous présente une méthode de jurisprudence
456 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
trine fait loi, non-seulement dans les questions privées, mais encore
dans toutes les questions juridiques ayant trait à la vie publique.
Les nouveaux docteurs allèrent si loin dans la dépréciation du droit
national, qu'ils en vinrent jusqu'à dire que la loi germanique ne valait
pas même la peine d'être étudiée, et qu'il était inutile d'approfondir
les relations qu'elle pouvait avoir avec l'état actuel de la société '.
Or le droit romain, en ses points essentiels, est en totale opposi-
tion avec les principes du droit chrétien germanique.
En effet, tandis que ce dernier * regarde le droit comme une
manifestation de la volonté divine et fonde tout le système juri-
dique sur la dépendance où l'homme doit être de Dieu, la théorie
païenne ne donne d'autre origine au droit que la volonté du peuple.
Selon elle, le droit n'est pas une règle supérieure donnée par
Dieu aux hommes et suggérée d'avance par la loi morale; c'est une
prescription totalement indépendante de la morale, établie par les
hommes pour leur avantage personnel.
Avant la fondation de l'État, les hommes, en possession de la liberté
naturelle et d'une souveraineté sans limites, étaient juridiquement
étrangers les uns aux autres, et n'avaient nuls devoirs les uns envers
les autres. La loi du plus fort régnait seule. Mais comme une telle
indépendance, à cause des vices inhérents à l'hamanité, n'aurait pu
durer sans porter atteinte à la liberté individuelle, sans produire des
troubles continuels et sans provoquer la guerre de tous contre tous,
les hommes, pour leur propre sécurité, s'organisèrent en société et
fondèrett l'État.
L'institution de l'État transporta la souveraineté primitive des
individus à la généralité de la nation. Le peuple eut désormais le
droit de fixer des lois obligeant tous les citoyens; il exerça ce pouvoir,
soit directement, dans les délibérations prises en commun, soit indi-
rectement, par l'organe de ses élus.
• Ces prescriptions s'appellent les lois, et les lois fondent le droit.
Le droit n'est donc pas, comme l'avait enseigné la doctrine germa-
nique chrétienne, avant et au-dessus de la loi; il n'existe que par
la loi; il naitdans l'État. C'est dans l'État qu'il trouve sa base et sou
but, et il reste sous la domination de l'État. Tandis que l'enseigne-
complète, une technique unique et admir;ible dans sa logique et sa pénétration;
tous les germanistes en tombent d'accord. • Voyez Brcder, p. 35 et 313.
' Voyez Schmidt, Bcception. p. i6-40. Sur l'influence funeste du droit romain en
Italie. Muratori a dit : •■ Appena la roniana giurisprudenza mise il piede nelle
scuole, e s'impadroni di tutti tribunali d'Italia, si spalancarano le porte a mille
soristiclierie ed arti per tirare in lunfjo la giuslizia e per difficultare talvolta
la cofjnizione del giusto più tosto che per ajutarla. » Dissvria-Jom sopra le
antichilà italianc, t. I, p. 349. — Voyez SCHMIDT, p. 125.
^ Voyez plus haut.
I.E DllOir ROMAI\ OPl'OSK. AU DROIT CIIRKTIEN GERMANIQUE. 457
ment chrétien ne voil dans le souverain que l'exécuteur, l'auxiliaire
muni de pleins pouvoirs dn droit, d'après la tliéorie romaine, au con-
traire, le souverain, suprême dépositaire de la puissance, est investi
d'un pouvoir politique sans restriction. 11 est la source première du
droit; il est autorisé par cela même à le chan^yer selon son bon plaisir
dans les questions {jénérales aussi bien que dans les cas parliculiers.
Tous ces « droits légitimes », que, d'après la loi germanique, ni
l'Ktatni l'individu n'étaient libres de violer, la législation romaine ne
les reconnaît pas, et ne l'ait jamais mention des garanties que notre
droit national avait établies pour leur défense '.
Les glossateurs et leurs disciples mettaient au-dessus de toute
discussion le principe de l'application obligatoire, permanente,
légitime du code de Justinicn. L'empire romain est encore debout,
disaient-ils, et les empereurs romains de nation germanique sont les
successeurs directs des anciens césars. Le pouvoir absolu, autrefois
exercé par eux, a passé aux empereurs romains allemands : la volonté
de l'Empereur, c'est la loi.
C'est par cette doctrine que les glossateurs surent gagner la
faveur des souverains de la maison des Hohenstaufen; ravis d'y
trouver la base légale de l'absolutisme qu'ils rêvaient, ils la propa-
gèrent avec ardeur, et mirent son application permanente, comme
droit impérial, tellement au-dessus de toute contestation, que pour
bien montrer que la législation romaine était toujours en vigueur,
ils envoyèrent aux glossateurs plusieurs de leurs propres lois, et les
firent incorporer dans le code de Justinien '. Frédéric Barberousse
' Pour plus de détails, voyez Schmidt, Pn'ncipieller Utitemchicd, p. 29-80. " D'après
la théorie romaine », dit Schmidt, ^ le pouvoir de l'État est la plus haute
puissante dans l'État; elle est, comme telle, inattaqual-'le. Nul pouvoir ne
peut contre-balancer le sien, il est omnipotent. » On peut apprécier les consé-
quences de ce fait dans l'axiome suivant : « Ouod principi placuit, legis habet
vigorem. • «Le droit romain, dit Jacob GrwMM, (/^t'cA<4n//er//Hi?He;-, t. XVI), n'est
pas celui de notre patrie; il n'est pas né, il ne s'est pas développé sur notre
sol; il contredit dans les points les plus essentiels notre manière de penser, et
par conséquent il est incapable de nous satisfaire. La mise en pratique du droit
romain n'a certainement été avantageuse ni à notre constitution ni à notre liberté. L'Angle-
terre, la Suède, la Norwége et les autres pays qui ne l'ont pas adopté directe-
ment, ont, sans rester en arrière dans leur développement intellectuel,
conservé beaucoup de traits précieux de leui caractère national et gardé leurs
lois et coutumes particulières. • Dans les pays où le droit romain a été intro-
duit, au contraire, la vie publique a dépéri, et les constitutions nationales ont
fait place à un absolutisme tout ü fait contraire à l'esprit germanique. Le peuple
anglais, gouverné par son droit national, a conservé sa liberté et sa constitution.
Voyez Schmidt, p. 141-li9, 161-192. — F. V. Hahx, Die Uebereimtimmung der
riimischen und germanischen Rechtsprincipien, p. 29-50. — M. VoiGT, Das Jus naturale
der Borner, t. I, p 327-331. — Ihf:i\1>G, Geist des römischen Rechtes (3^ édition), t. I,
p. 216, et t. II, p. 59. Voyez Aurens, Juristische Enciclopüdie, p. 332-374 et 517-545.
- ' Ut aptarint eas singulis legibu.s sub congruentibus titulis. - Voyez Franklin,
lieceplion, p. 124.
i58 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
s'attribuait déjà tous les droits exercés par les césars, et se consi-
dérait comme leur successeur légitime et direct. xVussi appliquait-il
la loi romaine dans les questions privées et publiques, au mépris des
anciennes traditions allemandes '.
Toulefois, les empereurs ne réussirent pas de sitôt à naturaliser ces
théories dans notre pays; ils ne purent de prime abord fonder sur le
sol allemand un empire formé sur le modèle païen, et ce ne fot que
dans les questions de politique ecclésiastique que, de temps en temps,
ils s'en firent une arme pour combattre le droit canon. C'est ainsi que
Louis de Bavière, pendant la lutte qu'il soutint contre l'Église, se
déclare au-dessus de tout droit, et soutenu par ses légistes complai-
sants, essaye d'extraire de la loi romaine le principe que l'Empereur
n'est nullement tenu de se foire confirmer par le Pape^
Le véritable moment de transition dans l'histoire du droit alle-
mand ne commence qu'cà Charles IV. Ce prince donne place dans
la chancellerie impériale aux juristes formés selon les idées de l'an-
cienne Rome ; il s'aide de leurs conseils durant son long règne dans les
questions administratives, et leur laisse prendre une notable part aux
affaires. Il les assimile, comme rang social, à la petite noblesse', et
c'est à partir de ce moment que les docteurs en droit romain font tous
leurs efforts pour introniser partout une doctrine à laquelle ils doivent
leur situation; désireux de voir grandir encore leur influence, ils
cherchent par tous les m^oyens possibles à la faire reconnaître pour
seule valable \ Sous Sigismond, on trouve déjà un bon nombre de sen-
tences et de jugements rendus d'après les avis des nouveaux légistes '.
Sous Frédéric III et Maximilien I", leur crédit ne fait que croître.
Ni l'un ni l'autre, cependant, n'aimaient le droit romain ni les
' Voyez Stobbe, Rcchtsqudlcn, t. I. p. GlG-617. Voyez aussi vo\ SAVifiNv, t. IV,
p. 65, et ZÖPFL, p. 107.
- Voy. StOIîBE, t. I, p. 619. — Fb.vnklix, Réception, p. 127-133. — MODDERMVNN-
SciioLz, p. 32-33. — Le plus ancien exemple de l'opposition du droit païen auxprin-
cipes du droit chrétien germanique se trouve dans un libelle lancé contre Gré-
goire VII et composé par le juriste italien Petrus Crassus (1080). Le pamphlétaire
va jusqu'à faire servir les axiomes de la loi romaine sur la propriété, la pres-
cription, etc., à établir que Henri IV possédant le royaume par héritage, toute
opposition à son pouvoir doit être punie comme attentatoire à la propriété
légitime. Crassus Hafte l'Empereur de la manière la plus basse, et dans ses vers
serviles demande un riche salaire en récompense de ses efforts. Il est le digne
prototype des innombrables juristes courtisans qui, dans les siècles suivants,
surent puiser dans le droit romain des prétextes pour pallier et colorer les
actes de violence et d'injustice des maîtres qui les payaient. (Voy. sur Ckassus
l'article de IIohoff, dans les Christi, socialen I>1., {i87G, n" 18.)
^ Pour plus de détails voy. Stobbe, t. I, p. 633, et t. II, p. 44. — On appelait
les docteurs « milites legum " ou •• milites togati ». JEneas Sylvius s'amuse aux
dépens de cette noblesse pédante dans VHist. Freder., p. 29i.
* Stobbe, t. II, p. 44-4G.
^ Voy. Franklin, Rcccjuion, p. 180-185. — Stobbe, t. I, p. 623.
LE »no IT lî OMAIN FAVOItlSK l'Ait LES EMPEREURS. i5i)
« romanistes ' »; mais tous deux étaient absolument obligés de
recourir à leur assistance, car les princes, ainsi que les villes libres
les plus importantes, avaient pris à leur service d'habiles juristes
romains, et s'en servaient dans leurs rapports avec la cour et pour la
conduite des débats judiciaires.
Mais en dépit des efl'orts tentés par les " romanistes » au qua-
torzième siècle, ce ne fut qu'à la fin du quinzième qu'ils parvinrent
à faire passer le droit romain dans la pratique usuelle et réussirent
à annuler les vieilles traditions germaniques et le droit national.
Jusque-là, il n'avait été question presque nulle part d'introduire
les nouveaux docteurs dans les tribunaux. Partout, les traditions
et usages du droit germanique avaient encore force de loi, et les
coutumiers et livres de droit allemand étaient seuls en possession du
respect général ^ Il est vrai qu'on trouve fréquemment dans les écrits
du temps l'expression de << droit impérial écrit -, mais ce terme ne
fut ni originairement ni exclusivement appliqué aux prescriptions
du code de Justinien, et ne désignait ni un recueil de lois particu-
lier, ni un droit généralement mis en pratique. îl n'avait trait qu'aux
principes juridiques qu'on attribuait, ou croyait pouvoir attribuer, à
la volonté indirecte ou directe de l'Empereur \
Le droit canon qui emprunte évidemment sa méthode au droit
romain, mais puise presque toujours la matière de ses décisions
dans le droit germanique, fil une ferme résistance à l'intro-
duction du code étranger et à ses théories serviles ^ Depuis les
temps les plus reculés, les décrétâtes des papes avaient été la source
du droit chrétien germanique % et celles de Grégoire IX peuvent
' Cuspinian a dit à propos de Frédéric III : Juris peritos mediocriter dilexit,
qiiod a-quilatein diceret ab eis interverti fœdarique justitiam. Fugger, dans son
Miroir de l' honneur , dit en parlant de Maxiinilien : » Bien qu'il eût tous les savants
en grande estime et qu'il les aimât fort, il détestait ces juristes qui regardent
les écrits et opinions de Barthole et de Baldus comme autant d'oracles et de
sentences divines. Et il n a jamais pu les souffrir auprès de lui. • Voy. Schmidt,
Réception, p. 193-194.
-Résumant toutes ses investigations sur le droit romain, Stoehe affirme (t. I,
p. 654) qu'en dépit de l'opinion si répandue que le droit romain a dû être
universellement en usage comme droit impérial, il ne s'est réellement
implanté que dans des cerdes très-restreints avant la fin du quinzième siècle.
Nulle part, jusque-là, il n'avait, au détriment du droit national, remplacé les
principes existants de la jurisprudence. Par conséquent , on doit regarder
comme erronées les assertions de Duncker [Zeitschrift für deutsches Recht, 2^, 181).
Franklin se range à l'avis de Stobbe.
' Sencke\berg dit avec raison dans le Corp. iuris germ. praef., § 3 : <^ Keyser-
recht ergo accipitur pro quocunque iure Caesareo, aut antiquitus aut recens ab
imperatoribus nostris coudato, aut vero adscito, modo imperiali auctoritate
valeret. • Voy. Franklin-, p. 140-154.
* Voy. Bruder, t. XXXIII, p. 701.
' ROSSHIRT, Vorrede zur Gesch. des Rechtes im Mittelaller, et I'articie du même
auteur dans le Frcihurger Kirchenlcxicon, t. Il, p. 933. « C'est le droit canon qui a
460 EMPIRE ROMAIN GERMAXIOUE, SIirATION EXTÉRIEURE.
être considérées comme notre premier code officiel. C'est à elles
qu'en dépit du crédit croissant des légistes, nous devons la conser-
vation dun grand nombre d'institutions et de préceptes issus de
notre législation nationale : insérées dans le code papal, elles prirent
une forme légale, fixe et indiscutable '.
L'Église, aussi bien que les glossateurs, proclamait, il est vrai,
l'existence d'un droit universel, immuable, approprié à tous les
hommes. ]\Iais ce droit n'est pas le droit romain; il a Dieu même
pour origine; Dieu l'a révélé à l'homme dans la sainte Écriture; il
est au-dessus de toutes les lois établies à différentes époques par les
peuples divers, et, par conséquent, prime le droit romain aussi bien
que tous les autres *.
Partant de ce principe, l'Église rejetait les axiomes de la loi romaiue
partout où ils étaient en contradiction avec le droit divin; et depuis
que les souverains de la maison de Hohenstaufen prétendirent s'en
servir pour anéantir Tordre légal établi par le droit chrétien germa-
nique et rétablir l'absolutisme païen, elle s'opposa avec énergie à sa
diffusion ^ En 1180, le pape Alexandre ill en défendit l'étude aux
moines. Houorius III étendit en 1210 cette défense à tous les prêtres,
formé notre esprit uational. • Dien que le droit canon, dit très-justement
Stobbe (t. I, p. 641, et t. II, p. 134), soit italien d'origine, il se rapproche beau-
coup plus de l'esprit allemand que le droit romain, parce qu'il repose sur des bases
chrétiennes et germaniques, et tient à un ordre de choses qui se rapporte à la vie chrétienne
germanique. Les décisions du droit canon étaient bien plus appropriées au peuple
allemand que le Corpus juris civilis, parce qu'elles avaient été prises à propos de
relations sociales modernes, vivantes, et n'avaient pas besoin d'être accom-
modées à la vie actuelle de l'Allemagne. Yoy. Blcntschli, Die neueren Rechts-
schulen der deutschen Juristen (Zurich, 1862, 2« éd., p. 41).
' Pour plus de détails, voy. Zopfl. p. 116-119.
- Aussi le droit canon demande-t-il à la loi d'être : Secundum naturam,
secundum patriae consuetudinem, loco temporique conveniens. Voy. Schmidt,
Beeeption, p 110. Les papes s'opposaient énergiqueinent à l'introduction du
droit romain dans les pays qui n'avaient point de population romane, esti-
mant à bon droit qu'il n'était pas nécessaire au gouvernement des peuples
germaniques et ne s'ajustait point à la simplicité de leurs mœurs. Zopfl,
p. 113-116.
^ Sur l'attitude de l'Église vis-à-vis du droit romain. Schmidt dit entre autres
choses fp. 107-121) : ' L'Église pouvait et devait considérer et employer le droit
romain comme un élément de civilisation. De même qu'elle s'était appliquée à
conserver la littérature latine, elle s'efforça de préserver dans le droit romain
tout ce qui pouvait répondre à ses vues civilisatrices; el si dans le vieux droit
germanique nous retrouvons des axiomes empruntés au droit romain, ce fait
doit être attribué principalement à l'influence de l'Église et du clergé. L'Église
n'avait nul motif de s'opposer à ce que les peuples chrétiens s'appropriassent
les conquêtes intellectuelles des Grecs et des Romains en ce qu'elles conte-
naient de favorable au développement de leur vie nationale. Mais il lui fut
impossible d'approuver les glossateurs et plus tard les humanistes lorsqu'ils
voulurent faire dominer partout la littérature grecque et latine, et au lieu
d'enrichir la vie des peuples modernes des conquêtes du génie païen .s'effor-
cèrent d'étouffer le génie national en le ramenant aui théories païennes. •
AHANDON DE L'KTUDE DU DltOIT ROMAIN DANS LES UNIVERSITES. 461
Cl ranncc suivanic ilinterdil nicmc aux laïques, sous peine d'excommu-
nication, de faire ou de suivre à runiversitc de Paris des cours sur le
droit romain. En 1254, Innocent IV s'efforce d'étendre cette interdic-
tion à la France, à l'Angleterre, à l'Ecosse, à l'Espagne et à la Hongrie.
Dans les universités allemandes, l'étude du droit canon est longtemps
seule autorisée. Puis, en vertu de privilèges spéciaux, le droit romain
finit par y être enseigné, mais seulement pour servir à l'cxplica-
lion et à la dcmonsiration du droit canon'; les facultés de juris-
prudence, composées en grande partie de docteurs canonistes,
n'élaieiit que le complément des facultés de théologie. Ce n'est qu'en
1490 que le droit romain est définitivement admis à Fribourg; à
Ikile il est adopté en lî94; à Vienne en 1495; à Heidelberg en 1498^;
il avait été introduit beaucoup plus tôt dans quelques universités de
i Allemagne du Nord. — A Rostock, vers le milieu du quinzième siècle,
il prend un remarquable développement; à Greifswalde, dès 1456,
quatre '^ légistes » professent; à Luuébourg, une faculté spéciale
enseignant exlusivement le droit romaiii est établie en 1471^; à
Erfurt, entre 1450 et 1500, le nombre des gradués en droit civil,
comparé à celui de la première moitié du siècle, augmente du triple *;
mais les hautes écoles d'Italie, <= vraies sources de la sagesse juridique
romaine ", continuent à être célèbres entre toutes pour l'étude du
droit romain, et les étudiants allemands s'y rendent en foule ^
Plus les « romanistes >> voient l'horizon s'élargir et s'embellir
devant eux, plus grandit leur crédit à la cour des princes et dans
les villes libres, et plus aussi l'étude de la jurisprudence est remise
en honneur.
LE DROIT ROMAIN DANS LES UNIVERSITÉS ET DANS LES TRIBUNAUX.
Précisément au moment où le droit romain était admis par les
universités, la science juridique était presque abandonnée dans nos
hautes écoles.
Des professeurs, des écrivains comme Ulrich Krafft et Ulrich
Zasius, n'étaient que de' glorieuses exceptions. On ne se donnait plus
' Voy. l'article intitulé : Die Siellung der Kirche zum römischen Hecht, daus les
Hislor. polit, m., t. LXXIX, p. 924-941.
* BiANCO, Gesch. der Cölner Universität, t. I, p. 112, 16G. Ce ne fut qu'en 1595 que
l'université de Vienne obtint une « signatura apostolica, qua legendi andien-
diqiie jus civile quibuscunque alumnis, eliam clericis, studii Viennenus
indultum est •. Voy. Stintzing, Ulrich Zasius, p. 326-329.
^ Voy. Stobbe, t. II, p. 20-21. — Stintzi.ng, Ulrich /usiu.i, p. 86, 336-337. —
Stuobel, Neue Beiträge zur Literatur, p. 36'', 63.
* Voy. Huther, Zur gcsch. der Rechtstcissenschaft, p. 201-241.
* Voy. la liste des étudiants allemands en droit dans les écoles de l'étranger,
jusqu'à l'année 1500, dans fiICiHEr., p. 399-411.
462 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
la pcitie, à l'exemple des glossateurs, de recourir directemeat aux
sources; on se contentait de s'en rapporter aux nombreuses inter-
prétations des savants. La jurisprudence s'appuyait presque exclusive-
ment sur le savoir de deux légistes italiens, Bartliole et Baldus,
dont les décisions avaient fini par avoir légalement la même auto-
rité que les sources mêmes. « .l'avoue franchement '•, écrit Zasius à
Bonil'ace Amerbach, « que je fais i)eu d'état de notre droit civil tel
que Barthole et les docteurs italiens l'enseignent; si tu en ôtes les
erreurs, il en restera fort peu de chose '. > En effet, à la place de
la loi romaine simplement exposée dans les sources, avait été
substitué un droit embrouillé, susceptible d'interprétations multiples,
où les législes eux-mêmes -< ne se reconnaissaient qu'à grand'peine ».
Il n'était plus question de pénétrer profondément dans l'esprit du
droit, de résumer avec intelligence et sagacité ses principes élevés :
pendant des semaines et des mois, l'enseignement des professeurs
restait enfermé dans l'explication d'un seul passage et de fous les
commentaires qui s'y rapportaient. Souvent, durant toute une année,
les élèves n'avaient pas achevé l'étude de cinq articles du code de
.luslinieu.
« Quel charme, quel intérêt peut-on trouver dans une science qui
s'attache à l'explication de quelques points ou de quelques lettres? »
dit à ce propos Jean Ileuchlin. >< Ouelle estime peut-on faire d'une
étude où chacun croit pouvoir trouver la confirmation de ses
droits et de ses prétentions, et dont le principal objet est d'obtenir
une récompense vénale? » « Pour les âmes qui ont un idéal plus élevé
et plus noble que la richesse et la réputation, la science juridique
semble vraiment au-dessous de n'importe quel métier M »
Au lieu de faire la lumière sur des questions pratiques, d'un usage
journalier, on plongeait les jeunes intelligences dans des contro-
verses subtiles; on remplissait ia littérature juridique de commen-
taires interminables sur les questions les plus futiles. « Ces commen-
taires ::, dit Zasius, « comme tout homme intelligent peut facilement
s'en convaincre, renferment plus d'obscurités que de lumières; ils
' Voy. StiNTZING, Ulrich Zasius, p. 1G6, 249.
^ Geige[\, Betichlin. p. 63. - La jurisprudence était tombée dans un abaissement
sans espoir, et c'est en cet étal qu'elle fut implantée en Allemaj'jnc. Une
méthode n'ayant aucun rapport avec la vie et les besoins pratiques du peuple,
et restée dans l'clal défectueux où elle avait été transmise de génération en
génération, fut appliquée avant que ia science du droit romain ait été
relevée. Les avantages qu'une étude intelligente du droit étranger eût pu
avoir pour la théorie et pour la pratique, furent annulés par le triste al^an-
don de l'étude de la jurisprudence, abandon auquel seuls quelques hommes
célèbres firent exception. » Stouce, RcclUsquelUn, t. II, p. 2i-26 — Sur le forma-
lisme sans vie et la science abâtardie des juristes du quinzième siècle, voy.
surtout V. Savigny, t. VI, p. 1-24.
LE nnniT lUtMAIN SUnSTITnÉ au droit germanique. 463
sont siircharpj't'S de confrovorses puériles, et nous n'y trouvons
qu'une enflure |)(''(lan(c à la place d'un savoir solide. Leur l'alrasnc
sert qu'à nourrir les arguments rusés des avocats. Après qu'un
auteur a fabriqué dans sa cervelle les plus extravagantes fantai-
sies, il en offre le résullat aux avocats pour les aider à contourner
la loi '. «
Tandis que •■ le droit étranger envahissait l'Allemagne >, l'étude du
droit national était violemment troublée dans son développement; il
n'était plus enseigné dans aucune université, et nulle part n'était
l'objet d'une sérieuse investigation. Les juristes, uniquement formés
à l'étude du droit romain, ne lardèrent pas à déchirer que le droit
germanique était grossier, puéril, bâtard. « Ses coutumiers de nulle
valeur ", disaient-ils, « devaient autant que possible être mis de
côté !. " Les.savants légistes de nos universités ', écrit Wimphelinp;
en 1507, " ne sont que trop disposés à ne reconnaître pour droit que
ce qui se trouve dans leurs livres. Le droit populaire et coutumiei-,
en usage parmi nous depuis des siècles, n'a nulle importance à leurs
yeux; il leur semble intolérable qu'à la ville, à la campagne, des
hommes sans instruction siègent dans les tribunaux et prononcent
la sentence en ne s'appuyant que sur les vieilles coutumes, l'équité
naturelle et leur sentiment personnel de justice ^ > Le juriste Pierre
d'Andlau, plein d'un profond dédain pour la procédure du pays,
écrivait dès 1400 : « N'est-ce point un abus criant que parmi nous,
des laboureurs, des rustres, soient appelés à prononcer dans les ques-
tions de droit , eux que la loi romaine, précisément à cause de leur
ignorance, déclare absolument incompétents'? »
II
Les princes se montrèrent partout les plus zélés promoteurs du
droit romain, et s'appuyèrent sur lui j)our affermir leur puissance
ctleur autorité. Ils commencèrent par lui fournir une application pra-
tique en donnant aux légistes, dans les cours souveraines et dans les
tribunaux de leurs possessions, droit de siéger et devoter en qualité
d'assesseurs \ Dès 1472, à la cour souveraine du Palatinat, la moitié
des sièges d'assesseurs était occupée par les t; romanistes ». La
même transformation s'opéra à Heidelberg en 1472, à Leipzig en 1483.
' Stintzing, p. 101-102.
- De ai te imprcssotia, p. 27 a.
" De impe'rio Romano, t. II, ch. XVI, p. 106.
* Franklin, Réception, p. 127.
46Î EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
L'ancienne procédure, conduite non par de savants docteurs, mais
par des gens d'expérience, jugeant exclusivement d'après le droit
allemand, devint bientôt fort difficile à appliquer, et ne tarda pas à
être interdite '. De tous côtes, on entendait affirmer que les questions
de droit ne pouvaient être tranchées d'une manière sensée et pratique
sans le secours de gens habiles, exercés, en un mot, sans le concours
des docteurs et de leurs livres.
La Chambre impériale, sur les instances répétées des princes,
fut composée en partie de docteurs *; une ordonnance judiciaire
émanée de la chancellerie de l'Empereur décida que des seize juges
appelés à y siéger, huit seraient choisis parmi les juristes (1495).
Néanmoins, tout le mécanisme juridique resta longtemps encore basé
sur l'ancien système, et demeura public et oral. Bien qu'il ne fût pas
interdit de présenter des mémoires écrits, les affaires étaient géné-
ralement traitées oralement et discutées publiquement en présence
des parties, qui pouvaient, lorsqu'elles le souhaitaient, prendre elles-
mêmes la parole. Mais au bout de peu d'années, les savants docteurs
parvinrent à enlever aux nobles ignorants leur influence prépondé-
rante dans les cours de justice. Sous prétexte que la première ordon-
nance de la chancellerie n'avait pas prévu certaines prescriptions de
procédure, les juristes, nommés par les princes, obtinrent, eu 1500,
un arrêt supplémentaire, par lequel l'ancien système juridique oral
et public et le droit également ancien de n'être jugé que par
ses pairs, étaient définitivement abrogés K Les cours souveraines
des princes s'organisèrent sur le modèle de la Chambre impé-
riale, dans le dessein bien arrêté de substituer au droit allemand
jusque-là en usage le droit romain, désormais considéré comme seul
normal. Ce droit eut pour organe une magistrature toute-puis-
sante, exerçant au nom des princes un pouvoir absolu sur chacun et
sur tous.
Dans les cours souveraines où primait encore l'ancien droit, la
position des anciens magistrats ne tarda pas à devenir intolérable. Il
leur fut impossible de soutenir longtemps la lutte avec les docteurs, et
ceux-ci prirent partout la haute main '. Bientôt on en vint à exiger
des assesseurs qu'ils eussent étudié le droit romain dans une uni-
versité \
C'est ainsi que l'administration de la justice tomba tout entière
' Voy. MUTHER, /«r gcichiclUc der Rcchlswisscnschnfl, p. 1.33.
' Voy. IIarpprecht, Iteichsstaalsarchiv. , p. 80.
' Voy. Maureu, Gerichtsverfahren, p. 320-359.
* Par exemple dans le Brandebourg. Voy. Droysex, p. 2'', 37-39.
* Pour plus de détails, voy. Stobbe, t. li, p. 63-9^. — Arnold, Réception, p. 320-
327.
NOUVELLE .lUMISlMî i:i)i;\(JE ET NOCVLAU DROIT. 460
enti'c les mains de fjcns qui, n'ayant aucune connaissance du droit
national et le Iraitanl avec un iiirpris toujours croissant, ne croyaient
pas même nécessaire de Tétudier '.
La nouvelle magistrature forma peu à peu une sorte de caste juri-
dique, séparée de la nation par l'esprit, par le langage, et se mit
orgueilleusement au-dessus " d'un peuple ignorant et mineur ".
Étrangère à la conscience nationale, sans aucun lien avec les antiques
traditions de la législation allemande, elle cessa de puiser la science
dans les faüs, dans la réalité vivante,pour la chercher en des sources
taries. Son savoir stérile n'avait pas le moindre rapport avec l'état
actuel des choses, et cependant cette nouvelle magistrature prit vis-
à-vis de l'ancien droil une attitude de plus en plus arrogante. Non-seu-
lement elle empruntait le fond de sou enseignement à des documents
étrangers, mais elle mettait tout en œuvre pour ressusciter l'esprit
du droit païen. Ses points de vue, ses méthodes devinrent romaines,
et la justice cessant d'être la propriété commune de la nation, un
abime profond se creusa entre le peuple et son droit. Exclu de
toute participation aux débats judiciaires, étranger à ses propres
intérêts, il n'eut bientôt que trop de motifs de perdre sa foi dans la
sainteté et l'impartialité de la justice, et ne vit plus en elle qu'une
puissance étrangère, hostile, opposée à tous ses intérêts ^
RESISTANCE DU PEUPLE A L INTRODUCTION DU DROIT ETRANGER.
L'introduction d'un droit étranger, rempli de controverses inter-
minables, révolta d'autant plus un peuple habitué à une procédure
courte et orale, qu'il lui devenait désormais impossible de suivre lui-
' Sur le mépris des juristes pour le droit national, voy. Stcbee, t. II, p. 37, et
1. 1, p. 651. • L'introduction du droit romain fut une sorte de Héau « , dit-il, t. II,
p. 138.
' BeSELEU, Volksrechl und Juristnirecht, p. 246-298. — Schmidt, Reaplion, p. 239.
«Le droit romain est devenu un élément de civilisation dans le monde moderne,
et son influence ne s'est pas seulement fait sentir dans les institutions que
nous lui avons empruntées : notre méthode, notre manière de voir, en un
mot toute notre culture juridique est devenue romaine. » Iheri.ng, Geist des
römischen Rechtes, 3« éd., 1873, p. 1-3, 12-14. — GiEi\KE, p. 2-21. — Juste Moser,
t. V, p. 36. « On pourrait croire », écrit Senckenberg dans son traité sur les
tribunaux impériaux, '^ que l'ancienne constitution juridique du moyen âge,
vu l'ignorance des temps, était remplie de confusion. Ainsi pensent ceux qui
trouvent indispensables à la connaissance du droit une quantité de latia et de
grec, une masse de livres de droit plus ou moins fleuris, un long séjour dans
les universités, un chapeau rouge de docteur et je ne sais quelle variété de choses
et de connaissances. Nos pères y mettaient moins de façons : ils n'avaient besoin,
comme les soldats, que d'un très-petit nombre de principes et d'un jugement
sain. Ils ajoutaient l'expérience à ces simples éléments, et la procédure était
ainsi fort sagement établie. • Juste Moser dit de même (t. V, p. 36j : " Nos procès
30
466 EMPIRE ROMAIN GERMAMOl E, SITUATION EXTÉRIEURE.
môme sa cause, et se voyait livré sans défense aux mains d'avocats
et de chicaneurs, intéressés à voir les procès traîner en une longueur
interminable. La jurisprudence devint un vulgaire métier exercé
pour de l'argent. - Dans les villes, dans les campagnes, le nombre
des avocats, des scribes, des procureurs, grossissait d'année en année,
comme une invasion de sauterelles. » Tous les contemporains de bon
sens fout entendre à ce sujet leurs avertissements et leurs plaintes.
Mais ceux qui gémissent le plus de l'état des choses, ce sont les
jurisconsultes à l'esprit élevé dont nous avons déjà raconté les tra-
vaux, et qui, plus compétents que personne en cette matière, ne pré-
voyaient que trop « où mènerait la haine du peuple contre ses exploi-
teurs ».
« Ceux qui portent au droit un intérêt sincère :>, écrit Jacques
Wimpheliug en 1507, -' se trouvent en ce moment en bien mauvaise
compagnie. Ils sontperdus dans la foule innombrable de gens vraiment
peu dignes d'estime, pour lesquels les questions de droit et les procès
ne sont que des moyens de remplir leur bourse; aussi fomentent-ils
sans cesse des querelles et sucent-ilsjusqu'au sang les gens de petites
ressources. » « Certains professeurs en droit ne rougissent pas d'attirer
l'attention de leurs auditeurs sur d'habiles manières de se procurer
de l'argent et des biens au moyen de la procédure '. • ■'■ Grâce à nos
avocats •, dit-il ailleurs, " les procès deviennent innombrables, dis-
pendieux, interminables. ^ Gerson raconte qu'une dame française
voyant affluer à Orléans une foule d'étudiants qui tous aspiraient à
devenir avocats et juristes, ne put s'empêcher de s'écrier : 'v Kélas!
dans mon pays, il n'y a qu'un seul procureur, et cependant presque
toute la contrée est bouleversée par ses chicanes! Que de calamités
n'amènera doue pas cette nuée de légistes^! '> - Les avocats '', dit
L:irich Zasius, ^ empoisonnent nos tribunaux, se raillent des juges,
troublent la paix, bouleversent la société, et sont haïs de Dieu et des
hommes '. "
Sébastien Brant n'hésite pas à mettre sur le même rang les avocats
qui dépouillent le peuple et les chevaliers-brigands :
n'ont pas été raccourcis par les innovations des savants juristes. A l'époque où
le simple bon sens faisait loi, les choses se passaient plus loyalement et plus
courtenient. =
' Le juriste bolonais Baldus avait coutume de raconter à ses auditeurs dans
ses cours sur le droit d'liéritar;e. que cette doctrine, à elle seule, lui avait rap-
porté quinze mille ducats, et il ajoutait : ' Ideo adverlatis. > Voy. Schmidt,
Reccpiion, p. 91. « Solus .lustinianus et lîippocrates marsupium implent. » Énéas
Sylvias iôpp.,]). 610, cp. p. lîi) nomme les juristes : » paais quaestores et
auri corrasores. ^ Gengleu, p. 34-35. — Voy. Stintzing, Juristen böse Christen,
p. 29-30, note 10.
^ Apologia pro rcpuhlica christiana (Phorce, 1Ô06), cap. II. — VOV. GeiGEP., Reuchlin,
p. 87-88. — "Voy. Bn.\.NT, .Varrcnschri//, par. 71.
^ Voy. SxiNTZiNG, i'irich Zasius, p. 102.
LKS AVOCATS, EXI'LOITEUH.S DU PEUPLE. iG7
« L'un piilc en secret, et l'autre ouvertement; l'un s'expose au péril
quelque temps qu'il fasse, l'autre met toute son Aine dans son encrier.
Le voleur de grand chemin incendie les granges, au lieu que l'écri-
vassier, après avoir cherché un paysan bien nourri, ä la graisse succu-
lente, le place sur des charbons ardents. Les avocats ne blesscnt-ils [)as
la justice ;\ clini|uc iiistunt? Ils n'ont d'autre moyen d'existence que
leur chicane embrouillée. Les scribes cl les hypocrites qui nous dévorent
font un vrai métier de brigand; ils vivent de pillage, tout comme les rel-
tres. Ils tendent leurs filets |)Our attraper le gibier: la plus petite querelle
se change en procès, et la rigole devient ruisseau. Encore faut-il chère-
ment payer ces beaux parleurs, il faut les faire venir des pays lointains,
afin qu'ils soient assez rotors i)0ur tromper les juges par leur babil. Alors
ils s'arrangent [>our ([ue l'affaire traîne en longueur et que les débours
et les épiccs se multiplient. A la fin, on se trouve avoir beaucoup plus
dépensé en frais de justice que la cause n'en valait la peine . ■•
« Les avocats, médiateurs, notaires et leurs pareils », dit Geiler
de Kai.sersbcrjî dans l'un de ses sermons, « troublent la paix publi-
que; ils devraient étouffer les guerres et les querelles; mais au lieu
de cela ils ne songent qu'à se procurer de l'argent en grossissant les
frais de justice pour le client. => - Leur langue ressemble à l'aiguille
d'une balance : elle se penche du côté où tu mets le plus gros poids,
elle est comme un rasoir aiguisé. Le riche est irréprochable à leurs
yeux, et celui qui donne beaucoup a toujours raison. Ils se vantent
eux-mêmes de pouvoir faire un trou dans la charte la meilleure.
Aussi longtemps qu'ils espèrent tondre quelque chose sur un procès,
ils le prolongent; mais dès qu'ils pensent n'avoir plus rien à en tirer,
ils le terminent. Ils sont encore plus haïssables que les cheva-
liers-brigands, et trouvent leur joie dans l'oppression de tous les
hommes *. »
L'auteur de la Race icclche dit avec douleur :
II Depuis que le droit romain a pénétré chez nous, on a si bien glosé
sur toutes choses que les honnêtes gens sont comme passés au crible jus-
qu'au moment où ils n'ont plus rien à donner; alors on les laisse aller. A
propos de subtiles chicanes, on tourmente parfois un pauvre homme d'une
façon si atroce que cela crie miséricorde à Dieu sur sou trône éternel. i
La confusion dans les choses de la justice devient tous les jours
plus grande :
» Voyez le désordre qu'amène votre manière d'agir. Le mal augmente
tellement que personne ne sait plus maintenant quelle opinion se faire
sur le droit. Vos chicanes sont si compliquées qu'avec elles on peut
tourmenter un malheureux pendant des jours, des mois, des années.
' Xan-enschi/f, p. 79 Ct "1. — Voy. Gœdeke, p. 15G-I57, 13C.
- Xancr.scliiff, p. 191-193. — 'Voy. Mlrneu, Xarrenbeschtcöninj, p 7G-78.
30.
468 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
Les clients sont entraînés ;\ des frais sans nombre qu'un peu de bonne
volonté pourrait parfaitement diminuer; mais cela ne cadrerait pas avec
vos vues. Entre vos mains, l'honnête iiomme est si longtemps harcelé, que
de guerre lasse il abandonne la partie. Avant qu'il ait fourni de chapons,
de perdrix, de pigeons, de beaux habits et de houppelandes, l'avocat, le
notaire, le procureur, etc., la moitié de sa fortune est partie par la fenêtre.
C'est une pitié de voir de quelle manière vous contournez le droit; on
est berné avant d'avoir pu s'en rendre compte. En vérité, il se passe
maintenant de merveilleuses choses dans la justice! "
La conséquence de toutes ces subtilités et avocasseries, c'est que
le monde " devient de plus en plus faux ». Les juristes songent bien
plus à leur sacoche qu'à la justice, et le droit naturel est opprimé
par le droit écrit.
Il Le droit écrit ne veut rien dire s'il ne sort du droit naturel; s'il ne
l'a pas à sa droite, il s'égare étrangement. Le bon sens s'évanouit dans
toutes vos gloses; l'avarice conseille mal, et fait abandonner aux avo-
cats toute droiture. Ils jouent sur un point controversé où nul ne voit
goutte, et grâce ;\leur astuce, le pauvre homme est dépouillé de tout son
avoir '. »
On lit dans un sermon du temps (1515) :
« Gardez-vous des marchands usuriers! Gardez-vous des âmes
rapacesqui vous écorchent, vous tondent, vous raclent, vous rasent!
Mais je vous le dis avec plus d'insistance encore : gardez-vous des
avocats! Ils ont maintenant le haut du pavé; depuis vingt ou trente
ans, leur méchanceté et leur nombi^e croissent sans cesse; comme des
plantes vénéneuses, ils envahissent tout. Ils exploitent encore plus
le pauvre monde que ne le font les usuriers, car ils ne prennent pas
seulement l'argent, ils dépouillent les gens de leur bon droit, de
leur honneur! Au droit simple et naturel, ils ont substitué un droit
étranger; et ce qui, dans l'ancienne procédure, se terminait en un
jour ou deux, se prolonge maintenant des mois et des années.
Quelle pitié que le pauvre peuple ne puisse plus se faire rendre
justice comme autrefois, avant que l'on connût ces menteurs et
ces imposteurs dont on n'eut jamais besoin! »
" Pourquoi tant de procédure à propos d'une cause qui n'est point
embrouillée -, écrit Jean Cochlîeus à Willibald Pirkheimer, - pour-
quoi , sinon pour remplir la bourse des procureurs et des avocats? Que
toutes les affaires seraient promptement expédiées sans leurs tours
de passe-passe et leurs finasseries! Je n'accuse personne particu-
lièrement, je ne me plains qu'en général, parce qu'un mal si funeste
vient surtout de ce ïhrace (je veux dire de ce Justinien), dont le
> U'dschjallung, p. 15'' et 27.
LK I' ET IM, F. SK RK VOLTE COM P. F, LES .1 T P. I S T E S . 469
code a donné lieu à la confusion juridique qui règne maintenant. '>
Cochiaeus tient le droit romain pour si nuisible qu'il ne craint
pas de dire : <= Il n'a peut-être pas existé dans l'antiquité un prince
et même un tyran ayant fait autant de mal que .luslinien. » Aussi
prévoyaif-il que la répulsion universelle dont les juristes étaient
l'objet causerait dans un avenir prochain des révoltes et des émeutes
populaires :
Dès 1493, un pamphlet traite les juristes de - plieurs de (h'oit ',
de « coupeurs de bourses •■ , de - sangsues* », et les menace d'une
expulsion violente.
c Ils nous ont apporté le droit étranger.
C'est une pilié, c'est une misère!
Ces sages messieurs n'ont point leur bon sens!
Nous les chasserons tous ^l »
L'aufeur conseille à l'homme du peuple, dès qu'il aperçoit dans
les tribunaux un docteur ou un avocat, de se retirer, ou bien
de mettre dehors d'une main vigoureuse « l'exploiteur et le vam-
pire ".
Ce conseil fut unjoiir suivi à la lettre à Frauenfeld, en Thurgovie.
Les assesseurs mirent à la porte un docteur de Constance qui
s'appuyait sur l'autorité de Bartholc et de Baldus poiu- trancher une
querelle d'héritage. " Écoutez, docteur ■■■, lui dirent-ils, " nous autres
confédérés, nous ne nous soucions pas du tout du Bartele et du
Baldele ! Nous avons nos coutumes, notre droit particulier ! A la porte,
docteur, à la porte! » - Et le bon docteur -, continue la chronique,
« s'est vu contraint de se retirer; et les assesseurs ont rendu eux-
mêmes la sentence. Puis ils ont forcé le docteur à revenir, et ils
ont prononcé un arrêt contre le Bartele, le Baldele et le docteur de
Constance *. n
Dans les tribunaux urbains où les juristes avaient réussi à péné-
trer, le peuple exprimait souvent son antipathie d'une manière plus
rude encore. A Clèves, un docteur qui ^- avait commis toutes sortes
d'exactions dans l'administration de la justice • et traité les pauvres
' « m génère queror, quoiiiam oiiinis origo tanli in republica mali a Thra-
culo illo venit. » « Non putu, pestilentiorera unquam in mundo fuisse princi-
pein ne tyrannum quidem. > Helmanà, t. XIV, p. 9. — Voy. Otto, p. 84-90.
- En France, le peuple désignait aussi les juristes sous le nom de '• grippe-
deniers, escumeurs de bourses, harpies. » Schmidt, Réception, p. 141. Le pro-
verbe bien connu : Jurist, böser Christ, était populaire dès le commencement du
seizième siècle. D'autres proverbes encore sur les savants docteurs sont venus
jusqu'à nous : « Jurist ai sunt jurgistae; jurisconsultus, ruris turaultus; juris
periti sunt juris perditi; legum doctores sunt legum dolores. • Voy. Stintzing,
Das Spruch tcort : Juristen böse Christen, p. 20.
' Voy. Franklin, Réception, p. 178.
■* Voy. MiüRER, Gerichtsverfahren, p. 35,3.
470 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
plaignants " non comme doit faire un juge chrétien, mais comme
agirait un valet de bourreau païen ", encourut le " très-amer ressen-
timent du peuple. On le cribla de coups sur la place du marché;
le malheureux criait comme une bêle; enfin on le chassa de la
ville K "
A Worms, des paysans révoltés demandèrent à grands cris que
dorénavant nul docteur n'ait à décider en matière de droit, soit
au conseil, soit dans les tribunaux, et qu'il ne soit plus permis d'y
apporter de pièces manuscrites, ni de régler les différends d'après
des mémoires écrits (1518)-.
Les états des divers territoires allemands, défenseurs naturels
et constitués des vieilles libertés et des droits que le peuple avait
hérités de ses pères, se montrèrent partout les adversaires éner-
giques de la magistrature savante.
La résistance fut surtout violente et tenace en Bavière. Dès 1460,
1461, 1471, les états bavarois se plaignent hautement de l'envahis-
sement des docteurs; ils demandent " qu'il ne soit plus mis obstacle
au droit et aux anciens usages du pays, et cjue les tribunaux soient
composés de juges honnêtes, capables, pris soit parmi la noblesse,
soit parmi les paysans du pays ^ ».
Les états du Wurtemberg demandent avec la même instance
à leur duc » que les tribunaux soient occupés désormais par
des personnes honorables, honnêtes, intelligentes, prises parmi
la noblesse ou les échevins, et que les docteurs soient écartés,
afin que les jugements continuent à être rendus selon les anciens
usages et coutumes, et qu'on ne mette point la confusion dans
l'esprit du peuple -. Les états attirent l'attention du duc sur les
plaintes portées contre les docteurs : « Ils envahissent peu à peu
tous les tribunaux du pays ", disent-ils, " et les remplissent de
leurs chicanes, de sorte que, maintenant, celui qui a besoin du
secours de la justice ne parvient pas avec dix florins à terminer une
affaire dont, il y a douze ans, il aurait peut-être vu la fin avec dix
' Tiré des notes de B. Cramer, bourgeois de Clèves (1518), Pelz, p. 77.
* Zorn, lîormser Chronik, p. 253.
2 Franklin, Réception p. 22, 30. — Schmidt, p. 209. Dans les f^riefs de -la cheva-
lerie bavaroise portés devant l'asseml)lée de la noblesse, à F.andshut (1497), on
lit : « Injudicibus intolerabilis error. Non enim eli{ïuntur jiidices more anti-
que, sed multi juris Romani professores, pauci magistratus nobiles et provin-
ciales. Cum jus municipale servandum sit et antiqua- consuetudines pro legibus
habendae sint, fit, ut multa his contraria fiant, unde decéptiones, errores et
turba? oriuntur. //// enim juris professores noslrum morem. ignorant, nec etiam, si
sciant, illis nostris consuetudinibus quicquan tribuere volunt. » ROCKLNGER. Einlei-
tung zu den altbayerischen landstandischcn Freibriefen , publié par Lerchenfeld, §62
(Munich, 13J3).
lil^:.SI.STAN'CE DES KTATS TERniTOUIArX AU DROIT ROMAIN. 471
scliillinjjs. En même temps, beaucoup de nouveautés sont iiilro-
diiites, et si Ton n'y porte rcmc'de, il faudra bientôt que cb.nque vil-
l.i[',c soit pourvu d'un ou deux docleurs pour dôcidcr en malièrc de
droit. Comme par la l'aule des docteurs beaucoup d'abus se sont
vlissés dans la procédure et en {général dans les anciennes cou-
lâmes cl anciens usages, et que les pauvres gens en pâlissent, il est
nécessaire de faire et de publier une ordonnance générale établis-
sant qu'à l'avenir les villes et villages ne seront plus privés de leurs
anciens droits, coutumes, tribunaux, ni de leur mode de procédure,
cl que les docteurs ne pe mêleront en rien des affaires, les choses
éîant remises dans leur premier état '. »
Dans plus d'une localité, on n'admettait pas même qu'on alhU con-
sulter les juristes, car, ainsi que le déclarent les nobles de Franconie,
« les savants docteurs ne travaillent qu'à détruire les droits, usages
et coutumes nationaux- ". Dans beaucoup de conventions et d'arbi-
trages datés de 1457, 1495, 1498, on trouve stipulée la promesse for-
melle qu'à l'avenir, pour le redressement des torts, nul docteur ni
licencié ne sera appelé, car " les docteurs », y est-il dit, >c ont l'art
de découvrir des griefs là où il n'en existe point ".
« Oui ne se réjouirait '?, dit Wimpheling, « eu voyant que les che-
valiers, les bouqjcois, les paysans, fidèlement attachés à leur ancien
droit, à leurs anciennes coutumes, s'opposent avec tant d'énergie à
ceux qui veulent les en dépouiller par le mensonge, la tromperie,
les raisonnements captieux, et ne cherchent qu'à les opprimer et à
les exploiter? Cette lutte touche à ce qu'il y a de plus intime, de
plus vivant dans la vie du peuple! Mais, hélas! au milieu de toutes
nos dissensions l'aulorilé souveraine de l'Empereur reste impuis-
sante et n'est plus en état de tenir fermement les rênes du pouvoir;
aussi est-il bien à craindre que la guerre ne se termine à l'avantage
des princes souverains et des légistes, leurs trop complaisants
instruments^ ".
« Les docteurs romains nous envahissent; ils s'ingèrent partout,
ils se mêlent des affaires ecclésiastiques comme des intérêts tem-
porels, et gagnent tous les jours du crédit. Leur influence est d'autant
plus désastreuse, qu'avides eux-mêmes de richesses, ils encouragent
et excusent l'amour du gain chez les grands marchands et autres
exploiteurs du peuple, llss'cfforcent aussi de faire servira leurs intérêts
le pouvoir tyrannique des petits souverains, les excitant à se mettre
' Sattler, Gesch. des Herzoglhums U'nrUmhcrg unter der Regierung der Hcnoge, t. I,
p. 160. — Stobre, t. TI, p. 51.
* Voy. Stobde, t. II, p. 81, note 6!.
^ Voy. ni\EYER, Nebenstunden, p, 155. — EiCHUORN, t, 111, p. 344, note 6. —
MaüUEII, Gerichtsverfahren, p. 311-312.
472 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
au-dessus des droits et des libertés de leurs sujets, et à s'enrichir au
moyen d'impôts toujours nouveaux, car ils sont encore plus écoutés
aux conseils des princes que dans les tribunaux. Là, depuis bien plus
longtemps, ils travaillent sourdement, changeant, bouleversant tout
ce que la sagesse des ancêtres avait établi, et tout ce qui jusqu'ici
avait passé pour équitable parmi nous. »
LES REPRÉSENTANTS DU DROIT ÉTRANGER
A LA COUR DES PRINCES SOUVERAINS.
Bien avant que le droit romain et les légistes formés à son école
eussent opéré dans les tribunaux allemands de si funestes change-
ments, ces mêmes légistes avaient réussi à changer complètement
le système gouvernemental dans presque toutes les principautés de
l'Allemagne.
Dès le commencement du quinzième siècle, les princes, et à dire le
vrai les princes ecclésiastiques en premier lieu, avaient mis les juristes
eu possession des dignités, des charges, dont jusque-là les membres
du clergé avaient seuls été revêtus. Peu à peu les -■ docteurs romains "
étaient devenus notaires, conseillers, secrétaires, ambassadeurs auprès
des princes. Les emplois de chancellerie qui leur étaient confiés les
mettaient en possession des plus hautes charges administratives, de
sorte qu'ils ne tardèrent pas à exercer une influence prépondé-
rante dans les affaires publiques. On voit apparaître à ce moment
dans les petits gouvernements une bureaucratie nouvelle, emprun-
tant au droit romain qui l'avait fait naître sou esprit, ses principes
et ses tendances.
Jusque-là, conformément aux axiomes du droit allemand, les fa-
milles, les corporations, les domaines seigneuriaux, les communes,
avaient été autant que possible gouvernés parleurs propres représen-
tants; ce n'était que dans des circonstances exceptionnelles, à pro-
pos de procès graves ou d'événements politiques de la plus haute
importance, qu'où avait recours à l'autorité des princes souverains. A
la place de ce libre gouvernement, s'introduisit peu à peu un régime
bureaucratique s'ingéraut dans toutes les questions de famille, de
commune et de district, et s'efforçant, partout où cela était possible,
d'anéantir les droits des corporations et des divers étals.
" D'après les détestables maximes des nouveaux docteurs =', dit
Wimpheliug, « le prince est tout, le peuple n'est rien. Le peuple
doit se borner à obéir, à payer les impôts et à faire corvée; non-
seulement il est tenu à l'obéissance envers le prince, mais encore
envers ses agents; ceux-ci commencent à se poser partout en véri-
tables maîtres du pays, et savent si bien arranger les choses que les
PRKLKVEMENÏS D'IMPOTS FAVORISÉS PAH LES JURISTES. î73
princes conservent dans leurs propres États aussi peu d'autorité
que possible. " Les juristes, en effet, grâce à leur habile manière
de tourner les choses, à leurs scribes, à leurs paperasses, à leurs
formules diffuses et iuleriiiinables, avaient Tari de rendre la parti-
cipation aux affaires difficile et rebutante à leurs maitres"; aussi
l'extension de la puissance souveraine tourna-t-elle, peu à peu, moins
au profit des princes qu'à celui de leurs chargés d'affaires. La hié-
rarchie des agents princiers, exploitant le peuple et mettant les
citoyens en tutelle, prit dès le seizième siècle un développement
considérable.
L'oppression que les nouveaux impôts faisaient peser sur le pays
se rattachait tellement dans la pensée populaire à l'influence des
juristes que Trithème cite le dicton suivant comme déjà fort en usage
de son temps : « Tel docteur n'a pas achevé ses études de droit, car il
n'a pas encore inventé un nouvel impôt ^ » " Les juristes des cours
princières », dit Wimphelingdans son Apologie delà société chrétienne,
« sucent le sang du peuple, imaginent sans cesse de nouvelles taxes et
s'imaginent dissimuler l'odieux de leurs procédés en disant : " Il
faut dompter l'orgueil des paysans! il faut émonder la fortune des
moines et des prêtres! Elle ne doit pas croître démesurément, comme
ces plantes qui envahissent tout et deviennent monstrueuses! >; —
« Au conseil, ils approuvent tout ce qui flatte les fantaisies de ceux
auxquels ils doivent leur pain. Si les aumônes en faveur des malheureux
diminuent, si les petits sont réduits à la misère, il ne faut s'en prendre
qu' à l'avidité des légistes pour les honneurs et les richesses; et si le
despotisme et le farouche orgueil de tant de princes, ou plutôt de
tant de tyrans, va toujours en croissant, ce sont leurs conseillers
qui en sont responsables ^ ■' — " Les renards et les loups >', dit Jean
Butzbach, « gouvernent le conseil des princes. On n'y voit que par-
venus ambitieux, sans équité, sans religion. Ils n'ont ni foi ni loi,
ils épuisent la richesse publique et mènent avec leurs favoris une
vie de plaisirs et de prodigalité. Les grands et petits seigneurs font
peser sur le peuple des taxes lourdes et injustes; ils exercent sur lui
une pression inique. Tout ce qui tend à augmenter leur pouvoir leur
parait légitime, et les flatteurs dont ils s'entourent les encouragent
dans leurs actes coupables *. »
Ce n'était donc pas sans fondement que les états du Wurtemberg
' Ce point a été très-bien mis en relief par Lancizolli-, p. 85-86.
- De Judieis, p. 18.
' Apolojia, cap. V.
* Tiré d'une élégie manuscrite de Butzbach, dans la bibliothèque de Wallraf
à Cologne.
474 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
suppliaient leur duc de vouloir bien avoir l'œil « à toutes ces presta-
tions de banlieue, dons de paille, de logement, de vêtement, de
salaires pour les serviteurs ducaux, dont on n avait jamais ouï parier
du temps des anciens seigneurs du Wurtemberg, et qui avaient été
introduits parles légistes ». Les états regardaient les changements
opérés par les docteurs comme Tune des causes de ces soulèvements
de paysans connus alors sous le nom. d' '•■ émeutes du pauvre Conrad ' » .
En effet, c'est sur la vie et sur la situation des paysans que l'appli-
cation du droit romain et l'influence des légistes avaient eu l'action
la plus funeste.
Tant qu'ils avaient été régis par le droit germanique chrétien,
les paysans, bien qu'ils eussent été trop souvent victimes des désas-
tres causés par les guerres privées, avaient joui jusque-là d'une
garantie juridique réelle. Leurs charges n'étaient point lourdes, leur
vie était très-supportable. Ils géraient eux-mêmes leurs biens et leurs
intérêts, réglaient, selon l'ancienne coutume, les prestations et les
impôts qu'ils devaient aux seigneurs fonciers, et accommodaient
leurs différends dans leurs propres tribunaux. Comme les états de
l'Empire participaient au gouvernement du pays et les états de
chaque territoire au gouvernement de ce territoire, de même les
colons d'un domaine prenaient par leurs assemblées régulières comme
par leurs délibérations juridiques une partdélerminée à l'administra-
tion de ce domaine. C'était une association, dont les états étaient
pour ainsi dire formés par tous les membres en pleine possession de
leurs droits. Les corvées et les taxes n'avaient rien d'écrasant et
n'étaient, la plupart du temps, que l'indemnité duc pour la posses-
sion foncière conquise ou pour la protection accordée ^
L'introduction du droit romain bouleversa complètement cet
ordre de choses. Les paysans, désormais exclus des tribunaux popu-
laires, virent peu à peu tomber en désuétude les anciens axiomes de
droit et les vieilles coutumes d'après lesquelles ils s'étaient autrefois
gouvernés. Les traditions anciennes, sous toutes leurs formes, le droit
non écrit, cessèrent d'obliger les individus, et l'on ne regarda plus
comme légitimement établi que ce qui pouvait être prouvé pièces en
main \ Les paysans se virent ainsi privés du droit qui avait jadis
prêté un si utile appui aux colons comme aux hommes libres, et
cessèrent d'être jugés par leurs pairs dans les tribunaux de village.
' Voy, Stattler, Gesch. des Herzngthums Wurtemberg urler den Herzogen, t. I,
p. 160. — Voy. aussi noire second yolume.
-Voy. Mauref., Froiihö/e, t. III, p. 349-3.^3, et t. IV, p. 484,522.
' Voy. Eichhorn, t. IV, p. 377, note 2. — Voy. Stintzi.\g, Clrich Zasius,
p. 148.
Li: s l'A Y.SANS f) P r 11 lAI !•; S l'Ail LK I) It O I T ROMAIN. i7.>
Ils |)orrlircnl aussi leur ancien droit coutumier, et tous ces clian-
;;<'nieii(s curent sur l'ensemble de leur vie nne influence désas-
(reuse.
(le qui fut encore plus regrettable, c'est que le code étrangcrn'avait
.iiicun rapport avec les conditions sociales que le cours des choses
(M des événements avait faites aux paysans de nos contrées '. L'em-
pire des Césars n'avait connu ni paysans libres, ni fermiers héré-
(lilaires, ni colom dans le sens germanique du mot; par conséquent
k' code .lustinien ne pouvait renfermer aucune prescripiion se rap-
portant aux mœurs de nos villageois. L'empire romain n'avait
connu que la grande propriété aristocratique et resclavage, et
( oinine les juristes formés à l'école du droit romain regardaient
!os prescriptions romaines comme seules légales, ils avaient retran-
ché, d'une main prompte et impitoyable, tout ce qui, dans la loi
{jcrraanique, avait trait aux convenances de la vie sociale en Alle-
magne, se hâtant de bâtir sur le terrain antique toute la législation
nouvelle. C'est ainsi qu'ils ne virent dans le mode de fermage
sauclionné par le droit allemand qu'un simple bail temporaire, et
n'envisagèrent la position des colons vis-à-vis de leurs seigneurs que
d'après les lois romaines sur l'esclavage. Ils fournirent avec empres-
sement aux princes souverains, aux seigneurs fonciers ambitieux et
violents, « des prétextes légaux », non-seulement pour débouter les
paysans de leurs droits au communal, mais encore pour les chasser
de leurs fermages héréditaires et pour augmenter les corvées et
les (axes des paysans libres et des colons. C'est sur leur conseil que
l'électeur Frédéric (celui-là môme qui avait introduit le premier les
docteurs dans les tribunaux) s'attribua sur les communaux de son
territoire, et principalement sur les forêts, un droit de souveraine
propriété *. Les princes souverains ne traitèrent bientôt plus les viila-
' « Les docteurs ", dit Harcke dans ses Etudes pour senir à l'histoire de la Reforme
(Scbaffhouse, 1S4G), p. 235, >. ne comprenaient dans leurs nuances multiples et
délicates ni les liens personnels, ni le système de propriété des paysans alle-
mands; les droits privés étaient traités selon les idées romaines sur la liberté et
l'esclavage; les autres étaient étendus dans le lit de Procuste de quelques
termes de jurisprudence romaine (emphytéose, servitude, baux). En toute cir-
constance, le code de, lustinien était pris pour règle, et l'antique droit allemand
dans la simplicité de ses parties, était considéré comme ne renfermant que
des lois pleines d'abus, vestiges d'un passé disparu. C'est tout au plus si l'on s'en
servait dans quelques cas exceptionnels. D'inr.ombra'ules atteintes portées
à la sainteté du vieux droit, aux mœurs, au sentiment national, furent les
inévitables conséquences de ce système. » Voy. encore MAunEr«, Fvonhofe, t. III,
p. 323, et t. IV, p. 485. — Roscher, dans son Histoire de V économie nationale, montre
aussi combien les juristes formés au droit romain avaient peu à peu mis de côté
les principes du droit allemand qui avait jusque-là régi les paysans. Voy.
Br.LDEU, t. XXXV, p. 287-289.
- Voy. MoNE, Zeitschrift, t. I, p. 393, et les documents de 1468 à 1483 cités
par lui, page 425-430.
47G EMPIPiE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
geois que comme des gens autorisés de par eux à jouir des produits
du communal, mais non plus comme en étant les réels propriétaires.
Ils s'attachèrent surtout à supprimer les droits forestiers commu-
naux pour se les approprier dans l'intérêt de leurs chasses. La con-
quête de ces nouveaux droits marcha de pair avec les châtiments
les plus barbares infligés à ceux qui se refusaient à les reconnaître.
Le duc Ulrich de Wurtemberg, " qui n'agissait que d'après les avis
des détestables juristes «, foit paraître, en 1517, l'ordonnance sui-
vante : « Celui qui dans les chasses réservées, bois ou champs, serait
rencontré en dehors d'une route tracée, portant une arquebuse, une
arbalète ou arme quelconque, et marchant d'une façon pouvant
paraître suspecte, sera, même s'il n'est pas surpris tirant sur le
gibier, privé des deux yeux. " Non-seulement le droit de chasse est
considéré comme inhérent à la puissance souveraine, et déclaré
droit régalien, imprescriptible, mais à ce propos on impose
aux paysans des corvées de tout genre, qu'ils doivent fournir, soit
en payant de leurs personnes, soit en prêtant leurs charrettes et
leurs bestiaux. L'arrogance brutale des chasseurs seigneuriaux nou-
vellement institués envers les cultivateurs sans défense pesa très-
rudement sur eux K « Les nouvelles lois de chasse », dit Geiler
de Kaisersberg, " sont dures et accablantes; elles favorisent les
tyrans, les oppresseurs des pauvres, qui osent s'attribuer sur les
choses qui ne leur appartiennent pas un pouvoir inique et arbi-
traire. C'est ainsi qu'ils empêchent le fermier établi dans un domaine
de garder pour lui le gibier capturé sur son propre terrain. »
" Cependant la loi de Dieu dit expressément que le seigneur qui
interdit à son subordonné de chasser les bêtes fauves de la terre
qu'il habite et de les détruire en cas de légitime défense, doit répa-
ration au paysan. Le gibier appartient à celui qui l'a tué dans l'enclos
de sa métairie. INulle loi positive, nulle prescription humaine n'a de
force contre la loi naturelle, et les seigneurs qui imposent au peuple
des obligations injustes et oppressives commettent un très-grave
péché ^. " C'est en termes tout aussi hardis que les théologiens
Gabriel Biel et Jean Trithème flétrissent la conduite des princes et
seigneurs qui, empiétant sur les droits traditionnels de leurs sujets,
leur ôtent la jouissance des bois, eaux et prairies du communal',
et accablent les pauvres paysans de tailles et de corvées, « les traitant
comme s'ils n'étaient que des serviteurs-nés, privés de tout droit, uni-
quement créés pour le profit et l'avantage des puissants •'.
' Pour plus de détails, voy. Waoeu, 23 ff., 463 ff.
^ Narrenschiff, § 73.
^ Jacob Grimm [Rechlsallerlhihncr, p. 248).
I!l':VOL(rTION' SOCIALE OI'KI'.KK l' Ml ].V. Il lî 0 IT ROMAIN. 477
« Il n'est que frop vrai ", dit Trithèmc, « que chez les auciens
l'csclavafje assujcftissait la plus [jrandc pard'c de riiuniaiiilé à une
sei'silude presque bestiale. La lumière du christianisme a brillé
Iou(;temps avant de pouvoir dissiper les ténèbres païennes, l'impiété,
la tyrannie. Mais que dirons-nous de ces chrétiens, qui ressusci-
tant les maximes d'un droit païen, prétendent introduire parmi
nous un nouvel esclavajje et, flattant les puissants de la terre, leur
font accroire que parce qu'ils sont en possession de la force, ils ont
tous les droits en main, et peuvent, selon leur bon plaisir, mesurer
à leurs sujets la justice et la liberté? En vérité, c'est là une doctrine
effroyable! Sa mise en pratique a déjà fomenté en plus d'un lieu
des révoltes, des soulèvements, et si l'on n'y prend garde, si Ton ne
rend au peuple chrétien son ancien droit, aux classes laborieuses la
liberté et la sécurité, il est fort à craindre que des guerres désastreuses
n'éclatent parmi nous dans un avenir très-prochain '. »
Ili
L'introduction du droit romain ébranla profondément tous les
ressorts de la vie sociale. A mesure que son application s'étendait,
on voyait dépérir l'antique droit germanique et la liberté populaire.
Comme dans l'ancienne Rome, le droit finit par ne plus être qu'un
instrument à l'aide duquel l'État s'efforça d'imposer en tous lieux
son uniforme tyrannie, effaçant toutes les différences qui lui fai-
saient obstacle dans les lieux, les personnes et les choses- .
Les juristes, interprètes du droit romain, se posèrent partout en
adversaires systématiques des institutions du droit allemand en géné-
ral et des droits reconnus des diverses classes sociales et corpora-
tives en particulier \ L'organisation du moyen âge, si variée dans son
unité grandiose, fut sacrifiée sans miséricorde au principe de nivel-
lement universel de la Rome antique.
Comme le droit romain ne fait aucune mention des droits des
divers ordres sociaux, les juristes ne tardèrent pas à déclarer que
la participation des diètes territoriales au gouvernement du pays
était absolument superflue, et traitèrent les constitutions existantes
' DeJudœis. La confusion judiciaire qui suivit l'établissement du droit romain,
et que Wimpheling appelle dans son apologie le « chaos sanctionum huma-
narum », le « perplexitas veterum et novorum jurium », fut bien souvent con-
sidérée par les contemporains sagaces comme la source probable et féconde de
révolutions futures.
* Voy. Arnold, Cullur und Rcchlslchcn, p. 176.
*Voy. Beseler, p. 157-19 î.
478 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
aussi cavalièrement que les droits privés. Vis-à-vis des princes, les
membres des étals ne devaient être que des sujets. Quant aux privi-
lèges qui, depuis des siècles, avaient donné aux diverses conditions
sociales une existence légale, indépendante de la volonté ou de
l'autorisation des princes, ils lurent considérés comme douteux et
révocables, et les sociétés corporatives se virent obligées de sou-
mettre leurs statuts à l'agrément des princes souverains.
En un mot, le prince allemand devint le princcps romain '. La pro-
mulgation des lois, l'administration, le pouvoir militaire, juridique,
financier; la police, le commerce, l'exploitation des mines et des
forêts, et jusqu'aux questions regardant la propriété foncière privée,
tout fut peu à peu considéré par les juristes comme relevant de
l'autorité souveraine.
Mais si le prince devait exercer le pouvoir dans le sens où la
Rome antique l'avait entendu, il s'ensuivait que le domaine ecclé-
siastique devait également lui être assujetti. Et effeclivcment,
longtemps même avant la Réforme, un grand nombre de juristes
soutinrent que la suprématie religieuse et la juridiction ecclésiastique
appartiennent de droit au prince, et ^ qu'à l'exemple des empereurs
romains il peut et doit donner aux choses religieuses leur forme
et leur mesure, établir et déposer les évéques, et disposer des biens
de l'Église pour son propre avantage et les intérêts du pays -k Cette
doctrine, au dire de Pierre de Froissard, avait été dès longtemps
enseignée par " les savants légistes au duc de Bourgogne Charles
le Téméraire ».Et Charles, ajoute Froissard, « désirait ardemment
devenir dans son pays pape unique et tout-puissant empereur.
On m'a dit qu'il répétait souvent cette parole, traitant dès lors
fort arbitrairement les évêques et les abbés, usant des biens ecclé-
siastiques comme s'ils eussent été temporels et à lui seul appar-
tenant ^ » Les juristes nourrissaient une haine profonde pour la
propriété ecclésiastique, parce qu'ils la considéraient avec raison
comme le boulevard le plus redoutable des anciens principes ger-
mains sur la propriété; aussi disaient-ils hautement que l'autorité
du siège apostolique était pour les princes un joug dur et accablant •
' Voy. BiTZER, p. 579. — Arnold, Cultur wul Rechtsîchcn, p. 88. — HageN, Deutschen
Gesch., t. II, p. 17.
2 Lettre 19.
^ Voy. Maurenbrecher, Studien und Skizzen, p. 331-334. Les princes ont tenu
souvent de semblables propos. Sous ce rapport, les documents publiés sur le
duc Rodolphe IV d'Autriche dans la Chron. Salisb., et publiés par Pez, Seripit. ver.
Ausir., t. I, p. 417, sont très-caractéristiques. On y lit, à la date de 1364 : '^ Ipse
(Rudolfus) etiam contempsit niandatuni domini apostol. Urbani V, dicens :
Egomet volo esse papa, archiepiscopus, episcopus, archidiaconus, decanus in terra
mea. Ipse etiam episcopatum l'aiaviensem voluit transtulisse in Wiennam. Idem
ABSOLUTISMI- DES PRINCES ENCOUllAGK l'AU LES JURISTES. 479
On attribue le mot de Charles le Téméraire : " Je veux élrc pape
en mon pays '•, à divers anîrcs princes souverains, à un duc de Saxe
el à lin duc de Clèvcs, rêvant comme lui d'exercer la puissance
!i,ii»,il(' ;"i l'iiilcricur de leurs l'^Jals.
IV
Les juristes s'elTorcèrent d'affranchir du pouvoir de TKnipereur
comme de celui du Pape les princes auxquels ils devaient leur éléva-
tion. " Les savants docteurs, pleins d'habileté, d'inlelli(;ence et
d'astuce >', écrit en 1471 l'Italien Augustin Patricius, « tournent et
bouleversent tout à leur fantaisie. Ils font grande figure dans les
assemblées du royaume, se plaisent à voir les princes les consuller,
et tenir leurs dires et leurs réponses pour des oracles; ils suivent
avec joie les changements qui se produisent dans le pays. Leur crédit
grandit au milieu des dissensions et des querelles. Par des artifices
toujours nouveaux, ils persuadent aux princes que, grâce à eux, ils
jouissent d'une liberté absolue '. »
Or la liberté, au point de vue des docteurs, consistait surtout à
fournir le moins de subsides et de troupes possible à l'Empereur et
au Saint-Empire. « Dès qu'il s'agit de débourser «, écrit Wimphe-
ling, " l'Empire et son honneur sont pour les juristes comme s'ils
n'existaient pas. '^ Ils traitaient les affaires politiques que leur con-
fiaient les princes selon les principes astucieux de leur génie, et
croyaient s'être montrés souverainement sages et habiles lorsque,
durant les diètes, ils avaient réduit au plus mince minimum possible
les secours réclamés par le souverain pour les guerres étrangères.
voluit in dominio suo cœnobiis prœlatos instituere et destituere et opinabafur
seipsum sapientem veliit Imperator Fridericiis, qui dominicam oratiomm voluit
emendasse. » Mais dès que les princes commencèrent •■ à vouloir donner aux
choses religieuses leur mesure et leur forme », il se trouva assez de gens pou-
vant dire d'eux-mêmes ce qu Enéas Sylvius rapporte : « Omnes hanc fidem
habemus quam nostri principes, qui, si colerent idola, et nos etiaiii coleremus.
Et non solum papam , sed Christum etiam negaremu > saeculari potestate
urgente. ■ 0pp., p. 539, epist., 54.
' '■ Les princes ■>, écrit Patricius, « omnia consiliariis credunt, eorum judicio,
cuncta geruntur. Ilorum nonnulli, oui doctiores sunt et ingénie et astutia
pollent, pro arbitrio omnia versant; iis gloriosissimum est vocari adconventus,
rogari sententias, consuli a principil)ns, et eorum sermones atque responsa
tanquam Delphica oracula haberi. Gaudent rerum mutatione, et contentionibus
atque discordiis principum crescunt, procurant assidue no vis artibi's, ut prin-
cipibus suis libertatem parare videantur, et a reverentia apostolica) sedis,
quam durum atque asperum jugum appellant, sed etiam Romani Iraperii eos
nituntur avertere. « Voy. FiiEUEr., t. II, p. 290.
480 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
Marchandant chaque florin par mille arguties captieuses, ils n'étaient
satisfaits que lorsqu'ils avaient réussi à empêcher l'Empereur
d'obtenir ce qu'il réclamait, ne se demandant jamais si, par une
telle conduite, ils ne mettaient pas en péril l'exisleuee d'une partie
ou même de la totalité de l'Empire '. Tandis qu'ils revêtaient les
princes de l'autorité d'un César, ils ne voulaient reconnaitre aux
empereurs que ce qu'ils appelaient des « droits réservés ». En un
mot, leur effort incessant tendait à faire de l'olij^archie déjà presque
accomplie la loi fondamentale de la constitution du pays.
' Schmidt, dans son Histoire des Allemands, t. IX, p. 457, Manheim, 1784, avait
déjà remarqué que par les juristes romains « les questions politiques étaient
devenues processives, qu'on les traitait dans un esprit de mesquine chicane, et
que c'était pour cela qu'elles n'en venaient jamais à une concluiuon pratique ».
C. A. Menzel, Gesch. der Deutschen, t. VI!, p. 129, attribue principalement le misé-
rable état des affaires publiques à l'influence des juiisles. « Leur dor.iina-
tion », dit-il, » est encouragée par les universités. « Stintzing aussi [Juristen,
böse Christen,.^. 19) est d'avis que le vice fondamental de notre développement
politique est venu de l'application de la méthode et des principes du droit
civil. « L'ingérence des juristes dans les affaires d'État fut cause qu'imbus dans
toutes les fibres de leur être de la mélhode et des axiomes du droit civil, ils
mirent à peine les affaires publiques au-dessus des questions de droit privé, et
transportèrent dans le domaine de la vie politique les formes cauteleuses de la
chicane, d'ordinaire réservées exclusivement aux salies des tribunaux. •
CHAPITRE III
roLITIOUE EXTÉRIEURE ET ESSAIS d'lMITC \TIOX SOUS MAXI.MII.IEN 1".
L'Empire romain-germanique, (el qu'il était autrofx)is constitué,
(lait, au milieu de la société du moyen âge, la première, ou pour
mieux dire l'unique puissance législatrice de l'Europe. L'Allemagne
i'iait à la lètc de la chrétienté.
Représentant au milieu des peuples européens la suprême puis-
sance impériale, la mission qu'elle avait à remplir à l'extérieur con-
solidait et fortifiait au dedans l'union des différentes races dont elle
était composée. L'expédition romaine imprimait au sentiment national
un élan généreux; elle donna l'élan à ces essais hardis de colonisa-
tion, qui, même après la décadence de l'Empire, se perpétuèrent
plus d'un siècle. A côté de l'Allemagne d'Occident et des anciennes
tribus dont elle était formée, on vit se développer peu à peu une
Allemagne orientale, et les habitants de la Silésie, de la Misnie,
du Rrandebourg, du }.iec!vlembourg et de la Pomérauie ajou-
tèrent avec le temps des branches nouvelles à l'antique famille ger-
manique.
L'Empire, dès son origine, contenait des cléments romans; il était
aussi en contact , par ses marches orientales, avec des populations
slaves, et des territoires considérables se réunirent peu à peu à ses
premières possessions. La nation allemande, composée de tant de
tribus différentes, -■ vrai peuple de peuples -, était particulièrement
propre à devenir le centre de races diverses. Elle se servit toujours de
son hégémonie avec modération, et n'entrava nulle part lé libre déve-
loppement des Romans ou des Slaves devenus ses sujets; une aveugle
soif de conquête n'était point dans son génie, et malgré son grand
pouvoir, elle laissa toujours inattaquées les vastes frontières qui la
séparaient delà France (depuis l'embouchure de l'Escaut jusqu'à celles
du Rhône). L'Empire romain germanique, formé par l'Allemagne, la
Bourgogne et l'Italie, maintenait au milieu des peuples l'équilibre
et la paix; et tant que ses ennemis extérieurs purent croire ses fron-
tières inviolables. Tordre public eut un si ferme soutien en Europe,
31
iS-2 EMI'IRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
qu'une guerre générale s'allumant entre les nations chrétiennes était
regardée comme impossible '.
Mais la décadence de T Empire amena un grand changement.
Plus TAllemagne abandonna sa mission à l'extérieur, et plus ses res-
sorts politiques se relâchèrent au dedans; les Kens sociaux qui avaient
autrefois uni ses populations se rompirent. Dans les villes libres
comme dans les petits États des princes souverains, la bourgeoisie
conquit une très-grande indépendance. Par ses villes de commerce et
les voies ouvertes à ses vastes échanp,'es, le peuple allemand avait
rendu tributaires la plupart des pays européens; dans l'espace de
temps qui sépare le règne de Rodolphe de Habsbourg de celui de
Maximilieu, la prospérité publique n'avait cessé de croître, et la
culture iutellecluelle avait fait d'admirables progrès; mais durant
toute cette période la vie politique était restée renfermée en d'étroites
limites, et la nation n'avait point tourné son ardeur vers un noble
idéal, capable de j-éunir et d'employer toutes ses énergies.
L'Allemagne ne perdit pas seulement l'hégémonie européenne;,
elle devint presque étrangère aux grands intérêts politiques des
autres peuples.
C'est sous Frédéric IIî que l'Empire fit les pertes les plus graves.
Au nord, le Schleswig-Holstein, bien que placé sous la tutelle de
l'Empire, tombe au pouvoir du roi de Danemark (1400). En Prusse,
« à la grande humiliation et au grand préjudice de la nation - -,
l'ordre Teutonique se voit contraint de céder la plus grande partie
de ses possessions au roi de Pologne (paix de Thorn, i4('jG), et reçoit de
lui, à titre de fief, les pays demeurés sous sa dépendance; l'Empire
et l'Empereur voient sans s'émouvoir les « chevaliers Teutoniques »
devenir les vassaux d'un souverain étranger.
La séparation de la Boliëme des intérêts et des destinées de
TEmpire eut des conséquences encore plus funestes; la maison sou-
veraine des Habsbourg' perdit avec la couronne de Bohême sa posi-
tion ferme et stable en Orient et en Occident, et sa puissance en fut
d'autant plus restreinte que la Hongrie ne pouvait être conservée sans
la Bohême. Mais ce qui contribua le plus à l'affaiblissement de
l'Empire, ce furent les progrès de la monarchie française et les
envahissements des Turcs.
La politique belliqueuse et conquérante des rois français avait pu
être entravée dans toutes ses entreprises en Allemagne et en Italie
tant que les frontières de l'Empire lui avaient opposé une digue
' Ces sujets sont reniarfjualjlement traités dans l'ouvrage de Iicker, intitulé :
Aaiscrreicli in seinen universalen und ntilionalen Beziehungen.
- Voy. la lettre de Grégoire de lleimburj]; du 21 décembre 1468. IIoflkfx,
Kaiserl. Buch, p. 197. "
POMTIQl'E AMBITIFISE DES UOIS DE FRANCE. ^iH?,
rcdoutnble, et surtout tant que la Lorraine et la Bourgogne étaient
restées allemandes; mais lorsque s'ébranla l'ancien ordre de choses,
et que l'organisaliou de l'Empire vint à se dissoudre, ces pays atti-
rèrent particulièrement l'atlention de la France, qui ne songea
plus qu'a meflre ses projets à exéculion. En 1312, l'occupation de
Lyon contre toute justice fut aussi désastreuse pour l'Empire que
plus tard la capture de Strasbourg le devait être pour la monarchie '.
Les ardentes et continuelles aspirations de la France s'expriment fort
clairement dans un document daté de 1333 : par une convention passée
entre Philippe de Valois et le duc Henri de basse Bavière, ce dernier,
traître à l'Empire et dans l'espérance d'obtenir le trône d'Allemagne
par le secours de la France, ouvre an roi Philippe de brillantes per-
spectives, et lui propose de l'aider à conquérir l'évéché de Cambray
et toute la partie romane de l'Empire, depuis la Saône et le Uhoue,
jusqu'aux frontières de la Lombardie et de la Suisse allemande-.
Sous Louis de Bavière la politique française, dans le but d'affaiblir
l'Empire, entretient pendant de longues années les dissentiments de
l'Empereur et du Pape, met sans cesse obstacle à leur réconciliation,
tire parti, au quinzième siècle, du schisme religieux^, et cherche, par
de continuelles menées et par des conventions secrètement conclues
avec les princes*, à s'approprier des territoires allemands. En 1444,
le roi Charles VII et ie dauphin Louis ne font point mystère de leurs
plans, et déclarent iiautcment que leur intention est de ^ conquérir
' Voy. FicKrn, Kaiserreich, p. 127. Sur les entreprises françaises sous le rcfïnc
de Rodolphe, voy. Kopp, lîcicksgeschichtc, i. i. p. 870-878. Sur la perte du royaume
d'Arles et les vues ainijitieuscs de la France sur la Lorraine, voy. GEDHAr%Di,
Gesch. der erblichen Rrichstiindc, t. I, p. 219-221, 225, 226, 231-23-î, lio, 257.
* RÖHMrn, Kaisfrregesten von 1314-1347, p. 301, et Fontes, t. I, p. 215. Dans Ce
traité, Henri tenait déji^ le lan,i;a{;e dont se servirent en 15521e duc Maurice de
Saxe et ses affilies dans leur conspiration d'État. « Il s'était, disait-il, résiyné à
l'abandon des pays en question, en considération de tout ce que le roi de
France avait dépensé dans l'intérêt de l'Empire. >
* Voy. la lettre du roi Robert datée du 21 août 1409 dans les Fnm'kfuris
Reichscorrespondcn:, t. I, p. 144, 1 iS.
* Le duc Louis de Bavière avait, dès HOC, engagé à la couronne française ses
possessions allemandes sur le Danube pour une somme de 75^000 florins.
Droysen, Gesch. der j^reussiachen Poliiik., t. I, p. 251, note. L'archcvêquc Fré-
déric III de Colo.T,ne était vassal de la France dès 1378. — Lacomblet, Urhundcn-
Jmchfiir den Miederrhein, t. III, p. 382, note. L'archevéque Jean II de Mayence en
sa qualité de vassal de la France fut défendu contre le roi Robert par le roi de
France Charles VI il4I0i. {Fnvihfurts licichscorrespondenz, t. I, p. 151-152.i J. Dubois,
conseiller de rhilippe le Bel, expose au Roi en deux mémoires les moyens par
lesquels la France pourrait parvenir à la monarchie universelle. Pour sou-
mettre l'Allemagne, il lui faut, selon lui, conclure des traités avec les princes
allemands, qui trouveront dans les souverains français un appui contre la
tyrannie impériale; il faudra seulement spécifier exactement les conditions
du protectorat. « Il posait en principe que la domination française devait être
universelle et s'étendre à tous les pays civilisés. » Boutauic, la France sous
Philippe le Bel, p. 411. — Voy. VoN Sybel, HiSt. Zeitschrift, t. VIII, p. 465-46G.
484 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
les frontières naturelles de la France », c'est-à-dire les pays qui lui
appartiennent, d'après eux, de droit : l'Alsace, Metz, Toul, Verdun,
Fribourg et Brisaclu Charles Vil se montre décidé à « combattre
pour la liberté et la noblesse allemande contre la maison d'Au-
triche, qu'il faut à tout prix humilier. La France doit s'étendre
jusqu'au Uhin. Le Roi ne craint point les princes allemands, il saura
bien les vaincre les uns après les autres; ce qu'il redoute, ce sont les
villes libres et les paysans. " Ce furent en effet les bourgeois et les
gens des campagnes qui déjouèrent ses projets ambitieux'. Bientôt
le roi Louis XI, successeur de Charles, expose aux bourgeois de Metz
ses droits à leur serment d'hommage, affirme que cette ville lui
doit obéissance, qu'elle lui appartient par héritage, et dit tout haut
qu'il se rend à Rome pour y recevoir le titre de roi des Romains -.
Par la possession de Metz et de Strasbourg, la France rêvait d'avoir
un « libre accès dans le Saint-Empire % et ces deux puissants bou-
levards de notre pays du côté de l'occident furent dès lors dans un
continuel péril K
Tandis que sous Frédéric III l'Empire semble se rapprocher tou-
jours davantage d'une inévitable dissolution, la royauté française,
au contraire, se fortifie sous Louis XI, véritable fondateur de la
poUtique ambitieuse et conquérante de la France. Déjà commence
Tordre de choses qu'un ambassadeur vénitien devait caractériser plus
tard par ces paroles : <= Tout en France est fondé sur la volonté du
Roi; même dans les questions judiciaires, personne, quelles que soient
les réclamations de sa conscience, n'aurait le courage d'exprimer une
volonté contraire à la sienne. Les Français respectent tellement leur
souverain, qu'ils sacrifieraient pour lui non-seulement leurs biens, mais
encore leur honneur et leur âme. " " Nul pays n'est plus obéissant;
l'unité et la soumission sont les causes de sa force à l'extérieur. »
Lorsque le souverain levait arbitrairement un impôt, le peuple ne se
révoltait point, persuadé que la violation d'un édit royal constituait
un sacrilège. On désignait le souverain français sous le nom de « re
délie hcstie >;, parce qu'il avait obtenu de ses sujets une complète
abdication de leur volonté. Sous Louis XI, les impôts annuels, de
2 millions qu'ils étaient auparavant, montèrent presque à 5 millions;
mais grâce à ce sacrifice la France vit s'organiser une armée perma-
nente, toujours prête au condiat. Un contrat passé en 1474 avec les
Suisses permit à Louis, en échange d'une somme considérable, de
' Voy. Janssen, Frankreichs Rheingelüsle, p. 4-8.
-Lettre du clievalier Jobst von Eynsidi au niaryrave Albert Acliille, 4 juil-
let 1464. Voy. HÖFLER, Fränkische Studien, t. VII. p. 37.
3 Voy. ces lettres dans IJöfler, Fränkische Studien, t. VII, p. 38, H<" 9 et 122.
M m.
l'Ol.ITIOUK AMBITIKIISK DES l< 0 I S 1» K FliANCi;. 485
compter désormais en tout temps sur le concours de leurs troupes
jiiixiliaircs : avantage inappréciable, caries Suisses formaient alors
la seule infanterie disciplinée de l'Europe, et combattaient indif-
féremment toutes les puissances. « Il est triste de l'avouer », dit
Tri thème, « de nos jours les Suisses allemands ont complètement
p<'rdu l'amour de leur nationalité, et pour de l'argent français con-
s(;nlciit à combattre leurs compatriotes. » Wimplielijig dit de môme :
Il est douloureux d'adresser un reproche pénible, mais trop juste,
aux habitants des Alpes. La plupart d'entre eux, poussés par l'amour
du gain, se mettent à la solde des étrangers pour combattre leurs
frères, et tirent l'épée contre l'Empire romain et l'Empereur '. ■'
Après la mort de Charles le Téméraire (1477), Louis XI prit posses-
sion de la Bourgogne et de la Picardie, et la France se serait rendue
maîtresse de tout l'héritage bourguignon, si Maximilien d'Autriche,
en sa qualité d'époux de la jeune Marie, n'eiU conservé à l'Empire
les Pays-Bas allemands, opposant ainsi une forte digue à l'ambition
Irançaise, puisqu'une fois en possession des Pays-Bas, la France eut à
chaque instant menacé l'indépendance de l'Allemagne du Nord. Louis
fat plus heureux au sud; il réunit le duché de Provence à sa cou-
ronne sans que l'Empire songeât même à faire valoir sur lui ses anciens
droits de suzeraineté, et depuis ce moment vit son pouvoir s'étendre
sur toutes les côtes méridionales de la France. Peu de temps après,
eiliarles VIII, fils de Louis XI, fut mis en possession du dernier grand
lief de la couronne par son mariage avec Aune de Bretagne.
" Chez nous >, dit Pierre de Froissart, « le Roi, en recevant l'héri-
tage de ses aïeux, s'engage non-seulement à défendre au dedans
l'autorité royale, mais encore à accroître autant que possible cette
autorité au dehors. Et quels admirables pays s'offrent encore à ses
désirs, aussi bien en Allemagne qu'en Italie ^l » Pour maintenir le
calme à l'intérieur, les souverains français estimaient que le meil-
leur moyen d'occuper leur nation remuante et belliqueuse, c'était de
lui proposer des agrandissements à l'étranger; aussi s'ingéraient-ils
sans cesse dans les affaires et les querelles de leurs voisins. " Pour
être dans les bonnes grâces des rois de France, il faut », dit encore
Froissart, " être bien persuadé qu'aucun peuple de la terre ne peut se
mesurer aux Français, et que l'Orient et l'Occident ne seraient pas
trop vastes pour contenir une telle nation "\ "
Des astrologues complaisants avaient prédit autrefois à Charles VIII
qu'il régnerait un jour sur l'Orient et l'Occident; la croyance à cette
' V. VON WiSKOWATOFF, ]). 89-90 et 110-1 îl.
- Lettre II.
^ Voy. iVluLLER, Reichsldglhealer unter Aïaximilian, t. I, p. 354. — JaGEI\ , Kaiser
Maximilian, p. 211-212.
48ß F-MPIUE ROMAIN OERM ANI Q ü E, SITUATION EXTERIEURE.
prophétie s'était répandue dans tout îe peuple, et le Roi lui-même y
ajoutait foi. Peu de temps avant départir pourFItalic afin d'} tenter
la conquête du royaume de Naples, Charles se montra au milieu
d'une fête revêtu des ornements impériaux, et portant les insignes de
la souveraineté universelle : le globe impérial et le sceptre. Le peuple
et la noblesse l'acclamèrent, le saluant du titre d'Empereur. On voit
que ce n'était pas sans motif que dès le quatorzième siècle un pape
avait recommandé au roi des Romains de surveiller les démarches des
Français en Italie. " La France », avait-il dit, « ne rêve que l'anéan-
tissement de la puissance impériale et la ruine du pouvoir temporel
du Saint-Siège. Elle soumettrait â ses lois toute la terre, si ses forces
pouvaient suffire à la satisfaction d'une ambition si démesurée K »
L'antique alliance de l'Empire et de l'Italie avait eu dans le passé
les plus grands avantages pour les deux nations, bien qu'elle eut
imposé de lourds sacrifices â l'une et à l'autre. L'expédition romaine,
à laquelle prenaient part toutes les tribus germaniques, entretrenait
parmi elles le sentiment de la cohésion nationale, et d'autre part les
relations de l'Allemagne avec le pays alors le plus cultivé de l'Europe
faisaient naître une émulation féconde, un élan vif et heureux vers
les choses intellectuelles. Les Italiens, il est vrai, n'avaient que trop
souvent senti la rudesse du joug tudesque; ils avaient été fréquem-
ment accablés d'impôts; mais, d'un autre colé, la puissance de l'Empire
les avait mis à l'abri des actes de violence et de despotisme de leurs
propres princes et seigneurs temporels, dont la tyrannie, si elle
n'eût été entravée, eût rendu impossible l'épanouissement de la
liberté des républiques, cette noble fleur du sol itaUen.
L'union, la grandeur de l'Europe centrale reposaient sur l'alliance
de l'Allemagne et de ritalic. Lorsque cette alliance eut été brisée,
l'Empire vit fin^ir la période de son unité et de sa force, l'Italie celle
de sa liberté intérieure et de la prospérité de sa bourgeoisie. Quand
la direction puissante de l'Empire lui fit défaut, l'Italie tomba dans
une lamentable période de désorganisation et de désastres, et l'on
put même craindre un moment que le Pape ne pût demeurer à
Rome. Cette rupture fut en grande partie cause de la longue dépen-
dance où resta la cour papale vis-à-vis de la politique française.
« L'Italie a expérimenté depuis des siècles =>, disait à bon droit
1 " Gallica natio semper ad imperium suspiravit. De papatu quid loquamur?
Notuni adeo est quod nulla potest tcrgiversatione celari, iieduiii papatiim,
îiediiin imperium, sed uiiiversi orbis monarchiam vellent Gallici usurpare, si
facultas eorum desideriis responderet. ' Le pape Urbain VI au roi Venceslas,
16 sept. 1382. Velzel, Lcbciisgcschichlc Königs lUcnccslaus , t. I (l'rague, 1788). Dom-
vicnts, p 53. n" 33
I/LMIMII i; ET LO(iIi:NT. 487
M;iximilicn, « ce que devient nii peuple qui n'a pas d'empereur pour
imposer un frein à ses passions. Aussi ses vrais amis ont-ils lou-
.i!)iii-H rcj',ardé la puissance impt'riale comme favorable à ses inlérèls,
!• soupiré ardemment après le retour de l'Empereur '. » Dante,
ciîdiousiaste panéjyyrislede l'Empire, place, dans son sublime poëme,
le roi nodolj)lie de Ilabsbour^^' dans le purgatoire, pour n'avoir pas
.1! rompli sou devoir en ilalie. Le poète menace le roi Albert du
rourroux du ciel parce qu'il ne cherche pas à dompter d'une main
(Dermique ' le coursier italien, devenu trop farouche >- . 11 salue,
plein d'alléjjresse, l'arrivée de Henri VII, « lil)ératcur longtemps
al tendu ». Ces aspirations se retrouvent dans les lettres adressées
|)ar Pétrarque à Charles IV. ;< Hâte-toi », lui dit-il, -< comme cela
it'd à un empereur! L'Italie est le plus ancien et le plus vaste de tes
royaumes! Sa pacification est remise en tes mains; c'est ta mission
Il i)lus belle et la plus sainte. Montre à l'Italie son libérateur-! »
Mais la délivrance ne vint pas. L'Italie devenait de plus en plus
•angèreaux destinées de l'Empire. Les républiques itaUennes, dans
irs rivalités continuelles, n'étaient plus guidées que par l'intérêt
j.crsonnel et la ruse. Dans les classes élevées la dépravation morale
I lisait chaque jour des progrès. Le long schisme religieux qui suivit,
ébranla, en Italie plus qu'en tout autre pays de l'Europe, le prin-
cipe de l'autorité, et le chef de la chrétienté vit diminuer le respect
universel dont il s'était vu jusqu'alors entouré.
Le bouleversement complet survenu dans les affaires d'Italie
et l'impuissance de l'Empire favorisèrent singulièrement l'ambition
des rois de France. A peine Charles VIII s'était-il établi dans
le royaume de Kaples (1495), qu'il fit connaitre son dessein de
s'emparer de la couronne impériale. Or la prépondérance de la
France en Italie eût ä la fois menacé l'équilibre de l' " empire romain
de nation germanique - et l'indépendance de l'Allemagne. La guerre
avec la France s'imposait donc aux Allemands : elle était pour eux
une question vitale.
Mais ûu. côté de l'Orient un bien autre péril menaçait tous les
jours davantage l'Empire.
Tant que l'Allemagne avait conservé au centre de l'Europe sonéqui-
libre puissant, tant que ses frontières étaient restées inviolables pour
tout ennemi du dehors, les peuples chrétiens avaient pu poursuivre
eu paix le grand but qui leur était commun. Au siècle des croisades,
refoulant l'islamisme qui menaçait d'engloutir l'Europe, ils avaient
' Lettre du conseiller royal Henri Grunebeck, cet. 1500.
- Voy. FiCKER, Kaiserreich, p. 80-85. —Geiger, Petrarca, p. 193-199. (Leipzig, 1874.
488 EMPIRE ROMAIN OERMANIOÜE, SITUATION EXTERIEURE.
planté rétendard de la croix au milieu des possessions mahomé-
tanes ; ils y avaient fondé leur pouvoir, et la civilisation européenne
y avait été apportée. Assurément, le succès des croisades ne doit pas
être principalement attribué à l'intervention de l'Empire; mais il
faut reconnaître que les croisades eussent été impossibles si, pen-
dant les guerres d'Orieut, l'Allemagne n'eût offert une garantie
solide au maintien de Tordre politique. L'idée qui avait présidé à
toute l'organisation des guerres saintes, " la paix et la coucorde
des princes chrétiens favorisant l'union de toutes leurs forces dans
une lutte commune contre l'ennemi de la foi ", n'eût pas été réali-
sable si la force et la puissance de l'Empire n'eussent empêché tout
souverain ambitieux de l'Occident demeuré dans son pays d'envahir
les États des princes engagés au loin dans les croisades. La France
ne fut à la tête des ennemis de l'islamisme en Orient qu'aussi long-
temps que l'Empire fut en état d'opposer une digue redoutable à
son ardeur conquérante en Europe; mais plus tard, lorsque l'affai-
blissement du pouvoir impérial lui permit de réaliser ses continuels
projets de conquête, la France n'exploita que trop souvent dans sou
propre intérêt les malheurs que le Croissant faisait subir à la chré-
tienté. L'Empire une fois déchu de son ancienne splendeur, les peuples
chrétiens virent se paralyser peu à peu les efforts qu'ils avaient tentée
pour maintenir leur position en Orient ',
Ce ne fut qu'après la prise de Constantinople par les Turcs (1453)
et lorsque avec l'empire byzantin eut été renversé le plus redoutable
boulevard de la chrétienté, que les nations européennes comprirent
le rôle qu'avait joué la puissance impériale dans la politique générale
de l'Europe. Tandis que le sultan Mahomet, « dominateur des deux
mers, maître de deux parties du monde ', mettait en question l'exis-
tence même de la civilisation européenne, l'Empereur, ' protec-
teur-né 'î de la chrétienté contre l'ennemi commun de la foi, voyait
son pouvoir tellement affaibli, qu'eùt-il eu plus de courage et d'énergie
que Frédéric III, il lui eût été impossible d'opposer une longue
résistance aux assauts furieux des Turcs. Avec l'Empire, la pierre
angulaire sur laquelle reposait la société était brisée; les souverains
européens, divisés d'intérêts, ne songeaient plus qu'à se combattre les
uns les autres, et les efforts héroïques tentés par Nicolas V, Calixte III
et Pie II pour délivrer l'Europe du joug humiliant des Turcs, restèrent
sans aucun effet. « Nous avons laissé prendre Constantinople -, disait
douloureusement Pie II, " et les armes des Barbares pénètrent
jusqu'au Danube et à la Save. Pour un léger prétexte nous guer-
• Yoy. FiCKEU, A'aiserthiim, p. 77-79.
flONOlTÊTKS 1M:S TUIUIS I) i: P U I S 1183. 'iSO
royons les uns conln; les autres; mais nous laissons les Turcs dominer
«'( j<;oiiverncr en mail res absolus. Les chréfieiis prennent les armes
contre cux-mcMiics et livrent de sanglantes batailles; mais eonlre les
Turcs, qui blasphèment notre Dieu, détruisent nos églises et veulent
;im''ari(ir jusqu'au nom cliréfiiMi, personne ne songe à lever la main.
On (li! <iue les l'ails sont accomplis, qu'il n'y a plus à les changer, que
désormais nous ain-ons le repos; comme si l'on en pouvait attendre
d'un peuple (lui a soi! de noire sang, et qui, après avoir asservi la
(;rcce, a déjà mis l'épéc au cœur de la Hon{;ric! Comme si l'on pouvait
se flatter d'obtenir quelque répit d'un adversaire tel que Mahomet!
[»énoncez enfin à cette espérance ! Mahomet ne déposera les armes que
lorsqu'il verra son complet triomphe assuré. Chacune de ses victoires
lui sert de degré pour parvenir à une autre conquête; il ne sera
salisfait ([u'après avoir vaincu tous les rois de l'Occident, renversé
l'Évangile, et imposé au monde entier la loi de son faux prophète. »
En 11.")<S, la Serbie devient province tunjue; en 1460, lePéloponèse
est soumis; en 1461, l'empire de Trébizonde prend fîn; eu 1463, la
Bosnie et l'Esclavonie tombent au pouvoir des musulmans, qui rem-
portent une vicloire importante sur les Vénitiens. A ce moment.
Pie II, animé d'un saint zèle, recommence à prêcher la croisade;
malade, affaibli par l'âge, il déclare néanmoins que son intention est
de se mettre en personne à la tête des croisés. « Tous les ans, dit-il,
les Turcs dévastent quelque pays chrétien. Est-ce donc à nous
de supplier les souverains de venir en aide à nos enfants opprimés
et de chasser l'ennemi de nos frontières? Cependant nous l'avons fait
bien souvent, mais toujours inutilement. En vain nous leur avons
crié : Allez! peut-être <[ue le cri de : Venez! aura plus de pouvoir sur
leurs esprits.. le vous déclare donc que je suis résolu à marcher contre
les Turcs; je prétends encourager les princes chrétiens par mes
paroles et mes actes à suivre mon exemple. Quand ils verront leur
maître et leur père, le pape de Rome et le représentant du Christ,
vieillard malade et chancelant, entreprendre la campagne, peut-être
rougiront-ils de rester à la maison! " « Armez-vous donc enfin -,
répétait-il aux souverains, « et puisque vous n'avez pas voulu partir
sans nous, venez du moins avec nous ! Saisissez l'épée et le bouclier,
aidez-nous, ou plutôt aidez- vous vous-mêmes, et toute la chrétienté
avec vous! > « Il s'adresse à tous, il demande à chacun de se joindre
à l'expédition. " " Pense à tes proches, à tes frères dans le Christ!
Ils languissent dans les prisons turques ou sont en continuel danger
d'y être traînés. Si tu es homme, laisse-toi toucher par un sentiment
d'humanité! Viens eu aide à ceux qui sont menacés des traitements
les plus indignes! Si tu es chrétien, obéis à la loi évangélique qui
i90 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
t'ordonne d'aimer ton frère comme toi-même! Considère la détresse
des fidèles, exposés à la barbare fureur des Turcs; les fils sont arrachés
des bras de leurs pères, les enfants du giron de leurs mères; les
épouses sont déshonorées sous les yeux de leurs époux; les jeunes
gens sont attelés aux charrues comme des bètes de somme. Aie pitié
de tes frères, ou si tu n'as pitié d'eux, aie du moins compassion de
toi-même! Souges-y bien, si tu ne défends la cause des peuples
qui sont plus proches que toi de l'ennemi, un sort semblable au leur
te menace, et ceux qui sont derrière toi t'abandonneront à leur tour.
Vous, Allemands, (jui n'assistez pas la Hongrie, n'espérez pas que les
Français vous viennent en aide! et vous, Français, ne comptez pas sur
le secours des Espagnols si vous ne portez d'abord secours aux Alle-
mands. On se servira envers vous de la même mesure dont vous vous
serez servis pour les antres. Les empereurs de Constantinople et de
Trébizonde, le roi de Bosnie, tant d'autres princes, surpris, vaincus
les uns après les autres, sont là pour nous convaincre qu'attendre,
regarder à l'horizon, sert de peu. Après avoir conquis l'Orient, il
est clair que Mahomet n'a qu'un désir : s'emparer de l'Occident '. "
L'Europe entière fut remuée par ce cri d'appel. D'Allemagne, des
Pays-Bas, de France, les troupes affluaient; ce n'étaient, il est vrai,
que des bandes désordonnées, dont la plupart étaient sans armes et
ne disposaient d'aucune ressource; néanmoins toutes se hâtaient de
rejoindre l'expédition-. Mais l'entreprise fut dissoute par la mort du
pontife qui en avait été l'àme, et la force offensive resta à TOsma-
nisme. En 1469, les Turcs envahirent la Croatie et les pays autri-
chiens de la Carniole. Bientôt, ce fut le tour de la Carinthie (1473);
le pays fut ravagé, les villages pillés, incendiés, les champs
dévastés, les hommes égorgés. « On voyait de tous côtés des corps
en lambeaux; les haies étaient pleines d'enfants empalés; la terre
ruisselait de sang chrétien. ■> Les armées turques, envoyées par le
pacha de Bosnie, traversaient tous les ans les pays frontières de
l'Allemagne jusqu'à Salzbourg, pillant, massacrant tout sur leur
passage. En 1477, les musulmans firent irruption en Italie, et dévas-
tèrent les plaines situées entre Flsonzo, le Tagliamento et la Piave.
Déjà les puissances chrétiennes commençaient à former des alliances
avec eux, et réclamaient leur assistance contre leurs ennemis par-
ticuliers. C'est ainsi qu'en 1478, à la sollicitation du roi Ferdinand
de Naples, les troupes turques envahirent le territoire vénitien,
et que, deux ans après, les Vénitiens, brûlant de se venger de Ferdi-
nand, mirent entre les mains des mahométans tout un plan de cam-
' R.VYNALDi Annales ad ann. \i(i?,, p. 29-40.
- Deux mille hommes se rendent de Uubeck à Venise pour se joindre aux
croisés (1464). Lübechiscke Chroniken, t. II, p. 273-274
I
INVASIONS DKS T T li C S i: N A 1. 1. K M A (. N I. KT KN ITAI.IK. 491
pallie |)oiip la ronqiK'-lc du royaume de Naplcs. La flotte vénilicnne
suivi! les [yalères qui (raiisporlèrent une armée turque en Poiiille
(MSO). Des 2L',(M)() iiabilaiits qu'avait alors Olrante, 12,(M)(» furent
massacrés, les autres trainés en esciavag^e. L'archevêque, qui, la
croix à la main, exhortait la population à demeurer fidèle à la foi,
fut mis à mort. ~- .Nous ferons des esclaves de tous les chrétiens
pour la plus grande {jloire du Prophète! » disait Mahomet, il avait
solennellement juré de fouler aux pieds lîome, la capitale de l'Occi-
dent; mais sa mort (1181) et les discordes qui éclatèrent ensuite dans
sa famille mirent ohstade pour (juclque temp:^. à de nouveaux projets
de conquête. ' Toute la chrétienté serait tombée entre les mains des
Turcs, si Dieu ne l'eût secourue », dit un historien contemporain.
Pendant que l'Europe se trouvait dans un si pressant péril et qu'une
effroyable invasion tur<iuc était imminente, le pape Sixte IV exhor-
tait tous les princes chrétiens à la paix; il s'adressait tout particu-
lièrcmeut aux Kîals italiens, les suppliant de faire ces.-er leurs divi-
sions. Afin de donner lui-même l'exemple, il se réconcilia avec les
Florentins, et les vaisseaux du Saint-Siège aidèrent à la reprise
d'Otrante. Mais sous ses successeurs. Innocent YIII et Alexandre VI,
la chrétienté, dans sa résistance aux ennemis de la foi, reçut peu de
secours du Siéfje apostolique, car la politique étroite et égoïste qui
régnait en Italie, la soif de plaisir, la corruption des mœurs, avaient
malheureusement pénétré jusque dans la cour de Rome*.
Pendant les dix dei'nières années du règne de Frédéric III, l'Alle-
magne ne cessa d'être exposée à des périls toujours croi-ssants du
côté des Turcs. Cinq fois les musulmans pénétrèrent en Styrie, six
fois en Cariuthie, sept fois dans la Carniole; l'année même où Fré-
déric mourut, ils envahirent de nouveau la Styrie et la Carniole, et
emmenèrent dix mille chrétiens en esclavage.
Telle est la situation déplorable où se trouvait TAllemagne à l'avé-
nement de Maximilien ^^
L'Orient et l'Occident ne lui donnaient que trop lieu de craindre
que si le royaume ne se décidait enfin à une mâle résistance, la
maison d'Autriche, et plus tard la Bavière et les principautés qui y
touchent, ne fussent à jamais perdues pour l'Empire et ne devinssent
françaises ou turques -.
' Après avoir rapporté les malheurs que les Turcs ont fait subir à la chrétienté,
le chroniqueur Paul I.ang ajoute : -^ Tot ergo tantaque. immo multo plura. quam
quisquam calamo exprimere possit, christiauae reipublicae detrinienta et incom-
moda solum patimur puntificura, regum principumque nostrorum negligentia
et discordia. ^ Voy. encore d'autres passages des chroniques, dans Mlllfr, Heich-
tlagthealcr unter Maximilian, t. I. p. 206-208. — Br.WT, Xarrenschijf\ § 99.
- Adresse de Maximilien aux étals, 23 mai H96, dans Mlller, Reichsiagiheater,
t. n, p. 17.
492 EMPIRE ROMAIN OE RM ANI O IIE, SITUATION EXTÉRIEURE.
MAMMILIEN 1°'.
Maximilien est i'iui des souverains les plus populaires de l'his-
toire d'Allemagne. Les hauts faits du ^ dernier des chevaliers », ses
merveilleuses aventures, soit au milieu du tumulte des batailles, soit
dans les tournois ou bien dans ces chasses périlleuses où il pour-
suivait Tours et le sanglier, vivent encore dans la mémoire popu-
laire. " Partout où il paraissait en personne, il se faisait aimer et
respecter. • Tantôt à Worms, revêtu d'une simple armure et sans
s'être fait reconnaître, il terrasse dans un combat singulier le che-
valier français redouté de tous, puis, levant la visière de son casque,
découvre son visage de héros au milieu des acclamations enthou-
siastes du peuple; tantôt à Guinegate, après avoir conquis ses pre-
miers lauriers, généreux à la fois envers amis et ennemis, il pro-
digue lui-même ses soins aux blessés; ou bien à Augsbourg, pen-
dant une promeuade solitaire, rencontrant dans un chemin creux
un mendiant subitement atteint d'un mal mortel, il descend de cheval,
tend un cordial au malade, dépouille son manteau royal pour en
couvrir le malheureux que la fièvre fait trembler; puis se hâtant vers
la ville, s'empresse d'y chercher un prêtre, qui puisse donner au
mourant les consolations de la religion.
Dans la chambre de l'Empereur, au château royal d'Inspruck, on
a trouvé ces lignes tracées sur la muraille :
Moi, roi par la grâce de Dieu, si je porte la noble couronne,
C'est pour épargner le pauvre,
C'est pour être équitable envers lui
Aussi bien qu'envers le riche,
Afin que nous puissions tous vivre éternellement ensemble
Dans la joie du paradis ' !
.Maximilien n'avait qu'à se montrer pour plaire, pour attirer. Sa
fière attitude, sa démarche ferme et assurée, la noblesse et la dignité
de tous ses mouvements, l'expression de sereine bienveillance de son
visage, la gaieté inaltérable de son âme pure, ses paroles qui
gagnaient les cœurs, et dès la première entrevue réconciliaient sou-
vent les esprits les plus prévenus, tout charmait, tout séduisait en
lui. Le Jour oîi il alla recevoir à Gand Marie de Bourgogne, son
épouse, il fit son entrée dans la ville monté sur un grand cheval bai
dominant tous les autres; il était revêtu d'une étincelante armure
' Gespräch der Vögel, communiqué par Chmei., .-In-hir. für (lie Kunde Österreich.
Geschischlsquellen, t. I, p. 153-15G.
MAXIMIMEN I". 493
rrarj;on(; sa t(^(c clail niie; sos riches boucles blondes claienl: rele-
iiiies par une couronne de perles et de pierres pré<"ieuses. Lu lémoiu
de cette scène ne peut s'empt^chci* de s'écrier a|)r{'s l'avoir décrite:
Ouelle apparition merveilleuse! Maximilieu est si brillant de jeu-
nesse, si beau dans sa virililé, si rayonnant de ])onlieur, (jue je ne
sais ce que je dois admirer davantajye, ou sa jeunesse en fleur, ou sa
vaillance, ou son heureux destin! 11 est impossible de ne pas aimer
ce brillanl clievalier ' ! » un l'aimait en elTet, soit qu'on le rencontnU
en simple habit de chasse, le chapeau aux bords retroussés sur la tétc,
portant les éperons de fer, l'arbalète et le cor de chasse d'un simple
écuyer, chevauchant parmi les hautes montagnes et les ravins rocail-
leux du Tyrol, et conversant familièrement avec le paysan abordé sur
la route; soit que dans les plaisirs de la cour, à Ulm ou à Francfort,
on l'entendit causer gaiement avec les bourgeois ou les jeunes filles,
ne trouvant pas mauvais que les nobles dames, averties de son pro-
chain départ, cachassent ses bottes et ses éperons, pour le voir demeu-
rer encore, et, le lendemain, ouvrir la danse avec la reine delà fête.
Maximilieu sentait en lui l'ardent désir de mettre sa force et sa vie
au service d'une ère jeune et nouvelle. Son rêve était d'encourager et
de faire progresser les plus nobles efforts de rintelligence, en respec-
lant tout ce que le passé avait eu de bon, en l'affermissant encore,
mais en écartant ce qui était devenu suranné. Sa curiosité pour les
connaissances humaines se portait sur tous les points; il s'appliquait
aussi volontiers à fondre et à aléser des canons ou à fabriquer des
harnais, qu'à l'histoire, aux mathématiques, ou à l'étude des langues -.
H passait à la fois pour le prince de la chrétienté le plus habile au
métier des armes et pour le polyglotte le plus remarquable. Outre
l'allemand et le flamand, il parlait avec aisance le latin, le français,
le wallon, l'italien, l'anglais et l'espagnol. Son esprit plein de feu,
d'élan et d'entreprise, héritage de sa mère qui était une princesse
portugaise, était dans une continuelle activité, et de bonne heure il
avait appris à l'école de l'expérience à observer les hommes et à
connaître les revirements de la vie. « Celui-là seul compatit à la
misère du peuple qui l'a lui-même expérimentée », disait-il un jour
au duc de Saxe. Il pouvait en effet se souvenir qu'étant encore ado-
lescent, lors du siège et du bombardement du château impérial par
les Viennois, il avait tristement erré dans les communs du château,
implorant un petit morceau de pain de la compassion des serviteurs.
Aucune contrariété ne pouvait lui faire perdre sa fermeté, son empire
sur lui-même, et lorsque ses projets étaient anéantis, il avait coutume
' Lettre du chambellan Guillaame de Ilovei-de, 23 août 1477.
^ TkithÈme, De vcra sludiorumj-alioiie, p. 7.
494 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
de s'en consoler eu disant : <- Dieu nous aidera ! Les choses pouvaient
encore plus mal tourner! » On rangeait dès lors parmi les qualités
particulières aux souverains de la maison de Habsbourg, la sérénité,
la confiance en Dieu dans les revers : « Grand péril, grand honneur -,
semblait être leur devise '.
« Maximilien ", dit un adversaire de la maison de Habsbourg, " est
un prince craignant Dieu, sage, prudent, et pour ce qui le louche
personnellement, pacifique, débonnaire et indulgent*. •^ « Le prince
est excellent capitaine ", rapporte Machiavel; « il supporte les plus
rudes fatigues comme le soldat le plus endurci; il est intrépide dans
le danger, et maintient en sou royaume une stricte justice. Ouand
il donne audience, il est complaisant, affable, et possède beaucoup
d'autres qualités d'un excellent prince. >; Ses plus grands défauts, selon
Machiavel, étaient une prodigalité excessive, l'irrésolution dans les des-
seins, et trop de confiance dans les hommes. " Ceux qui l'entourent le
trompent aisément, à cause de son naturel trop débonnaire. Ouelqu'un
de ses intimes m'a assuré que tout homme pourrait jouer l'Empereur
avant qu'il y eût pris garde ^ ' L'ambassadeur florentin François
Vettori reproche aussi à Maximilien sa « libéralité excessive -. " Au
' TrithÈME, De vcra studiorum ralioni\ p. 7.
* Anshelm, t. V, p. 37t.
^ Opcre, IV, p. 106-1C8, 174. Le piipc Jules II reproche aussi à l'Empereur
son manque de persévérance et sa prodigalité. Voy. Höfli:«, Carl's l' Wahl zum.
römischen Könige, p. 8, note 2. — Les amis personnels de Maximilien constatent
eux-mêmes qu'il était ' mauvais trésorier et mauvais maitre de maison ".
Lorsqu'il avait de l'argent, il le dépensait à pleines mains, à temps et à contre-
temps, et pensait que c'était là se montrer royal et magnifique; mais pour ses
besoins personnels il n'était rien moins que dépensier et prodigue. Dan; les
appartements disposés pour son usage, soit dans les châteaux, soit dans les
palais justiciers, il ne voulait pour lui qu'une chambre et un cabinet. Il se
tenait dans la chambre, y recevait, y travaillait, et son lit était placé dans le
cabinet. Au château de Runkelstein, près de Botzen, on a retrouvé un inven-
taire datant de 1493 et consignant les « escabeaux du très-gracieux seigneur,
sa table à écrire à serrure; dans la chambre â coucher, un lit avec un dais, un
autre sans dais, tous deux pourvus de marchepieds; un grand coffre en bois;
un bahut à serrure et un petit or,'juc ». Voilà en quoi consistait tout le
luxe de la chambre impériale. Le château de Méran n'était pas plus splendi-
dement meublé. D'après un inventaire fait en 1ÖI8, il ne se trouvait dans la
chambre impériale, outre un poêle et deux panneaux armoriés, qu'une table et
une peliic crédence placée contre la muraille, près du poêle, deux tables
de bois ornées d'incrustations, un coffre de marqueterie, un lit surmonlé d'un
dais, un coffre à vêtements en bois travaille. Quant au lit impérial, il
était garni de deux sacs de paille, de deux lits de plume recouverts de futaine
blanche, d'une belle couverture de soie brodée doublée de futaine, et d'une
couverture en soie piquée; de plus, un matelas de futaine, un second matelas
et quatre coussins. Une des murailles de la chambre était tendue de drap de
couleur,« peint à la façon indienne »,oii était représentée l'histoire de Pharaon.
Les demoiselles de la cour devaient aussi se contenter d'un ameublement très-
simple. Dans leurs chambres à coucher il n'y avait point d'autres meubles
que des lits, des taijourcts et des coffres. Mais le château renfermait des œuvres
d'art dignes du goitt d'artiste de l'Empereur. Les quaire panneaux armoriés
MAX'IMILII-N 1". Î95
rcsh; r, ;iiontc-t-i!, « on ne saurait nier (in'il ne soit circonspect et
prudent. Il ])ossù(le à loiul l'arl fie la (jnerre, il est très-liabile, plein
d'expérience el infatigable. Ancnn de ses prédécesseurs, depuis
cent ans, n'a inspiré à la nation nnc pareille confiance. Mais sa
;',rande bonté, ses sentiments d'iuunanilé, le rendent parfois trop
crédule et trop accommodant *. »
C'est surtout dans ses rapports avec les princes allemands que
Maximilien mérite ce reproche. Il ajoutait trop aisément foi à leur
parole, 'c L'Emj)ercur avait le grand fort », dit Jean Cochl.TUS, « de
se rcjjoser toujours, malgré d'innombrables déceptions, sur les pro-
messes de subsides et de renforts que lui faisaient les princes et
les États pendant les diètes qu'il convoquait si fréquemment. Comme
^ il eiU déjà tenu ces secours entre ses mains, il prenait des mesures
juématurées. Or les princes, uniquement dominés par l'intérêt per-
^(Minel, étaient généreux en protestations, en promesses; mais une
lois revenus des assemblées, ou bien ils ne tenaient point parole,
ou bien ne fournissaient qu'un secours dérisoire, et cela jamais au
l)i)n moment. Delà, pour l'Empereur, des mortifications et des diffî-
( iiltés sans nombre. An milieu d'une entreprise trop tôt commencée,
il lui fallait s'arrêter, parce que les moyens lui faisaient défaut pour
la continuer. Alors amis et adversaires, ignorants du véritable état
lies choses, avaient beau jeu pour dire et répéter : Voyez comme
i Kmpereur a peu de suite dans ses desseins! Le lamentable état
lia royaume ne lui a que trop souvent coûté des larmes, car il voulait
(le toute son àme le bien de son peuple et la gloire de l'Empire. -^
Sur ce point, les écrivains contemporains lui rendent unanimement
justice. Tous s'accordent à dire que Maximilien av.iit vraiment
'; l'ûme allemande y; tous vantent son zèle généreux, toujours prêt
à se sacrifier pour le bien public; tous célèbrent les services qu'il a
rendus à l'Empire et à la patrie -. Fidèle à sa devise : « Mon honneur
est l'honneur de l'Allemagne, et l honneur de l'Allemagne est mon
honneur -, il se dévouait avec la plus entière abnégation ans intérêts
de tous.
L'Empire était déchiré à l'intérieur, impuissant au dehors. Les
dans le parloir et dans la cliainbre appartieuncnt incontestabienienl par leur
composition ariislique, la ricbcsse cl léléganco de leur forme, aussi bien que
par l'exécution et le fini des délaiis, aux plus parfaits chefs-d'œuvre de l'époque.
Dans la fenêtre en saillie, se trouvaient des tableaux atmosphériques recou-
verisde î^resques, qui peuvent être rangés parmi les plus remarquai les œuvres
d'art de ce iemps. — Voyez les intéressants travaux de Schönherr , Das
Schloss lîunhrifsiein bei Bollen mil einem Inventar des Schlosses von 149.3 (Innspriick,
1874', p. 22-24, 52, et Die iille Landesfiiisllichc Hurg von Mcrtni, p. 9-23, 26-44
(Méran, 187j1.
' Mémoire de V'etlori, dans les Lcfjaiions de Macuiwel, t. VI, p. 137.
* Lettre du 9 février 1519 adressée à Pierre dAiifsess.
496 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
efforts constants de Maximilien tendirent à diriger les forces vives
de la nation, plus que jamais en ébuUition et menaçant de s'user sté-
rilement dans de mesquines guerres privées ou de brutales émeutes,
vers les plus nobles buts patriotiques. Il rêvait de ressusciter, puis
d'affermir dans la nation le sentiment de la cohésion des peuples,
Tunion féconde de tous. Sentant combien peu l'état des af foires
publiques satisfaisait les exigences croissantes du pays, il se propo-
sait de créer pour l'administration de la justice et pour le gouver-
nement intérieur des organes plus parfaits. Mais, dans la pensée
du Roi, les réformes intérieures devaient céder le pas aux ques-
tions extérieures. Il fallait avant tout rétablir au dehors l'autorité
et la grandeur du Saint-Empire. Les possessions allemandes devaient
être protégées; il fallait reconquérir en Italie la prépondérance
autrefois possédée, et qui seule était capable de rendre à la patrie
l'influence qu'elle avait perdue dans la politique générale de
l'Europe. Victorieux, plus puissant désormais qu'aucun de ses prédé-
cesseurs, Maximilien, d'une main énergique et sûre, rétablirait
alors la justice et la paix, et, après avoir reçu du Pape la couronne
impériale, tournerait contre les Turcs la valeur éprouvée de son
peuple. Car Maximilien se représentait encore la dignité suprême
d'empereur selon l'idéal du passé; comme ses prédécesseurs, il
entendait être le gardien, le tuteur de l'Église, la pierre angulaire
et le principe de tout droit sur la terre, et diriger les armes de
l'Occident contre l'ennemi de la foi lui paraissait le premier, le plus
élevé de ses devoirs.
Les esprit-s les plus pénétrants, les plus nobles, partageaient les
généreux désirs du Uoi. Tous les vrais amis de la patrie étaient per-
suadés que la force de la nation était u inséparable de la puissance
de la royauté " ; que seul le pouvoir monarchique, réta])li dans sou
premier état, assurerait dans le royaume la paix et la justice; mais
que desactions d'éclat, relevant la gloire impériale à rextérieur,étaient
seules capables de mettre obstacle à l'oligarchie des princes. Les
grands esprits alors à la tête du mouvement de la pensée disaient,
dans la chaleur de leur orgueil patriotique, que la nation ^ la plus
riche, la plus exercée au métier des armes de toute la chrétienté ■>,
que l'Allemagne, qui avait fait tant de découvertes, gagné tant de
batailles intellectuelles, produit dans toutes les branches de la
science et de l'art des œuvres si magnifiques, ne devait céder le pas
à aucun autre pays, parce qu'elle était appelée à rester à la tête de
tous. Des hommes comme Wimplicling, Sébastien Brant, Nauclerus
et Pirkheimer célébraient en mâles et patriotiques accents l'antique
grandeur de l'Empire, et saluaient dans Maximilien le gardien de
l'unité allemande, le restaurateur de l'Empire chrétien germanique,
MAXIMILIKN r'. 497
le souverain qui assurerait enfin le triomphe du christianisme en
Orient et en Occident. « Vois, disait Sébastien Brant,
" Vois! les rênes du monde sont remises à tes mains, ô roi! Tous les
habitants de la terre te doivent obéissance! La chrétienté va grandir sous
ton règne, seigneur! Maintenant donc, Songe à agrandir l'Empire, comme
ton titre même t'y oblige. Oui, je le sais, tu le feras! Le courage vail-
lant qui est né avec toi empêchera que jamais la force de la volonté
s'assoupisse en ton Ame. On lit dans les traits une résolution mAle; ils-
révèlent une Ame haute, un esprit noble et chrétien ! L'espérance que nous
avons conçue lorsque autrefois je saluais en toi le restaurateur de l'Em-
pire, ne nous trompera point! Tu prends en ce moment possession des
armes impériales, revêts en même temps le courage d'un empereur!
Puisse notre ennemi s'apercevoir bientôt que le Dominateur céleste t'a
lui-même contié son redoutable glaive ' ! >
Le rôle effacé que jouait T Allemagne dans la politique européenne
attristait d'autant plus les bons citoyens que les lansquenets et les
Suisses, qui auraient dû soutenir l'Empire, donnaient leur sang à la
plupart des guerres entreprises par l'étranger ^ ;' Que ne pourrait
l'Allemagne -, .s'écriaient-ils, c si elle voulait mettre à profit ses
propres forces! Aucun peuple du monde ne pourrait lui résister! »
Beaucoup, entraînés par leur enthousiasme, supposaient aux princes
un désintéressement patriotique bien au-dessus de leurs vues particu-
lières, et se proposaient sérieusement de faire à Maximilien la remise
de leur pouvoir : - Puisqu'ils ne veulent rien entreprendre pour le
bien de l'Empire », disait Coccinius, « puisqu'ils ne sont d'aucun
secours à l'Empereur, ils devraient abdiquer leur autorité en sa
faveur. '' ^^ Autrefois -, ajoutaient-ils, u lorsque les péages, les droits
régaliens appartenaient encore exclusivement aux empereurs, ils
étaient en état de mettre sur pied de puissantes armées. Si plus tard
rinsouciance ou la trop facile bonté des souverains allemands (de
Charles IV en particulier) leur a fait abandonner beaucoup de leurs
droits, il ne s'ensuit pas que les princes soient autorisés à s'en servir
selun leur bon plaisir. Donc, si, comme nous le voyons en ce moment,
' Gœdecke, p. 17.
*A cette époque, on voit les troupes auxiliaires allemandes exercer une
action décisive dans toutes les guerres européennes; les soldats auxquels se
confie VVassilievvitch lorsqu il conduit ses Moscovites combattre les Polonais,
ceux qui soumettent la Suéde à l'inion, étaient Allemands, aussi bien que les
soldats qui, dans la cause des York, périssent à l'endroit même où ils avaient
attendu la bataille, et ceux qui, lors de la conquête de la Bretagne par les
Français, rendent quelque temps le succès incertain. Les défenseurs et les
vainqueurs de Naples, les dominateurs des Hongrois, aussi longtemps qu'ils le
Toulurent, ceux qui les sauvèrent tandis qu'ils s'en retournaient chez eux
chargés de butin, étaient tous Allemands. IIaNKE, Gesch. der romanischen und
germanischen Völker, 2' éd. (Leipzig, 1874), p. 74.
32
498 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
ils en usent de façon à faire un sensible tort à l'Empire, ces droits
peuvent légalement leur être retirés. Qu'ils les rendent à Maximilicn,
ou plutôt qu'ils lui disent : Tout ce que nous possédons t'appartient!
Fais-en tel usa!}e qu'il te plaira! Nous te reconnaissons pour notre
empereur, notre maitre légitime et héréditaire, et nous étendons
notre serment d'hommage à ta postérité mâle M = " Si les chefs de
l'Empire refusent à l'Empereur leur fidèle obéissance », dit l'auteur
de la Race ivelche, " le schisme et l'hérésie lèveront la tète, et
l'Allemagne périra. On ne peut espérer la cessation des désordres et
des discordes intérieures que si toute l'autorité se concentre en un
seul pouvoir, et si les droits et l'honneur du Saint-Empire sont sau-
vegardés à l'extérieur'. »
DIÈTE DE W0R3IS.
1495.
Dans le dessein de revendiquer les droits de l'Empire sur les pays
italiens et d'y détruire l'influence française devenue toujours plus
puissante depuis la conquête du royaume de Naples, Maximilien con-
voqua les états à Worms (1495). " Il représenta à l'assemblée que
si l'on continuait à tolérer en Italie les entreprises de la France, si l'on
n'opposait aucune résistance à son ambition, la liberté de l'Église
romaine serait menacée, la nation allemande dépossédée de la dignité
impériale, et la puissance germanique anéantie. ' ■ Le roi de France '-,
dit-il, ' est sur le point de s'emparer du duché de Milan, fief impérial,
et chacun peut mesurer la grandeur du péril que courrait l'Alle-
magne, si la France, renversant les remparts avancés du Saint-
Empire, venait à s'avancer jusqu'à nos frontières. Il vaut bien mieux
combattre ce dangereux voisin ä l'étranger que de l'atlendrc à nos
portes. L'honneur du Saint-Empire ne nous permet pas de livrer à
l'ennemi, sans même avoir tenté de le secourir, le duc de Milan,
prince d'Empire ^ > Pour conjurer un pareil danger, l'Empereur
réclamait des secours d'argent dans un délai assez rapproché, et ces
secours, il les demandait pendant une douzaine d'années consécutives.
A ses yeux, cette mesure élait indispensable à la sécurité de l'avenir.
Mais les étals, influencés par les juristes romains, ne se souciaient
guère de l'honneur de Saint-Empire. De même qu'ils avaient considéré
sans s'émouvoir les assauts meurtriers des Turcs, ils ne voulaient
1 De bcilo Maximiliani cum Vendis, Freuer, Scriptl., t. Il, p. 564-565.
^ Voy. ll'ehchgatlung, p. 33 a, 34 b, et la Préface, p. 6 et 7.
^ Voy. les propositioas royales dans Muller, t. I, p. 204-205, 314-315. — Voy.
dans les archives de Lucerne, aux articles Deutsches Reich, Kirchensachen.
J'UOJET DE CONSTITUTION PUOI'OSf-: PAR LES ÉTATS. 499
a|)ercevoir aucun péril poiir rAlicma^ne dans les envaliissements
îranrais, et ne se moniraieii! s(;nsil)les (|ii';i la crainte de devoir obéir
a l'Knipereur dans le cas oii celui-ci serait mis eu possession d'une
puissance plus {jrande '. D'ailleurs, leur dessein bien arrêté était de
profiter de la détresse de Maximilien pour le dépouiller de toute
autorité, et fonder consfilutionnellcnicnt roIi{;archie princière. Aussi
répondirent-ils qu'on ne pouvait sou^^er â voter des secours pour une
;;uerre étrangère tant qu'il n'aurait pas été pourvu à la rélorme de
la constitution; que, dans ce but, l'Empereur devait non-seulement
confier la suprême autorité de la justice â une cour souveraine, élue
par les états, mais encore abandonner la direction générale de
l'Empire à un conseil d'État. Ce conseil serait composé de dix-sept
membres; le président seul serait nommé par le Hoi; quatorze
conseillers devaient être choisis par les électeurs et les princes,
deux par les délégués des villes. Le conseil aurait mission d'exa-
miner attentivement toutes les questions intéressant l'Empire,
d'étudier les pressantes nécessités du moment, d'édicterdes ordon-
nances, de maintenir la paix publique, de veiller à la restitu-
tion des pays enlevés à l'Empire, enfin de diriger les forces de la
nation contre les ennemis du dehors. Tous les revenus du royaume,
laxes, bénéfices, secours votés par le pays et destinés à couvrir
les frais nécessités par les besoins publics, lui seraient remis. Le
ionseil serait tenu de demander l'assentiment du Hoi et des élec-
teurs dans les cas extraordinaires et graves, mais dans toutes les
autres questions il était affranchi du serment d'obéissance envers
l'Empereur et les princes, et n'avait à se préoccuper que de ses
devoirs immédiats. Seuls, les princes électeurs pourraient exercer
:^ur lui une sorte de droit de surveillance. L'un d'eux assisterait tou-
jours aux séances, et chaque année les électeurs se réuniraient au
conseil d'État pour expédier conjointement avec lui les plus impor-
tantes affaires.
Maximilien sentait bien qu'accepter ce projet, proposé par le> états
à l'instigation de l'archevêque de Mayence, Berthold de Henne-
berg, c'était se démettre de toute autorité, et consentir à avoir
désormais moins d'influence et de considération que le président
d'un conseil de ville. L'arrogance des princes alla si loin que
pendant la diète de Worms ils refusèrent d'admettre le Roi à
leurs délibérations; procédé dont Maximilien se plaignit plus tard
' GuiccARDiM [htoria d'Italit, t. VII, p. 385, caractérise très-bien cet etat de
choses dans les lignes suivantes : « Non essende in tanta considerazione {jli
interessi publici, ciie, corne il più délie volte accade, non fussero superati da
gl' interessi privati, perchè-era desiderio inveterato in lutta Germania, che la
grandezza de;;li imperatori non fusse taie, che gfaltri fussero costretti ad
obedirlo. • Voy. Jager, p. 211.
32.
500 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
amèrement, disant que pendant les discussions de la diète il avait dû
rester ^ derrière la porte, bien qu'on n'eut jamais entendu dire que
le bourgmestre d'une simple commune ait jamais été exposé à un
traitement semblable M »
Le Roi refusa d'établir le conseil d'État; mais il se montra facile
et bienveillant pour toutes les réformes intérieures qui lui furent
soumises. Toujours il les avait eues à cœur; dès 1491, alors que son
père vivait encore, il avait exprimé le désir de voir s'ouvrir à Franc-
fort des délibérations pour l'établissement perpétuel de la paix
publique, alors limitée à dix ans seulement; il avait également insisté
sur l'extension à tout l'Empire de l'union souabe, seule capable, à
son avis, d'opérer la fusion entre toutes les parties de la nation, et
qu'il désirait voir se transformer en Union générale-. Dans les lettres
circulaires appelant les états à la diète de Worms, il avait promis de
« reorganiser le droit :>; et la loi proposée " touchant la justice et
la paix " lui parut d'une importance si capitale qu'au rapport de
ses conseillers, il l'étudia un jour depuis huit heures du matin jusqu'à
huit heures du soir, ne se donnant d'autre répit que le temps néces-
saire à ses repas '. La paix perpétuelle qu'il proclama à Worms
ôta pour jamais aux guerres privées le caractère d'institution légale
qui leur avait été concédé jusque-là, et Maxirailien voulut qu'elle fiU
promulguée dans tout l'Empire.
Toute distinction entre la guerre privée permise ou défendue
était abolie par cette ordonnance. Tout emploi ultérieur du " droit
du poing " ou de guerre privée allait être désormais considéré
comme une rupture de la paix perpétuelle. Défense était faite à
tout individu, quel que fût son rang, sa dignité, et fût-il prince
souverain, de combattre, de dépouiller ou d'assiéger un adversaire.
Défense était également faite à tous de s'emparer désormais par la
force d'un château, d'un bourg, d'une métairie ou d'un hameau; d'y
causer quelque dommage, soit par l'inceudie, soit autrement, et de
fournir à ceux qui contreviendraient à la loi des secours ou des con-
seils. — Le sujet devait même refuser d'aider son suzerain, si celui-ci
lui demandait son assistance pour quelque entreprise pouvant
menacer la paix publique
Cette trêve définitive par laquelle le " dernier des chevaliers »
donnait lui-même congé à la chevalerie du moyen âge, fut un grand
et heureux événement pour l'Allemagne. Les ligues formées pour la
' Instructions de Maximilien à son conseiller Ernest de Weiden, 1497. höfler,
Reformhcwegung , p. 45.
- Voy. la lettre du marj^rave Frédéric de Rrandebourg au margrave Jean,
20 juillet 1491. IIöfleu, Fninkische Studien, t. Vil, p. 118-120.
^ Voy. Müller, Reichstajsthenter, t- I, p. 393.
REFORMES DE WORMS. 501
:>(;curilé particulière de quelques pays, l'ancienne forme confédéra-
liscdc l'union souahc, d'aulrcs associations analogues et d'anciennes
iiicsures dcsécuriu'; publi(iuc, se trouvèrent ainsi Iranslorniécs en loi
(i Ktat'. Exactement obéie, cette ordonnance eût rétabli l'ordre et
la tranquillité dans la nation.
Mais le maintien de la p<Tix publique ne pouvait être espéré qu'à
la condition qu'une cour suprême, solidement instituée, serait mise
Cl) état de redresser les violations faites au droit, soit lorsque les
princes souverains auraient des diliérends les uns avec les autres,
soit lorsque les particuliers se verraient contraints de recourir à la
justice ou seraient lésés dans leurs droits, parles volontés arbitraires
des princes. Maximilien s'occupa activement de l'érection de celte
( {)ur suprême, connue sous le nom de Chambre impériale, renon-
çant au suprême pouvoir juridique que ses prédécesseurs avaient
exercé jusque-là, et qui avait toujours été considéré comme un des
attributs essentiels de leur puissance. 11 consentit à ce que le tri-
bunal souverain ne suivit plus la cour royale, mais eut son siège per-
manent à Francfort-sur-le-Meiu. 11 abandonna aux états le choix des
magistrats appelés à le composer, ne se réservant que l'élection du
■;raud justicier, ou président, qui devait en être ie chef. Il autorisa ce
dernier à prononcer en son nom la sentence du ban, et renonça
même au droit de prononcer l'arrière-ban. 11 fut décidé que la pro-
clamalion de cette sentence ne pourrait être faite que pendant
l'assemblée des états, rendue désormais annuelle.
Maximilien faisait toutes ces concessions dans l'espérance qu'elles
iiii seraient comptées, et que les princes lui accorderaient les secours
d'argent dont il ne pouvait se passer pour soutenir vis-à-vis de la
Trance la puissance impériale et l'honneur de l'Empire, et mettre la
iialion à l'abri des envahissements des Turcs. Cependant les secours
\;>lés ne s'élevèrent pas au delà de 250,000 florins!
11 fut décidé que ces secours seraient obtenus au moyeu d'un
impôt général, désigné sous le nom de " denier commun =), impôt
qui devait être réclamé pendant quatre ans. Tous les sujets de l'Em-
pire, sans nulle distinction de rang, devaient y être soumis. Sur
' Voy. MOSER, Patr'toiischc Phaïuaskn, t. IV, p. 150-1Ô2. On se flattait de l'espoir
de voir la paix perpétuelle ouvrir une nouvelle phase dans l'histoire de
l'ijnpire. Les vers de Sctjastien Brant, cités par Zarntke, montrent bien les vives
espérances que les décisions de la diète de Worms avaient lait concevoir aux
Ijoiis citoyens.
- En cette année quatre-vingt-quinze, à Worms, sur le Rhin, j'entends dire
qu'une assemblée si impurtante a eu lieu qu'on n'en a jamais vu une semblable
dans lEmpire. C'est celui qui porte la couronne romaine, c'est Maximilien à
qui nous devons rendre grâce! Dieu l'a tellement béni, qu'il a pu faire la paix,
et, s'il plait à Dieu, elle durera longtemps. •
Voyez aussi les vers latins cités par Zak.noke, p. 126-127.
502 EMPIRE ROMAIN- GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
mille florins de capital en propriélé mobilière ou immobilière, un
florin devait être prélevé. Cinq cents florins devaient représenter un
demi-florin d'impôt. Ceux qui possédaient moins encore devaient
donner la vingl-quatrième partie d'un florin, et tous les citoyens de
l'Empire, parvenus â l'âge de quinze ans, étaient contribuables. Les
riches devaient s'imposer eux-mêmes, et dans les cliaires, les curés
de paroisses étaient chargés de les exhorter à donner, s'il se pouvait,
plus qu'il ne leur était demandé. Le denier connnun devait être con-
sidéré comme une aumône faite par tous, pour l'amour de Dieu, au
malheur public ; aussi les agents impériaux ou fonciers u'étaient-ils
pas chargés de le récolter; cet emploi était confié aux curés de paroisse,
et sept trésoriers d'empire, nommés par les états, devaient, parles
mains de leurs commissaires, recueillir l'argent de tous côtés.
Sur cet impôt général destiné à procurer l'argent nécessaire à
l'organisaliou d'une armée d'État, ne reposait pas seulement l'espoir
de sauvegarder les droits de l'Euipire en face des nations étrangères;
on en attendait encore la possiljiiiîé de pourvoir aux réformes inté-
rieures. Aussi Maximilieu disait-il souvent que le denier commun
était la racine, l'essence même de la paix, et que sans lui les réformes
projetées à Vv^orms resteraient toujours irréalisables '.
Mais, à vrai dire, il ne fut jamais pleinement rais en vigueur.
Les chevaliers de Franconie déclarèrent au Roi que cet impôt était
une nouveauté inouïe, attentatoire à leur liberté. Les Franconiens
libres et les gentilshommes se reconnaissaient obligés, à la vérité,
d'envoyer leurs fils à la guerre lorsqu'il s'agissait de défendre la cou-
ronne impériale, mais ils ne souffriraient jamais qu'on leur imposât
des taxes. A leur tour, les chevaliers souabes se déclarèrent libres
serviteurs de l'Empire, et ne voulurent pas entendre parler d'être
rendus ^- tributaires ", et de se soumettre au « cens '^. Quelques
princes qui avaient assisté aux délibérations de Worms avouèrent
alors « qu'ils avaient bien prévu que la noblesse refuserait l'impôt,
car s'ils avaient su qu'elle y devait consentir, ils ne l'auraient certai-
nement pas votée à la diète- ;;. >< Les chevaliers s'appuient sur l'Empe-
reur et sur l'Empire quand il s'agit de résister aux princes >', disait
amèrement Maximiiien; - mais dès qu'il est question d'obéir à l'Empe-
reur, ils se retranchent derrière les princes, comme s'ils n'avaient
point d'autres maîtres '. »
La chevalerie pouvait dire, pour pallier sa résistance, qu'elle n'avait
' Voy. les explications des conseillers royaux, Mulleu, t. I, p. 151.
* Mémoire adressé par un agent du Brandebourg au margrave Frédéric, en
1496. HÖFLER, Kaiscrsliches Buch. t. XVI-XVIII.
" Sur la résistance de la noblesse à l'impôt d'Empire, voyez pour plus de
détails VON Schukc.kenstein, t. Il, p. 143-157.
DÉCEPTIONS DE MAXIMirJEN. 503
j);i.s c(é représentée dans les diètes où l'impôt avait été consenti.
Sons l(î iiK'mc prc(cxle, beaucoup de villes rclusèrcnt de le fournip,
(li>anl (]u'à Worms on ne leur avait pas accordé une rcpréseulalion
« en rapport avec leur dif,nité ». Même dans les possessions princières,
le denier commun fut payé avec beaucoup de " né{;iip,encc et de len-
teur ) ', et cependant le soin de l'appliquer aux besoins actuels
avait été entièrement remis aux princes.
Un arrêt ultérieur des étals de Worms avait en effet statué que
les impôts recueillis seraient apportés tous les ans à la diète par les
trésoriers et collecteurs impériaux, et que cette assemblée, non le
Roi, déciderait de leur emploi. Le droit de guerre ou de paix avait
aussi été donné aux étals, disposition qui portait une nouvelle et
grave atteinte aux prérof;alives royales. Sur ce point, comme pour la
question de la Chambre impériale, Maximilien cédait aux exijjenccs
des princes dans l'espoir que sa condescendance aurait pour résultat
le loyal accomplissement des promesses données.
Il fut cruellement déçu. Le 1" février 1496, lorsqu'il envoya ses
conseillers à Francfort, où, d'après ce qui avait été convenu à Worms,
une nouvelle diète devait s'ouvrir, ayant surtout pour but l'applica-
tion des impôts prélevés, ceux-ci n'y rencontrèrent qu'un très-petit
nombre de députés - ou charj^és de pouvoirs, et durent s'en retourner
sans avoir ricu conclu. « Quand il s'agit de fournir des subsides à
l'Empire '»dit Pierrede Froissard, « les princes allemands sont toujours
malades ou absolument hors d'état de venir en aide à l'Empereur'. »
DIÈTE Î)E LINDAU, DE WORMS ET DE FRIBOURG, 1196, 1197, 1498.
REVERS DE l'EMPIRE. 1499.
Dans nue lettre circulaire datée d'Augsbourg et convoquant une
nouvelle diète à Lindau (24 mai 1496), Maximilien insistait encore sur
' Voici ce que rapporte Trithème au sujet du prélèvement de l'impôt : « On
me taxa A trois florins par an; un pour moi, un pour mes religieux, un pour mes
serviteurs et servantes. La première année, les monastères du voisinage, les
clercs de Sponheim et des environs payèrent l'impôt; mais les laïques ne
donnèrent pas un seul liard. Quand les clercs le surent, les plus avisés ne
■ voulurent pas pas non plus payer l'année suivante. Ceux donc qui avaient donné
durent subir la perte, et ceux qui n'avaient rien donné du tout ne furent pas
inquiétés pour cela, car, l'année suivante, on ne réclama pas l'arriéré, et ce qui
avait été recueilli la première année ne fut nullement employé au but qu'on
s'était proposé. • Chron. Hirsaug. ad. annum 1495.
■ Circulaire de Maximilien convoquant les états 5 la diète de Lindau,
23 mai ti96. Müller, t. II, p. 17. — Voy. les manuscrits relatifs à cette ques-
tion dans la Frankfurts Reic/iscorrespondenz, t. II, p. 589-590, n"'' 784-754.
' Lettre 7.
504 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
la nécessité d'agir avec énergie. " Charles VIII ", disait-il, « est déjà
entré en campagne, et se propose non-seulement de conquérir Gênes
et le Milanais, mais de recevoir des mains du Pape cette couronne
impériale que tant d'efforts , tant de sang répandu ont acquise à la
nation allemande depuis des siècles. Charles VIII prétend soumettre
l'Italie tout entière à son obéissance. ^ Maximilien, en termes sup-
pliants, implore le secours des princes du Saint-Empire. '= Il aurait
parié un pays ", écrit-il à l'électeur Frédéric de Saxe, < que les Alle-
mands ne l'auraient pas ainsi abandonné dans le danger! » Privé des
secours de l'Empire, il s'était vu forcé d'équiper et de solder à ses frais
les troupes destinées à combattre la France : « Notre serment, notre
devoir, ce que nous avons tous promis à l'Empire nous presse de
nous imposer quelques sacrifices », disait-il. Que le prince électeur
considère son rang, qu'il songe moins à son intérêt qu'à son hon-
neur, et vienne au secours de l'Empire, soucieux enfin de sa gloire
et de sa prospérité! - Qu'il pense à l'Italie, car il faut bien le dire,
notre cause marche mal. » « A notre grande consolation, l'Italie a pu
être conservée jusqu'à ce jour; mais dans un avenir prochain, la
partie nous sera rendue plus difficile. » " Allemands, tout est entre
vos mains «, poursuivait Maximilien; « si vous réunissez vos efforts,
vous pourrez, commandés par votre roi, acquérir une telle gloire,
que l'occasion d'en obtenir une semblable peut ne pas se présenter
avant un siècle '. "
Maximilien représente ensuite aux états réunis à Lindau que, pour
la gloire et l'utilité de l'Empire, il n'a ménagé ni sa vie ni ses biens;
qu'en retour, il se voit l'objet des reproches et de la malveillance
de ses sujets, et qu'il n'est pas un cabaret de son royaume où il ne
soit tourné en dérision. Mais si les adversaires du denier commun
ont trop d'orgueil pour consentir à fournir quelques secours à l'Em-
pire, le Roi, de son côté, restera fidèle au serment qu'il a prêté;
si Dieu et la chrétienté sont trahis, du moins il n'en sera pas respon-
sable. En présence d'une telle catastrophe, Sa Majesté Royale se
recommande à Dieu. Le Seigneur fait part aux siens daus tous les
temps de sa 'grâce, de sa consolation et de sa lumière; Dieu et le
monde sont témoins que Sa Majesté était prête à offrir ses biens et
sa vie pour conjurer le malheur qui s'approche. Dans ce péril, le
Roi ne craint ni le diable, ni l'enfer; aucun revers, aucun accident
pouvant menacer Sa Majesté soit en Allemagne, soit en Italie, n'est
capable de l'intimider, « car tous les revers et les affronts qui pour-
raient l'accabler reviendraient au grand honneur du roi des Romains,
dût-il même être réduit à une telle pauvreté qu'il lui fallût aller à
' Müller, t. II, p. 174-175.
Li: s i:tats i;i: fusent L' im pot. 505
pied à Rome! » Au reste, ce qu'il avait promis à Worm«, il «'lail
décidé à l'accomplir ponctuellement, et tout serait traité selon la
volonté des éla(s, pourvu que le denier commun fût voté '.
il revenait sans cesse à ce qu'il avait dit précédemment : Sans le
secours du denier commun, l'honneur, la di{;nité, la prospérité de
l'Empire étaient perdus, et la guerre contre les infidèles devenait
impossible. Si, par la faute des états, la France réalisait le projet
qu'elle poursuivait en Italie, son pouvoir serait tellement fortifié
qu'elle envahirait les possessions héréditaires de l'Empereur, y porte-
rait la {juerre et s'en emparerait bientôt ; mais les progrès de l'ennemi
s'étendraient très-rapidement à plusieurs autres pays allemands, qui
mainîeuant se croient en pleiue sécurité. « Et alors -, continuait-il
avec douleur et menace, " il nous faudra chercher à nous entendre
avec le roi de France, pour conserver du moins nos pays héréditaires
et les pays qui en dépendent -! n
Tous ces avertissements restèrent inutiles. Cependant, à la diète de
Lindau, l'archevêque de Mayeuce, Berthold de Henneberg-, le seul
presque d'entre les princes qui eut tenu selon ses moyens ce qu'il avait
promis, reprocha aux états leur manque de générosité et de patrio-
tisme. Il leur fit comprendre que s'ils ne s'amendaient, les troubles
intérieurs iraient toujours en croissant, et qu'il leur faudrait enfin se
courber sous la rude discipline d'un maître étranger: " Du temps de
Charles IV et de Sigismond ■', leur dit-il - la souveraineté de l'Empe-
reur était encore reconnue en Italie; aujourd'hui il n'en est plus ainsi.
Le roi de Bohème est prince électeur du Saint-Empire : cependant
qu'a-t-il fait pour lui? Il en a détaché récemment la Silésie et la
Moravie ! La Prusse et la Livonie sont dans une inexprimable détresse :
mais qui donc s'en soucie? Le peu qui reste à l'Empire lui est tous
les jours arraché, et les morceaux en sont donnés à celui-ci ou à
celui-là. Pourquoi les Suisses jouissent-ils de l'estime générale? pour-
quoi sont-ils respectés des Italiens, des Français, du Saint-Père?
pourquoi sont-ils redoutés de chacun? C'est qu'ils ont su rester unis.
L'Allemagne devrait suivre un tel exemple. Les ordonnances de
Worms, destinées à conjurer la ruine de l'Empire, devraient être
prises en considération. N'en faisons point le sujet de vains bavar-
dages, mais avisons à leur prompte exécution, à l'établissement solide
de la Chambre impériale et au prélèvement du denier commun. »
Mais les représentations et les reproches de l'archevêque eurent
aussi peu de succès que les paroles royales. On était volontiers de
' Voyez la réponse royale dans Höfler, Re/ormhcwegung, p. 50-51.
- Cité par Mulleu, t. II, p. 31 .
SOG EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
son avis lorsqu'il s'agissait " de former de bonnes résolutions ou
de désigner des diètes futures pour en prendre d'analogues; mais dès
qu'il fallait en venir à l'action, aux secours à fournir, les princes
n'avaient plus d'oreilles >;. Les diètes n'ont été et ne sont fécondes
qu'en un sens, avait dit longtemps auparavant Énéas Sylvius. < Cha-
cune d'elles en porte toujours une autre dans ses entrailles '• »
Les peines de Berthold furent perdues, et ses efforts furent même
plus nuisibles qu'utiles à l'Empire, parce qu'au lieu de s'unir étroi-
tement à Maximilieu et de mettre à sa disposition, et les ressources
matérielles dont il pouvait disposer, et son influence morale, il
travaillait à l'affaiblissement du pouvoir royal, et souhaitait de
voir la puissance intérieure et extérieure remise entre les mains de
l'oligarchie.
Or il n'y avait rien à attendre de cette oligarchie, soit pour le relè-
vement de l'honneur de l'Empire, soit pour le bien public. Non-seule-
ment, à Lindau, les princes refusèrent de s'armer contre la France
(qui pendant tout ce temps travaillait avec succès à établir son hégé-
monie en Italie), mais encore ils demeurèrent absolument indifférents
aux instantes supplications que leur adressait de Livonie l'ordre
Teutonique aux abois. Walter de Plettenberg, grand maître de
l'ordre, animé du plus vaillant courage et de la persévérance la plus
admirable, défendait depuis vingt-cinq ans contre le czar ivan cette
colonie importante, celte frontière extrême de la Germanie; il avait
remporté dans ces lointaines régions les dernières victoires de la civi-
lisation européenne sur la barbarie de l'Orient. Mais les forces russes,
trop au-dessus de celles dont il pouvait disposer, lui faisaient pres-
sentir une défaite dans un avenir très- proche. Son péril était immi-
nent. Néanmoins les états ne se montraient nullenîent touchés de la
détresse de cette « Livonie si reculée >, bien que longtemps aupara-
vant Berîhoîd, avec le pénétrant coup d'oeil de son génie politique,
eût attiré leur attention sur les dangers que dès lors la Russie faisait
courir à l'Aliemague. Les états apprirent sans s'émouvoir que le Czar
avait fait jeter dans des cachots infects quarante-neuf marchands
hanséatiques, après leur avoir pris leur argent et leurs effets. Peu
leur importait que la Hanse, privée de tout secours, dût renoncera
maintenir sa position dans ces contrées lointaines. Ils l'abandon-
naient à son triste sort, laissant la Livonie sans secours, et pensant
avoir suffisamment pourvu à la dignité et à la grandeur de la patrie,
' • Fœcunda' sunt omnes disettr, qiia'libet in ventre alteram habet. • |
0pp., p. 533, ep. 72. On pouvait presque dire de chaque diète ce que Tri- »
thème rapporte de la diète de Nuremberg en 1487 : « Ubi niultis convenientibus
multa fuerunt proposita, dicta et agilata, sed praeter verba nihil seqiiebatur.
omnibus quae sua sunt quaerentibus. • Chron. Hirsaug. ad annum 1487.
LES ÉTATS REFUSENT L'IMPOT. 507
en remcllant à la prochaine diète les délibérations sur les meilleurs
moycus de s'opposer aux entreprises formidables du Moscovite. La
Livoiiie (ut perdue pour l'Empire.
A Lindau et pendant les dièfes des années suivantes, les états
traitèrent d'intérêts autrement importants. On s'y occiii)a de la
([ueslion des vins soufrés; onédicta de nouvelles lois contre le luxe,
les festins de noces trop dispendieux furent interdits. Défense fut
faite aux bouffons et bateleurs de porter désormais des chaînes d'or
et d'autres insignes honorifiques, la noblesse et les princes se trou-
vant blessés dans leur dignité par ces parodies irrespectueuses.
On discuta beaucoup les ordonnances de Worms. La Chambre
impériale, que les états regardaient comme leur création, n'avait pu
continuer à fonctionner, parce que les assesseurs qui la compo-
saient n'avaient pas reçu leurs émoluments au temps voulu. Il fut
décidé qu'ils les toucheraient dorénavant, et que l'argent nécessaire
serait fourni non par les états, mais par les Juifs de Ratisbonne,
de Nuremberg, de Worms et de Francfort. Le siège de la Chambre
impériale fut transféré à Worms, et le payement du denier com-
mun, instamment recommandé à la chevalerie et aux états. Il fut
décidé qu'un rapport exact sur ses résultats et son emploi serait pré-
senté à la diète prochaine, fixée au mois d'avril de l'année suivante,
à Worms.
Lorsque s'ouvrit cette nouvelle diète, le grand justicier de ia
Chambre impériale se présenta devant l'assemblée accompagné de
deux assesseurs. lis venaient exposer leurs griefs devant les états.
Les assesseurs, en dépit de toutes les promesses qui leur avaient
été faites, n'avaient pas même reçu le traitement de leur première
année d'exercice. S'il n'était pourvu convenablement à leur situation,
ils ne pourraient, disaient-ils, ni rester à Francfort, où ils devaient
à leurs hôteliers, ni se rendre à Worms '. De leur côté, les chargés
de pouvoir de Maximilien se plaignirent que des 250,000 florins con-
sentis parles états, l'Empereur n'en eût guère touché plus de 50,000-.
Maximilien écrivait qu'il avait sacrifié ses rentes et revenus person-
nels pour le service de l'Empire, et que faute d'argent, il ne lui était
pas même possible de venir en personne à la diète '! Berthold, le
seul grand fcudataire du royaume qui fût venu au Reichstag, fit
alors entendre des reproches amers. •< 0 chers seigneurs ■, s'écria-t-il,
« que les choses marchent lentement! Ou'il y a peu de sérieux bon
' Rapport du docteur Pleniger, 2 mai 1497, dans la Frankfurts Beichscorrespon-
dem, t. II, p. 595-5Ö6.
' Rapport des ronseillers royaux, 7 aoiït 1497, dans la Frankfurts Rcichscorrcs-
fomUnz, t. II, p. 62S, n" 5.
' Mémoire de Maximilien, du 27 juin 1497, dans la Frankfurts Reichscorrespondenz,
t. II, p. 620.
508 EMPIRE ROMAIN CERMANIOUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
vouloir, qu'il y a peu de zèle parmi vous! En vérité, grands et petits
se comportent d'une façon lamentable! Il serait cependant urgent de
mettre un peu plus d'empressement à conjurer les maux qui nous
menacent, même si nous ne voulons que conserver l'existence à
l'Empire et nous maintenir dans la situation où nous sommes!
Les choses prennent une tournure si menaçante qu'il serait grand
temps de prendre plus à cœur l'intérêt général et d'oublier nos
propres discordes! Si l'on ne se met à l'œuvre avec plus d'énergie
qu'on ne l'a fait jusqu'ici; si, tous ensemble, nous ne montrons plus
de fidélité et de zèle, craignons que bientôt quelqu'un ne s'élève, et
saisissant l'autorité d'une façon peu courtoise, ne nous fasse rude-
ment expier notre indifférence actuelle ! Oui, un étranger viendra, et
nous fera sentir à tous la dureté de sa verge de fer! Je n'aime point
nos graves délibérations, nos ordonnances scellées, nos dispositions
solennelles, dont les résultats se font si longtemps attendre, ou ne
produisent absolument rien ' ! »
Mais les '■ résultats continuèrent à se faire attendre =). Cependant
les états résolurent de faire quelque chose pour l'honneur de l'Empire.
Ils donnèrent au Roi, sur les sommes déjà recueillies, mais non payées,
qui avaient été votées en 1495 pour couvrir les frais de la guerre
contre la France et contre les Turcs, 4,000 florins comptant. Outre
cela, ils autorisèrent Maximilieu à faire lever lui-même et à s'attribuer
les sommes provenant du denier commun et recueillies dans ses pos-
sessions héréditaires, les états de son fils, l'archiduc Philippe, et ceux
du duc de .luliers-Clèves-Berg^.
L'année suivante, à l'ouverture de la diète de Fribourg, Maximilien
presse encore les états d' « agir j)lus énergiquement ■^. Il se plaint
amèrement que les secours d'argent promis à Worms en 1495 ne lui
aient pas encore été Uvrés. Il se voit, dit-il, délaissé de son peuple.
Si les Allemands continuent à l'abandonner, ils donneront ainsi à
tous les ennemis de l'Empire un encouragement qui les rendra plus
avides et plus acharnés dans leur lutte contre l'Empire. Il prévoit
trop que le denier commun ne sera pas fourni selon les promesses
qui ont été faites; pour ce qui le concerne, il est prêt à faire tout
ce qu'exige le péril du Saint-Empire, de la chrétienté et de la
nation allemande : " Mais =;, ajoute-t-il, « je ne veux plus, comme à
Worms, me lier les mains et les pieds, et me laisser accrocher à un
clou! Quelque chose qu'on puisse me dire, je dois et je veux diriger
la guerre d'Italie! Je renoncerais au serment que j'ai prêté à l'autel
' Discours de Berthold, dans Wencker, Appar. Archiv., p. 70-72. — Frankfurts
Reichscorrespondenz, t. il, p. 602-605.
- Abschied des [l'ormser Tages von 1497, in lier Neuen Sammlung der Beichsahschiede,
t. II, p. 36, § 5.
U F. V E H S I) K L' K M I' I R E . 509
le jour de mon couronnement, phifôl que rr.'ibandonner ce dessein.
.Je m'y sens obii{}é, non-seulement vis-à-vis de l'Kmpire, mais encore
â cause de la maison d'Autriche. Je vous déclare donc ici ma volonté
comme cela est de mon devoir! Plutôt que de renoncer à cette cam-
pagne, je jetterai cette couronne à terre et je la foulerai sous mes
pieds '! »
Après la mort de Charles VIII et Tavénement de Louis XII
(avril 1498), les choses prirent, en Italie, un aspect toujours plus
menaçant pour l'Empire. Louis XII joip,nit bientôt à son titre de roi
de France le titre de roi des Deux-Siciles et de duc de Milan, don-
nant ainsi clairement à entendre qu'il se proposait non-seulement de
faire valoir les prétentions des comtes d'Anjou sur Naples, mais
encore de revendiquer ceux qu'il tenait de sa grand'mère, Valentine
Visconti, sur la Lombardie. Il voulait ouvrir son règne par la con-
quête du .Milanais, et ses agents avaient ordre de dire hautement en
Italie que ce duché serait bientôt en sa puissance. Pour occuper
Maximilien d'autres intérêts, il lui avait mis sur les bras le comte
Charles Egmont de Gueldre et les confédérés suisses, les encou-
rageant par de fortes sommes d'argent à résister à l'Empereur, leur
répétant que non-seulement ses arquebusiers étaient à leur disposi-
tion, mais encore ses biens et sa vie, et qu'en retour ils devaient
venir avec un joyeux dévouement au secours du roi de France*.
Contre tant d'ennemis, de quelle utilité pouvait être à l'Empereur
les 50,000 florins votés par les états?
Les Sui.sses, malgré leur serment d'obéissance à l'Empire, fournis-
saient aux Français des troupes de mercenaires en échange de secours
d'argent. Les délégués de Lucerne, de Schwitz et de Saint-Gall avaient
assisté à la diète de Worms (1495); mais, depuis lors, les confé-
dérés avaient refusé de se soumettre aux décisions de la Chambre
impériale et rejeté l'impôt du denier commun. Dans la lutte qui
s'engagea pour les ramener à leur devoir, il s'agissait, par consé-
quent, de maintenir la Suisse dans la confédération de l'Empire et
de faire respecter les réformes nouvelles. Les états « en convenaient
parfaitement ;>, et lors de la diète de Fribourg, ils avaient décidé
« qu'il était urgent de faire rentrer dans l'obéissance les puissantes
villes de la confédération, qui portaient l'aigle impériale dans leurs
écussons '• ; mais au moment décisif, - les princes agirent dans un
' Relation des ambassadeurs de la lifjue souabe. dans Miller, t. II, p. 1G5.
Protocole du BrandeboiirjJ, dans R.vxke, Deutsche Gesch. im Zedalter der lie/orma-
tion, t. I, p. 128.
' ÄNSHELM, t. II, p. 452. Année 1499.
510 EMPIRE ROMAIN T.ERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
sens tout opposé ". " Les armées étaient déjà en présence, non ioin
de Constance, et l'action allait s'engaf^cr, lorsque les princes, qui
commandaient en personne leurs hommes d'armes, déclarèrent tout
à coup qu'ils ne se souciaient point d'exposer l'honneur de leurs
soldats dans une lutte contre des paysans et des bergers. Maximi-
lien et sou armée se virent contraints d'opérer leur retraite, bien
que les Suisses qu'il s'agissait d'attaquer fussent fort mal disciplinés
et peu redoutables. Bouillant de colère, l'Empereur jeta le gantelet
de fer de son armure à l'un de ces seigneurs, et ne put s'empêcher
de s'écrier : " II est dur de mener des Suisses combattre contre des
Suisses! "
La guerre eut une issue malheureuse. ■ Ceux qui auraient dû être
les premiers à défendre l'Empire «, dit Wimpheling, perdirent leur
temps en de mesquines querelles; ils n'avaient été d'aucun secours
à l'Empereur, et ne lui avaient fourni que des secours dérisoires. Les
confédérés eurent partout l'avantage '. "
La guerre entreprise pour recouver la Suisse se termina misérable-
ment. Ce pays demeura perdu pour l'Allemagne.
La même année, le Milanais, qu'au prix de tant de sang et de
dépenses Maximilien s'était efforcé de maintenir sous la domination
impériale, tomba entre les mains des Français, et Louis XII s'y élablit
en maître.
C'est au milieu de ces tristes événements qu'au printemps de
1500 Maximilien ouvrit une nouvelle diète à Augsbourg.
DIÈTE d'AUGSBOURG
(1500).
RÉGENCE d'empire.
Le Hoi, dans la circulaire qu'il adresse aux états pour les con-
voquer à la diète, trace en ardentes paroles le tableau des malheurs
delà pairie : « Une dissolution complète menace l'Empire «, dit-il.
• L'étranger, qui nous redoutait tant autrefois, a maintenant la
partie belle; il nous ravit tout ce que nos ancêtres ont acquis au prix
de tant de hauts faits et de luttes sanglantes. Le roi de France, non
content de ses conquêtes d'Italie, soulève contre nous la Hongrie et
la Pologne, et fait tous ses efforts pour obtenir la couronne impé-
riale. En même temps nous sommes menacés, l'été prochain, d'une
nouvelle invasion des Turcs. '^ L'Empereur, de la manière ia plus
pressante, représente aux états la nécessité de reprendre le Milanais,
jusque-là fief impérial.
• De arte impressoria, fol. 27.
l'LK(iK><:K DEMPIKE. 511
Mais cette fois encore, les étals, {juidés par Berfhold de Hen-
ncber{i^, prufilèrctit des embarras de Maximilicn pour délruire le
peu d'autorité (jui lui restait. Ce qu'ils n'avaient pu exécuter à
Worms „ils réussirent alors â le faire prévaloir. Maximilien dut
accepter l'érection d'un conseil d'État, ou régence d'Empire. Ce
conseil, composé de vingt princes et conseillers, fut investi du pou-
voir de traiter tous les intérêts du Roi et de l'Empire ; d'exercer
son autorité au dedans et au dehors; de délibérer sur la paix et la
justice, et sur la résistance â opposer aux ennemis extérieurs; les déci-
sions suprêmes furent remises entre ses mains. Un gouverneur général
d'Empire devait en avoir la présidence; dans les cas extraordinaires,
la régence, dont le siège devait être à Nuremberg, avait le droit
de convoquer l'Empereur, les électeurs, les princes laïques et ecclé-
siastiques les plus considérables, et d'ouvrir « une diète de régence ».
Par cette institution, le royaume était définitivement constitué en
oligarchie princière, n'ayant à sa tête qu'un président impuissant,
décoré du vain titre de roi ou d'empereur '.
En reconnaissant la régence d'Empire, Maximilien fit le plus grand
sacrifice de sa vie. Il ne s'y résigna que dans la ferme persuasion
que les états fourniraient enfin avec exactitude les secours de
guerre qu'ils promettaient en échange. D'après les assurances qui
lui furent données une levée générale de troupes allait être faite,
ce qui permettait d'espérer qu'en cinq ou six mois une armée de
trente mille hommes pourrait être mise sur pied. Toute paroisse
comptant quatre cents hommes devait équiper un homme de pied.
Les cavaliers devaient êire fournis par les princes, comtes et sei-
gneurs d'après la juste estimation de leurs revenus. Une nouvelle
caisse de guerre devait être formée, et pour l'alimenter, les clercs
devaient donner deux pour cent de leurs revenus; les serviteurs,
la soixantième partie de leur salaire, et tous les Juifs du royaume,
sans exception, un florin. Pour le rétablissement de la Chambre impé-
riale, les membres de l'assemblée votèrent dix mille florins; mais ils
se réservèrent le droit d'eu déduire la somme déjà votée par eux pour
les besoins de l'Empire. •■■ Grâce à ces dix mille florins '•, écrivait à
Francfort le député de la ville, Jean Reysse, - la Chambre impériale
pourra enfin fonctionner, et la dette contractée envers ses membres
pourra être acquittée. • Cette dernière mesure était urgente, car
les assesseurs refusaient de siéger c^ avant de bien savoir d'où leur
viendrait l'argent, et si l'arriéré leur serait remboursé ■■•.
Vers la fin de la diète (13 août), Maximilien, au rapport de Jean
' Droysen, t. II^ p. 12-13. — Si la réforme politique de 1500 avait été effec-
tuée, la victoire des princes sur la monarchie eût été complète; elle eût fondé
la pleine souveraineté des puissances territoriales.
,
512 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
Reysse, fit représenter à l'assemblée « que Sa Majesté avait sacrifié pour
l'Empire une parue considérable de ses revenus, mais que jusqu'ici
elle avait trouvé peu de soumission dans les états; que les députés
devraient enfin s'inspirer de son exemple, et comme lui, faire à l'Em-
pire de généreux sacrifices ». « Ensuite », poursuit le rapporteur, « Sa
Majesté Royale a prononcé elle-même un grave discours, exhortant
chacun à se souvenir du serment qu'il a fait de servir le Saint-Empire,
et il a dit, en concluant, que si l'on n'agissait autrement qu'on ne
l'avait fait jusqu'ici, il ne tarderait plus, il n'attendrait pas qu'on lui
ôtàt la couronne de la tête, et la jetterait lui-même à ses pieds, pour
chercher ensuite à en ressaisir les débris '. »
Il avait fait entendre à plusieurs reprises ces graves avertissements,
mais ils n'eurent pas plus d'effet que les précédents. Le jour où il
quitta Augsbourg, un de ses conseillers bourguignons lui dit :
" Votre Majesté est destinée à faire encore d'amères expériences!
Attendre quelque chose des princes allemands pour le bien de l'Em-
pire, c'est vouloir cueillir des raisins .sur des chardons *! »
Cette appréciation ne fut que trop justifiée. Au bout de neuf mois,
les listes dans lesquelles chaque territoire devait indiquer le nombre
d'hommes qu'il pouvait fournir n'étaient pas même parvenues à la
régence d'Empire. La régence elle-même, au lieu de tout mettre en
œuvre pour reconquérir le Milanais, " ce bouclier de l'Allemagne »,
entrait eu négociations amicales avec le roi de France, se montrant
disposée à lui livrer Milan, sous la dénomination de « fief impérial »,
pour la somme de quatre-vingt mille ducats, et donnait une distinc-
tion honorifique à un ambassadeur français qui s'était exprimé en
termes grossiers sur Maximilien ^
" Quelques princes de la égence sont vraiment possédés d'un
méchant esprit », écrivait à cette date un conseiller de l'Empereur*,
« et dans plus d'un lieu les choses paraissent mûres pour la trahi-
son. C'est du comte palatin dont on est le moins siir. Il faudra
surveiller les choses de bien près, en Alsace, si l'on n'y veut voir
paraître à l'improviste des hôtes français, » Le prince Philippe, élec-
teur palatin, était entré en effet depuis plusieurs années dans une
ligue offensive et défensive avec la France. Il avait longtemps aupa-
ravant reçu de Charles VIII un présent de mille marcs d'argent,
« à condition de ne fournir au roi des Romains ni argent, ni
' Lettre du délégué de Francfort, Jean Reysse, 17 août 1500, dans la Frankfurt
Reichscorrespondenz, t. II, p. 661.
^ Henri Gulnebeck.
' Voy. MULLER, Rcichstagssiaat. p. 106-111.
* Henri Gi\u.nebeck.
CÜ.NVENTIÜNS SKClîKTKS I) li S PRINCES AVEC LA FRANCE. 513
secours d'aucun genre ". IMiilippc pronieüait à Charles qu'en cas de
besoin il lui fournirait un bon nombre de soldats, et le roi de
France s'enj',aj;eail de son côlé à envoyer au prince électeur, si la
nécessité le réclamait, mille ou deux mille chevaux'. Des chargés
d'affaires palatins et français avaient ensemble des conciliabules
secrets^. Les craintes qu'on nourrissait au sujet du prince palatin
à la cour de Maximilien n'élaient donc que trop fondées. Un
parti puissant, favorisant les prétendons de la France, s'était formé
en Alsace, et Wimpheling ,juj',ea nécessaire d'établir par l'un de
ses écrits que les pays du lîliin occidental avaient de tout temps
fait partie des provinces allemandes, et n'avaient jamais appartenu
aux Français. « La France », disait-il, ^c a néanmoins le dessein de
conquérir ces contrées, comme le Dauphin l'a bien fait voir au
moment de la guerre des Armagnacs; et malheureusement il trouve
un notable encouragement à ses vues ambitieuses dans un nombreux
parti alsacien, plus porté vers les Welches que vers le Saint- Empire.
Des messagers à demi français sont envoyés d'Allemagne au roi de
France et reçus par lui avec amitié; ils flattent ses vues, dans
l'espérance que si les souverains français sont un jour maîtres de nos
provinces, ils leur accorderont un crédit, une considération, qu'ils
désespèrent d'obtenir jamais à la cour de l'Empereur ^ "
Les véritables amis de la patrie étaient révoltés des manœuvres des
princes et de leurs ligues particulières. ■■ Notre mère la Germanie
m'est apparue en songe > , dit Henri Bebel dans un discours pro-
noncé devant Maximilien en une solennelle assemblée tenue au
château royal d'lnsprück (1501). « Hàte-toi, m'a-t-elle dit, va trouver
! Maximilien, mon fils bien-aimé; il donne volontiers audience aux
simples particuliers. Parle-lui de ma détresse; dépeins-lui ma lamen-
table situation; dis-lui mes larmes et la continuelle douleur qui me
consume! Répète-lui qu'il est la seule consolation, l'unique refuge
de sa mère! Depuis sa naissance, j'ai mis en lui tout mon espoir. Il
est la tète encore pleine de santé, quand tous les membres sont
malades! » < Mais qu'il ne perde pas courage! Sa mâle résolution,
son énergie, peuvent guérir plus d'un membre atteint. Là où la cor-
ruption a pénétré trop avant, qu'il n'hésite pas à mettre le fer
dans la plaie! Dis-lui surtout que les alliances particulières qu'ont
' Voy. le rapport du 31 mars 1489 dans Mone, Zeiischrifi, t. XVI, p. 79-80.—
Le 5 septemljre 1492, Charles VIII s'allia au comte palatin Philippe, qui avait
recherché son amitié, et lui promit assistance contre toute attaque. Voy. les
documents des archives de Carlsruhe. Pfalz, Copialbucker, 43/12, 6=.
* Voy. la correspondance de Philippe avec Charles VIII et Louis XII dans
Lüdewig, RcUqniœ manuscriptorum, t. VI, p. 96-120.
' Dans la dédicace de sou ouvrage Germania ad rempublicam, Argenlinensem (1501).
Virimpheling le traduisit plus tard en allemand.
33
514 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
entre eux quelques princes, alliances qui dénouent leurs liens de
soumission envers l'Empire, me déplaisent extrêmement. Fais-lui
entendre que !a chute des plus puissants royaumes, ceux des Perses,
des Macédoniens, des Grecs et des Romains, n'a été causée que
par l'égoisrae des individus et les dissensions qui en ont été la
suite'. "
L'irritation que causait à Maximilien - le piteux état des affaires
d'Allemagne » se fait jour dans les lettres qu'il adresse à la régence
d'Empire. Il s'y plaint amèrement des affronts qu'on lui fait subir;
mais son mécontentement éclate surtout dans sa correspondance
avec Bertliold de Henneberg. -- .Nous te gardons quelque rancune ■■,
lui écrit-il. " Depuis bien des années, nous n'avons rien vu sortir de
fécond ni d'utile des diètes où nous avons assisté en personne, à nos
propres dommages et dépens. Maiuleuaut encore, l'expédition contre
les Turcs, le Saint-Empire, la couronne royale sont en grand péril,
comme tu le sais et le vois toi-même, et nous avons à te faire de
grands reproches de ce que toi, le premier prince du royaume, tu
traiîes continuellement avec les États des affaires du pays, sans
nous en informer, et ne voulant pas entrer dans nos vues en ce qui
concerne les vrais intérêts de la nation. Tu n'as pas assez réfléchi jus-
qu'ici au but général, au bien de tous; tu as ton propre intérêt trop
à cœur, et tu nous repousses. " Berthold aurait pu aisément se dis-
culper quant à ce qui concernait son zèle, son désintéressement
personnel; mais quant au résultat de sa politique, les plaintes du Roi
n'étaient que trop légitimes-.
Indigné des sympathies françaises que montrait la régence
d'Empire et du peu de zèle qu'elle mettait à remplir les promesses
laites â la diète d'Augsbourg, rendant ainsi la résistance impossible
en Italie, Maximilien conclut à Trêves un traité de paix avec Louis XII
(13 octobre lôOl) et consentit à lui donner l'investiture du duché de
Milan. L'inviolabilité des droits de l'Empire en Italie, la promesse
de l'appui delà France au cas de l'élection d'un nouvel empereur, tels
étaient les avantages que Maximilieu croyait pouvoir atteudrede cet
accord. Mais dès l'année suivante il sut à quoi s'en tenir sur la
loyauté de Louis XIP. Il apprit à n'en pouvoir douter, ainsi qu'il
^ Voy. sur ce point Mlther, Aus dem L'nirersiCäis und Gclihrtenlchcn^ p. 78-79. —
Sébastien Braut craiynait aussi, comme il l'écrivait en 1504 à Conrad Peutinger,
que la coupa'ule désunion des princes n'eût pour conséquence la ruine de
l'Empire. Ch. Schmidt, Xoiice, p. 210. — Voy. l'élégie de Brant dans Gcsdeke,
eh. xiii-xix.
* La correspondance du Roi avec l'archevêque se trouve dans Gcde.vls, Codex
Uog. dipL, t. IV, p. 443-451. — Voy. 11. Ulmann, Die ll'alU Maximilians, dans les
Forschungen zur deutschen Gesch., t. XXII, p. 137 (Göttingen, 1882).
' Voy. pour plus de détails J.4.GER, Maximilians Verkahniss zum Papslhum,
p. 219-221.
CONVENTIONS SKCÜKTKS DES l' K 1 N CE S AVEC LA FRANCE. Ü15
le déclara aux députés des villes dans uuc assemblée tenue à Ulm
(juillet l.'A)2), <\[\c le roi (U; France travaillait en secret contre tous
les intérêts jdlemands, et n'était occupé ([u"à semer dans l'Empire le
trouble, la révolte et la désunion. Louis, affirmait-il, avait la main
dans les complots révolutionnaires des Pays-Bas et du Rhin, et soute-
nait les conCédérés dans leur résistance contre TKnipire. Enfin, parmi
les membres des États, son influence avait si bien prévalu que Maxi-
milien se voyait menacé de n'y avoir bientôt plus aucune autorité et de
voir son pouvoir diminué et méprisé, aussi peu obéi des Allemands
que des Welches. Louis, au dire de l'Empereur, avait olTert à l'arche-
vêque de ALiyeuce deux cent mille couronnes, à la condition qu'il
aurait la haute main sur les décisions delà régence d'Empire. Son
but était de mettre la discorde entre les princes électeurs et autres
petits souverains, et de se servir de la (^iscorde générale pour par-
venir à l'Empire. 11 rêvait de soumettre à son autorité rAllemagne
et l'Italie, et pour y réussir, recherchait activement l'alliance du
i*ape, des Vénitiens, des Suisses et du roi de Hongrie.
Maximilien assurait avoir dépensé pour l'Empire un million et demi
de florins tiré de ses propres fonds, et devait, disait-il, se féliciter
que les mines d'argent des montagnes de l'Adige ne fussent pas
encore épuisées. Aprèsavoir exposé tous ces faits à l'assemblée, levant
par deux fois les mains vers le ciel, il jura devant Dieu et les saints
que si l'on ne se décidait enfin à le suivre, il répudierait à jamais
l'Empire et ne s'en soucierait plus. Il allait faire, au reste, un acte
auquel personne ne s'attendait; mais il n'agirait ainsi qu'en imitant
le dévouement d'un bon pasteur, qui veut préserver ses brebis d'un
grand danger, et doit s'attendre à les trouver fidèles et soumises '.
A quel plan hardi ou désespéré Maximilien faisait-il allusion?
On l'ignore ^ Ouant aux agissements qu'il dénonçait, il n'était que
trop bien informé. Il est certain qu'à Paris, en 1503, on se flattait
de voir le « Roi Très-Chrétien >', aidé de ia plus grande partie des
princes électeurs, ceindre bientôt la couronne romaine prête à
s'échapper des mains des souverains de Habsbourg, En même temps
ia mésintelligence qui s'était mise entre Maximilien et les électeurs
' Klcpfil, Urk. zur Gesch. des Schwäbischen Bundes, t. I, p. 469-471, avec sa recti-
fication dans V. Stalin, t. IV, p. 45, note 2.
* Quelques indices pourraient faire croire que Maximilien conçut alors la
pensée de conibaltre les princes à l'aide des comtes et des chevaliers, et
d'opérer ainsi une révolution radicale dans le royaume. Voy. Prumemoria David
BaiinKjiirtiicr's dans StdMpf. — irhunil. Darslellung der Gesch. lUilhelm's von Grumbach,
dans les DenkwiirdigkciUn der deutschen Gesch., t. I, p. 18. — Trithf.MH, Ghron.
Hirsaug. ad annuni 1502. — Mo^E, Badisches Arclin-., t. II, p. 168-169. Sur les soulè-
vements de paysans sons Frédéric III et Maximilien, voy. le vol. II de cet
ouvrage.
33.
516 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
prenait un caractère si menaçant qu'on pouvait craindre de voir
se renouveler les faits cpii s'étaient produits sous le roi Yenceslas,
jadis déposé du trône. Mais les bons citoyens conjuraient le ciel de
ne pas permettre que " les loups dévorants ", c'est-à-dire les princes,
continuassent à déchirer l'P^mpire '.
L'Allemagne fut préservée d'un si grand malheur.
Mais l'œuvre de réforme que les partisans de l'oligarchie avaient
rêvée échoua par leur faute même. Les États, avec leur habituelle
incurie, n'avaient pas même pris la peine d'organiser la régence
d'une manière stable. Les sommes votées pour l'érection de la
Chambre Impériale n'avaient pas été recueillies, et les assesseurs,
faute d'émoluments, s'étaient dispersés. " Tous savez tous », écrivait
Maximilien au conseil de Francfort, « que depuis le commencement
de notre règne nous avons convoqué plusieurs diètes à nos frais et
dépens, entamé beaucoup de négociations et travaillé par tous les
moyens possible au salut de l'Empire, et de la chrétienté eu général.
iSous avons mis sous vos yeux l'état inquiétant des affaires, et réclamé
du secours de la manière la plus pressante. Cependant nous n'avons
jamais pu obtenir aucun résultat. A Augsbourg, nous avions pris
les mesures les plus efficaces pour rétablir l'ordre, la paix, la justice.
En ce cjui nous concerne, nous nous sommes conformés, en toute
occasion et selon notre pouvoir, à tout ce qui alors avait été décidé.
Mais la régence d'Empire et la Chambre Impériale, sur lesquelles
reposaient l'espoir de voir l'ordre et la sécurité rétablis, n'ont pas
été organisées. Après mille promesses mensongères , les asses-
seurs et les membres de la régence n'ont pas reçu leurs appointe-
ments, de sorte que tous nos plans ont été ruinés. Mais nous le
déclarons, personne dans le Saint-Empire, nul chrétien équitable
ne peut nous rendre responsable des angoisses et des difficultés
présentes *. »
AFFERMISSEMENT DE LA MONARCHIE. DIÈTES DE COLOGNE
ET DE CONSTANCE. 1505-1507.
Mais ni revers, ni contradictions n'étaient capables d'ébranler
le courage de ALiximilien; rien ne pouvait lui ravir l'espérance de
voir se relever un jour la gloire de l'Empire, et de rendre à l'Alle-
magne la concorde et le bonheur. Les événements qui se produi-
sirent peu après semblèrent ouvrir enfin à ses regards des perspec-
tives plus consolantes. Le parti des princes et de l'opposition perdit
' Lettre de Henri Grünebeck, 9 mars 1503.
^ Frankfurts Reichscorrespondenz, t. il, p. 670.
AFFKIlMISSEMIi NT DU I' O U V O IK 110 Y A t,. r,n
son chef par la nioiM de Bertliold de Heaaeberg (21 décembre 1504),
et riiciireuse issue do la cam|)a{;ne bavaroise rendit quelque prcstifje
à Tauturité impériale.
Cette guerre mit dans une pleine lumière la conduite des électeurs
et des princes, et montra combien Maximilieii avait raison de dire
qu'ils ne se souciaient nullement des insliJulions du pays ni du droit
national, el n'étaient pas môme capables de rcspecler ce qu'eux-
mêmes avaient décidé'. Au conseil des princes, réuni à Augsbourg,
l'Empereur, avec rassenliment de la Chambre Impériale, avait promis
les fiefs impériaux du défunt duc Georges de Baviére-Landshnt aux
cousins directs de la ligne de Munich, qui en étaient les héritiers les
plus proches. Mais sans tenir aucun compte de cette décision, l'élec-
teur palatin Hobert et son père Philippe avaient recherché et obtenu
l'appui de la France, de la Hongrie et de la Bohême pour s'emparer
de ces mêmes territoires, une guerre dévastatrice s'engagea en Bavière
«'t sur le Rhin. Maximilien écrasa les rebelles, et la victoire qu'il rem-
porta aux environs de Batisbonne ^ sur les troupes du roi de Bohême,
accouru pour défendre le prince électeur, fut célébrée par les poètes,
en lalin et en allemand, comme un grand et joyeux événement.
*< L'alliance impériale ", disait-on, « est devenue si puissante, qu'à
l'avenir les Bohémiens et les Suisses, qui nous ont fait tant de mal, ne
seront plus en état de nous nuire; Maximilien anéantira bientôt les
armées turques, il reprendra Constantinople ^ => '< Le Roi a enfin soumis
les princes à son autorité > , écrit Vincent Ouirini au Conseil de Venise ;
(' il n'en est plus un seul qui ose lui résister sur n'importe quel sujet \ »
Tel était l'état des choses au moment où s'ouvrit la diète de
Cologne. Maximilien était fermement résolu à employer le crédit
qu'il venait de recouvrer au rétablissement de l'autorité royale. Il
commença par terminer la querelle bavaroise de son autorité de
' Lettre de Henri Granebeck, du 17 juillet 150î.
- • Le Roi, combattant toujours au fort de la mêlée, fut blessé, tomba de
cheval, et c'en eût été fdit de lui si le duc Erich de Brunswifk ne l'eût sauvé,
recevant lui-môme force I)alles, flèches, coups et blessures. Le duc, dont c'était
la première bataille, dit avec orgueil dans une lettre dictée sur son lit de
douleur et adressée à sa jeune femme . » Je ne suis pas tout à fait mort. •
V. LiLlENCRON, t. II, p. 537.
' Die liehemsch Schlacht, publié par LiLiENCRO.\, t. II, p. 540-542. Outre ce chant,
Liliencron eu cite encore seize autres sur la guerre de succession bavaroise,
chansons satiriques dirigées contre le déloyal électeur palatin.
* « Poro a poco questo r.e de Uomani haveudo destrutto il Palatino, et
essendo laorti li polenti principi suoi conlrarii et relrovandosi multiplicati li
amici suoi, posti per lui in dignité, è andato tanto crescendo, che si ha fatto
quasi omnipotente ira tutti li principi et tanto, che non se ne ritrova pur
Uno che ardisca conlrariarlo iu cosa alcuna. » OriniM, Rilaiione, année 1506,
publiée par Chmel, dans le Zcitschrifi fur Gcschichtsuis ;cnschnft de Schmidt, t. II,
p. 338.
518 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE. SITUATION EXTERIEURE,
vainqueur et d'arbitre suprême, proclama de nouveau la paix publique
perpétuelle, rétablit la Chambre Impériale, et se chargea de pourvoir
lui-même à son entretien.
Il présenta ensuite à la diète le projet d'un nouveau conseil
d'État. Celui-ci, loin de légaliser, comme le précédent, l'asservisse-
ment du Roi, devait, au contraire, affermir sa dignité et son auto-
rité, et rendre à la nation la paix générale et la prospérité. Ce
conseil devait se composer d'un président nommé par le Roi,
d'un chanceliier et de douze conseillers élus par les États. Il devait
siéger à Nuremberg, « mais cependant, lorsque l'intérêt du Roi
ou de l'Empire l'exigerait, pourrait être transféré au lieu même où se
trouverait Sa Majesté ;>. Il devait agir avec autorité dans toutes les
questions concernant la justice, la paix, le maintien de l'une et de
l'autre, la guerre contre les infidèles, et la résistance aux ennemis de
la chrétienté et de l'Empire; mais il ne pouvait décider en dernier
ressort dans les questions graves qu'après avoir pris l'avis du Roi.
Celui-ci s'efforcerait toujours de mettre son sentiment en harmonie
avec l'opinion des douze conseillers; mais dans le cas où il n'y par-
viendrait pas, il en appellerait aux électeurs, aux princes et à leurs
conseillers, et ce que ceux-ci décideraient, unis à Sa Majesté Royale et
au conseil d'État, aurait force de loi. Le conseil, au nom et avec
le sceau du Roi, aurait le droit d'envoyer des lettres circulaires, et
contrairement à la teneur de cesdites lettres, « rien ne pourrait être
conclu et traité au nom du Roi >:. Si, néanmoins, on osait outrc-passer
les ordres du souverain, les mesures prises de cette façon abitraire
devraient être regardées comme nulles, n'obligeant personne, et
sans valeur.
Pour appuyer le conseil et lui donner un pouvoir exécutif, quatre
maréchaux devaient être élus. Chacun d'eux devait avoir vingt-cinq
chevaliers e( deux conseillers sous ses ordres. Ces maréchaux devaient
être établis dans quatre régions différentes de l'Empire : le haut Rhin,
le bas Rhin, le Danube et l'Elbe. Ils veilleraient à l'exécution des
ordres du conseil et seraient chargés de maintenir la" paix à l'inté-
rieur. Le Roi se réservait le choix du lieutenant général de l'Empire,
mais s'engageait à ne lui rien commander d'important sans avoir
préalablement consulté le conseil d'Etat '.
Ouant à la réorganisation des finances, il fallait nécessairement en
revenir au denier commun, autrefois consenti par les États.
Ces plans étaient modérés, pratiques; si les membres de la diète
eussent donné les mains à leur exécution avec une sincère bonne
^ Ordonnance gouvernementale. Voy. Mulleu, Reichsiajsiaat, p. 444-448.
Li: s KTATS r. Ell; TT i; NT Li: s 1' HO POSITION s HO Y ALES, 519
voloiilr, Oll CÙI VII sc réaliser dans la polidque intérieure du pays
l(!s j)liis heureux projjrès.
Mais les Klals voyaient avec déplaisir une réforme tendant à res-
treindre leur autorité; aussi repoussèrent- ils le plan royal avec les
formules les plus respectueuses : « Sa IMajesté ", dirent-ils, « avait
Jusque-là, par sa liaule intelli[;cncc et son habileté, [jouvcrné d'une
manière dijjnc d'éloges, avec loyauté, bonté, justice. Elle pour-
rait, elle saurait af,ir de même à l'avenir. Donner une forme, une
mesure précise à Taiilorité de Sa Majesté n'entrait point dans les
senliiiienis ni dans les iultMilions des Étais. » Ils refusèrent égale-
mont de voter l'impôt du denier commun, bien qu'ils se fussent pro-
noncés en sa faveur à la diète de Fribourg, où ils avaient déclaré
« que le maintien de la paix publique et surtout le fonctionnement
de la Chambre Impériale reposaient uniquement sur lui, et qu'il en
était la racine et le fondement ' ". Les membres de la diète tenaient
à présent un (out autre langage : " Les sujets de l'Empereur »,
disaienl-ils, " sont épuisés par la guerre, renchérissement des den-
rées, les pertes des leurs et les maladies; aussi sont-ils complètement
hors d'élat de payer le denier en question ^ " Ils repoussèrent éga-
lemeu! la proposition royale louchant l'établissement de troupes per-
manentes dans les paroisses de l'Empire, et n'accordèrent qu'à grand'-
peine à Maximilien les quatre mille hommes qui lui étaient absolument
nécessaires pour protéger la Hongrie. Les registres de la matricule
prirent de nouveau la place du denier commun. Chaque corps de
l'État, selon l'importance de ses domaines et de ses revenus, fut requis
de fournir un certain nombre de cavaliers et d'hommes de pied.
Maximilien n'avait pas atteint son but; pourtant le souverain et
les États avaient négocié ensemble - de bonne amitié », et c'était là,
déjà, un résuKat considérable. Accompagné de tous les princes pré-
sents à la diète de Cologne, l'Empereur se hâta de marcher contre
Charles d'Egmont, qui, soulenu par la France, prétendait retenir en
sa possession le duché de Gueldre, et le contraignit à l'obéissance.
A l'aide des troupes accordées, il garantit aussi les droits présomptifs
de sa maison sur le royaume de Hongrie, et l'on put enfin espérer
" que la couronne de Bohême serait rapportée au Saint-Empire, que
celle de Hongrie viendrait s'y réunir, et qu'un solide rempart serait
élevé contre les envahissements des infidèles^ «.
Car la guerre contre les « ennemis du nom chrétien » continuait
' Voy. nÖFLi:i\, Rcfonnhcwi'giing, p. G3.
* Dans Müller, Heic/islar/staai, p. 488-489.
2 Sur les néjïociations de Cologne, voyez les pièces manuscrites dans la Frank-
furts Reichscorrcspoudmz, t. 11, p. 681-696. Arrêt de la diète du 31 juillet 1505,
dans la A'eue Sammlung der Reichsabschiede, t. II, p. 102-104.
520 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
à occuper jour et nuit la pensée de Maximilien, et il ne doutait pas
que les autres nations ne se missent en mouvement aussitôt qu'elles
verraient la plus forte des puissances européennes, c'est-à-dire le
Saint-Empire romain, prendre l'initiative'.
Mais il ne voulait entreprendre la croisade qu'après avoir été couronné
empereur et reconnu pour chef de toute la chrétienté. Aussi reprit-il
avec une nouvelle ardeur les préparatifs de l'expédition romaine.
Dans ce dessein, et afin d'aviser aux moyens de reconquérir les
pays tombés au pouvoir de la France, il convoqua les États, et ouvrit
une nouvelle diète à Constance. Quelques jours après, on apprit que
Louis XII venait d'entrer en Italie avec une puissante armée, qu'il
s'était emparé de Gênes (29 avril 1507), avait fait brûler les privi-
lèges impériaux que la ville invoquait pour sa défense, soutenant
qu'elle faisait partie intégrante de l'Empire. Louis ne se proposait
rien moins que la conquête des États de l'Église : après avoir mis
le Pape sous sa dépendance, il se flattait d'obtenir de lui la cou-
ronne impériale -.
Dans un discours chaleureux, Maximilien expose aux membres de
la diète, réunis en grand nombre, les pertes essuyées par l'Empire et
les grands périls qui le menacent. " Le roi de France -, leur dit-il,
« veut ravir la couronne impériale à la nation allemande. S'il ose nourrir
un tel espoir, ce n'est pas qu'il soit devenu plus puissant et nous plus
faibles qu'auparavant ; ce n'est pas non plus qu'il ne comprenne com-
bien l'Allemagne surpasse la France en force et en richesse; c'est qu'il
espère que nous agirons dans le présent comme dans le passé, et que
nos querelles, notre apathie, nous seront plus chères que le souci de
notre honneur et de notre sécurité. Il s'imagine qu'après l'avoir laissé
arracher à l'Empire le duché de Milan et mettre à l'abri de notre
vengeance les ennemis de l'Allemagne, nous lui permettrons de
s'emparer de ce qui a toujours fait la gloire et la suprême parure de
notre nation : la plus haute souveraineté du monde, la couronne impé-
riale! L'humiliation qui nous en reviendrait pourrait encore se sup-
porter si nous étions inférieurs en nombre à nos ennemis; en ce cas
notre malheur serait plus grand que notre honte, et l'on ne pour-
rait imputer à notre imprévoyance et à notre lâcheté ce qui ne
dépendrait que de notre mauvaise étoile et du malheur des temps.
Mais comme il eu est tout autrement, et que notre puissance dépasse
' Voy. la circulaire de Maximilien à propos de la société de Saint-Georges.
MULLER, p. 345.
* Sur la rupture des traités et de la paix par Louis XII, voy. Jager, p. 223-
225. Voy. aussi la justification de Maximilien dans Goldast, Reichshandlung, p. 63.
DIKTE I)E CONSTANCE. 521
de beaucoup celle des Français, notre plus jurande honte, dans notre
défaite, serait d'avoir (oléré avec indiHérencc ce que nous pouvions
éviter par notre énerfjie. Aussi, même si nous ne disposions que de
faibles ressources, mieux vaudrait tout risquer, mieux vaudrait souffrir
les plus fjrands maux que do faire peser sur la nation allemande un
éternel opprobre. '^ « J'ai l'intention de conduire une armée en Italie
et d'y ceindre la couronne impériale. Ensuite, je ferai tous mes efforts
pour anéantir les espérances de?, Français et pour les chasser de
Milan, ce qui en est Tunique moyen. Pour cela, de toute nécessité, il
me faut de l'argent et des hommes. J'ai la confiance que si vos forces
s'unissent aux miennes, nous traverserons l'Italie en vainqueurs.
Lorsque les Italiens verront l'empereur d'Allemagne s'avancer vers
eux, ils viendront d'eux-mêmes à sa rencontre avec de l'argent
et des armes, soit pour conserver leurs libertés, soit pour être
affranchis de leurs tyrans, soit pour se réconcilier avec les vain-
queurs. Le roi de France changera de langage dès qu'il verra les
effets de notre puissance guerrière. Il se souviendra que l'un de
ses prédécesseurs, portant le même nom que lui, fut battu par moi
à Guinegafe lorsque j'étais encore presque enfant, et que depuis ce
jour nul roi de France ne nous a vaincus par des armes loyales,
mais uniquement parla ruse. J'en appelle à votre grandeur d'âme, à
votre courage, vertus qui ont toujours été les qualités essentielles des
Allemands, et je vous demande si votre réputation, si votre gloire
ne seraient pas atteintes, si, dans ce péril universel, vous ne
vous souleviez de vous-mêmes et ne couriez aux armes! Maintenant
la chose vous regarde! Pour moi, j'ai la conscience d'avoir fait tout ce
qui dépendait de moi. Je vous ai avertis du danger, je vous ai excités
par mon exemple à faire votre devoir. Je ne manque pas de courage,
j'affronterai tous les dangers. Mon corps est habitué aux plus rudes
fatigues. Plus vous entourerez votre roi de considération et de respect,
plus vous mettrez entre ses mains une force militaire redoutable,
plus il vous sera facile, à votre plus grand honneur, de protéger la
liberté de l'Église romaine, et d'affermir en Allemagne cette souve-
raineté impériale dont l'éclat rejaillit sur vous tous '. »
Celte fois, l'éloquence de Maximilien ' coula dans tous les cœurs
comme de l'or fondu •-■.
« Sa Majesté royale », écrivait à son maître Eisehvolf von Stein,
délégué du Brandebourg, < a fait un long discours à l'assemblée, lui
expliquant ses devoirs et les siens. Je voudrais que Votre Grâce l'eût
' YvoGJL?,, Ehrenspiegel, 1233-1235 — Mullkr, p. 549-553. — Voyez la proposition
royale à la diète de Constance en 1507, dans lei œuvres posthumes de Spalatix,
p. 204-223.
522 EMPIRE ROMAIN (GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
entendue. Les États ont été tellement remués par sa parole, que d'une
seule voix ils ont accordé à Sa Majesté des secours de tout genre. Or,
jamais le Saint-Empire n'en eut plus besoin; sur ce point, tout le
monde est d'accord'. » Les princes témoignèrent au Roi leur respect
et leur soumission : « Plus ils occupent un rang élevé », écrivait l'am-
bassadeur vénitien Vincent Ouirini, présent à la diète de Constance,
' plus ils s'empressent de donner des marques de leur générosité et
de leur obéissance. Chacun affirme, et on le voit assez, que jamais
roi des Homains ne fut plus respecté ni plus obéi que Maximilien*. »
Pour former l'armée d'Italie, les princes s'engagèrent à fournir
trois mille cavaliers et neuf mille hommes de pied. Le Roi promit en
retour de régir d'après leur conseil, et dans l'intérêt du bien public,
les pays qu'il pourrait conquérir. Il s'engagea également h admi-
nistrer de telle sorte les terres, domaines et seigneuries qui tom-
beraient entre ses mains, que les charges, selon toute équité, en
seraient à jamais ôtées aux Allemands et imposées aux autres pays.
De cette manière l'Empereur et Roi serait désormais magnifiquement
entretenu, sans qu'il en coûtât rien à la nation.
Les Suisses eux-mêmes manifestèrent tout à coup l'intention de
redevenir Allemands. Le Roi les ayant assurés qu'ils ne seraient
soumis ni à la juridiction de la Chambre Impériale ni à aucun autre
tribunal souverain, ils promirent de ne plus causer d'embarras au
Saint-Empire, et de se comporter désormais en alliés fidèles et obéis-
sants. Ils mirent six mille hommes à la disposition de Maximilien, qui
se chargea de leur solde. Cette armée, selon l'antique usage, devait
escorter l'Empereur à Rome, sous la croix blanche de ses étendards.
Ce fut un « heureux temps ". ^Laximilien se laissait aller aux
espérances les plus brillantes. Il annonça sa prochaine arrivée au
Pape et au Sacré Collège, et rappela à la diète « que le jour où il
avait été couronné empereur, il avait promis à Dieu, par un vœu
solennel, de diriger en personne une expédition contre les Turcs ^ ».
Mais r« heureux temps » fut de courte durée.
A la nouvelle des préparatifs de guerre qui s'opéraient en Alle-
magne, Louis XII, qui, après avoir conquis Gènes, s'était lentement
replié vers les Alpes, laissa sou armée se disperser, et fit assurer
aux États par ses agents secrets qu'il n'avait nulle intention
d'inquiéter l'Empire, au lieu que l'Empire avait au contraire tout à
redouter de Maximilien, qui ne voulait que déposséder les élec-
1 Voy. DuoYSEN, 2'', 48, 456.
- Relation de Ouirini du 28 avril et du 15 juin 1507, publiée par Erdmanns-
DÖRFFEii, dans les Berichten über die Verhandl. dir hönirjl. sächsischen Gesellschaft der
ll'issenschdften zu Leipsig, t. IX, p. 61, 68.
ä Voy. sur les néfîociations de la diète de Constance les pièces manuscrites
de la Prank/iirls Reichscorrespondenz^l. II, p. 702-741
GrEniiE VKMTIKNNi:. 523
tcurs pour ajyrandirses possessions. « II ne manqua pas non plus de
faire passer aux princes de fori es sommes d'argent '. >'
Au'îsi leur ardeur belliqueuse ne tarda-t-elle pas à se refroidir.
Sur les douze mille soldais qui devaient composer l'armée impériale
et entrer en campa^yne d(^s le milieu d'octobre 1507, à peine si
quelques centaines d'hommes s'étaient présentés au mois de fé-
vrier 1508. Des six mille Suisses attendus, le Roi, à sa grande dou-
leur, ne vit pas arriver un seul *! Il en fut donc réduit à ne compter
en fait de secours que sur ses Etats héréditaires. A eux seuls, ses
fidèles Tyroliens fournirent cinq mille hommes ^
GUERRES d'iTALIE.
En février 1508, l'Empereur, avec le peu de troupes dont il pou
vait disposer, se mit en marche pour l'Italie, et ayant obtenu l'assen-
timent du léjifat, prit à Trieste, au milieu de cérémonies solen-
nelles, le titre d' « Empereur romain élu ». Il n'entendait par là
porter aucune atteinte au droit exclusif que le Souverain Pontife
avait de le sacrer; au contraire, il était résolu à continuer son voyage
vers l)0me, et à s'y faire couronner par le Pape aussitôt qu'il aurait
mis les Vénitiens à la raison.
Ceux-ci, encouragés et soutenus par les Français, occupaient les
passages d'Italie, et Maximilien, malgré l'inégalité de ses forces, se
décida à entreprendre la campagne, comptant fermement sur les
secours promis par les États. « Les murailles qui s'opposent à nos
desseins sont beaucoup plus dures que la tête du Roi >;, écrit l'un de
ses conseillers *; « cependant il se jette sur elles sans prendre
même de casque, croyant les renverser aussitôt. Mais il ne fait que
s'y heurter, et les revers pleuvent alors sur nous, comme nous ne
l'avons que trop vu dans la guerre vénitienne. " Maximilien, en effet,
en son ardeur bouillante et chevaleresque, manquait souvent de ce
sang-froid, de ce coup d'œil impartial qui sait établir de justes rap-
ports entre le but à atteindre et les moyens d'y parvenir; ses parti-
sans les plus enthousiastes s'accordent à lui reconnaître ce défaut.
' Voy. le mémoire de Jean von Lünen dn 23 mai 1507, dans la Franc/uris
Rcichscorrcspondcuz. t. II, p. 711, el les Sources citées dans la note. Louis XII
cherchait " con la mano molto liberale a temperare la ferocit à dell' arma
Tedescbe con la potenlia dell' oro -. Gliccardim, t. VII, p. 201.
* Voy. le mémoire adressé par IMaximilien au duc Erich de Brunswick, dans
la Chronica der Kriegsliändel Maximilians gegen l'enedigcr und Franzosen de GÖbler
(Francfort, 1Ö66\ p. 12.
^ Dès le 18 août 1507, Maximilien juge très-sévèrement les Suisses dans une
lettre adressée à sa fille Marguerite: . En sumarum ils sonnt méchans, villains,
prest pour traire France ou Almaingnes. • Le Glay, Corresp. de Maximilien I" ci
de Marguerite d'Autriche, t. I, p. 7.
* Lettre de Pierre vou Aufsess à Jean Cochlaeus, 24 fév. 1519.
524 EMPIRE ROMAIN GERMANIOUK, SlTTATIOX EXTÉRIEIRE.
La campagne coütre Venise échoua; les Véniliens s'emparèrent
des pays de Frioul et d'islrie, ef prirent Trieste, ainsi que plusieurs
places maritimes. Le comté du Tyrol « fut sur le point de tomber au
pouvoir de l'ennemi ". En même temps, la France excitait le duc
Charles Egmont de Gueldre à de nouvelles conquêtes, et menaçait en
basse Bourgogne les États héréditaires de Maximilien. " Dans cette
double angoisse », tolalement abandonné des États malgré ses
demandes réitérées de secours, l'Empereur se vit forcé de réaliser la
menace qu'il avait faite en 1490. Pour sauvegarder ses intérêts et
ceux du Saint-Empire, il entra en accommodement avec le roi de
France, et conclut avec lui, le pape Jules II et le roi Ferdinand
d'Aragon, la ligue de Cambrai, dirigée surtout contre Venise, la
république avide de conquêles, d'honneurs et d'influence. D'après
les conventions des alliés, l'Empire et la maison d'Autriche s'unis-
saient pour recouvrer, en réunissant leurs efforts, toutes les posses-
sions que les Vénitiens leur avaient enlevées.
La ligue de Cambrai eût ouvert d'heureuses perspectives à l'Empe-
reur pour le recouvrement de ses provinces si les États eussent voulu
consentir à agir contre Venise.
Mais cà la diète de Worms, qui s'ouvrit au printemps de 1509, ils
refusèrent nettement à Maximilien tout ce qu'il demandait. Les caisses
étaient vides, les fortunes épuisées, disaient-ils; ils s'étaient si bien
dépouillés de tout, qu'à l'heure actuelle, il ne leur était plus possible
d'aider le Roi d'aucune manière ^ Puis, à les entendre, ils n'étaient
nullement obligés de fournir des subsides; le Roi avait signé des
conventions et passé des traités sans leur assentiment; qui sait s'il
ne se servirait point des sommes et des troupes qu'il réclamait pour
conduire le Saint-Empire à l'abime, au lieu de l'aider â reconquérir
sou ancien prestige? Quoiqu'ils n'eussent tenu que la plus petite
partie des promesses faites à Cologne et à Constance, ils eurent
l'audace d'y faire allusion, ajoutant des reproches blessants à
l'adresse de l'Empereur, reproches qui furent d'autant plus amers
à celui-ci, qu'il venait d'essuyer une plus cruelle défaite. Ils ne
voyaient pas, dirent-ils, les avantages que cette guerre avait procurés
à l'Empire; la nation n'en avait recueilli que désastres, dépenses et
affronts.
Les villes surtout ne voulurent fournir aucun secours.
Depuis l'avéuement de l'aristocratie d'argent, depuis les progrès
' Coccinius érrivait avec raison : • Parum de publico solliciti divitias nostras
profundiinus ad ina;;nificos suniptus et ampla a'dificia; et ubi pro honore et
imperio publico quid esset contribuendum, penuriani alleganius. • Fueher,
t. II, p. 564.
(;i: j:i!ni-: vkmtie\\e. 525
(oiijoiir.s {jrandissüiils du c.'ipil.il, les cilés avaient de plus en plus
rcnonei' à leur [)riinilive et ;<;(''uéreuse j)()lilique, â ce palriolisme qui
avail éfé jadis la vraie source de leur (jrandeur et de leur influence.
Elles claient presque exclusivement dominées par des vues mercan-
tiles, re{',ardaicn( la {juerre vénitienne comme opposée à tous leurs
intérêts commerciaux, cl par conséquent ne voyaient en elle qu' « une
affreuse calamité ». I)'ailleur.% elles en voulaient à l'Empereur, qui,
trouvant avec trop de raison (jue leurs compaj^uies commerciales
n'étaient que des ligues d;iii{jerouses jtroduisaut un renchérissement
général dans le pays et exploitant les classes laborieuses, leur avait
toujours opposé une énerjjique résistance. En Souabe, des chefs
militaires faisaient ouvertement des enrôlements pour le compte des
Vénitiens, et conduisaient en Italie, par le Tyrol, les troupes qu'ils
réussissaient à embaucher'.
Aussi était-ce à bon droit que Maximilien se plaij^nait des ennemis
que l'Kmpire nourrissait« dans son propre sein ", jjens insouciants,
disait-il, '- attachés seulement à leurs propres intérêts, ne se préoc-
cupant pas plus de l'honneur de l'Empire que de celui de l'Empe-
reur ". « Aucun des secours qui avaient été votés à Constance et à
d'autres diètes », écrit-il dans une lettre justificative adressée aux
États, « n'avait été fourni. -^ Il n'avait éprouvé qu'humiliations et
revers; mais les États devaient seuls porter la responsabilité des
malheurs publics. Avec une lenteur dérisoire, ils avaient fourni des
secours tardil^ et insuffisants; l'Empereur avait exposé sou corps et
sa vie, ses trésors, ses terres et ses hommes, pendant que la plus
grande partie des députés étaient restés tranquillement chez eux. Ils
avaient par leurs promesses engagé le Hoi dans son entreprise; mais
bien que les secours votés fussent maigres et mesquins, ils les avaient
llvrésavec tant de retard, de négligence, et si imparfaitement, qu'ils
n'avaient été d'aucune utilité, ce qui avait été la cause de l'épuisement
des trésors du Roi et de la perte de ses terres et de ses hommes^.
Craignant que les Vénitiens n'envahissent les pays autrichiens
comme ils avaient menacé de le faire, Maximilien quitta Worms
précipitamment, afin de presser les armements dans ses possessions ^
Il engagea le produit des douanes, des mines et d'autres sources de
ses revenus héréditaires, el les États territoriaux lui fournirent,
outre cela, certains secours. La ligue de Cambrai lui vint aussi en
aide et lui fournit d'importantes sommes, de sorte qu'il parvint à
' ScnÖN'HERR, Der Krieg Kaiser Mazimllian's I mit Venedig. 1509, p. 4. (Vienne, 1876.)
* GOLDAST, Politische ReichsliUndel, p. 400-i07. — Lu.\lG, Heichsarchio, î . II, p. 292-
299.
' Voy. SCHONHERR, t. U.
526 EMPIRE ROIMAIX GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
mettre sur pied une armée de 15,000 hommes. Il eu prit le comman-
dement au mois de juin 1509, au moment même où les Français
venaient de remporter la brillante victoire d'Agnadel. La campagne
s'annonça d'abord heureusement. Piovercdo et les pays avoisinants
se soumirent. Padoue et Vérone s'empressèrent d'ouvrir leurs portes.
La puissance de Venise sur le continent semblait brisée. Le Frioul et
ristrie étaient occupés par les troupes allemandes. Mais les Véni-
tiens s'aperçurent bientôt que l'Empereur ne recevait aucun secours
des États, qu'il était isolé, abandonné à lui-même; dès lors, ils
reprirent courage. Grâce à leurs manœuvres, à l'argent qu'ils surent
répandre à propos de tous côtés, ils parvinrent à enlever à l'Empe-
reur la plus grande partie des territoires et des villes qu'il venait de
recouvrer. Padoue retomba en leur puissance.
Cependant Maximilien restait plein de confiance dans le succès. 11
résolut de mettre le siège devant Padoue; mais auparavant, il voulut
passer à Bovolenta la revue de ses troupes (septembre 1509). « L'Empe-
reur », écrit un témoin oculaire, « portait ce jour-là toute son armure
et s'était paré de la manière la plus magnifique. Il montait un superbe
étalon, dont la houssine était de velours noir brodé d'or; la tète et le
poitrail du noble animal étaient ornés de riches harnais d'or ciselé.
La cotte d'armes de Maximilien était en brocart d'or rayée de vert. Il
portait un chapeau trauçais, orné de précieux joyaux et surmonté d'un
panache blanc. Derrière lui marchait un jeune page tenant un éten-
dard blanc déployé'. Les comtes, seigneurs, chevaliers, accompagnés
de leurs écuyers, les lansquenets, les Bourguignons, les Albanais, les
Français, les Italiens, les varlets allemands, tous s'étaient richement et
splendidement parés pour cette circonstance, et semblaient fiers de
leurs armures, de leurs casques ornés de panaches, de leurs joyaux,
de leurs chaînes d'or, des houssines de leurs chevaux. Les escadrons
laissaient flotter au vent leurs étendards, et défilaient un à un devant
l'Empereur. Il y avait un tel plaisir à le regarder que je ne saurais
l'exprimer. En somme, il faut bien l'avouer, ni les Welches, ni aucune
autre nation, ne peuvent, sous le rapport militaire, se comparer aux
Allemands. » Les étrangers présents à cette revue, le cardinal de
Ferrare, le comte Constantin, de Mantoue, d'autres encore, jouirent
vraiment d'un grand spectacle, et semblaient regarder avea une par-
ticulière complaisance Sa Majesté Impériale. Le ciel lui-même, d'un
azur clair et radieux, paraissait être « bon impérial ».
•' L'Empereur notre sire », continue le chroniqueur, < paraissait
tout joyeux. Sa Majesté était d'avis que si tous les Vénitiens et les
1 Relation de la revue, écrite par un bourgeois d'Inspruck présent à la revue.
(Cette revue est l'une des plus anciennes, peut-être la première qui soit men-
tionnée dans l'histoire d'Allemagne.) Voy. Schönueru, p. 52-5i.
GUEliKE D'ITALIE. 527
Turcs, et si les ennemis du monde entier se fussent présentés en ec
mument, il les eiU taillés eu pièces tort aisément. »
Ce pressenlimcnt de vicloire ne se réalisa malheureusement pas.
Maximilien, avec une jjraiide eiierjyie, dirigeait lui-même le bombar-
dement de Padoue; il aliVonlait à toute heure le feu ennemi, et
pressait les travaux dans les tranchées, mais le succès ne répondit
pas â ses efforts. En octobre, il se vit contraint de lever le siège et
de licencier la plus grande partie de ses troupes. En décembre, il
fut forcé de reprendre la route du Tyrol.
Malgré les pénibles et amères expériences du passé, il se résigna à
se tourner encore une fois vers les États dans l'espoir d'en obtenir des
secours pour la guerre vénitienne (diète d'Augsbourg, 1510). Il retraça
devant l'assemblée ses sacrifices personnels. Il dit comment, grâce au
bon succès de ses armes, il avait heureusement conquis la Bourgogne e t
les Pays-Bas; comment il avait étendu, agrandi, rétabli ces contrées
dans la paix et la sécurité; comment, d'autre part, pour repousser
les infidèles, il avait, par ses succès militaires et en exposant sa vie
et ses biens, obtenu des droits héréditaires sur le royaume de Hon-
grie, cette Hongrie pour laquelle son seigneur et père défunt, et
tant d'autres souverains, avaient tant souffert. Et afin, ajouîa-t-il,
que les Élats ne s'imaginassent qu'il ne recommençait l'entreprise
que dans des vues personnelles et intéressées, il déclarait être tout
disposé à conférer avec eux et les princes, afin d'aviser, après miire
délibération, aux meilleurs moyens d'utiliser les conquêtes projetées,
les villes et territoires qu'il se proposait de conquérir, dans l'intérêt
du Saint-Empire et de la maison d'Autriche. Tous ensemble, ils déci-
deraient sur les mesures à prendre pour les conserver toujours à la
nation, selon le droit et l'équité. Il s'entendrait aussi bénévolement et
amiablcment avec eux sur les expéditions futures, afin qu'elles puissent
tourner au profit, à la gloire, à l'utilité, au progrès, à la paix, à la
sécurité de la chrétienté, du Saint-Empire et de la nation allemande. Il
engageait les États à examiner avec attention l'étendue de leurs devoirs
envers la chrétienté et le Saint-Empire, car la cause de l'Empereur
et celle de l'Empire étaient celle des États, comme la cause des États
était celle de l'Empire. " Tous, selon lui, ne devaient être qu'un seul
corps et qu'un seul vouloir '. »
Cette fois les États promirent six mille hommes de pied et dix-
huit cents cavaliers; mais le résultat de la campagne n'en fut pas
meilleur; l'expédition de 1510 échoua misérablement par la faute
• FiaiicfwCs lieichscorrespondem^ t. II, p. 787-79i.
528 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
des États. Ainsi que Maximilien s'en plaignait dans la circulaire du
20 mai 1511, il ne reçut que la plus petite partie des secours promis
à Augsbourg, et encore beaucoup trop tard. -■ 11 aurait bien sujet,
disait-il, d'user enfin de rigueur; comme toujours, la bonté de son
cœur l'en empêchait; mais il avait perdu beaucoup de son prestige
aux yeux de ses amis et de ses ennemis comme chef de l'Empire et
de la nation allemande. Les Vénitiens avaient repris la plus grande
partie de ce qui leur avait été enlevé, et le reste était lort difficile
à conserver avec le seul secours de son trésor privé et de ses sujets
autrichiens. Maximilien avouait avoir au fond de Tàme une anxiété
douloureuse; il tremblait que la nation allemande n'abandonnât cette
gloire, ce grand renom que par tant de sanglants combats et d'actions M
héroïques les ancêtres avaient acquis, méprisant ainsi le dévouement ■
fidèle de l'Empereur, ses efforts, ses travaux, le sacrifice de sa vie et
de ses biens. " - En Allemagne , ajouta l'Empereur, .- les princes
et les sujets n'ont pas la même manière de voir que dans les autres
nations, ou l'on est persuadé que l'honneur et la gloire du souverain
rejaillissent sur tous les citoyens, et accroissent leur propre gloire
et leur propre bonheur '. »
Malgré ses efforts et ses reproches, Maximilien fut abandonné par
les États; il le fut aussi de ses alliés. Au milieu de complications poli-
tiques inattendues, d'alliances changeantes, la guerre d'Italie conti-
nua pendant de longues années. En 1513, elle était devenue si géné-
rale, que le Pape, l'Empereur, l'Espagne, l'Angleterre et la Suisse
d'un côté, la France, Venise et l'Ecosse de l'autre, étaient aux prises.
" Pendant huit ans >', écrivait vers la fin de 1515 le cardinal de Sion
à Wolsey, - Maximilien a seul persévéré dans cette guerre; il y a
perdu près de trois cent mille ducats, tant contre les Français que
contre les Vénitiens. Abandonné du Pape, de l'Empire, de l'Italie,
il a mis en gage tout ce qu'il possédait, ses revenus, ses châteaux,
ses domaines, toutes ses propriétés. Son courage est au-dessus de
tout éloge. Sa persévérance est invincible, sa loyauté inattaquable*. "
Le Milanais, que les Suisses avaient reconquis depuis peu,
retourna aux Français par le fait de leur victoire à Marignan, et
' Voy. Ll.MG, Itcichsarchiv, t. Xill, p. 811-813. — \'oy. Wiener Jahrbücher der Lite-
ratur, p. 99. — Anzei'jebL, 13, U" 32. — Frankfurts lieickscorrcspondenz, t. il, p. 837.
^Leiters and papers forcign and domestic of the reign of Henry l'IIl, vol. II, part. I,
n" 2661. — Voy. liÖFLER, Carl's V, H'ahl zum römischen König., p. 2-3. Lei élO^es
prodJ;<;ués à la • persévérance et à la loyauté " de l'Linpereur sont d'ailleurs
très-exagérés. Auandonné par les Étatj au moment du péril, irrité de la ruine
de ses projets, Ma.ximilien ne cliercha que trop souvent pendant cette longue et
désastreuse campagne à conjurer son mauvais sort en ayant retours aux • rusées
pratiques des Welches = , cependant si détestées de lui. .Mais il fut joué par ses
ennemis ou ses alliés, beaucoup plus versés dans cet art; Haberlin s'exprime à
ce sujet en toute franchise (t. X, p. 159-161).
DI s coin; s de MAXIMII.IEN' aux lansquenets. 52D
Fraoçois ï", vainqueur et dominateur des confédérés, se rendit bien-
tôt in;iitre de presque toute la Lombardie.
-Maxiinilien, décidé â recouvrer les pays italiens perdus, fit un der-
nier appel aux ressources de l'Empire '. Mais la campagne de 1516 lut
encore plus désastreuse que les précédentes. Les troupes suisses enrô-
lées trahirent l'Empereur, et les lansquenets allemands, mécontents
de ne pas recevoir leur paye, se débandèrent. « Malgré de grandes
dépenses, des frais considérables », dit Georges Kirchmair dans ses
Mémoires, « Maximilien échoua dans son entreprise, et c'est à grand'-
peine qu'il regagna l'Allemagne. Comme tout le monde le sait, il
fut contraint de passer par d'âpres défilés de montagnes au gros
de l'hiver, par une neige abondante et profonde, torturé, mal-
heureux jusqu'au fond de l'ûme, et forcé de laisser derrière lui les
restes de sou armée. Si la grâce de Dieu ne reiit visiblement sou-
tenu, jamais Sa Majesté ne serait sortie d'un pareil péril. Avant
de se séparer des Allemands qu'il laissait en Italie, il leur parla
comme il suit, et j'ai vu moi-même les preuves authentiques de
ce discours : — Allemands courageux, dignes de louanges, forts et
pleins d'énergie, comment pourrais-je attirer votre attention? com-
ment trouverais-je le chemin de votre cœur? Si je m'adresse à vous
eu ma qualité de légitime souverain, peut-être mon discours sera-t-il
mal accueilli; et pourtant, si maintenant encore je suis votre maître,
mon autorité est-elle la mienne? JN'est-clle pas celle de Dieu? Si
vous êtes impitoyables pour moi, pensez du moins à l'honneur de
la nation, car vous êtes des lansquenets, non des Suisses! Donc,
craignez Dieu, craignez la réprobation du monde entier! Avez-vous
déjà oublié ce que je vous ai tant répété? M'en voulez-vous si fort
parce que, pendant un petit espace de temps, je n'ai pu m'acquitter
envers vous? Dieu le sait, je n'en suis pas responsable! C'est la faute
d'autres personnes que je neveux pas nommer ici, et vous eu savez
la raison. Puis-je être partout à la fois? Vous voyez les dépenses
([lie j'ai faites pour soutenir l'honneur de l'Allemagne. Certes, je
n'ai pas épargné ma propre vie, je l'ai exposée sans cesse. Vous
savez aussi que j'ai été indignement trahi par les Suisses, et, quant
au secours que vous m'avez apporté, vous êtes témoins qu'il n'a
occasionné que d'énormes dépenses. O chers Allemands, loyaux
lansquenets, souvenez-vous de votre vaillance! Vous n'êtes pas de
ceux qui ne combattent que par intérêt; vous avez souci de l'hon-
neur! Rendez-moi justice, souvenez-vous que je suis toujours votre
' François I" avait conquis le Milanais à l'aide de cavaliers et de lansquenets
allemands, et continua avec eux sa guerre contre l'Empire. — Voy. le mandat
de Maximilien du 16 janvier 1516 dans la Franlfuris heichscorrespondenz, t. II,
p. 902, n° 1142.
34
530 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
fidèle guide et capitaine, et que j'aime votre honneur plus encore
que le mien propre! Je vous en conjure, montrez-vous fermes,
soyez hommes! Bien que je n'aie pas ici d'argent monnayé, je suis
tout prêt, afin que vous ne doutiez pas de ma bonne volonté, à
vous abandonner ma vaisselle d'argent, mes joyaux, mes meubles,
et je vous prie de les accepter de bon cœur! — Sa Majesté, poursuit
Kirchmair, a dit encore aux lansquencis beaucoup d'autres belles
choses, et cependant ils ne se sont pas montrés plus accommo-
dants. N'est-il pas lamentable de voir que les Allemands aient ainsi
outrageusement traité leur maître, chose inouïe jusque-là parmi
nous? 1'
L'Empereur, abandonné par ses sujets, ayant complètement épuisé
les ressources d'hommes et d'argent de ses domaines relira cepen
dant quelques faibles avantages des longues campagnes d'Italie.
Hoveredo fut reprise, et quelques terriloires du Frioul reconquis; de
plus, il toucha 400,000 ducats d'indemnités de guerre. Mais Brescia
et Vérone, ces portes de l'Italie, tombèrent au pouvoir des Véni-
tiens. " Cette guerre », dit Kirchmair en terminant, « a si mal
(ourné et s'est achevée avec si peu de profit pour Sa Majesté Impé-
riale, que l'expédition de Uome et le couronnement sont mainte-
nant devenus impossibles. Aussi depuis ce temps l'Empereur est-il de
plus en plus découragé *. »
CROISADE PROJETÉE.
Mais il n'en était pas ainsi. Malgré les amertumes dont il était
abreuvé, malgré les fatigues, les pertes subies ^ l'Empereur conser-
vait un courage invincible. Tout vieux qu'il était, il gardait encore j
au cœur l'ambition de sa première jeunesse, rêvant toujours d'unir |
tous les peuples chrétiens sous la conduite de " l'Empereur romain
de nation germanique «, et de chasser les Turcs de l'Europe.
Depuis que le sultan Sélim I", chef habile et puissant, était monté j
sur le trône ottoman, les plans de Mahomet avaient été repris, et les !
armées turques menaçaient de ruine et d'extermination la chrétienté ]
tout entière. Pour acquérir l'empire de la mer, Sélim avait fait |;
construire une flotte de cinq cents vaisseaux; le Kurdistan avait été j
conquis, la Mésopotamie soumise, le puissant empire des mameluks ;
comprenant l'Egypte, la Syrie et la Palestine, venait d'être détruit. |
Sélim était entré au Caire en triomphateur (31 janvier 1517); Alger j
était au pouvoir des infidèles; les ports italiens avaient été pillés et i
j
1 Dans les Fouies rerum Ausl. acn'pit., t. I, p. 436-439. ,
s Voyez la relation de Maximilicn du 17 août 1517 dans la Franh/urts ReUhscor-
respondenz, t. II, p. 9i4.
CltOISADK l'UO.IKTKE. 531
rava^yés. En Hongrie, le péril croissait toujours; la Carniole, la
S(yrie, la Carindiie, l'Autriche étaient livrées sans défense aux
bandes féroces des infidèles. < La croisade ", disait avec raison Maxi-
niilien, « est plus que jamais un devoir imprescriptible, qui s'impose
à (ous les États chrétiens. »
L'expulsion des Turcs, l'espérance de partager leur empire devait
aussi, dans la pensée de Maximilien, servir à équilibrer les divers
intérêts des puissances chrétiennes. Au congrès de Cambray fl517),
rEmpcreur et les rois de France et d'Espagne eurent ensemble de
longs pourpalers; un plan de partage de tout l'Empire ottoman entre
les peuples chrétiens fut présente à rassemblée. Maximilien, en
paroles ardentes, conjura Léon X, qui déjà avait soutenu la Hongrie
dans sa résistance contre les Turcs, de prendre l'initiative d'une croi-
sade nouvelle '. Ouant à lui, si, à l'âge où l'on sait à peine ce que
c'est que la guerre, il avait ardemment souhaité de chasser d'Europe
tous les ennemis de la foi, maintenant, vieux, mûri par l'expérience,
tout sou désir était de mettre son expérience et son savoir au service
des chrétiens opprimés.
Au mois de mars 1617, le concile de Latran, réuni à Rome, se décida
à proclamer une croisade générale. Elle devait durer cinq ans, et,
pendant ce temps, trêve devait être faite à toute querelle entre les
princes chrétiens. Le Souverain Pontife proposa tout un plan de
campagne. Pour couvrir les 8,000 ducats indispensables aux frais
généraux de la guerre, il demandait à tous les membres du clergé
de donner soit le dixième, soit le tiers, soit'le quart de leurs revenus;
les nobles en donneraient le quart, les bourgeois le vingtième; le
Pape laissait aux princes la hberté de fixer eux-mêmes la part qu'ils
devaient fournir, s'en rapportant à leur sagesse et à leur libéralité^.
L'Empereur, le roi de France, la plupart des souverains européens
donnèrent leur assentiment aux propositions papales. Mais Maximi-
lien fut d'avis de ne s'engager qu'à une campagne de trois ans :
" Pendant la première année ", dit-il, t nous nous emparerons des
possessions africaines; dans la seconde, les provinces européennes
que le sultan nous a ravies seront reconquises; dans la troisième,
nous reprendrons Constantinople. Quant aux petits États asiatiques,
ils tomberont d'eux-mêmes entre les mains des vainqueurs.
Satisfait des dispositions et de la « merveilleuse entente > des puis-
sances chrétiennes, Léon X proclama, le 13 mars 1518, la croisade
générale et la trêve de cinq ans, et fit remettre à l'Empereur, pro-
tecteur-né de la chrétienté et généralissime de l'expédition contre
1 Raynaldi Annales ad a. 1517, n" 2-5.
2iti</.,n° 16-55.
34.
532 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
les infidèles, une armure, un casque et un glaive bénits, que le
cardinal légat, Caietan, fut chargé de lui remettre en grande pompe
à l'ouverture de la diète d'Augsbourg.
ce La plus grande espérance de la chrétienté », dit Maximilien
dans la lettre circulaire qui appelait les États à cette diète, « repose
maintenant sur la nation allemande. IMontrez donc l'obéissance que
vous nous devez, et ne donnez sujet ni au Saint-Empire, ni à l'Alle-
magne, ni surtout à la sainte chrélienté, de vous accuser d'avoir
mis obstacle à la grande expédition qui se prépare '. » Il espérait
fermement que les États lui fourniraient le moyen de la mettre à
exécution. Le 1"' aoi\t 1518 eut lieu la remise de l'armure bénite.
« Toi seul », dit le cardinal légat dans son allocution à l'Empe-
reur, « toi seul portes le nom de protecteur et de gardien de l'Église.
L'état des choses réclame impérieusement que tes actes répondent à
de si augustes titres. Les yeux de tous les chrétiens sont fixés sur
toi; tous espèrent que tu porteras la main à ton glaive, tous savent
que tu le lèveras contre les ennemis du Seigneur. Puisse ton bras,
fortifié par le Tout-Puissant, châtier la fureur et la cruauté des infi-
dèles! » L'Empereur répondit qu'il prenait la sainte armure des mains
du prélat avec un cœur rempli de reconnaissance. Sacrifier ses biens,
exposer sa vie pour le Saint-Siège et le saint de la chrétienté, avait
été, dès ses premières années, son vœu le plus ardent. S'il n avait
plus maintenant cette brillante jeunesse, ce corps vigoureux que
semblait réclamer une entreprise si grande et si sainte, protégé par
le casque du Saint-Esprit- et l'épée de la foi, il prendrait du moins
part à la campagne. La croisade était devenue inévitable, et il la com-
mençait avec un ferme et indomptable courage. En effet, il avait écrit
au Pape peu de temps auparavant : « J'obéirai; je fais avec joie le
sacrifice de mes biens et de mon sang. Déjà, d'un pas rapide, je
m'approche de la vieillesse, mais je ne souffrirai pas qu'elle ralentisse
ma course! Et si, pour le Christ, j'étais appelé à souffrir une mort
digne d'envie, j'espère aller revivre au ciel dans la gloire éternelle
du paradis. »
Le cardinal légat, dans un brillant discours, énuméra les raisons
qui rendaient la croisade impérieusement nécessaire. « La religion et
l'humanité », dit-il, « se jettent en suppliantes aux pieds de l'Alle-
magne. Tous les yeux sont fixés sur l'aigle de Maximilien; le salut
du monde ne peut venir que de l'Empereur romain. Si vous l'aban-
donnez, vous vous abandonnez vous-mêmes, car l'Allemagne, plus
que tout autre pays, représente pour les Turcs les frontières avancées
de l'Europe. Leurs galères, il est vrai, atteignent plus promptement
' circulaire du 9 février 1518 dans la Frankfurts Ilcichscorrespondenz, t. II,
p. 956-959.
LES |';TATS KEKISENT des SECOi;i!S F'OLU LA CROISADE. Ö33
ril.ilie, mais en revanclic leurs armées de terre sont bien autre-
mont à redouter, car c'est en elles, comme chacun sait, que réside
leur force principale. L'Allemajjne sera ouverte aux libres incur-
sions des infidöles, si nous ne protégeons et ne sauvons ses boule-
vards, c'est-à-dire la Carniole, la Carinthie, la Slyrie, la Croatie et la
Uongvie. Si dès maintenant vous ne vous décidez à entreprendre la
croisade, si vous la remettez à plus tard, la chrétienté perdra cou-
rage! Oue ferons-nous donc, nous autres, diraient les princes chré-
tiens, si l'Allemagne, qui est en possession de la dignité impériale
et doit par conséquent protéger l'Église, hésite, et remet sa décision
d'une dièfe à l'autre? Ainsi, ce qu'à Dieu ne plaise, vos retards pré-
pareraient la ruine générale. "
Pour réunir les troupes nécessaires et couvrir les frais de la cam-
pagne, le cardinal légat proposait que les prêtres donnassent le
dixième de leur revenu annuel; les riches, le vingtième; les gens de
petites ressources, le cinquantième. Ouant à la manière de lever et
de conserver les impôts sans que les agents préposés à cette besogne
pussent réclamer quelque chose pour eux; quant à la surveillance à
exercer pour que l'argent recueilli soit uniquement employé à couvrir
les frais de guerre, et que cet argent soit loyalement remboursé à
chacun au cas où la croisade ne pourrait s'effectuer, le légat s'en
rapportait entièrement aux Allemands : =• Le siège apostolique ',
dit-il, « entend ne se mêler aucunement des fonds militaires; de
tout l'argent voté, il ne réclame absolument rien pour lui-même,
quoi qu'en puissent dire les faux rapports qu'on s'efforce de répandre
à ce sujet '. »
L'Empereur et les ambassadeurs polonais soutinrent avec chaleur
les propositions du légat, mais les États les repoussèrent. Au milieu
de tous leurs prétextes, ils adoptèrent une méthode nouvelle, bien
souvent reprise depuis, et qui servit toujours à colorer leurs refus. Ils
revinrent sur tous les griefs de l'Empire contre le Saint-Siège, et
recommencèrent à ce sujet de stériles récriminations. Les bruits alar-
mants qui se répSndirent pendant la diète sur le retour de Selim à
Constantinople, sur ses effrayants préparatifs, sur le débarquement
' Le discours du légat -â aoiU) se trouve dans Böcking, l'ir, Huiie/i Opp, t. V,
p. 162-167. " La nécessité de se défendre contre les Turcs, dit He^ewisch
(t. II, p. 159), était devenue tellement évidente par l'accroissement constant
de la puissance de cet ennemi et le péril imminent de la Hongrie comme de
l'Italie, qu'il était puéril de revenir sur les griefs qu'on croyait avoir contre
la cour romaine. Les ambassadeurs du Saint-Siége ayant si solennellement
déclaré que pour éloigner tout soupçon, ils ne voulaient rien avoir à faire
avec la caisse qu'ils se proposaient d'établir pour couvrir les frais de la cam-
pagne, rien ne donnait le droit de mettre en doute la loyauté de leurs assu-
rances. •
534 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
des corsaires turcs à Gaëte, sur l'attaque de Belgrade, ne troublaient
aucunement les princes. Ce n'était là, disaient-ils, que des contes
inventés à plaisir pour extorquer de l'argent allemand. Un suppliant
appel de secours que leur firent parvenir les habitants des pays
héréditaires d'Autriche, les toucha tout aussi peu. « La Carniole,
la Styrie, la Carinthie, l'Autriche «, écrivaient le 4 septembre à
Francfort les délégués de cette ville, « ont envoyé aux États une
lettre émouvante, implorant d'eux des moyens de salut en termes
pleins de sincérité et de douleur. Ils racontent les désastres que
depuis si longtemps les Turcs font subir à leur malheureux pays; ils
disent comment les infidèles ont incendié la Croatie, ravageant
tout sur leur passage, si bien que presque tous les comtes du pays
sont devenus leurs tributaires. Les Turcs relèvent les châteaux el les
forteresses qu'eux-mêmes viennent de détruire et de raser, et les
mettent en état de défense, de sorte qu'il est à craindre que si l'on
ne s'oppose à temps à leurs desseins,- jls ne paraissent bientôt en
Bavière et en Souabe. Les princes et les électeurs ont donné à ces
populations malheureuses d'unanimes marques d'intérêt; mais dès
qu'il s'est agit de débourser, chacun s'est excusé '. '>
Tout ce qu'on put obtenir des États relativement à la croisade,
ce fut une promesse véritablement dérisoire, eu égard aux néces-
sités urgentes du moment. Ils consentaient à ce que, pendant trois
années consécutives, toutes les personnes qui s'approcheraient de la
communion s'engageassent à donner annuellement au moins un floriu
et demi. Les sommes ainsi obtenues devaient être confiées au gou-
vernement jusqu'au moment de l'expédition.
Même pour de si insignifiantes offres, les princes déclaraient
ne pouvoir rien décider avant d'avoir consulté leurs sujets ^ Quant
à l'argent déjà versé, à la nomination des commandants militaires,
ils ajournèrent les discussions et autres questions importantes rela-
tives à l'expédition turque jusqu'à la prochaine dièle^ " Autrement
dit, aux calendes grecques », écrivaient les délégués de Francfort,
u Dieuveuille »i, ajoutaient-ils, « que tout ceci produise quelque bien! »
Peu d'années après, Belgrade et l'île de Rhodes,* ces deux princi-
paux boulevards de l'Europe chrétienne, tombaient entre les mains
des Turcs, et les événements ne justifiaient que trop les anxiétés et
les pressentiments du Pape et de l'Empereur. On ne se trompait pas
en affirmant « qu'avant dix ans la puissance ottomane aurait posé le
siège devant Vienne ».
' Frankfurts lieichscorrespondcnz, t. Il, p. 982.
* Voyez ces négociations dans la FrmJ.furts Reichscorrespondcuz, t. II, p. OSij-O'JS.
^ Arrêt impérial de la diète d'Augsboiirg dans la Xeue Sammlung der Hciclisabs-
ckiede, t. II, p. 168-169.
DKIîNIEnS PLANS I) i: 1! K F 0 I! M I' DE M WIM I LI F. N. 535
Tous les esprits clairvoyants s'apercevaient de Timminence du
péril. .Mais les membres des Élats ne voyaient jamais plus loin que
les bornes de leurs domaines. - Chacun d'eux , dit un observateur
conicmporain, « oiU volontiers consenti à perdre un œil s'il eiU pu
espérer que son voisin en perdit deux'. »
DERNIERS PLANS DE RÉFORME DE l'eMPEREUR.
Les Ktats se montrèrent tout aussi égoïstes et négligents dans
les questions intérieures qui touchaient à la sécurité générale de
l'Empire. En dépit des efforts de Maximilien, et malgré le zèle inlVi-
îigable qu'il apportait à élaborer sans cesse de nouveaux plans de
réforme, les diètes se passaient à former des résolutions qui n'abou-
tissaient à rien, ou à de très-insignifiants résultats.
Pendant la diète d'Augsbourg (1510), l'Empereur représenta
encore une fois aux États que le maintien de la paix et de la justice
lui était impossible sans " leur secours et leur appui ". " Car la
paix et la justice veulent un pouvoir exécutif, et.ce pouvoir ne peut
être exercé sans nécessiter de grandes dépenses. Or Sa Majesté
déclare ne plus être en état de les supporter seule après tout ce qu'elle
a fait pour l'Empire dans les campagnes passées et présentes.
Maximilien demandait donc que les ordonnances votées à Worms
et à Augsbourg en li95 et 1500 touchant le denier commun et
les taxes imposées à tous d'après les cadres paroissiaux, fussent
reprises, et enfin obéies. Mais, sur ce point, les États se montrèrent
intraitables. " Les ordonnances de Worms ', dirent-ils, - avaient
été regardées comme non avenues pour beaucoup de motifs; et
comme ces motifs, loin d'avoir disparu, s'étaient multipliés, il était
absolument « superflu » de revenir sur cette question. « L'Empereur
leur soumit alors un plan d'organisation militaire ayant pour base
la contribution matriculaire de l'État, et calculé pour préparer les
cadres d'un contingent perpétuel, pouvant, suivant les besoins des
temps, s'élever de raille à cinquante mille hommes. Chaque territoire
chaque sujet devait être équitablement taxé d'après son revenu. La
maison d'Autriche supporterait les mêmes charges que le Saint-
Empire, mais les pays allemands de leur côté seraient tenus à ne
pas faire moins qu'elle. On n'aurait à fournir ce contingent mili-
taire que lorsque les besoins de l'Empire réclameraient les sacri-
fices de tous, et aussi longtemps que la nécessité le demanderait
et s'imposerait à tous les territoires. Les princes, les prélats, les
comtes, les cités, répartiraient le chiffre de soldats qui serait
' Voyez cette citation dans Droysen, 2, B. 76.
536 EMPIRE ROMAIN CERMANIOUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
indiqué, entre tous leurs subordonnés, afin que la charge soit équi-
tabiement partagée. <= Un tel arrangement n'a rien d'impossible et
peut s'effectuer sans grands frais =;, disaitl'Empereur; -^ et lorsque les
ennemis de l'Empire entendront parler de la concorde qui règne
entre le souverain et l'Empire germanique, lorsqu'ils sauront le
mutuel appui qu'ils se prêtent, ils cesseront certainement de nous
menacer. Ces (roupes permanentes ne serviront d'ailleurs qu'au main-
tien et à la défense du pays, et ne seront jamais employées à com-
battre les ennemis personnels du souverain; elles se borneront à
maintenir la paix du dedans, à châtier les perturbateurs de-l'ordre
et à faire exécuter les arrêts de la Chambre Impériale. ; Un comité
particulier, organisé par l'Empereur et les États, devait, à cet effet,
siéger au tribunal et prendre toutes les mesures nécessaires.
Maximilien était persuadé qu'une organisation militaire perma-
nente, mettant un pouvoir exécutif entre les mains du gouvernement,
pourrait seule sauvegarder la dignité du souverain, qu'elle serait
avantageuse au Saint- Empire, redoutable aux rebelles et funeste
aux ennemis du dehors. :\]ais les États ne consentirent à entrer sur
ce point dans aucune discussion; ils promirent seulement de prendre
en considération « ce dessein quelque peu hardi ;;, afin d'en donner
leur avis à la diète prochaine '.
Cette diète s'ouvrit à Trêves en 1512, et fut ensuite transférée à
Cologne. Les États commencèrent par écarter le plan militaire de
Maximilien. En revanche, la réorganisation de l'Empire fondée sur
la division des divers territoires en dix cercles se consolida. Déjà, à la
diète d'Augsbourg (1500), ce partage avait été fait, et les six cercles
suivants organisés : Franconie, Bavière, Souabe, Haut-Rhin, West-
phalie et Basse-Saxe-. Les domaines impériaux et les terres électorales
allaient maintenant en former quatre autres : la Saxe et le Brande-
bourg avec leurs maisons princières; les quatre États électifs du Uhin,
les pays autrichiens, et enfin ceux de la succession bourguignonne.
Ces divisions tracées par ISÎaximilien correspondaient parfaitement
à la nature des choses, et il eût été presque impossible de les mieux
définir.
Chaque cercle devait être mis en possession d'un pouvoir exé-
cutif composé d'un gouverneur, ayant sous sa direction des con-
seillers, chargés de veiller au maintien de la paix, à la soumission
des fauteurs de troubles et à l'exécution des arrêts portés par la
Chambre Impériale. Mais dans les cas graves, là où l'assistance des
' Voyez les délibérations de la dièle d'Augsbourg dans la F ranlcfuris Reichscor-
respondcnz, t. II, p. 807-823.
* Ces cercles furent ensuite désignés sous le nom de « six anciens cercles »
(sex pristini circuli).
DERNIERS PLANS DE RÉFORME DE MAXIMILIEN. 537
pouvoirs locaux serait insuffisaii(e, lc{]Ouvcrncur du cercle devait en
appeler ä l'Empereur, qui alors réunirait les Klals du royaume, et
prendrait avec eux les mesures nécessaires. l'our la nomination du
(jouverneur et des conseillers de cercles, l'Empereur eiU voulu se
réserver un droit de vote ou de sanction; mais les États se hâtèrent
de repousser une pareille prétention. Ils rejclèrent également la
proposition de Maximilien, qui pour compléter Torj-T^anisation mili-
taire, voulait établir au-dessus de tous les gouverneurs de cercles
un connétable qui se (ÏU mis sous ses ordres, en cas de guerre avec
l'étranger.
Maximilien revint encore sur le conseil aulique qu'il désirait tant
former. Ce conseil composé de huit membres, dont quatre nommés
par les électeurs, deux par les autres princes et comtes, un par les
prélats et un par les villes, devait assister l'Empereur dans le gou-
vernement, convoquer les diètes conjointement avec lui, maintenir
les divers États dans le devoir, conseiller et assister les princes sou-
verains au cas où leurs sujets se montreraient rebelles, enfin accom-
moder et aplanir tous les différents qui pourraient survenir à l'in-
térieur.
Ce conseil était d'une importance énorme pour l'Empereur au
point de vue du prélèvement de l'impôt d'Empire, sur l'organisation
duquel il insistait de nouveau.
Après de longues délibérations, les États consentirent à l'érec-
tion du conseil. Le denier commun fut aussi concédé, mais clans
une mesure si restreinte que, même loyalement payé, il eût exercé
une bien faible action sur les finances de TEmpire. Tandis qu'on
avait auparavant compté sur un florin par mille florins de capital,
maintenant on se bornait à promettre un florin sur des revenus variant
de quatre à dix mille florins; et tandis que précédemment les princes,
comtes et seigneurs, avaient consenti à contribuer au denier com-
mun dans la mesure de leurs revenus, ils déclaraient maintenant qu'ils
se voyaient forcés de diminuer encore l'impôt cependant si minime qui
leur était demandé. Pour couvrir les frais de leur séjour à la diète et
organiser chez eux la levée de l'impôt, ils avaient été contraints,
disaient-ils, à trop de dépenses. Or, les revenus annuels des électo-
rats de Brandebourg et de Wiirtzbourg montaient alors à 40,000 flo-
rins; ceux de Magdebourg, à 50,000; ceux des électorats de Saxe et
de Trêves, à 60,000; ceux de Mayence et de Wurtemberg, à 80,000;
ceux de Bavière, à 100,000; de Cologne, à 110,000'. Malgré de si
' Voy. la relation de Ocirini, dans le Zeitschrift für Geschichtswissenschaft de
Schmidt, t. II, p. 278.
538 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
énormes sommes, les princes ecclésiastiques et temporels assuraient
que leurs finances étaient tellement épuisées qu'ils ne pouvaient
songer à fournir le moindre argent pour les besoins de l'Empire et
le maintien de la paix.
« Anatlième aux princes! « dit un pamphlet contemporain, « leur
avarice les perd! Ils ne veulent faire aucun sacrifice à l'Empire, à la
sécurité du pays, à l'établissement de la justice! Le désordre renaîtra,
la révolte relèvera la tête, ils ne pourront plus se maintenir, ils seront
engloutis par le torrent! Leurs domaines seront démembrés, et en
premier lieu ceux du clergé. Écoutez, princes, ce que je vous prédis!
Mais vous faites la sourde oreille! Allez, votre ruine et votre perte
sont inévitables'! » Pour les chevaliers, ils demandèrent à être
exemptés de l'impôt. Ils se proposaient d'y contraindre leurs sujets
ou petits vassaux; mais quant à eux, ils attendraient pour s'exé-
cuter que la nécessité fût plus pressante. En vain Maximilien leur
représenta qu'avec les faibles ressources mises à sa disposition,
il lui serait impossible de subvenir même aux besoins les plus
urgents; en vain demanda-t-il qu'on consentit du moins à pro-
clamer l'obligation de l'impôt jusqu'à ce qu'il eût produit un million
de florins : les États ne se laissèrent pas entraîner d'un pas au delà
de ce qu'ils avaient résolu de faire, et la somme consentie ne fut plus
tard qu'imparfaitement perçue, encore moins versée-. " Les États •',
écrivait Trithème en 1513, ■= ont la vieille habitude de ne donner
à l'Empereur que peu ou rien de ce qu'ils lui promettent. Aussi le
souverain n'a-t-il en main aucune force; il lui est complètement
impossible de protéger le droit et la justice, et de châtier les fauteurs
de troubles comme ils le méritent, de sorte que notre situation
intérieure est sans aucune sécurité ^ »
TROUBLES DANS LE ROYAUME.
Les *< horribles attentats » commis par Götz de ßerlichingen et
ses compagnons de brigandage, juste au moment où l'Empereur
réunissait les États à Trêves pour délibérer avec eux sur la paix
publique et le maintien de la justice, prouvent trop évidemment à
quel point la situation intérieure offrait, en effet, « peu de sécurité ».
« Götz avait des amis jusque parmi les princes, et ceux-ci le voyaient
' Curieuse A'achrichten. p. 79. — ^'oy. JÖRG, Deutschland in der dévolutions période,
p. 92.
* Les délibérations de Trêves et de Cologne dans la Frankfurts Beichscorrespon-
denz, t. II, p. 844-889. Arrêts et contre-arrêts de la diète dans la iVeuc Sammlung
der lieichsabschicde, t. II, p. 136-151.
^ De Judaeis, p. 21.
T KO ÜB m; s DANS LE liOVAUME. 539
avec complaisance piller les marchands, incendier les villages. Franz
de Sickingeu se livraK aux mêmes actes. 11 élait bien plus puissant
que CA'itz et plus passiouruî encore que lui pour le pillai^e. Les ordres de
rEmpercur, les menaces de la Chambre Impériale, étaient sans force
aucune contre ces hardis violateurs de la paix publique. Tous les
bons chrétiens se plaignaient, disant que le droit n'existait plus, que
la violence régnait seule à sa place, et que, dans l'avenir, des choses
plus déplorables encore étaient à redouter '. »
Götz de lîerlichingen et Franz de Sickingen peuvent être consi-
dérés comme les chefs les plus importants de ce parti de la force, qui,
mettant à profit l'impuissance du souverain, déclarèrent alors la
guerre à toute autorité, d'abord aux temporelles, ensuite aux ecclé-
siastiques, et firent d'une lutte sans trêve contre l'ordre établi la
grande affaire, le but principal de leur vie. Ces deux hommes avalent
réellement l'inslinct de la dcstrucliou; leur caractère était farouche,
ils n'aimaient que le désordre et la rapine. Toutes leurs entreprises
étaient appuyées sur des droits prétendus, mais ces droits, qu'ils
faisaient valoir tantôt pour eux, tantôt pour leurs amis, n'étaient eu
réalité que des prétextes aux actes de violence les plus audacieux. Le
brigandage était pour eux une industrie réglée, et ils s'y livraient
comme s'il eût été une vocation légitime, avec hardiesse, ruse, système
et méthode"".
Götz avait établi sa « juste réputation » par la célèbre guerre
privée de Nuremberg, commencée sous les plus futiles prétextes, et
1 cité par SENCKE\EErio, Acla et Pacta, p. 501.
ä David Strauss (t. II, p. 73) dit qu'il serait absurde de supposer que « ces
chevaliers (Franz de Sickingen, Götz de Berlichin;;en et leurs pareils) aient
souvent tiré leurs épées pour la cause des opprimés, et mus par un amour
désintéressé de la justice ou de la liberté >. Ils nous semblent avoir été non-
seulement cruels, mais encore intéiessés, et ne s'êlre jamais mis en campagne
qu';iprès avoir calculé les profils à f.iire. Dans leurs guerres privées nous
sommes révoltés non-seulement de l'impitoyable dureté avec laquelle ils
dépouillent les pauvres gens, incendient et dév.istent leurs villages, mais encore
du sang-fioid de leur attitude. Ils semblent se livrer à un melier dont les ran-
çons et ie buiiu sont le très-légitime résultat. Lajusiice, l'offense supposée,
reçue soit par eux, soit par quelque gentilhi mme ou ville, etc., ne sont les trois
quarts du temps qu'un prétexte pour incendier les paysans de l'un, attaquer
et dépouiller les marchands de l'autre. C'est ce qui ressort clairement des aveux
n;!ïfs de (iötz à Greifen, et Franz de sickingen, appelé non sans raison un
• Götz plus relevé ", n'était pas fait d'un autre bois. Sur Götz et ses Mémoires,
voy. Wegele, p. 130-1^6, et postérieurement les articles de Baumgarten, dans
les Stimmen ans Maria-Laach. 1879, cah. 1-8. Une liste des endroits de halte
et des voies siires des environs de Bamberg et de Nuremberg, faite avec un
soin et un savoir dignes d'un meilleur but et parvenue jusqu'ù nous, nous
révèle dans les chefs de bande dont nous parlons des connaissances et une exac-
titude qui feraient honneur à un général moderne d'état-niajor. (Daus Berli-
CHINGEN-ROSSACU, Gcscli. des Rillcis Gcilz roii Berlicfiinijen und seiner Fa7nille.) W'EGELt.,
p. 136. Les chevaliers pillarJs étaient dans l'opinion populaire une sorte de
confrérie d'un nouveau genre, organisée pour le mal.
540 EMPIRE F.OMAIN GERMAMOUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
simplement, comme il le disait, " parce qu'il avait eu euvie de se
mesurer un peu avec ceux de Nuremberg ». Violant brusquement la
paix publique, il avait, ea mai 1512, surprit près de Forchheim un
nombre assez considérable de marchands de Nuremberg, qui, sous
l'escorte de l'évèque de Bamberg, revenaient de la foire de Leipzig.
Aprèsles avoir dévalisés, il lesavait fait enfermer sousbonne garde dans
un lieu écarté, et ne leur avait rendu la liberté que sur une promesse
de rançon. Götz et son rude et farouche compagnon de brigandage,
Hans dé Selbitz, avaient fait d'énormes préparatifs pour cette expédi-
tion. Une grande partie de la chevalerie deFranconie, lesGrumbach,
Hutteu, Fuchs, Geyer, Habsberg, d'autres encore, y avaient pris
part, soit en personne, soit par leurs hommes d'armes, ou bien en
recelant et faisant disparaître les victimes. Trois marchands de
Sainl-Gall, et un Florentin qui pendant le voyage s'était joint à eux ',
furent dévalisés. Hans von Selbitz pilla et incendia le château et la ville
de Vilseck, appartenant à l'évèque et à l'évêché de Bamberg. L'Empe-
reur et la Chambre Impériale lancèrent un arrêt contre le violateur
de la paix; mais en dépit du ban prononcé contre lui plusieurs fois,
Götz surprit encore, à deux reprises différentes, à Ochsenfurt et à
Mergentheim, des marchands de Nuremberg, et deux ans s'écou-
lèrent avant que lui et ses protecteurs, parmi lesquels se trou-
vaient le duc de Wurtemberg et l'électeur palatin, eussent subi
sous forme d'amende le châtiment mérité. A la guerre privée de
Nuremberg, s'en joignit bientôt une autre, celle de « Mayence-
Waldeck ». Les bourgs et communes des environs de Mayence
situés non loin de Jaxthausen, château de Berlichiugen, éprouvèrent
la brutale férocité du chevalier à la main de fer. >< Je voulus tenter
ma chance et voir si je ne pourrais pas me venger un peu », raconte
Götz dans ses Mémoires. " En une seule nuit, j'incendiai trois
bourgades : Ballenberg, Oberndorf et la métairie de Krautheim, au
pied de la montagne sur laquelle s'élève le château. • Il fit prisonnier le
comte Philippe de Waldeck, vassal de l'archevêque, qui avait pris parti
pour son seigneur, l'emmena fort loin de là, et le retint prisonnier
jusqu'à ce qu'il lui eut compté dix-huit mille florins. Götz racontait
encore dans sa vieillesse avec la plus vive satisfaction plusieurs parti-
cularités de cette belle aventure. - Un jour », disait-il, « comme j'étais
sur le point d'attaquer, j'aperçus une troupe de loups fondant sur un
troupeau de moulons; cet incident me parut d'un heureux augure.
Nous allions commencer le combat; un berger se trouvait tout près de
nous, gardant ses moutons, lorsque, comme pour nous donner le signal,
cinq loups se jettent en même temps sur le troupeau; je le vis et le
' Wegele, Die Nürnberger Fehde, nach archivalischen Quellen dargestellt, p. 143-152.
TliüUBI.KS DANS LE ItüYAUME. 541
remarquai volontiers; je leur souhaitai bonne réussite et à nous aussi,
leur disant : « Bonne chance, cliers coinp.ijynons! IJon succès à vous,
« en tous hcux! » .le regardais comme un Tort bon signe que nous
eussions commencé l'attaque ensemble! » « Pendant environ soixante
ans ■, dit-il avec orgueil dans ses Mémoires, « j'ai soutenu à la
pointe de mon épée des guerres privées, des rixes, des querelles;
j'ai été compagnon du bonheur et de la victoire. Malheureusement,
il est arrivé aussi bien des lois que d'excellents coups ont été manques
par suite de la paresse et de la négligence de mes hommes, et surtout
parce que mes camarades pillaient et rançonnaient en temps inop-
portun, gâtant ainsi toute l'aiTaireM »
Franz de Sickingen, surnommé dans les dernières années de sa vie
le Ziska allemand, était l'ami, l'associé de Götz. 11 était encore plus
redoutable que lui. 11 professait un mépris déclaré pour toutes les
lois de l'Empire. Son père, Schwicker de Sickingen, maréchal de
l'électeur palatin du Rhin, avait acquis, au service de son maitre,
ou par des {guerres privées et des héritages, des domaines con-
sidérables, dont les deux châteaux d'Ebernbourg, près de Kreutznach,
et de Landstuhl, près de Kaiserslautern, étaient les centres les plus
importants. Un jour, à Cologne, le poignard qu'il portait à sa cein-
ture, au mépris des ordonnances qui défendaient de porter des armes
dans l'enceinte de la ville, lui fut enlevé. Il entra à ce sujet dans une
si violente fureur qu'il résolut, aidé de ses compagnons, de mettre
le feu aux quatre coins de la ville. Heureusement, ce crime vint à la
connaissance du conseil avant d'avoir pu être exécuté -. Franz était
le digne fils d'un tel père. Sa réputation d'audacieux chef de brigands
s'était faite en 1515, durant la guerre privée qu'il avait entreprise
contre Worms. Un notaire chassé de la ville et dont les biens avaient
été confisqués, était entré à son service, et lui avait cédé quelques
quittances sur des bourgeois de Worms. Sickingen en exigea le rem-
boursement devant le conseil de la cité, qui refusa de faire droit à ses
injustes réclamations, mais s'offrit à discuter l'affaire en justice. La
question fut apportée devant la Chambre Impériale, dont le siège était
alors à Worms. La Chambre traita l'affaire comme une question de
droit, et défendit au chevalier, sous peine de bannissement, de rien
entreprendre contre Worms. « Mais, sans se soucier en rien de la paix
publique ou de la justice ", Sickingen courut aux armes, et avant
même d'avoir lancé un défi à la ville, attaqua audacieusement, dans
les environs d'Oppenheim, trente voyageurs de Worms qui se ren-
daient à la foire de Francfort, et parmi lesquels se trouvait un ancien
bourgmestre et plusieurs conseillers. Il les dépouilla de tout ce qu'ils
' Lebensbeschreibung, p. 81, 119, 169, 172, 181.
* Voy. UlMA.NN, Sickingen, p. 6-7.
5i2 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
possédaient, fit subir lui-même la torture au bourgmestre, et à force
de mauvais traitemeuts et de menaces, contraignit les prisonniers à
lui livrer de fortes rançons. Alors seulement, il envoya à la ville sa
lettre de défi. L'Empereur et la Chambre Impériale le condamnèrent
au ban et le mirent hors la loi. Mais il trouva un refuge chez ses
compagnons de rapine, Götz de Berlichingen, Hartmut de Cronberg
et autres, enrôla, avec l'argent du butin, une troupe de malfaiteurs
avides de pillage, dévasta les environs de \Vorms, fit couper toutes
les issues de la ville, détourna les eaux, détruisit les chemins, abattit
les ponts, et eut même l'audace de signifier à la Chambre Impériale
l'ordre d'avoir à transférer son siège ailleurs. " Autrement ;, disait-il,
" il ne pouvait plus répondre de sa sécurité! » Son ami et associé,
Philippe Schluchterervon Erffeustein, commettait au même moment
les plus effroyables forfaits à Metz, pillant les convois de marchan-
dises, enlevant les bestiaux du territoire de la ville, mettant à feu et
à sang tous les villages d'alentour. Schluchterer et ses compagnons
furent condamnés au ban et mis hors la loi; mais cette mesure resta
absolument impuissante.
C'est à un pareil état de choses que la nouvelle division géogra-
phique de l'Empire était chargée de remédier. L'Empereur, à Landau,
appela les États du Haut-Rhin à une délibération sérieuse sur les
moyens de venir à bout de Sickingen, et de délivrer Worms. Mais
ceux-ci déclarèrent que l'entreprise était au-dessus de leurs forces, et
que, contre Sickingen, il faudrait en appeler à l'Empire tout entier.
Alors Maximilicn convoqua les États de tous les cercles impériaux,
espérant trouver, grâce à leur assistance, le moyen de soumettre le
pertubaleur de la paix publique; mais cette assemblée refusa tout
secours, et pendant tout ce temps Sickingen continuait à faire pleu-
voir sans relâche sur les habitants de Worms toutes les calamités pos-
sibles, dépouillant, massacrant les bourgeois qui tombaient entre ses
mains(1515-1517). Les États ne voulurent rien faire pour la ville libre;
l'Empereur seul envoya à son secours quelques centaines de cavaliers
allemands et bourguignons, ordonnant en même temps au maréchal
de la basse Alsace de faire des armements considérables.
Pendant que Worms était ainsi la proie de ces hardis brigands, Sic-
kingen, de sou côté, se faisait redouter comme chef de bande. Devenu
l'auxiliaire du comte de Gerolsdseck, il dévastait et incendiait les pos-
sessions du duc de Lorraine, avec mille chevaux et quelques bandes
de lansquenets. Mais, peu de temps après, le duc lui ayant fait offrir
une pension, il entra à son service. Cette campagne contre un prince
d'empire fonda son renom militaire en Allemagne'.
' UlmaNN, Sickingeti, 24, 5Î, 9i.
TU01:RLE.S dans le royaume. 5i.5
Par l'intermédiaire du comlc Uobcrt de la Marciv, surnotnnié le
« Sanjjlier des Ardenues ", Sickiiigen entra en né^^ocialions avec la
France, et François I", qui dès lors nourrissait l'espoir de devenir un
Jour empereur, prit à sa solde le chevalier banni. F'onr un revenu
annuel de j)lusieurs milliers de francs, Sickingen j)romil de délondre
le roi de France contre « tous ses ennemis » ' (par conséquent, contre
Maximilien). Aidé de la chevalerie allemande, il se faisait fort,
disait-il, de placer la couronne impériale sur la tète du souverain
français. « Mon dessein », disait-il à un confident du lioi, <' est de
fortifier le parti de votre mailre parmi la noblesse allemande. Il ne
peut attendre de secours vraiment utiles que de simples ciievaliers
comme moi; s'il s'adresse aux princes souverains, et surtout aux élec-
teurs, il sera infailliblement déçu; ils prendront volontiers son
ar(5,cnt, mais ne feront que ce que bon leur semblera; au lieu qu'il
apprendra avant peu de quelle utilité je lui puis être*! " 11 ne roussis-
sait point de soutenir en face à François I" qu'il n'était persécuté par
l'Empereur qu'à cause de son dévouement pour la France.
Les intrigues formées contre l'Empire gagnaient tous les jours du
terrain. Ulrich, « duc et bourreau du Wurtemberg », était l'allié de
Sickingen, et secondait les vues du roi de France avec une extraor-
dinaire activité. François I" disait au délégué du Wurtemberg,
Ebrard de ileiscliach : « Je n'abandonnerai ni le duc Ulrich ni
Sickingen dans leur lutte contre l'Empereur. J'engagerai le duc de
Gucldre, le comte de la Marck, d'autres de mes alliés, à fournir un
secours important à Sickingen et à ses amis, et de cette manière
l'Empereur aura pour quelque temps de l'occupation ^! »
L'insolence et l'amour de la rapine prirent bientôt chez Sickin-
gen des proportions inouïes. En mars 1517, il surprit, dans les envi-
rons de Mayence, sept voitures chargées de marchandises apparte-
nant à des marchands d'Augsbourg, de Nuremberg, de Ravensbourg,
de Kempten, d'Isny et de Leutkirch; elles faisaient route pour
la foire de Francfort. Il se saisit de tous les ballots, et les transporta
sans obstacle à travers le Palatinat, jusqu'au château d'Ebernbourg.
Au mois de mai de la même année, il marcha contre Lindau avec
quatre cents cavaliers et quelques hommes d'armes, fit emmener par
ses hommes les troupeaux du territoire de la ville et de quelques vil-
lages environnants, et pilla plusieurs églises. Lindau l'avait ofl^nsé,
disait-il; là avait été convoquée l'assemblée des États du cercle rhé-
nan, qui avait prononcé contre lui la peine du ban.
En présence du péril toujours croissant de l'Empire et de l'insé-
' La maison de la Marck exceptée.
' Mémoires de F/euranges, Collect, univers., t. XVI, p. 317-320.
^ Voy. ce document dans Ulman.n, p. 66, 72-73.
544 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
curité toujours plus grande du pays, Maximilien convoqua les États
à Mayeace dans le but spécial de pourvoir au châtiment dCvSickingen
et d'Ulrich de Wurtemberg (30 juin 1517). Pour étouffer la révolte,
il réclamait un secours important destiné à protéger efficacement les
citoyens; il était urgent d'agir avec vigueur : un homme sur cin-
quante devait s'enrôler pour la défense générale. Mais la diète se récria
vivement sur cette proposition, et la déclara impraticable et dange-
reuse. « Hélas ! " écrivait le délégué de Francfort, Philippe Furstem-
berg (11 juillet 1517), " personne ne songe aux malheurs, aux vio-
lences et aux injustices qui vont fondre sur nous d'un jour à l'autre,
si Dieu ne nous protège ! « « En somme », disait-il une autre fois après
avoir énuméré les innombrables griefs des représentants des villes et
autres victimes des chevaliers brigands, « on n'entend ici que plaintes
et lamentations; on ne voit que des calamités, et pour les éviter ouïes
prévoir, personne ne s'avise d'un expédient. Daigne le Tout-Puissant
nous faire promptement sentir les effets de sa miséricorde! " Les
princes assurèrent les envoyés des villes qu'ils avaient une sincère
compassion de leurs peines et prenaient vivement à cœur leurs intérêts.
« Mais », ajoutaient-ils, " en présence des événements prompts et inat-
tendus qui viennent de se produire, il nous est impossible de songer à
aviser ou à agir. » A la demande pressante des conseillers de l'Empereur,
réclamant le prompt recrutement d'une année, ils répondirent quils
espéraient en Dieu; qu'ils avaient pleine confiance dans la pénétration,
l'intelligence et la générosité de MaximiUen, grâce auxquelles un tel
vote et un tel secours ne seraientjamais nécessaires. L'appauvrissement
de la nation, causé par la disette, la grêle, renchérissement des den-
rées, la rigueur de l'hiver et autres circonstances désastreuses, ne per-
mettait pas de réclamer, encore moins d'obtenir, les secours demandés.
Cependant, « pour faire quelque chose »,ils instituèrent un comité
chargé d'examiner « les angoisses, maux, nécessités, révoltes, troubles
et pertes du Saint-Empire germanique ». Ce comité s'acquitta de sa
mission, et présenta un rapport énuraérant beaucoup de plaintes,
contenant « beaucoup de belles paroles sur la nation allemande -,
mais extrêmement peu de vues pratiques sur la manière de rendre la
paix au pays et d'y faire refleurir la justice et la sécurité. L'archevêque
de Mayence, Albert de Brandebourg, donna aux auteurs des « belles
paroles sur la nation allemande » une petite cassette avec son por-
trait. Mais on n'alla pas au delà '.
A la diète d'Augsbourg (1518), l'Empereur rappela ce rapport
aux États, revint sur les délibérations de Mayence et sur les discus-
' Sur la diète de Mayence, voy. les manuscrits de la Frankfurts lieichscorrcspon-
denz, t. II, p. 905-953, et la note I, p. 955.
DKUNFKHS IM, AN S DK lî 1^: K O U M E DE M A X 1 M 1 1, 1 K N . 545
sions qu'il avait eues avec ses conseillers et avec le comité nommé
par la dièle. Là-dessus le conseil de l'assemblée se répandit en
vaines lamenfalions, en souhaits, en j)hrases. Les conseillers de l'Em-
perenr, au contraire, analysèrent les {jrieft exposés à un point de vue
pratique, proposèrent d'y remédier en leur appliquant les lois exis-
tantes, rappelèrent les promesses de réforme antérieures, et sou-
mirent ù l'examen de la dièle cinquante-trois articles nettement for-
mulés, assurant que sans rencontrer de difficultés insurmontables,
on pouvait améliorer l'état des choses. Ils réclamaient une réforme
radicale dans la justice executive et surtout la proclamation immé-
diate d'une loi d'Kmpire louchant la réorganisation de la justice
criminelle, loi déjà projetée en 1498 par les Etats de Fribourg. Mais
la diète d'Augsbourjj fut tout aussi stérile que les autres. Fidèles à
leurs anciens usajj^es, les princes tirent valoir avec un é[joïsme
mesquin leurs intérêts particuliers, se perdirent en débats inutiles sur
l'eulrelien de la Chambre Impériale, soucieux avant tout de ne point
participer aux dépenses qu'elle nécessitait ', et ne firent, en un mot,
qu'entraver tout résultat pratique. Aussi les délégués de Francfort
donnent-ils à ce sujet libre cours à leur mécontentement, « Plaise
à Dieu », écrivent-ils, le lOjuillet 1518, au conseil de Francfort, '^ que
la volonté de Sa Majesté fût exécutée! Nous sommes persuadés que
cela remédierait à nos affaires. » « Mais », ajoutent-ils tristement
quinze jours après, « tout marche avec une lenteur désespérante.
Tout semble fait pour irriter à plaisir; nous sommes" ici pour n'y
rien faire. » « Le comité nommé par les États pour délibérer sur la
paix et le droit n'aboutit à rien; aucune idée pratique n'est encore
sortie de tant de délibérations. On n'a rien décidé, on a encore moins
agi. L'erreur abonde. » « Aucune mesure sérieuse n'a été prise au
sujet de la Chambre Impériale; d'ailleurs, on ne trouve nulle part
les ressources nécessaires à son entretien; personne ne veut être
imposé davantage, de sorte qu'on ne peut compter, pour y siéger,
sur des gens instruits, loyaux et intelligents. » Trois jours plus tard
ils écrivent*: « Nous craignons fort que la diète ne se termine
promptement sans avoir rien fait de bon, car les princes électeurs,
malgré tous les efforts de Sa Majesté, montrent le plus grand désir
de se disperser, »
11 ne fut remédié à aucun des nombreux abus dont on avait, de
tous les points de l'Allemagne, porté la connaissance à la diète K Et
pourtant, pendant que l'on perdait ainsi le temps en paroles oiseuses,
' Voyez GUTEREOCK, p. 16-30.
- 20 aoùl.
ä Voyez les lettres et les délibérations de la diète d'Aussbourj; dans la
Frankfurts lieichscorrespondeiiz, t. II, p. 963-998.
35
546 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
de nouveaux attentats de Sickingeu, de nouvelles ruptures impunies
de la paix publique et de tout droit, jetaient l'Empire dans l'angoisse
et dans l'épouvante.
L'Empereur avait été contraint de conclure une sorte de paix avec
Sickingen (1517); un revenu annuel lui avait été garanti. Désireux
avant tout d'ôter à la France l'appui de l'audacieux chef de bandes ',
Maximilien avait obtenu de lui la promesse que désormais il servi-
rait fidèlement l'Empereur et l'aiderait à mettre à la raison Ulrich de
Wurtemberg, traître à la nation et oppresseur du peuple. Mais une
vie sans brigandages et sans guerres privées était absolument intolé-
rable pour Sickingen. Aussi, au mois d'août 1518, saisit-il avec
bonheur l'occasion d'entrer au service du prince banni Philippe
Schluchterer d'Erffenstein, qui se proposait d'attaquer la ville libre de
Metz. Avec une armée de deux mille cavaliers et de sept à huit mille
hommes de pied, il se jeta dans le territoire de la ville. Les nuages de
fumée desbourgades incendiées indiquaient la marche desbandits, dont
le nombre augmentait tous les jours. Ils arrivèrent bientôt devant
les murs de Metz, et déjà se disposaient à assiéger la ville, lorsque
les bourgeois, dans leur extrême détresse, se résignèrent à acheter
leur délivrance pour une somme de plus de vingt -cinq mille
florins.
Devenu plus puissant encore et plus audacieux, constamment heu-
reux dans ses entreprises, Sickingen résolut de faire sentir à la caste
détestée des p'rinces d'Empire une puissance à laquelle rien n'avait
résisté jusque-là. « Il montrerait aux princes », disait-il, < dans quelle
mesure il pouvait être utile à ses amis et redoutable à ses ennemis! »
Tandis qu'il était encore devant Metz, il profita de la mauvaise
situation où se trouvaient les possessions du landgrave de Hesse, et
résolut de se livrer dans ce malheureux pays à un brigandage gran-
diose, liest probable que c'est en préméditant ce hardi coup de main
qu'il avait enrôlé sa nombreuse bande. Le 8 septembre, il jeta son défi
au landgrave Philippe, prince rebelle à l'Empire, et pénétra dans ses
États en y portant l'incendie et le pillage. Dès le 16 septembre, à l'aide
de sa forte artillerie et de trois canons de siège, il commença le bom-
bardement de Darmstadt. Götz de Berlichingen était au nombre de
ses alliés. Philippe, qui n'était nullement préparé à une attaque aussi
imprévue, et dont les gentilshommes étaient pour la plupart de conni-
vence avec l'ennemi, se vit contraint, pour prévenir la ruine complète
' Voyez Le Glay, Négociations, t. IF, p. 207. « Messire Francisrjue avait renoncé
à sa pension de France au désir de l'Empereur. • < I,a preuve la plus claire de la
faiblesse du pouvoir exécutif ■, dit avec raison Cochla>us, »c'est que Maxi-
milien ait été contraint de pactiser avec d'aussi violents fauteurs de troubles
que Sickingen et ses amis, fermant les yeux sur les crimes commis, afin d'éviter
autant que possible des forfaits encore plus épouvantables. ^
A OUI [)KVAIT KTHE I.Ml'irrFI. I.A TRISTE SITl ATION Di; l/EMl'IlîK. Ôi7
<]cs habitants, d'acheter la paix. Le traité fut signé le 23 septembre,
le même jour, précisément, où les wdonnances impériales avaient
cru remédier par la voie de la justice au fléau des {guerres privées,
en menaçant les rebelles de la peine du ban. La Hesse, outre
d'autres contributions onéreuses, dut en passer par tout ce que
Sickingen voulut, et lui compta d'abord trente-cinq mille florins.
Le pays perdit à cette odieuse spoliation environ (}uatre-viiii;t-dix
mille florins. On évalue à trois cent mille florins d'or au moins
(presque un million et demi ') les pertes totales de la popu-
lation.
Ce vol à main armée qu'il avait fallu plusieurs semaines pour
accomplir, dépassa, par conséquent, d'un demi-million la somme
que ÎMaximilieu demandait inutilement à tout l'Empire comme impôt
général pour le maintien de la paix et de la justice; encore ne
réclamait-il pas cette somme en une fois, mais en plusieurs années
consécutives.
Les espérances conçues par le peuple et par Maximilien au com-
mencement de son rèp^ne, ne s'étaient pas réalisées. La situation
de l'Empire restait la même. Vers la fin de sa vie, l'Empereur répé-
tait souvent avec douleur : « 11 n'y a plus de joie pour moi sur la
terre! Pauvre Allemagne M -
Les historiens contemporains, à même d'observer de près les per-
sonnes et les choses, et qui avaient assisté au développement des
fails, n'hésitent point à rejeter sur les princes la responsabilité
d'une déception si cruelle. Aucun d'eux n'accuse l'Empereur; aucun
d'eux ne cherche à défendre la politique personnelle et étroite des
princes et des cités. Beaucoup, au contraire, regrettent que Maximi-
lien n'ait pas assez énergiquement sévi contre l'hydre princière, si
fatale à l'Empire, et que, s'appuyant sur les classes inférieures, il n'ait
pas tenté avec plus de hardiesse une réforme radicale. Trithème nous
semble avoir porté sur cette question un jugement très-juste (1513).
«L'Empereur», disait-il, «est devenu impuissant. Or les princes veulent
qu'il consente à cette impuissance, qu'il leur laisse la liberté de tout
diriger, et ne règne que selon leur bon plaisir. Ce qu'ils lui accordent
par leurs votes, ils le lui refusent par leurs actes. Ils ont accaparé
presque tous les revenus impériaux que Maximilien possédait autre-
fois. Les douanes, jadis source féconde et certaine de revenus pour
* Somme énorme; d'après la valeur actuelle de l'argent, elle peut être évaluée
à vingt millions de marks au moins. Sur l'expédition de Sickingen contre Metz
et la liesse, voyez Ulmann, p. 91-119.
* Rapporte Cochla'us.
548 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
le souverain, sont maintenant presque entièrement entre leurs mains
où à la libre disposition des conseils urbains. Les efforts de Maximi-
lien pour restaurer l'ancien ordre de choses ont constamment échoué
contre l'avidité, l'étroite personnalité des princes souverains et des
villes '. On exige tout de l'Empereur : la paix, la justice, la sécurité;
on l'accuse, on le décrie aux yeux du peuple, parce que les troubles
vont sans cesse en croissant et que les attaques à main armée se
multiplient tous les jours d'une manière effrayante. Mais on ne se
demande jamais avec quelles ressources, par quels moyens l'Empe-
reur pourrait remédier à ces désordres. Beaucoup se plaignent avec
raison de la trop grande indulgence de Maximilien, défaut particu-
lier à la race autrichienne ^ mais personne ne peut l'accuser équi-
tablement de négligence. Quel souverain, depuis des siècles, s'était
plus dévoué à l'Empire? Qui a cherché avec autant d'intelligence
à lui rendre la force et l'unité? Oui a puisé dans ses propres
trésors avec plus de générosité? Il est triste d'avoir à constater
l'inutilité de tant d'efforts! Un jugement sévère atteindra un jour
ceux à qui doit être imputé l'ébranlement profond de l'Empire, et
l'audace des fauteurs de trouble. Les princes, uniquement occupés
de leurs querelles personnelles, laissent les exploiteurs du peuple
(voleurs de grand chemin et voleurs secrets, usuriers, accapareurs
encore plus haïssables) se conduire comme si, dans l'Empire, nul
n'avait souci du bien public, et comme si leur manière d'agir pouvait
jamais être justifiée M »
Le triste spectacle que vient de nous offrir la conduite des princes
et des électeurs pendant le règne de Maximilien, se complète, et,
d'une certaine manière, s'explique par la conduite que nous allons
leur voir tenir au moment de l'élection d'un nouvel empereur. Leur
égoisme, leur manque total de patriotisme, le trafic de suffrages et
de promesses auxquels ils se livrèrent vont nous être révélés sous un
' L'Aventin déplore de même la trisle situation de l'Empereur, qui se voit
dépouillé des taxes et des revenus jadis attribués au souverain. < Tous les
revenus impériaux», dit-il, « ont été accaparés par les évêques, les princes, les
comtes et seigneurs. Lorsque ceux-ci sont offensés par quelqu'un, ils appellent
immédiatement l'Empereur à leur secours; Maximilien doit les défendre à ses
risques et périls. Mais à moins qu'ils ne soient payés fort cher, et quel que soit
le danger commun, eux-mêmes ne font jamais rien ni pour l'Empereur, ni pour
le pays. » Annal. Boiorum, lib. IV, p. 366. — Voyez Falke, Gesch. des deutschen
Zolliresens, p. 54-58 (Leipzig, 1869), Itb.
^ Henri Bebel, dans le discours qu'il prononça en 1501 au château d'înnspruck
en présence de l'Empereur, blâme habilement la trop grande indulgence de
Maximilien. Voyez ^\VTHE[\,/ius dem L'nivcrsilülsund Gclchrtenleben. p. 78-79. Reuch-
lin, dans une lettre adressée à Questenberg, dépeint .Maximilien comme étant
«rebus in omniiius lentus et cunctabundus ». Il souhaitait que l'Allemagne
eût un souverain « acrior et agilior •. Bqecking, L'I. Hutuni 0pp. l, p. 459.
3 De Jiidœis, p. 21 ^
A QUI DEVAIT ÊTRE IMI'lJlKi: LA TlilSTE SITIATION' l)V. I/LMI'IIU:. Ô49
tel jour, et présentent de si honteuses preuves de leur vénalité, qu'en
résumant l'histoire de celle période malheureuse, nous pourrons
nous convaincre aisément que d'une caste aussi avilie il était impos-
sible d'attendre aucun résultat heureux pour les intérêts de l'Empe-
reur, pour la patrie et pour le bien public.
CHAPITRE IV
ATTITUDE DES PRINCES DANS LA QUESTION ÉLECTIVE.
Dès le commencement de son règne, l'effroi le plus grand de
Maximilien, l'idée qui lui avait été le plus antipathique, c'était de voir
la royauté française s'emparer du trône impérial, et ravir à la nation
allemande " l'honneur et la gloire de porter la suprême couronne de
la chrétienté, honneur qui lui appartenait depuis tant de siècles. » La
crainte de voir François I" lui succéder avait même été jusqu'à lui
suggérer l'idée d'abdiquer, d'adopter le roi d'Angleterre, Henri VIIÏ,
de lui donner l'investiture du duché de Milan, et de lui assurer la
succession de l'Empire ^ Pendant les dernières années de sa vie, il eut
l'amère douleur de voir les princes d'Allemagne aller au-devant des
désirs du roi de France; mais ce qui lui fut le plus sensible, c'est que
nulle famille princière ne se montra aussi zélée pour l'élection de
François I" que cette même maison des Hohenzollern, qu'entre
toutes les autres l'Empereur avait comblée de bienfaits. En effet,
Maximilien avait confirmé au prince électeur de Brandebourg,^
Joachim I", la tutelle expectative de la Poméranie et du Schleswig-
Holstein; il avait accorde au prince de Hohenzollern, Albert (de la
ligne franconienne), la dignité de grand maître de l'ordre Teuto-
nique; il s'était employé avec succès pour ü])tcnir l'électorat de
Mayence au prince Albert, frère de Joachim, et déjà évêque d'Hal-
berstadt et archevêque de Magdebourg; grâce à lui, ce même Albert
avait été promu au rang de primat d'Allemagne. C'était encore à
Maximilien qu'il avait dû son élévation au cardinalat *. Par tant de
faveurs et de services, l'Empereur avait espéré attacher étroitement
les Hohenzollern à la maison souveraine d'Habsbourg.
Cependant, le 26 juin 1517, le prince Joachim^ par l'entremise de ses
ambassadeurs, conclut avec François I", auquel il donne le titre de duc
de Milan, une convention par laquelle une princesse française, sœur
àe la reine de France, est promise eu mariage à l'électeur de Bran-
' Pour plus de détails, voyez Höfler, Carls V ll'ahl, p. 1-28.
- Voy. Waltz, dans les Forschungen zur deutschen Geschichie, t. X, p. 215, note 4.
INTKHiUKS ANTII'ATI'.IOTIOIJKS I) F. S IT. IN CK. S. 5.01
deboiiij;^, avec im douaire de 150,000 Ihaler.s cl nii revenu annuel
de 4,000 livres. Pour une annuité de 8,000 livres, l'électeur s'engage,
en cas de {yuerre, à fournir au roi de France des cavaliers et des
hommes d'armes. Dans un nouvel acte, confirmant le premier
(17 août), .loacliim promet à François 1", « dont la jjloire et l'huma-
nité sont célèbres en tout l'Empire ', de l'aider de tout sou pouvoir
dans l'élcclion impériale qui doit suivre la mort de Maximilien.
« Pour la jiloirc de Dieu et le bien de l'Kmpire ", il s'enfjage à lui
donner sou suflrage'. Peu de semaines après, le frère de Joachim,
Albert, envoie un agent secret à la cour de France, lui donne plein
pouvoir de conclure une alliance solide avec François I", " et de ter-
miner avec lui certaines autres affaires' ". Cet agent n'était autre
qu'Ulrich de Hütten, que ses contemporains ont cependant appelé
le '< véritable chevalier allemand ';. Muni des instructions d'Albert,
Hütten ourdit en secret une trame perfide contre l'Allemagne; mais en
public, il a l'hypocrisie de s'indigner à l'idée seule d'une alliance avec
la France, et fait parade de son attachement pour l'Empereur. « Depuis
plus de trente ans ", dit-il dans la lettre circulaire sur Maximilieu
qu'il adresse aux princes allemands (1518), " l'Empereur supporte les
charges du royaume avec les seuls revenus de ses possessions hérédi-
taires; il n'a de repos ni jour ni nuit; et lorsque, comme cela est de
son devoir, il châtie quelque coupable, nous crions à l'oppression, et
nous nous plaignons de notre servitude! Avouons-le, ce que nous appe-
lons liberté n'est que le droit de rester totalement indifférents aux
intérêts de l'Empire, de ne fournir à l'Empereur aucune assistance
et de commettre impunément les actes les plus répréhensibles! Plu-
sieurs, non les princes, il est vrai, mais seulement leurs conseillers,
caressent le projet, au cas où Maximilien viendrait à mourir, de faire
passer la couronne à un étranger. C'est un dessein honteux, antipa-
triotique, un acte de haute trahison! Comme si le sang princier
était épuisé en Allemagne^! » Celui qui parlait ainsi venait de faire
remettre au roi de France une promesse écrite, par laquelle il s'enga-
geait à voter pour lui. Au même moment, il était récompensé par
un présent « des belles paroles qu'il avait prononcées sur le peuple
allemand et la patrie « .
' MiGNET, p. 215-216. — RÖSLER, p. 27. — HÖFLEU, Carl't V ll'aht, p. 83-84.
- Le 20 stptembre 1517, Albert donne ses pleins pouvoirs à Ilutten auprès de
François I*"" : « Nostro nomine pau'jendi foederis causa, et quorumdamalioruni
negotiorum, que illi preterea ibidem peragenda, finienda, concludenda, ac in
conventionem et concordiani perducenda commisimus. » Tiré des archives de
Paris, BoECKiNG, Ulr. Huticni 0pp. V, p. 507-508. — Mignet, p. 216. Il est à
remarquer que le biographe et panégyriste de Hiitten, David Strauss, parle d»
voyage de son héros à Paris, sans en dire les motifs.
* Srauss, t. I, p. 300-301.
552 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITTATION EXTÉRIEl RE.
Mais les Hohenzollern n'étaient pas les seuls alliés secrets de la
France. François I" négociait en secret avec l'électeur Richard de
Trêves. L'électeur palatin, Louis, lui avait aussi promis de travailler
activement pour ses intérêts, et en échange de cette promesse, avait
reçu une pension de 1,200 livres, avec l'assurance de rentrer en pos-
session de certains domaines que la guerre de succession bavaroise
avait fait perdre au Palatinat*.
En dehors des princes que nous venons de nommer, François I",
dès le printemps de 1518, avait su attirer à son parti les ducs de
Lorraine, de Julich-Clêves-Berg, de Holstein et de Brunswick. Beau-
coup de comtes et de seigneurs étaient secrètement entrés dans ses
vues en échange de pensions annuelles'. Plein d'une joyeuse espé-
rance, il envoya son ambassadeur à la diète d'Augsbourg; mais là, il
dut probablement se souvenir de l'avertissement autrefois donné par
Sickingeo, et put se convaincre par lui-même qu'attendre des princes
quelque loyauté, c'était chimère. En juillet 1518, Joachim de Brande-
bourg lui avait cependant renouvelé ses protestations de dévouement;
mais à Augsbourg, les choses changèrent de face^
Depuis longtemps attentif aux menées secrètes des Français en Alle-
magne, Maximilien, ayant renoncé à abdiquer en faveur de Henri VIII,
ne songeait plus qu'à assurer la couronne impériale à son petit-fils
Charles ^ Celui-ci, qui n'avait que six ans à la mort de son père, Phi-
lippe, fils unique de Maximilien (1506), avait hérité des Pays-Bas
en 1414, et en avait dès lors pris le gouvernement. Deux ans après, la
mort de son grand-père maternel, Ferdinand, l'avait mis en posses-
sion de la couronne d'Espagne, et des pays italiens qui en dépen-
daient alors. Les domaines héréditaires autrichiens devaient lui revenir
après la mort de î\laximilien. La couronne impériale, s'il réussissait
à l'obtenir, devait donc mettre le comble à la fortune de la mai-
son de Habsbourg, et détruire la prépondérance de la France en
Europe.
Les choses, par rapport à ce grand projet, semblaient prendre
un heureux aspect. « L'argent, l'argent en proportion toujours plus
grande envoyé par Charles, faisait le mieux du monde l'affaire de
l'élection^ " Le 16 aoiU 1518, Joachim de Brandebourg explique
»MiGNET, p. 216.
'Mignet en donne la liste, p. 217.
' Droysen, 2'', 71. j
* Réilération des grandes pratiques de France pour l'Empire. Vov. la lettre de Maxi-
milien à Charles datée du 24 mai 1518, dans .AIone, Anzeiger für Kunde der deutsehen
l'oneil, p. 14 1836;.
* Le 24 mai 1518, Maximilien recommande à son petit-fils, au sujet de l'élec-
tion. !a tactique qui lui avait autrefois été utile à hii-méme : ■ Pour gaigner les
gens il fault mettre beaucoup en avanture et dél)0urser argent avant le cop. •
Anzeiger für Kunde der deutschen lorzeit, p. 14, 5' année ^1836).
MANOEUVRES K r, i: CT O « A r, i: S A AU(;.SBOUiU;. 553
à l'ambassadeur français que la cause de son maitre est sans espoir,
« Charles ayant déjà cinq voix (parmi lesquelles était la sienne
propre!) contre deux ". « Cependant », ajoute-t-il, « avec de l'argent
on pourrait peut-être encore re{j;a{;ner l'archeveque de Majence et
les autres princes électeurs'. » Mais i'ar{'ent n'arriva pas à temps,
et Maximilien acheva de traiter avec Joachim. L'Empereur olTrait en
niaria{;^e à l'électeur de Brandebourg sa petite-fille Catherine, avec
un apport de 500,000 florins « en douaire et joyaux ». Joachim en
reçut la quatrième partie en argent comptant; de plus, pour les Irais
de son séjour à la diète, il toucha 6,700 florins. « Le margrave Joa-
chim », écrit Maximilien dans une dépêche adressée le 27 octobre
en Espagne, « couste beaucoup à gagner; toutefois son avarice est
avantageuse au seigneur roi (Charles), car par elle il parvient à son
désir*. »
Maximilien offrit ensuiteà l'électeur Albert de Mayence comme riche
« pot-de-vin » une somme de 52,000 florins et, de plus, la promesse
d'une pension de 8,000 florins d'or. On promettait de plus à Albert un
bon évéclié en Castille. Le prince électeur de Cologne, Hermann de
Wied, vendit sa voix à meilleur marché : 20,000 florins et une pen-
sion de 6,000 florins suffirent à le contenter; seulement, il réclama
des présents et des pensions pour ses chanceliers et conseillers. On
s'assura la voix du comte palatin, Louis, par des moyens semblables.
Quant à la Bohême, le roi de Pologne, Sigismond, en sa qualité de
cotuteur du roi mineur Louis de Bohême, fit dire à l'Empereur par
ses délégués que son choix se porterait sur Charles ^
Seuls, les princes électeurs Bichard de Trêves et Frédéric de Saxe
ne voulurent entrer dans aucune négociation et ne se laissèrent tenter
par aucune promesse *. Le premier était secrètement engagé envers la
France; le second, fidèle à la prescription de la Bulle d'or, entendait
réserver la liberté de son choix jusqu'au jour de l'élection. L'Empe-
reur ressentit douloureusement la réserve de Frédéric ; mais, en même
temps, il sut en honorer les motifs, et l'en fit complimenter et féli-
citer. « Car», disait-il, " c'était là se conduire en loyal électeur'! » Il
se flattait néanmoins qu'au moment de l'élection, Frédéric donnerait
des preuves de son ancien attachement pour la maison de Habsbourg.
Le 27 aoiU, les électeurs de Mayence, de Cologne, du Palatinat et
du Brandebourg', ainsi que les ambassadeurs de Bohême, signèrent
' Voy. MiG.NET, p. 228. • On pourrait regagner l'archevêque de Mayence et les
autres électeurs à force d'argent. »
* Le Gl\y, A'égociat.ons, t. II, p. 172.
* UÖFLER, p. 26-42. — KœsLEK, p. 43-46.
* La Saxe devait recevoir seize mille florins d'or, Trêves vingt mille. LeGl^y,
t. n, p. 173.
'^ Spàlatin, Nachlass von Meudecker und Prellcr, p. 50-51.
554 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
leurs engagements; Maximilien de son côté, au nom de son petit-fils,
confirma toutes leurs libertés et privilèges, et leur prodigua ses
promesses et ses offres de service ', s'engageant à les prendre sous
sa protection dans le cas où ils seraient inquiétés à cause de leur
détermination soit par le Pape, soit par la France. On crut tout ter-
miné à la satisfaction générale. En janvier 1519, à la diète de Franc-
fort, l'affaire de l'élection semblait devoir être entièrement assurée.
Mais François I", renseigné par le Brandebourg et Trêves sur les
agissements d'Augsbourg, n'était nullement d'humeur à renoncer à
ses prétenlions. Il était bien résolu, comme il l'écrivait au nonce
du Pape le 20 octobre 1518, à mettre tout en œuvre pour entraver
l'élection de Charles; " il corromprait les électeurs, et viendrait à
bout, à force d'argent et de promesses, de les rendre infidèles
aux engameuts d'Augsbourg ». La mère du Pioi se plaignait amère-
ment du peu de loyauté des princes allemands ^
Comme le royaume de Naples appartenait à la couronne d'Espagne,
et, selon l'ancien droit, étant fief papal, ne pouvait être réuni à
l'Empire, Léon X n'était pas favorable à l'élection de Charles, et en
novembre 1518, il proposa au roi de France d'agir de concert avec
lui pour l'élection du prince Frédéric de Saxe. François fit semblant
d'entrer dans ce projet; il assura au Pape que, de son côté, il avait
renoncé à la couronne impériale; mais en même temps il appelait en
secret les Vénitiens à un armement général, dans le cas où, pour
soutenir son élection, il serait nécessaire d'avoir recours aux armes \
En décembre, Albert de Mayence se vendit de nouveau à la France.
Il se recommandait pour l'avenir, lui et son frère Joachim, à
la protection et faveur du roi François, " auquel tous deux étaient
dévoués cordialement ". A un ambassadeur français qui lui appor-
tait à Noël de magnifiques présents d'or et d'argent ciselés, le
sachant, disait-il, grand amateur des arts, il protesta qu'il espérait
bien voir les choses s'arranger si heureusement qu'il pourrait un
jour saluer du titre d'empereur le généreux roi François I"'.
La mort prompte et imprévue de Maximilien (12 janvier 1519) sembla
tout à coup servir les v<eux de la France. « Le voilà donc mort ",
' Voy. les lettres de faveur de Maximilien dans Buchholtz, t. III, p. 665-
670.
'Le nonce français rapporte comme il suit (30 octobre 1518) son entrevue
avec la Reine mère : ■ Dolendosi fin al cielo d'alcuni principi d'Alemagna, quali
in questo modo ed in molti aliri casi hanno offerio e promesso al rè ed a lei che
poi non hanno osservato. Estremamente si dolse del marchese di Brandenburgo,^
che fuor d'ogni sua promessa e gioa mandata qua havesse lasciata Madame
Renea e prese la sorellu del Catolico per suo figlio, chiaraandolo raancatore
(se. di fede). • Voy. IIofler, p. 82.
* Voy. Rœslkr, p. 48-49.
* D'après une annotation de Senckenberg, Acta ei Pacta, p. 504.
MANOEUVRES E LE C T 0 i; AI, KS . 555
(écrivait im fidèle ami de la maison de Habsbourg, .■ le voilà donc
disparu, celui qui pouvait seul amener le (jrand projet à bonne fin,
celui (fue tous aimaient et redoutaient! Les choses vont maintenant
prendre un autre cours '! »
Deux jours après la mort de l'Empereur, le comte palatin se
tourna de nouveau vers le roi de France, lui offrant son suffrage
pour la somme autrefois promise, à la condition que leur accord
demeurerait secret*. François envoya aussitôt une nouvelle et bril-
lante ambassade en Allemagne, avec l'ordre d'accorder aux élec-
teurs " tout ce qu'ils demanderaient ». Comme l'un des confidents du
Hoi, le président Guillard, lui représentait qu'il serait plus digne de
lui de ne faire valoir ses droits à la couronne, ni en répandant
l'argent, ni en employant la violence, mais en se servant de moyens
honorables, et par la seule influence de son mérite personnel, Fran-
çois lui répondit (7 lévrier) : " Vos paroles seraient fort sages si nous
avions affaire à des gens d'honneur, ou possédant du moins une
ombre d'honneur M >>
Les plus empressés à accepter ses offres, les plus cupides d'entre
tous les princes, ce furent les frères de Hohenzollern*.
Joachim avait pris l'argent de Charles à Augsbourg, et s'en étai»
■fait donner plus que pendant tout son gouvernement il n'en dépensa
jamais pour le bien de l'Empire'; maintenant, il se montrait de nouveau
alléché par l'or français, et en réclamait dans une telle proportion
que les délégués de François se plaignirent « qu'il leur en extorquait
comme s'ils eussent été des barbares y- ! A cela le roi de France leur
répondit avec décision : " Je veux que l'on consente à tout ce qu'il
demande; il faut à tout prix le rassassier"! » Aussi, dès le 9 mars,
Joachim écrivait à son parent le grand maître Albert, - qu'il était
eu meilleure intelligence que jamais avec les lys, et faisait des vœux
pour la réussite des projets de la France ». Voici à quelles conditions
il avait promis son suffrage : pendant toute sa vie, on devait lui
«■ervir une pension de 4,000 thalers; son fils devait en toucher
une autre de 2,000 thalers. De plus, on promettait en mariage au
' Voy. Droysen, p. 2'', 77.
- MiGNET, p. 232.
' MiGNET, p. 232.
* L'agent français, Joachim von Maîtzan, gentilhomme mecklembourgeois,
écrivait à François I" le 28 février 1519 : » Tout ira Inen si nous pouvons ras-
sasier le margrave. Lui et son frère l'électeur de Mayence tombent chaque jour
dans de plus grandes avarices. « Mignet, p. 251. — Zevenberghen appelle
Joachim le père de la cupidité et • ung homme diabolique pour besogner avec
lui en matière d'argent > . Le Glat, t. II, p. 239.
* Sur les opinions et l'attitude de Joachim par rapport à l'Empire, voy.
Droysen, p. 2'', 48 f.
" Voy. les passages cités dans Roesler, p. 71, note 3.
556 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
jeune prince héritier Renée^ fille du roi Louis XII, avec un douaire
de 200,000 fhalers d'or. Si François était élu, Joachim devait être
nommé son lieutenant général en Allemagne. S'il échouait, François
promettait de s'employer avec zèle pour l'élection du prince de
Brandebourg '. Lorsque Maximilien vivait encore, Joachim avait été
assez bas pour se faire recruteur de suffrages et agent français;
maintenant, devenu plus exigeant, il luisait promettre à François de
lever une puissante armée dans le cas où il serait nécessaire de sou-
tenir sa propre élection par les armes*.
Tandis que Joachim poursuivait ainsi ses intrigues secrètes, le
délégué de Charles, Paul Armerstorff, travaillait activement pour les
intérêts de son maître auprès d'Albert de Mayence. Outre ce qui lui
avait été promis à Augsbourg, l'électeur réclama 100,000 florins d'or
avant de promettre sa voix. Après un long marchandage, il réduisit
ses prétentions, d'abord à 60, ensuite à 50, enfin à 20,000 florins
d'or. « J'ai honte de sa honte! « écrivait Armerstorff au roi Charles
à propos d'Albert, qui, tandis que se concluait ce honteux marché,
lui révélait toutes les démarches du roi de France ^ « Les 20,000 flo-
rins ont opéré des merveilles », écrit Armerstorff à Marguerite,
tante de Charles, ^- comme vous le verrez par la copie de la lettre
que l'archevêque de Mayence écrit à son frère, et que je vous
envoie*. " Grâce à l'argent promis, Albert s'y montre en effet
l'ennemi déclaré de la France, et cherche à attirer Joachim au parti
de Charles. « Je vous prie ", lui dit-il, ^ de songer à l'honneur et à
l'avantage de l'Empire, à votre gloire, à celle de toute la nation
allemande! Si la couronne impériale est donnée aux Français, qui,
séparés depuis longtemps de la race germanique, n'ont ni fidélité ni
conscience et n'ont jamais voulu de bien à notre pays, l'Empire est
perdu! Ils le fouleront aux pieds, et chercheront à s'en reudre les
maîtres héréditaires*. »
Mais Joachim savait depuis longtemps la valeur qu'il fallait atta-
cher aux paroles de son frère. « H avait =, iui répondit-il. « en son
nom et au sien, et dans leurs communs intérêts, conclu un traité avec
François 1". Le devoir voulait que la parole donnée fiU exactement
tenue envers un souverain qui avait été si libéral à leur égard*. Tous
deux étaient, de plus, obligés en conscience de soutenir les intérêts
' Le Glay, t. II, p. 387, 390. — Mignet, p. 236.
* « Sibi Brandenuurgensi, etiara mihi • , écrivait l'agent fraiiç.ùs Joachim von
Maltzan au roi François, le 12 mars, • opiimum videtur M. V. in principio junii
habeat validissimum exercilum paratum. • Le Gliy, t. II, p. 332.
* MlG.NET, p. 244.
* Le Glay, t. I. cxliii.
^ Mig.net, p. 243.
'' Avant les engagements pris à Augsbourg.
F li A Nr; Ol. s 1" S'KFFOHCK DE l'AlîVENIIi A I/FMI'IKE. 557
de 1.1 France auprès des aufres princes électeurs '. » C'est en effet ce
que fireiil les deux frères. Albert, qui accusait les Français de man-
quer de loyaiilé ei de conscience, protestant à Arnierslorff qu'il
était « trop honnête homme pour qu'on piit espérer le gagner par
des présents », se donna de nouveau à la France aussitôt le départ
du délégué de Charles, et dès que les acheteurs de voix envoyés
par François lui eurent fait des offres plus avantageuses encore.
Alors, « pour la louange de Dien, i)Our la gloire et la restauration
de l'Empire romain >•, cet honnête homme promit sa voix pour une
annuité de 10,000 florins, plus le don de 120,000 florins, destinés
à la construction d'une é,",lise A Hall. En outre, il sollicitait la dignité
de légat perpétuel du Pape en Allemagne. A ces conditions, il don-
nait sa parole de prince de tenir loyalement sa promesse envers la
France, et, de son côté, François s'engageait à oublier tout ce qui
s'était passé à Augsbourg*.
Louis, électeur du Palalinat, montra la même rapacité. Il avait,
dès le début, promis sa voix au roi de France, puis était retourné
à Maximilien. Il avait ensuite offert de nouveau ses services à Fran-
çois; el maintenant (mars 1519), il faisait remarquera ses collègues
les électeurs « que si la France l'emportait, il était à craindre qu'elle
n'exploitât l'Empire à son profit; que François n'avait d'autre but
que l'accroissement de son pouvoir; qu'il serait ignominieux de
donner la couronne à un étranger, et que ce cas échéant, il se pour-
rait faire que les populations tinssent de fâcheux discours sur leurs
princes, et peut-être même ne se soulevassent ouvertement contre
eux ^ car le roi de France avait un grand nombre d'opposants eu
Allemagne ». Aussi, en avril, Louis, ayant obtenu des agents de
Charles des sommes plus considérables que celles qui lui avaient
été promises à Augsbourg*, signa, par leur intermédiaire, sa pro-
messe de vote. Mais, dès le mois de mai, à la suite d'offres plus
magniîiques encore, de promesses encore plus séduisantes, il se
vendit de nouveau à la France. « Afin que nos pieux desseins
puissent se réaliser », dit-il dans la convention qui le lie envers
François (28 mai), - nous supplions le Roi Très-Chréiien, en considé-
ration des nombreux avantages que doit retirer la chrétienté de son
élévation, de ne pas renoncer à ses prétentions à l'Empire; nous
nous engageons, sur notre parole et notre honneur de prince, à lui
' MiGNET, p. 243. « Fara quel vorra suo fratello rnarchese •, éciùvait un Véni-
tien à propos d'Albert, le 12 avril 1519. • Il dit oui à tout ce qu'on lui propose » ,
disait Joachim de son frère. Voy. Droysen, 2'', p. 81 et la note correspondante,
p. 459.
'Le GLiY, Négociations, t. II, p. 379-387.
' Voy. Fine, Geöffnete Archive, II, p. 139-202. — Roesler, p, 98.
* Le Glay, t. II, p. 410.
558 EMPIRE ROMAIN (,ERMAMOUE, SITUATION EXTERIEURE.
■donner notre suffrage, et à le servir de toutes nos forces auprès
des autres électeurs. Nous sommes convaincus que nous ne saurions
rien faire de meilleur, de plus digne, de plus ygréable à Dieu, de
plus favorable à Tintérêt de fous les chrétiens ^ » En récompense
de cette œuvre pie, François s'engageait à donner au prince élec-
teur 100,000 florins, et une annuité de 5,000 couronnes. Le souve-
rain français promettait en outre de traiter Louis, non comme un
simple pensionné, mais comme l'un des princes les plus considérables
de l'Allemagne et les plus amis de la France. On assurait à son frère,
le comte palatin Frédéric, une somme annuelle de 6,000 florins, s'il
voulait embrasser la cause française. Deux autres de ses frères
devaient être promus à divers évêchés de France et d'Allemagne. Leurs
conseillers et serviteurs devaient toucher annuellement 2,000 florins.
François s'engageait au.ssi à aider le comte palatin à rentrer en pos-
session des villes et châteaux retournes à la Hesse et à Nuremberg à
la suite delà guerre de succession bavaroise, ce qui revenait naturel-
lement à dire que son intention était de rallumer la guerre en Alle-
magne*. Tel fut le noble marché conclu par le " Pilate palatin >,
comme Armersforff appelait Louis.
" La prodigalité des Français est vraiment merveilleuse », écrivait
à la tante du jeune Charles Maximilien Zevenberghen, diplomate
habsbourgeois. « Ils multiplient les promesses, les présents, l'argent
comptant, les pensions. Ils donnent carte blanche aux élecleurs, et
ceux-ci obtiennent tout ce qu'ils veulent. C'est là un effroyable dan-
ger pour notre Allemagne. Je n'ai jamais vu de gens plus cupides que
nos princes! Je veux espérer que, vendant leur honneur pour de
l'argent, ils n'achètent pas en même temps la verge avec laquelle
eux et leurs biens seront un jour flagellés M »
Bien avant la conclusion du contrat avec le prince palatin, l'élec-
teur de Trêves, en échange de promesses magnifiques, avait aussi
promis son suffrage à la France. Au dire des agents françai-s, le
traité ne pouvait être meilleur *. Quant à la Saxe et à Cologne, on
espérait que les électeurs de Brandebourg et de Mayence réussiraient
' MiGNET, p. 254.
^ Stumpf, Baiems politische Geschichte, p. 24-25. — Buchholtz, t. I, p. 34-95.
3 Voy. HÖFLEU, p. 65-66. « Il y a quelque chose de profondément humiliant •,
dit Ulniann (p. 134i, • à constater la réprobaiion générale qui entoure en
France la trahison d'un Charles de Bouibon, tandis que chez nous on se
contente de hausser les épaules et l'on regarde comme une chose après tout
excusable la conduite des descendants des plus illustres familles allemandes,
et la vénalité des princes électeurs au moment de l'élection de Charles-Quint. •
* Rœsler, p. 147-148. Bien que le prince électeur Richard Greiffenklau passât
pour absolument dévoué à la France, il fit cependant à l'ambassadeur anglais
Pace l'effet d'un seigneur noble et sage, ayant à cœur de contribuer de tout
son oouvoir à la gloire de sa nation. Voy. Höfler, p. 50. — Armerstorff
VÉNAIJTK DK. S 1* H I N C E S . 559
à les [j;i}}Qcr. Mais l'archevêque de Cologne, Hermaun, se refusa à
douner aucuoe assurance positive; Frédéric de Saxe agit de même,
et, pour les gagner, tous les efforts des frères de IJohenzollern res-
tèrent inutiles. Frédéric rejeta avec la même fermeté les offres du
duc Henri de Luncbourg, qui, lui-même à la solde de la France,
obéissait à François I", qui lui avait enjoint d'agir de telle sorte sur
l'esprit de Frédéric qu'un prince de la maison de Habsbourg ne piH
être élu. " La maison d'Autriche », disait ce prince vénal, - a exercé
sous Maximilien un pouvoir excessif. Elle a étouffé le développement
légitime des États allemands'. » La longue expérience de Frédéric
lui démontra sans doute aisément la fausseté de cette assertion. De
plus, le parti de Habsbourg espérait, non sans raison, qu'il lui suffi-
rail |)Our repousser les offres françaises, d'apprendre que Fran-
çois i" avait promis de faire de l'électeur de Brandebourg son lieu-
tenant général en Allemagne^ au cas où il serait élu. Frédéric, parlant
du honteux marché de suffrages qui se pratiquait dans l'Empire, dit
un jour avec irritation : " PliU à Dieu qu'une corne poussât sur le
front des princes qui se livrent à un pareil trafic! On pourrait alors
les reconnaître! La rumeur publique assure que Télection du Roi des
romains se trame à prix d'argent. Si cela était, j'en aurais. Dieu le
sait, une peine extrême M '■
Bien qu'il ne lui eiU pas été possible de gagner tous les électeurs,
François croyait du moins pouvoir compter sur une majorité cer-
taine. Cependant, au cas où les suffrages se partageraient, son plan
était ftiit d'avance. Par la force des armes, il contraindrait ses
adversaires à le reconnaître pour empereur. « Je serais heureux »,
écrivait-il à l'un de ses agents, « que l'entreprise pût être menée à
bonne fin sans effusion de sang, et sans qu'une guerre devienne
nécessaire. Mais l'affaire ayant été si loin, me retirer serait contraire
à l'honneur. » Parmi les princes et seigneurs séduits par ses riches
promesses, les ducs Henri et Albert de Mecklembourg lui avaient
promis leur appui en échange d'une pension de 3,000 thalers d'or;
Joachim de Brandebourg lui offrait 15,000 hommes de pied et
4,000 cavaliers, si la lutte à main armée devenait nécessaire pour
.soutenir ses prétentions. « Le roi de France », écrivait-il plein de
s'exprime aussi très-favorableaient sur son compte dans une lettre adressée à
Charles le 20 mars 1519 : . Nous l'avons trouvé en plusieurs devises qu'avons
eues avec luy, si très saige, et devisant de cest affaire si très-vertueusement,
que espérons que la raison le conduira aussy prez de votre désir. « Le Glav,
t, II, p. 356.
* Voy. la lettre de Henri, 23 février 1519, dans IIavemann, Gesch. der Lande
Braunschweig und Lüneburg, t. II, p. 18. — RqeSLER, p. 74.
*Le Glay, t. II, p. 235.
' Droysen, p. 2^, 67. Voy. l'arlicle de Droysen dans les Berichten über die Verhandl.
er hönigl. sächs. getellscha/t der lUissenschaßen, t. V, p. 161.
560 EMPIRE nOMAlN (lERMANIQUE, SITUATION EX^TÉRIEURE.
joie au landgrave Philippe de Hesse, < aurait sur le champ de bataille
de Francfort, grâce aux princes allemands, 30,000 hommes de pied et
3,000 cuirassiers. » Cette armée, dans l'opinion du prince d'Empire,
devait servir à assurer la liberté des électeurs'. Quant à Philippe
de Hesse, malgré les bons conseils du duc de Saxe, Georges le Barbu,
qui l'exhortait à ne pas se laisser entraîner par la France, à être et à
demeurer bon Allemand, il armait en secret pour François I"*.
Ce dernier ne doutait plus de l'heureux succès de sa grande entre-
prise; déjà l'on parlait à Paris de la parure que la Reine mère avait
commandée pour le jour du couronnement. Louise de Savoie mena-
çait les princes allemands de faire à Charles « plusieurs révéla-
tions désagréables ^ s'ils se montraient infidèles à leurs engage
ments. »
c 0 princes électeurs •, dit Sébastien Brant dans l'une de ses épi-
grammes, " ne voulez-vous donc pas vous tourner du côté du droit? Vous
êtes d'accord avec les Français? En vérité, je vous le dis, vous vous en
repentirez un jour! Et toi, pauvre Allemagne, ta ruine se prépare! '
Et à un autre endroit :
t Sois sur tes gardes, ô Saint-Empire ! Ne laisse pas l'aigle t'échapper!
rs"e souffre pas que le sceptre et la couronne te soient ravis et passent à
une nation étrangère! Il nous arriverait alors malheur à tous, et l'Alle-
magne sombrerait *! »
Aussitôt après la mort de Maximilien, Charles avait mis tout en
usage pour déjouer les intrigues françaises et parvenir à l'Empire.
" Nous ne savons personne ", écrivait-il le 6 lévrier 1519 à Frédé-
ric de Saxe, « qui ait plus que nous des titres légitimes à la cou-
ronne impériale. Non-seulement nous sommes Allemand, de sang et
de race, mais encore nos ancêtres, les empereurs romains, ont bien et
heureusement gouverné le Saint-Empire. " Dans une lettre circu-
laire adressée aux électeurs, il fait officiellement valoir ses pré-
tentions, et insiste particulièrement sur ses origines allemandes :
« S'iln'eùi: été d'extraction germanique ;), assure-t-il, -■ s'il n'eût été
le légitime souverain de plusieurs États allemands, jamais il n'aurait
* Voy. Hœsler, p. 104, 144-146. — Ulmann, p. 148. L'électeur de Trêves décon-
seillait au Roi « de lever des troupes, de peur qu'on ne l'accusât de vouloir se
faire élire par force «. Mais François suivit, après de longues hésitations, le
conseil de Joarhim de Brandebourg, « qui le pressait d'en mettre sur pied ».
— MiGNET, p. 249-250. Dans les villes allemandes, on donna l'ordre de laisser
pénétrer les troupes françaises. Voy. Rceslep», p. 144, noie 4.
* Llmann, p. 148, note 4.
' Voy. Pauli, p. 431.
* Zarncke, A'arrenschiJ', ch. xxxvii.
LE ROI CHAULES FAIT VALOIli SES DROITS A L'EMPIRE. OCl
aspiré à rKmpirc; mais étant riiérilicr légitime de la maison d'Au-
triche, il se croyait obiifjé de faire valoir ses droits. Du reste, selon
la constante politique de ses ancêtres, il chercherait à au^ijmenter
plutrtt qu'à diminuer les libertés ecclésiastiques et temporelles, évi-
tant tout ce qui'pourrait les compromettre*. ') S'adressantaux Suisses,
il leur rappelle aussi « qu'il est duc d'Autriche et de Brabant, pays
allemands et fiels impériaux; qu'il parle et écrit le flamand et le haut
allemand, et s'est adressé dans cette langue aux électeurs * ; qu'issu du
plus noble sang? germanique, il est né et a été élevé en Allemagne' ».
Après avoir parlé de ses origines, Charles insiste sur un autre point
important : ses nombreux et vastes États réunis à l'Empire lui don-
neraient un pouvoir qui le mettrait à môme, plus que tout autre
prince de l'Europe, de porter aide et secours à la chrétienté, si grave-
ment menacée par les Turcs. Son dessein très-arrété était de rétablir
la paix et la concorde entre les peuples chrétiens, et de mettre sa vaste
puissance au service de la foi. « S'il tenait tant à obtenir la couronne
romaine, ce n'était », comme il l'écrivait à sa tante Marguerite, « que
dans l'espoir d'exalter la sainte foi et de ruiner les projets des infi-
dèles*. '1 » Le jeune roi demande tous les jours à Dieu de mettre la
concorde entre les peuples chrétiens; il le supplie de faire de lui son
instrument pour l'anéantissement des Turcs », écrivait Paul Armers-
lorff à l'archevêque Albert de Mayence. « Bien qu'il n'ait que dix-
neuf ans, il est d'une persévérance extraordinaire dans ses résolutions,
équitable et doux, vraiment digne de porter la suprême couronne et
d'être le protecteur en titre de la chrétienté '. «
Dès le commencement de février, les agents électoraux de Charles
redoublèrent leurs efforts auprès des électeurs. Les Suisses se décla-
' Voy. la lettre à Frédéric de Saxe, dans les ORuvres potihumet de fiv\Ls.Tis, p. 92-
94. Voy. la lettre aux princes électeurs dans Weiss, Papiers d'État de Gianvelle,
t. I, p. 111 (Paris, 1841).
' On possède diverses lettres autographes écrites en allemand par Charles
aux électeurs du Palatinat et de la Saxe à l'époque 'de l'élection. Voy. Waltz.
Forschungen lur deutschen Geschichte, t. X, p. 216, note 4.
' Voy. Anshelm, t. V, p. 389.
♦Lettre du 5 mars 1519. — Mignet, p. 239. Marguerite lui avait proposé de
présenter comme prétendant au trône d'Allemagne son jeune frère Ferdinand.
Dans la lettre de Charles, comme le remarque judicieusement Rœsler, se montre
déj;i toute la maturité de jugement du grand empereur futur. Voy. aussi la
lettre confidentielle de Charles à son beau-frère le roi Christian de Danemark
(8 avril 1519), où se trouvent les paroles souvent citées sur la mise aux enchères
de la couronne... <■ Electionem quodammodo in auctione ponunt. . Il ne cache
pasque si sou grand dessein réussissait, sa situation politique serait transformée:
• Pro stabilimento nostrarum rerum omnium huic electioni lotis viribus inten-
dere. » Archiv, fur Staats und Kirchengetch. des Herzogthumt Schleswig-Holstein und
Lauenburg. t. V, p. 502.
* Se.nckenberg, Acta et Pacta, p. 505. — Voy. ces passages dans les lettres de
Pierre Martyr, Mig.net, p. 210.
36
56^ EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
rèrent ouvertement pour lui, et les membres de la diète fédérale se
montrèrent franchement opposés à la candidature de François I'\
Dans une lettre adressée aux électeurs, ils déclarent que « les
confédérés voient avec grand déplaisir le roi de France travailler en
sous-main les populations, et chercher à obtenir la plus haute dignité
du monde chrétien, dans le dessein de mettre le Saint-Empire sous
sa domination et puissance. Son élection ne pourrait attirer qu'humi-
liations, troubles, guerres et révoltes à l'Empire et à toute la chré-
tienté. » " Les Allemands », ajoutent-ils, ont conquis la suprême
couronne par leur valeur, au prix de sanglants combats. Ils ont
mérité qu'elle soit conservée à leur nation, qui la possède depuis six
cents ans. Bien que le roi de France proteste de ses bonnes inten-
tions envers les divers peuples qui composent l'Empire, et particuliè-
rement envers nous, disant que depuis longtemps les confédérés sont
alliés de la France et en très-bonne intelligence avec elle, nous fai-
sons savoir aux électeurs que nous n'avons jamais eu l'intention de
nous séparer de nos deux chefs suprêmes : le Pape et l'Empereur;
que nous portons l'aigle impériale dans nos armes, et nous considét
rons comme faisant partie de l'Empire, faisant les vœux les plus sin-
cères pour sa prospérité et sa gloire. Fils dévoués du Saint-Empire,
il nous serait très-douloureux de voir, contrairement aux usages et
libertés anciennes, la couronne impériale ravie à la noble nation alle-
mande et transférée aux Français, qui parlent une langue étrangère,
et depuis si longtemps convoitent l'Empire. Les princes doivent
faire tous leurs efforts pour les empêcher de parvenir à leur but, et
s'employer énergiquemeut à assurer l'élection d'un souverain de race
germanique, afin qu'un prince welche ne soit pas mis à la tête de la
chrétienté '. "
Les négociations des agents électoraux de Charles avec les électeurs
furent d'abord peu satisfaisantes. Ils se plaignaient de manquer
d'argent, tandis que les Français le répandaient à profusion. Les voix
sur lesquelles ils avaient cru pouvoir compter, notamment celles de
Mayence et du Palatinat, étaient de nouveau perdues, parce qu'us
n'avaient pas été en état d'offrir et de donner avec autant de libéra-
lité que les Français. Les légats du Saint-Siège, alors en Allemagne,
et contraires à l'élection de Charles, leur créaient de grands
embarras '. Henri VIII intriguait de son côté; lui aussi prétendait
au trône impérial et briguait les suffrages des électeurs. Le Pape
' Zurich, 1519 tlundi après Laetare\ i avril. — Buchholtz, t. I, p. 97-98. Les
confédérés déclarent ouvertement à l'ambassadeur français Savonier que la
couronne romaine appartient aux Allemands par droit et par Léritage, et quils^
n'épar^jnerout ni leur sang ni leurs biens pour qu'elle leur soit conservée.
Voy. RcESLEU, p. 117.
^ Voy. HÖFLEi\, p. 46, 92, 111.
LK KOI CIIAIU.KS FAIT V Al, Olli S i; S D KOI TS A L'EMl'IKK. 563
favorisait ses prétentions, car on espérait (juc, s'il leur était fait
droit, les maisons d'Habsbourg et de Valois seraient maintenues
dans un équilibre durable, et que le Sainl-Père, de concert avec
Henri VIII, pourrait assurer la paix de l'Europe '. L'habile chargé
d'affaires de Henri, Robert Pace, avait ordre de se comporter vis-à-vis
des Français comme si le roi d'Angleterre eilt encouragé l'élection
du roi de France; de se conduire avec les partisans de la maison de
Habsbourg comme s'il eût élé tout dévoué à Charles, mais eu réalité
de ne travailler que pour Henri, prince d'origine allemande*. A tout
événement, il lui était surtout recommandé de faire en sorte que la
couronne impériale ne fût donnée qu'à un Allemand. L'amiral fran-
çais Bonnivet, étant un jour caché à Mayence derrière une tapisserie,
dans l'hôtellerie où logeait Joachim de Brandebourg, entendit Pace
essayer de persuader à l'électeur de ne donner son suffrage qu'à un
prince allemand'. Mais Joachim resta inébranlable. « Votre Majesté
royale >, écrivait-il à François I" (1*^ juin 1519), < peut concevoir
l'heureuse, certaine, indubitable espérance que les négociations
entamées pour Elle auront un bon résultat. " « Il avait », assurait-il,
« toute influence, tout pouvoir sur la Bohême et sur Cologne. " Ouant
à Mayence, il déploierait le zèle le plus actif. Au reste, il était résolu,
dans l'avenir comme dans le passé, à prouver à François son fidèle
dévouement. Il se recommandait au Roi « très-humblement, comme
à sou cher maître et seigneur* ».
Cependant Albert de Mayence avait encore changé d'avis. Il disait
maintenant avoir d'excellents motifs pour montrer un ardent patrio-
tisme, et déclarait hautement que faire choix d'un étranger serait
contraire au devoir. Parmi les princes allemands, Une fallait songer
qu'à celui qui avait dans les veines « le noble sang de la maison
d'Autriche* ».
La vérité, c'est que Charles avait fait offrir au prélat de Mayence
plus que François ne voulait et ne pouvait accorder. Il lui avait
promis de s'aider en tout de ses conseils dans la direction des affaires
de l'Empire", lui cédant toute autoritésur la Chambre Impériale, avec
le droit d'en nommer lui-même le vice-président. Dans ses démêlés
avec la Saxe à propos d' Erfurt, avec la Hesse au sujet de nouvelles
* Pour plus de détails, voy. Pauli, p. 421-436. — Höfler, p. 42-57. — Roesleh,
p. 176-182.
- « To elect the kynges bygnesse, which is of the gerraan longue. » Pauli,
p. 430, note 5.
^ Pauli, p. 431, note 4,
* OEuvres posthumes de Spalatin, p. 113.
' Senckenberg, Acta et Pacta, p. 507.
* Voy. IIÖFLER, p. 75-76. — RcESLER, p. 130. Le chargé d'affaires de Charles
avoue que les engagements du Roi • ne sont de grant importance, car ils ne
consistent fors en promesse de tenir la main es dis VU points à son désir ».
36.
561 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTERIEURE.
taxes de douanes, Charles lui garantissait son appui. Il confirmait
en outre les promesses de présents et de pensions faites antérieure-
ment par Maximilien à Augsbourg. Anvers et Malines devaient en
payer le montant sur leurs revenus, et comme c'était surtout dans le
domaine ecclésiastique qu'Albert se montrait avide, Charles lui pro-
mettait de solliciter pour lui auprès du Pape le quatrième évêché que
convoitait son insatiable ambition, bien qu'il fiU déjà évéque d'Haï-
berstadt, de Magdebourg et de Mayence. Il devait aussi être promu à
la dignité de légat inamovible d'Allemagne. L'Eglise d'Allemagne, à la
veille d'une crise si grave et si décisive, allait donc se trouver dans la
main d'un prélat dont la conduite n'était rien moins qu'apostolique, et
qui ne pouvait avoir la plus légère prétention à la dignité de caractère.
Mais tous ces engagements n'empêchaient point Albert d'entrete-
nir des négociations actives avec l'ambassadeur d'Angleterre. « Il
n'était pas impossible », assurait-il à Robert Pace quelques jours
avant l'élection, « que les votes tournassent à l'avantage du roi
Henri. Il fallait seulement que celui-ci eût à sa disposition l'équiva-
lent des sommes offertes par Charles V, c'est-à-dire environ 42,000cou-
ronnes (kronenthalers). Pace entreprit dès lors de corrompre le col-
lège électoral dans les proportions indiquées '. "
Mais au moment décisif, la voix de la nation fut plus forte que
l'or, l'argent, les manœuvres secrètes et les intrigues des diplo-
mates. On vit tout à coup s'affirmer l'universel et profond attache-
ment du peuple pour la maison souveraine d'Habsbourg. Robert
Pace put juger par lui-même de la force de cet attachement, à sou
arrivée dans la Franconie rhénane. A Cologne, il fut reçu avec de
grands honneurs, car tout le monde supposait qu'il n'était venu que
pour soutenir la cause de Charles. " Bourgeois et chevaliers ", rap-
porte-t-il, « se rangent au parti du jeune souverain, et sont una-
nimes dans leurs vœux. Ils exposeraient leurs biens et leurs vies pour
empêcher l'élection du roi de France. » Le légat du Pape, au dire
de Pace, lui avait raconté à lui-même qu'il avait failli être vio-
lemment expulsé du pays à cause de ses préférences pour l'Angle-
terre. Le peuple se proposait de faire subir aux électeurs un châti-
ment sévère dans le cas où ils ne rempliraient pas les engagements
pris autrefois envers Maximilien; et dès le mois de mars, les comtes
et seigneurs rhénans déclaraient sans détour au collège élec-
toral réuni à Wesel, qu'aidés de beaucoup de gentilshommes qui
' Voy. Pauli, p. 429-430. — Höfler, p. 53. — Sur le? immenses dépenses
faites pour l'élection de Charles, voy. le travail de Greiff, dans la 34. Jahret-
hericht des historischen Vereins zu Augsburg, 1869. Le prince électeur Frédéric de
Saxe ne demandait, il est vrai, pour lui-même • ni présents ni honneurs»,
mais il ne dédaignait pas de laisser Charles payer la moitié de ses dettes, qui se
montaient à 32,500 florins-
L'KNECTION. 565
répugnaient à devenir Français pour une question d'intérêt person-
nel, ils comptaient s'opposer de tout leur pouvoir à l'élévation de
François I" '.
Dans la haute Allemagne, le mouvement populaire en faveur de
Charles s'accentuait tous les jours. Augsbourg, Ulm et Nuremberg
défendaient à leurs marchands d'accepter les valeurs des banques
françaises '^ Les Fugger, malgré la perspective d'un gain considéra-
ble, refusaient de servir de banquiers à François I"" et ouvraient
un large crédit aux agents électoraux de Charles. François avait pro-
fondément blessé les habitants de cette partie de l'Allemagne en
prenant sous sa protection le f yrannique duc de Wurtemberg, Ulrich,
dont il encourageait les hardis coups de main \ Violant audacieu-
sement la paix publique, Ulrich s'était emparé de la cité libre de
Heutlingeu, avait brisé ses écussons, et l'avait rabaissée au simple
rang- de ville du Wurtemberg. Grâce à l'or français, Ulrich rassem-
blait à ce moment même une puissante armée, avec laquelle il se
proposait d'envahir le duché de Bavière, se réservant, disait-il, « de
prononcer en temps opportun une parole décisive en faveur du roi
de France* '>. Mais ses bravades insolentes ne furent pas de longue
durée. Une armée, levée par la ligue souabe et commandée par le
duc Guillaume de Bavière, le contraignit bientôt à prendre la fuite,
et se rendit en peu de semaines maîtresse de tout le pays.
Franz de Sickingen, à la tête d'environ sept cents cavaliers, avait
pris part à la campagne contre Ulrich. Tous les efforts de Fran-
çois 1" pour attirer de nouveau à son parti le puissant < prince
des chevaliers » et se servir de lui dans l'affaire de l'élection, étaient
restés inutiles; Sickingen était depuis quelque temps « redevenu
complètement Autrichien, et ne voulait entendre parler d'aucun
autre prince que du très-illustre roi Charles ». Ce qui Tavait affermi
dans cette manière de voir, ce n'était pas tant la forte pension qui
lui avait été allouée % que l'espérance de pouvoir, avec l'aide du jeune
roi qu'on croyait faible et inexpérimenté ^ réaliser les plans ambi-
tieux qu'il avait fondés sur le renversement de la constitution du
royaume^. Il consentit de bon cœur, dès que la campagne du Wur-
' Voy. Pauli, p. 428-430. — Ulma.nn, p. 154-156.
' HÖFLER, p. 64.
^ RCESLER, p. 110. HÖFLER, p. 95.
* Senckenberg, /icta et Pacta, p. 506. ^ le duc ' , écrivait Max de Berghen
(4 fév. 1519) . « a bien reçu 30,000 tiialers de la France -. . Le Glay, t. Il, p. 219.
* Voy. ces lettres dans Le Glay, t. II, p. 220, 294 .. La peste d'avarice •, écri-
vait iMax de Berghen, « est ossy bien en ce quartier que aux autres. "
® L'opinion que Charles était un prince de peu de moyens, faible et incapable
de se gouverner lui-même, était fort répandue. Voy. les passages cités par
ROESLER, p. 67,
^ Voyez notre second volume.
566 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE. SITUATION EXTERIEURE.
temberg fut terminée, à se mettre, avec son ami Georges de Frunds-
hevQ, au service de la maison de Habsbourg, et promit 12,000 hommes
de pied et 2,000 cavaliers. Cette armée était destinée à repousser
François I", qui dirigeait vers les frontières allemandes des forces
considérables, et ne faisait point mystère de l'intention où il était
de s'emparer du trône par la violence, si les suffrages des électeurs
ne lui étaient pas favorables.
Vers le milieu de juin, l'armée destinée à mettre la ville de l'élec-
tion à l'abri de tout coup de main se rapprocha de Francfort, et
les princes électeurs, qui déjà s'y étaient réunis, commencè-
rent à éprouver de l'angoisse et de la crainte " L'armée prend une
attitude menaçante », écrit Robert Pace, le 24 juin. " Elle n'est plus
qu'à un mille de Francfort. Les comtes et seigneurs déclarent haute-
ment qu'ils ne veulent d'autre empereur que Charles. Tout le peuple
est pour lui. " Pace, comme il l'écrivait de Mayence le même jour à
son souverain, craignait fort d'être victime, lui et sa suite, de la
fureur populaire sans qu'aucun des électeurs pi\t le défendre, si
Henri VIII l'emportait. Le margrave Joachim, le plus obstiné des
partisans de la France, courut risque de la vie à Francfort'. « On
aurait haché les électeurs en morceaux », racontait plus tard Pace
aux ambassadeurs vénitiens, « si le roi de France eût été élu *. »
Lorsque ce dernier vit toute espérance lui échapper, il ne songea
plus qu'aux intérêts du margrave Joachim. « S'il n'est point élu de
lui-même «, écrit Robert Pace, " il veut du moins pouvoir dire qu'il
a fait un empereur. « Joachim, de son côté, mettait tout en œuvre
pour assurer sa propre élection ^ Il croyait avoir lu dans les astres que
la couronne royale et la plus haute dignité de la chrétienté étaient
réservées au chef de la maison de Brandebourg *. Mais tous ses
efforts furent impuissants. Tandis qu'il posait sa candidature à Franc-
' • Il populo di Frankforda, l'hanno voluto tagliar a pezi. • Rapport de Sanuto,
29 juillet, Droysen, 2Ij, p. 461.
» RoESLER, p. 124. — Ulmann. p. 156. Les vastes plans se rattachant à
l'élévation de François I*' furent révélés par une lettre saisie sur un comte du
Rhin, et adressée par le Roi à ses agents français d'Allemagne. Voici en quoi
ils consistaient : d'abord, obtenir le plus d'argent possible du prince élec-
teur de Brandebourg et du duc de Wurtemberg, qu'il pensait à rétablir dans
son pays; puis s'assujettir toute l'Italie et agir ensuite comme bon lui sem-
blerait avec le reste de la chrétienté. Voy. Pauli, p. 434, note 3. Le courrier
sur qui cette lettre fut saisie n'était autre, comme le pense avec raison Pauli,
que le seigneur de Maltzan, chargé des lettres adressées au prince électeur
Joachim de Brandebourg.
' « The marquis of Brandenburge doith continually labore for to obteigne the
imperial dignitie, and the Frenche king wull promote hym Iherunlo as niuche
as schallye inhys power to thintent, that he maye saye, that he hath made an
emperor, thoghe he couith not obteigne hymselfe. • Pauli, p. 430, note 3. —
Voy. 1IÖFLER, p. 53. — Rœsleu, p. 133.
* Voy. Droysen, 2 b. 48.
1/ÉLECÏION. ''Cf
fort, l'électeur de Trêves, llichard, se mil avec une (jrande fermeté
au travers de ses desseins. (Juani à Albert de IMayence, il exprima
l'opinion « qu'à son avis, son frère le margrave devenait fou'! >
Plusieurs voix semblèrent se porter sur Frédéric de Saxe; le Pape
encourageait ce choix», et l'électeur de Trêves, comprenant que le
sentiment général de la nalioii répugnait à voir un roi de France
révolu de la dignité impériale, le suppliait d'accepter la couronne.
Mais Frédéric resta sourd à ses invitations. A la vérité, s'il eût con-
senti à faire valoir ses litres, il lui ei\t été bien difficile de réussir,
car, à la dernière heure, la majorité des électeurs fut bien forcée de
compter avec la volonté populaire.
Un document contemporain, émané de la chancellerie de Mayence,
va nous faire comprendre ce que réclamait cette volonté. « Aucun
prince allemand », y est-il dit, « n'est assez puissant pour porter en ce
moment la couronne impériale; aucun n'est assez riche pour suffire
aux dépenses nécessitées par l'état actuel des choses. L'Empire esl
impuissant et épuisé. Prélever un nouvel impôt sur le pauvre homme
semble impossible. Dans les villages, les paysans menacent de se
soulever. Si nous n'avons un empereur pouvant disposer de vraies
ressources, les villes et les États s'uniront aux Suisses, et chacun
ne songera plus qu'à prendre le parti qui lui semblera offrir le plus
de sécurité. Dès lors, les Turcs, et autres ennemis de notre nation
et de la chrétienté, nous envahiront sans que nous puissions faire
la moindre résistance, pour disposer ensuite de nous selon leur
caprice et leur tyrannie. On ne peut songer qu'à un prince possédant
assez de revenus pour ne pas se voir contraint d'écraser le pauvre
homme par de nouvelles taxes. 11 nous faut un souverain en état de
rétablir la paix et la justice, et de rendre au royaume son antique
splendeur. Mais ce puissant chef doit être Allemand; la dignité
impériale, ce plus riche joyau de la Germanie, ne doit pas nous être
enlevée. Le peuple doit être tranquillisé à cet égard, car il est dans
une telle anxiété sur ce point, que si Charles n'était pas élu, il est fort
à craindre qu'il ne se soulève et ne se laisse entraîner à une rébel-
lion coupable. Ce qui rend impossible l'élection du roi François, c'est
que le peuple voit toujours en lui un étranger. Outre cela, il gou-
verne rudement son peuple; son sceptre pèse lourdement sur ses
sujets. Il est toujours en guerre avec ses voisins; il ne rêve que
batailles, et sou élection coûterait bien des vies et bien des pertes à
l'Empire. S'il réussit, l'Autriche et les pays qui l'environnent seront
' DuoYSEN, 2 b. 84. On disait à Rome qu'Albert avait écrit au Pape : • Come
le suo bon servitor, ma non vol sia Franzo, e che suo fradello et raarchese di
Brandenb. è pazo. • r. 459, note de la page 81.
* Voy. Droysen, 2 b. 85.
568 EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, SITUATION EXTÉRIEURE.
de nouveau séparés de la nation, et l'Allemagne, sans défense du
côté des Turcs, sera exposée à des troubles perpétuels et ne con-
naîtra plus de paix'. «
Tout militait donc en faveur de Charles, et le peuple, profondé-
ment attaché à la maison de Habsbourg, se déclarait hautement pour
lui. Son élection ne fut plus douteuse lorsque le Pape, pour ne pas
être une occasion de scandale et de guerre*, fit connaître son inten-
tion aux princes électeurs par l'entremise de ses légats : son désir
était que, sans avoir égard à la question du royaume de Naples, ils
portassent leurs suffrages sur Charles'.
L'élection eut lieu le 28 juin. La foule éclata en cris d'allégresse
lorsque le nom de Charles-Quint fut proclamé,
' OEuvrcs posthumes de Spalatin, p. 114-115.
« Nolle occasionem praebere scandalis aiit bellis, sed quietem pacemque
omnium cupere et procurare. •
* Mémoire du 24 juin 1519 dans Buchholtz, t. III, p. 672.
RESUME, TRANSITION.
La période de renaissance intellectuelle qui s'ouvre en Allemagne
vers le milieu du quinzième siècle avait, nous l'avons vu, produit de
merveilleux résultats. A cette époque, la civilisation, la culture de
l'esprit pénètrent dans toutes les classes de la société, se propagent
et progressent, et la science et les arts se développent à leur tour dans
un élan puissant et fécond. La prédication, le catéchisme enseigné, la
traduction de la Sainte Écriture, de nombreux ouvrages de doctrine
et d'édification, exercent la plus heureuse influence sur l'enseigne-
ment religieux et sur l'ensemble de la vie chrétienne. Dans les écoles
élémentaires et secondaires, de solides bases d'instruction sont posées.
Les universités prennent une importance que rien jusque-là n'avait
pu faire pressentir, et deviennent les centres actifs du- mouvement
de la pensée. L'art, plus encore que la science, s'épanouit, fécondé
par la religion et par la sympathie populaire. Il orne les églises, la
cité, le foyer domestique, des œuvres les plus nobles, et révèle, dans
les chefs-d'œuvre grandioses et saisissants enfantés par le système
d'association qui en est l'âme, ce qu'il y a de plus intime et de plus
profond dans le génie et dans le caractère allemands.
Sur le terrain politique, au contraire, les choses ont un aspect moins
satisfaisant. Les grands esprits qui dirigent le mouvement intellectuel
de leur époque, Nicolas de Gusa à leur tête, apportent cependant la
plus sérieuse attention à l'étude des questions publiques. Pleins d'un
amour enthousiaste pour 1' " Empire romain de nation germanique ,"
pour la restauration et l'affermissement de l'ancienne unité, dési-
reux de voir la paix intérieure assurée, le droit chrétien germa-
nique restauré, l'influence de lAllemagne reconquise à l'extérieur,
ils n'épargnent ni leurs efforts, ni leurs exhortations. Mais ils
ne sont pas écoutés. Plusieurs des réformes que Nicolas de
Cusa juge indispensables à la réorganisation de l'état politique,
deviennent, il est vrai, lois du pays sous une forme plus ou moins
modifiée : le droit de guerre privée est aboli; la paix publique pro-
clamée; un tribunal suprême érigé; l'Empire, au grand bénéfice de
la concorde et de la justice, partagé en dix cercles dont l'admi-
nistration se perfectionne et s'organise; les documents conterapo-
570 RÉSUMÉ, TRANSITION.
rains nous renseignent sur les interminables essais de réforme qui
remplissent tant d'années de notre histoire; ils sont, en dépit de leur
aridité, traversés d'un souffle bienfaisant, témoignent d'un amour
persévérant pour l'unité de la patrie et celle de l'Église, et, jusqu'au
milieu du seizième siècle, font espérer une heureuse issue. Mais, à
partir de ce moment, un profond changement se fait pressentir dans
les idées; l'horizon s'assombrit, et ce que Nicolas de Cusa avait pré-
dit se vérifie exactement : « Si l'autorité de l'Empereur n'est rétablie
dans la mesure où elle existait autrefois ", avait-il dit, » il ne faut
attendre aucun résultat durable de tous nos plans de réforme. "
L'impôt général et l'armée permanente, qui auraient dû former les
deux fermes appuis du souverain, ne s'organisent point, malgré
les promesses si souvent réitérées des États, et le pouvoir exécutif
va si bien en s'affaiblissant , que les violations impunies de la paix
publique et du droit finissent par causer dans la nation une sourde
inquiétude, un trouble croissant.
La fatale révolution qui s'opère dans l'ordre juridique accroît ce
trouble dès la fin du quinzième siècle. A* lieu (comme l'avait tant
souhaité Nicolas de Cusa) de remettre en honneur le droit germa-
nique tombé en désuétude; au lieu de réformer la justice en se ser-
vant du droit coutumier, propre àchaque condition, pouren composer
un code national applicable à tous, une législation étrangère, brus-
quement introduite, bouleverse tous les ressorts existants de la justice,
jette une confusion déplorable dans les notions de droit jusqu'alors
adoptées, et, dans un certain sens, anéantit, avec le droit national, les
anciennes libertés populaires. Le peuple allemand, jusque-là le plus
libre de la chrétienté dans ses institutions civiles, est désormais admi-
nistré « à la mode welche' -. Le droit romain engendre le pouvoir
arbitraire des princes, pouvoir absolument antipathique à l'esprit
allemand. Il fait dépendre le droit du pouvoir souverain, et ne mani-
feste que trop, dès le quinzième siècle, ses tendances vers le despo-
tisme le plus absolu, aussi bien dans les questions politiques que dans
le domaine religieux. Les axiomes de ce droit étranger exercent
leur influence destructive jusque dans les rapports sociaux, et cau-
sent une agitation profonde, qui se révèle dès lors parmi les
paysans par des révoltes fréquentes, et fait redouter dans un avenir
prochain un bouleversement général. Les villageois se soulèvent
pour la défense de leurs vieilles coutumes et libertés; un commun
besoin de résistance les ligues contre la rapacité cupide que le
droit romain a développée chez les princes et seigneurs. Mais sur-
tout ils se révoltent contre l'avilissant servage, qui vers le milieu du
' ZarNCKE, Xarrenschiff, 161.
RI^SUMÉ. 571
quinzième siècle, souslinfliieoce du droit (jermanique chrétien, avait
presque entièrement disparu, cl menace maintenant d'être remis
en honneur par une loi païenne, empruntée à un État fondé sur l'escla-
va^^e. Mais aux justes résistances du peuple viennent aussi se mêler
des tendances socialistes, et même communistes. On voit paraître sur
le sol allemand de nouveaux et d'ardents apôtres qui prêchent le
retour à l'élat naturel dans les rapports sociaux et privés. Les culti-
vateurs ruraux font cause commune avec les artisans des villes, et
trouvent des auxiliaires et des protecteurs parmi les membres,
devenus si nombreux, du prolélarial delà noblesse'.
La confusion malheureuse survenue dans les questions juridiques;
les nouvelles théories de droit que propagent les légistes romains;
le mécontentement profond que cause à la nation l'état des affaires
publiques; les changements opérés dans l'économie, fatalement modi-
fiée par la nouvelle législation, telles sont les principales causes du
mouvement socialiste qui se produit.
L'état florissant de la culture des champs, des bois, des vignes;
l'essor extraordinaire de l'industrie; les grandes richesses minières du
sol; un commerce prospère, dominant celui de presque toutes les
nations chrétiennes, tout avait contribué à faire de l'Allemagne le
pays le plus riche de l'Europe. Les journaliers cultivateurs et indus-
triels des villes et des campagnes sont pour la plupart, au commen-
cement du seizième siècle, dans une excellente situation matérielle.
Mais, peu à peu, l'équilibre et l'action mutuelle des principaux
Ijroupes de travail s'ébranlent. Le commerce étouffe le travail pro-
ductif de valeur. Les enchérissements, les accaparements, se pro-
duisent de toutes parts malgré les mesures prises par le gouverne-
ment, et donnent lieu, sur une large échelle, à l'exploitation de la
classe laborieuse par le capital. Des plaintes sur les monopolistes,
sur les accapareurs, sur les grands entrepreneurs et capitalistes, sur
« renchérissement de l'argent », la hausse de prix des denrées de
nécessité première, la falsification des produits alimentaires, en un
mot sur la tyrannie exercée par ceux qui possèdent sur ceux qui ne
possèdent pas, se font entendre de tous côtés. Ces abus produisent un
effet d'autant plus désastreux, que les riches étalent sous les yeux des
malheureux un luxe effréné « dépassant toute retenue », et que les
nombreux raffinements de leur vie voluptueuse et molle font amère-
ment mesurer aux misérables l'abime qui sépare la classe déshéritée
de ceux qui surabondent. D'autre part, les ouvriers, les cultivateurs,
subissent l'influence mauvaise du luxe qui régne autour d'eux*.
' Voy. notre second volume.
== Voy. notre second volume.
572 RESL'MÉ, TRANS ITION
La prospérité matérielle avait engendré le luxe et la volupté : le
luxe et la volupté, à leur tour, développent une soif toujours plus
ardente d'acquérir des bénéfices toujours plus beaux, et alimentent
dans toutes les conditions la passion de posséder, de jouir. Aussi
voit-on s'affirmer de tous côtés, plus qu'à aucune autre époque précé-
dente, ce que Geiler de Kaisersberg appelle " un contraste saisissant
entre le dévouement volontaire et l'âpre cupidité ; entre le détachement
pour l'amour de Dieu et la passion effrénée du luxe et du plaisir ».
D'autre part, l'âme est émue au spectacle des innombrables œuvres
de miséricorde que fait éclore de toute part la doctrine de l'Église
sur le mérite des bonnes œuvres. Des institutions charitables s'appli-
quent au soulagement de toutes les misères humaines imaginables.
Dans les hôpitaux, les établissements de providence, les'orphelinats,
les hôtelleries pour les vojageurs et les pèlerins pauvres, aussi bien
que dans les généreux efforts tentés pour le progrès de l'instruction
populaire, des sciences et des arts, nous voyons à l'œuvre la charité la
plus active, la plus admirable. « Au temps du papisme », dit Luther,
« tout le monde était miséricordieux et débonnaire; on donnait
joyeusement, des deux mains, et avec une grande dévotion. Les
aumônes, les fondations, les legs, pleuvaient. » " Nos parents et
ancêtres, seigneurs et rois, princes ou particuliers, donnaient lar-
gement, avec bonté et surabondamment, aux églises, cures, écoles,
abbayes, hôpitaux '. ^ Les donations pour les bonnes œuvres étaient
si nombreuses et si larges, qu'on n'avait alors besoin pour les
pauvres, ni de subventions de l'État, ni de secours empruntés aux
caisses communales, ni de taxes annuelles, ni de collectes faites à
domicile. Dans les villes et dans les campagnes, on n'avait point de
budget courant attribué soit aux écoles, soit aux indigents, et notre
temps bénéficie encore d'un grand nombre d'établissements fondés à
cette époque. Les ordres religieux, les associations pieuses, comme
celles des Alexieus, des religieux du Saint-Esprit, des Frères de
Saint-Antoine, des Frères de la pauvreté volontaire, des Sœurs de
Sainte-Elisabeth, des Béguines, font preuve, sans ostentation et sans
bruit, d'une charité admirablement attentive aux besoins des malheu-
reux et des malades. Souvent les aumônes distribuées aux portes des
monastères sont d'une prodigalKé inouïe ^ La doctrine d'économie
' Voy. notre second vol.
* Sur l'esprit de charité qui dominait à la fin du moyen âge et sur le sens
profond des nombreuses fondations pieuses de cette époque, l'historien pro-
testant Krie;jk s'exprime avec savoir et intelliijence. Bürgerihum. p. 75-196 et
Geich. Franlfuits, p. 161-181. — Vov. aussi Fechtel, Basels Anstalten zur Unlersiüizung
der Arnitn und Krankenpßrge des Mittelalters, dans les Beiträgen zur vaterländischen
Geschichte, p. 381-404, vol. IV. (Bàle, 1850.) — Voy. Hlhlhorn, Vorstudien zu einer
Geschichte der Licbcsthäligkeil im Mittelalter, dans le Zeitschrift für Kirchengesch., t. IV,
OKU VRE s CIIAKITAJWJ'S, SYNODES, LE f;LER(;i:. 573
sociale préconisée p.ir rKglise esl sans cesse appliquée au soii-
la{',ctiiciil de la pauvreté et de la détresse humaine, à la protec-
tion de la classe laborieuse, à la réparlilion la plus juste possible
des biens de la terre. Ce n'est pas l'intérêt personnel, mais « l'union
de tous dans un Iraternel amour », qu'on espère voir devenir la
solution et le but de toute action économique. Les synodes s'unis-
sant aux écrivains économistes de leurs temps, s'opposent avec
fermeté aux usuriers, aux accapareurs, et font un devoir de con-
science à ceux qui ont cliarjje d'àmes, de soutenir et de défendre
dans leurs prédications les droits des pauvres, des veuves et des
orphelins'.
L'influence du cardinal Nicolas de Cusa, son zèle ardent, qui fit
époque, avait fait circuler dans l'Église d'Allemagne un souffle vivi-
fiant. Nous ne savons si, à aucune autre période de notre histoire ecclé-
siastique, l'action des synodes fut à la fois plus vaste et plus féconde
qu'entre 1151 et 1515. Outre les conciles provinciaux de IMayence, de
Magdebourg, de Cologne, de Salzbourg, on compte, dans cet espace
de temps, plus de cent synodes diocésains dans les diverses pro-
vinces de l'Empire; nous voyons se refléter dans leurs décisions
tous les ressorts intérieurs delà discipline ecclésiastique à celte époque.
Si l'on est malheureusement obligé d'y toucher du doigt les nombreux
et criants abus qui entravaient alors l'action de l'Église, onyconstate
d'autre part les remèdes énergiques quelle s'efforce d'y apporter».
p. 4i. — Sur le nombre toujours croissant des hôpitaux et léproseries jusque
dans les plus petits villages, voy. Mo>e, Zeiischri/t, t. II, p. 260, 279-291. — Sur les
fondations pieuses à Bretten, Bade, Bruchsal, etc., Zeitschrift, t. l, p. 147-163. —
Sur les maisons de refuge et hôpitaux à Oppenheim, voy. Fr vnk, Gesch. von
Oppenheim, p. 113. — Sur les nombreuses confréries instituées pour le soulage-
ment des pauvres, voy. Kohl, dans la Zeitschrift für deutsche Kulturgeschichte, p. 423-
428, 1874. — Sur l'hôpital de Saint-Job, fondé à Hambourg en 1505, voy. Wilda.
GilJeiceien, p. 366-368. — Sur les établissements charitables de Halle, voy. Wokeu,
p. 114-115. A Zwickau, Burkhaudt, Gesch. der sächsischen Kirchen und Schulvisitn-
tionen, p. 67, (Leipzig, 1879.) Sur la multiplicité des béguinages dans les
pays rhénans vers la seconde moitié du quinzième !-iècle et sur leur féconde
activité pour le soin des malades, l'éducation des orphelins, etc., voy. Kittel,
Die Beguinen des Mittelalters i/n südwestlichen Deutschland, Programm, (.\schaffen-
burg, 1859.) Voy. Anzeiger für Kunde deutscher Vorzeit, t. VI, p. 374-376. Relative-
ment aux aumônes faites par les monastères, citons entre autres l'exemple de
l'abbaye d'Hirsau, qui distribuait tous les ans aux pauvres environ quatre cents
boisseaux de blé et nourrissait tous les jours deux cents indigents à la porte
du couvent. Voy. Cless, CuUurgeschichte von. Württemberg, t. II, p. 443.
' Voy. llAUTZHEiM, t. V, p. 398-675, 923-958, et t. VI, p. 1, 142. Analyse du
Supplementum Conciliorum Germaniœ de Binterim et de Floss, p. 15-17. (Cologne.
1851.) Binterim, t. VI!, p. 237-530. Dans le diocèse de Spire deux synodes avaient
presque toujours lieu tous les ans. Remling, Geschichte der Bischöfe zu Speyer, t. II,
p. 145-222.
» Les lettres synodales de l'évêque de Spire, Louis de Helmstadt (Wurdtweis,
Subs., u XII, p. 196-326), sont des modèles en leur genre. Les synodes étaient
«cuvent très-nombreux. Au synode de Strasbourg (1482), six cents prêtres sont
574 RESUME, TRANSITION.
En dépit de toutes les imperfections qui s'attachent aux œuvres
humaines, les conciles et synodes, dans leurs discussions et leurs
décrets, mettent dans un relief admirable l'esprit qui l'inspire.
Les princes ecclésiastiques dont la conduite est indigne de leurs
liantes fonctions, sont contraints, lorsqu'ils exercent publiquement
leur charge, de faire entendre le langage austère de la doctrine
chrétienne, et de condamner ainsi leur propre vie. Beaucoup d'évêques
se font les apôtres zélés de la réforme tentée; beaucoup se signalent
par leur amour des âmes, et sont aussi distingués par leurs vertus
que par leur savoir'. Le clergé régulier et séculier est en grande
partie éclairé, intelligent et pieux. C'est parmi ses membres
que l'imprimerie nouvellement inventée trouve ses protecteurs
les plus dévoués, les plus actifs. L'immense quantité d'ouvrages
sortis des premières presses allemandes sert d'abord presque exclu-
sivement les besoins intellectuels du clergé. Aussi Wimpheling,
censeur sévère des clercs paresseux et mondains, peut-il écrire :
" Je connais, Dieu le sait, dans les six diocèses du Rhin, beaucoup,
et même d'innombrables bons pasteurs parmi les prêtres séculiers.
Ils sont riches eu savoir, bien préparés à la charge des âmes, et d'une
grande pureté de mœurs. Je connais, aussi bien dans nos cathédrales
que dans nos églises abbatiales, des prélats accomplis, des chanoines,
des vicaires dignes de (ont respect. Je connais non-seulement quelques
clercs, mais une foule de prêtres dont la réputation est sans tache,
et qui sont remplis de zèle, de charité, d'humilité dans le service des
pauvres. " A un autre endroit, Wimpheling parle du grand nombre
de clercs, fils des bourgeois les plus considérés du pays, honorés du
litre de docteurs de la sainte théologie, et promus par la grâce de
Dieu dans un grand nombre de paroisses. « Peut-être qu'autrefois ",
ajoute-t-il, « de tels hommes faisaient défaut; mais de nos jours, grâce
à l'imprimerie, découverte dont Dieu a favorisé notre pays, beau-
coup d'hommes vraiment instruits, vraiment dignes de conduire les
àmes^ entrent tous les jours dans l'Église, »
présents. Dacheux, Geiler de Kaisersberg, p. 39. C'est à ce synode que Geiler pro-
nonça son foudroyant discours contre les conseillers laïques des évéques, dis-
COUiS {jrave el enjoué tour à tour. {Sermones et varii tractatus Kaysersbergii, fol. 13.)
Wimpheling disait à propos de ces conseillers laïques : « Sciât sacerdos se ab
indoctis et illileratis plerumque episcoporum consulil)us, scribis, satellitibus
iminerito vexari, opprinii, floccipendi. » Rieggeu, Amœnitaies litt., p. 176. Voy.
aussi Zcits.fiir die Geschichte dis Oberrheims , t. XX VII, p. 227-326. 385-45Î.
' Voyez-en la liste avec les citations à l'appui, dans le travaif intitulé : I>a$
Luthermonument zu Worms, p. 118-120 (."Mayence, 1868). ■ On trouve beaucoup de
bons supérieurs «, disait Geiler, qui a déploré plus que personne les abus
ecclésiastiques de son temps {Etnisscn, Strasbourg, 1517,. ■■ Si tu passes en revue
les évéques de notre temps, tu verras que nous avons beaucoup de pieux pré-
lats, par exemple les évéques de Bamberg, de Worms, de Trente, etc. » .
* Voy. RiEGGEH, âmœnitates lia., t. II, p. 280, 369. Luther a dit avec exagéra-
I
ABUS ET SCANDALES ECC LES 1 AS ï I O C E S . 575
Mais les « contrastes frappants entre le dévouement volontaire et
l'âpre cupidité, entre le renoncement pour l'amour de Dieu et la
passion de jouir % se manifestent dans le clerijfé ré[julier et séculier
aussi bien que dans les autres classes de la société. Là aussi nous
constatons, à côté d'une admirable ardeur de dévouement, d'un
noble désir de se sacrifier à de grandes causes, à côté d'un amour de
Dieu et des hommes s'élevant parfois jusqu'au plus généreux enthou-
siasme, les manifestations effrayantes d'un égoisme et d'une cupidité
sans frein. Beaucoup de prêtres négligent complètement la prédi-
cation et le soin des âmes. La passion d'amasser des richesses, vice
le plus saillant, le plus profondément enraciné de cette époque, se
montre et se révèle dans l'ardeur que met le clergé de tout rang,
de tout ordre, à accroître ses rentes, ses revenus, les taxes, les
casuels. L'Église d'Allemagne était alors la plus riche de la chré-
tienté*. On a calculé qu'elle possédait presque le tiers de la propriété
foncière; aussi les efforts des grands dignitaires ecclésiastiques pour
accroître toujours davantage leurs propriétés ne sont-ils que plus
condamnables. La plus grande partie du territoire communal appar-
tenait, dans un grand nombre de villes, aux communautés religieuses.
lion : - Personne ne peut se faire curé ou prédicateur sans avoir été niaitrt,
docteur, ou au moins étudiant dans une université. • — Voy. notre second vol.
Sur la réforme de l'Ordre des Bénédictins, voy. Eveld, Die Anfänge der Burs-
felder Benediciinercongregation (Münster, 1865). Énumérant les titres des religieux
à la reconnaissance de la postérité, l'auteur fait valoir l'impulsion donnée par
eux aux études historiques , et principalement aux recherches et aux tra-
vaux d'histoire locale. Un des réformateurs les plus zélés des Ordres religieux
à cette époque, c'est Jean Busch, dont l'autol^iographie (Leib.mtz, Scn'ptt. lier,
ßrunsw., t. II, p. 476-50G et 806-970) fait partie des plus importants documents
pour servir à l'étude de la vie ecclésiastique à cette époque Grube a parlé avec
détail de son activité en Allemagne. Pendant cinquante ans, il visita, pour les
réformer, les monastères de Saxe, de Misnie, de Thuringe, de Weslphalie, etc.,
et cela parmi des privations et des difficultés de tout genre, parfois même au
péril de sa vie. Il pouvait dire à bon droit à la fin de son ouvrage, en parlant
des nombreux cloîtres qu'il avait ramenés à l'observance (1475), - quae in
regiilari observantia pêne omnia usque in praesens persévérant ». (P. 964. i Le
tableau qu'il trace des travaux des Frères de la pauvreté volontaire (p. 857-
859) est vraiment émouvant. Voy. Grube, p. 243-247. Busch répète fréquemment,
comme un cri de triomphe, les paroles du Psalmisle qui ouvrent et terminent
son ouvrage : ■ Misericordias Domini in aeternum cantabo. » Le moine fran-
ciscain Jean Brugmann (de Kempen, Bas-Rhin i fut l'un de ses plus dignes éiuules.
li était intimement lié avec le réformateur et théologien alors célèbre dans
toute l'Europe, Dyonisius l'.ickel (cartésien). Brugmann était, ainsi que le Fran-
ciscain Dederich Cœlde, un des plus énergiques prédicateurs populaires de son
temps, et prêcha sans relâche durant vingt ans, dans les provinces de la basse
Allemagne (,f 1473). Voy. sur lui Theolog. Studien und Kritiken, p. 165-174. Année 1860.
— Sur l'infatigable zèle apporté par Geiler de Kaisersberg à la réforme des abus
et des scandales religieux de son temps, voy. Dacheux, p. 58-74, 98-220. —
LiNDEM.iNN, p. 26, 119.
^ Voy. DÖLLINGER, Matcrialen zur Geschichte des fünfzehnten und sechzehnten Jahrhun-
derts, t. II, IX, p. 1-296.
576 RESUME, TRAXSITIOX.
Même parmi les membres du clerg:é alors si nombreux, surtout
dans les villes épiscopales, les contrastes les plus heurtés se pro-
duisent. Le bas clergé, chargé du ministère des âmes, n'a aucun
appointement fixe en dehors du casuel et de dîmes souvent fort
incertaines '. La pauvreté, le désir d'acquérir, le poussent fré-
quemment à des expédients peu en rapport avec la sainteté de sa
vocation, et l'exposent au mépris populaire. Le haut clergé, au con-
traire, nage dans l'abondance et le luxe, et trop souvent ne se fait
aucun scrupule d'étaler son faste au dehors, révoltant ainsi les
déshérités, excitant dans les hautes classes la soif des richesses, bles-
sant, scandahsant tous les esprits sérieux. " Nous voyons s'avancer
vers nous », dit Jean Butzbach eu déplorant ces abus, " nos prélats
bouffis d'orf;ueil. Ils sont habillés du drap anglais le plus fin. ils
portent une barrette sur la tête. Leur main, chargée de bagues de
prix, est fièrement posée sur la hanche. Ils se pavanent orgueilleu-
sement sur des chevaux de prix, et sont suivis d'une domesticité
nombreuse, portant des livrées éclatantes. Ils bâtissent de splen-
dides demeures, où l'on admire des salles hautes, magnifiquement
peintes; là, parmi de fastueux festins, ils se livrent à l'orgie. Les
biens des pieux donateurs sont dissipés dans les bains, dans les fes-
tins; on fait état de chevaux rares, de chiens, de faucons dressés
pour la chasse. Si le soin des âmes est abandonné s dit-il encore,
« le haut clergé en est eu grande partie responsable. Les prélats
mettent à la tête des paroisses des pasteurs peu dignes; quant à eux,
ils ne se soucient que de récolter les dîmes. La plupart ne pensent
qu'à accumuler des bénéfices, sans se mettre aucunement eu peine des
devoirs que ces bénéfices imposent. Les revenus ecclésiastiques sont
employés à payer leurs nombreux serviteurs et pages, leurs chevaux,
chiens et faucons. Ils cherchent à se surpasser les uns les autres par
leur faste* et leurs plaisirs voluptueux. " L'abus si contraire aux
1 Voy. Brant, Marremchi/f, § 73.
* BUZTB.VCH, Salirae elegiacae et Elegia kumanas planjens miserias. Manuscrit de la
Bibliothèque de Cologne. Sur les habits mondains du clergé, voy. la remar-
quable décision du synode de Bamberg, t491. Hartzheiim, t. V, p. 604. Voy.
aussi les prescriptions des synodes de Schwerin et de Bâte (t492, 1503). On voit
par un passage de Nauclerus Chron., p. 959i que les abus, du moins dans le bas
clergé, étaient bien loin d'être suivis par tous les clercs. « Clerus omnis habitue
incessu houestus et satis discipliuatus. » Voy. Joachim, p. 62. Les princes-
évéques avaient généralement une tenue peu appropriée à leur état. L'admi-
rable évéque d'Augsbourg, Frédéric de Hohenzollern , fut regardé comme
une curiosité à la diète de Nuremberg (1487), parce qu'il portait des vête-
ments d'évêque. Ou l'accjsa d'être un Welche, n'aspirant qu'au chapeau de
cardinal. « Omnes archiepiscopi et episcopi incedunt,» écrivait Frédéric le
23 mai 1487 à son maître Geiler de Kaisersberg, « quod vix fistulatores et ipsi
inter se discerni possint • Voy. Dacheux, Geiler de Kaisersherg, p. 384-387. —
Voy. le travail digne d'attention de Steicuele, sur le Tagebuch über die drei ersten
ABUS ET SCANDALES ECCLESIASTIQUES. 577
anciennes lois de l'F[jlisc, encore en pleine vi(jueur, et qui consistait
à conférer plusieurs bénéfices à une seule personne, souvent môme
à de tout jeunes enfants n'ayant point encore reçu les Ordres, faisait
un tort profond aux mœurs ecclésiastiques. Il allait de compagnie
avec Tusaße, alors introduit partout, de revêtir des plus liautes
dignités ecclésiastiques les fils cadcis des familles princières ou de la
haute noblesse. « C'est le signe d'une étrange folie », dit Geiler
de Kaisorsberg, « de préférer pour les hautes charges de l'Église
ceux qui sont d'une naissance illustre à ceux qui sont tout simplement
honnêtes et sages. Cette folie est surtout commune en Allemagne. »
'< Pour diriger l'Kglise on fait choix d'ignorants, gens habitués au
luxe, adonnés aux plaisirs, qui ne savent rien, et n'ont d'autre qualité
que celle d'élre d'illustre origine '. « Autrefois, il n'en était pas ainsi :
•< on recherchait les hommes pieux, instruits, sans prendre garde à
la médiocrité de leur naissance* ". Thomas Murner fait entendre la
même plainte dans V Evocation des fous :
» De[)uisquc le diable a conduit la noblesse dans le domaine ecclésias-
tique, depuis qu'on ne veut avoir d'évéquc qui ne soit de haute naissance,
tout va de travers ! Le diable a usé bien des souliers avant de faire
porter la mitre à tous les fils de princes^^! »
Le nombre des diocèses oi^i la noblesse possède un droit exclusif
aux canonicats des églises épiscopales va toujours en augmentant à
Regienuigsjahre des Bischofs Friedlich von Zollcni, dans les Beiträge zur Gesch. des Bis-
thums Augsburgs, t. I, p. 113-143.
' Voy. Bi\ANT, Narrenschi/, § 30.
- Voy. Rerkeh, Geiler von Kaisersberg, p. 48, 9G2.
'RosenpliU, dans son poëme de VErmiie^ {Keller, t. III, p. 129-1131), déplore
aussi que les évéchés et bénéfices soient distribués entre • ces grands sei-
gneurs qui mènent une conduite peu ecclésiastique et peu morale •. - Les
maisons religieuses et les abbayes ■, dit L'nrest (p. 672), «sont bien gouvernées
lorsqu'on en donne la conduite à des évêques et prélats instruits; tout va mal,
au contraire, lorsqu'on a égard à la naissance ou à la faveur. On peut s'en
apercevoir dans les grandes abbayes actuelles, qui toutes dégénèrent. - « La
science progresse et fleurit, et à peine nommerait-on un siècle où l'un ait fait
autant pour elle que dans le nôtre -, écrit Trithème {De vera siudiorum raiione,
fol. 9), ' et cependant on voit beaucoup de prélats ignorants, parce que (ce
qui est la grande plaie de notre temps) ils ne sont élus qu'en considération
de leur haute naissance, sans que souvent ils aient fait même des études
médiocres. - Pour n'en citer qu'un exemple, l'archevêque de Cologne, Hermann
de Wied, était tellement ignorant, qu'il fut obligé de faire traduire les lettres
de crédit écrites en latin de l'ambassadeur anglais Robert Pace. Höfler,
Carls V Wahl, p. 49. Dans ces nobles personnages, le prince éclipsait si complè-
tement l'évéque, qu'à Strasbourg les prélats avaient entièrement perdu l'abi-
tude de porter les insignes de leur dignité épiscopale, la crosse et la mitre.
L'évéque de Strasbourg, le comte palatin Robert (f 1478), ne disait jamais
la messe; il communiait le jeudi saint dans la chapelle de son château « more
laicorura »,avec le personnel du château. Voy. pour plus de détails Kerker,
Geiler de Kaisersberg, p. 48, 947-953.
37
578 RESUME, TRANSITION.
partir des dernières années du quinzième siècle'. En même temps
les familles princières s'efforcent par tous les moyens en leur pou-
voir de placer les cvéchés ou archevêchés sous leur dépendance *. Eu
1515, au moment où la tempête religieuse éclate, les évêchés et arjche-
vêchés suivants appartiennent déjà à des fils de princes : Brème,
Freisingen, Halberstadt, Hildesheim, Magdebourg, Mayence, Merse-
bourg, Metz, Minden, Munster, ^■aumbourg, Osnabrück, Paderborn,
Passau, Ratisbonne, Spire, Verden et Verdun. L'archevêque de
Brème est en même temps évêque de Verden; l'évêque d'Osnabriick
l'est aussi de Paderborn; l'archevêque de Mayence siège à la fois à
Magdebourget à Halberstadt; on se plaint partout que, dans la juri-
diction de leurs diocèses, dont ils touchent cependant tous les reve-
nus, les évêques ne veulent ou ne peuvent plus résider. On leur
reproche de porter bien plus volontiers le casque et l'épée que la
crosse et la mitre. L'irritation du peuple au sujet des prélats belli-
queux augmente tous les jours. On chante :
Au guerrier le champ de bataille, au prêtre le chœur!
Lorsque cet ordre est renversé, tiens-toi sur tes gardes !
Les chevaliers de l'ordre Teutonique tombent aussi sous le coup
du mépris populaire. Ils semblent n'avoir plus d'autre vocation que
l'exercice de l'autorité souveraine dans une province particulière. A la
faveur de leurs privilèges ecclésiastiques ils répandent dans l'Église un
esprit mondain. " Au lieu de pourfendre les ennemis ", dit le peuple,
« ce sont des chapons rôtis, des perdreaux, des oies, des canards, que
les nobles chevaliers percent maintenant de part en part! »
S'habiller, se déshabiller,
Manger, boire, dormir,
Voilà la règle des seigneurs teutons !
Ainsi chantent les railleurs.
' La loi ecclésiastique qui excluait des canonicats les prêtres n'apparte-
nant pas à la noblesse, fut renouvelée à Bâle en 1474, à Augsbourg en 1475
(Roth von Schrekenstein, Pairiciat, p. 525), à Paderborn en 1480, à Munster un
peu plus tôt, à Osnabrück en 1517. Estor, Ahnenprobe, t. III. Voy. l'article
intitulé : Der deutsche Adel in den hohen Erz und Domcapiteln, dans les Historisch
politischen Blättern, t. XLIII, 653-676, 745-768, 837-858. — L'auteur, noble lui-même,
est conduit à avouer, en terminant son travail, que les droits exclusifs de la
petite et haute noblesse aux canonicats, non-seulement étaient incompatibles
avec le véritable but religieux des chapitres, mais encore ne fut jamais un bien
pour la noblesse elle-même. ■ Il n'est aucune condition -, dit-il, -^ qui n'ait
pour base le précepte évangélique « Ora et labora ". Toute sinécure est mau-
vaise, parce quelle affaiblit ou tue dans l'individu ou la caste qui en reçoit
le bénéfice apparent, l'activité et la capacité de travail. >. Voy. une Lamentation
sur la mondanité des prélats dans le Anzeiger für Kunde der deutschen Vorzeit,
t. XVII, p. 368.
* Voy. notre second volume.
l/AUTORITf^: DK l.'Kr.LISE ATTAQUÉE. 579
Les fils de bourgeois et de paysans, exclus des sièges épiscopaux
comme de tous les hauts emplois ecclésiastiques, voient peu à peu se
fermer devant eux un nombre toujours plus considérable de monas-
tères, et les cloîtres qui disposent des plus nombreux moyens de
civilisation et d'instruction sont bientôt exclusivement réservés à
la noblesse. Ces couvents de nobles sont précisément ceux qui
s'opposent le plus fréquemment à toute tentative de réforme '.
Mais dans les Ordres mendiants, où la plupart des religieux appar-
tiennent au peuple ou à la bourgeoisie, les efforts des réformateurs
rencontrent aussi trop souvent une vive résistance. Les moines
mendiants s'échappent de leurs monastères, comme par exemple
les Augustins (1481). — Ceux que Geiler de Kaisersberg pour-
suit des plus impitoyables reproches sont les moines déchaussés,
'< ces méchants gamins irréguliers », " car je ne puis -, dit-il, « les
appeler autrement ". Des plaintes fréquentes se font partout entendre
sur le trafic des choses saintes, les punitions ecclésiastiques imposées
trop légèrement, les grands et fréquents envois d'argent faits à
Rome par les prélats pour obtenir la pourpre; les annates et les
frais du pallium *.
Ces abus, ces scandales, venus de la mauvaise organisation ecclé-
siastique, sont systématiquement mis à profit par la jeune école
des humanistes, qui s'est peu à peu élevée dans l'estime et la consi-
dération publiques à côté de cette ancienne génération de savants
à qui TAUemagne devait la restauration des études classiques. Dès
le commencement du seizième siècle, cette nouvelle école forme un
parti « compacte et exclusif* ". Les chefs vénérés de l'ancien huma-
nisme * s'étaient tous montrés les adversaires intrépides des abus qui
s'étaient glissés dans l'Église, mais l'autorité de l'Église elle-même,
celle du Souverain Pontife, étaient demeurées intactes dans leurs con-
victions. Ils étaient restés attachés du fond de leur âme aux dogmes
chrétiens; les prescriptions de la morale évangélique étaient la règle
' Voy. HÖFLER, Einleitung zu den Denkwürdigkeiten der Äbtissin Charitas Pirkheimer,
t. XXXV (Bamberg, 1853). Buschius cite deux monastères de filles nobles où
d'horribles scandales s'étaient produits dans le diocèse de Minden, p. 859-864.
Voy. GuuBE, p. 158. Sur un monastère de filles nobles à Reuss, voy. Tetzel, i>e5
böhmischen Herrn Leo's von Bozmital Bitter, Hof und Pilgerreise durch die Abendlande,
dans la Bibl. des literar. Vereins, t. VII, p. 148. Les danses qui eurent lieu à
Cologne en présence de Maximilien pendant la diète de 1505 furent ouvertes
par l'archevêque, une abbesse, et plusieurs dames des abbayes de Saint-Marein
et de Sainte-Ursule. Voy. Zeitsch. des berg. Geschitsvereins, t. VI, p. 274.
* Pour plus de détails, voy. Kerker, Geiler von Kaisersberg, p. 49, 398-401.
Dacheux, p. 158-196. — Jager, Lim, p. 501-505. — Gräfe, Leipsigs religiöses Leben
bis 1517 dans le Zeilschrift für die Hist. Theologie, p. 51-92, vol. IX (Leipzig, 1839).
' Voy. t. IX, p. 51-72, les plaintes de Wimpheling à ce sujet dans Wiskowa-
TOFF, p. 177-195,226. Voy. notre second volume.
* Voy. notre second volume.
37.
USD " RÉSUMÉ, TRANSITION.
de leur vie, et c'était précisément leur amour pour l'Église univer-
selle qui enflammait leur zèle réformateur. Les nouveaux huma-
nistes, au contraire, se targuent orgueilleusement de leurs prétendues
lumières, se mettent au-dessus du christianisme, de l'Église, et
même des prescriptions les plus élémentaires de la morale. Ils
voient dans l'antiquité, non un élément de culture et de civilisa-
tion, mais un principe vital pour les peuples modernes, et préten-
dent substituer à l'inflexible morale du christianisme la philosophie
commode des anciens. Beaucoup d'entre eux travaillent au complet
renversement de l'ordre social. Ces hommes allument dans la nation
une guerre civile intellectuelle si désastreuse, qu'en très-peu de
temps elle détruit toutes les semences, les fleurs et les fruits de la
réforme tentée. Ils détestent la nouvelle forme de jurisprudence,
mais, disciples et défenseurs de la théorie antique sur l'État, ils
vont tout droit, par leurs railleries frivoles et leurs saillies mépri-
santes sur l'Église et ses ministres, au même but que les juristes. Ils
commencent par réclamer hautement la sécularisation des biens de
l'Église. Or, comme l'amour des richesses, vice principal de l'époque,
pousse le clergé à accroître sans cesse les propriétés ecclésiastiques
et crée à l'intérieur de l'Église un état social et religieux que déplo-
rent tous ceux qui ne sont pas directement intéressés à sa conser-
vation, « les princes, les seigneurs, les conseils urbains sont exposés
à la tentation pressante de mettre la main sur les biens du clergé ».
« Celui qui les y excite est leur homme », dit Geiler, « et leur semble
toujours un excellent conseiller'. «
A ce désir de séculariser les biens ecclésiastiques, se joint bientôt
celui de transporter la juridiction spirituelle des évêques aux souve-
rains temporels et aux magistrats civils. Un grand nombre de princes
s'ingèrent déjà sans aucun scrupule dans des questions purement
ecclésiastiques -. Ils y sont quelquefois poussés par les réformateurs
eux-mêmes, qui les appellent à leur aide pour opérer les change-
ments qu'ils veulent introduire. L'autorité du siege apostolique est
regardée par les conseillers princiers comme« un joug dur et pesant ".
Dès le milieu du quinzième siècle, on voit en Allemagne (se ratta-
chant presque toujours à Jean Huss) des novateurs qui combattent
l'infaillibilité doctrinale du Saint-Siège ^ puis, allant toujours plus
loin, l'autorité des conciles généraux, la hiérarchie ecclésiastique, et
les enseignements fondamentaux de l'Église.
« Je méprise le Pape, l'Église et le concile ", dit ouvertement Jean
' Judenvucher und Schinderey , p. 42.
« Voy. Grube, p 359.
* Aussi les théologiens les plus strictement orthodoxes défendent-ils avec
fermeté dans leurs écrits et leurs prédications l'autorité du Saint-Siége.
Gabriel Biel fit paraître en 1462 un écrit sur l'obéissance due au siège
IIÈRKTIQUES ALLEMANDS AU QUINZIÈME SIÈCLE. 581
de Wesel (1181), « et je loue le Christ'. » " L'Kglise -, dit-il ailleurs,
" subit une captivité de Babylone. Le Pape u'est qu'un singe vêtu de
pourpre. » Professeur autorisé de la Sainte Écriture, .Jean de Wesel
combat la doctrine des indulgences, rejette le culte des saints, le
purgatoire, les sacrements de pénitence, d'Eucharistie et d'extréme-
onction. « L'huile consacrée ■■, enseigne-t-il, c n'est pas meilleure qi»e
celle que l'on mange à la cuisine. Il dit hautement que le corps
de Jésus-Christ peut être présent dans l'hostie sans la transubstantia-
tion; que la Sainte Écriture est la source infaillible et unique de la
foi, et ne peut être expliquée que par elle-même; que la foi seule
justifie, et que seuls les prédestinés auront part à la félicité du ciel.
Dans ses écrits comme dans ses sermons, il se livre à de rudes et
grossières sorties. Il reproche aux prêtres de •• servir leur ventre en
dévorant le bien des veuves ", et de n'être « que des chiens et des
animaux malfaisants ■. Prêchant un jour sur le carême, il dit qu'à
son avis > saint Pierre ne l'a institué que pour écouler plus facilement
ses poissons ". « L'homme -, ajoute-t-il, ■ peut manger aussi long-
temps qu'il a faim; si cela te fait plaisir, tu peux manger un bon
chapon le vendredi saint. '
Jean de Wesel avait longtemps professé à l'Université d'Erfurt, et
Luther dit, après s'être étendu sur la considération dont il jouissait :
" JohannesWesalia a gouverné par ses écrits la haute école d'Erfurt,
et c'est après avoir étudié ses livres que j'ai moi-même enseigné plus
tard ». >'
Les " frères de Bohême -, dont les huit confessions de foi, toutes
apostolique, où il demande pour les décisions et lois disciplinaires du Pape
la même soumission que si elles émanaient de saint Pierre lui-même. Voy.
LiNSEMiANN, Gabriel Biel. dans la Tübinger Theol. Quartalschrift, p. 203, 1865. En
1480, Pffffers, professeur à Fribourj;, fit paraître un traite sur l'infaillibilité
de l'Éfîlise romaine. Schreiber, L'niversiiät Freiburg, t. I, p. 112.) En 1495, Sébas-
tien Brant entreprend une campagne théologique pour soutenir l'autorité
sans restriction du Pape. (Schmidt, Xoiices, p. 198-200.) Kn 1503, la même thèse
est soutenue par le célèbre Pierre de Ravenne, à l'Université de Wittenberg
(MüTHER, Aus dem UniversiliUs und Gelehrtenleben, p. 7Ü-76, etC).
' Jean de Wesel enseignait : ^ C'est au théologien à juger la mesure dans
laquelle les décisions du Pape nous obligent. » Voy. Ulmann, Reformaioren vor
der Reformation, t. H, p. 556.
- Pour plus de détails, voy. Ulmann, t. I, p. 240-418 (.surtout les pages 326,
333, 3(j0, 288-307, 390). Sur l'enseignement de TFan Wessel (f 1489), voy. la
monographie de Friedrich, Johann ll'essel Ratisbonne, 1862). Ulmann, t. II,
p. 287-707. Nicolas Rus, de Rostock, fut au nombre des adversaires de la hié-
rarchie ecclésiastique, de la doctrine sur les indulgences, du culte des saints, etc.
Voy. Geffken, Bildcrcatechismus, p. 159-163. Le prêtre saxon Jean Drändorf nie
l'infaillibilité des conciles généraux, l'obligation de se soumettre à l'Église, etc.
"Voy. KrumMEL, Theol. Studien, und Kritiken, 42 a , p. 133-144 (Gotha, 1869). En 1453,
dans les environs d'Heilbronn, on trouve la secte des - pauvres déchaussés =,
qui n'admettent point de différence entre les prêtres et les laïques, sou-
tiennent que dans la communion on ne reçoit pas le corps et le sang du Seigneur,
mais seulement du pain et du vin bénits, etc. Binterim, t. VII, p. 304-305. Vers
582 RÉSUMÉ, TRANSITION.
différentes les unes des autres, avaient été plusieurs fois imprimées
à Nuremberg? et à Leipzig', s'occupent activement en Allemagne de
la propagation de leurs doctrines; ils n'admettent aucune différence
entre les prêtres et les laïques, appellent le Pape l'Antéchrist, et
l'Église romaine (par conséquent l'Église catholique) " une associa-
tion de vauriens et de menteurs recevant toutes leurs inspirations du
diable ». A Prague, dès les premières années du seizième siècle, nous
trouvons les esprits dans les dispositions ou sera bientôt la plus
grande partie de l'Allemagne. « 11 règne ici un effroyable désordre
dans les idées religieuses », écrit de Prague le célèbre Bohuslas
Hassentein (1502). « Tout le monde est libre d'adopter les manières
de voir de qui bon lui semble. Sans parler des wicléfites et des
picards, on rencontre des gens qui nient la divinité du Rédempteur,
disent que l'âme périt avec le corps, et que toutes les religions sont
bonnes pour parvenir au salut ; il en est même qui pensent que l'enfer
n'est qu'une pure imagination. »
Je passe sous silence d'innombrables opinions de ce genre. On ne
les tient même pas secrètes, on les prêche ouvertement. Vieillards
et adolescents, hommes et femmes, engagent des discussions sur des
questions de foi, commentent la Sainte Écriture sans l'avoir étudiée,
et chaque secte nouvelle trouve des partisans, tant est grand l'amour
des nouveautés *.
Mais cependant l'Église garde encore toute sa force vitale '. L'esprit
catholique, la pieuse ferveur, sont encore dans leur lustre parmi
le milieu du quinzième siècle, on troure des adeptes des sectes de Waldens et des
Tabarites à Windsheim, Neustadt-an-der-Aisch, Rothenburg, Ansbach, Schwein-
furt, dans les environs de Baireuth, dans le Fichtelgebirge et le Frankenwald, à
Nuremberg, lleroldsberg et Ileilsbronn. A Wurzbourg et dans les villages envi-
ronnants, ils vont même jusqu'à établir leur culte. Voy. H. Haupt, Die religiösen
Seelen in Franlen vor der Reformation (VVurzbourg, 1882). Le Concile provincial de
Mayence (1455) s'élève contre les diverses doctrines hérétiques préchées à cette
époque dans le diocèse. IIartzheim, t. V, p. 438-440. Sur un autre concile réuni
à Mayence dans le même but, voy. Binterim, t. VII, p. 297. A Mayence, un
moine attaque en pleine chaire la doctrine de l'Église sur la naissance du Sau-
veur, le culte de la Sainte Vierge, etc., et l'on redoute que les Ordres mendiants
« ne soutiennent des doctrines hérétiques et ne causent de graves troubles reli-
gieux. . Unrest, p. 800-801.
' Sur l'époque où les hussites commencèrent à répandre dans le royaume
• leurs lettres hérétiques • en langue allemande, voy. Bezold, Zur Geschichte der
Husiienthums (.Munich, 1874). Sur les progrès des hussites en Allemagne, voy.
notre second volume.
- Voy. GiNDELY, Geschichte der Böhmischen Brüder, t. I, p. 39-43, 102-103, 161, 496
(Prague, 1857), et Gindely, Lier die dogmatischen Ansichten der böhmisch-märischen
Brüder, dans les Comptes rendus des séances de l'Académie de Vienne, t. XIII,
p 349-413. Sur VApologia sancte Scripture des hussites publiée à Nuremberg en
1512, voy. Anzeiger für Kunde der deutschen Vorzeit, t. VIII, p. 50-51.
* Le garant le plus irréfutable de l'attachement profond et ardent que le
peuple avait encore pour l'Église, c'est Luther. Voy. les passages cités dans
notre second volume. Voy. mon travail intitulé : A mes critiques, p. 120-123.
LA FOI DEMEURÉE VIVE DANS LE PEUPLE. 583
toutes les classes de la nation, à l'intérieur des familles comme dans les
monastt'Tes '. Ce n'est que dans les dernières années du quinzième siècle
que des signes alarmants commencent à faire redouter une diminution
de foi; un trouble étrange ajjile les esprits; les ensei{jnemen!s de
l'Église et son culle sont allacjués. Sébastien Brant déplore le mépris
où sont tombées les indulgences, et considère ce mépris comme le signe
évident de l'approche de l'Antéchrist ^ Geiler de Kaisersberg parle
des propos impies tenus sur les sacrements ^ Dans un de ses sermons
' Les amples détails que nous avons fournis dansée volume sur l'enseigne-
ment populaire, la science et l'art fen offrent d'indiscutables preuves. Pendant
la seconde moitié du quinzième siècle, les conférences religieuses augmentent
d'année en année; les pèlerinages sont plus fréquents, peut-être, qu'à aucune
autre époque antérieure; le culte des saints, surtout celui de sainte Anne, de
sainte Marie, de saint losepli, prennent un développement remarquable et géné-
ral dans le peuple. Voyez Falk, Druckkunsi, .33-37, 44-79, 83-107. A propos des
pèlerinages, dont l'accroissement excitait quelque opposition, Rolewinck dit :
• Tant que le peuple les entreprend dans le pieux dessein d'honorer le seul Dieu
véritable, son Fils Notre-.Seigneur .lésus-Christ et ses saints, et dans la ferme
confiance que sa prière sera exaucée, on doit plutôt les encourager qu'y mettre
obstacle. • (/)e laude ixteris Saxoniœ, p. 20Ü.) A Aix-la-Chapelle, lieu de pèlerinage
le plus fréquenté de l'Allemagne, il y eut en 1453 une telle afttuence de pèle-
rins que le conseil de la ville se vit contraint de fermer les portes de la cité
et de ne laisser entrer les uns qu'à mesure que d'autres sortaient. Dans le
voisinage de la cathédrale, les toits des maisons étaient souvent enlevés pour
donner aux pèlerins la possibilité d'apercevoir les reliques. En 1493, les gardiens
des portes de la cité ne comptèrent pas moins de cent quarante-deux mille
pèlerins en un seul jour, et dans l'église de Sainte-Marie, pendant les quinze
jours que duraient les fêtes des saintes reliques, quatre-vingt-cinq mille florins
(somme énorme pour cette époque) furent donnés en offrande par les assistants
réunis. Voy. Kessel, Mittheilungen über die. Hciligthümer der Stiftskirche tu Aachen,
p. 164-206. (Cöln, 1874.) Voyez ,J. Kreb s, Zur Geschichte der Heiligthums fahrten,
Cologne, 1881. Sur les pèlerinages d'enfants à Saint-Michel, en Normandie,
voyez la chroi.ique de Cologne dans les Chroniken der deutschen Städte, t. XIV,
p. 799-800. Sur les troupes de pèlerins venus de Thuringe, de Franconie, de
Hesse, pour vénérer le Précieux Sang à Wilnack, voyez Stolle, p. 308-312. —
Lübeckische Chroniken, t. II, p. 205. — Voyez Hoffmann, Geschichte des deutschen Kir-
chenliedes, p. 185-187. A Crimen thaï, en 1515, le nombre des pèlerins s'élève à 44,000.
Trithème écrit sur le jubilé de Rome en 1500 : • Currebant viri et raulieres,
viduae ac virgines, juvenes ac senes, monachi ac moniales, permixti ac confusi
eratque res viro sapienti admiratione digna. " Chrön. Sponheim, p. 412. La «cur-
rendi libido • de l'époque, malgré toute la ferveur de l'intention, se montrait
fréquemment dans les troupes de pèlerins, et bien des avertissements s'élevaient
pour blâmer les vices qui s'y glissaient. Voy. kampschulte Universität Erfurt, t.I, p. 17.
— Voyez Anshelm, t. III, p. 152-154. — Voyez Trithem, Chron. Sponheim, p. 415.
Dans la confrérie de Sainte-Marie, à Francfort-sur-l'Oder, on comptait en 1501
soixante et onze hommts et quatre-vingt-dix femmes, parmi lesquels se trou-
vaient les premiers et les plus considérés personnages de la ville. A Cologne
sur la Sprée, le bourgmestre Michel Fritze se fit remarquer par son zèle pour
l'accroissement du culte de la Mère de Dieu, et fit construire une église en son
honneur. Partout, on comptait parmi les premiers du pays les plus zélés « frères
de Marie •• (Zur Geschickte der Marienverchrung für der Reformation, p. 128-135.) Sur
le culte de sainte Anne au quinzième siècle, voy. Falk, Katholik, 1878, cah 1.
-Narrenschiff, par ' 103. " L'indulgence est tellement dépréciée, que personne
ne la réclame et ne la respecte. •
Voy. Zappert, Badewesen, p. 136.
584 RÉSUMÉ, TRANSITION.
(1515) il fait intervenir des personnages qui déclarent fort nettement
" qu'ils ont maintenant la Sainte Ecriture entre les mains, et peuvent
d'eux-mêmes connaître et discerner ce qui est nécessaire au salut,
sans avoir besoin pour cela ni d'Eglise, ni de pape * ».
Dès 1518, on compte au moins quatorze traductions complètes de
la Bible en haut allemand, et cinq en bas allemand.
L'Église n'avait pas mis obstacle à la diffusion de la Bible tant que
les divisions de ses enfants ne lui en avaient pas révélé les dangers.
Mais les esprits les plus éclairés ne tardèrent pas à se demander s'il
était expédient et utile de mettre la Sainte Écriture tout entière
entre les mains de tous. Geiler et Braut craignent qu'on n'en force le
sens, que des gens ignorants et frivoles ne l'interprètent dans un
esprit malveillant ou grossier, et qu'on ne la mette au service de
toutes sortes de doctrines touchant la foi et les mœurs. « Dieu même »,
disent-ils, « n'a pas mis à la portée de tous sans distinction sa divine
parole, puisqu'il n'a pas fait de la lecture une condition de salut.
Toutes les hérésies sont nées d'une fausse interprétation de la Sainte
Écriture. Elle offre déjà de grandes difficultés à l'héxégète savant :
combien plus, par conséquent, à la foule ignorante! » « liest dange-
reux », dit Geiler, < de mettre un couteau dans la main des enfants
et de leur permettre de couper eux-mêmes leur pain, parce qu'ils
peuvent se blesser. De même la sainte Bible, qui est le pain de Dieu,
doit être lue et expliquée par ceux qui sont déjà avancés en savoir,
en expérience, et peuvent en tirer le sens indubitable. Le peuple,
peu versé dans ces questions, pourrait aisément se icandaliser à cette
lecture; car, s'en tenant simplement au sens littéral, il est exposé à
tirer le mal de ce qui était destiné à alimenter sa foi ^ » Geiler
adresse à ce sujet de pressantes exhortations à ses auditeurs. Il les
met constamment en garde contre l'abus de la Bible.
« Nous lisons la Bible et les vénérables écrits des saints Pères »,
' Dans le Cod. Camp., p. 29. « Il y a déjà vingt ans », dit l'auteur des Com-
mentaires sur les soixante - dix articles et hérésies des luthériens (Stras-
bourg, 1524, page D. 3), " j'ai entendu des gens pieux et expérimentés se
plaindre de ce que les bourgeois et les paysans lisaient et commentaient la
Sainte Écriture et étaient avides d'entendre ce que les faux interprètes leur
disaient contre l'Église et sa doctrine. •
^ Tiré de l'édition donnée par Wimpheling, De Pétri ScoUii Lucubmiiones, p. 152 B.
— Voyez l'important recueil de censures de l'archevêque de Mayence Berthold
de Henneberg de i486, dans le Codex dipl. de Godenus, t. IV, p. 469. L'archevêque
dit comme Geiler : « Ouis enim dabit rudibus atque indoctis hominibus et
emineo sexui, in quorum manibus codœces sacrarum litterarum inciderint,
veros excerpere intellectus? Videxlur sacri cvangelii aut epistolarum Pauli
textus, nemo sane prudens negabit, multa suppletione et sub auditione aliarum
scripturarum opus esse. • Il nomma des commissaires particuliers à Mayence,
Erfurt et Francfort, chargés de surveiller l'impression de la Bible. Voyez d'autres
décrets de censure dans F.iULM.vN.N, p. 231.
LA BIBLE ENTRE LES MAINS DE TOUS. 585
dit-il, « mais nous ne les comprenons point. C'est que nous ne
sommes pas assez savants pour les interpréter dans le vrai sens ortho-
doxe. Il est presque à regretler que la Sainte Écriture soit de nos
jours imprimée en allemand, car pour l'entendre comme il laul, il est
parfois nécessaire de ne pas s'en tenirau sens littéral. Je t'en permets
bien la lecture; j'admets que tu aies chez toi les interprétations et les
gloses, mais tu ne (e tireras de là ni avec bonheur ni avec avantage, si tu
n'as premièrement acquis la science indispensable à sou intelligence;
sans étude préalable, tu t'égareras. Or la Sainte Écriture ne te donnera
point cette science; il faut que tu l'aies d'avance dans ta tête. Si tu
avais en ta possession un bon certificat te donnant droit d'apprendre
à faire des armes, cela ne t'aurait pas encore appris l'art de te bien
défendre, il te faudrait pour cela avoir reçu les leçons d'un bon
maître. Si, voulant préparer du cuir, tu avais déjà tes ciseaux; si
tu tenais en main l'aiguille et le ligneul, tune saurais pourtant pas
encore faire des souliers; auparavant il te faut passer par l'appren-
tissage. Donc, en lisant la Bible, prends bien garde de te fromper
de chemin '! " Dans ses sermons sur la Nef des fous. Geiler blâme
énergiquement les faux interprètes de l'Écriture qui rejettent les
explications des docteurs de l'Église, et prétendent faire briller leur
propre lumière; il nomme les vaudois « et ces gens qu'on appelle dis-
ciples du libre esprit ", - de faux docteurs, des glossateurs de l'An-
téchrist ^ : « Ils frayent la voie à celui qui sera le grand falsificateur
et l'imposteur par excellence -, dit il, « et quand celui-là paraîtra,
je crains qu'une trouve beaucoup d'adeptes parmi nous. Tout porte à
croire que le moment de sa venue n'est pas bien éloignée » ■' L'Alle-
magne entière ", dit Sébastien Brant (1494), « regorge de Bibles, de
doctrines sur le salut, d'éditions des saints Pères et de livres sem-
blables ^ De grands abus se sont introduits dans notre pays. On
tourne et l'on retourne la Bible, on lui fait dire tout ce qu'on veut,
et l'on met ainsi en péril et la foi et la Bible, qui est le fondement
de la foi. Ceux qui changent le sens de l'Écriture et l'entendent
autrement que le Saint-Esprit ont une fausse balance en main;
ils y mettent tout ce qu'ils veulent. Ils exagèrent ceci, ils affai-
blissent cela, et voilà pourquoi, de nos jours, la foi dépérit. »
« Les vagues assaillent en tous sens la barque de Pierre. Il faut
s'attendre à beaucoup d'orages et de catastrophes, car maintenant
on ne sait plus où est la vérité. La Sainte Écriture est pour ainsi
dire mise à l'envers, et tout autrement expliquée que ne l'avait voulu
' Tiré du recueil de Sermons de Geiler, 127" édition de Bâle (1512). — Kerker,
p. 49, 392-393.
^ Brant, Xan-enschiff, pafje 200 de l'édition de Strasbourg de 1520.
^ Narrenschiff, Introduction.
586 RESUME, TRANSITION.
la bouche de la divine Vérité. L'Antéchrist est assis dans la grande
nef. Il a envoyé son messager qui répand le mensonge dans toute la
contrée. Une foi tronquée, une doctrine pleine d'erreurs pénètre
tous les jours davantage dans les esprits *. «
Le trouble et la fermentation grandissent, et gagnent peu à peu
toutes les classes de la société.
Une inquiétude immense s'empare de la nation tout entière.
Les esprits sont tourmentés de ce sombre pressentiment qui a
coutume de précéder les grandes catastrophes.
Les électeurs de Mayence et de Saxe s'adressant au jeune Charles-
Quint, nouvellement élu, et, le suppliant de hâter sa venue dans le
royaume depuis si longtemps délaissé, lui écrivent : « Un immense
incendie, un incendie comme il ne s'en est jamais vu, menace de
dévorer l'Allemagne *. "
' Narre.nschiff, § 103. Wimpheling exprime la crainte (1515) que le « poison
bohémien • ne se propage encore davantage, et Willibald Pirkheimer écrit en
juin 1717 que la doctrine des hussites gagne tous les jours du terrain. Voyez
Hagen, Deutschands literarische und religiöse Verhältnisse, t. I, p. 463-480.
* « Tale universe Germanie incendium perspicimus, quale nullis ante tempo-
ribus auditum arbitramur. • Lettre du 8 février 1520. Lanz, Correspondent des
Kaisers Cari V, 1. 1, p. 57. Voyez aussi la lettre d'un inconnu dans Chmel, Hand-
schriften der Hofbibliolhek zu Wien, t. I, p. 523, 527.
FIN.
TABLE DES PERSONNAGES CITÉS
Absberg (Th. v.), 550.
Adam de Fulda, 209.
Adolphe de Nassau, archevêque, 8.
Adolphe de Nassau, roi, 418.
Agricola (G.), 342.
Agricola (R.), 4, 50, 82, 84, 87, 99, 207.
AiLLY (Pierre v'), 9,
Alantsee (les frères), 16.
Albert, duc de .Saxe, 306, 453.
Albert P"-, roi, 418, 419, 487.
Albert II, roi, 423, 424.
Albert III, duc de Bavière, 208.
Albert IV, duc de Bavière, 429, 452,
453.
Albert, archiduc, 68, 70.
Albert de Brandebourg, archevéque'de
Mayence, 379, 544, 550, 551, 553, 554,
556, 557, 558. 561, 563, 564, 567, 586.
Albert de Brandebourg, grand maître,
550.
Albert Achille (margrave de Brande-
bourg , 66, 425.
Albert, duc de Mecklembourg, 559.
Aldegrever (IL), 185.
Aldus Manltius, 86.
Alexandre III, pape, 460.
ALEX.VNDRE VI, pape, 491.
Alfragan, astronome. 113.
Altdorfer (A.), 171, 185.
Alunno, 183.
Ambroise (St), 99.
Amerbach (I.), 8, 11, 15, 88, 99.
Andlau (P.), 414, 463.
Anne de Bretagne, 485.
Anshelm, chroniqueur, 219, 368, 382,
494.
Antoine, duc de Lorraine, 542.
Antonelli, peintre, 162,
Appeldorn (h.), 80.
Aristote, 4, 64, 99, 111.
Armerstorff, 556, 557, 558, 559, 561.
Arnpeck (V.), 247.
Arnt, peintre, 150.
AuNT, sculpteur, 150.
Arriginus, 81.
Artus (I.), 255.
Aufsess (p. t.), 533.
Augustin (St), 59, 90, 99, 315.
Augustin d'Ancone, 59.
Auslasser (V.). 174.
AvENTiN (J. Turmair, surnommé 1'), 110,
247, 548.
Baemler (H.), 298.
Baldung (h.), 171.
Baldus, juriste, 462, 466, 469.
Banmsis (I.), 125.
Baptiste Mantuanüs, 58.
Barthélemi de Cologne, 77, 78.
Barthélemi l'Anglais, 299.
Barthole, juriste, 462, 469.
Basellius (N.), 85.
Basile St), 59, 94.
Baumann (C.;, 207, 209.
Baumgartner (les), 356.
Baumgartner (F.), 387.
Baumgartner (G.), 174.
Baumhauer (S.), 176.
Beauvais (V. de), 97.
Bebel (H.), 88, 396, 513, 540.
Becker (G.), 423, 450.
Behaim (M.j, 115.
Beham (h. S.), 185.
Berghen (Max de), 365.
Bergmann (I.), 15.
Berler (M.), 368.
Berlichingen (Götz de), 538, 539, 540,
541, 542, 546.
Bernhard, facteur d'orgues, 207.
Bernts {II.), 151.
Berthold, prédicateur, 220, 221.
Bessarion, cardinal, 113.
BiBRA ((.. de), évêque, 159.
BiEL (G.), 31, 91, 101, 107, 109, 377, 476.
BiRCKMANN (F.), 14.
Birnbaum (H. dei, 80.
Blarer (A.), 75.
Blomevenna (p.), 80, 81.
Bocholt (F. de), 182.
BÖHM (h.), 301.
588
TABLE DES PERSONNAGES CITÉS.
BOÈCE, 59.
BOESCHENSTEIN (I.), HO.
BoGiSLALS X, duc de Poméranie, 452.
BoLESLAs, duc de Lignitz et Brieg,
374.
Boxer (U.), 240.
BoNiFACE VIII, pape, 412.
Bongert (D.), 150.
BONMVET (de), amiral, 563.
BouiLi.ox (G. de), 255.
Brant (0.), 244.
Brant (S.), 15, 19, 99, 100, 103, 106, 107,
110, 118, 191, 243, 244, 245, 258, 365,
367, 380, 391, 466, 496, 497, 560, 583,
584, 585.
Breidenbach (B. de), 256.
Brück (A. de), 205.
Brugmann (J.), 575.
Büchel (Gertrude de), 66.
BDNAU (h. DE), 85.
Bullinger (h.), 58.
BlRGKMAYR (H.), 165, 179.
Busch (H. vo.v der), 79.
Busch (.1.). 16, 377.
Butzbach (I.), 55, 65, 77, 93, 94, 298,
365, 576.
Cabot, 115.
Cajetan, cardinal légat, 532-533.
Calixte III, pape, 488.
Campano, biographe papal, 12.
Cantor (A.), 66.
Cantor (U.), 72.
Capistrano (S.), 364, 378.
Caraffa, cardinal, 12.
Carolus Aretinus, 58.
Casola (p.), 355.
Castendorfer (E.), 207.
Celtes (C), 48, 86, 87, 119, 123, 126, 127,
293, 366, 375.
Centurian (S.), 93.
César (I.), 57, 677.
Chalcoco.ndylas, 445.
Charlemagne, 283, 408, 413, 419.
Charles IV, empereur, 420, 458, 487,
497, 505.
CriARLEs VI, roi de France, 422, 483.
Charles VII, — — , 483, 484.
Charles VIII, — — ,485,486,487,
498,504,509. 512,513.
Charles V, empereur, 552-557, 560-568.
Charles le Téméraire, 485.
Charles Egmont, duc de Gueldre, 509,
519, 524, 543.
Christophe II, margrave de Bade, 452.
CicÉRON, 58, 59, 99.
COCCIMUS, 497.
Cochlaeus(F.),17, 29,64, 210, 468, 469, 495.
CocLicus (A.), 203.
Coelde (D.), 19. 34, 677.
Coeur (J.), 382.
COLONNA (V.), 162.
Colomb (Christ.), 115.
COLUMELLE, 298.
Conrad II, roi, 408.
Conrad de Tegernsee, abbé, 154.
COPERNIC (N.), 4, 675, 112.
Corner (H.), 246.
CoucY (M. de), 382.
Cranach (L.), 171, 179, 185, 186.
Crasscs (p.), 458.
Cuescentiis (p. de), 296.
Cronberg (Harmuth de), 542.
CuNÉGONDE, impératrice, 159.
CUSA (N. de), 1-6,21, 33, 5(>, 91, 112, 445-
450, 569, 570, 573.
CUSPINIAN, 59, 123, 298.
D
Dalberg (B. V.), 66.
Dalberg (J. V.), 61, 65, 82, 85-87, 238.
Dante, 9, 243, 487.
Degen (Et.), 174.
Deichsler (H.), 249.
DiONYSius (Tickel), religieux carme, 31,
91.
Dissen (H.), 80.
Douwermann(II.), 151.
Dracontius (s.), 85.
Drandorf (S.), 581.
Dringenberg (L.), 55,56, 61, 82.
Dubois (I.), 413.
Durer (A.), 23, 116, 118, 125, 130, 149,
157, 166, 168, 169. 170, 173, 174, 176,
179, 181-186, 189, 191, 192, 195, 197,
198, 205, 233.
E
Ebrard, duc de Wurtemberg, 68, 71, 83,
108, 258, 451.
Ebner (les), 380.
Eck(J.), 48, 58. 84, 110, 111, 399.
Egbert, brodeur en soie, 151.
Eggestein, 49.
ELEONORE, archiduchesse, 257.
Elisabeth, comtesse de Nassau-Sarr-
briicii, 257.
E:mmanuel, roi de Portugal, 358.
Engelmann (H.), 283, 286, 288.
Érasme de Rotterdam, 14, 17, 56, 71,
88, 97, 118, 396, 413.
Érasme, échanson d'Erbach, 32, 77, 290,
305, 374.
Erffenstein (Philippe Shiuchterer), 542,
546.
TABLE DES l'ERSO IN NAGES CITÉS.
i89
Erick de Brunswick, 517.
Ernest, duc de Saxe, 30C, 463.
EscnENi-OER (P.)» 247.
Ésope, 2j8.
Etienne, évéque de Brandebourg, 377,
ESSWLRM, 174.
Etteulin (p.), 247.
Euclide, 108.
Eugène IV, pape, 50.
EWERT, lôO.
Eyb (A.j, 3Ô, 258.
EYCK(les frères), 161, 162.
Eysengrein, poète, 295.
Faber (I.), 210.
Fabri (F.), 313, 369.
Farber (I.). Voir le Tintoret.
Färber (Jean), 209.
Ferdinand (V.), 10.
Ferdinand, roi de Naples, 209, 490,
524.
Fichard, juriste, 96.
FiCHET (R.), 96.
FiNK, 204-206.
Fischer (P.), 15i-156, 199.
FOLZ (H.), 236, 380.
Fortescue (lord), chancelier, 307, 308.
Francisco de Alméida, 358.
François l", roi de France, 357, 542,
543', 550-560, 562-567.
Franck (S.), 367, 385.
Franck (I), 174.
Frédéric I", empereur, 416, 417, 458.
Frédéric II, empereur.
Frédéric d'.\ltriche, roi, 419, 420.
Frédéric III, empereur, 125, 424, 444,
451, 4.J2, 458, 482, 484, 488, 494.
Frédéric III, archevêque de Cologne,
483.
Frédéric de Zollerx, évéque, 29.
Frédéric, électeur palatin, 81, 475, 558.
Frédéric, électeur de Saxe, 34, 260, 504,
553, 554, 559, 560, 567, 586.
Frédéric, duc de Brunswick-Lune-
bourg, 430.
Frisneu (a.), 11.
Fritze (M.), 583.
Froben(G.), 14, 15.
Froissard (P. de), 134,359,378, 432,441,
454, 478, 485.
Frundsberg (g. V.), 566.
Fuchs (les v), 540;
Furstexberg (Ph.), 544.
Fugger (les), 357, 358, 384, 385, 565.
furtmeyr, 174.
Fust, 15.
FuTRER (M.), 247.
Gafor (f.), 209.
Garcica de Rese.nde, 10.
Gasparin, 59.
Gebvveiler (.].), 106.
GÉLASE, pape, 412.
Gemmingen (G. v.), 62.
Gengenbach (.J. M. r.), 99.
George le Barbu, duc de Saxe, 560.
George, duc de Bavière-Landshut, 517.
Gerbellius ('S.), 93.
Gerhoh, prévôt, 220.
Geri.ng (U.), 12.
Gerla (C), 208.
Gerla (II.;, 209.
GeRSON (I.), 33, 59, 103, 402, 466,
Gertrude de Coble.ntz, 66.
Geyer (les de), 540.
Ghiberti, 156.
Ghirlandajo, 162.
Giltlingen (J. v.), 119.
GiovAN (Andréa d'Aléria), évéque, 12.
Glareanus (H. LoRiTz), 78, 128, 203.
Glaubolrg (A. V.), 296.
Glockendon (famille), 174.
Gmunden (.).), 126.
Gocle.nius (C), 55.
Goodendach (J.), 209.
G0SSEMBROT, 119.
Gottfried, moine, 220.
Grefken (II.), 80.
Grégoire le Grand, pape, 390.
Grégoire VIT, pape, 458,
Grégoire IX, pape, 459.
Griesinger (j.), 172.
Groote (G.), 49.
Gruden (N.), 156.
Gruenbeck (j.), 122, 237,
Grunbeck (h.), 487, 512, 516,
Grunwald, 171.
Grumbach (les V.), 540.
GUICCIARDINI, 499,
Guillard, président, 556.
Guill.\.ume de Reicheneau, 135.
Guillaume II, landgrave de Hesse, 452.
Guillau.me, duc de Bavière, 565.
Gutenberg (J.), 7.
Hahn (U.), 12.
Haldern (J. VAX), 159.
Hans von Glogau, 378.
Harff (A. von), 256, 369.
Harris (\V.), 78.
Hassenstein (B.), 582.
Hegius (A.), 54, 55, 77, 89.
Heimburg (G, von), 444.
590
TABLE DES PERSONNAGES CITÉS.
Heinvogel (C), 116.
Henri V, roi.
Henri II, empereur, 152.
Henri IV, empereur, 458.
Henri VIT, empereur, 419, 487.
Henri, évêque de Bamberg, 156.
Henri, duc de Basse-Bavière, 483.
Henri, duc de Lunebourg, 559.
Henri, duc de Mecklembourg, 452, 559.
Henri VIII, roi d'Angleterre, 307, 550,
562-564, 566.
Helbling, poëte, 375.
Helfenstein (U. von), 125.
Heller (J.), 147, 148.
Henneberg (B. von), archevêque, 305,
452, 499, 505-507, 511, 514,
Herolt (J.), 31.
Herp (H.), 31.
Herwart (les), 357.
HÉSIODE, 84.
Heuss (J.), 156.
Hirschvogel, 173.
HiTTORP (G.), 16.
Höchstetter (les), 380, 384, 385, 387,
Hofheimer (P.), 208.
Holbein (les), 67, 165-167, 173, 179.
Hollen, 31.
holthof (m.), 65.
Holzhausen (B. von), 379.
Homère, 59, 84.
HoNORius III, pape, 460.
HORACE, 58, 59.
Horle (I.), 58.
HORLENIUS (J.), 55.
HORSTMAR (A. von), 21.
HOUDAEN (J.), 150.
HOVERDE (G.), 493.
HuszTL, 358.
Huss (J.), 580.
Hltten (U.), 551.
Iarenus, 165.
Ieger, 151.
IMHOF (les), 380.
IMHOFF (H.), 158.
Innocent III, pape, 411.
Innocent IV, pape, 376, 461.
Innocent VIII, pape, 491.
iRENiCLS (F. Friedlieb), 104.
Irnerius, glossateur, 455.
ISAAK (H.), 204, 206.
Iv.iN, czar, 506.
Jacques de Juterbogk, 41.
Jean II, archevêque de Mayence, 483.
Jean de Grosswardein, évêque, 112.
Jean, duc de Bavière, 431.
Jean III, duc de Julich-Clève-Berg, 452.
Jean II, roi de Portugal, 10.
Jean-Frédéric, prince de Saxe, 34.
Jean d'Erfurt, 209.
Jean de Gmunden, 126.
Jean voun Hermann de Salzbourg,221.
Jérôme (Saint), 58, 59, 94, 99.
Joachim I", électeur de Brandebourg,
76, 85, 88, 375, 553, 556, 559, 560, 563,
567, 586.
Joest(J.), 151.
Jordanis, 120.
JosQuiN DE Près, 203, 204.
JoviüS (P.), 135, 311.
JUDENKUMG (H.), 209.
Jules II, pape, 494, 524, 525.
Justinger (C), 247.
JusTiMEN, empereur, 416, 455, 466, 468.
K
Kaisersberg (Geiler von), 29, 31, 33, 36,
39, 59, 61, 99, 100, 102, 103, 106, 107,
110, 118, 243, 244, 259, 266, 363-366,
368, 370, 377, 381, 467, 476, 572, 577,
579, 580, 583-585.
Kantzow, 268, 300, 301.
Keim (J.), 174.
Kemner, 55,
Kempen (H. van), 12.
Kempis (Thomas), 50, 81, 259.
Ketzel (M.), 157.
KiRCHMAiR (G.), 529, 530.
Koburger (H.), 8, 13, 15, 88, 178.
Kone (J.), 73.
Krafft (H.), 146, 155, 157-159, 199.
Krafft (H.), théologien, 36, 100.
Krafft (U.), juriste, 100, 461.
Kranz (H.), 207.
Kress (A.), 400.
Kress (J.), 64.
KüPPENER (Chr.), 381, 400.
Lacher (L.), 135.
Lachner (W.), 9.
Lambert de Venray, 57.
Lang (Mathieu), archevêque, 125.
Lang (P.), 92, 491.
Langen (R. von), 55-57, 65.
Langenstein (H. von) 392, 393, 402.
Lanzkrana, 25, 33.
Lauber (D.), 12.
Lauer (G.), 13.
Laufenberg (H. von), 221.
leib (k.), 382.
TABLE DES PERSONNAOES CITES.
i91
LÉON X,pape, 531,554, 562-564, 567,568.
LÉONTIUS (B.), 85.
Leye> (Christine), 66.
Lieb(B,). 142.
LiESBorxNEU, maître, 165.
LiGuniNUS, 120, 127.
Lindenast (S.), 155, 156.
LocHAMF.a (Wölflein vo.n), 202.
Locher (.1.). Voy. Philomusüs.
Lochner (Kt.), 162.
LoDEwicH, sculpteur, 151.
Löffelholz (J.), 117.
Lombard (P.), 75, Iw.
LOPE DE VÉGA, 9.
LoRiTz (IL). Voy. Glareanus.
LoTHAiRE III, empereur, 408.
LüCAIN, 59.
Lucas, orfèvre, 154.
Llçon (Ch. de), 417,
Luder (P.), 81.
Louis de Bavière, empereur, 373, 419,
420, 458, 483.
Louis, roi de Bohême, 553-563.
Louis, électeur du Palatinat, 552, 553,
555, 557, 559.
Louis, duc de Bavière, 74, 378, 483.
Louis XI, roi de France, 483-485.
Louis XII, roi de France, 509, 514, 515,
520-522, 553.
Louise de Savoie, 560.
LusciNius (0. Nachtigall), 102, 208.
Luther (M.), 222. 260, 572, 574, 581, 583.
Lyra (y. von), 48, 100.
Lysura (.J. von), 445.
81
Machiavel (H.), 425, 494.
Magellan, 115.
Mahomet, sultan, 488-491, 530.
Mahu (Et.), 205, 206.
Maltzan il. von), 555, 556, 566.
Mangold (H.), 78.
Manlius (L), 123, 125.
Marcae (L.), 207.
Marguerite de Lorraine, 257.
Marguerite d'Autriche, 136, 556,561.
Marguerite, religieuse, 174.
Marie de Bourgogne, 124, 485.
Marschalk (H.), 375.
Marsilius Ficinus, 108.
Martin V, pape, 376.
Mathesius, 34.
Mathias Corvinus, roi de Hongrie, 113.
Mathias de Spire, évêque, 28.
Mathieu de Vienne, 433.
Mathilde du Palatinat, 68.
Maximilien I", empereur, 60, 78, 83, 86,
98, 104,111,119-125,127, 128, 134,156,
174, 179, 182, 189, 191,204, 208. 378,
379, 451, 458, 485, 487, 492-505, 507-
538, 542-557, 559, 560, 563, 564.
Mayer (H.), 79.
Mayer (B.), 385.
Mayer (M.), 34.3.
Meckenen (I. von), 182,
MÉdicis (L. DEj, 204.
.Meisterlin (S.), 117, 119, 248.
MÉLANCHTHON IPhil.), 78, 225.
Memling (il), 162-164.
MÉRIAN (M.), 144.
Meygenburg (C. von), 97.
Michel-Ange, 102, 183.
Mirandole (Pic de la), 102, 119.
Mithridate (g.), 77.
MoiRS (J.), 40.
.Molheim (C), 149.
Molitor ;H.), 174.
MOLITOR (M.), 174.
..iULLER (H.), 302.
.Müller (J.). Voy. Regiomontan.
MULLNER (B.;, 175.
.Munster (S.), 295.
MUNZER (J.), 9, 54, 57, 335, 344, 357.
MURATORI, 456.
.MURRHO (S.), 58, 105.
MURMELLIUS (J.), 54, 57.
MuRNER (Th.), 557.
IV
NACHTIGALL (0. VO.N). Voy. LUSCINILS.
Nauclerus(J. Bergenhaus), 108,496,576.
Neudecker, 125.
Neudörfer (J.), 13. 156, 159, 175.
Neusiedler (H.), 209.
Neuschel père et fils, 207.
Nicolas V, pape, 488.
.Nieder (J.j, 25.
Nordhofer (g.), 97.
Numeister (j.), 9.
Nythardt (H.), 167.
Obrecht (J.), 202-204.
Occo (A.), 10.
OCKENHEIM, 203.
Oeglin (E.), 9, 222.
Oettingen (comte de), 22, 305.
Ort zum jungen, 22.
Ortvin Gratius, 77, 78.
Othon I", 413.
Ott (j.), 206.
Otto von Freising, 123.
Otto von Passau, 259.
Ottocar, roi de Bohême, 418.
OsTHEiM (C. von), 66.
592
TABLE DES PERSONNAGES CITÉS.
Page (N.), 563, 564, 566, 577.
Pacher(F.), 165.
Pacher (M.), 165.
Palestrina, 205.
Palladio (A.), 135.
Pamperl,301.
Panormiton, 59.
Patritius (a.), 359, 479.
Paul H, pape, 376.
Paulus Diaconus, IIO.
Perger(B.), 126.
PÉRUGIN (P.), 165.
PÉTRARQUE, 53, 100, 487.
PÉTRI (A.), 260.
Petrugci(0. dei), 9.
Peurbach (G. VON), 4, 112, 113, 126.
Peutinger(C.),83, 110, 118-120, 128,358,
Peuti.nger (.Juliane), 119.
Pfeffers, professeur, 581.
Pfinzixg (M.), 124.
Pfluger (Th.), 30.
Philippe, électeur palatin, 81, 82, 83
85, 88, 512, 517.
Philippe, landgrave de Hesse, 546, 560
Philippe de Waldeck, 540,
Philippe le Bel, roi de France, 483.
Philomusus (J. Locher), 110.
PiRKEiJiER (Ch.), 48, 67, 118, 127, 182.
Pirkeimer(C.), 67, 97.
Pirkheimer (VV. ,6i, 86,87,116,117,121
397, 496, 585, 586.
Pje II, pape, Énéas Sylvius, 4, 50, 62, 71
81, 342,343,353,359, 423, 466, 488, 48J
Platina, biographe papal, 12.
Platon, 4.
PLENiXGEN (D. V.), 85.
Plettenberg (W.), 506.
Pleydenwurf (W.), 178.
Pline, 58.
Politien (A.), 119.
POMPONIUS Laetus, 117.
POMPONIUS MELA, 64.
Potken(A.), 48, 58, 77, 60.
PtolÉmÉe, 97, 108.
Q
Oueinfurt(C.), 221.
QuENTEL (les héritiers), 78.
QUIRINI (V.),5I7, 522, 526.
R
Radevicus, 123.
Raphaël, 165,166, 170, 181,
Raiskop (Aléidis von), 66.
Rappolstein (seigneur de), 332.
Ratdolt (E,), 9, 10.
Ravenne (m. de;, 183.
Regiomontan (J. Müller), 4, 59, 112-117,
126.
Reichach (Érard de), 543.
Reinhart von Geilenkirchen, 321.
Reinsbeck (m.), 210.
Reisch (G.), 64, 91, 92, 97, 98, 109.
Rem (B), 385.
Rem (L.), 356, 369, 37Û.
Rem (les), 356, 386.
RÉMACLus, de Florence, 78.
Beuchlin (.1.), 15, 59, 62, 83-86, 87,95,
99, 108, 110, 119, 237, 238, 462, 548.
Reysse (1.1, 512.
RhÉnanus (B.), 62, 105, 106, 375.
Richard de Trêves, 552, 553, 558, 567.
RiCHMONDIS von DER HORST, 66.
RICKEL. VOy. DiONYSIUS.
Riemenschneider (T.), 159.
RiNGENBEKGH (KeRSTKEN VON), 151.
Robert, comte palatin, évéque de Stras-
bourg, 517.
Robert, comte de la Mark, 542, 543.
Robert, électeur palatin, 517.
Rodolphe de Habsbourg, roi, 417, 418,
482, 487,
Rodolphe IV, duc d'Autriche, 478.
Rohrbach (B.), 197.
ROLEWINCK (W.), 7, 56, 79, 81, 218, 300,
302, 367,391.
RORITZER (M.), 134.
Rosenburger (C), 207.
ROSENPLUT (II.!, 154, 207, 240, 577.
RosENTHALER (les frères), 165.
ROSWITHA, 88, 127.
ROTHE, 241, 247.
RUELAND (W.), 165.
Ruffs (H.), 334.
Rughesee (N.), 156.
RULAND (les), 380.
Ruprecht, roi, 421.
Russ, 248.
Ruse (N.), 28,
RynmaN, 14, 15.
Rytermann (p.), 51.
Sabellicus (g.), 92.
Sachs (H.), 396.
Salluste, 59.
Sanuto, 355.
Sarto(A. del), 183.
Siiauffelin(H.), 171, 179, 185.
Schedel (H.), 117, 178.
Scherenberg (R. von), évéque, 159.
Scherenberg (Th.), 236.
Scheurl (Chr.), 67, 185.
TABLE DES TERSONNAGES CITÉS.
593
Schilling (D.), 247,
Schlick (A.), 208.
SCHÖFERLIN (B), 251,
SCIIÖFFER (P.), 13, 15, 17.
Schövspeugeh (l\.), 15, 298.
Schoner (.1.), 116, 117.
SciioNCAUEu (les), 168.
ScHONGAiEn iM. Martin-Shön), 162, 163,
165, 1()6, 168, 182, 183, 192.
Schott (P.), 29, 102.
Schott (P.) fils, 102.
schivader (v.), 85.
Schhaders (A.), 172.
SCHREYEU (S ), 117, 158.
Schwarz (P), 83, 374.
schweynheim, 9.
SciPioN (B. Steher), 127.
Scriptoris (P.), 11, 84, 108.
Selbitz (II. von), 540.
Seli), (G.), 152.
Selim I, sultan, 530, 533.
Sender (Cl.), 386.
SÉNÈQUE, 58.
Senfl (L.), 204, 205.
SiBERTI (.1.), 95.
SiBUTi s (C), 78.
SiCKiNCEN (F. voNt, 92, 538, 539, 541, 542,
546, 547, 552. 565, 566 .
SiCKiNGEN (Schw.), 541.
SiGiSMOND, roi, 421, 422, 444, 505.
.SiGiSMOND, archiduc, 257, 451.
SiGiSMOND, duc de Bavière, 431.
SiGiSMOND, roi de Pologne, 5.53.
SiON (cardinal de), 528.
SipoNTO (cardinal \. von', 126.
Sixte IV, pape, 12, 50, 115, 491.
Sorg (Â.\ 298.
Spangenberg (C), 217.
Specklin(I).), 183.
Spiegel (,!.), 125.
Spiegelberg (M. von), 57, 65.
SriESSHAiMER (.1.). Voy. Cuspinian.
Sprenger (B.). 358.
Sprenz (S.), évéque, 86, 125.
StabiüS (,!.), 86, 116, 123, 125, 127.
Staffel (M. von), 66.
Stein (C. von), 521.
Stein (J. II. von), 11, 17, 91-92, 98-101,
109, 244.
Stein (M. von), 258.
Steinhöwel (H.), 257, 258.
Stiborius (A.), 123, 127.
Stöffleu (I.I, 108.
Stolle, chroniqueur, 301.
Stoss (V.). 159-160.
Sustern (Th. von), 79.
Sümmenhart (C), 84, 108, 109.
SlNTHEIM (L.), 123, 125.
Slrgant (,J.), 27, 31, 36.
Slso (II.), 259.
Syrlen (.1.), 160, 199.
Sylvils (Énéas). Voy. Pie 11.
Tauler (.1.), 2.59.
Taijsendschöne (M.), pâtissière, 142.
Ter ENGE, 59, 237.
Textoris ^c;.), 99.
Thomas (d .\qninl, 91, 389, 395, 401.
TiNTORET (I. Fdrber), 209.
Trandorf (H.), 207.
Treizsalrwein (M.), 122-123.
TrithÈme Li.), 2. 4, 55, 66. 76, 82, 86-93,
95. 99, 101, 109, 243, 375, 376, 377, 39Q,
392, 395, 401, 402, 416, 477, 485, 538,
547, 583.
TCHECKENBiiRLIN (II.), 195.
Tucher (tl), 67, 160.
Tucher (M.i, 156.
Tucher (S.), 67.
TuNGERN (II. von), 79, 84.
Turm AIR (.1.). Voy. Aventin.
Tlrrecremata, cardinal, 12.
TwiNGER (.!.), 247.
U
üLRi 11, due de Wurtemberg, 476, 543,
51-, 548, 565, 566.
Unrest (.1.), 251, 301.
Urbain VI, pape, 486.
Utenheim (Chr. von\ 99.
Valentinien, empereur, 416.
Vasco de Gama, 115, 358.
Venatorius iTh.), 117.
Venceslas, roi, 404, 421.
Vergenhans (I.). Voy. Nauclerus.
Vespüce (Americ), 97, 115.
Vettori (F.i, 353, 371, 428, 494.
ViGiLiLS (I. Wacker), 85.
Villinger f.l ). 125.
Vintler ib.), 240.
Virdung (L.i, 210.
ViscoNTuV.), 509.
VOLKAMER (les), 381.
w
Wagner (B.), 174.
Wagner (L.), 174.
Waldseemüller (M.), 98,
Walther iB.), 114, 116.
Weidenbush (II.), 99.
Weingarten (maitre de), 158,
38
594
TABLE DES PERSONNAGES CITÉS,
Welser (M.), 68.
Welser {V.\ 67.
Welser (les;, 114,357, 359, 380.
Werner (J.;, 116.
Wesel (J. von), 581.
Weyden (R. tax der) (l'aîné), 162, 164.
Wed (H. von), archevêque, 553.
Wielser (les), 358.
Wild (11.), 173.
Wildenberg (H. E. von , 247, 251.
Willem, poete, 242.
WiMPHELiNG (.1.), 5, 8. 15, 17, 52, 53, 56,
61-63, 75, 85-88,91,92, 95, 99, 103-105,
HO, 116-118. 122, 123, 164, 243,257,
301, 312, 344, 353, 361, 370, 371, 463,
466, 471-473, 479, 485, 496, 510, 513.
574.
Windeck (E.), 423.
Witte (B.), 11.
WOLGEMLT (.M.), 15,M68, 178.
Wolf (Th.), 102.
WOLFF (.1.), 19, 20, 28, 41, 43.
Wyle (N. von), 68.
Z.iBERN (B. von), 209.
Z.4HRINGER (A.), 158.
ZaMORRHA (R.), 445.
Zasius (H. van de), 86, 95-97, 110, 119,
244, 462, 466.
Zeitbloom (B. , 183.
Zevenberghen, 558, 561.
Zink (B.), 247, 251.
TABLE GÉOGRAPHIQUE
Afrique, 407.
Afjnadel, r>26.
Aix-la-Chapelle, 304, 366, 368, 423, 425,
583.
Alexandrie, 313.
AlRer, 530.
Alkmaar, 49.
Alierlieiligen, 138.
Alpirsbach, 138.
Alsace, 484, 512.
Altenburg, 137, 194, 294, 301.
Altheim, 138.
AltöttiDö, 138.
Alzey, 139, 272.
Aiiiberg, 138, 210, 333, 372, 420.
Amérique, 384.
Amsterdam, 150.
Andernach, 139.
Angleterre, 348, 407, 457, 528.
Annaberg, 137, 344.
Ansbach, 582.
Ansbach (près Saint-Pölten), 138.
Anvers, 164, 355, 358, 360, 381, 385, 564.
Aschaffenburg, 304,365.
Ascolie, 9.
Asie, 3.57.
Assise, 135.
Augsbourg, 8, 11, 13, 14, 29, 40, 45, 64,
67, 86, 118-120, 138, 139,152, 165,172-
174, 182, 237, 247, 248, 258, 294, 297,
298, 308, 310, 320, 336, 353-357, 360,
372, 373, 378, 380, 384-387, 426, 492,
503, 510, 512, 514, 517, 527, 528, 532,
535, 536, 543, 544, 552, 554, 557, 564,
565.
Baar (canton de Berne), 300.
Bade, 452.
Baden-Baden, 139, 338, 573.
Baie, 350.
Bâle, 8. 11, 26, 29, 44, 69, 71, 83, 88, 98-
100, 103, 139, 140, 168, 195, 293,321,
35i, 360, 426, 461, 572, 576.
Balingen, 30.
Ballenberg, 540.
Bamberg. 11, 26. 159, 216, 237, 294, 428,
540, 574, 575, 579.
Barbarie, 382.
Barcelone, 9, 135, 344.
Bärneck, 138.
Batalha, 135.
Bautzen, 137, 385,
Bavière, 138, 161, 182, 191, 248, 265, 275,
295, 296, 298, 310, 321, 356, 357, 372,
378, 417, 426, 431, 452, 453, 470, 483,
491, 517, 533, 536, 565.
Bayreuth, 22, 582.
Bebenhausen, 138.
Beckum, 291.
Beinstein, 138.
Belem, 135.
Beigrade, 534.
Berchtesgaden, 138.
Berg, 347. 453.
Bergen, 346, 349.
Bergreichenstein, 343.
Berlin, 76, 137,317, 320, 428.
Berne, 98, 99, 134,139, 153,208,247,360,
364, 426.
Beromünster, 11.
Bethlehem. 256.
Beverley, 135.
Biebern, 275.
Bingen, 139, 299.
Biberach, 293.
Binteringen, 573.
Bischofsheim, 147.
Blaubeuren, 11, 30, 138, 160.
Blomberg, 139.
Blutenbourg, 138, 172.
Bocholt, 139.
Bohême, 136, 156,254,341, 342,426,482,
505, 517, 553, 582.
Bogenberg, 138.
Bois-le-Duc, 49.
Bologne, 75, 83, 119, 172, 399, 455.
38.
i96
TABLE GEOGRAPHIQUE.
Bonn, 139.
Bopfingen, 426.
Borken, 139.
Bosnie, 360, 489.
Boston, 348.
Bottivar, 30.
Botzen, 231.
Bourgogne, 369, 415, 481, 482, 485.
Bovolenta, 526.
Brabant, 300.
Brackenheim, 30.
Brandebourg. 64, 76, 137, 296, 373, 428,
452, 481, 502, 521, 536,537, 553,554.
Braunau, 138.
Brème, 292, 310, 353, 426, 578.
Brescia, 530.
Brésil, 357.
Breslau, 157, 194, 207, 353.
Bretagne, 497.
Bretten, 573.
Bristol, 135, 348.
Britzen, 86.
Brixen, 428.
Brou, 136.
Bruchsal, 139, 182, 573.
Bruges, 161-163, 348, 349. 351, .360, 366.
Brunn, 65, 123, 138, 378.
Brunswick, 137, 156, 207, 349, 359, 428,
452.
Bruxelles, 360.
Bude, 10, 113.
Budstadt, 439.
Burghausen, 145.
Burgo.s, 9, 135.
Caire (le), 530.
Calbe, 137.
Calcar, 139, 149-152, 164.
Calcutta, 385.
Californie, 341.
Cambray, 49, 426, 483, 524, 531.
Camp (monastère de), 5, 85.
Cantorbéry, 14.
Capellen (village), 22.
Carinthie, 266, 275, 300, 378, 490, 491
531, 533.
Carlsruhe, 514.
Carniole, 378, 490, 491, 530, 533.
Cassel, 48, 296, 428.
Chammiinster, 138.
Chemnitz, 137.
Clausen, 139, 160.
Clèves, 21, 30, 139, 304, 349, 469.
Coblenlz, 139, 428.
Cobourg, 137.
Coire, 154.
Colberg, 354.
Cologne, 2, 8, 10, 14, 16, 40, 50, 58, 69,
72, 74, 76, 77, 78, 80, 84, 100. 134, 135,
139, 152, 157, 162, 163, 165, 173, 175,
223, 246, 250, 308, 310, 317, 344, 346,
349, 353, 355, 360, 382, 420, 421, 426,
440, 517, 519, 524, 536, 537, 538, 541,
553, 558, 563, 564, 573, 576, 583.
Cologne sur la Sprée, 296, 583.
Coesfeld, 139.
Colmar, 58, 84, 104, 163, 165, 168, 182,
325, 331, 332,336,354, 426.
Constance, 29, 95, 139, 162, 208, 220,
271,273, 293, 294, 307, 354, 356, 378,
426, 469,510, 520-.'"j25.
Constantinople, 4, 10, 12, 48, 51, 105,
488, 531, 533.
Copenhague. 57, 74.
Corbach, 139.
Cöslin, 354.
Cracovie, 75, 136, 159, 204.
Creuznach, 87, 92.
eues, 2, 139.
Culmbach, 22, 49, 81.
Danemark, 10, 13, 74, 76, 344, 350, 482.
Danzig, 137, 157, 293, 310, 317, 320,
321,336, 349, 350-354, 372, 428.
Dargun, 137.
Darmstadt, 546.
Deidesheim, 295.
Delft, 45.
Deventer, 4, 16, 49, 50, 54, 57, 77, 426.
Dingolfing, 138.
Dinkelsbühl, 138, 333.
Dohna (château de), 307.
Donauwörth, 138, 154, 426.
Dornstetten, 30.
Dorpat, 352.
Dortmund, 139, 156, 265, 426.
Dresde, 428.
Duderstadt, 137.
Duisbourg, 139.
Uiirksheim, 67, 273.
E
Eberbach, 120, 297.
Ebernbourg, 541, 543.
Ebersberg (monastère d), 120, 174.
Ebrach (monastère d'), 120.
Ecosse, 74, 76, 300, 341, 350, 361, 461,
628.
Efferding, 138.
Eger, 394.
Eggenfelden, 138.
Egypte, 314, 382, 530.
Eichstädt, 172, 216.
TABLE GK0(;RAI'HIQUE.
597
Eisenach, 2fl, 247.
Kisenherz, 138.
Eisfeld, 137.
Eisleben, 137, 175.
Elbinj;, 137, 428.
Ellwanßen, 138.
Elten, 139.
Kltville, 22.
Ely, 135.
Emmerich sur le Rhin, 21, 5i, 57, 58,
139, 335.
Knsisheim, 332.
Entringen, 138.
Erbach, 290, 305.
Erfurt, 11, --»2, 65,69,72,82, 113, 137,156,
157, 207, 282-288, 293-295, 313, 359,
378, 426, 461, 463, 581.
Eschach, 160.
Eschwege, 296.
Esclavonie, 489.
Espagne, 8, 9, 74. 79, HO, 135, 136, 314,
350, 381, 387, 407, 461, 528, 531, 552-
554.
Essen, 139.
Esslingen, 138, 354, 426.
Everswinkel, 139.
Exeler, 135.
Falkenhagen, 172.
Feldkirch, 138.
Ferrare, 207.
Fischingen, 271.
Flandre, 202, 349, 351, 353.
Florence, 14, 78, 135, 155, 162,204,329,
354, 359, 361.
Foligno, 9.
Forstheim, 540.
Franconie, 113, 162, 190, 248, 265, 354,
356,360,471, 502, 536.
Frankenberg, 22, 58.
Francfort-sur-le-Mein, 13,22, 23, 25, 30,
41, 65, 140,141, 143,147, 149,229,291-
296, 304, 317, 326, 330, 332, 333, 337,
356, 357, 369, 372, 373, 379, 385, 426,
427, 440. 442, 448, 493, 501, 503, 507,
512, 516, 534, 541, 543, 545, 554,566,
567.
Francfort-sur-l'Oder, 13, 69, 76, 137,
293, 428, 583.
France, 8, 9, 14, 74, 110, 118, 219, 314,
329, 341, 350, 365, 373, 381, 422, 461,
481, 483, 484, 485, 487, 489, 504, 513,
517, 520, 523, 528, 531, 552, 554, 555,
557, 558, 560, 565.
Frauenfeld, 469.
Freden, 139.
Freiberg, 137, 232, 342, 344.
Fribourg en Brisgau, 22, 68, 69, 71, 84,
95, 97, 110, 137, 139, 140, 172,331, 336,
363, 369, 440, 461, 481, 509, 519, 548,
581.
Fribourg-sur-lUnstrutt, 138.
Freising, 1.38, 153, 428, 578.
Frioul, 524, 526, 530.
Frise, 265, 349, 429.
Fürstenwalde, 137.
Fulda, 296.
Gaete, 533.
Gaimersheim, 138.
Gand, 360, 366, 492.
Galicie, 350.
Gardelegen, 137.
Geirsberg, 342.
Geisenhausen, 138.
Genève, 354, 378.
Gênes, 354, 357, 381, 520, 522.
Geroldshofen, 335.
Glatz, .378.
Glashütte, 342.
Glaubourg,296.
Gleiwitz, 137.
Glucester, 135.
Gnadenberg, 67, 138.
Goch, 22.
Göppingen, 30.
Görlitz, 138, 291.
Göltingue, 428.
Goslar, 57, 138, 343, 426.
Graz, 138, 428.
Grèce, 115, 314.
Greifswalde, 57, 69, 428, 461.
Grenade, 9.
Grenoble, 366.
Gresten, 138.
Grevismühlen, 306.
Grimmenthal, 583.
Groningen, 52, 77, 207, 426.
Grosglogau, 291.
Gross-Pechlarn, 138.
Guben, 296.
Gueldre, 22, 349, 509, 519.
Guinegate, 492.
Günsterthal (monastère de), 370.
Gurk, 125.
Güstrow, 137.
Haguenau, 13.
Ilalberstadt, 138, 156, 157, 175, 428,578.
Hall en Souabe, 138, 156, 343,j426, 557,
573.
Halle, 138.
598
TABLE GÉOGRAPHIQUE.
Hambourg. 194. 307, 310, 317, 331, 346,
384, 4-26. 573.
Hamm, 139.
Hanovre. 296, 428.
Harlem, 40.
Harmuthsachsen, 48.
Hausbergen. 272.
Havelberg, 137.
Hechingen, 323.
Heeck, 54.
Heerberge, 160.
Heidelberg, 54, 59. 69. 75, 81-83, 85-87,
139, 175. 208, 238, 420, 461, 463.
Heilbronn. 138, 378, 426, 581, 582.
Heiligenblut, 161.
Heiligen-Grabe, 137.
Herdt, 21.
Herford, 426.
Hernsheini. 139.
Heroldvberg, 582.
HersaU; 85.
Hesse, 295. 300, 452. 558, 563.
Heudorf, 367.
Hildesheim, 138, 428, 578.
Ilirsau (abbaye d'j, 92, 573.
Hirschau, 138, 172.
Hirschholm, 273.
Hollande, 76, 300, 351.
Holstein, 552.
Hongrie, 13, 74, 110, 113, 136, 156, 159,
160, 167. 342, 350.
Hornau. 276.
Höxter, 60.
Hüll. 348.
léna, 138.
Illyrie. 314.
Indes 115, .357, 381.
Ingolstadt, 12, 67, 69, 70, 72, 74. 76, 110.
138,237. 428.
Insprück. 128, 156, 384,428, 492, 513,526.
Ipsvvich, 348.
Isny, 543.
Istrie, 524, 526.
Italie, 8. 9, 12, 13, 52, 53, 55. 56, 74, 78,
88, 96,110, 113, 117,118, 135, 157, 162,
182, 208, 306, 3I3. 329, 356, 360, 361,
365, 372, 407, 415, 455, 481, 482, 485,
486, 487, 504, 509, 510, 515, 521, 530,
531.
Jérusalem, 157, 256.
Jaxthausen, 540.
Johannisberg, 296.
Jüterbogk, 137.
Jiilich-Clèves-Berg (comté de), 453, 508.
K
Käfermarkt, 160.
Kaisersberg en Alsace, 140.
kaufbeuren, 426.
Kelchheim. 276.
Kelheim, 138, 296.
Kempten, 426, 543,575.
Kiderich. 22. 139, 140.
Kiel, 317.
Klagenfurt. 428.
Kleinfrankenheim. 275.
Klosterneiibourg. 304, 335.
Klus (abbaye . 172.
Knitterfeld, 138.
Königsberg, 59, 112, 428.
KGnigsbrück, 290, 307.
Königshofen, 247.
Kourdistan, 530.
Krautheim, 540.
Krems, 138.
Künzelsau, 232.
Kultenberg, 138, 340.
Laach abbaye\ 95.
Laflü. 52.
Laibach, 205.
Lana. 138.
Landau, 139. 293, 542.
Landshut. 138, 152, 428.-
Landstuhl (château), 441.
I.angenberg, 271.
Langenstein, 271,
Languedoc, 329,
I.atran, 531.
Laufen, 273.
Leibach. 205.
Leidingen, 30.
Leipzig. 12. 59.69,73. 100, 112, 138,156,
328, 353, 361, 463, 540, 582.
Leoben, 138.
Léon, i ö.
Leutkirch, 138, 543.
Libye. 314.
Lichtenthai, 290.
Liesborn abbaye), 139.
Limbourg. 357.
Lincoln. 135.
Lindau, 202, 302, 363, 503, 505, 507, 543.
Linz, 139.
Lippstadt, 139.
Lisbonne, 10, 344, 350, 358, 381, 385.
Lithuanie, 350, 353, 363.
Livonie, 74, 76, 348, 353, 505, 507.
Louvain, 297, 298, .360.
Lombardie, 483, 509.
Londres, 10, 346,348, 349, 368,
TABLE GEOGRAPHIQUE.
i99
Lorch, IGO.
Lorraine, HG, i83, 542.
Liibben, 29G.
Lucqiies, 329, 301.
Lübeck, 13, 28, ir,, 48, 57, 137, 156, 232,
235, 237, 242, 246, 292, 296, 310, 317,
320, 324, 327, 337, 346, 348, 349, 352,
353, 355, 356, 359, 372, 426, 440, 444,
490.
Lübz, 296.
Lucenie, 247, 509.
l.üdinyhausen, 139.
Luneboury, 359.
Lüne, 66.
Luxembourg (le), 207.
Lyne, 348.
Lyon, 385.
M
Macédoine, 314.
Magdeboursy, 2, 138, 156, 292, 378, 428,
440, 537, 573, 578.
jMagstadt, 138.
."Majorque lile), 135.
.Malines, 360, 368, 564.
Mansfeid, 343.
Manloue, 207.
Marbourg, 296, 428.
Mariabuch, 138.
Marienberg, 66, 344, 354.
Marienbourg, 354.
Marienlhal, 66.
Marignan, 528.
Mark, 265, 453.
Marseille. 354.
Mauritanie, 314.
Mayence, 2, 7, 9, 29, 31, 69, 84, 86, 139,
140, 142, 152, 209, 216, 256, 275, 294,
297, 299, 305, 310, 334, 343, 360, 373,
378, 420, 426, 537, 540, 543, 544, 550,
553, 557, 563, 566, 567, 573, 578, 582,
586.
Mecklembourg, 296, 378, 452, 481.
.Meisenheim, 139.
Meissen, 27, 138, 335,428.
Menimingen, 138, 426.
Menchingen. 273.
Meran, 138,494.
Mergentheim, 540.
Mersebourg, 138, 157, 578.
Mésopotamie, 530.
Messine, 9.
Metz, 139, 426, 484, 542, 546, 578.
Milan, 135, 354, 498, 512, 514, 520, 521,
550.
Milanais, 509, 510, 512, 528, 529.
Minden, 428, 578, 579.
Misnie, 341, 342, 452, 481, 575.
Modène, 9.
M<idling, 138.
McillenbecK, 139.
Moluques (ilesi, 115.
Monheim, 138.
Montabaur, 357.
Monténégro, 11. ^
Moravie, 10, 505.
Mo.sljach, 307, 507.
Mijlhouse, 426.
Munich, 46, 1.38, 163, 167, 172, 174, 203,
293, .360, 428, 517.
Munster, 31, 50, 54, 56, 57, 139, 165, 291,
428, 578.
Nabbourg, 338.
Naples, 9, 486, 487, 490, 497, 498, 509,
554, 568.
Nassau (duché de), .304,308.
Xaumbourg, 138, 578.
Neisse, 378.
Neubourg, 138.
Neubourg (Bavière), 428.
Neuffen, 30.
Neumarkt, 138.
Neuiibourg, 138.
Neuötting, 138.
Neu-Tuppin. 137.
Neustadt, 139, 582.
Neustadt-Eberswalde, 137.
Niklashausen, 301.
Nimègue, 150, 426.
Nivelles, 209.
Nordhausen, 138, 426.
Nördliugen, 10, 138, 379, 426.
Normandie, 382.
Norwége, 74, 76, 300, 350, 353.
Norwiciî, 348.
Nottulu, 139.
Novogorod, 348, 349, 352.
Nuremberg, 8, 9, il, 13, 29, 45, 48, 64,
67, 75. 86, 88, 111-119, 142, 146, 147,
148, 149, 152-154, 156-160, 167, 169,
172-176, 178, 182,191, 194, 207,208,
210, 217, 220, 237, 248,219, 251, 254,
291-295, 308, 310, 313, 321, 328, 330,
333, 337, 338, 344, 353, 355-357, 359,
361, 366, 372, 378-380, 384, 398, 400,
426, 427, 506, 507, 511, 518, 539, 540,
548, 558, 565, 576, 582.
Nussdorf, 138, 142.
O
Oberbergheim, 332.
Oberland, 47.
Obermauern, 138.
600
TABLE GÉOGRAPHIQUE,
Oberndorf, 540.
Oberwinterthür, 282.
Ochsenfurt, 540.
Odenwald, 290.
Oderberg, 296.
Geringen, 14, 138.
Oldenbourg, 279.
Olmütz, 378, 418.
Oppenheim, 308, 334, 541, 573.
Orléans, 466.
Osnabrück, 279, 428, 578.
Ottobeurn, 85.
Otrante, 491.
Oviedo, 135.
Oxford, 10, 12, 83.
Paderborn, 291, 428, 578.
Padoue, 65, 75, 116, 117, 119, 526, 527.
Palatinat, 443, 452, 453, 557, 561.
Païenne, 9.
Palestine, 255, 530.
Palma, 135.
Paris, 7, 11, 13, 83, 97-99, 128, 461, 515,
560.
Passau, 138, 153, 208, 428, 578.
Pavie, 65, 75.
Pays-Bas, 13, 14, 47, 49, 57, 64, 162-167,
202, 243, 348, 367, 426, 485, 490, 515,
527.
Pays rhénans, 64, 277, 292, 293, 298,
299, 417, 426, 452, 515, 517, 518, 519,
536, 537, 573, 573, 417.
Péloponèse, 894.
Pelplin, 137.
Pérouse, 9.
Philippsbourg, 282.
Picardie, 485.
Pipping, 138, 172.
Pirna, 138.
Pise, 329.
Plauen, 296.
Pologne, 14, 74, 110, 156, 159, 350, 482,
510.
Poméranie, 57, 268, 298, 300, 349, 378,
452, 481, 550.
Portugal, 10, 135, 159,350, 357, 358.
Pottendorf, 138.
Pouille, 494.
Pracjiatitz, 138.
Prague, 69, 138, 353, 372, 582.
Presbourg, 353.
Pritzwalk, 137.
Provence, 485.
Prull, 138.
Prüm (abbaye), 274.
Prusse, 348, 482, 505.
Purgstall, 138.
U
Rabenstein, 138.
Radstadt.
Rammeisberg, 342.
RappoUsweiler, 140.
Rathenow, 296.
Ratisbonne, 115, 134, 135, 138, 139, 152,
156, 172, 175, 174, 223, 296, 310, 321,
337, 356, 363, 372-374, 377, 422, 426,
507, 517, 578.
Ravensbourg, 344, 426, 453, 543.
Redentin, 234.
Recklinghausen, 265.
Reuss, 579.
Reutlingen, 293, 426.
Reval, 352.
Rheine, 139.
Rhodes, 534.
Riga, 349, 352.
Rochlitz, 138.
Rokeskyll, 139.
Rome, 2, 12, 88, 33, 92, 100,115-117,119,
147, 491, 505, 523, 530, 564, 567.
Romhild, 138.
Rolandswerth, 66.
Rostock, U, 13, 28, 57, 69, 72, 74, 137,
375,428. 4G1, 581.
Rolhenl)ourg, 160, 291, 582,
Roltweil, 426.
Rouen, 566.
Roveredo, 526.
Runkelstein, 494.
Russie, 350, 506.
S
Saalfeld, 138.
Saint-Biaise, 375.
Saint-Gall, 161, 426, 509, 540.
Saint-Georges, 138.
Saint-Goar, 139.
Saint-Léonard, 242.
Saint-Marein, 138.
Sainte-Marguerite, 99.
Saint-Michel (mont), 254, 583.
Saint-Nicolas, 138.
Saint-Thomé, 10.
Saint-Wolfgang, 160.
Sangerhausen, 138, 300.
Saragosse, 9.
Sasbach, 271.
Saxenhausen, 292.
Schaffouse, 426.
Scheyrn, 174.
Schlettstadt, 61, 82.
Schleswig-Holstein, 13, 247, 269, 279,
482, 550,
Schneeberg, 341.
TABLE GÉOr.RAI'IllQUE.
601
Schönliarli, 138.
.Schorndorf, 30, 138.
Sclirekenber , 342.
■Sclirobenhausen, 138.
Schussenried, 11.
Schwabisch-Gmünd, 138.
Schwanheim, 277.
Schwatz, 138, 343.
Schweidnitz, 378.
Schwei{;ers, 158.
Schweinfurt, 582.
Schwerin, 296, 576.
Schwerte, 139.
Schwylz, 509.
Seebach, 66.
Seehausen, 137.
Serbie, 489.
Séfîovie, 135, 136.
Selifjenstadt, 22.
Séviile, 9, 135.
Sicile, 410.
Sicybourg, 308.
Siegen, 21.
Sienne, 9, 135.
Sigolsheim, 273.
Souabe, 162-165, 295, 302, 310, 525, 534,
5.36.
Silésie, 294, 481, 505.
Simmern, 139.
Sobernheim, 139.
Sobieslau, 138.
Soest, 139, 428, 437.
Speyergau, 21.
Spire, 10, 21, 62, 134, 175, 208,282, 292,
295, 360, 378, 388, 423, 426, 570, 573.
Sponheim, 55, 76, 82, 87-89, 92.
Stablo, 210.
Stargard, 296.
Stein (près Leybach), 138.
Stendal, 137, 172.
Sternberg, 475.
Stettin, 137, 353.
Steyer, 138.
Stocicholm, 10,
Stralsund, 137, 438.
Strasbourg, 8, 10, 21, 29, 45, 97, 98, 100-
103, 106, 107, 134, 1.35, 139, 207, 210,
221, 237, 247, 271, 272, 292, 293, 297,
326, 353-355, 360, 365, 366, 369, 426,
577.
Strassengel, 138.
Straubing, 138, 172.
Stuttgard, 30, 138, 224.
Styrie, 266, 275, 342, 491, 531, 533, 534,
Subiaco, 9.
Suède, 11, 74, 76, 300,348,350, 497,553.
Suisse, 237, 247, 295, 483, 509, 510, 528.
Sulz, 30, 138.
Syrie, 314, 530.
T
Tablait, 270.
Tabor, 138.
Tangermilnde, 137.
Tannenberg, 220.
Techeisberg, 250.
Tegernsee, 154, 227.
Tepl, 46.
Th^nn, 139.
Thorn, 137, 428.
Thurgovie, 428.
Thuringe, 137, 300, 349, 426, 452, 575.
Tirschenreuth, 138.
Tolède, 135.
Tollersheim, 138.
Tolosa, 9.
Tölz, 138.
Torgau, 34.
Toul, 426, 484.
Transylvanie, 159,
Trébizonde. 489, 490.
Trêves, 2, 69. 139, 172, 420, 428, 514, 536,
537, 538, 554.
Trieste, 523, 524.
Tritenheim, 87.
Trostberg, 138.
Tubinguc, 12, .59, 68, 69, 71, 72, 84, 86,
97, 98, 108, 109, 138.
Tyrol, 124, 165, 265, 275, 302, 343, 384,
429, 451, 493, 524, 525,527.
V
Überlingen, 21, 1.39, 426.
Ulm, 8, 65, 137, 1.38, 139, 140, 142, 158,
160, 161, 165, 172, 173, 183, 199, 237,
257, 291, 292, 293, 294, 296, 308, 310,
312, 313, 334, .337, 338, .3.53, 355, 356,
364, 371, 379, 380, 383, 422, 427, 493,
515, 505.
Unna, 139.
Upsal, 74.
Urbin, 9.
Utrecht, 16, 40, 50, 150.
Valence, 9, 344.
Velden. 138.
Venise, 9, 13, 14, 86, 113, 162, 207, 354-
357, 360, 361, 381,382,
Verden, 578.
Verdun, 426, 484, 578.
Vérone, 526, 530.
Vienne, U;, 25, 59, 69, 73, 75, 83, 112,
113, 121, 125-128, 134, 138, 174, 175.
192, 208, 296, 297, 321, 337, 343, 353,
357, 360, 373, 385, 428, 146, 534, 582.
602
TABLE GÉOGRAPHIOUE.
Vienne en France, 83.
Vilsbibourg, 138.
Vilseck, 540.
Viterbe, 113.
Voralberg, 385.
Yornbach (abbaye), 174.
Vreden, 138.
HT
Waldstena (abbaye de), 11.
Waiblingen, 30-138.
Waidhofen, 138.
Wallenda, 66.
Walkenried, 168, 172.
Walraersheim, 274.
Wasserbirg, 138.
Wedderen, 139.
Weil-la-ViIle,138.
Weiten, 172.
Werben, 137.
Weese, 21, 23.
Wesel, 20, 54, 57, 333, 564.
Westphalie, 34, 55-57, 64, 76, 79, 99, 218,
275, 304, 348, 349, 367, 426, 436, 537-
574.
Wiener-Neustad, 138, 172.
Wienhausen (abbaye), 168, 172.
Wilhelmsbourg, 138.
Wilre, 273.
Wilsnack, 137, 172, 582.
Wimpfen, 426.
Wincester, 135.
Windesheim, 16.
Windsheim, 16,582.
Windisch-Gratz, 138.
Winnigen, 277.
Wisby, 348.
Wismar, 137, 223, 428.
Wittemberg, 69, 70, 72, 138, 185, 428,
581.
Wittstock, 137.
Witzenhausen, 296.
Wolmirstädt, 137.
Worcester, 135.
Worms, 81, 82, 87, 139,292, 293, 426,
470, 492, 498, 499, 500-503, 507-509,
511, 523, 525, 535, 541, 542, 574.
Wunsiedel, 333.
Wurtemberg, 258, 378, 384, 470, 474,
537, 543, 565.
Würzbourg, 12, 159, 164, 174, 294, 378,
428, 537, 553. 582.
Wursthausen, 137.
Xanten, 20, 21, 48, 57, 58, 65, 84, 139,
140, 141,304, 336.
Yarmouth, 3i8.
Yenkosen, 172.
York, 135, 348, 497.
Zélande, 300.
Zerbst, 138, 2.32.
Ziesar, 137.
Zurich, 139, 161,204, 321, 378, 426.
Zütphen, 16.
Zug, 139.
Zwickau, 138, 156, 237, 573.
Zwolle, 16, 40, 49, 50.
FIN.
ERRATA
Page 4. 1467, lisez : 1464.
P. 13, Des formulaires de prières et d'édification, lisez: et des livres édifiants.
P. 30. Aux fêtes de Notre-Dame et des saints. Usez : et des saints apôtres.
P. 32. Les tableaux des confessions, Usez : de la confession.
P. 51. Cette manière de voir n'avait pas, du reste, rien de nouveau, lisez .n'a-
vait, du reste, rien de nouveau.
P. 57. Robert de Venray, lisez : Lambert de Venray.
P. 83. Maximiiien en l'élevant et l'avait élevé, Usez : Maximilien l'avait élevé.
p. 86. Conrad Pentinger, Usez : Peutinger.
P. 87. Le siècle en connut à peine un second qui puisse lui être comparé, Usez:
connut ù peine un savant qui pût lui être comparé.
P. 1Ü9. L'obligation de conserver le gibier, Usez : de ne pas détruire le gibier.
P. 111. Les centres intellectuels des villes de l'Allemagne, //ses ; les centres
intellectuels de l'Allemagne.
P. 119. L'entrelacer heureusement, Usez .■ l'unir heureusement.
P. 133. Pour les ouvriers, Usez .- pour les artistes.
P. 187. L'humour demeura vigoureuse et saine. Usez : vigoureux et sain.
P. 188. Elle passait souvent, Usez : il passait souvent.
P. 202. Ces mêmes règles ont triomphé dans le domaine des sons, elles l'ont
affranchi, Usez .- elles les ont affranchis.
P. 215. Humour malicieuse. Usez : humour malicieux.
P. 218. Prendre, rouer, voler, Usez : pendre, rouer, voler.
P. 236. Prie pour ton cher enfant, Usez : prie pour moi ton cher Enfant!
P. 379. Härdlingen, Usez : Nördlingen.
P. 417. La division du pays en districts. Usez .• en cercles.
P. 524. D'après les conventions des alliés, l'Empire et la maison d'Autriche
s'unissaient pour recouvrer, en réunissant leurs efforts, toutes les possessions
que les Vénitiens leur avaient enlevées, Usez : l'Empire et la maison d'Autriche
devaient recouvrer toutes les possessions que les Vénitiens leur avaient enlevées .
P. 531. 1617. Usez : 1517.
PARIS. — TYPOGRAPHIE E. FLO\, \ULIIRIT ET C"', nUE CAUAXCIÈRE, 8.
I/ALLEMVGNE ET LA HÉFOHME
P
II
L ALLEMAG jNE
LE COMMENCEMENT DE LA GUERRE POLITIQUE ET RELIGIEUSE
JUSQU A LA VIS DE LA RÉVOLUTION SOCL\LE
(1525) ^ -^ ".J^-"'
..' -'
JEAN JANSSEN
TRADUIT DE L'ALLEMAND SUR LA QUATORZIEME EDITION
Paiî E. paris
PARIS
LIBRAIRIE PLÖN
E. PLÖN, NOURRIT et G'% I3IP RIMEURS- ÉDITEURS
RUE G A RANGIERE, 10
1889
Tous droits réservés
^^ W
H. T aeRHANS.
Totius injustitiae nulla capitalior est, quam eorum, qui cum maxime fallunt,.
id a};unt ut viri boni esse videantur.
ClCÉRON.
Il y a de nos jours autant de sectes et de Credo que de têtes. Point de rustre
si grossier qui ne s'imafjine avoir reçu une révélation du Saint-Esprit, et ne
s'ériye en prophète dès qu'il a rêvé ou imaginé quelque chose.
Martin Luther, 1525.
Avec l'Église et son enseignement, toute nation religieuse a été atteinte dans
le peuple, et avec la religion l'autorité temporelle a perdu son équilibre.
Charles de Bodman.x, 1524.
Partout règne une telle confusion, on entend parler de choses si épouvan-
tables, qu'il semble que le monde soit prêt à sombrer... Que Dieu nous prenne
en pitié! L'Empire romain va être broyé, la gloire de l'.^Uemagne va s'éteindre.
Sébastien Brant.
fc
Lettre adressée au nom de Sa Sainteté Léon XIII
à l'auteur de la traduction Je /'Histoire du peuple allemand.
Ill*" Si<;nora,
11 Santo Padre ha ricevuto la ossequiosa di Lei lettera, corne
pure Foflerta del primo volume che Ella ha tradotto délia htoria
del Popolo Tedesco di Monsig'' Jansseo. Sua Santità, che
apprezza giustamente Topera del distinto prelato, si è compia-
ciuta molto che si diffonda nella lingua fiancese per opeia di una
Signora che professa lanla devozioiie ed affetto alla Chiesa.
Laonde La ring-i-azia del gradito invio, La incoragf;ia a proseguire
nel suo utile lavoro, ed in pegno délia sua pateina benevolenza
Le comparte daU'intimo del cuore l'aposlolica benedizione.
Nel rendeila di cio consapevoie, mi prcgio dichiararmi con sensi
di distinta e perfelta stima,
M. MOCENNI,
Substitut de la Secrétairerie d'État.
^
TABl.E DES MATIERES
LIVRE PREMIER
LE PARTI KÉV OLUTIONNAIRE ET SES ACTES
JUSQU'A LA DIÈTE DE WORMS (l52l)
CHAPITRE PREMIER
LE N 0 li V E L H Ü M A M S JI E ALL K M A N D
I. coup d'œil rétrospectif sur les humanistes anciens et les théologiens scolas-
tiques. — Leur manière d'envisager l'antiquité classique, 1-5.
II. Erasme de Rotterdam, chef et type des nouveaux humanistes. — Voyages et
circonstances diverses de sa vie. — Son attitude vis-à-vis des princes et des
puissants. — Sa conduite envers ses contradicteurs, 7-11.
m. Influence d'Érasme. — Ses efforts pour rattacher les humanités à la théo-
logie. — ;>a nouvelle théologie. — interprétation rationaliste de l'Écriture.
— .Vtlitude d'Érasme vis-à-vis de l'Église. — Ses opinions sur différents
dogmes fondamentaux du christianisme. — Son dédain pour la théologie du
moyen âge. — Sa nouvelle méthode pédagogique. — Sa philosophie pratique,
11-21.
IV. Érasme et le culte du »vénie, 22-22. — Esprit et caractère du nouvel huma-
nisme. — Mélange bizarre de vérités chrétiennes et d'idées païennes, 22-27.
V. Conrad Mutian et le cercle des humanistes d'Erfurt. — 1,'ancien humanisme
à Erfurt, 27-28. — InHuence de Mutian sur les humanistes d'Erfurt. — Ses opi-
nions sur le christianisme et la Bible. — Son dédain pour l'Église. — Immo-
ralité et cynisme de la nouvelle école, et en particulier de Mutian, 31-33. —
Les scolastiques et le clergé régulier contre le nouvel humanisme. — Mutian
et les humanistes d'Erfurt contre les scolastiques, 34-36.
CHAPITRE II
I. 4 QUERELLE DE II E L C H L 1 N
1. Reucblin et la cabale. — Nouvelle théosophie de Reuchlin, 37-38. — Controverse
au sujet des livres hébreux. — Pfefferkorn et les livres juifs. — Ordonnances
impériales relatives aux livres hébreux. — Le Miroir des yeux de Reuchlin (1511).
— Portée de la question, 38-43.
H. Le Miroir des yeux et les théologiens de Cologne, Arnold de Tongres, Collin et
Hochstratten. — Reuchlin contre les théologiens de Cologne et Pfefferkorn.
— Violence de ses attaques. — L'Empereur condamne le Miroir des yeux. — Ce
livre est également condamné par plusieurs facultés de théologie et par l'in-
quisiteur de la foi, Jacques Hochstratten. Reuchlin en appelle au Pape,
li. a
H TABLE DES MATIERES.
43-50. — Les " Poètes » se déclarent pour Reuchliii et profitent de la querelle
pour attaquer violeniment la science scolastique et l'autorité de l'Église. —
Attitude peu franche de Mutian. — Les nouveaux humanistes et Reucblin, 50-54.
III. ririih de Hütten. — Traits saillants de son caractère. — Payugyrique d'Albert
de Brandebourg, archerique de Mayeiicc. — Relations de IlUtten avec Érasme,
54-57. — Les Épitres des hommes obscurs {i 51 5-1 5i7). — Réponse des théologiens
de Cologne, 57-59. — Albert de Mayence et la querelle de Reuchlin. — La cour
électorale de Mayence. — Hütten et ^ la poésie de la haine et de la vengeance »,
59-62. — La Renaissance à la cour de Rome, puis à la cour des princes ecclé-
siastiques d'Allemagne. — Indulgence accordée pour la construction de la
nouvelle basilique de Saint-Pierre, 62-66.
CHAPITRE m
H T H K R ET H II T T K N
I. Jeunesse de Luther, son éducation. — Ses études à Erfurt et ses relations
avec les humanistes de cette ville, 67-69.
II. Luther au couvent. — Sa vie intérieure. — Ses angoisses morales et leurs
causes. — Son séjour à Rome, 69-74. — Le nouvel Évangile » de Luther, son
origine et ses développements daus sa pensée. — Dès 1515, Luther s'était écarté
de la doctrine de l'Église, 74-76. -— Thèses sur les indulgences (1517). — Motifs
réels des attaques de Luther. — Tetzel et les indulgences. — Importance de la
querelle. — Déclarations de Luther au sujet de son nouvel Évangile. — Luther
sur le Pape et l'Église romaine, 76-82.
ivispute de Leipzig (1519 . — Ses causes et son caractère. — (Exposé succinct des
principaux points de la dispute.) Luther se déclare hussite, et voit daus Jean
Huss le premier apôtre du véritable Évangile, 83-88.
ni. Luther et les humanistes. — Correspondances de Luther avec Mutian, Reuchliii-
et Érasme. — Les humanistes d'Erfurt lui décernent le titre de « nouvel Her-
cule • et de - second saint Paul». — Nombreux partisans de Luther dans l'Alle-
magne du Sud. 88-93. — La question luthérienne appréciée par Ulrich de Hütten.
— Hütten et Franz de Sickingen. — Plans révolutionnaires. — Sickingen et la
querelle de Reuchlin. — Reuchlin se range avec décision du côté de l'Église,
93-100.
IV. Luther et Hulten, 1520. — llutten impatient de voir éclater la guerre de
religion. — Alliance de Luther avec le parti de la révolution politico-religieuse.
— Esprit et style des écrits polémistes de Luther. — Son Manifeste à la noblesse
d'Allemagne, 93-106. — Luther fait appel à la guerre de religion, 106-109.
V. Emser contre Luther. — E.rliortution à la nation allemande. — Emser ledoute pour-
l'Allemagne le sort de la Bohème, 109-112.
VI. Luther est condamné par la Bulle Exsurge{\b1Q). — La captivité babylonienne de-
l'Église. — Doctrine sur le mariage. — Luther en appelle à un concile général,
113-116.
VII. Intrigues révolutionnaires de llutten. — Ses libelles incendiaires contre
Rome. — Luther et llutten. — Luther briMe publiquement la Bulle et les
livres de droit canon. — Des images, répandues dans le peuple, repré-
sentent Luther la tète entourée d'une auréole. — Lettre de Hütten à Luther.
— Pourquoi Hutten n'avait pas encore commencé la campagne. — Ses appels
réitérés à la guerre de religion. — Lettre à Erasme. — Ziska présenté par
Hütten comme le type et le modèle du libérateur patriote, 116-128.
VIII. Thomas Murner, la Détresse de la foi. — Murner prévoit les résultats de
la révolution qui se prépare. — Il réfute l'Exhortation à la noblesse allemande. —
Espérances de .Murner en Charles-Quint, 128-134. .,
T A B 1. 1: DES M A 1 I È II K S . 111
LIVI5K If
LA DIÈTE DE WORMS ET LES l'ROGRÈS DE LA RÉVOLUTION
POLITIQUE ET RELIGIEUSE
JUSQU'A l'explosion de la révolution sociale
(I521-I524)
Cil A PITRE PREMIER
I,\ DIÈTE [)E WOlliHS. — LE NOUVEL EVANGILE JUGE PAR LES CONTEMPOUAINS
I. Situation critique de Charles-Quint. — Principe dominant de sa politique. —
Son couronnement à Aix-la-Chapelle. — Idée qu'il se faisait de la di{;nité
impériale. — Le .serment du sacre, 137-142.
II. Déclarations de l'Empereur aux Ordres, à l'ouverture de la Diète de Worms.—
Délibérations à propos du Conseil de régence; délimitations de son pouvoir.
— Difficultés de pourvoir ù l'entretien du Conseil de régence et de la Cham-
bre Impériale. — L'expédition romaine est décidée. — L'Empereur tente de
rattacher plus étroitement à l'Empire la confédération helvétique, 142-150.
m. Aléandre, légat du Pape en Allemagne. — Jugement qu'il porte sur la situation
de l'Allemagne et sur les partisans des nouvelles doctrines. — Érasme pour et
contre Luther. — Frédéric de Saxe réclame le conseil d'Érasme, 150-154. — Si-
tuation de Luther vis-à-vis de l'Église. — Obstacles qui s'opposent à sa récon-
ciliation avec elle, 154-156. — Délibérations religieuses à la Diète de Worms. —
Discours d'Aléandre. — Déclaration des États. — Luther est appelé à Worms pour
y être entendu sur sa doctrine. — Efforts tentés par Glapion, confesseur de
l'Empereur, pour le rétablis.^ement de la paix de l'ÉglLse. — La nécessité d'une
réforme dans la discipline relijjieuse universellement reconnue par les États.
— Griefs de la nation allemande contre la cour romaine et le clergé régulier
et séculier. — La réforme ardemment désirée par Charles-Quint, 157-164, —
Anxiété des esprits à Worms. — llutten adresse une lettre menaçante à
l'Empereur, au légat et aux princes de l'Église. — Charles-Quint matérielle-
ment hors d'état de résister à la révolution. — La situation générale appréciée
par Aléandre, 164-166.
IV. Luther en route pour Worms. — Il est reçu en triomphateur par lès huma-
nistes d'Erfurt. — Ses prédications à Erfurt. — Son premier miracle ». — Une
émeute dirigée contre les prêtres éclate le jour même de son départ, 166-168. —
Luther devant la Diète. — Lettres de Lutten à Luther. — Les paysans mena-
cent de se révolter. — Pourparlers avec Luther. — Cochlaens lui propose une
dispute publique. — Luther quitte Worms. — Images et médailles commémo-
ratives en son honneur, 168-174. — Condamnation de Luther. — L'Édit de
Worms, 174-179.
V. Agitateurs révolutionnaires. — Arrêt momentané dans la révolution. — Luther
jugé par ses contemporains. — Lettres d'Ulrich Zasius et de Charles de Bod-
mann, 179-182.
VI. Luther et son œuvre jugés par lui-même. — Ses angoisses intérieures. —
Remèdes auxquels il a recours pour les calmer. — Sa manière de réfuter ses
contradicteurs. — Luther apprécié par Pirkheimer, Bullinger et Zasius, 182-189.
CHAPITRE II
SOULÈVEMENT DU PEUPLE PAR LA PREDICATION DE LA PRESSE (1521-1523)
I. Esprit général des prédications et des pamphlets de cette époque. — Eberlin
de Giinzburg prêche le massacre des moines et l'abolition du culte catholique,
— remploi de la force et la destruction des églises. — Son plan de réorgani-
sation sociale. — Ses idées sur l'enseignement scolaire, 193-195. — La Réforma-
IV TABLE DES MATIERES.
lion de Ftcdéric III, 195. — Les prédicants prêchent l'abolition de la dime et
des redevances. — Prédicants laïques. — Karsthans à Strasbourg. — Le nou-
veau • Karslans -, — Les paysans sont invités à se joindre à la noblesse
pour exterminer les moines et les prêtres, à l'exemple de .lean Ziska, 198-200.
— Thomas Murner et d'autres écrivains catholiques combattent les pam-
phlets révolutionnaires, 200-203.
11. Luther a donné le ton à toute la littérature polémiste de son temps. — Ses vio-
lentes attaques contre les clercs, les évéques et les Universités. — Ce qu'il dit
de l'attachement du peuple à l'ancienne Église. — .Jugement qu'il porte sur
Frédéric de Saxe, 203-20*. — Enseignement de Luther sur les vœux, le baptême
et les autres sacrements, 207-208. — Éloquence de Luther. — Son livre de la
Liberté chrétienne. — Il rejette certains livres des saintes Écritures. — La lecture
de la traduction de la Bible interdite aux catholiques par le Pape. — Luther
annonce dans un avenir prochain des émeutes et des troubles. — Quelle est
la vraie bouche du Christ, 209-214.
CHAPITRE III
MOUVEMEINTS REVOLUTIONNAIRES .4 ERFURT ET A \\ITTEMBERG
— COMMENCEMENT DE LA SCISSION RELIGIEUSE
I. Animosité de la population d'Erfurt contre le clergé. — Émeutes. — Décadence
de l'Université. — Révolution dans l'organisation ecclésiastique. — Intrigues
des nouveaux prédicants. — L'ancien maître de Luther, Usingen, prévoit les
déplorables suites des prédications révolutionnaires, 215-218. — Espérances
fondées sur Albert de Mayence par les novateurs religieux. — Attitude équi-
voque de ce dernier, 218-221. — Abolition de la messe. — Mariage des prêtres.
— Les nouveaux prophètes de Zwickau. — Plusieurs > prophètes • entrent en
relation avec Mélanchthon. — Leur opinion sur Luther. — Carlstadt prêche la
destruction des images (Traité d'Einser sur le culte des images), 221-226. —
Situation générale de l'Électoral de saxe. — Avertissement du duc Georges
de Saxe, 227-229. — Luther à Wittemberg. — Il s'efforce de rétablir la paix.
— Éloignement de la population saxonne pour le nouvel Évangile, 225-230.
II. Luther sur sa doctrine seule justifiante. — Comment il s'exprime sur l'Em-
pereur et les princes. — Il prédit la guerre civile. — Il déclare hors la loi
les prêtres qui repoussent son Évangile, et pousse à l'extermination des
évéques, 231-240.
CHAPITRE IV
FRANZ DE SICKINOEN TENTE DE RENVERSER LA CONSTITUTION DE LEMPIRE
I. La noblesse libre d'Empire menacée dans ses droits par la puissance tou-
jours croissante des princes. — Décadence de la petite noblesse. — Proléta-
riat de la noblesse. — Les chevaliers brigands. — Hans Thomas d'Absberg,
241-245. — Martin Bucer célèbre le zèle de Sickingen et de Ilutten pour le
nouvel Évangile. — Manifeste d Harmuth de Cronberg en faveur du nouvel
Évangile. — Ilutten invite les villes libres à se joindre à la noblesse d'Empire
pour la défense de l'Évangile, 245-247. — Sickingen se prépare à marcher
contre l'archevêque Richard de Trêves. — Son appel à la guerre de religion.
— Il envahit le territoire de l'archevêque. — Attitude d'Albert de Mayence.
— Efforts tentés par Sickingen pour séculariser les principautés ecclésias-
tiques. — sickingen échoue devant Tièves. — En opérant sa retraite, il
brûle et saccage les éj^lises et les couvents, 237-254.
II. Sickingen envahit le Palatinat. — Enrôlements pour Sickingen en Allemagne
et en Bohême. — Partisans de Sickingen au Conseil de régence. — Sickingen
demande du secours à Eraiiçois 1". — Ses vastes plans révolutionnaires, 254-
257. — Libelle de Luther contre les priuces et leur tyrannie. — Le duc Georges
de Saxe et le chancelier bavarois Eck sur ce libelle. — Intrigues du duc
Ulrich de Wurtemberg. — Tendances communistes parmi le peuple, 257-260.
TABLE DK. S MATIKRES. V
— Alliance des princes contre Sickinfjen. ^ siej;e de I.andstuhl. — Défaite et
mort de Sicicinfjen. — Consternation des partisans du nouvel Kvani^ile, 260-263.
III. Dernières années dClridi de Hütten — Vaincu et niallieureux, il a recours
à Érasme. — Conduite peu {;énéreuse de celui-ci. — Ressentiment mutuel des
deux anciens amis. — l'amphlet de llutten contre les " tyrans -. — .Sa mort,
263-268.
IV. Conséquences de la défaite de sickinfjen et de son parti, 269-270.
CHAPITRE V
LE CONSEIL I)i; l'vÉGENCE ET LES DIETES DE 1522-1523
I. Le Conseil de régence. — Première Diète de Nuremberg. — Le péril turc. —
La guerre contre les Turcs est décidée, 271-272. — .Seconde Diète de iNurem-
berg. — Discussions entre les Ordres. — Griefs des villes contre les princes,
la noblesse et le clergé. — Réponse des princes. — Les délégués des villes
rejettent l'impôt turc et ne promettent de contribuer à la défense du pays que
dnns le cas où le territoire serait envahi, 273-277. — Projet d'un " Impôt de
frontière ". — Dissentiments entre les Ordres à ce s^ijet, 278-279.
II. Le Conseil de régence et la question religieuse. — L'électeur Frédéric de
Saxe et le luthéranisme. — (Lettre de Luther sur la parcimonie de Frédéric et
sur ses difficultés pécuniaires. ■ — Adrien VI et les Étals de Nuremberg. — Ouver-
tures de paix du Souverain Pontife. — Plan de réformes. — .\drien VI jugé
par ses contempoiains. — Réponse des États aux déclarations papales —
— Décision prise par les États relativement à ces propositions. — Espoir de
voir bientôt la paix de l'Église rétablie, 280-290.
CHAPITRE VI
CO.NTINÜATlON DE L'.VGITATIOX POLITIQUE ET RELIGIEUSE
DÉCADENCE DE LA VIE I.NTELLECTUELLE ET CHARITABLE
I. Violation des ordonnances de Nuremberg. — Nouveaux libelles de Luther. —
.lugement qu'il porte sur Adrien VI. — Son exhortation aux chevaliers de
l'Ordre Teutonique. — Il déclare l'observation des vœux impossible. — Sermon
sur le mariage. — Luther enfreint les ordres de l'électeur de Saxe. — Les cha-
noines de VVittemberg contraints de changer de religion. ^- Luther explique
les prodiges qui excitent à ce moment l'imagination populaire. — Interpré-
tation de ces mêmes « signes miraculeux " par .Mélanchthon. — Luther prédit
que de grands changements vont survenir en Allemagne, 291-299.
II. Réfutation de Luther et du nouvel Évangile par Cochlaeus, Emser, Dietenber-
ger, etc. (1523 à 1524), 299-310.
m. Conséquences des troubles religieux.— Décadence des Universités. — Abandon
des sciences. — Décadence du commerce de librairie, 310-316. — Décadence
des écoles populaires. — circulaire de Luther à ce sujet. — Luiher rend hom-
mage à la charité des temps catholiques. — Il constate la disparition de l'esprit
de sacrifice eu vue des biens idéaux de la vie, 316-322.
CHAPITRE VII
AFFAIRES EXTÉRIEURES. — GUERRE D ' I F \ L l E
La situation de l'Allemagne appréciée par un contemporain. — Rivalité de
François l" et de Chailes-Ouint. — Alliance du Pape et de l'Empereur pour
l'expulsion des Français d'Italie (1521). — La chrétienté menacée par les Turcs.
— Conquêtes des Turcs. — Les Turcs chrétiens. — Le pape Adrien VI .s'inter-
pose entre l'Empereur et François I". — Ligue contre la France, 323-330. —
— Intrigues françai.'^es en Allemagne. — Les villes libres envoient des délégué^
à François I". — L'Empereur dis,)osé à conclure la paix avec la France. 330-
332.
VI TABLE DES MATIÈRES.
CHAPITRE VIII
DiÈTE DE Nuremberg. — projet d'une convention religieuse (1524)
I. Efforts des villes pour repousser l'impôt de frontière. — Les délégués des villes
libres se rendent auprès de Charles-Ouint. — Moyens qu'ils emploient pour le
gagner à leurs intérêts, 333-335. — Instructions données par Charles-Ouint à
ses chargés de pouvoir à la Diète de Nuremberfv, 335-336. — Ouverture de la
Diète. — Les princes et les villes contre le Conseil de régen e. — Discours
d'un légiste romain. — Intrigues françaises pour l'élection d'un nouveau roi
romain. — Efforts de l'archiduc Ferdinand pour obtenir des États le maintien
du Conseil de régence. — Délibérations diverses. — Ferdinand expose à
Charles-Ouint la situation de l'Allemagne, et lui exprime ses crainlesde voir
la nation périr bientôt de ses propres moins, 336-345.
II. Délibérations religieuses à la Diète de Nuremberg. — "Le légat Campeggio sur
les griefs de la nation allemande. — Nouveau cahier de doléances des États. —
Recez des États, et contradictions qu'il renferme. — Points de discussion ren-
voyés à l'assemblée future de Spire. — Luther contre l'Empereur et les prin-
ces, 347-353. *
III. Larchiduc Ferdinand sur l'anarchie religieuse. — L'Empereur interdit l'as-
semblée religieuse de Spire, 353-355.
IV. mion de Ratisljonne (1524). — Attitude des ducs de Bavière. — Projet de
réforme du clergé, 355-358.
V. Scandales dans le clergé. — Responsabilité des princes dans la démoralisation
du clergé. — Georges de Saxe sur l'état moral du clergé. — L'unité et la disci-
pline de l'Église détruites. — Conséquences de ce fait, 358-305.
CHAPITRE IX
troubles croissants dans la vie religieuse et sociale
I. Propagation des nouvelles doctrines, en particulier dans les villes libres. —
Dé isions prises aux États des villes li])res réunis à Spire ('juillet 1524 . — La
juridiction des évêques transférée à l'autorité laïque, 366-370.
II. Nuremberg se distingue entre toutes les villes par son aniinosité contre l'an-
tique constitution de l'Église. — Wilibald Pirkheiiner sur les principaux
meneurs de la révolution religieuse. — Les prédicants. — Violences exercées
par les novateurs religieu.x: contre les catholiques. — Mémoires de Charité
Pirkheimer, 370-385.
III. Causes de l'anarchie religieuse. — Luther donne à la communauté le droit
d apprécier la doctrine, d'élire ou de déposer ses pasteurs. — Tout chrétien
obligé d'enseigner l'Évangile, 385-389. — Thomas .Münzer sur l'Évangile de
Luther, 389-391. — Le nouvel Évangile de :Münzer. — Il invite les princes à
exterminer tous ceux qui n'adoptent pas sa doctrine, et pre^fae le partage des
biens. — Puissant parti de .Münzer dans le peuple. — - Mouvements évangéliques»
en Thuringe et en Saxe, 391-394. — Le nouvel Évangile de Carlstadt. — Carl-
stadt partisan de la polygamie. — Luther et Carlstadt. — Luther jugé par un
disciple de Carlstadt, 394-400. — Luther contre les prophètes célestes ". —
Son enseignement sur le libre arbitre et la sanctification du dimanche. — Il
craint qu'on n'en vienne bientôt à nier la divinité même du Christ, 400-405.
IV. Procès des • peintres impies - à Nuremberg, 405-406. — Conséquences de la
libre interprétation des saintes Écritures. — Mysticisme et communisme. —
Agents révolutionnaires au sud-ouest de l'Allemagne et en Suisse. — Propa-
gande anal)aptiste. — Le prédicant Balthasar llubmaier à Waldshut. — Lettre
du couveil de Fribourg en Brisgau. — Opinion de Luther au sujet de l'anar-
chie religieuse. — Analogie entre l'état de l'Allemagne en 1525 et celui de la
Bohême après la diffusion des doctrines de Jean Huss, 406-413.
TABLE DES M ATI KR ES. VU
LIVRE III
LA RÉVOLUTION SOCIALE
C FI A P I T U E I» H E M I E W
INFLUENCE DES DOCTUINES DE JEAN H US S EN ALLEMAGNE.
PRÉLUDES DE LA RÉVOLUTION SOCIALE.
L Principes politiques et sociaux de Jean Huss. — Leurs résultais en Bohême,
417-422.
II. Le radicalisme hussite se propage en Allemagne. — Premières émeutes de
paysans, et leur caractère. — llans Böhm, premier apôtre de lélat naturel
social et individuel. — .Ses prédications à Nildashausen, 422-426. — La Iléfo,-
mation de l'empereur Sigismond Tépanù en Allemagne les doctrines hussiles, 426-
429. — Avant-coureurs de la révolution sociale. — Le Bundschuh dans i'évèché
de Spire. — Le Bundschuh à Lehen, près Fribourg, et la révolte du " pauvre
Conrad ^ dans le Wurtemberg (I514-15I4). — Complois révolutionnaires dans
le margraviat de Bade et à Wissembourg (1517), 429-434,
CHAPITRE II
CAUSES GÉNÉRALES DE LA REVOLUTION SOCIALE
!. Dans quelle mesures l'anarchie religieuse est responsable de la révolution
sociale de 1525. — La révolution dès longtemps pressentie par Sébastien Brant,
433-434. — L'amour du luxe et du bien-être, principale cause des malheurs de
l'époque. — Mesures prises pour la répression du luxe à la Diète de Nuremberg
(1524). — Passion du jeu chez les grands seigneurs et les riches marchands. —
Satire contre le luxe et les excès de table des paysans. — Luther et Érasme
sur la licence des mœurs, particulièrement dans la jeunesse, 435-443.
II. Exploitation de toutes les classes par les grandes sociétés commerciales. —
Ordonnances de Nuremberg (I523j. — Cahier de doléances des comtes, sei-
gneurs et chevaliers. — Traité de Luther sur l'usure, les grandes compagnies
et les secrètes ententes des princes avec les exploiteurs du peuple, 44.3-448. —
Agiotage, falsification des choses de première nécessité, 448-451. — La main-
d'œuvre abaissée par suite de l'abandon des règlements dé corporations. —
Ruine des petites industries et des petits marchands. — Nombre excessif des
commerçants, des marchands ambulants, des aubergistes. — Pourquoi les
artistes, ouvriers et journaliers restaient sans travail. — Décadence de
l'art. 451-453.
U\. Sentiments de haine et d'envie parmi les pauvres. — Les " honorables ■ et le
peuple. — Le prolétariat des villes, 453-456.
IV. Causes de mécontentement parmi les populations rurales. — Commence-
ments et progrès du mouvement socialiste, 456-458.
CHAPITRE III
CARACTÈRES (i É M; Il A L \ DE LA REVOLUTION SOCIALE
I. Éléments divers et réclamations multiples de la révolution. — Prépondérance
des tendances communistes. — Aveux des chefs révolutionnaires après leur
défaite, 459-461. — Traits communs à la plupart des chefs révolutionnaires,
461-463. — Le bas clergé et la révolution, 463-465.
II. Comment était composée l'armée des paysans. — Moyens d'intimidation
employés par les révoltés. — Le ■ ban laïque >, 466-468.
m. L'Évangile et la révolution. — Le « droit divin », 468-470. — Projet pour
l'érection d'une république démocratique et sociale, 470-476. — Nouvelle consu-
lutionde iMichel Geismayer fondée ■■< sur la parole de Dieu ". Extermination des
VII! TABLE DES MATIÈRES.
impies, nivellemenî des classes, liberté, égalité, 476-478. — Appel au mas-
sacre général des princes et seigneurs. — Exhortation aux frères chrétiens, 478-483.
IV. La révolution sociale, vraie guerre de religion. — Fureur de destruction
contre tous les monuments et tous les symboles de l'antique foi. — Que les
écrils de Luther avaient préparé les excès révolutionnaires, 484-488.
V. Pourquoi la révolution rencontra d'abord une si faible résistance. — La ligue
souabe, unique rempart de l'Allemagne. — Énergie et capacité du cbancelier
bavarois Léonard d'Eck, 488-491.
CHAPITRE IV
LA RÉVOLUTION .S O CI .V L H
I. Le premier foyer de l'insuri-ection. — Les paysans de Stühlingen. — • Frater-
nité " évangélique h Waldshut (1524). — Si les habitants de Stühlingen étaient
aussi opprimés qu'ils le prétendaient? — Le chef des paysans, Hans Müller,
Î92-49.J. — Agitateurs populaires : le prédicant Balthasar Hubmaier prêche la
souveraineté du peuple. — Thomas Münzer dans le Klettgau et le Hegau, 495-
496. — Le duc de Wurtemberg, Ulrich, cherche à reconquérir son duché à la
faveur du Bundschuh. — H embrasse les doctrines nouvelles. — Traitements
qu'il se propose de faire subir aux clercs et aux marchands. — Ses relations
avec François I", le prolétariat de la noblesse et les Bohèmes; ses agents
révolutionnaires, 496-499. — Insurrection en Souabe (1525). — Déclaration
naïve des tenanciers de l'abbaye de Roth. — L' « Union chrétienne " à Mem-
mingen, et ses articles d'alliance, 499-502. — Le duc Ulrich envahit le Wur-
temberg. — Insuccès de son entreprise. 502-505. — Atrocités commises par les
rebelles dans l'Algau, la forêt .Noire et les contrées du Ries, 505-506. — Alliance
de la population urbaine avec les paysans. — La révolution s'étend et se pro-
page. — Le général en chef de la ligue souabe, Georges de Waldbourg, met les
paysans en déroute près de Leipheim. — Traité de Weingarten. — Violation
du traité, 506-509. — Révolte en Tyrol. — Incendies et pillages. — Alliance
des Tyroliens avec les Souabes et les Alsaciens, 509-511. — Insurrections en
.\lsace. — Strasbourg menacée. — Les articles alsaciens. — Alliance des Alsa-
ciens avec les habitants de la forêt Noire. — Fribourg en Brisgau tombe au
pouvoir des rel)elles, 511-514.
H. Ulrich Zasius impute à Luther la responsabilité des malheurs publics. —
Luther publie V Exhortation à la paix, à propos des douze articles des paysans de
Souabe. — Si ce manifeste était vraiment propre à apaiser les esprits? — Date
de sa publication, 514-519.
ÏII. Soulèvement en Franconie. — Révolte parmi les paysans de la landwehr à
Rothenbourg sur la Tauber. — Agitateurs populaires à Rothenbourg, 520-52i.
IV. Révolte dansl'évêché de Bamberg, 524-526.
V. Révolte dans l'Odenwald et dans la vallée du Neckar. — Chefs révolutionaires
dans ces contrées. — L'armée évangélique à Schönthal. — Götz de Berlichin-
gen offre ses services aux paysans. — Les comtes de llohenlohe et de Löwen-
stein, 526-529. — Forfaits de Weinsberg, 529-531. — Révolte à lleilbronn. —
L'armée évangélique à lleilbronn. — Les conseils d lleilbronn et de Wimpfen
traitent avec les rebelles. — La Hoffmann, mégère révolutionnaire de l'Oden-
wald, 531-536. — Révolte dans le Wurtemberg. — Conseils donnés par le duc
Ulrich aux ■ frères chrétiens ", 537-539.
VI. Révolte à Bade et dans l'évêché de Spire, 539. — Götz de Herlichingen,
général en chef des paysans. — Götz et l'Union chrétienne à l'abbaye d'Amor-
bach. — Décisions prises par les chefs des rebelles, 540-541.
YIl. Révolte à Francfort-sur-le-Mein, fomentée par la « Fraternité évangélique •-
— Articles de la Fraternité. — Le conseil pactise avec les révoltés, 551-544. —
Révolte dans le Rheingau. (Les émeutiers demandent que les Juifs leur soient
livrés.) — Insurrection dans l'évêché de Trêves. — Incendiaires. — Francfort-
sur-le-.Mein menacée, 544-546. — Aschaffenbourg entre dans l'« Union « . — Le
coadjuteur de l'archevêque de Mayence traite avec les rebelles. — Le comte
TABLE DKS MATIKRES. IX
Georges de Werdieini fraternise avec les paysans, 540. — r,'évêcbé de Würz-,
bourg se soulève tout entier, 540-549. — I.a population de Rolhenhourg pac-
tise avec les révoltés. — Termes du traité, 549-5.'il
VIII Révolte en Thuringe. — Agitateurs populaires à Miilhausen. — Thomas
Münzer pousse au massacre de tous les princes et seigneurs, 551-555. — /Liste
des couvents et abbayes détruits en Thuringe), 555. — l.'iiumauiste .Mutian sur
les actes de vandalisme des révoltés. — (Dernières années de Mutian^, 556. —
Insurrection A Langensalza. — Opinion du duc Georges de Saxe sur la révolu-
tion, 557-559. — Erfurt se donne aux rebelles. — Compromis honteux du con-
seil. — Eoban Ilessus sur les actes révolutionnaires commis à Erfurt, 559-
561. — Lettres de menaces de ThomasMünzer, 5GI-562. — Les princes sapprétent
à réprimer la révolte. — Bataille de Frankenhausen. — Repentir et mort de
Thomas Miinzer, 562-565.
IX. Luther sur les châtiments infligés aux rebelles. — Son manifeste Contre Ifs
hordes pillardes et homicides, — Mariage de Luther. 565-570.
\. Victoires remportées sur les rebelles dans le Wurtemberg, en Al.^ace, dan^
l'évêché de spire. — .Jonction de la ligue souabe avec les armée> du Palatinat
et de Trêves, 570-571. — plan de campagne des révoltés de Franconie. —
Trahison de Golz de P>erlichingeii. — Défaite des paysans à Konigshofen et à
In,",olstadt. — Prise de Wurzbourg, 571-577. — Le margrave Casimir à Anspach-
Bayreuth et ses premières relations avec les rebelles. — Répression des rebelles à
Kitzingen, 577-579. — La révolte apaisée dans l'évêché de Bcimberg et à Rothen-
bourg. — (Fuite de Carlstadt racontée par lui-même), 579-581. — Répression
de la révolte en Souabe, dans le Rheingau et sur le Mein. — Soumission de
Francfort, 581-585.
XI. Révolte et pacification du Tyrol. — Projets de sécularisation. — L'archiduc
Ferdinand et le mouvement révolutionnaire, — Insurrections dans l'arche-
vêché de Salzbourg. — Le duc Guillaume songe à tirer parti de la révolution
pour la réalisation de ses plans ambitieux. — Rivalité des maisons de Wittels-
bach et d'Autriche. — Fin de la révolution, 580-592.
CHAPITRE V
ir KT Dr L ' .\ L L E M .\^ G N E .\ P R È S LÀ. RÉVOLUTION .S 0 Cl .\ L E
Réflexions des contemporains sur la révolution de 1525, 59.3-595. — État de l'Alle-
magne. — Nombre des morts et des fugitifs. — Répressions sanglantes. —
Quelques princes ecclésiastiques se montrent miséricordieux envers leurs pay-
sans. — Amendes et indemnités de guerre. — chansons populaires, 595-002. —
— Luther recommence à exciter à la haine contre le clergé. — Emser, sur la
responsabilité de Luther dans la révolution. — Nouvelles tentatives de révolte,
602-606. — Aggravation des malheurs publics dans les villes et les campagnes.
— Chansons populaires, 600-610. — Luther pousse les princes à la rigueur
envers leurs sujets. — Il conseille le retour au servage tel qu'il était établi
chez les Juifs. — Son opinion sur les corvées, 610-612. — Mélanchthon d'accord
avec lui sur ces points. — Nouvelle doctrine des réformateurs sur l'obéissance
passive envers l'autorité et sur la nécessité alisolue de la sécularisation des
biens du clergé. — Les princes, héritiers de la révolution, 612-615.
Table des personnages cités 617
Table géographique 625
TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTÉS
Lei ouvrages qui ne soin cités qu'une seule fois ou par hasard dans le cours
de ce volume ne sont pas compris dans cette liste. Les écrits des auteurs catho-
liques sont marqués d'une f ,
Les ouvraîïes marquée d'un astérisque dans le cours du volume sont emprun-
tés à dci sources inédites, indiquées ici plus en détail.
I Albéri E. I-e lîelazioni dejjli ambasciatori Veneti al senato durante il seculo
decimosesto. Serie 1, vol. 1-6. Serie 2, vol. 3. Serie 3, vol. 2-3. Firenze, 1839-1860.
.\LBEi\T R. Aus welchem Grunde disputirte .lohann Eck gegen M. Luther in
Leipzig 1519? in der Zeilschrift für die histor. Theologie Bd., 43, p. 382-441.
Gotha, 1873.
Allihn M. Socialdemokratisches aus der deutschen Vergangenheit, in den
Grenzboten, .lahrgang32, ApriHiefte. Leipzig, 1873.
Anshelm V., genannt Rüd. Berner Chronik von Anfang der Stadt Bern bis 1526.
6 Bde. Bern. 1825-1833.
— Anzeiger für die Kunde der deutschen Vorzeit Neue Folge. Organ des ger-
manischen Museums. Bd. 1-28. Nürnberg, 1854-1881.
t Aux J. v. Geschichte des Cantons S'-Gallen. 3 Bde. S«-Gallen, 1810-1813.
I AsHB.vcH J. v. Die Wiener Universität und ihre Humanisten im Zeitalter Kaiser
Ma.ximilian's I. Wien, 1877.
— Anfruhrbuch der Reichstadt Frankfurt am Main vom .lahre, 1525. Zum ersten-
mal herausgegeben von G. F. Seitz. Frankfurt, 1875.
Baadi.r J. Beiträge zur Kunstgeschichte Nürnbergs. 2 Bdchn. Nordlingen, 1860,
1802.
— Verhandlungen über Thomas von Absberg und seine Fehden gegen den
schwäbischen Bund, 1519-1530, in der Bibliothek des literarischen Vereins in
Stuttgart, Bd. 114. Tü!)ingen 1873.
j Balw P. Monumenta Reformationis Lutheranae ex tabulariis S. Sedis secretis.
1521-1525. Ratisbonnae, 18S3, 1884.
Bakacic K. A. Hans Böhm und die Wallfahrt nach Niklashausen im Jahre 1476,
im Archiv des historischen Vereins von Unterfranken und Aschaffenburg, 14«
1-108. Würzburg, 1858.
Basler Chroniken, herausgegeben durch W. Vischer und A. Stern. Bd. 1.
Leipzig, 1872.
Balm.I. M. Capito und Butzer, Strassburgs Reformatoren (Leben und auserwalhte
Schriften der reformirten Kirche). Elberfeld, 1860.
f Baumanx f. L. Die oberschwabischen Bauern im März 1525 und die zwölf Artikel.
Kempten, 1871.
— Quellen zur Geschichte des Bauernkrieges in Oberschwaben, in der Bibliothek
des literarischen Vereins in Stuttgart, Bd. 129. Tübingen, 1876.
— Acten zur Geschichte des deutschen Bauernkrieges aus Oberschwaben. Frei-
burg, 1877.
t — Quellen zur Geschichte des Bauernkrieges aus Rotenburg a. d. Tauber, in
der Bibliothek des literarischen Vereins in Stuttgart, Bd. 139. Tübingen, 1878.
'Baumgakte.n IL Geschichte Karls V. Erster band. Stuttgard, 1885.
BAun A. Deutschland in den Jahren 1517-1525, betrachtet im Lichte gleichzeitiger
anonymer und pseudonymer deutscher Volks-und Flugschriften. Ulm, 1872.
XU TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTÉS.
Beger L. Studien zur Geschichte des Bauernkriegs, nach Urkunden des General-
archivs zu Carlsruhe. I. In den Forschungen zur deutschen Geschichte Bd. 21.
lieft 3. Göttingen. 18S1
Be.nsen II. M. Geschichte des Bauernkriegs in Ostfranken, aus den Quellen bear-
beitet. Erlangen, 1840.
BERLicHiNGEN-Ross.iCH M. G. V. Gcschichtc des Ritters Götz von Berlichingen
und seiner Familie. Leipzig, 1861 .
Bezold f. V Zur Geschichte des llusitenthums. Culturhistorische Studien. Mün-
chen, 1874.
— Der rheinische Bauernaufstand vom .lahr 1431, in der Zeitschrift fiir die
Geschichte des Oberrheins -V, 129-149. Cirlsruhe, 1875.
— Die • armen Leute - und die deutsche Liberatur des späteren Mittelalters, in
V. Sybels historischer Zeitsrhrift, 41, 1-37. — München, 1879.
7 Binder F. Charitas Pirkheimer, Aebtissin von St-Clara zu Nürnberg. 2 Aufl
Freiburg, 1878.
7 Bodm.4X.\ f. I. Rheingauische Altherthümer oder Landes-und Regimentsver-
fassung des westlirhen oder Nieder-Rheingaues im raitlleren Zeitalter. 2 Theile.
Mainz, 1819.
BöCKiNG E. Ulrici Hutteni Opera. 5 vol. LipsicX", 1859-1862.
BoEHM W. Friedrich Reisers Reformation des Kaisers Sigmund. Mit Benutzung
der ältesten Handschriften nebst einer kritischen Einleitung und einem erklä-
renden Commentar. Leipzig, 1876.
BoELL A. Der Bauernkrieg um Weissenburg anno 1525. Weissenburg, 1874.
Brewer J. s. Letters and pupers, foreign and domestic, of the reign of Henri
Vlll, vol. 3. London, 1870.
Br.iEGER Th. Aleander und Luther. Die vervollständigten Aleander Depeschen
nebst Untersuchung über den Wormser Reichstag. Erster Abtheilung. Gotha,
1884.
7 BccHHOLTz F. B. v. Geschichte der Regierung Ferdinand des Ersten. 8 Bde. und
ein Urkundenband. Wien, 1831-1838.
Blder Ch. G. Nützliche Sammlung verschiedener meistens ungedruckter Schrif-
ten, Berichte, Urkunden, Briefe und Bedenken. Fiankfurt und Leipzig, 1735.
Bchler F. G. Wendel llipler, als llohenlohischer Kanzler, und seine Bedeutung
im Bauernkrieg in Franken, in der Zeitshr. des histor. Vereins für das würt-
tembergische Franken, 10, 152-164. lleilbronn, 1875.
Blrkhardt C. A. 11. .Martin Luther's Briefwechsel. Mii vielen unbekannten Brie-
fen und unter vorzüglicher Berücksichtigung der De Wette'scben Ausgabe.
Leipzig, 1866.
— Ueber die Glaubwürdigkeit der Antwort Luthers : Hie stehich, ich kann
nicht anders, Gott helff mir. Amen, » in den Theologishen Studien und Kri-
tiken 42, 517-531. Gotha, 1869.
— Das tolle Jahr zu Erfurt und seine Folgen 1509-1523, in Weber's Archiv für
sächsishe Geschichte, t. 12, 337-426. Leipzig, 1874.
— Geschichte der sächsischen Kirchen-und Schulvisitationen von 1524-1545.
Leipzig, 1879.
t Bcssière M. DE. Histoire delà guerre des paysans iseizième siècle). 2 vol. Plancv,
1852.
t Chmel J. Die Handschriften der kaiserl. königl. Hofbibliothek in Wien, im
Interesse der Geschichte, besonders der österreichischen, verzeichnet und
excerpirt 2 Bde. Wien, 1840.
— Instruction Erzherzog Ferdinand's von OEsterreich für Carl von Burgund,
Herrn zu Bredam, an Kaiser Carl V, vom 13 ,îuni 1524, im Archiv für Kunde
österreichisher Geschichtsquellen, 1, 83-149. Wien, 184S.
— Actenstücke zur Geschichte Deutschlands in den lahren 1522-1524, im Notizen-
blatt, Beilage zum Archiv für Kunde österreichisher Geschitsquellen Bd. 2.
Wien, 1852.
Chroniken, die, der deutschen. Städte vom 14 bis in's 16. Jahrhundert. Bd. 15.
Leipzig, 1878.
t Clag eins einfeUig klosterbruders. (Voy. Dietenberger.)
TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTÉS. XIII
f CooiiLKiJS, ,Ion. Clos und Comment auff den XIII. Artickel von rechtem Messbalten
Avider Lutherislie zwispaltuni;. Ohne Ort, i^ti.i.
— Clos und Comment uff. CLIIU Artikien jjezofjen uss einem Sermon Doc. Mart.
I.nlerss von der heiligen Mess und nüera Testament (Strassburg). Joh. Grie-
niiiger, 1523.
CocHL.ui Colloquium cnm Luthero Wormatia- olim habitiiin. Moguntia;, 1540.
CocHL^us ,1. Commeiitciria de actis et scriptis M. Lulheri... ab a. 1517 usque ad
a. 1537 conscripla. Mogunti;«", 1549. »
t Contra Martinum Lutherum et Lulheranismi fautores dissertationes quatuor.
Moguntiœ, 1532.
7 C0R.\ELius c. A. Die Milnslerischen Humanisten und ihr Verhältniss zur Refor-
mation. Münster, 1851.
— Geschichte des Münsterischen. Aufruhrs in drei Büchern. Bd. 1 u. 2. Leipzig,
1855-1860.
— Studien zur Geschichte des Bauernkriegs. München, 1861.
Coi\rusREro[ui,vTORUM — PhilippiMelanchthonisopeiaqua-supersuntomniaedidit
C. G. Bretshneider, vol. 1-7. Malis Saxonum, Î834, 1840.
De Wette. V'oy. Marlin Luther's Briefe, Sendschreiben, etc.
t DiETE.NBEncFiv, JüH. Von menschcu 1er. Widerlegung des Lutherischen büchlins
von menschen leren zu meiden. Strassburg (,loh. Grieninger), 1523.
— Übe die Christen mügen durch iere guten werk dz. hymelreich verdienen.
(Strassburg). .loh Grieninfjer, 1523.
— Wider CXXXIX sclilussrede Martin Luthers von gelübdniss und geistlichem
leben der klosierlüt und iunckfrawschafft, etc., vertütscht durch Jo. Coch-
leiim. Strassburg (Joh. Grienin;;er), 1523.
— Clag eins eiufeltig kloslerbruders, das es so bös worden in der werlt. Ohne
Ort. Den 1 ypen nach l)ei Giieninger in Strassburg gedruckt. Auf dem Titel
1523, auf dem letzten Blatt 1524.
— Der leye. Obedergelaub alleinselig mache. Strassburg(.loh. Grieninger), 1524.
f DÖLLiNGER J. Die Reformation, ihre innere Entwicklung und ihre Wirkungen
im Umfange des lutherischen Bekenntnisses, 3 Bde. Regensburg, 1846, 1848.
f DöLLiNGEK J. V. Kirche und Kirchen, Papsthum und Kirchenstaat. München,
1861.
DnoYSEN J. G. Geschichte der preussischen Politik. Bd. 2. Abtheilung 2. Berlin,
1870.
DnuMMO.ND R. B. Erasmus, his life and character as shown in his correspo»-
dence und works. 2 vol. London, 1873.
f Durv.iXD Di: Laur. U. Érasme précurseur et initiateur de l'esprit moderne. 2 vol.
Paris, 1872.
Eberstein V. L. v. Fehde Mangoll's von Eberstein zum Brandenstein gegen die
Reichsstadt Nürnberg. ^Zweite AuHl.), 1879.
f EcKERTz G. Die Revolution in der Stadt Köln im .Jahre 15i3, in den Annalen des
historischen Vereins für den Niederrhein. Heft 26 und 27, 197-267. Köln, 1874.
Egli E. Actensanimlungzur Geschichte der Züricher Reformation in den Jahren
1519 bis 1533. Zürich, 1880.
7 Ejisf.r H. An den Stier zu Wiettenberg. ohne Ort und Jahr.
— Auff des Stieres tzu Wiettenberg wieitende Replica. Ohne Ort und Jahr.
— Wider d is unchristeuliche Buch Martini Luters Augustiners an den Tewt-
schen Adel aus-gan;;en. An gemeyn Ilochlöbliche Teutsche Nation. Gedruckt
durch ß.ic. Mortinum Herbipolensem, 1521.
— Das man der heiligen bilder yn den kirchen nit abthon noch Unehren soll,
und das sie yn der schriffl nyndert verbotten seyn. (Widmung an Herzog
Georg von Sachsen, geben zu Dresden, Mittwoch nach Letare 1522.) Ohne Ort
und ,lahr.
— Aniwurll auff die Warnung oder schandbuch durch ungereymte reyinen, on
eyn namen aussgangeu. Ohne Ort und Jahr.
— Wyder den lalscb genannten Ecciesiasten und warhaffligen Ertzketzer
Martinum Luther Emser getrawe und nawe Vorwarnung mit bestendiger Vor-
legung aus bewerter und canonischer schriff't. Dresden, 1524.
XIV TITRES COMPLETS DES OUVRAf^ES CONSULTÉS.
— Der Bock trith frey auf disen plan — hat wyder Ehren nye gethan, Avie sehr
sie yn gesholdeii han. 1525 ohne Ort.
Epistola' obscurorum virorum cum notis illustrantibus adversariisque scriptis.
Collefïit, recensuit, adnotavit E. Bocking, in Ulr. Ilutteni 0pp. Supplemen-
tuni. 2 tom. LipsicT, 1864, 1869.
f Erasmi de Roterodami Opera omnia emendatiora et auctiora. 10 tom.Lugduiii
Balavoruni, 1702-1706.
Erbram h. W. Geschichte der protestantischen Seelen im Zeitalter der Refor-
mation. Hamburii; und Gotha, 1848.
f EvFRS G. Martin Luther. Lebens, und Charakterbild, von ihm selbst gezeichnet
in seinen eigenen Schriften und Correspondenzen. Heft. 1-7 Mainz, 1883-1885.
Felgkre G. Erasme. Étude sur sa vie et ses ouvrages. Paris, 1874.
Flersheimer Chronik, zur Geschichte des 15. und 16. Jahrhunderts, herausge-
gel)en von 0. Waltz. Leipzig, 1874.
Forschungen zur deutschen Geschichte. Herausgegeben von der historischen
Commission bei der königl. bayerischen Académie der Wissenschaften. Bd. 1-21 .
Göttingen, 1862-1881.
FönsTEM.^N-V C. E. .\eues Urkundenbuch zur Geschichte der evangelischen Kir-
chen Reformation. Erster (einziger^ Band. Hamburg, 1842.
f Fontes rerum .Vusiriacarum. Erste Abtheilung : Scrifrtores. Bd. I, herausge-
geben von Th. G. von Karajan. Wien, 1855.
f Francfurts Reichscorrespondenz nebst verwandten Aclenstücken von 1376-
1519, herausgegeben von .L .lansstn. Bd 2. Freyburg, 1873, i876.
Freitag G. Bilder aus der deutscheu Vergangenheit. Bd. 2. .Vbth 2. Aus dem
Jahrhundert der Reformation. Leipzig, 1867.
f Friedrich J. Astrologie und Reformation, oder die Astrologen als Prediger der
Reformation und Urheber des Bauernkrieges. München, 1864.
— Der Reichstag zu Worms im Jahre 1521, nach den Briefen des päpstlichen Nun-
tius Hieronymus .\leander, in den Abhandlungen der historischen Classe der
k. bayer. Académie der Wissenschaften, II, 57-146. München, I870.
f Fries L. Die Geschichte des Bauernkriegs in Osifranken, herausgegeben von
A. Schaffler und Th. llenner. Lief. 1 und 2. Würzburg, 1876-1877.
Geiger L. Nikolaus Ellenbog, ein Humanist und Theologe des 16. Jahrhunderts.
Nach handschriftlichen Quellen. Wien, 1870.
— Johann Reuchlin. Sein Leben und seine Werke. Leipzig, 1871.
— Neue Schriften zur Geschichte des Humanismus, in v. Sybel'shistor. Zeitschrift
Jahrgang 17, 49-125. München, 1875.
f GEISSEL J. v. Der Kaiserdom zu Speyer. 2. Aufl. Cöln, 1876.
Ge:meiner K. Th. Chronik der Stadt und des llochstiftes Regensburg. 4 Thle.
Regensl)Uig, 1816-1824.
t Gindely A. Geschichte der ])öhmischen Brüder. Ester Band. Prag, 1857.
Gieseler J. C. L. Lehrbuch der Kirchengeschichte. Bd. 3. Abth. 1. Bonn, 1840.
f Glos und Comment uff LXXX Articklen und Keizeryeu der Luterischeii und
ander Secten und Stürmer. Strassburg (Joh. Grieningen, 1524.
Graetz H. Geschichte der Juden von den ältesten Zeiten bis auf die Gegenwart.
Bd. 9. Leipzig, 1866.
Greife. Tagebuch des Hans Lutz aus Augsburg (vergl. Baumann. Quellen, 613-638).
Ein Beitrag zur Geschichte des Bauernkriegs, in dem Jahresbericht des histor.
Kreisvereins für Schwaben und .\euburg, für die Jahre 1847 und 1848, S. 47-70.
Augsburg, 1849.
Greife E. Tagebuch des Lucas Rem aus den Jahren 1494-1541, ein Beitrag zur
Handelsgeschichte der Stadt ,\ugsburg. Augsburg. 1861,
f Greuter J. Die Ursachen und die Entwicklung des Bauernauf:>tandes im Jahre
1525, mit vorzüglicher Rücksicht auf Tyrol, im Programm des k. k. Staals-
Gymnasiums zu Innsbruck. 1856.
f Gro.ne V. Telzel und Luther, oder Lebensgeschichte und Rechtfertigung des
Ablasspredigers und Inquisitors J. Tetzel. Soest und Olpe, 1853.
Haarer P. H. Eigentliche warhefflige Beschreibung des Bauernkriegs, im Goebel's
Beiträgen zur Staatsgeschichte von Europa. Lemgo, 1767.
TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTES. XV
II\nEnr.iN F. I). Die alljf. Welthistorie. Neue Historie. Bel » ii. in. Halle. 1771-1772.
IU<;i:n c. Iieutsrhe Geschichte seit Rudolf von llabsburf;. r;d. 2. Francfiirl. 1857.
— Deutschlands lilterarisilie und relijjiöse Verhältnisse im Reforniationszei-
lalter. .'5 Bde. 2 Ausf; Francfurt. 18GS.
lIvccENMür.i.Fu .1. (ieschichte der Stadt und f;efürsteten Graffschaft Kempten
2 Bde. Kempten, 1840-1817.
— Flamburjjische Chroniken, herausgegeben von .1. M. Lappenberg. Hamburg,
1852-1861.
lluiTFiLDEn, Zur Geschichte des Bauernkriegs in Südwest-Deutschland. Stutt-
jjard, 1884.
— Strassburg wahrend des Bauernkriegs 1.52.5, in den Forschungen zur deutschen
Geschichte, Will, p. 221-285. Göttingen, 1883.
Hase O. Die Koburger. Buchhändlerfainilie in Nürnberg. Leipzig, 1869.
Hegel C. Zur Geschichte und Beurtheilung des deutchen Bauernkriegs, in Droy-
sen's Allgemeiner .Monatsschrift für Wissenshaft und Literatur, Jahrgang 1852.
S. 564 bis 576, 65.V674. Halle und Braunschweig, 1852.
IIellek.F. Reformationsgeschichte des ehemaligen Bisthums Bamberg. Erstes bis
drittes Heft. Bamberg, 1825.
f Hennés J. H. Albrecht von Brandenburg, Erzbischof von Mainz und von Mag-
deburg. Mainz, 1858.
— Martin Luther's Aufenthalt in Worms, 16 bis 26 april 1521. Mainz, 1868.
Hekolt .J. Chronica, Zeit-und .lahrbuch von der Statt Hall, herausgeg, von
F. H. Shönhuth. Schwäbisch-IIall, 1855.
[Hess .1. Erasmus von Rotterdam. Nach seinem Leben und Schriften. 2 Bde.
Zürich, 1790.
llEüM.vNN .]. Documenta litteraria. Altorfii, 1758.
7 HiPLER Fr. Nikolaus Kopernikus und Martin Luther. Nach erraländischen .\rchi-
valien. Braunsbc rg, 1868.
I llöFLEa C. Frankische Studien, im Archiv für Kunde oesterreichischer Ge-
schichtsquellen 8. 237-322. Wien, 1852.
— Der hochberühniten Charitas Plrkheimer, Aebtissin von S. Clara zu Nürnberg,
Denkwürdigkeiten aus dem Reformationszeitalter. Bamberg, 1852.
— Betrachtungen über das deutsche Stadtewesen im fünfehnten und sechszehn-
ten .lahrhundert, im Archiv für Kunde österreichischer Geschichtsquellen, ll.
179-224. Wien, 1853.
— Geschichtschreiber der husitischen Bewegung in Böhmen (Fontes rer. .\usir
Scriplt 2. 6. 7.). 3 Thie. Wien, 1856-1866.
— Wahl und Thronbesteigung des letzten deutschen Papstes, Adrian's VI 1522.
Wien, 1872.
HÖFLEP. C. V. Der deutsche Kaiser und der letzte deutsche Papst, Carl V und
Adrian VI. Wien, 1876.
— Papst Adrian VI 1522-1523. Wien, 1880.
HoFxvwiTz A. Zur Biographie und Correspondenz .1. Reuchlin's. Wien, 1877.
Hor.rLEDEn Fr. Handlungen und Ausschreiben etc. von den Ursachen des deut-
schen Krieges Kaiser Carls des Fünften wider die Schnialkaldischen Bundes-
verwandteii. Gotha, 1645,
.lÄGER c. Geschichte der Stadt Heilbronn und ihres ehemaligen Gebietes. Bd 2.
lleilbronu, 1828.
JÄGER C. F. Andreas Bodenstein von Carlstadt. Stuttgart, 1856.
J.\NSE> K. Aleander am Reichstage zu Worms, 1521. Auf Grundlage des berich-
tigten Friedrich'schen Textes seiner Briefe. Kiel, 1883.
t [Jarcke E. V.] Studien und Skizzen zur Geschichte der Reformation aus dem
politischen und socialen Gesichtspunkte. Schaffhausen, 1846.
7 JÖRG J. E. Deutschland in der Revolutionsperiode von 1522-1526 aus den diplo-
matischen Correspondenzen und Originalacten bayerischer .\rchive darges-
tellt. Freiburg, 1851.
Jürgens C. Luther's Leben. Erste Abth. Luther von seiner Geburt bis zum Ablass-
streite. 3 Bde. Leipzig, 1846-1847.
Kahms K. F. A. Die deutsche Reformation. Erster Band. Leipzig, 1872.
XVl TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTES.
7 Kampschllte F. \V. Die Iniversitat Erfurt in ihrem Verhältniss zu dem Huma-
nismus und der Reformation. Aus den Quellen dargestellt. 2 Theile. Trier,
1858-1860.
K.vpp J. E. Sammlung einiger zum papstlichen Ablass überhaupt, sonderlich
aber zu der im Anfang der Reformation zwischen D. Martin Luther und Johann
Tetzel hiervon geführten Streitigkeit gehöriger Schrifften. Leipzig, 1521.
Kapp.J. E. Kleine .Nachlese einiger, grösstentbeils noch ungedruckter und son-
derlich zur Erläuterung der Reformationsgeschichte nützlicher Urkunden.
4 Theile. Leipzig, 1727-173.3.
Keil F. S. Des seligen Zeugen Gottes Martin Luthers merkwürdige Lebensum-
stände bei seiner medicinalischen Leibesconstitutiou, etc. 4 Theile. Leipzig,
1764.
7 Kerker !\I. Erasmus und sein theologischer Standpunkt, in der Tübinger Theo-
logischen Quartalschrift 41, 531-566. Tübingen, 1859.
Kessler,?. Sabbata. chronick der Jahre 1523-1539, herausgegeben von E. Goe-
tzinger. Bd. 1. Sl. Gallen, 1866.
KETTENB.iCH IL Ein new Apologia und Verantwortung Martini Luthers wyder der
Papisten Mortgeschrey, die zehen Klagen wyder in ussblasieniren so wyt die
Christenheyt ist, dann sy toben und wüttendt recht wie die unsinnige Hundt
thondt. 1523.
Kirchhoff A. Beilrage zur Geschichte des deutschen Buchhandels. 2. Bändchen.
Leipzig, 1851, 1853.
Kllpfel K. Urkunden zur Geschichte des schwäbischen Bundes. 2 Bde., in der Bi-
bliothek des literarischen Vereins in Stuttgart, Bd. 14 und 15. Stuttgart, 1846.
Köhler K. F. Luther's Reisen und ihre Bedeutung für das Werk der Reformation.
Eisenach 18731.
KoLDE Th. Die deutsche Augustiner-Congregation und Johann von Staupitz.
Eil! Beitrag zur Ordens-und Reformationsgeschichte nach meistens unge-
druckten Quellen. Gotha, 1879.
Kolde Th. Friedrich der Weise und die Anfänge der Reformation. Mit archiva-
lischen Beilagen. Erlangen, 1881.
Analecta Lutherana. Briefe uud Actenslücke zur Geschichte Luther's. Gotha, 1883.
f KöMGSTEiN W. Tagebuch über die Vorgänge am Liebfrauenslift und die Ereig-
nisse der Reichsstadt Frankfurt am Main in den Jahren 1520-1548, herausge-
geben von E. G. Steitz. Francfurt, 1876.
KösTLiN J. Ges'hichtliche Untersuchungen über Luther's Leben vor dem .\blass-
streit, in den theologischen Studien und Kritiken 44s 7-54. Gotha, 1871.
— Martin Luther. Sein Leben und seine Schriften. Bd. l. Elberfeld, 1875.
Krafft K. und W. Briefe und Documente aus der Zeit der Reformation im 16,
Jahrhundert, nebst Mittheilungen über Kölnische Gelehrte und Studien in
13. und 16. Jahrhundert. Elberfeld (1875).
7 Krauss Fr. .\. Beiträge zur Geschichte des deutschen Bauernkrieges 1525, in den
Annalen des Vereins für Nassauische Alter thumskunde und Geschichtsforschung.
Bd. 12. {Separatabdruck. I Wiesbaden, 1873.
Krause C. Ilelius Eobanus llessus, sein Leben und seine Werke. Ein Beitrag zur
Cultur-und Gelehrtengeschichte des sechszehnten Jahrhunderts. 2 Bde. Gotha,
1879.
Krause. Die Briefwechsel des Mutianus Rufus, Zeitschrift des Vereins für
hessische Geschichte und Landeskunde, neue Folge, I.\, Supplement. Kassel,
1885.
Kriegk G. L. Frankfurter Bürgerzwiste und Zustände im Mittelalter. Beitrag zur
Geschichte des deutschen Bürgerthums. Francfurt am Main. 1862.
Krcmmel L. Joh. Drändorf, ein .Märtyrer des Ilusitenthums in Deutschland, in
den Theologischen Studien und Kritiken 42', 130-144. Gotha, 1869.
7 Laemmer H. Monumenta Vaticana historiam ecclesiasticam sa'culi XVI illus-
trantia. Fribiirgi Brisg., 1861.
— Meletematum Roinanorum Mantissa. Ratisbonse, 1875.
Lanz K. Correspondenz des Kaisers Carls V aus dem k. Archiv und der Biblio-
thèque de Bourgogne zu Brüssel. 3 Bde. Leipzig, 1844-1846.
TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTES. XVII
— ActensUicke und Briefe /ur Gescliiclite Kaiser Carl's V. Bd. 1. Einleitung zu
Bd 1. Wien, 1853, 18:j7.
LAUTErvDAO» A. Tagehuch auf das Jalir 1538; die llanptqueile der Tishreden
Luther's, iierausgejjeben von .1. K. Seidemann. I)resdt;n, 1872.
Leculer G.Joli. von VViciifunddie Vorjjescliiclile der Uefornialion. 2 Bde Leipzig,
1873.
Le Clay. Néîçnciations diplomatiques entre la France et l'Autriche durant les
trente premières années du XVI« siècle. 2 vol. Paris, 1845.
f Leib Kii,. Annales von 1.002-1523 in v. Aretin's Beiträjjen zur Geschichte und
Literatur. Bd. 7, und 9. Miinrhen, 1803-1806.
Leodids Th. llul). Annales de vita et rebus ßestis Friderici II. electoris Palatini
libri 14. Krancofurti, 1(>24.
— De geslis Krancisci a .Sickingen, bei Freher, Rer. Germ. Script., 3, 298-30G.
Argentorati, 1707.
t Liessem II. ,1. De Hermann i Buschii vita et scriptis commentatio historica.
Bonna% 1866.
LiLic^cnoN H. v. Die historischen Volkslieder der Deutschen vom 13. bis 16.
Jahrhundert, gesammelt und erläutert. Bd. 3. Leipzig, 18G7.
LiPOvvsKi. Argula von Grnmbach. München, 1801.
Lisch. G. C. F. (icschichte der Buchdruckerkunst in Mecklenburg bis zum Jahre
1840, in den Jahrb. des Vereins für mecklenburgische Geschichte und Alter-
thumskunde 4-280. Schwerin, 1839.
LÖSCHER V. E. Vollständige Reformationsacta und Documenta. 3 Bde. Leipzig,
1720-1729.
f Lucubrationes theologicae. Romac, 1528.
LuMG J. Ch. Deutsches Reichsarchiv 24 Bde. Leipzi;;, 1713-1722.
Luther K. Geschichtliche Notizen über Martin Luther's Vorfahren. Wittenberg,
1867.
Luther M. .Sämmtliche Werke. 67 Bde., herausgegeben von .). G. Plochmann
und J. A. Irmischer. Erlangen, 1826-1868. Zweite Aufl., herausgegeben von
E. K. Enders. i;d. 1-15. Frankfurt, 1862-1870.
LuTHERi M. Opera latina varii argumenti ad reformationis historiam imprimis
pertinentia cur. 11 Schmidt, vol. 1-5. Francofurti, 1865-1868.
Luthers M. Briefe, Sendschreiben und Bedenken, vollständig gesammelt von
W. L. M. de Wette. 5 Theile. Berlin, 1825-1828. Sechster Theil, herausgegeben
von..!. K. Seideinann. Berlin, 1856.
Mathesius J. Historien von des ehrwirdigen in Gott seligen theuren Mannes
Gottes Doctoris Martini Lutheri Anfang, Lere, Leben und Sterben. Nürnberg,
1570.
Maurencrecherw, Geschichte der kathol. Reformation. Erster band.Nördlingen,
1880.
— Studien und Skizzen zur Gesch. der Reformationszeit. Leipzig, 1874.
May J. Der Kurfürst, Cardinal und Erzbischof Albrecht II von Mainz und Magde-
burg und seine Zeit. Ein Beitrag zur deutschen Cultur-und Reformationsge-
schichte. 2 Bde. München, 1865-1875.
Meiners C. Lebensbeschreibungen berühmter Männer aus den Zeiten der Wie-
derherstellung der Wissenshaften. 3 Bde. Zürich, 179'<-l797.
Menzel K. A. Neuere Geschichte der Deutschen seit der Reformation. 2 Aufl.
Bd. 1. Breslau, 1854.
t MoNE F. J. Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins. 21 Bde. Karlsruhe, 1850
bis 1868.
— Quellensammlung der badischen Landesgeschichte. Bd. 2. Karlsruhe, 1854.
Muck G. Geschichte vom Kloster Heilsbronn von der Urzeit bis zur Neuzeit. Bd.
1 und 2. Nördlingen, 1879.
Mühlhauser Chronik aus den Jahren 1523-1526, herausgegeben von F. A. Holzhau-
sen in A. Schmidt's Zeitschrift für Geschichtswissenshaft 4, 365-394, Berlin, 1845
MuLLEuA. Leben des Erasmus von Rotterdam. Hamburg, 1828.
MuNzER Th. Von dem getichten Glauben auf nächst Protestation aussgangen.
1524. Ohne Ort.
XVllI TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTÉS.
— Auslegung des andern Untershyds Danielis des Propheten, gepredigt auffm
Schloss zu Alstet vor den teligen thewren Herzcogen und Vorstehern zu
Sachsen. Allstedt, 1524.
— Mit dem Hammer. Aussgetrückte Emplössungdes falschen Glaubens der unge-
trewen Welt durchs Gezeugnus des Evangelions Luce, vorgetragen der elen-
den erbemlichen Christenheyt. Mühlhausen, 1524.
— Proteslalion oder Erbiettung seine Lehre betreffende, und Izum Anfang von
dem rechten Christenglauben und der Tawffe, 1524. Ohne Ort.
— Bekenntnus, gescheen in derguthe Dienstajjs nach Cantate, 1525. Ohne Ort.
f M unNERTh. An den grossmechtigsten und durch luchtigsten Adel lütscher Nation,
das sye den christlichen Glauben beschirmen wider den Zerstörer des Glau-
bens Christi Marlinum Luther, einen Verlierer der einfeltigen Christen. Strass-
burg, gedruckt von Johann. Grieninger, 1520.
— Gedicht vom grossen Lutherischen Narren, herausgegeben von IL Kurz.
Zürich, 1848.
MuTHER rh. Aus dem Universiläts-und Gelehrtenleben im Zeitalter der Refor-
mation. Erlangen 1866.
— Zur Geschichte der Rechtswissenschaft und der Universitäten in Deutschland.
Jena, 1876.
Neudecker eh. G. Voy. Ratzeberger.
Neue und vollständigere Sammlung der Reichsabschiede (von IL Chr. von
Senckenbergi. Bd. 2. Frankfurt, 1747.
f NÈVE F. Recherches sur le séjour et les études d'Érasme en Brabant. Louvain,
1876.
\ NouDHOFF. J. B. Denkwürdigkeiten aus dem Münsterchen Humanismus. Müns-
ter, 1874.
Notizenblatt. Beilage zum Archiv für Kunde österreichischer Geschichsquellen.
9 Bde. Wien, 1851-1860.
OEcHSLE F. F. Beiträge zur Geschichte des Bauernkriegs in den schwäbisch-
fränkischen Grenzlanden. Aus meistens archivalischen Quellen, lieilbronn,
1830.
■J- Otto C. Johannes Cochläus der Humanist. Breslau, 1874.
— Bemerkungen zu dem Frankfurter Bürgeraufstande vom Jahre 1525, in den
Hislor. polit. Bl. 74, 326-332. München, 1874.
Pastor L. Die kirchlichen Reunionsbeslrebungen während der Regierung
Karl's V. Aus den Quellen dargestellt. Freiburg, 1879.
Paulsen f. Geschichte des gelehrten Unterrichts auf den deutschen Schulen
und Universitären vom Ausgang des Mittelalters bis zur Gegenwart. Mit be-
sonderer Rücksicht auf den classischen Unterricht. Leipzig, 1885.
Pawlikowski C. c. v. Hundert Bogen aus mehr als fünfhundert alten und neuen
Büchern über die Juden neben den Christen. Freiburg, 1859.
Peschek Ch. A. Kirchengeschichtliche Miscellen, in Niedner's Zeitschrift für die
historische Theologie, 15, 153-164. Leipzig, 1845.
Plitt G. L. Desiderius Erasmus in seiner Stellung zur Reformation, in der Zeit-
schrift für die gesammte lutherische Theologie 27, 479-514. Leipzig, 1866.
iRanke L. Deutsche Geschichte im Zeitalter der Reformation. Bd 1, und 2. Berlin,
1842.
äatzebergerM. Handschriftliche Geschichte über Luther und seine Zeit, heraus-
gegeben von Ch. G. Neudecker. Jena, 1850.
f Raynalui 0. Annales ecclesiastici. Tom. 12 (1513-1536). Lucge, 1755.
Reriling f. X. Geschichte der Bischöfe von Speyer. Bd. 1. Mainz, 1854.
Relchlin's J. Briefwechsel, gesammelt und herausgegeben von. L. Geiger, in
der Bibliothek des literarischen Vereins in Stuttgart, Bd. 126. Tübingen,
1875.
.RiEDERER. Nachrichten zur Kirchen-Gelehrten-und Bücher-Geschichte, 4 Bde.
Altdorf, 1764-1768.
f Riffel C Christliche Kirchengeschichte der neuesten Zeit seit dem Anfange
der grossen Glaubens-und Kirchenspaltung. Bd. 1, AuH. 2. und Bd. 2. Mainz,
1842, 1844.
TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTÉS. XIX
RiGGE.NBACH B- lohanii Eberlin von Günzbunrff und sein Reformproj5ramm. Ein
Beitrufî zur Gesciiichte des sechszelmten Jahrhunderts. Tübingen, 1874.
ROESLER I!. Die Kaiserswahl Cari's V. Wien, 1808.
RoHLi.NG E. Die Reichstadt Memmingen in der Zeit der evanf;elischen Volksbe-
wegung München, 1864.
f RüHRBACHiRs. Uui versalgeschich te der katholischen Kirche, in deutscher Bear-
beitung von F. X. Schulte. Bd. 2i. Münster, 1873."
RoMMEL Ch. V. Philipp der Grossniüthige, Landgraf von Hessen. 2 Bde und ein
Urkundenband. Giessen, 1830.
Roth F. Die Einführung der Reformation in Nürnberg 1517-1528. Nach den
Quellen darijestellt. Würzburg, 1865.
Sattler E. F. Geschichte des Herzogthums Wurtemberg unter der Regierung
der Herzoge. Ih. 1. und. 2. Ulm, 1769.
Schade 0. Satiren und Pasquille aus der Reformationszeit. 3 Bde. Hannover,
1856-1858.
Scheurl Chr. Briefbucb, ein Beitrag zur Geschichte der Reformation und ihrer
Zeit, herausgegeben von F. von Soden und J. K. F. Knaacke. 2 Bde. Potsdam,
1867-1872.
Schmidt Ch. Notice sur Sébastien Brant, in der Revue d'Alsace, nouvelle série,
tom. 3. rolinar, 1874.
f Schreckenstein, K. H. Roth von Geschichte der ehemaligen freien Reichsrit-
terschafl. Hd. 2. Tübingen, 1862.
Schreiber H. Der Bundschuh zu Lehen im Breisgau und der arme Konrad zu
Bühl; zwei Vorboten des deutschen Bauernkriegs. Freiburg im Breisgau, 1824.
Geschichte der Albert-Ludwigs-Universität zu Freiburg im Breisgau. 3 Theile.
Freiburg, 1857-1860.
— Der deutsche Bauernkrieg. Gleichzeitige Urkunden, mit Einleitungen. Jahr
1524 und 1525. 3 Theile. Freiburg, 1863, 1864, 1866.
Schüchardt Chr. Lucas Cranach des Aelteren Leben und Werke. 2 Bde. Leipzig,
1851.
SouuNK J. P. Beiträge zur Mainzer Geschichte mit Urkunden. 3 Bde. Mainz, 1788-
1790.
Schwertzell G. Helius Eobanus Hessus. Halle. 1874.
Seckendorf V. L. a. Commentarius historiens et apologeticus de Luthéranisme
sive de reformatione religionis duclu M. Lutheri stabilita. Francofurti, 1692.
Seidemann J. K. Thomas Münzer, nach den in Dresdener Archiv vorhandenen
Quellen Dresden und Leipzig, 1342.
— Die Leipziger Disputation im Jahr 1519. Dresden und Leipzig, 1843.
— Erlaüierungen zur Reforraationsgeschichte durch bisher unbekannte Urkun-
den. Dresden, 1844.
— Luthers Grundbesitz, in Niedner's Zeitschrift für die historische Theologie,
30, 475-570. Gothe, 1860.
— Beiträge zur Geschichte des Bauernkriegs in Thüringen, in den Forschungen
zur deutschen Geschichte. Bd. 11,375-399 und 14,513-548. Göttingen, 1871-1874.
t SiNNACHER F. A. Beiträge zur Geschichte der bischiiflischen Kirche Sähen und
Brixen in Tyrol. Bd. 7, 8. Brixen, 1830-1832.
Spalatin G. Historischer Nachlass und Briefe. Erster Band : Das Leben und die
Zeitgeschichte Friedrichs des Weisen, herausgegeben von J. G. Neudecker und
L. Preller. lena, 1851.
t Spiegel, ein. der Evangelischen Freyheit, wie die Christus wahrhafftiglichen
gelert und Martin Luther ietz in unsern Zeiten dieselbigen unnützlich für-
geben hat. D. J. K. .Strassburg (Joh. Grieninger), 1524.
Stalin Ch. F. v. Wirtembergische Geschichte. Bd. 4. Stuttgart, 1873.
Steitz G. E. Die Melanchthons-und Luther-Herbergen zu Frankfurt am .Main
(mit archivalischen Beilagen) im Neujahrsblatt des Vereins für Geschichte und
Alterthumskunde für 1861. Franckfurt, 1861.
— Gerhard VVesterburg, der Leiter des Bürgeraufstandes zu Fraiicfiirt am Main,
im Jahre 1525, im Archiv für Frankfurts Geschichte und Kunst. Neue Folge 5,
1-215. Frankfurt. 1872.
XX TITRES COMPF-ETS DES OUVRAGES CONSULTÉS.
— Der Humanist Wilhelm Nesen, im Archiv für Francfurts Geschichte und
Kunst. Neue Foljje 6, 36-160. Francfurt, 1877.
Stern A. Ueber die zwölf Artikel der Bauern und einige andere Aktenstücke aus
der Uewegung von 1525. Leipziy, 1868.
— Regesten zur Geschichte des Bauernkriegs, vorniimlich in der Pfalz, in der
Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, 23, 179-201. Karlsruhe, 187j.
Stichart F. 0. Erasmus von Rotterdam. Seine Stellung zu der Kirche und zu
den kirchlichen Bewegungen seiner Zeit. Leipzig, 1870.
Stintzing R. Ulrich Zasius. Ein Beitrag zur Geschichte der Rechtswissenschaft
im Zeitalter der Reformation. Basel, 1857.
Stockmf.yer .1. uNn Reber B. Beiträge zur Baseler Buchdruckergeschichte. Basel,
1840.
STöLzr.L A. Die Entwicklung des gelehrten Richterthums in deutschen Territo-
rien. 2 Bde. Stuttgart, 1872.
Stolle K. Thüringisch-Erfurter Chronik, herausgegeben von L. F. Hesse, in der
Bibliothek des literarischen Vereins in Stuttgart, Bd. 32. Stuttgart, 1854.
Strauss I». F. Ulrich von Hütten. 2 Bde. Leipzig, 1858.
— Gespräche von Ulrich von Hütten übersetzt und erläutert. Leipzig, 1860.
Strobel G. ïh. Beiträge zur Litteratur, iiesonders des sechszehnten Jahrhun-
derts. Bd. 1 und 2. Nürnberg und Altdorf, 1784-1786.
— Leben, Schriften und Lehren Thomä Münlzer's, des Urhebers des Bauernauf-
ruhrs in Tiiüringen. Nürnberg und Altdorf, 1795.
SuGEMiEiM S. Baierns Kirchen-und Volks-Zustände im sechzehnten Jahrhundert.
Nach handschriftlichen und gedruckten Quellen, dessen, 1842.
Tentzel W. E. Supplementum Historiae Gothanae primum Conradi Mutiani Rnfi
epistolas, etc., compiectens. Jena', 1701.
Thausing M. Dürer's Briefe, Tageliücher und Reime. Wien, 1872.
THir.RscH H. W. J. Luther. Biographische Skizzen. Nördlingen, 1869.
Uhland L. Alte hoch-und niederdeutsche Volkslieder. Bd. 1 in 2 Abtheilungen.
Stuttgart, 1844-1845.
ÜHLHOUN G. Urbanus Rhegius. Leben und auserwählte Schriften. Elberfeld, 1861.
Ullmann C. Reformatoren vor der Reformation vornehmlich in Deutschland und
den Niederlanden. 2 Bde. Hamburg, 1841, 1842.
Ulmann H Franz von Sickingeu. Nach meistens ungedruckten, Quellen.
Leipzig, 1872.
f Unrest J. OEsterreichische Chronik in Hahn's Collect. Monument, vet. et recen-
tium, 1, 5H7-803. Brunsvigse, 1724.
Varrentüapp C. Hermann von Wied und sein Reformationsversuch in Köln.
Ein Beitrag zur deutschen Reformation.sgeschichte. Leipzig, 1878.
VEESENMEYru. Nachrirht von Konrad Köllin, Leben und Schriften aus gedruck-
ten und ungedruckten Quellen, in Slaudlin's und Tzschirner's Kirchenbistor.
Archiv 1, 471-501. Halle, 18J8.
ViRCK H. Politische Correspondenz der Stadt Slrassburg im Zeitalter der Refor-
mation. Erster Band, 1517-1530 Strassburg, 1882.
ViscHER W. Geschichte der Universität Basel von der Gründung 1460 bis zur
Refoi ination Î529. Basel, 1860.
— Erasmiana. Programm zur Bectoratsfeier der Universität Basel. Basel, 1876.
Vogt M.Bayerns Stimmung und Stellung im Bauernkrieg von 1525, im Programm
des Lyceums und der Sludienanslalt zu Regensburg 1877. Stadtamhof, 1877.
Voigt G. D. Wiederbelebung des classischen Alterthums oder das erste Jahrhun-
dert des Humanismus. Berlin, 1859.
Vorreiter H. Luthers Ringen mit den antichristlichen Principien der Revolu-
tion. Halle, 1860.
Wagner E. Der Bauernkrieg auf dem Gebiete der freien Reichstadt Schwäbisch
Gmünd, in den Forschungen zur deutschen Geschichte 14,228-248. Göttingen,
1874.
Walch J. G. Martin Luther's sämmtliche Schriften, 24. Bde. Halle, 1*39-1750.
Walchner K. und Bodent J. Biographie des Truchsessen Georg III von Wald-
pur r. Mit Urkunden. Constanz, 1832.
TITRES COMPLETS DES OUVRAGES CONSULTES. XXI
Walpau G.E.Nachrichten von Thomas Murner's Leben und Schriften. Ein kleiner
Beilraß zur Refonnationsgeschichle. Nürnberjj, 1775.
Waloau fi. E. Nachricht von Hieronymus Einsers leiten und Schriften. Beitraj}
zur Heformations-und Litterarfjeschichte. Auspach, 1783.
Waltz O Der Wormser Reichstag im Jahre 1521, in den Forschungen zur deut-
schen Geschichte 8, 21-44. Götlinijen, 18G8.
Wegf.le Fr. X. Götz von Berlichingen und seine Denkwürdigkeiten, in Müller's
Zeitsclirifl für deutsche Kulturgeschichte. Neue Folge, Jahrg. 3, 129-166. Han-
nover, 1874.
t Wf.geler J. Richard von Oreiffenclau zu VoUraths, Erzbischof und Kurfürst
von Trier 1511-1531. Trier, 1881.
Weller E. Repertorium typoyraphicum. Die deutsche Literatur im ersten Viertel
des sechszehnten Jahrhunderts. Nördlingen, 1864. Supplement. Nördlingen,
1874.
t Wiedemann Th. Johann Eck, Prof. der Theolojjie an der Universität Ingolstadt.
Kegensburj}, 1865.
WiSKEiNiANN 11. Darstellunjj der in Deutschland zur Zeit de Reformation herr-
schenden nationalökonomischen Ansichten. Gekrönte Preisschrift. Leipzig,
1861.
WisKowATOFF P.v. Jacob Wimpheling, sein Leben und seine Schriften. Ein Beitrag
zur Geschichte der deutschen Humanisten Berlin, 1867.
Wolf A. Geschichtliche Bilder aus OEsterreich. Erster Band, aus dem Zeitalter
der Reformation. Wien, 1878.
WOLTMANN H. Holbein und seine Zeit. 2 Bde. Leipzig, 1866-1868.
Wynecken E. f. Die Regimenisordnung von 1521 in ihrem Zuzammenhang mit
dem Churverein, in den Forschungen zur deutschen Geschichte 8, 568-628.
Göttingen, 18G8,
Zarncke Fr. Sebastian Branfs Narrenschiff. Leipzig, 1854.
•}■ Zasii U. Epistolae ad viros a'tatis suag doctissimos, edid. J. A. Rieggerus.
lllmae, 1774.
f Zimmerische Chronik, herausgegeben von K. A. Barack. 4 Bde in der Biblio-
thek des literarischen Vereins in Stuttgart, Bd 91-94, Tübingen, 1869.
Zimmermann W. Allgemeine Geschichte des grossen Bauernkrieges, nach hand-
schriftlichen und gedruckten Quellen. Neue .\usg. 2 Thie. Stuttgart, 1854.
ZöLLNERR. Zur Vorgeschichte des Bauernkriegs, Programm des Vitzthumschen.
Gymnasiums. Dresden, 1872.
ZuiNGLii H. Opera. Compléta editio prima cur. M. Schulero et J. Schulthessio,
8 vol. (Vol. 7 Epistolae) Turici, 1828-1842.
LIVRE PREMIER
LE PARTI RÉVOLUTIONINAIRE ET SES ACTES
JUSQU'A LA DIETE DE WORMS (1521)
L'ALLEMAGNE Au TEMPS DE LA REFORME
L'ALLEMAGNE
DEPUIS LE COMMENCEMENT DE LA GUERRE RELIGIEUSE ET POLITIQUE
JUSQU'A LA FIN DE LA RÉVOLUTION SOCIALE
(1525)
LIVRE PREMIER
LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE ET SES ACTES JUSQU'A LA DIETE
LE WORMS
CHAPITRE PREMIER
LE NOUVEL HUMANISME.
I
Le nouvel humanisme allemand, complélement différent de l'an-
cien dans son action comme dans ses principes, fut au commence-
ment du seizième siècle l'agent principal de la grave et vaste révo-
lution qui allait s'accomplir dans le monde des idées.
Les premiers humanistes avaient compris l'antiquité classique en
restant au point de vue de la vérité absolue du Christianisme; ils
l'avaient mise au service de la foi. Recherchant avec soin dans les
auteurs anciens les témoignages religieux qui s'y rencontrent, échos
d'une révélation primitive, ils s'étaient en même temps montrés
les adversaires déclarés des idées païennes sur le monde et sur la
vie morale.
L'étude de l'antiquité avait été pour eux un champ fécond d'inves-
tigation scientifique. Ils avaient cru cette étude indispensable à toute
éducation vraiment forte, la tenant pour ' l'admirable gymnastique »
u. 1
2 COUP D'OEIL RETROSPECTIF ; L'ANCIEN HUMANISME.
OÙ se pouvait former rindépendance de l'esprit, le dou de concevoir
nettement la vérité et de l'exposer avec clarté.
Selon eux, la connaissance approfondie de la pensée des anciens
devait servir à « Tintelligence des saintes Écritures et renouveler
l'étude des sciences sacrées ". Voilà dans quel esprit Nicolas de Cusa
et son élève Rodolphe Agricola s'étaient efforcés de faire adopter en
Allemagne les auteurs classiques; pourquoi Alexandre Hégius avait
fait des humanités le point central de l'instruction de la jeunesse;
c'est dans ce but que Jacques Wimpheling avait composé son grand
ouvrage pédagogique qui marque une date considérable dans l'his-
toire de l'esprit humain. " Ce n'est pas l'élude de l'antiquité clas-
sique en elle-même ", disait ce dernier, « qui est dangereuse pour
l'éducation chrétienne, c'est la manière fausse de l'envisager, c'est
le mauvais usage qu'on en peut faire. Sans aucun doute elle serait
funeste, si, comme il arrive fréquemment en Italie, on propageait
par les classiques une manière païenne de juger et de penser, et
si l'on mettait entre les mains de nos étudiants des œuvres littéraires
qui pouraient mettre en péril, dans leurs jeunes esprits, le patrio-
tisme ou les mœurs chrétiennes'. Mais au contraire, l'antiquité bien
comprise peut rendre à la morale et à la science théologique les ser-
vices les plus précieux. Les Pères de l'Église n'ont-ils pas tiré le plus
grand profit des études profanes? ne s'en sont-ils pas aidés pour
l'explication des saintes Écritures et ne les ont-ils pas constamment
vantées et encouragées? " Saint Grégoire de Nazianze appelait les
adversaires des humanités les " ennemis de toute science ^ «, et le pape
Grégoire le Grand a démontré clairement qu'elles sont une utile
préparation, un indispensable secours pour l'intelligence des sciences
sacrées.
C'est dans le même esprit que les théologiens éminents du quin-
zième siècle, Heynlin von Stein, Grégoire Reisch, Geiler de Kaisers-
berg, Gabriel Riel, Jean Trithème, s'étaient montrés chauds par-
tisans, zélés propagateurs de l'humanisme chrétien.
(' Nous pouvons en toute sécurité ", dit Trithème, " recommander
l'étude des anciens à tous ceux qui ne s'y livrent pas dans un esprit
frivole ou pour le simple amusement de leur esprit, mais pour la
sérieuse formation de leur intelligence, et pour amasser, grâce à elle,
à l'exemple des Pères de l'Église, des semences précieuses, propres
à servir le développement des sciences chrétiennes. Pour nous, nous
regardons cette étude comme indispensable au théologien. »
'Wirapheling jugeait très-nettement le danger que pouvaient faire courir à la
foi et aux mœurs les humanistes italiens. Voy. Wiskowatoff, p. 67.
* Voy. l'excellent ouvrage de Daniel, Des études classiques dans la société chré-
tienne (Paris, 1853), p. 35-40.
L'ANCIEN HUMANISME. H
Les maitres que nous venons de citer, représentants illustres de
l'école scolastiquc en Allemagne, étaient ennemis jurés de « ces
stériles et inutiles arguties, de ces subtiles querelles sur des mots »,
qui, à partir du quatorzième siècle, avaient abaissé la science, et
dominaient encore trop fréquemment à 1a fin du quinzième siècle
dans la littérature Ihéologique et dans les Universités. Ils faisaient
également tous leurs efforts pour faire disparaître des écoles le latin
barbare alors usité dans les livres de théologie comme dans les leçons
des professeurs. « Ce latin », disait Geiler, ^- est rude et sans préci-
sion. C'est un misérable amalgame, qui n'est ni latin ni allemand, et
pourtant latin et allemand tout ensemble. » " Des discussions arides
sur les choses les plus insignifiantes » , demandait Wimpheling, « sont-
elles donc indispensables à celui qui veut devenir docteur profane
ou professeur orthodoxe de théologie? Une langue contournée et
véritablement rebutante est-elle de rigueur? Les Pères de l'Église et
les grands théologiens des premiers siècles ont-ils connu nos dis-
putes? se sont-ils perdus dans nos distinctions subtiles? ont-ils cru
nécessaire d'employer un langage barbare? «
Les esprits éminents qui, avec un zèle si louable, avaient entrepris
au quinzième siècle la réforme religieuse, rattachaient tous leurs tra-
vaux à ceux des grands théologiens des douzième et treizième siècles;
tout d'abord ils avaient « replacé sur le chandelier " saint Thomas
d'Aquin, l'Ange de l'école. Ils ne s'étaient pas bornés à encourager
l'humanisme et la philologie, ils s'étaient encore proposé d'unir à
la théologie les sciences naturelles et physiques récemment remises
en honneur, et surtout de rajeunir l'enseignement traditionnel de
l'école par l'étude approfondie de la Bible et des Pères. Ils recom-
mandaient aux théologiens, de la manière la plus pressante, l'exégèse
et la patrologie, sans toutefois renoncer aucunement à la méthode
scolastiqne. Cette méthode, à leur avis, tout en s'affranchissant des
surcharges d'un formalisme sans vie, devait subsister dans son inté-
grité, dans la sévère rigueur de ses conclusions logiques et dogma-
tiques.
Ces anciens maitres avaient tous reçu dans leur jeunesse une solide
éducation scolastique; aussi appréciaient-ils l'ancienne méthode non-
seulement au point de vue théologique, mais surtout au point de
vue de la formation de l'esprit. Leurs manières de voir étaient en
complet accord avec celles des théologiens de leur temps. Wimphe-
ling publia en 1510 un ouvrage spécialement consacré à la défense
de la scolastique, ouvrage qui peut être considéré comme la pro-
fession de foi des humanistes du Haut-Rhin '. Comme Wimpheling,
' Voy. WlSKOWATOFF, 154 fll.
1.
4 -COUP D'OEIL RETROSPECTIF : L'ANCIEN HUMANISME.
les savants qui partageaient ses vues luttaient avec zèle contre la
passion partiale et exclusive pour Tantiquité classique, contre la
dépréciation systématique des services que la science du moyen
âge, à ses meilleures époques, a rendus à la philosophie et à la théo-
logie, et se montraient aussi reconnaissants envers elle que Pic de la
Mirandole, qui fait dire aux scolastiques dans l'un de ses écrits :
« Nous vivrons éternellement, non dans les écoles des pointilleurs de
syllabes, mais dans le cercle des sages, où l'on ne discute pas sur la
mère d'Andromaque ou sur les tils de Niobé, mais ou l'on s'entretient
des origines profondes des choses divines et humaines'. »
Ce n'était pas seulement la science religieuse, c'était aussi l'in-
struction populaire, qui, d'après les anciens humanistes, devait être
étendue et améliorée par la culture classique. Il est à remarquer que
les Frères de la vie commune, qui par leurs écoles et leurs livres
d'enseignement contribuèrent tant aux progrès des études clas-
siques au quinzième siècle, s'étaient constammment préoccupés de
la langue et de la poésie nationales, inventoriant, recueillant les
anciens poëmes, en composant de nouveaux et rimant de pieux can-
tiques sur des sujets religieux ou moraux ^ Agricola, véritable fon-
dateur de la première école d'humanisme, composait des chansons
en allemand et ne cessait d'insister pour que les historiens latins
fussent traduits en langue vulgaire, afin que le peuple apprit à les
connaître, et que, par leur secours, la langue nationale fût perfec-
tionnée. Sébastien Brant n'a pas seulement ouvert une nouvelle voie
à la littérature allemande : humaniste éminent, il ne se désintéressait
point du peuple, et " sa vaste science ne l'empêchait pas de tra-
duire un livre de prières à l'usage du commun des fidèles ».
L'humanisme de l'ancienne école avait pris à cœur les intérêts de
l'histoire et de la poésie nationales. Wimpheling cite avec éloge
l'opinion de Geiler de Kaisersberg, déclarant que tout homme
instruit, comprit-il toutes les langues, doit encore et par-dessus toutes
estimer et chérir celle « qu'il a apprise enfant auprès de ses parents,
et dans laquelle, en sa jeunesse, il a été instruit des vérités de la foi ».
Lui-même trouvait révoltant que " des savants fussent assez égarés
par la vanité pour répéter que leur langue maternelle n'était bonne
que pour les vieilles femmes, les matelots et les portefaix^ >;. « Aucune
' BcacKH.vr.DT, Renaissance, p. 157. FeugÈre (p. 208) cite un jugement remar-
quable du philosophe français Victor Cousin sur les scolastiques; • Il est impos-
sible d'avoir plus d'esprit que les scolastiques, de déployer plus de finesse, plus
d'harmonie, plus de ressources dans l'argumentation, plus de cette analyse
ingénieuse qui divise et subdivise, plus de cette synthèse puissante qui classe
et ordonne. • Leibnitz, comme on le sait, pensait de même.
- Voy. NoKDUOFr, Denkwürdigkeiten, p. 117-120.
^ De arte imprcssoria, 19.
L'ANCIEN HUMANISME. 5
langue », dit le moine Fabri dans l'enthousiasme de son patriotisme,
« n'est plus noble, plus ma{j;nifique et plus humaine que la lan{jue
allemande' ».
L'esprit religieux et populaire était l'âme et comme la force
motrice de tous les travaux savants et littéraires de nos anciens
humanisles. Cet esprit inspirait également tous les edorts de leur
zèle rétormateujî.
Ils reconnaissaient et combattaient les abus graves et profonds
qui s'étaient int^-oduits dans le domaine religieux, ils déploraient
les nombreux bépéfices conférés à une même personne, les hautes
dignités réservées aux fils des plus grandes familles, l'avidité des
hauts dignitaireSj ecclésiastiques pour accroître leurs possessions,
l'exploitation du peuple allemand par les exorbitantes réclamations
de la cour de Rome. Ils blâmaient, ils réprouvaient partout où ils les
rencontraient la vie scandaleuse d'une grande partie du clergé régu-
lier et séculier, la sensualité, le luxe et la débauche qui régnaient à
la cour de beaucoup de princes ecclésiastiques, le trafic des reliques
et le parti mercantile tiré par le clergé de pratiques purement exté-
rieures.
Ces premiers humanistes avaient exercé une mission véritablement
réformatrice, car une inébranlable fol, un attachement filial pour
l'Eglise était le plus intime trésor de leur âme. Leur conduite grave
et digne, leur fidèle observance des prescriptions de l'Eglise corres-
pondaient de tous points à leurs convictions. Ils combattaient les
abus, mais le fond même de la religion restait indiscutable à leurs
yeux. Dans leurs opinions politiques et religieuses, ils restaient fer-
mement attachés aux principes du moyen âge, héritiers de ses vues
larges et élevées sur la Papauté et l'Empire. Refouler le Turc, établir
dans le monde entier le règne du Christ, tel était à leurs yeux le but
le plus digne de leur ambition. En dépit de la triste décadence de
l'Empire, leur dévouement restait acquis à cet « Empereur romain
de nation germanique » auquel tous les peuples de la terre devaient
rendre hommage, et dont la plus sublime fonction était la tutelle
et la protection de l'Église ^
L'école des nouveaux humanistes différait essentiellement de l'an-
cienne. Son principal fondateur et son plus illustre représentant,
c'est Érasme de Rotterdam'.
' F. Fabri. Evagatorium, t. III, p. 449.
* Voy. pour plus de détails le chapitre consacré aux humanistes et aux théo-
logiens dans le premier volume de cet ouvrage.
* Erasme et ses écrits ont été de nos jours jugés avec talent dans les utiles
et savants travaux biographiques et littéraires de Durand de Laur (1872), Drum-
mond (1873) et Feugère (1877). Cependant, les ouvrages antérieurs de Hess (1790)
et de Müller (1823) sont encore utiles à consulter; le premier surtout traite
ERASME.
II
Didier Érasme de Rotterdam, né dans les circonstances les plus
malheureuses ', orphelin dès sa première jeunesse, lésé dans ses droits
d'héritier par des tuteurs cupides, avait embrassé la vie monas-
tique, sans aucune vocation sérieuse, chez les Augustins de Stein,
non loin de Gouda. Depuis lors il ne cessa de nourrir une haine pro-
fonde contre les vœux religieux tels queTÉglise les approuve*. En 1491,
il abandonne son couvent, et pendant une dizaine d'années il mène,
dans de continuelles pérégrinations à travers l'Europe, une vie
nomade et agitée, pense à s'établir tantôt en Angleterre, tantôt en
France, ou bien eu Italie, ou bien encore dans les Pays-Bas ou en
Bourgogne, et parle même d'aller finir ses jours en Espagne ou en
Pologne. De bonne heure il encourt le reproche « de ne dire presque
jamais la sainte messe et de l'entendre rarement, bien qu'étant
prêtre ». Le « très-savant Érasme trouve ridicules ' les prières dubré-
avec la plus grande impartialité (t. I, p. 317-505; les questions de polémique sou-
levées entre Érasme et ses adversaires catholiques. — Outre ces ouvrages, je me
suis encore servi des écrits de Slichart (1870), de Nève (1876j, de Plitt (1866) et
de Kerker (1859). Ce dernier, selon moi, est, de tous les biographes d'Erasme,
celui qui analyse de la manière la plus équitable et la plus profonde ses véri-
tables opinions théologiques. L'Erasmiana, de Vischeu (1876), contient quelques
précieux documents et lettres inédites.
1 Dans un mémoire de Léon X, reproduit par Vischer, et daté du 26 jan-
vier 1517 [Erasmiana), on lit au sujet d'Érasme : ' Ex illicito, et, ut timet, inceste
[■peut-être incestuoso?) damnatoque coitu genitus. • Il n'en faut pas conclure que
le père d'Érasme fut prêtre (voy. Vischer, note 3), mais seulement que ses
parents, non mariés, étaient dans un degré de parenté qui empêchait le
maria;;e d'après les lois de l'Église. Le nom de famille d'Érasme était proba-
blement Roger ou Rogers, comme Vischer semble le conclure de la suscrip-
tion d'un bref papal. Ce nom n'était pas celui de son père, mais celui de sa
mère. Trois ans avant la naissance d'Érasme, c'est-à-dire entre 1464 et 1469, sa
mère avait eu un fils, Pierre Gérard (voy. Vischer, p. 30, note 1). Érasme le
dépeint comme étant son parfait contraste, physiquement et moralement. H
dit en parlant de lui : « Nec unquam aliud fuit germano quam malus genius. "
(Voy. Drummond, t. I, p. 16, note 13.)
* Il avait quitté le costume religieux de son propre mouvement, et avait été, pour
cefait, frappé d'excommunication. Ilavaitalorsadressé« une humble supplique» au
pape Léon X et reçu de lui le pardon de sa faute par l'entremise d'André Amrao-
nius, légat du Pape en Angleterre. « Dominum Erasmum Roterodamum ■, écrit
Ammonius le 9 avril 1517, " humiliter a nobis petentem a sententia excommu-
nicationis ceterisque censuris ecclesiasticis, quas incurrit propter dimissionem
babitus professionis sue apostasiam incurrendo in habitu sœculari aliquot
annos incedens, absolvimus in forma Ecclesie consueta. • (Vischer, p. 28.) — Il
obtint la permission de vivre et de se vêtir à l'avenir comme les prêtres sécu-
liers.
ERASME. 7
viaire, les prescriptions de l'Église touchaut le jeûne et l'abstinence.
Les règles de pénitence lui paraissent intolérables, et il s'en affran-
chit sans scrupule, causant ainsi un « scandale d'autant plus
fâcheux » que son esprit cultivé et son grand savoir donnent plus
de poids à ses opinions, et le rendent plus influent auprès de la
jeunesse. Son exemple contribua beaucoup à accréditer l'opinion
' que pour les savants les commandements de l'Église sont superflus
et puérils, et qu'il leur est loisible de s'en affranchir' », Comme le
prieur de son couvent l'exhortait un jour de la manière la plus pres-
sante à rentrer sous la règle de son Ordre, Érasme lui répondit, sur
un ton d'ironie presque insolent, « que ni son corps ni son intelli-
gence n'étaient faits pour la vie du cloître; que les couvents avaient
autrefois contribué au salut du monde, mais que maintenant, au
contraire, leur existence était la cause et l'origine de la corruption
régnante; que le Christianisme et la piété n'étaient attachés ni à un
Ordre spécial, ni à aucun genre de vie particulier; que le monde
entier, d'après la doctrine du Christ, pouvait être considéré comme
une famille, et même comme un monastère =. " On vante les voyages
de Solou, de Pylhagore et de Platon, disait-il, et les Apôtres, parti-
culièrement saint Paul, ont parcouru le monde; pour moi, je suis
le bienvenu dans tous les pays; tous me prient avec instance d'être
leur hùte. » Sur sa conduite morale, il avait coutume d'énoncer les
jugements les plus bienveillants. « Un commerce étroit avec des
hommes sages », écrivait-il à son prieur, « l'avait grandement amé-
lioré. L'amour des richesses lui était inconnu, il n'en avait pas la
moindre étincelle; il est vrai qu'il avait parfois ressenti l'aiguillon
de la chair, mais jamais jusqu'à en devenir l'esclave; l'ivrognerie
et la débauche répugnaient à sa nature*. » Quant à ces derniers
vices, en admettant qu'Érasme eût rejeté de sa vie toute habitude
grossière, sa frêle constitution lui eût forcément interdit tout
excès ^ Aucun de ses admirateurs n'a jamais parlé de l'austérité de
ses mœurs, et beaucoup ont pensé que son goût pour les vins capi-
teux était cause des douleurs qui le tourmentaient si fréquemment
' Vers 1512. « Lucubrationes 18. »
* Op., t. m, p. 1527-1530, App. epist. du 8, 9 juillet 1514 : « Voluptatibus
etsi quaudo fui iiiquinatus, nunquam servivi. " On peut voir l'opinion d'Érasme
sur ce sujet dans un passage d une de ses lettres à Ulrich de Hütten, 23 juil-
let 1519, où il fait l'éloge de Thomas Morus : " Cum aetas ferret, non abhorruit
a puellarum amoribus, sedcitra iufamiam, et sic ut oblatis magis frueretur, quam
captatis... » Op., t. III, p. 474, ep. 447.
' « Druniienness », dit Drummond, t. I, p. 21, •< he ahvays detested; and
perhaps no merit can be ascribed to him for avoiding a sin to which be had
no inclination, and for which he was constitutionally unfit. • Drummond
appelle assez justement Érasme (t. l, p. 347) « the self-satisfied and by no means
ascetic german man of letters ».
8 ERASME.
(il était atteint de la pierre). Il faisait souvent parade de son
mépris pour l'argent; il ne recherchait pas, il est vrai, l'argent pour
l'argent", mais il était fe mement convaincu qu'un homme sage et
prévoyant doit s'efforcer d'acquérir du bien et le conserver le mieux
possible, afin de pouvoir supporter facilement les revers de fortune
et les pénibles épreuves qui peuvent se rencontrer en cette vie *.
Quant à la manière de s'enrichir, il en savait une fort aisée. La façon
dont les moines mendiants recueillent les aumônes lui paraissait « in-
digne d'un homme libre «; l'acceptation d'un emploi quelconque,
offrant un revenu fixe en échange de devoirs déterminés, lui sem-
blait « inconciliable avec son indépendance »; mais, en revanche, il ne
trouvait nullement au-dessous de sa dignité de mendier des pensions
et des dons auprès des prélats, princes, comtes et seigneurs, et cela
bien souvent par des flatteries du genre le moins relevé, quêtant
par des dédicaces louangeuses les remerciments ' bien sonnants " des
riches. Les rudes leçons qu'il s'attira par sa " déplaisante mendicité »
ne ralentirent en rien son ardeur quémandeuse. A la fin, ses revenus
se trouvèrent si avantageusement aménagés qu'il dépensait tous les
ans la somme, énorme pour ce temps, de six cents ducats. Indépen-
damment du trésor presque royal qu'il possédait en hanaps d'or et
d'argent, en monnaies rares, il laissa après lui environ sept raille
ducats. « Mes coffres «, écrivait-il, " sont remplis d'objets précieux,
de coupes travaillées artistement, d'aiguières, de cuillers, d'hor-
loges, dont plusieurs sont en or. Quant aux bagues, je puis à peine
les comptera »
La flatterie littéraire prodiguée dans le but d'obtenir la faveur des
princes et des puissants, le répugnant abus des dédicaces louangeuses
'Il se qualifie de « strenuus pecuniarum contemptor ■. Op., t. III, p. 141,
ep. 167.
^ Voy. la lettre d'Amerbach à Spalatin, dans Krafft, Briefe und Documente,
p. 75,
* Sur ses pensions, présents et donations, voy. les lettres citées par Vischer,
15, 33-34. — Hess, t. I, p. 190, 281. — Müller, p. 217. — Drommond, t. II,
p. 268. Il reçut un jour du duc Philippe le Bel un présent de cinquante
florins d'or pour un discours plein de flatteries prononcé à Bruxelles; peu de
mois après, ayant sollicité de nouveau la générosité du duc, celui-ci lui envoya
dix livres à titre d'aumône: • pour Dieu et en aumosne ». « Il lui fut remis une
somnie de dix livres, de quarante gros, monnaie de Flandre, la livre. » Nève,
p. 7-8. Colet lui écrivait en 1513 à propos de son « odiosa mendicitas » : « 5r
humiliter mendicaveiis, habeo aliquid... » Érasme lui-même fait dans cette même
année cet aveu : • Ab N. satis audacter petii, at ille impudenter rogantem impu-
dentius repulit... » Op., m, 1524, App., ep. i et 3, 132, ep. 150. Voy. Hess, t. I,
p. 169-170. — A propos de ses biens, son ami Amerbach lui écrit : « Sunt qui
illum circa septena millia aureorum (ne dicam plus) reliquisse ferunt. • « Reli-
quit aureorum et argenteorum poculorum fere regium apparatum. » Krafft,
Briefe und Documente, p. 75. —Sur l'abus des dédicacesà cette époque, voy. Müller,
p. 181. — Geiger, Peucklin, p. 13Î-336.
ÉRASME. 9
précédant les moindres écrits, toutes ces choses datent d'Erasme, et
devinrent bientôt d'un usage presque {jénéral parmi les humanistes
de la nouvelle génération. Ils héritèrent également de cette vanité,
de cette présomption qui s'étaient fait voir chez Érasme dès sa pre-
mière jeunesse, et furent jusqu'en sa vieillesse un des traits distinctifs
de son caractère. Cette estime excessive de lui-même était entre-
tenue par l'encens qui lui fut prodigué dès sa première jeunesse; elle
l'aveuglait de telle sorte que son jugement, selon lui, devait faire
loi dans toutes les questions, et qu'il ne pouvait s'empêcher de lais-
ser percerune irritation parfois ridicule dès qu'il se voyait contredit,
ou lorsque ses ouvrages encouraient quelque blâme. Au talent qu'il
possédait de louer avec une grâce délicate' ses adulateurs et protec-
teurs, correspondit bientôt, dans une exacte mesure, une irritation
emportée contre ceux qui osaient le contredire; il se ut ainsi beau-
coup d'ennemis, surtout dans les dix dernières années de sa vie. Il
entassait contre ses censeurs accusation sur accusation, attribuant
les critiques dont il était l'objet non-seulement à une complète igno-
rance, mais à une obstination préconçue contre la vérité; pour les
combattre, il se servait généralement de toute arme, sans distinction,
et les attaquait non-seulement dans leurs écrits, mais aussi dans leur
vie privée. Les imprimeurs qui publiaient des critiques sur ses écrits
n'étaient pas à couvert de ses rancunes. Un jour, il traita l'imprimeur
Schott de " dragon furieux, d'abominable malfaiteur ", répétant
que sa conduite honteuse était plus répréhensible que celle d'un vo-
leur, d'un meurtrier ou d'un adultère ^ Qui s'opposait à lui était à
ses yeux un être dangereux contre lequel la force publique devait sévir.
Le style diffamatoire était depuis longtemps de mode chez les
humanistes italiens; Érasme, par ses exemples, ne contribua pas peu à
le mettre à l'ordre du jour en Allemagne. Bientôt il ne choqua plus
personne, et passa même pour digne d'éloge. On se réglait sur
l'axiome de Laurent Valla : " La querelle peut être honteuse, mais
céder à son adversaire semble encore plus honteux ^ » Érasme en un
seul point dépassa ses modèles : les humanistes italiens injuriaient,
diffamaient, mais ne connaissaient pas ces phrases hypocrites où
s'enveloppait souvent Érasme après avoir enfoncé le dard dans le
cœur de son ennemi.
' Parmi ses lettres les plus dépourvues de goût, voyez celle adressée au
pape Léon X, où il dit entre autres choses : ■ Qui quanto ceteri mortales pe-
cudibus anteceilunt, tanto ipse mortales universos nnijestate superat, etc. « Voy.
Hess, t. I, p. 217. — Il est difficile de convenir avec Drlmmond (t. II, p. 345)
que - les lettres d'Érasme, sous le rapport de la flatterie délicate, sont des
modèles de bon goût » .
' Voy. Hess, t. II, p. 266.
^ Voy. Voigt, p. 427.
10 ÉRASME.
Il exerça sur son époque une immense influence '. La multiplicité
de ses connaissances dans presque toutes les branches des sciences
cultivées de son temps frappe l'esprit d'étonnement. On reste confondu
lorsqu'on énumère ses travaux incessants et variés. Il parlait le plus
pur latin; le mouvement, la richesse de son style en cette langue
n'ont été égalés que par bien peu. Son coup d'œil pénétrant embras-
sait toutes choses, et son expression était d'une justesse acérée. Ce
qui fait sa principale originalité, c'est son génie actif qui réunissait
comme en un foyer les genres les plus variés de la littérature -.
On lui doit de nouvelles éditions des classiques latins, des traduc-
tions d'auteurs grecs, des éditions et traductions des Pères, des édi-
tions et des commentaires de la Bible. Outre cela, il publiait des écrits
de tous genres, philosophiques, pédagogiques, théologiques, sati-
riques. Mais son esprit manquait de profondeur. Il était rare qu'il
interrogeât soigneusement les sources. Il avoue lui-même qu'il
épanche ses idées plutôt qu'il ne les médite, et qu'il lui est bien plus
facile d'écrire un livre que de le revoir et de le corrigera De là ses
fréquentes contradictions et les nombreuses inexactitudes et fautes
d'attention qui lui échappent, et que ses adversaires lui repro-
chaient avec raison. Ce qu'il manie avec le plus d'aisance et d'art,
ce sont les armes de l'ironie, de la satire malicieuse; aussi ce don lui
avait-il fait prendre pour modèle Lucien, « son écrivain favori ». Une
mâle dignité de caractère, un généreux esprit de sacrifice, l'élan
d'un patriotisme enthousiaste se font aussi peu jour dans ses écrits
que dans sa vie. Il était à lui-même son centre, et rapportait tout à
l'estime profonde qu'il avait de son < immortel mérite*'.« Érasme«,
lisons -nous dans un recueil de dialogues satiriques du temps,
'On ne peut la comparer qu'à celle de Voltaire au dix-huitième siècle. On a
d'ailleurs appelé Érasme le Voltaire de la Renaissance. Il faut cependant conve-
nir qu'Érasme, sous le rapport moral, est bien supérieur à Voltaire.
* Hagen, Deu'chlands lilerarische lerhältnisse, t. I, p. 256. — Kahms, t. I, n. 37.
' Voy. IviuLLER, p. 220-224, et les passages tirés des lettres d'Érasme.
* Le portrait d'Érasme par Holbein, qui se voit au Musée de Bâle, rend avec une
vérité admirable la physionomie du critique, du sceptique et du satirique. Le ca-
ractère intéressé, sagement timoré d'Érasme y est indiqué de main de maître. De
hardiesse, de feu, d'énergie, nulle trace dans cette physionomie. Voy. Wolt-
MAN.\, Hans Holhein, t. I, p. 273. — La nature morale d'Érasme explique facile-
ment qu'un homme comme Beatus Rhenanus, malgré toute son amitié pour
lui, n'ait jamais pu, dans la Biographie d'Erasme, s'élever à une véritable chaleur
de sentiment, et qu'il montre si rarement un intérêt vivant pour la personna-
lité de celui dont il retrace la vie. — Voy. l'article d'HoRAwiTz sur la Biographie
d'Erasme, par Beatus Rhenanus, dans les Comptes rendus des séances pour la
classe de philosophie et d'histoire de l'Académie des sciences de Vienne,
t. LXXII, p. 372-375. — Même à la mort d'un Albert Dürer, Érasme montre une
indifférence glaciale. Voy. Thausing, Dürer, Geschichte seines Lebens, p. 497-498. —
Quant à ce que dit Érasme de lui-même dans une lettre à Colet, affirmant qu'il
est • Simplex, apertus, siraulandi ac dissimulandi juxta ignarus • {Op., t. III,
p. 40, rp, 41), le contraire eût presque pu se dire avec vérité.
NOUVKLLK THÉOLOGIE D'ÉRASME. 11
« éfait petit en tout, et beaucoup plus d'esprit que de corps '. »
Dans ses nombreuses pérégrinations à travers l'Angleterre, l'Italie,
la France, il ne se livrait jamais, en vrai savant de cabinet qu'il était,
à l'observai ion directe de la vie populaire, restant même étranger
à cette influence qu'un nouveau milieu exerce sur notre esprit pres-
que à notre insu. Il se vantait de connaître aussi peu l'italien que
l'indien, et d'ignorer pareillement l'anglais, l'allemand et le fran-
çais*. Pour ne rien perdre de la pureté et de l'élégance de sa
diction latine, pour laliniser entièrement sa pensée, il affectait de
ne jamais se servir des langues vivantes, les trouvant nuisibles ou
vulgaires.
Sous ce rapport aussi il fit école et fut imité par les nouveaux
humanistes allemands de son temps. Bien différents de leurs prédé-
cesseurs, ils méprisaient et raillaient leur langue maternelle, qu'ils
appelaient un barbare patois franc. Aussi formaient-ils comme une
caste à part, entièrem.ent séparée du reste de la nation.
Mais tandis qu'Erasme en sa science présomptueuse et pédante
restait en toute sa conduite, ses jugements, ses pensées, complè-
tement étranger aux classes populaires, il ne rougissait pas de tourner
en dérision, de railler et de détruire par des plaisanteries froides
et peu relevées^ la piété des petits, absolument incompréhensible
pour son esprit sceptique et frivole. A ses yeux, elle n'était autre chose
qu'une faiblesse superstitieuse, et tout esprit « vraiment libre et vrai-
ment éclairé » devait s'en affranchir. Cependant il était lui-même
tellement superstitieux qu'il cherchait à deviner dans les rêveries
astrologiques de l'époque les causes de l'esprit de discorde dont son
siècle était tourmenté *.
III
Voici ce qu'Érasme prétendait avoir en vue dans tous ses tra-
vaux : mettre tous ses soins à propager en Allemagne la culture et
' Voy. Hess, t. II, p. 423.
' Voy. MuLLER, p. 196-197. — NÈVE, p. 21-23.
' Kerker (p. 562) traite ce point " avec un profond sentiment d'indigna-
tion • .
* Voy. ses lettres, Op., III, p. 405-427, ep. 380, 403. — Dans une lettre datée
du 25 mai 1527, Op. III, p. 983, ep. 8G8, il vante le bonheur des astrologues,
«qui ex astris norunt sibi dies et horas fortunatas eligere ». Les humanistes
italiens, eux aussi, se montraient d'autant plus enclins à toutes les superstitions
imaginables qu'ils s'éloignaient davantage de la religion chrétienne. — Voy.
BCKCKH.vnDT, Renaissance, p. 410-422.
<2 NOUVELLE THÉOLOGIE D'ÉRASME.
l'amour de la littérature classique et des belles-lettres, et, rattachant
ces études aux sciences sacrées, leur donner une physionomie chré-
tienne; répandre la « philosophie du Christ «; remettre en honneur
la K vraie théologie «, et pour cela se servir des nouvelles ressources
fournies par les études classiques. La révolution qu'il désirait voir
s'opérer dans la théologie ne se rapportait pas seulement au per-
fectionnement de la forme, à l'amélioration des méthodes d'en-
seignement : c'est l'esprit, l'essence même de la philosophie qu'il
prétendait réformer. La rhétorique des anciens devait remplacer les
recherches spéculatives de la scolastique, et la philosophie large et
nuancée des païens, l'impassible rigueur d'un dogmatisme renfermé
dans d'infranchissables limites. « Si Ton veut atteindre cette paix,
cette concorde qui sont l'idéal de notre religion ", disait-il, « il faut,
autant que possible, peu parler des définitions du dogme, et per-
mettre à chacun, sur beaucoup de points, un jugement libre et per-
sonnel'. T.
Cette large théologie, qu'il estimait être la seule parfaite, il la
prônait dans ses écrits et dans ses lettres, en premier lieu par son
langage chatoyant, onduleux, variant suivant les temps et l'intérêt
personnel, et si étrangement élastique que les esprits les plus positifs
comme les plus négatifs, catholiques, hérétiques et rationalistes,
peuvent invoquer ses jugements à l'appui de leurs assertions. Aussi
Luther disait-il avec raison en parlant du langage mobile d'Érasme:
« Lorsqu'on pense qu'il a beaucoup dit, il n'a, en réalité, rien dit du
tout, car on peut interpréter tous ses écrits comme on veut, et leur
faire dire tout ce qui plaît ^ » Si Érasme se préoccupait de théologie,
c'était bien plutôt dans son propre intérêt que mû par un zèle sin-
cère pour la vérité, la religion, l'Église. A son manque de con-
viction solide co^'respondait un défaut absolu de courage moral. Sa
maxime ordinaire était : « Je veux mon repos, et je me tiens le plus
possible dans la neutralité. '> 11 avouait qu'autant par politesse que
pour éviter toute dispute il employait volontiers une forme vague,
obscure, un langage poétique, et disait que la foule mêlée et igno-
' Voy. Kerker, 541 fil. — Hess, 1. 1, p. 461.— Drluimond, t. II, p. 182. — Érasme
loue sa hardiesse en ces termes : - Theologiam nimiiim ad sophisticas argutias
delapsam, ad fontes ac priscam simplicitatem revocare conatus sum... • « Ad
puriorem Christianismum orbeni ceremoniis pêne judaicis indormientem exper-
gefeci. . Op., III, 1727. App., ep. 345.
- Voy. Hess, t. II, p. 453. — ^ Le oui et le "o«, le pour et le contre, se heurtent
dans ses écrits •, dit fort justement Dirand de Laur (t. II, p. 546^ « Comme
écrivain religieux, trois choses lui ont manqué : la fermeté et la vivacité de la
foi, la rigueur de l'esprit théologique, les élans du mysticisme chrétien qui
ravissent l'âme et l'unissent à Dieu » (t. II. p. 561). — Les chapitres dans les-
quels l'auteur traite d'Érasme comme écrivain théologique forment la partie la
plus remarquable de son livre.
NOUVELLE THÉOLOGIE D'ÉKASME. 13
rantedu peuple < ne peut être maintenue dans les bornes de son de-
voir sans être de temps en temps abusée par un pieux mensonge ' ».
11 proclamait hautement, chaleureusement, la ferme volonté où il
était de ne jamais se séparer de l'Église calholique; et cependant,
longtemps avant Luther, il mettait en doute la divine institution de
l'Église et de son chef, et s'exprimait d'une manière dubitative sur
beaucoup d'autres dogmes ^
« Celui qui approfondit tes ouvrages », lui écrivait Albertus Pius,
prince de Carpi, « et ne se laisse pas aveugler par la beauté de ton
style et la richesse de ton langage (comme ces gens auxquels la belle
apparence d'un fruit fait passer sur son peu de saveur), celui-là est
contristé de te voir discuter souvent des points de doctrine que
l'Église a depuis longtemps définis, enlever aux vénérables sacre-
ments le respect qui les entourait, et toucher sans déférence à l'in-
stitution du Saint-Siège. On est scandalisé du sans gène avec le-
quel tu parles des saintes cérémonies du culte, et des mordantes
railleries dont tu cribles les moines et les Ordres religieux. » « Tu as
dit ouvertement que dans les temps anciensla puissance du Pape n'était
ni reconnue ni active; que les évéques n'avaient pas de rang plus élevé
que les autres prêtres, et que le mariage n'était pas compté parmi les
sacrements proprement dits. C'était bien imprudent à toi de louer le
mariage aux dépens du céUbat, de blâmer la liturgie ecclésiastique et
les pratiques de dévotion, et d'en parler avec mépris comme étant d'in-
stitution humaine! iS'as-tu pas éveillé ainsi chez les hommes faibles
et frivoles l'idée que toutes ces choses sont sans valeur et n'ont au-
cune efficacité? Des opinions si légèrement émises ne les portent-
elles pas au mépris de toutes les vérités de notre sainte religion ^P »
■ Voy. ce passage et d'autres analogues dans Stichart (p. 295-301). . Ousedara
inter se fatentur theologi, quae vulgo non expédiât efferri... Non hic adducam,
quod Plato perspexisse videlur, multiludinem promiscuain et imperitam non
posse contiueri in officio, nisi nonnumquam fuco doloque bono fallatur. • Op.,
III, 596, ep. 547. « Non omnes ad inartyrium satis liabent roboris, vereor
autem, ne si quid insiderit tumultus, Peirura sira iinitatiirus. • 5 juillet 1521,
Op., III, 651, ep. 583.
- Voy. Stighart, p. 234-267. — Drummond, t. I, p. 319-322, et t. II, p. 162, 182-
186, 310. — FelgÈcie, p. 236-240.
' Voy. Hess, t. I, p. 490-493. Petrus Canisius, dans l'introduction de son éài-
lioQ des lettres de saùa Jérôme, dit fort justement à propos d'Érasme iDiilingen,
1565) : • Il s'est acquis d'indiscutables mérites dans les belles-lettres; mais
quant à la théologie, ou il aurait dû la laisser complètement de côté, ou la trai-
ter avec plus de réserve et de loyauté. Il critique les Pères, les scoias-
tiques, les écrivains théologiques d'une manière si tranchante et si rude que
personne avant lui n'avait été aussi loin dans ses reproches injurieux. Pour
lui, il ne pouvait souffrir aucune contradiction. • « Mais il n'a pas plus de
crédit auprès des bien pensants qu'auprès de la plupart des malintentionnés.
Dans ses écrits, il se montre plus préoccupé du mot que de la chose. » « Personne
n'a plus profondément ébranlé la réputation d'Érasme, qu'Érasme lui-même. •
— Dans son ouvrage De .Maria Virgine incoOT2)ara6iYi(Ingolstadt,1577), Canisius fait
a NOUVELLE THÉOLOGIE D'ÉRASME.
Mélanclilhon désigne Érasme comme é(ant le premier et le véritable in-
stigateur de la dispute qui éclata plus tard à propos de l'Eucharistie '.
11 est certain que plusieurs de ses plus intimes amis, Wolfgang Fa-
bricius Capito, Conrad Pellicanus et d'autres, parlaient ouvertement
dès 1512 du ' mensonge de la transsubstantiation », et qu'ils se ran-
gèrent plus tard au parti de Zwingle. Zwingle comptait lui-même
parmi les admirateurs personnels d'Erasme *.
Érasme propose sérieusement la révision de tous les points de
doctrine définis depuis longtemps par l'Église. Il prétend apercevoir
dans les débats, les querelles et les décisions doctrinales de la période
christologique, les premiers symptômes d'une corruption qui, selon
lui, alla toujours ens'accentuant dans l'Église. L'Église, à l'entendre,
avait dès lors perdu « son antique simplicité évangélique >• . A partir de
ce moment, la théologie était devenue la servante d'une philosophie
subtile, et celle-ci, dégénérant à son tour, avait engendré la scolas-
tique. Cette dernière école avait détruit l'intégrité de la doctrine
évangélique et abaissé les mœurs chrétiennes. Pendant tout le cours
de sa carrière littéraire, Érasme ne se lassa jamais d'attaquer la sco-
lastique avec une amertume incomparable, combattant sa méthode
spéculative, son enseignement théologique, livrant ses représen-
tants au sarcasme et au mépris de tous^ « Depuis qu'elle règne
parmi nous ", disait-il, " le judaïsme et le pharisaïsme ont envahi
l'Église; le vrai christianisme et la vraie théologie ont été opprimés,
et la religion n'a plus consisté qu'en une sainteté de moine, en un
culte vide de sens, y
Le mépris du moyen âge, invariablement appelé dans ses écrits un
temps de ténèbres, d'esclavage intellectuel; les récriminations sur la
sophistique dans la science, sur une sainteté tout extérieure, tout
remarquera plusieurs reprise s (voy. p. 345. 367, 601-603, 716-717) la frivolité et
l'immoralité du style d'Érasme, tout en admirant (voy. p. 600-601) " son instruc-
tion étendue, sa riche connaissance de la langue latine, l'abondance aisée de
son style, et son éloquence rare, digne de l'admiration de tous les temps ».
Mais comme on l'a déjù dit souvent : • übi Erasmus icnuit, illic Lutherus
irruit •; en d'autres termes, Luther a couvé les œufs qu'Érasme a pondus.
Toutefois il existe de profondes différences entre ces deux hommes.
' • Tota illa tragœdia Tiepi Scïttvou ypta oj ab ipso (Erasme) nata videri
potest », écrit Mélanchthon à Camerarius le 26 juillet 1529. Corp. Reform., t. I,
1083.
'Voy. GiESELER, 3 a., 130 fil. — Voici comment le légat Aléandre jugeait
Érasme en 1521 : - Ha scritto peggio che Luther contra la fede... lo sempre ho
saputo che Erasmo erat fomes omnium malorum et che iui subvertea la Fian-
dra et il tratîo del Rheno. • Voyez ce rapport dans Balan, p. 100-101; voyez
aussi p. 55, 79-81. Érasme lui-même écrivait à Zwingle, le 31 août 1521 : " Videor
mihi fere omnia docuisse, quae docet Lutherus, nisi quod non tam atrociter,
quodque abstinui a quibusdam senigmatibus et paradoxis. » Zwingle, Op., VH,
p. 310.
' Voy. les passages cités par Hess, t. I, p. 59-60. — Müller, p. 165, 229.
NOUVELLE THÉOLOGIE D'ÉRASME. 15
cela date d'Érasme et de son école, et devint plus tard l'héritage
des prétendus réformateurs. Pendant de lon[yues années, Érasme
couvrit du prestige de son savant renom tous les quolibets, toutes
les calomnies entassés contre la culture du moyen âge, l'influence de
rÉglise et la tradition des écoles de philosophie chrétienne.
Son Elocje de lafnUc\ publié pour la première fois en 1509 et mul-
tiplié parsept éditions en l'espace de peu de mois, contribua surtout
àjeter le discrédit sur l'Église. Érasme, en cet ouvrage, met en scène
la personnification delà Folie. Celle-ci nous vante les services qu'elle
a rendus à l'humanité, et dans les cla.sses sociales, qu'elle passe en
revue touràtour,admirece qu'elles ont précisément de répréhensible.
Quand le prince de Carpi reprochait à Érasme les semences funestes ré-
pandues par cette satire S lorsqu'il constatait sa désastreuse influence,
il n'entendait pas le blâmer d'avoir censuré sévèrement les abus, les
vices du clergé régulier et séculier, l'accumulation des bénéfices
ecclésiastiques, les prélats belliqueux, les pieuses coutumes changées
en pratiques superstitieuses : il l'accusait d'avoir attaqué la cause
même que ces abus déshonoraient. Dans les écrits et les discours
d'Erasme, jamais la juste douleur d'un Sébastien Brant ou d'un
Geiler de Kaisersberg ne se fait jour. Ce qui y domine, c'est le sar-
casme et le mépris. Érasme y confond avec insouciance et légèreté
ce qui est saint et ce qui est vulgaire; il tombe dans la frivolité, et
souvent même dans le blasphème.
VEloge de la folie peut être regardé comme le prologue de la
grande tragédie théologique du seizième siècle'.
La piété populaire nous y est représentée comme complètement
corrompue, la vie monastique comme n'offrant qu'un christianisme
dégénéré, et la scolastique comme une théologie abâtardie. Quant
aux papes, Érasme leur adresse des injures si violentes, que dans
les âges suivants les ennemis de Rome eurent peu de choses à y
ajouter^. Aucun écrivain antérieur n'a plus qu'Érasme miné en Alle-
1 Moriœ Encomium, id est siuUiiiœ Laus, dans le quatrième livre de l'édition com-
plète de ses œuvres publiée à Leyden. Il existe une bonne édition portative des
CoUoquia /amiliaria,Leipzi[ç, 1829. Voy. sur cet ouvrage Duk.vnd de Laur, t. II,
p. 89, 199-205, 290-298, 301. — FelgÈre, p. 302-306, 340-341. — Drlmmond (t. I,
p. 194-195) fait remarquer qu'un passage très-peu orthodoxe se trouve dans les
éditions parues postérieurement à 1515. Pendant la vie d'Érasme, le manuscrit
en fut reproduit au moins vingt-sept fois. Dans ses remarques sur le Nouveau
Testament, Érasme dirige contre la constitution de l'Église des attaques ana-
logues : • In fact the Encomium Moriw was hère repeated, only in a somewhat
more serious form •, dit à ce sujet Drummond, t. I, p. 319.
* Voy. Hess, t. I, p. 493.
^ Voy. FelgÈre, p. 341.
* Il dira, par exemple, en parlant des papes : • Lorsqu'il y a quelque besogne
à faire, ils en chargent saint Pierre et saint Paul ; mais la considération et les
jouijssances de leur charge, ils les gardent soigneusement pour eux. Ils pensent
avoir satisfait parfaitement à Jésus-Christ et s'être montrés véritablement
16 ÉRASME ET L'ÉCRITURE SAINTE.
magne le respect dû au Siège apostolique. Personne avant lui, abu-
sant de la sainte Écriture, n'y a trouvé prétexte à de plus burlesques
jeux d'esprit'.
Toutefois il professait le plus profond respect pour la Bible, et pré-
tendait voir en elle « l'unique source de la foi chrétienne » ; il répé-
tait que la théologie, si elle voulait renaître, devait être uniquement
rattachée à la sainte Écriture, « et conseillait à tout chrétien d'avoir
constamment la Bible entre les mains ». « Je souhaite », écrit-il en
1516 dans l'avertissement au lecteur qui précède sa traduction du
Nouveau Testament, « que toutes les femmes lisent les Évangiles et
les épitres de saint Paul. Je voudrais que ces livres fussent traduits
dans toutes îes langues et devinssent familiers aux Écossais, aux Irlan-
dais, aux Turcs et aux Sarrasins; je voudrais que les paysans derrière
la charrue, les femmes assises devant leurs métiers à tisser, les lussent
et chantassent leurs louanges. Je souhaiterais que les voyageurs abré-
geassent la longueur du chemin par les récifs bibliques. Lire la
Bible, c'est le premier degré qui conduit à l'intelligence de la Bible. »
« iMème en admettant », ajoutait-t-il, « que beaucoup y trouvent à
rire, quelques-uns, du moins, en seront touchés. » Il est injuste « que
les vérités de la foi soient exclusivement réservées à'cette caste fermée
que le grand nombre appelle maintenant théologiens et religieux,
et parmi lesquels, bien qu'ils ne forment que la plus petite par(ie du
peuple chrétien, tant d'individus sont si loin de mériter ces noms* ».
Le libre examen des saintes Écritures, tel qu'il était usité chez les
évoques lorsqu'ils paraissent revêtus de leurs ornements mystiques et presque
de théâtre, qu'ils accomplissent les cérémonies, nous prodiguent leurs béné-
dictions ou leurs anathèmes, et se font appeler Votre Sainteté et Votre Béa-
titude. Ils sont d'avis que les miracles sont surannés, passés de mode, et ne
correspondent plus bien aux idées actuelles. Enseigner le peuple est trop rebu-
tant ; expliquer la sainte Écriture n'est que pédantisme d'école. La prière? Oui,
quand ils ont le temps. Us n'ont d'autre occupation que d'exercer par la pro-
scription la puissance qu'ils s'approprient d'anathématiser, de fulminer ces épou-
vantables excommunications par lesquelles d'un seul geste ils peuvent encore
précipiter dans l'enfer les âmes des mourants. • Moriœ Encomium dans l'édition
portative de Leipzig, p. 378-379.
' Voy. Stichakt, p. 249-251. — Mlller, p. 234-235. — Drummond lui-même, qui
partage les idées rationalistes d'Érasme, dit à ce sujet (t. I, p. 200) : • The free
way in which Scripture is handled, and even the most sacred names introduced,
while it shows certainly great want of taste, if not even want of révérence,
migbt reasonably hâve given offense to persons who were neither supersti-
tions nor very bigotted. • Les sympathies de Drummond pour l'Église catho-
lique sont du reste suffisamment démontrées à la p. 338, t. II, à l'endroit où il
raconte la mort d'Érasme, qui, comme on le sait, ne reçut point les derniers sa-
crements : « It was better so. There would hâve been a stränge incongruity in
the présence oipriesdy mummeries round the death bed of Erasmus. •
- Dans le Paradesis ad leciorem pium de l'édition du Nouveau Testament de 1516.
Hess, t= I, p. 212 b.
ÉRASME ET L'INTERPRETATION DE L'ECRITURE. 17
« Frères de Bohême' », malgré la réprobation de l'Église, a rentier
assentiment d'Érasme. Lorsque les Frères lui font parvenir l'une de
leurs nombreuses professions de foi, fondée sur une interprétation
toute nouvelle de la sainte Écriture, Érasme4es félicite surleurexacte
connaissance de la vérité. « Il approuve pleinement leur ouvrage ",
leur écrit-il, et « il attend des travaux qu'ils préparent » la même
rectitude de jugement. Les Frères auraient souhaité qu'il leur
donnât un témoignage public d'approbation, mais il s'y refusa.
« Cela ne leur servirait à rien auprès de leurs ennemis ", leur assurait-
il, « et ses propres écrits, à lui, Érasme, courraient ensuite le risque
d'être taxés d'hérétiques, au grand préjudice de la religion épurée;
on les arracherait des mains des fidèles de par l'autorité du Saint-
Siège, et il valait beaucoup mieux qu'il gardât le silence, afin de
conserver sans amoindrissement son influence et sa considération,
qu'il voulait mettre entièrement au service de tous^ ».
Sa propre interprétation de l'Écriture était entièrement ratio-
naUste. 11 réclamait une explication spirituelle, ou, comme il le dit,
allégorique, des récits bibliques; mais cette allégorie était bien dif-
férente de celle dont s'étaient constamment servis les Pères de
l'Église. Ceux-ci, dans leur mysticisme plein de foi, avaient toujours
respecté le sens littéral, ne cessant de le regarder comme inspiré
et divin; au lieu qu'Érasme entend expliquer l'Écriture, non d'après
•ce que les mots expriment, mais d'après les vérités et les idées
qui, selon lui, sont sous -entendues par le texte. En un mot, il traite
les récits bibliques comme les fables de la mythologie. « Si tu lis
la Bible sans allégorie », lisons-nous dans le Manuel du soldat du Christ,
« si tu lis, par exemple, que le corps d'Adam a été formé du limon de
la terre, que son âme a été créée par un souffle divin, qu'Eve a été
tirée d'une des côtes de l'homme, qu'il fut défendu à nos premiers
•parents de manger de la pomme, puis que le serpent les a tentés;
•que Dieu se promenait dans l'Éden, que les coupables se cachèrent à
sa voix, qu'un ange au glaive de flamme fut placé à l'entrée du Paradis ,
qu'Adam et Eve, proscrits, n'y purent jamaisrentrer; si tu lis tout cela
en n'ayant égard qu'à l'écorce, je ne vois pas que tu fasses quelque
chose de plus utile pour ton âme que si tu racontais l'histoire de la
statue de terre de Proraéthée, et le feu du ciel ravi pour donner la
vie à la poussière. Peut-être même est-il plus profitable de lire les
fables du paganisme avec des allégories que de se nourrir des récits
de la sainte Écriture en restant attaché à la lettre. Quelle différence
y a-t-il entre les livres des Piois et des Juges et les récits de Tite-
' Voy. le premier volume de cet ouvrajje, p. 581.
* Voy. GiNDELY, Gesch. der böhmischen Brüder, t. I, p. 148-H9.
H. 2
18 ÉRASME ET L'INTERPRETATION DE L'ECRITURE.
Live, si tu n'as égard à l'allégorie? On peut même dire que dans Tite-
Live on trouve beaucoup de choses capables d'améliorer les mœurs,
au lieu que dans la Bible, grand nombre de pages peuvent scanda-
liser, comme par exemple celles où sont racontés les ruses de David,
l'adultère acheté par un assassinat, l'amour coupable de Samson ', etc.
Presque tous les livres de l'Ancien Testament offrent souvent des
pages choquantes, soit par l'apparente absurdité de l'histoire qu'ils
rapportent, soit par l'obscurité de l'énigme qu'ils proposent. Le Nou-
veau Testament, lui aussi, est incompréhensible en plus d'un passage.
Lorsque Jésus, par exemple, prédit la ruine de Jérusalem, la fin du
inonde et les persécutions qui attendent les Apôtres, il confond et
mélange tellement ses discours, qu'il semble avoir voulu rester
obscur, non-seulement pour les Apôtres, mais pour nous. Beaucoup
d'autres textes sont, à mon sens, inexplicables, par exemple celui
sur le péché irrémissible contre le Saint-Esprit. - D'autres se laissent
expliquer allégoriquement; ainsi le feu dont il est parlé dans la
sainte Écriture n'est autre chose que '^ la colère et le châtiment de
Dieu ». Cette flamme qui torture le riche de l'Évangile, « c'est l'indi-
gnation du Seigneur; il n'existe pas d'autres châtiments dans l'en-
fer, en dépit de toutes les imaginations des poètes, et les tourments
éternels ne sont autre chose que cette torture d'âme qui accompagne
constamment les coupables^ «. « Érasme. a la hardiesse », dit fort
justement le docteur Jean Eck dans ses Commentaires sur le Nouveau
Testament, « de corriger l'Espril-Saint, le Maître même des Apôtres. »
« Tu prétends >-, écrivait-il à Érasme, - que les évangélisfes se sont
trompés. Aucun chrétien n'admettra jamais une pareille hypothèse!
Loin de nous de supposer seulement la possibilité d'une semblable
erreur! Comment les disciples du Saint-Esprit et de Jésus, notre
Rédempteur, comment les colonnes de notre foi, les hommes qui
n'ont pas été enseignés par la sagesse humaine, auraient-ils pu se
tromper ? Si tu compromets, à propos des Évangiles, le respect dû à
la sainte Écriture, quelle autre partie de la Bible sera désormais à
l'abri du doute ^? •'
Que les auteurs des saints Livres aient été en général « inspirés
par le Saint-Esprit >', et qu'ils aient suivi cette divine impulsion,
' Voy. cette opinion d'Érasme et d'autres analogues dans Hagen, Deutschlandt
literarische V erhüll nisse, t. I, p. 307-318. Voy. aussi Dra'MMOND, t. I, p. 293.
- Nec alla est flamma in qua cruciatur dives ille cominessator evangelicus;
nec alla supplicia' inferorum... quam perpétua mentis anxietas, quae peccandi
consuetudinem comitatur. " Voy. Stichvrt, p. 242-244, 266-267.
' « Audi, mi Erasme, arbitrari.^ne Christianum patienter laturum Evangelis-
tas in Evangeliis lapsos? Si hic vacillât sacra' Scripturœ auctoritas, quse pars
alia sine suspicione erroris erit? " Lettre du 2 février 1518, in Erasmi Op., III,
p. 296-297, ep. 303.
MÉTHODE D'ENSEIGNEMENT ET MORALE D'ÉRASME. 19
Érasme ne le niait point; mais il admettait également une sorte
d'inspiration chez les grands auteurs païens; selon lui, les maximes
qu'ils nous ont léguées sont si pleines de sagesse qu'elles les ont
rendus dignes d'être mis en parallèle avec les saints de l'Église chré-
tienne. « 11 est vrai que le premier rang doit être laissé aux saintes
Écritures ", lisons-nous dans ses Enlreliens JamUiets ; ^ mais je
découvre souvent dans les auteurs païens, même chez les poètes, des
pensées si pures, si saintes, si divines, que je suis persuadé qu'un
esprit divin a guidé la plume de ces hommes. Je ne puis lire les
traités de Cicéron sur la vieillesse, sur l'amitié, sur les devoirs de
l'homme; je ne puis lire ses Tnsculanes, sans baiser avec respect les
pages de mon livre, et sans rendre hommage au cœur vraiment reli-
gieux que Dieu même inspirait. Lorsque j'ai en main, au contraire,
les écrits moralistes de notre temps, que tout m'y parait froid! «
« C'est à peine si je puis m'empécher de dire : Saint Socrate, prie
pour nous! » " Souvent je me persuade que les âmes de Virgile et
d'Horace ont été sanctifiées '. »
Mais s'il avait été donné aux païens d'atteindre à la sainteté, pour-
quoi, alors, les rudes austérités delà pénilence chrétienne? pourquoi
l'observance des conseils évangéliques, les Ordres religieux? pour-
quoi le jeune, les pèlerinages et autres pratiques de dévotion? Jésus-
Christ, modèle achevé de toute perfection, être parfait, exemplaire
unique et vivant de la plus pure vertu, n'avait pas ordonné le jeûne;
il s'y était plutôt montré opposé, ainsi qu'à d'autres prescriptions; le
jeûne était donc une invention humaine, et même une tyrannie-.
La « philosophie du Christ - qu'Érasme voulait répandre n'était
au fond que la morale facile d'un homme du monde, sans reproche
aux yeux de la sagesse humaine. Dans ses Entretiens familiers,
auxquels il travaillait encore en sa vieillesse, et qu'il regardait comme
une oeuvre d'une importance capitale au point de vue de l'éducation
' • Miilti sunt in consortio sanctorum, qui non sunt apud nos in catalogo...
Proinde quuni huiusraodi quœdara lego de talibus viris, vix mihi terapero quin
dicam : Sancte Socrates, ora pro nobis. At ipse mihi sa^penumero non tera-
pero, quin bene ominer sanctae animae Maronis et Flacci. « Colloquia famiUaria,
dans le Com-ivium religiosum d'après l'édition portative de Leipzig], p. 122, 126.
— Les humanistes italiens avaient depuis longtemps imaginé un paradis païen
où les héros de l'histoire et des lettres éclipsaient les saints du christianisme.
Voy. BuRGKHAUDT, Renaissance, p. 4i6. — Érasme avait aussi inventé un paradis
païen. Dans ses Apolkeosls Capnionis, de incomparabili hcroc Joanne Reuchlino in
divorum numcrum relato ip. Hl-147 , il place Reuchlin au nombre des saints, et
l'invoque comme le patron de la philologie, sécriant : " 0 sancta anima, sis
felix linguis, sis felix linguarum cultoribus, faveto Unguis sanctis, perdito
malas linguas, infectas veneno yehennse. " iP. 147.)
* Voy. H.VGEN, Deutschlands literarische Verhcdtnissc, t. I, p. 320. — MuLLER,
P. 236, 265. — Drummo.nd, t. I, p. 321. — Hess, t. I, p. 233.
2.
20 PHILOSOPHIE D'ERASME.
chrétienne, Érasme affirme que cette éducation consiste surtout dans
Tacquisition d'une culture délicate, dans Tobservance exacte des con-
seils suggérés par le bon sens, et dans l'emploi de tous les moyens que
nous fournit la prudence humaine pour vivre honorablement. « 11
dit et enseigne dans ses Entreliens ■■, dit Luther, « beaucoup de choses
impiesqu'ilprêteà des personnages fictifs, dans le dessein prémédité de
combattre l'Église et la foi chrétienne. >i Le livre des Entretiens, destiné
surtout à la jeunesse, contient néanmoins les railleries les plus acérées
contre les moines, la vie religieuse, les jeûnes, les pèlerinages, etc.;
on y trouve même quelques passages lascifs'. Il était impossible à
Érasme, même quand il offrait au public des remarques sur la sainte
Écriture, de dissimuler entièrement une lubricité de faune*.
Voici l'abrégé de sa philosophie : « La sagesse humaine doit régler
notrevie. Puisquenousne pouvons éviterlamort,ilnous faut l'accepter
avec résignation. " Dans son traité sur le Mépris de la mort, où il s'ef-
force de consoler un père de la mort de son fils, âgé de vingt ans, il cite
différents passages tirés des poètes païens sur la rapidité et la misère
de la vie; nous y retrouvons le célèbre axiome : « Ce qu'il y a de pré-
férable, c'est de ne pas naître; ensuite, c'est de disparaître le plus tôt
possible de cette vie. » " Oui pourrait ", ajoute Érasme, ' ne pas donner
son entier assentiment à cette maxime? » « Le sage doit tout sup-
porter avec un courage plein de sérénité. Le deuil ne sert de rien
aux morts, et nuit beaucoup aux vivants. " Ce n'est que vers la fin
du traité qu'il place quelques réflexions où Ton peut trouver un
semblant de christianisme : " Après m'être servi jusqu'ici de tout
ce que j'ai pu recueillir dans les auteurs païens de plus propre à vous
consoler, je veux maintenant vous expliquer en peu de mots ce que
la piété et la foi chrétienne demandent de vous. » Lesphrasessuivantes
doivent donc passer à nos yeuxpour chrétiennes : « Tout en admettant
que la mort soit affreuse, nous devons néanmoins nous en accom-
' " ]\'a-t-on pas lieu de s'alarmer », dit Kellner {Erzickungsgesckichte, t. I,p. 238-
240), - lorsque dans un écrit destiné à la jeunesse et sorti de la plume d'un savant
et d'un prêtre, nous trouvons la conversation légère de deux femmes sur leurs
maris, les entretiens d'un amoureux avec sa belle, d'un jeune homme avec une
femme de mauvaise vie? " - Érasme, dans ce livre, fait de certains plaisirs vo-
luptueux des descriptions dangereuses, qu'il s'efforce de faire passer en les
accompagnant de conseils édifiants. • — Voy. aussi Müller, p. 240-241. Dans la
dédicace de la seconde édition de son ouvrage, Érasme affirme que bien des
gens, grâce à lui, sont devenus meilleurs latinistes et gens de meilleure vie.
Assurément la jeunesse pouvait fjire de réels progrès dans la langue latine à la
lecture de ces pages écrites d'un style si élégant, si naturel; mais qu'elle s'y
soit moralement améliorée, c'est ce qui n'est guère admissible. L'influence des
Entietiens fut énorme. Les Colloques, dit Durand de L.iUR (t. Il, p. 56), « vulgarisèrent
la Renaissance et la firent pénétrer dans l'esprit de la jeunesse ». Pour l'histoire
de la culture intellectuelle à cette époque, le livre de Laur est une mine fé-
conde. Voy. Peschek dans V Anzeiger für Kunst deutscher Vorzeit, t. III, p. 139-140.
- Voy. STICH.4RT, p. 247-248.
PHILOS Ol' Il IE D'ÉRASME. 21
iiiodcr, parce que nous n'avons aucun moyen de nous y soustraire. »
" Quand bien même elle anéantirait l'homme tout entier, il laudrait
encore l'accepter avec insouciance, puisqu'elle met un terme aux
peines de la vie! » « Quand la mort délivre l'àme, dont l'origine est si
pure, de cette grossière maison de travail et de corruption qui est notre
corps, il faut léliciter celui qui dit adieu au monde : il a retrouvé la
bienheureuse liberté. » De Jésus, dispensateur de la vie éternelle,
fondement de notre espérance, Érasme ne dit pas un seul mot'.
Telle est la « nouvelle culture », la « philosophie chrétienne », la
« science théologique épurée » que propagea cet illustre humaniste,
qui fut pendant si longtemps la première puissance intellectuelle de
l'Occident et le centre vivant de l'Europe littéraire. Ses écrits étaient
l'objet d'un enthousiasme sans exemple*. On les « dévorait » avec
une incroyable ardeur. Lui-même raconte avoir été salué des noms
de « prince de la science », de « précurseur triomphant de la vraie
théologie »,d' « étoile et de parure de l'Allemagne ^ » Lorsque, dans
l'automne de 1513, il revint d'Angleterre, son retour, regardé comme
un événement grand et joyeux pour l'Allemagne, fut célébré comme
la fête générale de tous les esprits cultivés. Dans beaucoup de villes,
il fut presque reçu en roi. Des députations allèrent au-devant de
lui, prononcèrent des harangues, lui remirent des adresses et des
présents. Ulrich Zasius lui-même était si épris des dons brillants,
de la culture variée, du latin exquis d'Érasme, qu'il l'appelait le plus
grand savant qu'ait jamais produit rAlleroagne*.
' Voy. Stich\rt, p. 264-266. — Ailleurs il s'exprime sur la mort non en
chrétien, mais en vrai disciple de la philosophie païenne. Dans une de
ses épîtres (Op., m, p. 784-787, ep. 671) il dénature complètement la juste
crainte qu'éprouve le chrétien à la pensée d'une mort soudaine et imprévue :
« Verum dictu mirum, quam vulgus execratur subitam mortem, adeo ut nihil
frequentius, nihil vehementius apud Deum et divos deprecentur quam mortem
subitaneam ac improvisam. ■■> « Da mihi, inquiunt, veram contritionem et puram
confessionera ante mortem. Et hoc petunt nonnunquam a diva Barbara aut
Erasmo. Obsecro, quid alii isti petunt, quam, liceat mihi male vivere, et da tu
bene mori. » Érasme avoue sa préférence pour une mort subite : « quam paucos
corrigit longa aegrotalio si tarnen ullos corrigit », et répète là encore la maxime
païenne : « Ab omni philosophia videtur alienus, qui miserius ducit mori natum
quam nasci moriturum. » — Feugère (p. 362-364), comparant les idées d'Érasme
avec celles de Montaigne, dit à ce propos : « C'est déjà l'esprit philosophique cher-
chant à dissiper les terreurs religieuses des derniers instants de l'homme. Érasme,
comme plus tard Montaigne, n'est pas éloigné denvier aux anciens cette mort
paisible à laquelle ils arrivaient sans chagrin, dans un état de somnolence confuse. •
* Un éditeur de Paris imprima jusqu'à vingt-quatre mille exemplaires des
Colloques. Drummo.Nd, t. I, p. 179.
^ Op. m, p. 862, ep. 746.
*« Hoc enim fateri et ex judicio possum •, écrivait-il en 1515 à Érasme,
• sexcentis et amplius rétro annis doctiorem te Germanije vel omni nunquam
contigisse. • Erasmi op., IH, 1540, /ipp. ep. 27. — Zasius s'estimait heureux
22 ÉRASME ET LE CULTE DU GÉNIE.
La jeunesse, passionnée pour les études classiques, était " transportée
d'enthousiasme » au seul aspect d'Érasme et le regardait comme un
saint : " Homme unique « , lui écrivait un jour l'humaniste Guillaume
Nesen, « tu es le dispensateur de l'immortalité! ^ Ailleurs, Nesen
nous dit « qu'il se tient aussi abaissé au-dessous du plus humble des
savants qu'Erasme est élevé au-dessus des plus éminents * •. Eoban
Hessus, Juste Jonas, Caspar Schalbe, humanistes célèbres de cette
époque, entreprenaient des pèlerinages au lieu de naissance d'Érasme.
« A travers les forêts -, rapporte Schalbe, - parmi tant de pays
infestés de maladies contagieuses, nous allons à la recherche de la perle
unique de l'univers. '- Eoban célèbre en de nombreux hexamètres
son pénible voyage, dont l'unique récompense devait être un court
entretien avec Érasme. Ce voyage, c'est le " point lumineux de toute
sa carrière >;. Conrad Mutian, chef illustre dans l'école nouvelle,
s'écriait plein d'enthousiasme : « En Érasme, la mesure habituelle
des dons humains est dépassée. C'est un être divin, et comme tel
on doit le vénérer avec religion et piété *. '
Le culte du génie, inauguré à propos d'Érasme, était une appari-
tion toute nouvelle en Allemagne. Parmi les esprits de second ordre
de la nouvelle école, il dégénéra naturellement en véritable mala-
die, et l'adulation flagorneuse des savants entre eux ne connut bien-
tôt plus de bornes. Érasme favorisa ce travers par les éloges hors
de toute proportion qu'il prodiguait aux uns et aux autres, surtout
lorsque son intérêt était en jeu, et que l'homme qu'il venait d'encen-
ser lui paraissait pouvoir servir sa gloire, et devenir comme un porte-
voix ou comme une trompette retentissante pour sa renommée.
IV
Le second résultat de l'influence exercée par Érasme sur la nou-
velle école des humanistes fut de leur inspirer un profond mépris
pour la théologie du moyen âge, en même temps qu'un enthou-
siasme exclusif pour l'antiquité païenne. Ce n'est pas sans raison
qu'on lui a reproché d'avoir discrédité l'étude de la philosophie,
d'avoir reçu une lettre d'Érasme. Cette lettre, lui écrivait-il, avait couru dans
toute l'Académie de Fribourg. Tous avaient loué Érasme, tous s'étaient émer-
veillés; Érasme était un esprit descendu du ciel. On montrait Zasius au doigt,
en disant : Voici l'homme heureux auquel Érasme, le Cicéron de l'Allemagne, a
écrit une lettre d'ami! etc. Voy. Riegger, ZasU Episi. 274.
• Steitz, .Vese7i, p. 42-44, 107.
- « Erasmus surgit supra hominis vires. Divinus est, et venerandus religiöse,
pie tanquam Numen. • Tentzel, p. 120. Krause, Briefwechsel, p. 564.
ESI' RIT DE LA NOUVELLE ÉCOLE DES HUMANISTES. 23
et d'avoir célébré comme première condition d'une haute culture la
rhétorique et le verbiage spirituel, au détriment d'une investigation
savante, approfondie et spéculative. " 11 est extrêmement facile »,
écrivait Wimpheling, « de persuader à la jeunesse, éprise de l'élo-
quence des poètes anciens, que la scolastique n'est que sophisme et
barbarie. Les jeunes gens sont bien aises de voir traiter avec dédain
une science qui leur est d'une acquisition si difficile; d'autre part,
ils aiment à entendre vanter des études qui leur sont faciles et agréa-
bles. » Déjà l'humaniste Jacques Locher, surnommé Philomusus,
exprimait le désir de voir le culte des muses remplacer les disciplines
scolastiques. « A la sainte poésie = , disait-il, = appartient le premier
rang dans toutes les sciences; les scolastiques, dans la stérilité de
leur prétendu zèle scientifique, sont à proprement parler des « ânes
théologiens », dignes de la raillerie et du mépris de tous les gens
éclairés. Ce n'est que dans les poètes que la jeunesse peut puiser un
utile aliment pour son intelligence. » A entendre Philomusus, Ovide
lui-même était chaste; il assimilait les sentences de Juvénal aux
maximes de l'Évangile *.
A partir de 1511, les plaintes sur l'abaissement et le discrédit où
la philosophie tombe de jour en jour, sur l'élude partiale et exclu-
sive de l'antiquité, sur l'orgueil présomptueux et la conduite disso-
lue des nouveaux humanistes, se font entendre de tous côtés. « La
philosophie est délaissée ", écrit Jean Cochhïus en 1512, i et cepen-
dant il faut convenir que l'étude des auteurs anciens, bien qu'elle
soit la parure de l'érudition, est certainement dangereuse pour
celui qui n'a point reçu une solide instruction scientifique. De là
vient la frivolité de certains esprits, désignés à tort par les gens
peu instruits sous le nom de poètes ; de là leurs mœurs légères, leur
vie scandaleuse et coupable. Ce sont de vulgaires esclaves de Bacchus
et de Vénus, et non de pieux prêtres de Phœbus et de Pallas -. »
' Sur Locher, voy. Stintzing, i'iiich Zasius, p. 57-60. Voy. Wiskowatoff, 148. —
Schreiber, Gesckichle der L'/iicersität Freiburg, t. I, p. 77-81. — Horawitz, Zut
Geschichte des deutschen Humanismus und der deutschen Historiographie. — .AIüLLER, Zeits-
chrift für deutsche Culiurgeschichte, nouvelle suite, quatrième année, p. 743-756.
— Parlant du peu d'honorabilité de Locher, Schreiber raconte qu'il fit un jour
surprendre et maltraiter un adversaire sans armes par huit hommes bien armés. Il
se vantait d'être très-savant latiniste, juge compétent en grec, poëte exquis, et
disait que son caractère admirable était d'une sûreté à toute épreuve. Comme
traducteur, éditeur, commentateur des auteurs classiques, Locher rendit, il est
vrai, d'éminents services à la philologie classique; mais ses mœurs étaient telle-
ment dissolues, que l'on peut à peine comprendre comment Zarncke, dans
l'excellente introduction de son édition de la Nef des fous, l'ait mis au rang de
" ces jeunes lutteurs que l'esprit universel de progrès avait réunis sous la
bannière de Sébastien Brant - .L'infatuation sans réserve de Locher pour lui-
même et sa conduite iiiiinorale font de lui le précurseur d'LIrich liuUen.
* Voy. Otto, p. 2G. In des hommes qui les premiers combattirent les exagé-
24 ESPRIT DU NOUVEL HUMANISME.
Les « poètes », comme étaient communément appelés les nouveaux
humanistes, en vinrent enfin à un fanatisme si exalté, et s'éprirent de
telle sorte de l'antiquité classique, qu'ils se mirent à dénigrer tout ce
qui n'était pas latin ou grec. Tout eu eux, pensée et langage, démentit
leur origine allemande; ils finirent par perdre tellement le sentiment
de leur nationalité avec toutes ses traditions que, tout honteux de
leurs noms germaniques, ils s'en forgèrent de nouveaux tirés du latin
ou du grec. Un Schuster devient un Sutor, ou Sutorius. Un Fischer se
transforme en Piscator. Un Schneider s'appelle Sertorius ; un Pierre
Eberbach, Petrejus; un Hans Jäger, d'abord Venator, se change en
Crotus Rubianus.
K Lorsqu'il s'appelait encore Jäger von Dornheim », écrivait à
Crotus son ami Conrad Mutian, « les scolastiques lui plaisaient; le
saint docteur, l'irréfutable docteur, le pénétrant docteur lui agréait
fort; mais depuis qu'il a pris une nouvelle naissance, et que Jäger
von Dornheim est devenu Crotus Rubianus, il a perdu ses longues
oreilles et sa queue d'âne, semblable à Apulée lorsqu'il reprit sa
forme humaine. » « Salut et gloire à toi! Tu as échappé aux récifs et
aux sirfes! Maintenant que tu es au port, comprends-tu combien sont
à plaindre ceux qui ne se sont pas encore affranchis de la barbarie '? »
Quant aux " vieux barbares», plongés dans leurs subtilités dialec-
tiques et scientifiques, les nouveaux humanistes les méprisaient pro-
fondément, parce qu'ils ne comprenaient pas le latin classique et ne
faisaient point de vers latins comme eux.
La plupart d'entre eux ne se piquaient que de versifier. Incapables
de pénétrer profondément dans l'esprit des anciens, mettant la
forme bien au-dessus du fond, regardant l'élégance du langage
comme le but suprême de toute culture, ils ne cherchaient à s'appro-
prier que la beauté extérieure de la forme antique. La puissance
créatrice, la vérité intrinsèque, la profondeur de pensée, la sève,
l'imagination, irisaient totalement défaut aux innombrables « hauts
faits poétiques » dont ils étaient si fiers, et pour lesquels ils se trai-
taient mutuellement de modernes Horaces, de Virgiles, de vainqueurs
de l'antique barbarie, et de restaurateurs du véritable bon goût -.
rations de l'humanisme ;\ cette époque, c'est Conrad Saldner, professeur de
théologie à l'Université de Vienne. Voy. sa correspondance avec le patricien
d'Augsbourg Sigismond Gossembrot, publiée par W. Wattenbach dans la
Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, t. XXV, p. 36-69.
' Voy. Tentzel, p. 151-1G2. — Krause, Briefwechsel, p. 382-383, Nr. 310. — La
quantité de noms dont s'affublaient les savants est vraiment divertissante. Un
humaniste d'Erfurt te fait appeler Publius ligilamius BaciUarius Axuagia ârbiila. V
ajoute encore à ces noms celui de Trabotus (Kampschülte, p. I, p. 66, noie 2j.
Eoban, Hessois de naissance, fils d'un cuisinier, se contente de trois noms :
Helius{en sa qualité de favori du Dieu Soleil) Eobanus Hesstts.
^ • Le sujet des compositions des humanistes de ce temps » , dit Paulsen (p- 29),
LES NOUVEAUX HUMANISTES ET LEURS ECRITS. 25
Combien fades et vides sont, par exemple, les trois cents hexa-
mètres où riiumaniste Hermann van dem Busciie chante la « sainte
Cologne ') ! Les fleurs de rliélorique et les rémiHJscences classiques
forment la majeure partie de son poëmc. Tous les dieux de la
mylhologie sont invités à glorifier la ville. Parmi eux, le Christ est
nommé une seule fois, et comme en passant. L'ouvrage ne nous fournit
peut-être pas un seul renseignement intéressant sur la physionomie
delà ville ' à cette époque. ViClocje de l'Université cl' Erfurt, par Eoban
Hessus, est tout aussi dépourvu d'intérêt et de goiït. La ville y est
célébrée comme le séjour des Muses, le lieu de naissance de Pallas; la
bruyante Gera est transforméeen Triton. Dieux et demi-dieux cèdent
leurs noms aux professeurs d'Erfurt. L'humaniste Mutian est porté
aux nues sous le nom de Minos. Quani à Eoban, sa gloire ne le
cède en rien à celle d'Homère. Son poème, s'il faut l'en croire, assure à
Erfurt un renom immortel. Ainsi l'Iliade immortalisa Troie*. S'il adve-
nait jamais qu'une catastrophe imprévue détruisit Erfurt, le poème
d'Eoban la ferait vivre éternellement dans la mémoire des hommes.
Lorsqu'ils entreprennent de traiter quelque sujet chrétien, rava-
lant les choses saintes jusqu'à les faire servir de prétexte aux plus
fades jeux d'esprit, les « poètes " se montrent encore plus destitués
de goiit, plus loin du sentiment juste des choses. Eoban, dans ses
Héroïdes chrétiennes (1514), nous offre les épitres amoureuses des
saintes femmes du Nouveau Testament. Ces épitres ont eu celles
d'Ovide pour modèles. Sainte Marie-Madeleine correspond avec Jésus-
Christ, Dieu le Père avec la Vierge Marie. On ne peut lire sans dégoût
des élucubrations de ce genre. Cependant Érasme se montre ravi de
l'ouvrage, et, plein d'admiration, salue dans Eoban >< l'Ovide de l'Al-
lemagne, le seul génie capable d'affranchir son pays de la barbarie ' » .
Les « poètes " faisaient preuve d un matérialisme révoltant dans
leurs nombreuses et indécentes imitations des auteurs erotiques de
l'antiquité. Conrad Celtes les avait précédés dans cette voie; ses pein-
tures indécentes laissaient Ovide bien loin derrière lui; du reste, il
s'en vantait, affirmant que ces trop réalistes tableaux préservaient la
jeunesse des périls d'un sensualisme effréné'. Sous le même faux
• n"est souvent qu'un mannequin servant à draper un élégant attirail. » Voy.
aussi la page 34 du même ouvrage.
' Voy. A. Reichensperger, index 3 fil. Liessem, Hermann van dem Büsche, Pro-
gram des Kaiser ll'il/ielm Gymnasius in Coin (18851, p. 34.
- Voy. SCHW ERTZELL, p. 8. — KAMPSCHULTE, t. I, p. 71-72.
» Voy. ScHWEPxTZELL, t. XVI, p. 28-29. — Voy. la lettre de M. Huramelberger
j du 24 janvier 1516 dans Horawitz, Zw Biographie BeuclUin's, p. 31. — Sur Eoban
i considéré comme poëte, L. Geiger a fait un excellent article de critique. Neue
Schriften, p. 124.
* Dans le Libri Amorum. Voy. AschbaCH, Wiener Humanismus, p. 227-247. — On
avait déjà vu çà et là dans les écrivains contemporains s'affirmer des tendances
26 LES NOUVEAUX HUMANISTES ET LEURS ÉCRITS.
prétexte, beaucoup d'humanistes mettaient entre les mains des
jeunes gens les œuvres les plus licencieuses.
" Peux-tu nier », écrit le prince de Carpi à Érasme, " que chez vous
ainsi qu'en Italie (et cela depuis déjà longtemps), partout où les
prétendues belles-lettres sont cultivées avec une ardeur exclusive,
partout où les disciplines philosophiques et théologiques d'autrefois
sont méprisées, une triste confusion ne se soit mise entre les vérités
chrétiennes et les maximes païennes? Ce désordre regrettable se glisse
partout; l'esprit de discorde s'empare des esprits, et les mœurs ne
s'accordent plus en rien avec les prescriptions morales du christia-
nisme '. »
Aux quatorzième et quinzième siècles, les humanistes italiens avaient
pris une attitude indifférente et sceptique vis-à-vis de l'Église; le
christianisme et son constant appel vers des pensées élevées ne les
dirigeaient plus en rien. Ils remplissaient l'Italie de leurs écrits dif-
famatoires. La légèreté de leurs mœurs était connue de tous. A la
science grecque il n'était pas rare de les voir mêler les vices grecs;
ils suivaient, en un mot, cette philosophie éhontée de la jouissance
à laquelle les nouvelles de Boccace avaient donné l'éveil *.
C'est un désordre semblable que l'on voyait maintenant s'intro-
duire en Allemagne. Locher, Hermann van dem Busche \ Ulrich de
Hütten ne le cédaient en rien à leurs modèles d'Italie. Eux aussi
ne se plaisaient que dans les querelles, répandaient la calomnie,
et poussaient jusqu'aux plus extrêmes excès, dans leur vie privée,
l'abandon des devoirs de la morale chrétienne. En un point même
absolument païennes. Jean Tröster publia en 1454 un dialogue erotique où les
plus indiscutables prescriptions de la morale chrétienne étaient représentées
comme niaises et surannées. Jésus- Christ y était comparé à Hercule, et la
Vierge Marie à Aicmène. Voy. Voigt, ll'iederbelehung, p. 381.
' Luciibrationes, p. 72. — Érasme lui-même écrivait à Fabricius Capito, à pro-
pos du réveil des sciences et de la philologie (26 février 1516) : « Omnia mihi
pollicentur rem felicissime successuram : unus adhuc scrupulus habet animum
meum, ne sub ol)tentu prisca' literaturse renascentis caput erigere conetur
Paganismus : ut sunt et inter Christianos, qui tutulo pêne duntaxat Christum
agnoscent, ceterum intus Gentilitatem spirant : aut ne, renascentibus Hebraeo-
rum literis, Judaismus raeditetur per occasionem reviviscere, qua peste nihil
adversius, nihilque infensius inveniri potest doctrinae Chrisli. » Op. III, p. 189,
ep. 207.
^ Les ouvrages de Voigt et de Burckhardt fournissent sur ce point des
preuves nombreuses.
3 Sur Locher, voyez plus haut p. 23, n. I. Sur Busch, voy. Liessem, p. 39-44. Il
y réfute Erhard, Gesch. des U'iederaufblühe/is wissenschaftlicher Bildung (t. III, p. 68).
— " Praetereo silentio nostrosGermanicos poêlas, qui se mutuis conviciis prope
discerpere soient », écrit Joseph Grünbeck, Hist. Frld. et Maximil. dans Chmel,
Oesterr. Geschichtsfr., t. I, p. 65. — Les paroles d'Érasme peuvent sappliquer
aussi à l'Allemagne : « ...adeoque Gratiarum cum Musis sodalitium diremtum
est, ut si qui sint inter quos conveniat, /actione potius quam sincera benevo-
lentia conglutinentur. . Op.. m, 1315, cp. 1135.
CERCLE iniUMAMSTES A EUFURT. 27
ils surpassaient les Italiens, qui n'auraient jamais pu lutter avec Eoban
Hessus, lequel élait en élat rlc vider d'un seul coup un énorme broc
de bière. Aussi élail-il célébré en tous lieux comme " un très-illustre
buveur ' ».
Ouant au friste mélange de vérités chrétiennes et de maximes
païennes dont gémissaieni tous les esprits sérieux et qu'ils repro-
chaient à bon droit aux humanistes d'Italie, on en voyait aussi en
Allemagne les plus déplorables exemples. Conrad Mutianus Rufus
et le cercle des humanistes, dont il était l'âme à Erfurt, en étaient
surtout responsables.
Parmi les universités de l'Allemagne du Nord, Erfurt s'était de
bonne heure distinguée par son zèle pour les études classiques. Les
lettres et les sciences y avaient pris le plus heureux essor, grâce au
soutien que leur avaient prêté les trois plus éminents professeurs de
r Université : les théologiens .lodocus Truttefetter d'Eisenach, Bar-
thélemi Arnoldi Usingen, et le légiste Henning Goede. C'est à ces
hommes que la haute école d'Erfurt avait dû l'éclat dont elle brilla
durant les dernières années du quinzième siècle. Leur fidélité à la
foi catholique leur attira des injures et des calomnies de plus d'un
genre au début des querelles religieuses; mais avant ces lamentables
troubles, ils avaient entretenu les rapports les plus affectueux avec les
principaux représentants de l'humanisme. Maternus Pistoris et Nicolas
Marschalk étaient de leurs amis. Ces derniers, dans leur enseigne-
ment, s'attachaient exclusivement à l'exphcation des auteurs antiques,
estimant que cette étude devait avoir le premier rôle dans l'éducation
de la jeunesse; mais néanmoins leurs vues étaient sages et modérées.
Ils ne réclamaient point un privilège exclusif pour l'humanisme, et,
malgré leur enthousiasme pour les classiques, ils ne prétendaient
' Voy. ScHWERTZELL, p. 13-14. - LoFsquc Eoban était à jeun, qu'il n'avait pas
encore bu », lisons-nous dans un écrit contemporain, - il y avait in vultu ejus
une superbe gravitas et modcsiia. = Pour caclier la rougeur suspecte de son nez,
Eoban emprunta un jour à l'un de ses amis la recette d'une certaine poudre,
accompagnant sa requête de ces mots : ■ Même s'il m'était prouvé que la
sobriété est nécessaire à la beauté du nez, je dirais toujours que la f ouleur
rouge m'est infiniment plus chère que la blanche. ' li s'enivrait bien souvent
même avant d'avoir déjeuné. Hier il n'a pas pu écrire, raande-t-il à son ami,
parce qu'il s'est - grisé à fond ■ ; aujourd'hui il écrit avant le déjeuner, encore
complètement à jeun, car pendant le déjeuner il pourrait bien se faire qu'il se
laissât aller à quelque faiblesse humaine. Krause, Eobanus Hesse, t. II, p. 106. —
1 Cela ne l'empêchait pas d'écrire des vers contre l'ivrognerie. Schwertzell,
p. 24, 29-30.
28 INFLUENCE ISÉOLOGIOUE DE MUTÎAN SUR LES HUMANISTES D'ERFURT.
point réformer par eux la théologie. Ils laissaient debout Tancien
ordre de choses, et ne se permettaient point de toucher aux prin-
cipes fondamentaux du christianisme '.
C'est à dater du jour où Mutian, chanoine de Gotha, entreprit de
diriger les jeunes humanistes d'Erfurt, qu'un violent amour pour les
nouveautés commença à monter à la tète des « poètes « de l'Univer-
sité. Dans un certain groupe d'étudiauts, dont faisaient partie Eoban
Hessus, Crotus Rubiauus, Petrejus Eberbach, Georges Spalatin,
Juste Jonas, Hérébord von der IMarlhen, et pendant quelques
temps Ulrich de Hütten, Mutian passait pour le « maître intègre de
la vertu ", pour le « père de la paix bienheureuse ».
Mutian, en Italie, avait été un ardent adepte du néoplatonisme,
alors si florissant en ce pays. Il admirait tout particulièrement Poli-
tien et Marcile Ficin. Il n'a pas exposé ses idées dans de savants
traités, ayant coutume de dire que ni Socrate ni Jésus-Christ n'avaient
rien laissé par écrit; mais sa volumineuse correspondance avec ses
amis ne laisse subsister aucun doute sur ses tendances, et il est évi-
dent que, pendant un certain temps du moins, il rompit complètement
avec tout christianisme positif.
Il concevait le christianisme comme la doctrine de l'humanité pure,
directement opposée au mosaisme, mais, au fond, absolument indé-
pendante des faits de la révélation.
« Je vais te proposer -, écrit-il à Spalatin, « non pas une énigme
tirée des saintes Écritures, mais une question nette et positive, que
les études profanes t'aideront à résoudre. Si le Christ est la voie, la
vérité, la vie, qu'ont donc fait tous les hommes qui ont vécu durant
tant de siècles avant sa naissance? Se sont-ils égarés? Étaient-ils
plongés dans les sombres ténèbres de l'ignorance, ou bien ont-ils
participé au salut et à la vérité? Permets-moi de t'offrir ici le secours
de mes propres réflexions. La religion du Christ n'a pas commencé
avec l'Incarnation, car elle était avant tous les siècles, comme la
première naissance du Verbe. Qu'est-ce après tout que le Christ,
qu'est-ce que le propre Fils de Dieu, sinon, comme le dit saint Paul, la
sagesse du Père? Or cette sagesse n'a pas été exclusivement dévolue
aux Juifs; elle n'a pas été reléguée dans un coin étroit de la Syrie;
elle a brillé chez les Grecs, les Italiens et les Germains, bien qu'ils
eussent des usages religieux fort différents de ceux des Juifs. Gain
offrait à Dieu les fruits de la terre, mais Abel composait son sacrifice
des plus belles de ses brebis. Quant à ce qui faisait la matière des
sacrifices d'action de grâces et d'expiation dans d'autres pays, si tu
• Pour plus de détails voy. Kampschütte, l. I, p. 27-71.
INFLÜKNCE NÉOLOGIQUE DE MUTIAN SUR LES IJUMANLSTES DERFURT. 29
le veux, tu peux en faire robjet de tes recherches. " ^ Celui des com-
mandements de Dieu qui renferme le plus de lumière pour les âmes
a deux articles fondamentaux : Aime Dieu, et Aime ton prochain comme
toi-même. Voilà le dogme qui nous rend di{}nes de parvenir au salut.
C'est la loi naturelle; elle n'a pas été taillée dans la pierre comme celle
de Moïse, ni gravée sur l'airain comme la loi romaine, ni écrite sur
du parchemin ou du papier ', mais elle a été répandue dans nos cœurs
par le Maître suprême. Celui qui goiUe de cette Cène mémorable et
salutaire dans un esprit de ferveur fait quelque chose de divin, car
le véritable corps du Christ, c'est la paix et la concorde. » Dans une
autre lettre, parlant de la fête de Pâques qui s'approche, il écrit :
« Notre Rédempteur, c'est l'agneau et le pasteur. Mais que faut-il
entendre par le Rédempteur? La justice, la paix, l'allégresse! Voilà
le Christ qui est descendu du ciel! Le royaume de Dieu n'est pas
nourriture et breuvage. » « Le véritable Christ est esprit et intelli-
gence; il ne saurait être vu de nos yeux, ^i touché de nos mains-. ■'
Ouant à la Rible, Mulian pensait que les auteurs de la sainte His-
toire avaient à dessein enveloppé toutes sortes de mystères dans des
paraboles et des énigmes. Selon lui, les évangélistes n'avaient parlé
qu'allégoriquenient, comme Apulée et Ésope. L'opinion des mahomé-
tans qui soutiennent qu'un homme ressemblant à Jésus-Christ, mais non
Jésus-Christ lui-même, a été mis en croix, renfermait à ses yeux une
profonde sagesse. La notion même de la divinité est confuse dans
l'esprit de Mutian. - Il n'y a qu'un Dieu », explique-t-il à un de ses
amis; " il n'y a qu'une déesse, mais il y a beaucoup d'êtres divins,
beaucoup de dénominations. Il y a par exemple Jupiter, ou le soleil,
Apollon, Moïse, Jésus, Luna, Cérès, Proserpine, Tellus, Marie. Cepen-
dant garde-toi bien de répandre ces choses; nous devons les enve-
lopper dans le silence, comme l'étaient jadis les mystères d'Eleusis.
Pour les questions religieuses, il faut toujours se servir du voile de
l'allégorie et du secours des énigmes.Toi,par la grâce de Jupiter, c'est-
à-dire du meilleur et du plus grand des dieux, tu méprises les dieux
secondaires avec un calme dédain. Quand je dis Jupiter, j'entends
le Christ et le vrai Dieu. Mais assez parlé de ces choses sublimes M »
' Comme les lois de l'Efjlise ?
- Voy. ce passage et d'autres dans Krause, BniiFWECHSEL, 13, 32, 35, 53, 93, 111,
466. — Voy. Hagen, Deutschlands literarische lerhültnisse, t. I, p. 323-431 ; STRAUSS,
t. I, p. 46-48. — Contre Kampschlxte ;t. I, p. 86), qui cherche à attribuer les
expressions antichrétiennes de Mltian à son animosité contre ses collègues les
chanoines, qui l'avaient attaqué sur ses opinions irréligieuses, vov. Vorreiter,
p. 118.
^ ■ Est unus deus et una dea. Sed sunt multa uti numina ita et nomina :
Jupiter, Sol, Apollo, Moses, Christus, Luna, Ceres, Proserpina, Tellus, Maria.
Sed ha?c cave enunties. Sunt enim occultanda silentio tanquam Eleusinarum
dearum mysteria. Ltendum est fabuiis atque enigmatumintegumentis in re sacra.
30 INFLUENCE NÉOLOGIOLE DE MUTIAX SUR Li^S HUMANISTES D'ERFUUT.
.' Il ne faut pas vulgariser les mystères '-, dit-il ailleurs; " il faut les
tenir cachés ou bien les expliquer par des fables et des allégories, afin
de ne pas jeter de perles aux pourceaux. Voilà pourquoi Jésus-Christ
n'a rien laissé par écrit, et pourquoi les évangélistes se sont servis
de beaucoup de paraboles pour revêtir la vérité. Théodote, l'écrivain
tragique, perdit les yeux pour avoir voulu transporter dans une fable
une partie des mystères judaïques. -^
Des opinions de ce genre expliquent amplement pourquoi Mutian,
au grand scandale des chanoines ses confrères, s'abstenait de dire la
messe et de recevoir la communion '; pour quels motifs il regardait
comme perdues les heures passées au choeur, rejetait la confession
auriculaire -, appelait les moines mendiants des monstres encapu-
chonnés, et les mets usités pour le jeûne des aliments de fous. « Il
n'y a que des imbéciles '^ écrit-il, <; qui puissent placer leur salut
dans le jeûne. Je suis paresseux et stupide, et c'est la nourriture des
imbéciles qui en est cause, pour ne rien dire de plus dur. Ce sont
des ânes, de véritables ânes, ceux qui se refusent le diner qui leur
est nécessaire pour se nourrir de choux et de morue. Les prêtres ne
se contentent pas d'affliger le corps par le jeûne : ils torturent encore
l'âme, et reprochent aux hommes les iniquités dont eux-mêmes
se rendent coupables. Tandis que dans le poëme d Homère l'âne
se régale à cœur joie dans les hautes herbes, sans se laisser détour-
ner de son festin par les coups de son gardien, l'homme est troublé
pour quelques paroles de menace. " ^ J'avais coutume de rire de
bon cœur ;>, écrit-il à l'humaniste Eberbach, « lorsque Benedict me
racontait les lamentations de ta mère, se désolant de te voir peu fré-
quenter les églises, refuser de jeûner, et manger des œufs, contraire-
ment àla coutume généralement établie. Voici comment j'excusais alors
ces fautes inouïes, ces crimes épouvantables: Petrejus, disais-je, agit
sagement et prudemment. Il ne va pas à l'église, parce que les
temples peuvent s'écrouler, que les tableaux peuvent tomber sur sa
Tu Jove, hoc est oplimo maximo deo propitio, contemne tacitus deos miuutos.
Ouum Jovem iiomino, Christum intellige et verum Deum. Satis de his nimium
assurn-enlibus - . Tiré du Codex maimsoipius des lettres de Mutian, Bibliothèque
de Francfort, fol. 90 ib., et maintenant reproduit dans Krause, Brieficcchsel,^ 28.
— Voy. Strauss, t. II, p. 47.
1 Ce ne fut qu'après avoir joui pendant plus de dix ans des revenus de son
canonicat qu'il se décida enfin à dire sa première messe. — Krause, XXIV, 408. —
- ...auriculariam confessionem improbo », etc. Tentzee, p. 178. Krause, p. 130.
5 Dans Krause, p. 295. Voy. XXY. Écrivant à son ami Henri Urbanus, religieux
Cistercien et humaniste distingué dont le couvent était à Georgenthal, près
de Gotha, il dit en se plaignant des chanoines ses confrères : " Diipecus scabio-
sum in tartara detrudant.^ Les chanoines lui reprochent de ne pas dire la messe;
il parle de ce qui fait l'objet de leur reproche : .t ILtc simplicia verba sunt, sed
pestiferi homines venenum suum eo modo evomiunt et nos Walen esse gar-
riunt. • Recueil de Francfort, fol. \bi. Krause, 275.
IMMORALITK DES HUMANISTE S. 31
télé, que beaucoup de dangers y sont à redouter. Et d'ailleurs,
s'il y allait, qu'en résulterait-il? les prêtres recevraient de l'argent,
et les laïques du sel et de l'eau, comme des chèvres. Aussi nommons-
nous le peuple un troupeau, car un troupeau n'est qu'un assemblage
de chèvres et de moutons. Si Petrejus a horreur du jeune, c'est
qu'il sait ce qui est arrivé à son père : son père a jeihié, et il est
mort. Si son père avait mangé comme à son ordinaire, il aurait
vécu. ' " En m'écoufant, continue Mutian, Benedict fronça le sour-
cil; puis il me dit : Oui vous absoudra, mauvais chrétien? Je lui
répondis : L'étude et la science '. » « Je viens à l'instant d'être appelé
par la cloche au pieux marmottage «, écrit Mutian un autre jour en
parlant de l'office du chœur; < et je m'y rends comme un adorateur
du feu en Cappadoce*. "
Parmi les livres dont il recommande la lecture à ses amis, il
cite les Facéties de l'humaniste Henri Bebel, de Tubingen, publiées
pour la première fois en 1506, recueil latin de toutes sortes d'anec-
dotes obscènes, de contes satiriques et bouffons, de farces, et même de
blasphèmes. Les railleries sceptiques de Bebel ne sont pas seulement
dirigées contre le clergé et ses mœurs, le jeune, les indulgences,
le culte des saints et des reliques, mais encore contre plusieurs
des dogmes fondamentaux du christianisme. La sainte Trinité et
l'œuvre de la Rédemption y sont l'objet de propos grossiers. Les
motifs de consolation chrétienne dans les souffrances y sont tour-
nés en dérision ^
Bebel démontre par une anecdote tirée de la vie de l'humaniste
Pierre Luder, qu'on peut payer à l'enseignement de l'Église le
tribut d'un assentiment extérieur et dérisoire tout en professant des
opinions absolument opposées. Forcé de s'expliquer sur des propos
qu'il avait tenus touchant la .sainte Trinité, Luder avait répondu :
K Eh bien! je ne m'obstinerai pas davantage à soutenir imprudem-
ment mon opinion, car, je l'avoue, avant de faire connaissance avec
le feu, je consentirais de bon cœur à confesser aussi la sainte quater-
nité^l » « Procure-toi bien vite », écrit Mutian à Herebord von der
Marthen, « les Facéties de Bebel. On ne peut nier que, dans la vie,
des anecdotes familières n'aient souvent une grande portée. Elles
sont promptement racontées, touchent aux questions avec justesse,
* CaMER.\RIUS, Lib. novus epistolarum (Lipsiae, 1568). Bl. J. 4. Voy. H.vgeN, Deuts-
chlands literariscke Verhältnisse, t. I, p. 328; IvR.vUSE, Brief wechse xxv, xxvi.
- Voy. Krause, p. 10.
. ' Pour plus de détails sur les Facéties, voy. Hagen, t. I, p. 331-334, 393-406.
Vorreite:;, p. 123-125.
* « ...Sisbono animo, ait, domine doctor, nihil eniin temere aut pertinaciter
affirmo : nain priusquam igiiein subirera, ego crederem quaternitatem. » Face-
liarum H. Bebelii Hbri très (Tubinga?, 1550), fol. 28 B.
32 IVIÜTIAN ET LES HUMANISTES D'ERFURT CONTRE LES SCOLASTIOUES.
et la mémoire les retient longtemps. » Mutian, dans la même
lettre, exprime le désir de publier bientôt lui-même un semblable
recueil '.
L'esprit qui règne dans ses épitres, Mutian le propageait de vive
voix dans les réunions d'humanistes qu'il présidait fréquemment dans
sa maison. Là, aux applaudissements de tous, Crotus Hubianus appe-
lait la sainte messe une comédie papiste; les reliques, des os de
potence; l'office religieux, unhurlement de chiens; Cicéron, disait-il,
était un grand apôtre, et un bien plus illustre pontife que le pape
Léon X-.
Une licence de mœurs souvent effrénée allait de pair avec ce
mépris de l'Église et de sa doctrine. Mutian s'exprimait souvent
avec un cynisme inouï sur les mœurs détestables de ses amis. Auprès
de ce cynisme, les auteurs erotiques de l'antiquité semblent pleins
de réserve et de retenue. L'enlèvement et le déshonneur d'une reli-
gieuse deviennent presque pour lui un sujet de bons mots^
On ne s'étonnera donc pas qu'à Erfurt, à Gotha, partout où les
nouveaux humanistes annonçaient l'évangile de l'antiquité païenne
et cherchaient à faire de la propagande en sa faveur, tous les esprits
graves et retenus, tous ceux qui restaient attachés de cœur à l'Église,
aient conçu une aversion profonde et beaucoup de méfiance pour ces
nouveaux apôtres. Chez un grand nombre d'entre eux, ce sentiment
finit par dégénérer en une haine prononcée pour tout ce qui sentait
la culture « poétique ". On jugeait le nouvel évangile d'après ses
fruits intellectuels, pour la plupart sans saveur ou empoisonnés, et
aussi d'après le genre de vie de ses apôtres. « Je ne suis nullement
étonné », écrit Cochlaeus, « de voir les esprits jadis les mieux dis-
posés pour les études classiques en devenir maintenant les ennemis
les plus acharnés. Que font en effet tous ces poètes, qui, mainte-
' Le Triumphus l'eneris de Bebet fut imité par Tiloninus, élève de Mutian.
Voy. Kampschulte, t. I, p. 180, n. 1.
* Olearius, Einst. Anonymi ad Crotum Rubianum (Amst., 1720) 14. — Voy. BOGKIXG,
Drei Abhandlunfjen über lieformations geschichtliche Schriften, p. 92.
^ Pour se rendre compte de sa manière cynique de juger et de s'exprimer, il
suffira de lire le passage suivant, extrait d'une lettre à Urbanus, l'auteur
même du méfait : " Nemo coget amicam tuam, Urbane, conceptura a se abigere.
Solvatur Vulva in nomine sanctaeJunonis. . Dent veniam puerperae quatuor illaè
primae Vestales a Numa electae... Verae Barbant', vera^ Ursulas, quœ ama-
tores suos odisse soient. Desinant nobis obtrudere Paulum Tharsensem, quod
dicat : Fugite fornicationem. Urbanus fornicarius non est : quamvis virgines
maritatasque cupidissime futnat : ad unguem doctus clinopalen et amatoriam
railitiara, etc. ^ Recueil de Francfort, fol. 81. Dans un autre passage il écrit :
' Si igitur incestus es, imitare csecos et clama : Fiîi David, miserere nostri, et
continuo evanescet ultio, culpa condonabitur. » (P. 188.) — Voy. aussi Strauss,
t. I, p. 33G. — On rencontre aussi dans le Recueil de Francfort une poésie ob-
scène dont Mutian est l'auteur; fol. 92.
LES SCOLASTIQÜES CONTRE LES HUMANISTES. 33
nant, comme des histrions ou bien comme des coqs dressés pour le
combat, traversent l'Allema^jne en tous sens, excitant partout où ils
se montrent les inimitiés et les querelles? Leurs mœurs sont relâchées,
inconvenantes, pour ne rien dire de plus fort. Il est extrêmement rare
de trouver parmi eux quelque respect pour ce qui est saint et véné-
rable. Ils n'excellent qu'à railler, à mépriser ce qui est établi, et
celui qui ne veut pas aider à leur œuvre de destruction passe à leurs
yeux pour barbare. »
L'Allemagne fourmillait de parasites littéraires, de brouillons, de
libellistes; tous prenaient un plaisir particulier à faire pleuvoir sur
les moines une grêle d'injures et de quolibets, il était par consé-
quent dans la nature des choses que les Ordres religieux se mon-
trassent vivement opposés à l'influence des poètes; et si, au milieu
de la bataille, rendus méfiants et intolérants par le péril, fréquem-
ment ignorants par crainte d'une fausse science, ils dépassèrent sou-
vent de beaucoup les bornes de la modération, cela n'est que très-
naturel. Dans les chaires, dans les universités, les religieux et les
théologiens scolastiques tonnaient contre les poëf es, leur reprochant
de propajjer une science antichrétienne, de faire plus de cas de l'art
de bien dire que de la vérité elle-même, et de se servir de méthodes
qui dispensaient la jeunesse de tout travail intellectuel, solide et
utile; ils les traitaient d'impies, et les déclaraient entachés de
paganisme. Les temps étaient malheureusement venus, disaient
à la fois professeurs et prédicateurs, où les hommes, suivant la
prédiction de l'Apôlre, las de la vérité, se porteraient vers toutes
sortes d'erreurs et de vanités; il était urgent d'arrêter le mal. La
prédication de l'Évangile n'avait pas consisté dans les belles paroles
de la sagesse humaine; il fallait à tout prix interdire l'étude per-
nicieuse des poètes et des écrivains païens '.
i- Dans l'intérêt de la jeunesse, il faut tarir cette source d'où
s'épanche un fleuve d'iniquité «, disait en chaire un Dominicain de
Cologne (1516). -< Ou bien souffrira-t-on plus longtemps que nos
jeunes gens soient égarés par des hommes qui ne rougissent pas de
I mettre entre leurs mains les poètes les plus licencieux de l'antiquité,
i les expliquent dans leurs cours par des gloses inconvenantes, assai-
sonnant leurs leçons d'attaques et de satires grossières contre l'Église
et la papauté? Veut-on voir notre jeunesse plus longtemps guidée
; par des maîtres qui assimilent la Bible aux auteurs païens, et osent
dire qu'on peut apprendre dans ces derniers plus de vérités utiles
que dans la Sainte Écriture? Que tous les anciens poètes, et aussi les
' C'est ainsi que l'humaniste Hermann van dem Busche, souvent cité déjà,
résume, dans son l'allum humanitaiis (éd. Burkhard, p. 27, 29;, les griefs des théolo-
giens de Cologne. — Voy. Kerker, p. 535.
M. 3
34 MUTIAN COMRE LES HUMANISTES.
nouveaux, peut-être plus daugereux encore, soient donc bannis de
nos écoles '! "
Les humanistes et les hellénistes qui cherchaient, à la manière
d'Érasme, à transformer la science théologique et à discréditer la
scolastique tout en affectant des sentiments de piété, passaient à
juste titre pour les propagateurs les plus dangereux du mouvement
qui se produisait alors ^
Mutian était au nombre des contempteurs les plus acharnés de la
scolastique. Il appelait la lutte que l'humanisme soutenait contre elle
le combat de la lumière contre les ténèbres, et faisait partager a
toute la ligue des poètes, entièrement sous son influence, sa pro-
fonde horreur pour ^ les sophistes, race haineuse, arrogante et
cupide ». Une partie des compositions poétiques dont il gratifiait
ses élèves respire la haine la plus passionnée pour la scolastique. Il
voulait le complet anéantissement des anciennes écoles, et de toutes
les institutions qui en dépendaient. Les grades académique*, par
lescjuels les - sophistes ' maintenaient leur empire, lui paraissaient
« burlesques, pour ne rien dire de plus ». « Là où la raison préside «,
disait-il, (^ on n'a que faire des docteurs. Les hommes véritablement
cultivés n'ont aucun besoin de se tourmenter pour acquérir le titre
barbare et creux de bachelier ou de magister '. » « L'école est le
domaine des grammairiens, et le théologien n'y est d'aucune utilité.
Aujourd'hui, les singes théologiens remplissent l'école, et mettent
au jour une foule d'impertinences. » « Dans les hautes écoles, un
sophiste, deux mathématiciens, trois théologiens, quatre juristes,
cinq médecins, six maîtres d'éloquence, sept professeurs d'hébreu,
huit hellénistes, neuf grammairiens et dix philosophes sensés suffi-
raient amplement pour représenter et régir toutes les sciences*. »
La plupart des disciples de Mutian imitaient leur chef, et se répan-
daient en violentes invectives contre les <• sophistes » et les anciens
' Voy. Lucubrationes 43. Le prince de ( arpi demandait aussi que les poètes latins
fussent interdits dans les écoles. Érasme lui-même, dans sa vieillesse, témoin
de leur mauvaise influence sur la jeunesse, était de la même opinion. Dans une
lettre au recleur du collège de Louvain (14 août 1527), il recommande qu'on lise
aux écoliers des auteurs chrétiens, par exemple le Babylas de Saint Jean Chryso-
stome. " Ethnicos autores », ajoute-t-il, ' ob sermonis elegantiam professoribus
legendos arbitror potins quam adolescentibus pra^legendos. » Op. lll, p. 996,
ép. 580. — Voy. aussi son opinion sur les cicéroniens qui remettent le paga-
nisme en honneur, dans Durand de Laur, t. II, p. 121-126.
- Voy. le dialogue composé par Latoraus, professeur de Louvain. Il appartient
aux écrits les plus importants alors composés contre les humanistes. De tribus linr-
guis et ratione studii theologici. Lovaniae, 1519. Latonus avait d'abord été partisan
de l'humanisme, comme Érasme lui-même l'avoue. 0/>. III, p. 405, ép., 380.
' Rampschulte, t. I, p. 112-115.
*■ Dans Tentzel, p. 161; Krause, Briefwechsel, p. 331.
il
EMEUTES A ERFURT. 35
professeurs des Universités; la discorde grandissait tous les jours
dans les hautes écoles où les humanistes avaient de rinduence.
Erfurt ressemblait à un champ de bataille. Beaucoup d'anciens pro-
fesseurs, autrefois favorables au progrès des études classiques, s'y
opposaient maintenant de toutes leurs forces; on les entendait sou-
vent répéter que les nouveaux poètes finiraient par amener la ruine
complète des Universités, Muliaun'en devint que plus acharné. « Nous
n'avons pas à nous préoccuper », disait-il, « des jugements que por-
tent sur nous des sophistes querelleurs. » « Rien ne peut donner
la victoire aux ennemis des belles-lettres >, écrivait-il en 1509 au
recteur de l'Université; ' qu'ils le veuillent ou non, le nombre des
lettrés croit tous les jours. « « Je félicite les nouveaux professeurs
d'Erfurt d'avoir su s'affranchir de la barbarie », écrivait-il à Héré-
bord von der Marthen. Il exhortait les humanistes, qu'il appelait
" sa cohorte latine ", à rester fermes dans le combat, « car bientôt
lui, leur général, les conduirait à la victoire '>, «^ Persévérons, main-
tenant que nous sommes engagés dans la lutte, car nous sommes
pour ainsi dire liés par un serment militaire '. «
Mais avant que commençât cette guerre intellectuelle, un sou-
lèvement populaire contre le conseil et le patriciat de la ville éclata
dans Erfurt. Les arguments employés entre humanistes et scolastiques
à l'Université furent transportés dans le domaine politique. Les anciens
professeurs, Henning Goede à leur tête, se rangèrent parmi les défen-
seurs du conseil ; les humanistes, au contraire, montrèrent un penchant
décidé pour le parti populaire. Mutian nourrissait depuis longtemps
un amer ressentiment contre Goede, parce que celui-ci, en loyal Alle-
mand qu'il était, s'était indigné du mépris des humanistes pour la
littérature et la langue nationales ^. Mutian fit pleuvoir sur lui une
grêle d'injures; il le comparait à Catilina, et lorsque la fureur popu-
laire eut contraint Goede à prendre la fuite, il lui adressa les plus
impitoyables outrages. Dans son érudition bizarre, Mutian faisait
dériver toutes les lois allemandes de la législation romaine, et plus
particulièrement des lois de Solon ^; il s'évertuait à prouver à ses amis
la légitimité des réclamations populaires, en lesjustifiant par des cita-
tions empruntées aux auteurs classiques. « Il serait insensé de se
figurer », écrivait-il, « que les grands hommes d'autrefois aient tous
été des patriciens; ils sortaient souvent des classes les plus humbles.
Isocrate a dit dès longtemps que l'on aurait de bien meilleurs gou-
vernants, si le peuple était libre de les élire. » Dans ses lettres,
Mutian parle avec amertume et colère des partisans du conseil, et
' Rampschulte, t. I, p. 115-119.
* Kampschulte, t. I, p. 41.
' Voy. KlMPSCHULTE, t. I, p 99.
36 DÉCADENCE DE L'UNIVERSITÉ D'ERFURT.
se réjouit de voir les humanistes exprimer dans leurs vers leurs pré-
férences politiques. Mais il leur conseille de ne pas s'exposer per-
sonnellement, avouant que, pour lui, il cherche à se mettre à Tabri
du péril'. Hérébord von der Marthen fut le seul d'entre les huma-
nistes qui eut le courage de braver le danger pour défendre les
intérêts populaires. Bientôt de fréquentes et tumultueuses émeutes
jetèrent le trouble dans l'administration de la cité.
En 1510, une insurrection d'étudiants {Studenten-Lärm) eut pour
résultat la destruction des bâtiments de l'Université. Ses anciens privi-
lèges et chartes, sa splendide bibliothèque et même ses collèges et ses
" bourses » furent anéantis par l'émeute. Dans la ruine de ces lieux
d'étude, où la jeunesse avait été maintenue tant d'années sous l'an-
cienne discipline et l'ancien respect, les penseurs éclairés des âges
suivants ont vu avec raison la cause première de la décadence
morale de l'Université. Parmi les étudiants " affranchis » et livrés à
eux-mêmes, la licence prit peu à peu le dessus. Pour le moment, ils
se dispersèrent par troupes-.
Les humanistes, dont Mutian avait été le chef, se séparèrent égale-
ment; ils allèrent de tous côtés propager en Allemagne la doctrine de
leur maitre et sa haine pour les " barbares » ; ils recrutèrent de
nouveaux alliés, et, vers la fin de 1512, ils rentraient à Erfurt - for-
tifiés pour la lutte ».
Cette lutte allait maintenant embraser l'Allemagne entière.
A entendre les poètes, elle allait donner la victoire « à la lumière
contre les ténèbres, aux humanistes contre les théologiens, les
moines et autres barbares ».
La querelle survenue entre Reuchlin et les théologiens de Cologne
servit de prétexte.
' " Prudens est nimirum » . écrit-il à Hérébord von der Marthen, peu de jours
après le commencement des troubles, •' quisquis in turbita seditione cedit for-
tiori et sequitur, non quod honestissimum, sed quod tutissimum. » Voy. Tentzec,
]). 103; Krause, Briefwechsel, p. 148-149.
- Voy. pour plus de détails Rampschulte, t. l, p. 120-152. — Décrivant le
lamentable état de l'Université en 1523, le recteur Henri Herebold dit : « Malo-
luui fuit initium coUegiorum eipugnatio... • Dans Kampschllte, t. II, p. 184.
CHAPITRE II
LA QUERELLE DE REUCHLIN.
Jean Reuchlin est en Allemagne un des premiers savants qui aient
fait adopter dans nos Universités l'étude de la langue grecque.
Par ses efforts persévérants, l'ascendant de sa parole et de ses
exemples, par son enthousiasme pour la littérature grecque, il était
parvenu à en faire comprendre la valeur et la beauté. Son diction-
naire, ses traductions latines des classiques grecs, avaient aussi rendu
d'importants services aux lettres latines; mais c'est surtout pour la
connaissance et l'enseignement de l'hébreu que son influence avait
été considérable. Le premier, il avait créé en Allemagne l'étude rai-
sonnée decette langue. Ilcherchait, parses travaux et par ses efforts
pour reconstituer le texte original de l'Ancien Testament, à former
un utile contre-poids au culte exagéré de l'antiquité païenne; il disait
souvent avec tristesse: « L'éloquence et la poésie des anciens ont tant
de charme, qu'elles font non-seulement négliger, mais mépriser la
sainte Écriture '. »
Cependant l'étude derhébreu,commecelle de la littérature classique,
n'était pas sans offrir quelque danger. Reuchlin avait un penchant
inné pour les subtilités du mysticisme. Bientôt il ne se servit plus de
sa connaissance de l'hébreu que comme d'une sorte de clef qui l'aidât
à pénétrer dans le merveilleux domaine de la science cabalistique.
Pic de la Mirandole exerça sur lui à cet égard un considérable ascen-
dant. Ce grand homme avait initié les savants allemands aux
mystères de la cabale, et n'en parlait jamais qu'avec la plus ardente
admiration. « La cabale et la magie naturelle >■, disait-il, « nous
donnent plus que toute autre science la certitude de la divinité
du Christ. » Et Reuchlin ajoutait : « Les cabalistes n'ont d'autre but
que de relever vers Dieu l'esprit de l'homme et de le conduire vers
la félicité parfaite. Celui qui cultive leur science goûtera en ce monde
* Voy. notre premier volume, p. 83-85.
38 NOUVELLE THEOSOPHIE DE REÜCHLIN.
la plus grande somme possible de bonheur, et jouira dans l'autre de
la béatitude éternelle'. »
Pour exposer ses théories, Reuchlin avait publié deux importants
traités : la Parole miraculeuse'^ et la Science cabalislique^ . 11 y pose les
fondements d'une théosophie à moitié mystique, à moitié rationaliste.
Voici les principales données de ces savants ouvrages : Le monde
visible n'est que le pâle reflet d'un monde invisible; il existe entre
ces deux mondes d'étroites relations. A ce principe vient se rattacher
la croyance au pouvoir magique exercé par les éléments terrestres
sur les forces qui leur sont associées dans le monde céleste. Les lettres
de la sainte Écriture, dont chacune se trouve dai)s un rapport surna-
turel avec les anges chargés du gouvernement du monde inférieur,
sont considérées comme ayant le mystérieux pouvoir d'unir aux
esprits célestes le monde extérieur. A l'énoncé de certains mots,
Dieu lui-même apparaît aux yeux de notre esprit, et vient en même
temps habiter notre âme. Reuchlin, pour justitier l'interprétation
des cinq livres de Moïse d'après la cabale, prétendait que si une
sagesse secrète n'y eût été cachée, ils n'eussent en rien différé d'au-
tres écrits de législation et de morale. D'après Reuchlin, Moïse avait
reçu de Dieu l'art de disposer les lettres de la sainte Écriture de
cette façon mystique; de Moïse il avait été transmis à Jésus, de
Jésus, par la tradition, aux Septante, et de ces derniers à la com-
munauté des Ésotériques. Le système de Reuchlin le conduisait à
penser que Pythagore avait tenu pour vrais presque tous les articles
de la foi chrétienne. Mais d'après la philosophie pythagoricienne, la
foi, disait-il, ne peut être soumise à aucune opération logique, car
l'entendement à lui tout seul ne saurait fournira l'homme de justes
noi ions touchant les bases de la religion ; aussi la foi ne se donne-t-elle
pas comme le résultat de la réflexion et du raisonnement humain,
mais bien pour la conséquence d'une révélation divine.
Reuchlin était bien éloigné de vouloir, par ses théories philoso-
phiques et mystiques, porter la moindre atteinte au christianisme
ou à l'Église; il se flattait bien plutôt d'avoir, au moyen des livres
juifs, allumé un nouveau flambeau à la lueur duquel les dogmes
' Voy. ces passages dans Geiger, Reuchlin, p. 169, 176. ■ L'esprit de Reuchlin
était confus et enclin au mysticisme >, dit Geicer (p. 195). Ses connaissances
scientifiques étaient incomplètes. Il ne s'éleva jamais jusqu'aux hauteurs de la
philosopliie. Jacques Margolith, de Ratisbonne, savant Juif qui ne manquait
pas de mérite, cherchait à détourner Reuchlin de son engouement pour la cabale :
>■ Ne forte sapientia raultiplicet ei damnum plus quam perfectum. • ReuMtn't
Briefwechsel, p. 53-54.
- De verbo mirifico (1494).
" De arte cabbalistica (151*7).
REUCHLIN ET LES LIVRES JUIFS. 89
chrétiens allaient être mieux compris. Malheureusement ses vues,
considérées même comme de simples conceptions pliilosophiques,
pouvaient aisément égarer les esprits, et donnaient trop grande satis-
faction au penchant déjà si entraînant que l'homme éprouve pour
tout ce qui semble lui promettre une communication directe avec
le monde surnaturel. Mutian lut ravi de la Parole miraculeuse. Il
espérait bien, disait-il, voir réaliser par Reuchlin ce que Pic de
la Mirandole avait fait espérer '. Cornelius Agrippa fit des cours
« sur l'œuvre chrétienne et catholique de Reuchlin * > ; mais quel-
ques théologiens lui refusèrent leur approbation. < Il me semble
en lisant Reuchlin », écrivait Jean Colet, t< que les miracles sont
plus dans les paroles que dans les faits; on prétend que certains
mots, certains signes hébreux possèdent une vertu tout extraor-
dinaire. Oh! la science et les livres n'ont jamais tout dit! Mais
après tout, rien ne me parait meilleur, pour les moments si courts
de notre existence terrestre, que de vivre saintement et purement,
de viser tous les jours au perfectionnement de notre âme. et de
nous diriger vers la lumière, en cherchant à atteindre le but que
nous proposent les livres pythagoriciens et cabalistiques de Reuchlin.
Or, nous n'avons d'autre moyen d'y atteindre qu'un brûlant amour
pour Jésus, et l'imitation de sa vie^ ^
Craignant non sans raison une nouvelle invasion du judaïsme, le
Dominicain Jacques Hochstratten, professeur de théolop;ie à Cologne,
inquisiteur de la foi dans les provinces de Cologne, de Mayence et
de Trêves, entreprit de réfuter Reuchlin dans sa Destruction de la
cabale. Il y démontrait que cette doctrine ne fortifiait en rien les
dogmes du christianisme, qu'elle les niait, au contraire, et que les
livres de Reuchlin fourmillaient de propositions erronées*.
Peu de temps avant l'apparition des traités de Reuchlin sur la
cabale et de la réfutation de Hochstratten, une longue dispute sur
l'autorité des livres hébreux avait eu lieu, et Reuchlin, au début
de la querelle, avait pris ouvertement parti contre les Juifs. A l'in-
stigation d'un noble de ses iimis, il avait publié un petit traité
intitulé : Pourquoi les Juifs sont depuis si longtemps dans la détresse ^
(1505). Il y expliquait que la dispersion et l'exil des Hébreux depuis
plus de treize cents ans « n'étaient que la juste punition de leur
déicide > . Or, ce crime s'était perpétué sans interruption à travers les
âges, ' car les Juifs continuaient à blasphémer, à outrager, à injurier
' Reuchlin's Briefwechsel, p. 84.
'Voy. Geiger, Reuchlin, p. 199.
ä Erasmiop. III, 1660. App. ap., 242.
* Deslructio Cabbale seu Cabbalistice perßdie (1519) .Yoy. Geiger, Reuchlin, p. 199-201.
* BÖCK1.\G, Ulr. Hutteni op. Supplementum, t. I, p. 173-179. — GEIGER, Reuchlin,.
p. 206-208.
40 JEAN PFEFFERKORN.
journellement le Seigneur de toutes choses, dans la personne de son
Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai Messie donné au monde, qu'ils
appellent « pécheur, enchanteur, supplicié«; la douce Vierge Marie,
ils la nomment Haria, ce qui veut dire furie, et traitent d'hérétiques
les Apôtres et les disciples du Seigneur; et nous autres chrétiens,
disait encore Reuchlin, « ils nous regardent comme un peuple abomi-
nable, comme des païens insensés «.« Les Juifs d'autrefois et ceux de
maintenant, et cela aussi longtemps qu'ils seront Juifs, participent à
ces blasphèmes, et trouvent une joie singulière à imaginer sans cesse
quelque nouvelle injure contre le christianisme. » « Ce fait ressort
clairement de tous leurs actes, de leur attitude, de leurs prières quo-
tidiennes, ainsi que de la lecture des livres qu'ils composent contre
nous'. » « Le pire est qu'ils ne veulent pas convenir de leur péché;
ils nient que les blasphèmes qu'ils profèrent tous les jours contre
Notre-Seigneur soient répréhensibles; de sorte qu'ils sont incapables,
soit de reconnaître leur erreur, soit d'améliorer leur vie. Et comme
tous ensemble demeurent dans l'endurcissement, ils voient aussi
s'éterniser leur châtiment et leur captivité. Tant qu'ils ne change-
ront point de cooduite, ils ne doivent espérer aucun adoucissement
à leur sort, parce qu'ils veulent être aveugles, que cela plaise ou
non à Dieu, et qu'ils restent de plein gré dans leur ignorance. Je prie
Dieu de daigner les éclairer et les ramener à la vraie foi, afin
qu'ils confessent que Jésus-Christ est le véritable Messie; alors leur
cause redeviendra bonne en ce monde et dans l'autre. » En termi-
nant cet écrit, Reuchlin avait généreusement offert à tout Juif, dési-
reux d'être instruit touchant le Messie et la foi, de s'occuper de lui,
de lui venir en aide, ' afin que, déchargé de toute préoccupation
temporelle, il puisse servir Dieu en paix, affranchi de tout souci «.
Mais la conversion des Juifs, selon l'opinion souvent répétée des
théologiens et des canonistes, ne pouvait être espérée qu'à certaines
conditions. Il leur fallait abandonner l'usure, prendre part comme
les chrétiens aux industries civiles, et surtout renoncer aux livres
antichrétiens qu'on leur permettait encore de garder, et principa-
lement au Talmud. « Par ces livres ", disaient les théologiens, « la
« haine des Juifs contre le christianisme est constamment ravivée. »
Un Juif baptisé, Jean Pfefferkorn, dans un esprit de sincère bon
vouloir envers ses anciens coreligionaires, se fît l'interprète de ces
manières de voir dans plusieurs écrits, souvent réimprimés entre 1507
et 1509. Le premier : le Miroir des Juifs, condamne franchement les
' Comme « uns dem Buch Nizahon un Bruder fol, ouch in dem gebet ulcschu-
madim wol zu merken ist •.
QUERELLE A PROPOS DES LIVRES JUIFS. 41
persécutions si fréquemment exercées contre les Israélites, et s'efforce
(le les justifier des imputations odieuses qu'on formulait alors contre
eux; surtout il nie qu'ils soient obligés par leur loi, comme on le
prétendait alors, de verser le sang chrétien "dans certains rites reli-
gieux, et de mettre à mort de jeunes enfants. «0 mes frères bien-aimés
en Jésus! » s'écrie Pfefferkorn, « je vous supplie de ne donner aucune
créance à de telles accusations! » « La manière dont on opprime les
.luifs les éloigne de la foi chrétienne. » « Croyez-moi, nul d'entre
eux ne doit être dépouillé par la force de ce qui lui appartient'. »
Mais, d'accord en cela avec tous les théologiens de son temps,
Pfefferkorn demandait aux Juifs « de renoncer à l'usure, de gagner
leur pain par un travail honorable, d'assister aux prédications aux
époques désignées par l'Église, afin de s'instruire de la sainte parole
de Dieu; surtout il les suppliait de renoncer à la lecture du Tal-
mud )'. Vivement attaqué par ces anciens frères, Pfefferkorn de-
vint plus sévère envers eux. « Les Juifs », dit-il dans un petit livre
publié peu après et intitulé : Comment les Juifs aveuglés célèbrent la
Pâque, « n'étaient plus des mosaïstes, mais des talmudisfes, des héré-
tiques de l'Ancien et du Nouveau Testament, et dignes, à cause de
cela, d'être jugés d'après les lois de Moïse. » 11 fallait leur enlever
le Talmud, qui ne servait qu'à les égarer; alors ils changeraient
promptement d'esprit et de disposition. Dans cet écrit, aussi bien
que dans deux autres qui le suivirent : la Confession juive et Y Ennemi
des Juifs, Pfefferkorn caractérisait en termes sévères « la ruse astu-
cieuse des Hébreux »; il faisait resssortir « leur mauvais vouloir
pervers », exhortant les chrétiens à ne pas souffrir au milieu d'eux
les Juifs restés Juifs, « qui blasphèment Jésus-Christ et sa Mère
bénie ». « Cependant », ajoutait-il, » les chrétiens ne doivent pas de-
mander aux autorités leur mort ou leur expulsion : qu'ils se bornent
à insister pour que l'usure leur soit interdite. » Et il trace un sombre
aperçu de l'usure juive. Il est aussi d'avis qu'on détruise « les faux
livres juifs », et demande que la prédication chrétienne soit rendue
obligatoire à tout Israélite. Si les autorités, peut-être corrompues par
des présents, n'adoptent point ces mesures, il recommande aux chré-
tiens d'employer auprès de Dieu l'arme de la prière. Ils peuvent
aussi tenter de se faire écouter par d'autres princes chrétiens ^
Parmi ceux-ci, l'Empereur était le premier en titre, et c'était
surtout de lui que Pfefferkorn attendait aide et secours. Les Domi-
'Norrenberff a le premier, selon nous, jugé avec une complète impartialité
la conduite de Pfefferkorn en cette affaire. Voy. son article sur la vie litté-
raire à Cologne au commencement du seizième siècle, dans les Cölner Nachrich-
ten (1872, n» 35).
* Voy. Pawlikow'SKI, Auszüge aus Pfefferkorns Schriften, p. 738-742.
42 QUERELLE A PROPOS DES LIVRES JUIFS,
nicains, qui s'étaient imposé le devoir spécial de protéger le peuple
chrétien contre l'usure juive', et considéraient la saisie des < livres
détestables et antichrétiens des Juifs comme l'unique moyen de
les convertir, lui donnèrent des lettres de recommandation pour la
sœur de Maximilien, Cunégonde, veuve d'Albert, duc de Bavière.
Celle-ci, bientôt gagnée aux vues de Pfefferkorn, le recommanda à
son frère, et le 15 août 1509, Maximilien faisait publier une ordon-
nance concernant tous les .luifs de l'Empire. Il leur était enjoint de
remettre les livres hostiles à la foi chrétienne et contredisant leur
propre loi, < à Jean Pfefferkorn, fidèle serviteur de l'Empereur, dé-
voué au royaume, expérimenté et savant dans notre croyance ».
Pfefferkorn était autorisé à saisir et à détruire tous les livres suspects;
mais en chaque ville, il devait préalablement avertir et consulter
le curé, deux membres du conseil, ou bien les premiers magistrats
du lieu ^.
Dans une ordonnance postérieure, l'Empereur confia la direction
de toute l'affaire à l'archevêque Uriel de IMayence, chargeant ce pré-
lat d'examiner les livres juifs déjà confisqués en quelques endroits
par Pfefferkorn, et de réclamer à leur sujet l'avis des Universités de
Mayence, Cologne, Erfurt et Heidelberg, de l'inquisiteur de la foi à
Cologne, Jacques Hochstratten, du prêtre Victor de Carben, et enfin
de Reuchlin.
Le jugement de Reuchlin fut plus favorable aux livres juifs
qu'on n'eût pu s'y attendre. Sa conclusion était que, pour agir équi-
tablement et loyalement, il ne fallait détruire que ceux qui étaient
manifestement injurieux pour la foi; tous les autres devaient être
épargnés. Quant au Talmud, Jésus-Christ lui-même semblait avoir
ordonné sa conservation, car ce livre pouvait souvent apporter un utile
témoignage à la vérité. « Les choses singulières qui s'y rencontrent «,
disait Reuchlin, ^ ne suffisent pas pour en autoriser l'entière destruc-
tion; car il est naturel que la superstition et l'erreur se mêlent à ce
qui est raisonnable, et ce mélange ne peut que rendre plus vigou-
reuse la foi des vrais fidèles. " Les quatre Universités consultées
firent aussi connaître leurs décisions. Heidelberg ne voulut rien
préciser, et remit la question à la délibération plus approfondie d'une
commission savante, spécialement nommée dans ce but. Erfurt fut
- Voy. notre premier volume, p. 377.
- Pour plus de détails, voy. Geiger, Reuchlin, p. 210-217. Cesarea maiestas suis
imperialibus publicis mandatis omnibus Romani imperii statibus mandavit, ut
omnes i?iuiiles thalmudicos libros cum suis appendiciis, in Christianae fidei oppro-
briuni et dedecus compositos, a .Tudeis tollerent et supprimèrent. Voluit quoque
eos, ut quamdiu Christianam fidem non acceptaverint, secundum antiquam legem et
prophetas vivcre dcbere. » Voy. dans Bocking. L'ir. Hulteni op. Suppl., t. I, p. 87, la
Dèfenrx de Pfefferkorn.
QUERELLE A P I! 0 1' 0 S DES LIVRES JUIFS. Î3
d'avis que l'Kmpereur et tout prince régnant avaienl le devoir, dans
leurs Élals, de retirer aux .luifs les livres injurieux pour la foi chré-
tienne. Mayence en demanda la confiscation provisoire , et même
celle de la Bible, soupçonnant que les pas«;a{jes capables d'établir
la foi chrétienne y avaient été falsifiés. Cologne était pour qu'on
laissât la Bible aux Juifs, mais non le livre du Talmud, que plu-
sieurs papes avaient déjà condamné aux flammes. Hochstratten et
Victor de Carben se rangèrent à cette dernière opinion.
En novembre 1510, l'archevêque de Mayence chargea Pfefferkorn
de soumettre à l'Kmpereur, qui résidait alors à Fribourg, ces diffé-
rentes appréciations. Maximilien en remit les pièces à trois théologiens
éminenfs, parmi lesquels se trouvait le célèbre prieur des Chartreux
Grégoire Reisch ' ; il les pria de les examiner et de décider en dernier
ressort. Les trois docteurs se prononcèrent unanimement en faveur
des théologiens de Cologne. La Bible, selon eux, pouvait être sans
inconvénient laissée aux Juifs; mais il fallait détruire tous leurs
autres livres; cette mesure importait à la foi; elle était dans l'in-
térêt même des Juifs. Les archevêques, évêques et autres supé-
rieurs ecclésiastiques furent donc autorisés, aidés de fonctionnaires
laïques, à rassembler les livres suspects dans tout le royaume, puis
à les faire examiner par des savants compétents, experts dans la
langue latine et hébraïque. Les ouvrages jugés inoffensifs devaient
être restitués à leurs propriétaires; les autres seraient ou brûlés, ou
disséminés dans les bibliothèques chrétiennes , pour servir aux
recherches et aux études des savants.
Cependant cette grave décision n'eut en réalité aucun effet. L'Em-
pereur approuva les conclusions des examinateurs, mais ne voulut
rien faire avant d'avoir consulté les Ordres. Or, dans aucune diète
postérieure la question des livres juifs ne fut soulevée ^
Mais à propos de cette controverse éclata tout à coup une que-
relle destinée à exercer la plus grande influence sur les destinées
intellectuelles et religieuses de l'Allemagne.
II
Dans le jugement qu'il avait porté sur les livres juifs, Reuchlin
avait attaqué directement 1' « ennemi des Juifs », Pfefferkorn; il
l'avait traité de -^ buffle >■ et d' ' âne «, assurant qu'il était incapable
de comprendre un mot aux livres dont il regardait la destruction
' Voy. notre premier volume, p. 97-98.
* Pour plus de détails, voy. Geiger, Reuchlin, p. 216-240.
44 I.E MIROIR DES YEUX.
comme si nécessaire. Il s'était exprimé en termes méprisants sur les
« fourbes » que des motifs bas et intéressés font passer au christia-
nisme. Pfefferkorn n'eut connaissance de ces attaques, non des-
tinées à la publicité, qu'en sa qualité d'examinateur officiel; cepen-
dant, comme s'il eût été atteint comme individu dans son honneur
privé, il répondit avec virulence aux accusations de Reuchlin, dans
un écrit intitulé : h Miroir à la main (1511). Reuchlin riposta sur
un ton plus violent encore dans son Miroir des yeux, où il traite
Pfefferkorn de ' vulgaire coquin ", d' > écrivain déloyal », de « nature
diabolique », livrant à la publicité le jugement que Pfefferkorn avait
communiqué par écrit à l'Empereur, et le faisant suivre d'un com-
mentaire.
Ces deux écrits n'étaient pas le programme de deux partis, mais
seulement l'exposé des griefs mutuels de deux particuliers. Les théo-
logiens de Cologne n'avaient rien à voir dans le Miroir à la main de
Pfefferkorn, et les « poètes « rien à faire avec le Miroir des yeux de
Reuchlin '.
Cependant, peu de temps après, on voit les « grands partis » se
former. Le Miroir des yeux parut pendant la foire de Francfort
(automne 1511), et fit une sensation profonde.
Bientôt il se répandit dans l'Allemagne entière. Y découvrant des
propositions hérétiques, absolument opposées à l'enseignement de
l'Eglise, le curé de Francfort, Meyer, selon les devoirs de sa charge
et sur la requête de l'archevêque de Mayence, Uriel, envoya un exem-
plaire du livre à la faculté de théologie de Cologne. Cette faculté, de
par l'autorité papale, possédait en Allemagne un droit souverain de
censure. L'Université de Cologne, avec ses deux mille étudiants, son
importance considérable, la gloire, la réputation dont elle jouissait,
avait alors incontestablement le premier rang parmi les Univer-
sités rhénanes ^ et sa faculté de théologie était la plus influente
' De tous les historiens modernes, c'est Geiger qui, dans sa bibliographie de
Reuchlin, a jugé cette célèbre querelle de la manière la plus impartiale et la
plus sagace. • Aucun des historiens qui racontent l'affaire », dit-il (page 257,
note, = ne l'a appréciée équitablement, par les procédés d'une sage critique.
Les faits, pris isolément, n'ont point été confrontés dans leurs diverses versions,
lorsque ce cas s'est rencontré, ni ensuite appréciés séparément à leur juste valeur.
On parcourt sommairement les pièces émanant des adversaires de Reuchlin, puis
on prononce une rapide sentence, en ayant surtout égard aux témoignarres
de ses amis, c'est à tort qu'on pense glorifier la cause de Reuchlin en ra-
baissant ses contradicteurs. On pèche contre l'histoire et par conséquent
contre léquilé en mesurant avec des poids différents amis et ennemis. =
- Voy. notre premier volume, p. 76-78. Voy. Krafft, Documente und Briefe,
p. 117-177. 181-202. — . En étudiant les choses de près • , dit Kr«fft (p. 184), « il est
intéressant d'énumérer, d'une part, le grand nombre d'écrivains savants, de
professeurs éminents, de l'autre, les jeunes et militantes énergies qui alors se
rencontraient et se combattaient à Cologne » (1512-1514).
HEUCHLIN ET LES THÉOLOGIENS DE COLOGNE. i5
(le loute l'Allemagne. Les docteurs qui y étaient alors les plus en
renom étaient le régent du collège de Saint-Laurent, Arnold de
Tongres', et les deux Dominicains Conrad CoUin * et Jacques Hoch-
stratten '.
Aussitôt que Reuchlin eut appris qu'Arnold de Tongres était
chargé d'examiner son livre, il lui écrivit (18 octobre 1511) : il s'esti-
mait heureux, lui disait-il, qu'un homme de sa valeur lui eiU été
donné pour juge; éminent dans la science, il saurait être indulgent
pour la faiblesse humaine. En exprimant son opinion sur les livres
juifs, Reuchlin assurait n'avoir jamais eu l'intention de blesser per-
sonne, ni d'empiéter sur les droits d'aucune Université. Il vénérait la
science, et en premier lieu la théologie; mais il ne l'avait jamais étu-
diée à fond, et s'il mêlait à ses ouvrages des citations théologiques,
c'était à peu près comme un curé de village introduisant la médecine
dans ses sermons. S'il avait commis quelques erreurs, il demandait
qu'elles lui fussent signalées; il était prêt à les rétracter, car en
toutes choses il entendait persévérer dans son obéissance envers
l'Église, et garder l'intégrité de la foi \ Écrivant à Collin, avec
' Sur Arnold de Tonfjres voy. notre premier volume, p. 79-84. L'humaniste
Jean Murniellius se regardait comme très-redevable au célèbre Arnold, et ne
savait ce qu'il devait le plus admirer en lui, ou de son caractère ou de son savoir.
En 1510, il lui dédia un ouvrage pedayojjique. — Böcking, Supp., t. I, p. 392. —
Voy. Cornélius. Müiisterische Humanisten, p. 29. — L'humaniste Jean Butzbach a dit
d'Arnold : « Vir in divinis scripturis egregie eruditus et saecularis philosophiae
non infime peritus, sacrae theologiae apud Coloniam modo insignissimus
professor, fama doctrinas suae undique notus, quippe qui eruditionis suae magni-
tudine et christianœ fidei zeio almam illam Coloniensium universitatem magni-
fiée hoc tempore nostro illustrât. » -^ ...dévolus Christi sacerdos et doctor
integerrimus. » Et à propos du mémoire d'Arnold intitulé Contra concubinarios
presbiteros : • Omnes autoreni maledicunt, vitupérant, lacérant et carpunt mali
sacerdotes. » Voy. les Auctarium de Butzbach dans la Zeitschrift des Bergischen Ges-
chitsvcreiiis, i. VII, p. 260. Les « mali sacerdotes " se seront certainement joints
aux humanistes de mœurs dissolues, comme llutten et Crotus Rubianus, pour
attaquer le digne homme. Pourquoi Böcking, qui, dans son commentaire des
Epist. obscurorum virorum [Ulrich Huiteni, Suppl., Op., II), se Sert fréquemment des
âuctarium pour ce qui touche aux amis de Reuchlin, passe-t-il sous silence un
passage favorable à Arnold qui se trouve à la p. 147 (p. 151 / Après trois siècles
écoulés, l'esprit de parti doit-il donc encore subsister, même dans les recherches
des savants?
- Sur Collin, voy. Veesenmeyeu, dans les archives historiques de Staudlin
(Halie, 1825), t. I, p. 470-501. Lorsqu'il était professeur de théologie à Heidel-
berg, Collin enseignait avec un tel succès, qu'étant allé se fixer à Cologne
eu 3511, le doyen de la faculté de philosophie d'Heidelberg, à la demande générale,
insista pour que ses cours fussent publiés pour le plus grand avantajje de leur
Lniver,sité (p. 474). — Le Suisse Henri Bullinger, en 1545, longtemps après avoir
quitté l'Église catholique, parlait encore de lui comme d'un egregius Tlwmista.
Voy. Zeitschrift des Btrgischcn Geschichtsverein, t. VI, p. 265.
Voy. H. CreMANS, De Jacobire Hochstrati vita et scriplis. Bonnœ, 1869.
' • Quidquid igitur ., écrit-il, « sancta ecclesia, quae est columna et nrma-
46 KEUCH LIN ET LES THEOLOGIENS DE COLOGNE.
lequel il était lié depuis de longues années, Reuchlin s'exprimait à
peu près dans les mêmes termes. Celui-ci lui répondit (2 janvier
1512) qu'il n'était pas étonnant qu'un juriste fit quelques erreurs
en traitant des sujets théologiques ', et que la faculté se proposait
de lui renvoyer son ouvrage, en lui indiquant dans les passages
suspects les propositions où il s'était trompé ^
Voici ce que reprochait à Reuchlin la faculté de théologie : Par
la publication de son mémoire, il avait fait avorter les desseins de
l'Empereur relativement aux livres juifs; déplus, il s'était rendu sus-
pect aux chrétiens, qui pouvaient le soupçonner de partialité pour
les " perfides Juifs ». Son Miroir des yeux, rédigé en allemand, s'était
propagé parmi les Juifs, qui tous avaient été ravis de voir un homme
de la valeur de Reuchlin prendre leur cause en main, protéger et
défendre des livres où Jésus-Christ et la foi étaient outragés. A
l'appui de ses opinions, Reuchlin avait cité, en les détournant de leur
vrai sens, des passages de la sainte Écriture. Outre cela, son livre
contenait un grand nombre de propositions choquantes, qui faisaient
douter de la pureté de son orthodoxie. Mais la faculté voyait avec
joie, par les lettres de Reuchlin à Arnold de Tongres et à Collin, qu'il
était résolu de demeurer inviolablement attaché à la foi, et tout
prêt à corriger ce que sou ouvrage renfermait d'erroné. La faculté
lui envoyait donc la liste des propositions non orthodoxes de son
livre, ainsi que la désignation des passages interprétés par lui dans
un sens douteux. Elle le priait de s'expliquer plus nettement à ce
sujet, ou bien, à l'exemple de l'humble et sage Augustin, de les
rétracter purement et simplement ^
Après des explications si calmes, si modérées des deux côtés, on
eût pu s'attendre à voir l'incident se terminer à l'amiable. Mais il
n'en fut rien.
« En l'espace de quelques mois ", écrivait plus tard Hochstratten,
' sous l'influence de gens querelleurs et ennemis de l'Église, un
changement presque complet s'opéra dans l'esprit de Reuchlin. Son
attitude, son langage n'étaient plus les mêmes. » Dès le 12 mars
1512, s'adressant à Collin, il lui écrit, en parlant des théologiens de
mentum veritatis, credit et qualitercunque credit, item ego et taliter credo.
Et sicut ipsa exponit sacram scripturam, ita ego exponendam censo, alque
confiteor. Et si usquam aliter exposuerira,... illud corrigere et emendare para-
tUS sum " , etc. BeuMin's Briefwechsel, p. 139.
* • Non mirura, si jurista theologicas non attigerit subtilitates. •
s Reuchlin's Briefwechsel, p. 140-141, 149-150.
* " ...Super his ego petimus, ut per tua scripta nos latius raentera tuana reve-
lando informes, aut exemple humilis etsapientis Augustini palinodiamcantando
retractes. • Reuchlin s Briefu-echiel, p. 146-148.
VIOLENTES ATTAQUES DE R EUCH LIN. 47
Colo{jne, que ce sont eux et non lui qui ont commencé la querelle, ou
plutôt que toute la faculté s'est livrée « à ce .luiC baptisé, qui l'a sans
doute excitée contre lui >. Innocent, il se voyait trahi, vendu; mais
néanmoins il ne ressentait aucune frayeur. Il comptait des défen-
seurs puissants parmi la noblesse et la bourgeoisie. Le pays tout
entier se fiU levé pour le défendre, si un orateur de la force de Démo-
sthènes eût su développer en public le commencement, le milieu et
la fin de cette intrigue, distinguant ceux qui dans le débat avaient ou
le Christ en vue, de ceux qui n'avaient songé qu'à remplir leur bourse.
Aux grands personnages qui prendraient son parti viendraient se
joindre les poètes et les historiens, parmi lesquels beaucoup lui por-
taient un grand respect, comme c'était leur devoir, ayant reçu autre-
fois son enseignement. Ces hommes éminents livreraient bientôt à un
éternel opprobre le procédé inique de ses ennemis, et proclameraient
son innocence, à l'éternelle confusion de l'Université de Cologne'.
Dans un second mémoire qu'il fit paraître peu de temps après *,
également en allemand, Reuchlin soutenait l'orthodoxie de tous
ses principes, et attaquait indirectement les théologiens de Cologne
par des remarques acérées. Ceux-ci songèrent alors à empêcher le
public de suivre le débat. Arnold de Tongres publia un grave traité en
latin, dont le ton est en général plein de modération 3; il y signalait
les erreurs théologiques de Reuchlin. Dans la dédicace de son travail à
l'Empereur, Arnold déclarait qu'il ne prenait la plume que parce
que Reuchlin, dans son Miroir des yeux, avait à tort pris parti pour
les Juifs et les avait fortifiés dans leur hostilité contre les chrétiens,
et aussi parce que l'auteur des propositions condamnées n'avait
pas voulu les rétracter lorsqu'elles lui avaient été montrées, mena-
çant la faculté de Cologne, et disant que beaucoup de ses amis se
lèveraient pour le défendre, comme s'il s'imaginait la faire reculer
par des menaces! " Non, non > , ajoutait-il, » nous ne sommes pas gens
à nous laisser intimider par de telles provocations! »
Pfefferkorn procéda différemment. Exaspéré par les injures de
Reuchlin, qui dans son second écrit l'avait dépeint comme un homme
>' trouvant un particulier plaisir à mentir », il l'attaqua dans son
Miroir ardent * avec une violence sans pareille. Reuchlin en fut d'au-
tant plus aigri que, sur ces entrefaites, l'empereur Maximilien fit
' Reuchlin's Brief ttechsel. p. 165-167.
^ Ain clare verstenCnus, etc. A OV. Bocking, i'ir. Hutteni. op. Suppl., II, p. 77.
— Geiger, Reuchlin, p. 264-265.
^ Arliculi sive prcposiliones de judaico favore nimis suspecta:, ex libella teutonico
Joannis Reutchlin, etc. Coloniae, 1512. — Voy. BOcKiNG. t. II, p 78-79. — Geiger,
p. 266.
* Voy. BÖCKING, t. II, p. 79-80.
4S VM OLE NT ES ATTAQUES DE REUClIf.IN.
interdire le Miroir des yeux, ordonnant la saisie de tous les exem-
plaires du livre, sous peine d'un châtiment sévère.
Rcuchlin fît alors paraître sa Défense contre les calomniateurs de
Cologne '. C'est un des pamphlets les plus virulenfs de l'époque.
S'adressant à l'Empereur, auquel il dédie son ouvrage, Reuchlin
prétend que ce n'est pas le zèle pour la foi qui inspire les théolo-
giens de Cologne, mais uniquement le plaisir de lui nuire, le désir de
l'écraser. Us ne méritent pas, à son avis, le nom de théologiens, ce ne
sont que des théologastes ; gens habitués non à scruter la vérité,
mais à discuter éternellement sur des mots ; ne visant pas à la pureté
des mœurs, mais souillés de toutes sortes de vices et de hontes.
D'ailleurs l'expérience le disait assez : les bons étaient toujours per-
sécutés et calomniés par les méchants. Homère lui-même avait été
exposé aux injures d'un vil calomniateur. Aux talons de tout homme
éminent s'attachait la calomnie. Les théologiens de Cologne n'avaient
commencé la dispute contre les livres juifs que pour extorquer de
l'argent juif. « Ils ont soif de l'or juif, et pour que cet or tombe en
leur possession, volontiers ils proscriraient et brûleraient les Juifs,
tandis que moi, je ne désire que la paix et le repos. « Quant au re-
proche qui lui est adressé d'avoir à dessein faussement interprété
des passages de la Bible et des auteurs classiques, on ne saurait
s'y attacher : il est permis de les concevoir autrement qu'ils n'ont
été écrits ou entendus par leurs auteurs. On peut parfaitement leur
attribuer plusieurs sens, pourvu qu'on n'en fausse pas la signifi-
cation naturelle. D'ailleurs, un tel reproche est étrange dans la
bouche de ses adversaires, qui ne sont en état de comprendre et
d'apprécier ni la Bible, ni les écrivains classiques. En mettant même
à part la question scientifique, la simple réflexion leur est inconnue;
rintelligeuce et la logique leur font complètement défaut. Ne pou-
vant suivre ses raisonnements, ils les tronquent, afin de pouvoir les
réfuter plus aisément. J\on-seulement ils sont incapables de les com-
prendre, mais ils sont décidés à ne les point écouter.
iSon content de formuler de pareilles accusations, Reuchlin se laisse
aller à des injures encore plus violentes contre des gens qui cepen-
dant ne l'avaient pas offensé personnellement. Il les appelle « mou-
tons, boucs, pourceaux ». Il les accuse d'être pires que des animaux
sauvages, et semblables à des bêtes de somme et à des mulets. H les
nomme disciples du diable, complices de l'enfer, et leur attribue un
orgueil de démon. A l'entendre, dénués de toute science, ils n'ont
pas de but plus relevé que de découvrir partout des hérésies; ils
pensent, et ils ont quelquefois raison, venir à bout de leurs adver-
' De/ensio J. lieiiclilin contra ealumnialnres suos Colonienses.
VIOLENTES ATTAQUES DE KEUCIILIN. 49
saires avec des bavardages, et imitent les bouffons les plus gros-
siers. Ils méprisent l'Évangile, ils se conduisent comme des païens;
ils menfent, ils trompent; ils n'ont pas de plus grande Joie que de
flétrir l'honneur d'un honnête homme. Lejir faculté n'a pas l'ombre
de valeur; leurs professeurs corrompent le peuple; leur université
surannée ressemble à un vieillard tombé en enfance. Pfefferkorn
est un fou fieffé, un lâche, ou plutôt une bête venimeuse. Reuchlia
va jusqu'à faire allusion à de coupables rapports qu'aurait eus sa
femme avec des théologiens de Cologne. Il formule même d'odieuses
accusations contre le respectable Arnold de Tongres, et lui reproche,
par-dessus le marché, d'avoir à dessein mal compris et mal inter-
prété les assertions de son adversaire. Il dit en concluant : « Chacun
s'étonnera de la douceur avec laquelle j'ai traité et traite encore de
tels adversaires; je ne leur rends pas injure pour injure, fureur
pour fureur, mépris pour mépris, calomnie pour calomnie, car je
ne veux pas prendre le même chemin qu'eux, et je me borne à prier
Dieu de les délivrer des tourments de l'enfer. Ma seule vengeance
sera d'avoir gravé sur le marbre le nom de mes ennemis, laissant
cette parole aux générations futures : Arnold de Tongres, faussaire
et calomniateur'. »
11 faut dire à l'honneur de Pfefferkorn qu'à la réception du libelle,
Use rendit à Stuttgard afin d'y joindre Reuchlin et de se présenter avec
lui devant le duc de Wurtemberg et son conseil, qu'il voulait prendre
pour arbitres de la querelle. Mais il ne rencontra pas son adversaire.
Maximilien, à qui Reuchlin avait envoyé sa Défense, y répondit
par une ordonnance datée de Coblentz (9 juillet 1513). Elle portait :
« qu'à propos d'une enquête commencée par lui et se rapportant à
la question des livres juifs, Reuchlin avait fait paraître plusieurs
brochures s'accordant mal avec les intentions de l'Empereur; l'une
d'elles accablait d'outrages Arnold de Tongres et la faculté de théo-
logie de Cologne. »« Et comme cet écrit était propre à scandaliser le
peuple, l'Empereur chargeait les archevêques de Cologne, de Mayence,
de Trêves, aussi bien que l'inquisiteur delà foi, de saisir l'ouvrage par-
tout où ils le trouveraient, de le détruire et d'en interdire le débit ^. »
Les facultés de théologie de Louvain, Cologne, Mayence, Erfurt et
Paris condamnèrent aussi le Miroir des yeux ^
I/inquisiteur de la foi, Hochstratten, commença le procès *.
' Geiger, Reuchlin, p. 272-278. — Dans ce genre de polémique, Reuchlin a servi
de modèle à Luther, quelque peu incliné qu'il fût, comme nous le verrous plus
tard, à ouvrir la voie à la rébellion du novateur.
^ Geiger, Reuchlin, p. 279-281.
* Pour plus de détails, voy. Geiger, p. 282-290.
* Nous ne possédons jusqu'à présent s;ir ce procès que les relations pleines
de partialité de Reuchlin et de ses amis. Voy. Geiger, p. 290-291.
U. 4
50 CONDAMNATION DU MIROIR DES YEUX.
Reuchlin, apprenant rinterdiction de son livre, en appela au Pape,
et pour se le rendre favorable il écrivit au médecin ordinaire du
Saint-Père, un Juif nommé Bonet de Lates, dans les termes les plus
humbles. I! s'était, disait-il, opposé aux théologiens de Cologne qui
s'obstinaient à vouloir détruire les livres juifs; il avait lutté pour
prouver la nécessité de les conserver; et pourprix desa bonne action
il se voyait la victime de la haine et des persécutions des docteurs.
Il priait instamment Bonet de soutenir sa cause auprès du Pape '.
Léon X renvoya la question au jeune évêque de Spire, le comte
palatin Georges. Peu versé dans les points en htige, celui-ci en remit
l'appréciation au chanoine Georges Truchsess, élève de Reuchlin.
Truchsess fut d'avis que le Miroir des yeux ne contenait aucune héré-
sie appréciable, qu'il ne pouvait causer de scandale, n'était cou-
pable d'aucune irrévérence et ne défendait pas les Juifs avec exagé-
ration. Selon lui, ce livre pouvait sans aucun inconvénient être mis
en vente; pour Hochstratten, il avait eu tort; il fallait le condamner à
une amende, et l'obliger à garder désormais le silence.
Hochstratten, à son tour, en appela à Léon X, et celui-ci choisit
pour arbitre le cardinal Grimani. En juin 1514, Grimani convoqua les
parties à Rome. Hochstratten fut sommé de comparaître en personne ;
Reuchlin, en considération de son grand âge, fut autorisé à se faire
représenter par un avocat. Hochstratten obéit aussitôt; mais le juge-
ment ne fut pas rendu, et d'année en année Rome ajourna la sentence
définitive. Eu vain l'archiduc Charles, le futur empereur, représentait-
il au Pape que plus on tardait, plus le mal croissait, et qu'il fallait
trancher promptemeut la question pour épargner le troupeaa du
Christ et ôter aux faibles tout motif de se scandaliser (1515)^ :
Reuchlin avait à Rome des partisans influents, laïques et ecclésiasti-
ques', et !e Pape, ne soupçonnant pas le péril, demeurait inactif*.
Pendant cet intervalle, un fait s'était produit ne justifiant que
trop l'avertissement donné par les théologiens de Cologne dans un
mémoire adressé par eux au cardinal Bernhardin (1514). « Si l'on ne
met un terme aux propos frivoles des poètes à propos de cette ques-
• - si les théologiens de Cologne » , dit Geiger [Reuchlin, p. 297), ■ avaient lu
cette lettre, ils y auraient puisé de nouveaux motifs d'accuser Reuchlin de par-
tialité envers les Juifs, aucun chrétien allemand n'ayant encore écrit à un
Juif dans un pareil style, qui surpasse en exagération emphatique la manière
déjà trop ornée des savants israélites. -
- Voy. Geiger, p. 311.
" Parmi ces amis influents, citons Etienne Rosinus, chapelain de l'empereur
Maxirailien et son chargé d'affaires ù Rome- V^oy. Aschbach, Die Wiener Universitai
und ihre Humanisten, p. 114-115, 349.
* Lucuhrationes, p. 27.
LES " POETES ' SE DECLAP.ENT POUR REUCHLIN. 51
tionoii la foi est intéressée, ils deviendront de plus en plus insolents,
et en viendront jusqu'à attaquer la vérité théologique elle-même*. «
Tandis que les premiers et les plus vénérables maîtres de l'huma-
nisme, Jacques Wimpheling, Sébastien Braqt *, tout amis de ReuchUn
qu'ils fussent, déclaraient ne pas approuver sa conduite, les« poètes »,
en grand nombre, prirent fait et cause pour le savant helléniste, et
l'excitèrent à aller toujours plus avant. Influencé par eux, Reuchlin,
autrefois si digne et si grave, changea complètement d'allure et de
langage. Ses procédés actuels contre les théologiens de Cologne
étaient absolument étrangers à ses habitudes d'esprit comme à son
caractère. Les " poètes -, se formant pour la première fois en
ligue serrée, firent servir les griefs de Reuchlin à leur haine contre
l'autorité ecclésiastique et la scolastique, et dirigèrent particulière-
ment leurs attaques contre les Dominicains, qui représentaient alors
dans toutes les Universités les traditions de cette école.
Malheureusement, la guerre contre les Frères prêcheurs fut servie
par un crime dont une relation, rédigée en latin et en allemand,
répandit partout le scandale. Quatre Dominicains de Berne, ayant
abusé le peuple par de soi-disant apparitions miraculeuses, venaient
d'expier leur imposture sur le bûcher (1509). Les hauts dignitaires de
l'Église, les évèques de Lausanne et de Sion, et le légat investi du
pouvoir papal, avaient conduit le procès et prononcé la sentence. Sur
la place du marché, les coupables, par l'ordre du légat, avaient été
dépouillés de leurs vêtements sacerdotaux, déclarés déchus de leur
dignité de prêtres, et livrés au bras séculier. Cet incident scan-
daleux devint le prétexte d'une grêle d'injures que les - poètes »
firent pleuvoir sur les autorités ecclésiastiques et sur le clergé en
général. Ils en profitèrent tout d'abord pour flétrir l'Ordre des
Dominicains, auquel avaient appartenu les quatre misérables K
.- Tout moine et tout prêtre mentent et trompent -, répétaient les
humanistes, " et le devoir de tout homme éclairé est de s'opposer
à eux*. î
Mutian s'offrit pour diriger la campagne. Déjà, en octobre 1512,
il avait écrit à Petrejus qu'en sa qualité de « panégyriste de Reuch-
hn ^, il entendait bien prendre sa cause en main. Après que le
rapport d'Arnold de Tongres eut été publié, il jugea que le moment
était enfin venu de » crever les yeux aux corbeaux ^ ".
' Voy. Geiger, p. 305.
* Voy. Schmidt, A'otice sur Sébastien Branl, Revue d'Alsace, nouvelle série, t. III,
p. 41-42.
' Voy. ce qui concerne le • Bernense sceius ■• dans Böcking, Clrich Huueni op.
Suppl., t. II, p. 305-314.
* Lucubraliones, p. 29.
* Voy. K.iMPSCHDLTE, t. I, p. 15i-156. — RRA.ÜSE, Briefwechsel, XLV fl.
52 MUTIAN POUR ET CONTRE REUCHLIN.
Cependant il avouait, en secret, il est vrai, à ses plus intimes amis,
que la condamnation de Reuchlin lui semblait juste; que Reuchlin,
dans son rapport sur les livres juifs, s'était exprimé avec plus de pré-
somption que l'intérêt de tous ne semblait le réclamer; que pour
soutenir son opinion il avait accumulé des reproches odieux; que
son orgueil était insupportable; qu'il s'était posé avec arrogance
en savant de premier ordre; enfin qu'en flattant les Juifs il avait
desservi les chrétiens, et donné aux âmes faibles une occasion de
scandale '.
Néanmoins, entraîné par sa haine pour les « barbares r^, Mutian
continuait à faire de la propagande parmi les humanistes au profit
d'une cause que lui-même trouvait mauvaise : « Puissent les dieux
confondre les théologastes! « répétait-il à ses amis; « ils ne méritent
pas d'être protégés par les lois; il faut les empêcher d'en recueillir
les bienfaits *. " Le nombre de ses partisans secrets croissait tous
les jours, et, plein de joie, il écrivait à Reuchlin : < D'excellents jeunes
gens affluent quotidiennement chez moi. Tu vis dans leur cœur et
sur leurs lèvres ^ » Ces nouveaux adeptes s'empressaient, à peine
reçus dans l'armée des poètes, d'apporter leur hommage à Reuchlin en
de louangeuses épilres, où ils l'encourageaient à persévérer dans une
lutte " devenue inévitable » contre la « race réprouvée > . L'un d'eux
débute en ces termes : « Très-saint père, la paix soit avec toi! » Un
autre appelle Reuchlin « un Hercule vainqueur, triomphant des
' Voy, cette remarquable lettre dans Tentzel, p. 137-143. — Krause, firie/icecAsf/,
p. 350-354. Mutian consentait à ce qu'on accordât à l'Église une obéissance exté-
rieure, et sa manière de voir se traduit clairement dans ses paroles : • Aucto-
ritatera ecclesiae refellere, cum sis bujus corporis membrum, et contumelio-
sum est et plénum impietatis. etiamsi errores deprehenderis. Scimus multa esse
ficla a viris sapientissimis et non ignoramus expedire vilœ ut homincs religione fallantur. •
En terminant, il recommande à son ami de ne reproduire rien de ce qu'il lui écrit,
et de jeter tout au feu. • Est-ce là ce même Mutian - , dit Geiger {Reuchlin, p. 351),
« qui s'indignait en voyant l'Université d'Erfurt condamner le livre de Reu-
chlin, et entrait en fureur contre les théologiens de Cologne, parce qu'ils
avaient livré aux flammes le Miroir des yeux? Ne reconnaissait-il qu'à lui et à
ses amis les savants le droit de prononcer en pareille matière? Refusait-il aux
illettrés l'entrée du sanctuaire? Est-ce un hypocrite, qui d'une main écrit à tous
les savants pour les presser de prendre la défense de Reuchlin, et de l'autre
confesse en secret à un ami que la condamnation de Reuchlin lui semble juste ? '
* Voy. Kampschulte, t. I, p. 171. Une lettre de Mutian à l'humaniste Hérébord
von der Marthen montre avec évidence le peu de part qu'avaient les motifs
moraux dans son attitude agressive contre les théologiens de Cologne. Il donne
à Hérébord, qu'il cherche à attirer au parti de Reuchlin, un conseil bas et hon-
teux, apropos des théologiens, - ces sophistes, ces moutons imbéciles •. — Cette
lettre se trouve dans l'ouvrage de Tentzel, p. 97-98, £■/;., 125. Mais Tentzel a
omis le passage où Mutian dissuade Hérébord du mariage : « Audivi aliquid de
sponsa. Cave futuas in matrimonio. Contentus sis fututioue extraordinaria -
Frankfurter Codex der Mulianischen Briefe, fol. 98''. Reproduit par Kracse, 387,
n» 316. Voy. Strauss, t. ï, p. 336, note.
^ Reuchlin s Briefwechsel, p. 256.
F. ES IKIINES HUMANISTES ET REUCHLIN. 53
monstres barbares' ». « C'est sans doute par une disposition des
dieux ", lui écrit Crotus Rubianus, « que cette querelle est survenue,
car les dieux ont coutume de fortifier ceux qu'ils aiment par des
épreuves. Mais rassure-toi, tu n'es pas seul! Tu as pour toi Mutian,
le savant illustre, et toute la cohorte de Mutian*. Là se trouvent des
philosophes, des poètes, des théologiens; tous te sont dévoués, tous
sont prêts à combattre pour toi. Eoban possède un don divin, c'est
un poète heureux; dans mon Hütten se réunissent la chaleur de
l'inspiration et la force du raisonnement. Fais de nous tes courriers,
donne-nous tes ordres! Nous sommes en tout temps prêts à te
servir'. « Eoban, exaltant Reuchlin dans une de ses pièces de vers,
le nomme le « dompteur des monstres * ». Il lui écrit (jan-
vier 1515) : « Le sénat de la République des savants a résolu ton
triomphe ■'. Puissent les dieux faire périr les méchants, et effacer
leur souvenir de la terre des vivants! Ils méritent la haine de tous les
gens de bien, car non-seulement ils persécutent la science, mais ils
corrompent notre divine religion. J'ai composé récemment quelques
ïambes énergiques contre les diahologues de Cologne, ainsi que tu
les appelles; j'en composerai encore bien d'autres, et je te les enverrai
lorsque le moment en sera venu. Ce qui me donne du courage, c'est
que je ne suis pas seul, car j'espère que Hütten, Busch, Crotus,
Spalatin, les compatriotes Philomusus " et Melanchthon, et beaucoup
d'autres, emboucheront bientôt avec moi la trompette de la vic-
toire ^ » « Tes ennemis ", lui annonçait Busche après qu'eut été
publiée la décision de l'évêque de Spire, " nous donnent mainte-
nant le spectacle de leur rage furieuse; dans leur délire insensé, ils
roulent les yeux, deviennent tantôt rouges, tantôt blafards, soupirent,
grincent des dents! Aussi je t'exhorte à prendre courage, car lu
verras bientôt la perversité de tes ennemis confondue '. »
« Je te recommande le calme », écrivait à Reuchlin Ulrich de
Hütten (13 janvier 1517). « Je me suis associé des compagnons dont
l'âge et les facultés correspondent de tous points à la lutte qui se pré-
' « ...Adversus tot deterrima monstra ex olida barbariae palude emergentia
invictissime Hercules. • — Voy. Kampschulte, t. I, p. 190, note 2. — Krause,
Briefwechsel, L-LII.
- "...Habes totum Mutiani ordinem. •
' BÖCKIXG, Huilent op., t. I. p. 28-30. — Voy. Kampschulte, t. I, p. 190.
^ Frankfurier Codex der Mulianischen Briefe, fol. 259. — Voy. Kampschulte, t. I,
p. 213
' «Tuvinces; latinae civitatis senatusjam tibi triumphum decrevit. •
' Jacques Locher. — Voy. plus haut, p. 23, note I.
^BöcKiNG, Huiteni op., I, p. 453-455. Les adversaires de Reuchlin étaient tous
considérés comme 1* ■ ignavum pecus .. — Voy. les lettres de M. Hummel-
BERGER dans Horawitz, Zw Biographie Rmchliiis, p. 13, 25, 35-36.
* Dans BÖCKING, Suppl., II, p. 746-747. — Voy. Geiger, Reuchlin, p. 362-363.
54 ULRICH DE HÜTTEN.
pare. Tu verras bientôt la pitoyable traj^édie de tes adversaires
tomber sous les sifflets d'une bande de rieurs. « « Ne pense pas que
j'aie fait choix pour mon entreprise d'auxiliaires indignes de toi. Je
m'avance à pas comptés, avec des amis dont chacun, tu peux le croire,
est de taille à lutter contre cette engeance, » « Prends courage,
l'incendie est préparé de longue main, et j'espère qu'il éclatera au
moment favorable '. -
III
Ulrich de Hütten, issu d'une famille noble, mais pauvre, de Fran-
conie, était né au château de Stekelberg en 1488. Lorsqu'il eut
atteint l'âge de onze ans, ses parents l'envoyèrent à l'abbaye de
Fulde pour y faire ses études. Son père le destinait à l'état ecclésias-
tique; mais Ulrich s'échappa secrètement de Fulde à l'instigation de
Crotus Rubianus (1504 ou 150.5). Depuis lors il mena la vie nomade
d'un étudiant et d'un lettré ambulant. Souvent il était réduit au plus
lamentable équipage, et sa détresse était extrême. Pendant de longues
années il erra d'Université en Université, du nord au sud de l'Alle-
magne, et voyagea aussi en Italie. Ses mauvaises mœurs avaient ruiné
sa santé; son corps était couvert d'ulcères et d'abcès douloureux, et
souvent il était réduit à un tel état de souffrance qu'un jour un de
ses amis ne craignit pas de lui conseiller ouvertement de mettre fin
à ses jours ^
C'était une nature sans frein, incapable de se plier à une disci-
pline quelconque. Ses amis mêmes redoutaient ce caractère irritable
à l'excès; un feu sombre couvait dans ce petit être faible, d'appa-
rence chétive. " Un seul mot, même murmuré tout bas >-, disait
Mutian, « suffit pour l'aigrir», i Les dons brillants qu'il avait reçus
de la nature, sa connaissance approfondie des langues anciennes, le
rempHssaient d'une vanité tellement extravagante, qu'il se considérait
comme l'initiateur d'un mouvement nouveau dans son siècle, et
regardait ses moindres actes comme important à l'histoire du
monde.
Or, son rôle ne consista jamais qu'à détruire.
' BÖCKING, Huitcni op., l, p. 129. • .laiiipridem incendium conflo, quod tem-
pestive spero efflagrabit. • Expliquant à ses amis le complot qu'il trame, il leur
dit : " Viginti amplius sumus in infamiam ac perniciem , vestram conjurati •
Dans la préface du Triumphus Capnionis.
* Voy. Strauss, t. I, p. 340.
' Voy. Strauss, t. I, p. 167-171.
ULRICH DE HÜTTEN. 55
Ce qui s'opposait à l'idéal fantastique qu'il s'était formé, et
géuait son rêve de liberté sans limites, il cherchait de tontes ses
forces à l'anéantir, et l'appelait despotisme, oppression intellectuelle.
Pour combattre ses adversaires, tous les moyens lui étaient bons. Il
dénaturait les faits, mentait, calomniait bassement, et cela sans aucun
scrupule. On ne voit pas qu'il ait jamais subi l'influence dune grande
idée '.
Introduit dans le cercle des humanistes par Crotus Rubianus, il y
apprit bien vite à honnir l'Église, à la cribler de sarcasmes, à se
railler de son enseignement et de ses lois. En peu de temps, il devint
le plus ardent et le plus habile disciple de Mutian. Il considérait ce
« saint homme » comme le chef commun de tous les conjurés contre
la barbarie, et resta en correspondance suivie avec lui durant tout
le cours de son aventureuse carrière *.
Hütten s'était tellement assimilé les manières de sentir et de
penser du paganisme, que dès 1510, dans une élégie, il se plaignait
aux dieux, et particulièrement au Christ, le dieu de la douleur, de
l'amertume de sa destinée, et demandait vengeance contre l'un de
ses ennemis. « Puisse tout ce qui se peut imaginer d'affreux et de
néfaste l'atteindre! Que ma fièvre et mes plaies horribles le tor-
turent, et que les nombreuses souffrances qui m'accablent deviennent
toutes le partage de ce pervers M »
Une autre élégie qu'il composa en 1515, après que le duc Ulrich
de Wurtemberg eut fait assassiner le maréchal Hans de Hütten,
cousin dupoëte, mérite, à ce point de vue, d'être remarquée. Le fond
en est essentiellement païen '. >: Les âmes survivent-elles à la mort? y
dit Ulrich en s'adressant au père du jeune homme et cherchant à ie
consoler. « En bons chrétiens, nous devons le croire; mais quand
bien même elles retourneraient au néant, leur perte ne serait pas
un mal, puisque, avec la sensation, ces âmes ont vu finir toutes leurs
souffrances. » Le reste du morceau n'est que le développement de
ce thème.
Dès son premier séjour en Italie (1513), Hütten voua la haine la
plus implacable à la papauté. Il avait du reste donné la mesure de ses
sentiments sous ce rapport dans ses Epigrammes, où il avait pris à partie
le « corrupteur du monde, la peste de l'humanité », Iules H '\
• VoRREiTER (p. 185-213) trace un très-juste portrait de Hütten. « Gerte vafer
est » , écrivait Laurent Behaim à Pirkheimer, - quae mera sunt mendacia (et ipse
fassus est) instruit in iiia. » Heumanx, Doc. litt., p. 258.
* Kampschulte, t. I, p. 68, 96, 202-204.
' MoHMKE, Ulrich HuiicHs Klagen. (Greifswalde, 1816.)
' Comme le dit très-justement Strauss, t. I, p. 119.
^ Voy. Strauss, t. I, p. 99-100.
56 PJIXEGYIUQUE D'ALBERT PAR HÜTTEN.
De retour d'Italie (1514), Hütten chercha fortune à la cour de l'ar-
chevêque de Mayence, Albert de Brandebourg. Là, il comptait sur
la protection d'Eitelwolf de Stein, ami de Mutian, qui y occupait un
poste influent. Personne, au dire d'Ulrich, ne surpassait Albert en
bonté; c'était le « père de la patrie ». Pourtant, en sa qualité d'agi-
tateur révolutionnaire, Hütten nourrissait pour tous les princes des
sentiments hostiles; mais il était d'avis -^ que son parti, pour triom-
pher, devait savoir utiliser cette race d'hommes -, les célébrer,
leur prodiguer les noms de iMécène et d'Auguste. Il importait « de
dresser des pièges à leur vanité, d'obtenir leur faveur, d'entrer à leur
service, et, comme avaient su le faire les juristes et les théologiens,
de briguer des charges à leurs cours ' . Aussi le voyons-nous
porter Albert aux nues. Dans l'un de ces poèmes, il l'appelle
" l'ornement de son siècle, la parure de la piété, l'appui de la paix,
le défenseur des sciences » (1514). Le Rhin invite tous les fleuves
à célébrer l'Électeur, et s'empresse de venir lui-même - rendre
hommage à son roi et à son maître. Jamais le visage du dieu
n'avait été plus rayonnant qu'aujourd'hui! » « Parle, prince, quels
seront donc tes hauts faits dans l'avenir, toi qui dans la fleur de
ta jeunesse surpasses déjà tes prédécesseurs *? » Or le prince de
Hohenzollern, alors âgé de vingt-quatre ans, n'avait, en dehors de
sa haute naissance, aucun titre à l'admiration de son peuple. En
vertu du détestable abus qui régnait alors', il avait été élu arche-
vêque de Magdebourg, puis administrateur de l'archevêché d'Hal-
berstadt, plus tard archevêque de Mayence, et enfin primat de l'Église
d'Allemagne.
Érasme, lorsque parut le Panégyrique d Albert, annonça à l'Allemagne
l'avènement d'un grand poète épique. Le prince archevêque fit re-
mettre à Hütten un présent de deux cents florins d'or, et lui promit
de plus un emploi à sa cour aussitôt qu'il aurait achevé en Italie ses
études juridiques. Hütten partit donc pour Rome et Bologne (voyage
dont Albert fit tous les frais), nourrissant toujours une profonde
haine contre la « race hypocrite et damnée des théologiens et des
moines ». A Rome, il suivit avec un extrême intérêt le procès de
Reuchlin, bien que le sentiment du Pape sur cette question le laissât
absolument indifférent. « Une flèche lancée par Érasme à un
faquin », disait-il, « me paraîtra toujours plus redoutable que dix
excommunications ou sentences d'exil prononcées par ce Florentin *;
' Voy. Strauss, t. I, p. 327.
' Voy. ces passages dans L. Schübart, L'ebersetzung des Gedichtes bei May, t I,
Beilagen und Urkunden, p. 11-19.
* Voy. notre premier volume, p. 578.
* I-e pape Léon x.
HÜTTEN ET ÉRASME. J7
les foudres qu'il lance, pour de nombreux et excellents motifs, n'ont
plus {jrandc importance, aux yeux de ceux qui possèdent encore un
peu de virile énergie '. >>
A Mayence, Hulten, en 1514, était entré en relation avec Erasme.
Peu de temps après, il couvrait d'éloges la « véritable théologie »
ressuscitée par celui-ci « pour la confusion et la rage de leurs ennemis
communs «. Et pourtant, exclusivement épris de l'antiquité païenne,
Hütten n'avait jamais approfondi les sciences chrétiennes, et les ques-
tions théologiques luiétaientabsolumentétrangères.Celane l'empêche
point d'exalter Érasme, qu'il appelle le Socrate allemand, assurant
qu'il n'a pas rendu de moindres services à la culture populaire que
Socrate, en Grèce, n'en avait rendu autrefois à l'éducation des jeunes
hommes de son pays. Il lui témoigne le désir qu'il a de s'attacher
étroitement à lui, et veut devenir son Alcibiade *.
Ensme, peu de temps auparavant, avait ' lancé de nouvelles flèches
aux faquins », selon l'expression de Hütten, dans sa nouvelle édilion
de VÉlogede la folie (1515) S et l'avait accompagnée d'un commen-
taire dont soi-disant Gerardus Listrius était l'auteur, mais qui en
réalité était de lui*.
Ce commentaire accrut encore la réputation d'Érasme. Cette
mordante satire donna sa véritable portée à l'agitation passionnée
excitée par la querelle de Reuchlin, et servit à merveille la guerre
audacieuse entreprise contre le culte populaire, la science sco-
lastique, les Ordres religieux et la chaire apostolique. Elle se pro-
pagea rapidement ^
Au moment de son apparition, les amis de Mutian préparaient de
leur côté d'autres satires d'un genre plus dangereux encore". Nous
voulons parler des EpUres des hommes obscurs , composées en grande
partie par Crotus Rubianus et Hütten ^ Les poètes se flattaient que
' BÖCKING, Vir. Hulleni op., I, p. 133.
^ Erasmi op.. III, 1573. y9pp. ep. 86. La lettre est datée d'octobre 1515. —
Voy. Strauss, t. I, p. 156, note.
' Voyez plus haut, p. 15, 17.
*Du moins quant au fond. Voy- Vischer, Erasmiana, p. 36.
^ Voy. Stockmeyer et Reber, Beitrüge zur Baseler Burhdruckergeschichie , p. 89.
• Vix aliud (opus) majore plausu exceptum est -, disait Érasme lui-même à pro-
pos de sa satire, ^ praesertim apud magnâtes • [Op. X, 3), qui alors jouaient
encore avec le feu.
/Voy. Kampschulte, t. I, p. 208-226. — Mutian n'écrivit pas une seule des
Epiires, mais il créa l'atmosphère où de telles productions devinrent possibles,
et fut l'inspirateur de ces libelles pleins de fiel. Sur la participation qu'eut très-
probablement Eoban Hessus aux Epiires, voy. Krauss, Eobamis Hessus, t. II, p. 183-
190. — Voy. aussi Schw-ertzell, p. 19-23.
' Böcking, dans les deux volumes de supplément dont il fait suivre l'édition
des œuvres de Hütten, a donné une excellente reproduction des Epistolœ obscu-
Torum l'irorum. Elle est suivie d'un commentaire savant et complet Sur l'huma-
58 LES E PITRES DES HOMMES OBSCUIiS.
ce pamphlet, dont la première partie parut en 1515 et 1516 et la
seconde en 1517, porterait un coup définitif aux - barbares ».
Presque toutes les Epitrcs des hommes obscurs se rapportent à la
querelle de Reuchlin. Mais leur véritable but n est pas d'accabler
de sarcasmes les adversaires de Hochstratten, c'est d'ouvrir la cam-
pagne contre Taulorité de l'Église. Les théologiens de Cologne ne
sont pas l'objet principal de l'attaque; comme Juste Menius le remar-
quait plus tard avec raison, il s'agissait avant tout de monter à l'assaut
de la papauté '.
Erasme ne prit aucune part à la composition des É pitres ; peut-
être même en désapprouvait-il le ton. Cependant c'est à bon droit que
le prince de Carpi lui reprochait d'avoir, par VEloge de la folie, ^ ce
libelle venimeux contre la méthode scolastique, les maîtres du moyen
âge et les institutions ecclésiastiques " , fourni à leurs auteurs des armes
de toute nature, de sorte qu'on pouvait regarder Érasme comme le
vrai père intellectuel de ces pamphlets, dont l'action fut immense -.
En effet, le fond, la substance des Epitres, c'est toujours et encore
VEloge de la folie, transposé en plus âpre, en plus grossier langage, et
rempli d'attaques plus directes. Ce qui y blesse le plus le goût du
lecteur, ce sont les plaisanteries dont la sainte Écriture est le thème.
Érasme avait abusé de la Bible; il en avait burlesquement interprété
certains textes; mais, allantau delà, les Epitres des hommes obscurs
mettent sur les lèvres des moines dégradés qu'elles nous présentent
des sentences bibliques qui sont censées devoir excuser des actes hon-
teux. Érasme, tout dépourvu qu'il fût de véritable sens moral, s'était
donné pour un rhétoricien moraliste; il avait livré au mépris
public toute la « moinerie -, mais jamais il n'avait nommé personne^;
niste Ortwinus Gratius, auquel les moines sont censés écrire, voy. notre premier
volume, p. 81-82, et surtout le livre de Reichling, Ortwin Gratius, Heiligenstadt,
1884. Le Fasciculus rerum expectandarum ac fugiendarum lui est faussement attribué.
Voy. sur ce point le travail de G. Cremans, dans les Annalen des histor. Vereins für >
den Xiederrhein, rahier23, p. 192-224. — Les Epist. obscur, virorum sont la Contre-partie
des Clarorum rirorum epislolœ missœ ad Reuchlinum. C'est donc à tort qu"en Alle-
magne on désigne ces epitres sous le nom de Briefe der Bunkehnänner, dans le sens ,
d'hommes ignorants ou ténébreux. — Voy.BôciciNG, Suppl., t. II, p. 517. — Voy. I
la critique des Epîtres dans Strauss; c'est un chef-d'œuvre en son genre. — '
Voy. aussi P.\llsen, p. 49-53.
' Voy. Kampschllte, t. I, p. 201, note 1. C'est Juste Menius et non .Juste Jonas
qui est l'auteur de cette lettre. — Voy. Geiger, Beuchlin, p. 344. Que Mutian,
Crotus Rubianus et Hutten aient tenu Léon X en honneur, qu'ils aient sollicité sa
protection, cela ne contredit en rien le fait de leurs attaques contre la papauté.
C'est l'institulion. non l'homme, qu'ils combattaient.
- Lucubrationes, p. 51.
' Il était surtout mécontent des personnalités que renfermaient ces lettres
« Lusi (!) equidem in Moria, sed incruente nullius famam nominatim per-
strinxi ' , écrivait-il le 16 août 1517 à l'humaniste Caesarius. Il écrit de même l\
RÉPONSE DES THÉOLOGIENS DE COLOGNE. 59
au lieu que ses continuateurs jettent à leurs adversaires de la boue
en pleine ti(;ure. Ils vont jusqu'à insulter Tirrcprochable Arnold de
Tonp,res, lui attribuant des lettres ignobles où il est fait allusion à
un commerce adultère prétendu entre lui ebla femme de Pfeffer-
korn, leur ennemi juré.
Les images, les comparaisons qu'on rencontre dans les Epures
sont absolument vulgaires. Jésus-Christ y est comparé à Cadmus;
de même que Cadmus redemandait partout Europe, Jésus-Christ
cherche en tous lieux sa sœur, l'âme humaine; de même que le
Christ a eu deux naissances, l'une avant tous les siècles et l'autre
selon la chair, de même Bacchus est né deux fois. Sémélé, mère
de Bacchus, est comparée à la Vierge Marie '. Le Pape est traité
avec le dernier mépris. Les indulgences, la vénération des reliques
sont tournées en dérision. La sainte tunique de Trêves, assure
un poète écolier, n'est autre chose qu'une vieille guenille. Les trois
saints rois de Cologne sont vraisemblablement trois paysans west-
phaliens.
La vraie théologie, expression par laquelle on désignait alors
l'ensemble des théories religieuses d'Érasme, avait aussi sa place dans
les Épitrcs. Elle y est célébrée comme un admirable moyen de réfor-
mer l'Église, et d'écarter d'elle les abus qui s'y sont glissés. Par des
hommes tels qu'Érasme, Dieu avait voulu visiter et châtier ces théo-
logiens obstinés qui restaient attachés à la doctrine sombre, déraison-
nable, surannée, mise en honneur par eux plusieurs siècles auparavant.
Ignorants de la science philologique, ils n'étaient même pas en état
de comprendre la sainte Écriture. Mutian est mis au rang des « grands
esprits appelés à réformer les maîtres de cette science stérile* ".
Hochstratten, en réponse au pamphlet, fit paraître son Apolocjie.
« Nous nous garderons bien ■, dit-il en commençant, « de parler
comme ces hommes qui se plaisent à semer partout l'outrage, dont
la bouche est pleine d'une amertume détestable, et qui, dépourvus
d'équité et de science, se servent d'injures plus grossières que n'ont
coutume d'en employer de vulgaires histrions. Que le Dieu qui est
béni dans toute l'éternité juge entre nous et eux! - « Celui dont le
trône est au-dessus des nuages «, dit-il en s'adressanl à Reuchlin,
« connaît le fond de notre cœur; il sait avec quelle patience nous
avons souffert les injures et les outrages, bien qu'innocents, nous
bornant à invoquer le Seigneur de toute notre âme, et n'imitant
pas ces fomentateurs de fausses doctrines qui souillent de leurs
Hermann de Neunar : - Lusimus et nos olimin Moria, sed nullius nomen a nobis
perstrictura est. » Op. m, 1622, 1626, App. ep. 160, 168.
' Voy. d'autres passages analogues dans Böcking, Suppl., t. I, p. 161.
' Epist. 2, p. 50. — BÖCKING, t. I, p. 264-266.
60 DÉFENSE DE PFEFFERKORN.
abominables sarcasmes la réputation d'hommes dignes de respect.
Nul ami de la vérité, nous l'espérons, ne pourra dire que les théolo-
giens de Cologne t'aient combattu parla ruse ou la déloyauté; et tous
les hommes sincères seront forcés de reconnaître que nous n'avons
parlé que pour défendre la foi chrétienne, agissant non par haine,
ni pour satisfaire notre vanité personnelle, mais en vertu du droit
que nous donnent les Décrétales, lesquelles nous font un devoir de
combattre les doctrines d'erreur". «
Pfefferkorn, pour répondre aux railleries, aux sarcasmes que les
Epîtrcs des hommes obsatrs ^Qtsàtni à pleines mains sur les choses les
plus vénérables, et aussi pour se laver des accusations calomniatrices
dirigées contre sa personne, écrivit sa Défense, qui parut en latin et
en allemand (1516)*, et plus tard le Petit Livre de combat [Slreit-
biichlein). La Défense est précédée d'un avertissement rimé qui débute
par ces paroles.
« 0 vous, princes chrétiens, seigneurs ecclésiastiques,
Combien de temps serez-vous les témoins muets d'une telle insolence?
Prenez garde à Satan ! car, je vous en avertis,
Il conduit avec lui une grande troupe de démons
Avec laquelle il a dessein d'anéantir notre foi. »
L'ouvrage est dédié à Albert de Mayence. Pfefferkorn le conjurait
d'intervenir dans la querelle, d'interdire enfin les livres pernicieux
des Juifs, d'amener à une heureuse conclusion l'affaire de Reuchliu,
depuis trois ans en suspens à Rome, et enfin de travailler à sa
réhabilitation devant ses juges spirituels et temporels, car il se voyait
atteint dans son honneur. Mais Albert mit le livre de côté sans
le lire, et laissa sans réponse celui qui le lui présentait. Non que
Pfefferkorn fiU allé trop loin dans ses réclamations contre les
Juifs. Alors comme autrefois, il se bornait à demander qu'on leur
enlevât la possibilité de s'adonner à l'usure, qu'on les astreignît
à des travaux manuels et utiles , et qu'on les obligeât à assister
aux prédications chrétiennes. Loin d'être d'un autre avis, Albert,
à ce même moment, cherchait précisément à réunir les priuccs et
les cités dans une ligue commune, ayant pour but le bannissement
perpétuel des Juifs ^ S'il refusait de prendre en main la cause de
Pfefferkorn et d'aider à sa réhabilitation, c'est qu'enlacé dans les
filets des humanistes, il avait ouvertement pris parti contre les théo-
' Voy. Geigeu, Ikuchlin, p. 411-412.
* La Defensio J. Pepericorni contra famosas et crimiiiales obscurorum virorum epi-
slolas, etc., dans Bocking, Suppl. I, p. 81-176. — Voy. Geiger, p. 378-386.
' Voy. notre premier volume, p. 379.
ALBERT DEMAYENCEETSACOUR. 61
lofjiens de Colojjne, et ne voulait accorder ni à eux ni à leurs amis
le droit de demander justice devant les tribunaux. « Je voudrais»,
écrivait à Keuchlin le médecin ordinaire de l'archevêque « que la
terre s'entr'ouvrit pour cn[jloutir ce .luifbaplisé, ainsi que la troupe
venimeuse de ces faux théologiens, de cette bande de moines, qui
le soutiennent et le protègent ' ! »
Albert de Mayence, prince rempli de vanité, rêvait de faire de
son palais un centre d'humanistes et de poètes en renom, et d'être
pour l'Allemagne un autre Médicis. « Quel est parmi nous le savant
qu'Albert ne connaisse? > écrivait Hütten; -< quel homme instruit
et cultivé l'a jamais célébré sans recevoir aussitôt la preuve de sa
libéralité, et sans être honoré de sa protection? ^ Des peintres comme
Albert Dürer, Mathieu Grünewald, des miniaturistes comme Beham
et Glockendon, recevaient les nombreuses commandes de l'Electeur,
Des orfèvres, des sculpteurs de talent, princièrement récompensés,
enrichissaient la cathédrale de Mayence et son trésor de splendides
œuvres d'art ^ L'archevêque était aussi un amateur passionné de
musique. Il faisait venir de tous côtés, même d'Italie, les musiciens
les plus célèbres, pour relever l'éclat de ses fêtes, auxquelles, bien
souvent, les dames prenaient part. De riches tapis, d'étincelants
miroirs ornaient les salles et les appartements particuliers du palais;
les tables étaient chargées de mets délicats et de vins exquis. Lorsqu'il
se montrait en public, l'Électeur se plaisait à étaler un faste impo-
sant. Il entretenait une garde du corps composée de cent cinquante
cavaliers armés. Une troupe de valets, magnifiquement vêtus, for-
mait sa suite, et les jeunes nobles du pays passaient pour recevoir
à sa cour et sous sa direction la « véritable éducation chevale-
resque. ') Le train magnifique de cette cour brillante, l'esprit qui
y régnait, excitaient naturellement l'enthousiasme de plus d'un flat-
teur; mais il faut convenir que ce qui faisait l'objet de leur admiration
correspondait fort peu à la vocation et aux devoirs d'un archevêque,
et surtout d'un primat de l'Église d'Allemagne. Au reste, les convic-
tions religieuses d'Albert n'étaient ni profondes ni raisonnées, et sa
conduite morale était loin de mériter le respect. Il n'avait pas fait
' « Utinam ima tellus dehiscat et tinctum Judaeum devoret, atque etiam atram
pseuilotheolofçorum aciem et œrumnosam fraterculorum conventionem -, etc.
Ce médecin se vantait d'avoir si bien arrangé les choses, « aidé par d'autres amis
des savants •, qu'Albert n'avait pas même ouvert le mémoire à lui envoyé par
Pfefferkorn. « L'archevêque", assurait-il, « était du parti de Reuchlin, et soute-
nait sa cause. Reuchlin s Bricßcechsel, p. 254-256.
*La plus grande partie de ces chefs-d'œuvre fut pillée parles Suédois pendant
la guerre de Trente ans, et l'on croit qu'ils sombrèrent dans la traversée qui
devait les amener en Suède. On voit encore au Musée des médailles, à Stockholm,
une crosse d'argent artistement ciselée ayant appartenu à Albert. V'oy. la lettre
de J. D. Passavant, dans Hennés, Albrecht von Brandenbourg, p. 336.
62 ALBERT DK MAYENCE ET SA COUR.
de sérieuses études thcologiques, et ne se mettait nullement en peine
d'organiser et de discipliner son clergé. Si le mot scolastique était
pour lai synonyme de barbarie, il se montrait ravi du« divin génie »
d'Érasme. A son avis, Érasme avait rendu à la théologie son ancien
lustre, terni depuis tant de siècles'. Il l'assurait de sa protection;
aussi Érasme, écrivant à Hutteu, appelle-t-ilTarchevéque ; le plus bel
ornement de l'Allemagne dans le siècle présent- ■ ; toutefois il ne
peut s'empêcher de déplorer qu'Albert, en acceptant le chapeau de
cardinal, ait méconnu sa vraie grandeur eu consentant à redescendre
au simple rang de -< moine du Pape ^ '•.
Les Ê pitres des hommes obscurs rapportent que les « poètes >• qui
habitaient le palais archiépiscopal, tous libres penseurs, tous con-
tempteurs de la religion, avaient coutume de se réunir à V Hôtellerie
de la Couronne. Là, l'épée ou le poignard suspendus à la ceinture,
ils allaient, venaient, jouaient au dé des billets d'indulgence, tenaient
des propos impies, accablaient de quolibets et d'injures les moines
ou les " maîtres es arts « que leur mauvaise étoile conduisait dans
ce lieu*. Ulrich de Hütten, un des habitués de la Couronne, fait dire
à un moine, dans l'une des Epures, que lui, Hütten, s'était un jour
vanté que, si jamais les Dominicains se conduisaient envers lui
comme envers Reuchliu, il leur jetterait publiquement le défi, et
couperait le nez et les oreilles de tous ceux qui tomberaient entre
ses mains \
Des menaces de ce genre n'étaient point de simples fanfaronnades
dans la bouche d'Ulrich. Érasme rapportait plus tard, comme un fait
connu de tout le monde, qu'il avait un jour coupé les oreilles à deux
Frères prêcheurs qui s'étaient trouvés sur sa route *■'. Les guerres pri-
vées, les rapines, plaisaient singulièrement à cette nature farouche et
indomptée. En 1509, étaut encore bien jeune, nous le voyons donner
à son cousin Louis de Hütten le conseil de barrer le chemin à un
marchand dont il avait eu à se plaindre, de le guetter lorsqu'il se
' Voy. ses lettres à Érasme. Erasmi op. III, p. 350, 451, ep. 334-434. La der-
nière est datée du 13 juin 1519, par conséquent à une époque ou plusieurs
des plus violents pamphlets de Hütten contre la papauté avaient déjà paru,
cependant Albert l'appelle encore = notre Hütten - , - Huttenum uostrura vel
idcirco, quia amari abs te inteliigimus, libenter diligimus ».
- " Luicum his temporibus nostrae Germaui« ornamentum. " Op. lil, p. 44'.
^ - Monachus factus Romani poulificis. - Op. III, 1686. .^pp. ep. 296.
* Voy. Strauss, t. I. p. 242.
^ Dans les Epist. obscur, viromm, t. II, p. 55 (BöCki.no. Suppl. II, p. 272 , le
magister Sylvestre Gricius rapporte que parmi les - commensales in hospitio
coron« • se trouve Ulricus de Hütten, - qui est valde bestialis, qui semel dixit, si
fratres praedicatores », etc.
" Strauss, t. Il, p. 240-241, note 3. • H*c atque hujus generis permulta '^
ajoute Érasme, • etiam populus ubique novit. • ,
POÉSIE « DE LA HAINE ET DE LA VENGEANCE ». 63
rendrait â la foire de Francfort, de le terrasser, mais non de le
tuer, ce qui serait peut-être imprudent, puis de le faire mettre au
cachot. Ulrich se réservait le soin de com|)lcter lui-même le châ-
timent'.
Avant le retour de Hütten d'Italie, et lorsqu'il ne faisait pas encore
officiellement partie de la cour de l'archevêque, il avait fait rééditer
l'ouvrage de Laurent Valla : De la prétendue donation de l'empereur
Comtantin au pape Sijlvcatre et à ses successeurs. Le livre était pré-
cédé d'une préface adressée à Léon X, qui surpassait en attaques vio-
lentes, en injures, en mépris, tout ce qui av.iit été écrit jusque-là
contre la papauté. Tous les pontifes des siècles précédents y étaient
appelés « brigands, voleurs, tyrans, sangsues du peuple »; sous prétexte
de remettre les péchés, ils avaient, disait Hütten, établi un commerce
lucratif d'indulgences, se faisant une source de revenus avec les châti-
ments réservés aux pécheurs dans la vie future. « Seul, le grand pape
Léon », ajoutait hypocritement Ulrich, « méritait toute louange. »
Or, ce même Léon, il l'avait appelé peu de jours auparavant « un
Florentin frivole et cupide ". Miùs il assurait maintenant que le Pape
avait fait refleurir la justice et la paix, la vérité et la liberté, et
qu'on allait le voir renoncer de lui-même au pouvoir temporel, et
donner bénévolement ce qu'on aurait été contraint de reprendre par
la force, si un mauvais pontife eût été élu à sa place \
Cela n'empêchait pas Hütten d'être depuis longtemps convaincu
que pour la sainte cause de la liberté " on serait bientôt con-
traint d'employer la violence. Dans son Triomphe de Reuchlin, il n'a
laissé planer aucun doute sur ce qu'on eût eu à attendre de son parti
s'il s'était un jour trouvé à même d'exécuter ses plans. Nous y voyons
comparaître, chargés de chaînes, tous les adversaires de Reuchlin.
Hütten les accable d'injures. H presse le bourreau de commencer
leur supplice; il l'exhorte à torturer Pfefferkorn, à le mettre sous
ses pieds, et décrit avec une satisfaction féroce les tourments qu'il va
subir. " Trainez-le sur la terre! Que son hideux visage balaye le sol!
Que ses genoux élevés l'empêchent d'apercevoir le ciel, que ses yeux
hagards ne puissent vous émouvoir, que sa bouche calomniatrice
baise la poussière et s'en nourrisse! Qu'attendez-vous, bourreaux?
Hâtez-vous d'ouvrir sa bouche et de lui arracher cette langue détes-
table qui a fait tant de mal, afin qu'il ne puisse plus souiller de
ses propos infâmes cette fête triomphale! Arrachez-lui le nez et les
' Strauss, t. I, p. 69-70.
- Voy. Strauss, 1. 1, p. 280-2S5.
64 L.\ RENAISSANCE A LA COUR DES PRINCES ECCLESIASTIQUES.
oreilles; enfoncez profondément vos clous dans ses pieds! Que sa
face et sa poitrine balayent le sol! Meurtrissez sa mâchoire! Que ses
lèvres soient désormais incapables de nuire! Avez-vous lié solide-
ment les mains derrière le dos? Bien! maintenant, rognez-lui les
ongles, bourreaux! n
A la vue d'un semblable supplice, les hommes et les enfants qui
composent l'assemblée sont invités à applaudir et à battre des mains '.
La poésie " de la haine et de la vengeance » a été introduite par
Hütten dans notre littérature, et c'est le Triomphe de Reuchlin qui
commence à nous en révéler le véritable caractère *.
Bien des gens trouvaient singulier qu'un archevêque, le primat de
l'Église d'Allemagne, eût donné une charge quelconque à sa cour à
un homme comme Hütten. Le prince de Carpi, dix ans plus tard,
écrivait de Rome à ce sujet : « Les princes ecclésiastiques et laïques
récoltent maintenant les fruits de la semence qu'ils ont répandue
à profusion, ou dont ils ont, tout au moins, favorisé la croissance.
Ce sont les poètes qui ont le plus contribué à exciter en Alle-
magne la révolte contre l'Eglise et la société. Ce sont eux qui
ont encouragé toutes ces violations du droit dont nous sommes
tous les jours les témoins. Mais qui donc a soutenu ces hommes ?
Ce sont les dignitaires ecclésiastiques, et ceux mêmes du rang le
plus élevé. Ils ont entretenu à leur cour voluptueuse ces gens aux
tendances à demi païennes, qui jettent le mépris sur tout ce qui
est resté cher au peuple, et n'ont d'autre but que le renversement
de tout ce qui existe. Le funeste exemple des poètes et des courti-
sans a fait un mal incalculable. L'insouciance, l'esprit mondain des
I Rident puerique virique,
L'na omnes rident, plausuque favente seqiientur.
- Triomphus doctoris Beuchltni, dans BÖCK1NG. t. III, p. 413-448. Hutten avait mon-
tré ce poëme à Érasme dès 1514. Celui-ci lui avait donné des éloges, mais n'avait
pas jugé le moment; opportun pour sa publication. La colère d'Érasme contre
Pfefferkorn est curieuse à constater. Celui-ci avait eu l'audace de lui jeter en
passant une attaque légère, évitant même de le nommer. (Geiger, Reuchlin,
p. 386, note 3.) — Cependant Érasme trouve un pareil procédé digne d'être châ-
tié par la main du bourreau. = 0 pestem indignam talibus adversarii.s, dignam
carnifice. • (0/7. III, 1639, .4;)p. e/;. 200.) • C'est à présent ' , s'écrie-t-il indigné,
« que Pfefferkorn prouve clairement sa qualité de Juif. Ses ancêtres ont exercé
leur fureur contre le seul Jésus-Christ; mais lui ne craint pas d'attaquer une foule
d'hommes haut placés. De Juif infâme il est devenu Juif plus infâme encore. ■
Les autorités ecclésiastiques, l'Empereur, le conseil de Cologne, tous devaient
agir de concert pour préparer la ruine de ce misérable. (Geiger, p. 342.) Les vio-
lentes sorties de ce genre étaient alors fréquentes, et appartiennent aux sym-
ptômes les plus malsains de l'époque. Tandis que les humanistes, « les cultivés •
comme ils s'intitulaient modestement, se croyaient autorisés à attaquer, à calom-
nier tout l'univers, ils écumaient de rage, ils réclamaient le secours des auto-
rités aussitôt qu'on avait l'audace de se défendre contre leurs attaques, ou seu-
lement d'exprimer d'autres opinions que les leurs.
INDULGENCE FOUK LA CONSTRUCTION DE SAINT-PIERRE. 65
princes de rÉglise est cause en grande partie du discrédit où est
tombé l'état religieux, et des troubles qui nieuaccnl l'Église et la
société '. »
Mais le prince de Carpi aurait di) ajouter que la « funeste engeance
des poètes » avait trouvé à Rome encouragement et protection bien
avant que l'Allemagne l'etU accueillie, et que la Renaissance avait
exercé en Italie son séduisant empire longtemps avant qu'elle eût
trouvé quelque crédit en Allemagne. Parmi les cent vingt poètes *
qui sous Léon X assiégeaient tous les jours les théâtres, les palais, et
même les églises, bien peu semblent avoir eu quelques principes
chrétiens. Le genre de vie adopté en Allemagne dans un grand
nombre de cours ecclésiastiques, et particulièrement à Mayence,
formait assurément un contraste regrettable avec les devoirs d'état
d'un haut dignitaire de l'Eglise; mais il faut bien reconnaître que le
faste de la cour de Léon X, les jeux, les représentations théâtrales, les
fêtes mondaines qui s'y succédaient sans interruption, convenaient
moins encore au caractère sacré du chef suprême de la chrétienté.
L'esprit mondain, la vie voluptueuse des princes ecclésiastiques d'Alle-
magne n'étaient que la reproduction des idées et des mœurs des pré-
lats italiens, et d'ailleurs ils eussent été à peine possibles ou n'auraient
pu être longtemps tolérés si l'exemple ne fût venu de haut. Long-
temps avant qu'en Allemagne la science et l'art aient été envahis
par l'esprit du paganisme, ils s'étaient affranchis en Italie des
anciennes traditions chrétiennes ; savants et artistes avaient perdu
tout respect pour le passé chrétien. Ce qui le prouve avec évidence,
c'est la décision prise en 1506 par Jules II à propos de la vieille basi-
lique de Saint-Pierre. Lorsqu'il ordonna la démolition de ce sanc-
tuaire, vénéré depuis tant d'années par la piété de la chrétienté tout
entière, et voulut qu'un monument grandiose, imitation magnijfique
du Panthéon, fût érigé à sa place, ce dessein rencontra dans le peuple
! de Rome de nombreuses oppositions ^ En Allemagne aussi, bien des
' voix s'élevèrent pour déplorer la destruction de l'antique basilique.
! On exprimait tout haut la crainte que ce plan, loin d'être inspiré par
l'Évangile, ne fût le résultat d'un culte profane pour l'art, et l'on
ne pressentit que trop qu'une pareille entreprise, - loin d'attirer sur
l'Église et le peuple chrétien la bénédiction de Dieu^ leur serait
au contraire très-funeste » .
' Ltuubraliones, p. 49.
* Voy. Reumont, Geschichte Roms, Z^, p. 351.
' Voy. Ranke, Päpste, t. I, p. 67-70. — Reumont, 3''. p. 377.
* Écrivait le chanoine Charles de Bodmann, dans une lettre encore inédite
datée du 17 août 1516.
H. 5
66 INDULGENCE POUR LA CONSTRUCTION DE SAINT-PIERRE.
Pour commencer les fondations de Saint-Pierre, Jules II avait
publié une indulgence. Léon X la renouvela en 1511, afin d'être en
état de faire continuer l'immense édifice avec les offrandes des
fidèles. Il chargea les Frères Mineurs d'en répandre les bulles dans
toute l'Europe chrétienne, et l'archevêque de Mayence fut nommé
premier commissaire du Pape pour l'Allemagne du Nord. Albert
songea aussitôt à mettre à profit une occasion si favorable de payer
les dettes énormes qu'il avait contractées chez les Fugger d' Augsbourg,
lors de sa promotion au siège archiépiscopal. Les frais du pallium
ne s'élevaient pas alors, pour l'archevêché de Mayence, à moins de
20,000 florins du Rhin, répartis entre les divers districts du diocèse.
En l'espace de dix ans, cette contribution monstrueuse, qui avait tou-
jours excité l'indignation populaire, avait été versée deux fois". Aussi
le chapitre de la cathédrale, lorsque la mort d'Ulrich de Gemmingen
eut de nouveau rendu vacant le siège archiépiscopal, accepta-t-il avec
empressement la proposition d'Albert, qui s'engageait, s'il était élu,
à supporter à lui seul les frais du pallium; toutes les voix s'étaient
alors réunies sur lui, et le nouvel archevêque avait emprunté aux
Fugger la somme dont il avait besoin. A la sollicitation des hommes
d'affaires de l'Électeur, les Fugger, dès la publication de l'indulgence,
s'adressèrent au Saint-Père pour être remboursés; un marché fut
conclu. Le Pape consentit à céder aux Fugger la moitié des produits
des indulgences dans les possessions d'Albert, à la condition que
l'autre moitié serait remise à la fabrique de la nouvelle basilique. Ce
honteux traité, dont les conditions étaient arrêtées dès 1515, ne com-
mença d'être exécuté qu'en 1517 ^
Dans les premiers mois de cette même année commencèrent les
prédications pour l'indulgence. Elles causèrent dans le sein de l'Église
l'ébranlement le plus violent, à la suite de l'intervention de Martin
Luther, moine Augustin.
' Après la mort des archevêques Berthold de Henneberg (1504) et Jacques de
Liebenstein (1508).
* Pour plus de détails, voy. Hennés, Erzbischof Albi echt von Maint, p. 4-10, 21-23.
CHAPITRE III
LUTHER ET HÜTTEN.
Martin Luther' naquit à Eislebenle 10 novembre 1483. Son enfance
s'écoula à Mansfeld; elle ne fut pas heureuse, mais rude et con-
trainte, non-seulement à cause de la pauvreté de ses parents, mais
parce que, à l'école comme à la maison, il fut toujours traité avec
une extrême rigueur. Lui-même a raconté qu'un jour, sa mère, à
propos d'une misérable noix, le fouetta jusqu'au sang, et qu'une
fois son père le corrigea de telle sorte qu'il en conserva un pro-
fond ressentiment, et fut sur le point de s'enfuir de la maison
paternelle. A l'école, en une seule après-midi, il assure avoir été
frappé quinze fois. Et cependant, malgré tant de châtiments et tout
l'effroi qu'ils lui inspiraient, malgré ses angoisses et ses souffrances,
Luther se plaint de n'avoir alors « absolument rien appris* ». Un tel
mode d'éducation développa chez lui une disposition inquiète. Jamais
' Le père de Luther, Hans Luther, était fermier à Moehra (Thuringe), mais il
avait été obligé de quitter le pays, abandonnant tout son avoir, après avoir,
comme on l'en soupçonna généralement autour de lui, tué dans un accès de
colère, avec le mors de son cheval, un pâtre qui était à son service. Voy. Ges~
chicklUche Notizen über Martin Luthers Vorfahren^ par K. Luther, Wittemberg, 1867.
«Il est peu habile ", dit l'auteur, « d'essayer de dissimuler des faits, même
lorsqu'ils sont désagréables à constater. • Thiersgh (p. 185) cite un livre publié
en 1565 où il est fait allusion au meurtre commis par Hans Luther. • Igitur ^
y est-il dit ironiquement, " antequam nasceretur filius homicidae Morensis.
non fuit Evangelium in Germania. ■ Bien longtemps auparavant il est ques-
tion de ce fait dans une lettre de G. Wicel [Epist. libri quatuor, Lipsiap, 1537)
Voy. KösTLiN, Luthers Leben vor dem Ablasstreit, p. 25. Köstlin tient ce renseigne-
ment pour inexact. Martin Luther naquit à Eisleben, où la femme de Hans
Luther avait suivi son mari fugitif au milieu d'un hiver rigoureux. — Sur la
date de sa naissance, voy. Kah.nis, t. I, p. 131-132. — Köstlin, p. 8-14. Hans
Luther menait à Eisleben, et plus tarda Mansfeld, une vfe pauvre et laborieuse.
Il était coupeur d'ardoises; sa position matérielle s'améliora dans la suite.
*Pour plus de détails, voy. Jukgens, t. I, p. 151-160. Pendant ses luttes avec les
• sectaires de Rotenliourg », il échappa un jour à Luther de dire : " Dieu m'a
mis dans une telle situation qu'il me faut parfois fredonner le petit refrain
enfantin que chantait ma mère : " Personne ne nous aime, ni toi ni moi, c'est
« notre faute à tous les deux. • Sämmtl. Werke, t. LXIII, p. 332.
5.
68 LUTHER ETUDIANT.
il ne connut l'obéissance joyeuse qui règle ordinairement la vie de
l'eniance. La manière dont on Televail pouvait peut-être contenir
sa violence naturelle, mais non l'assouplir et la dompter.
Lorsqu'il eut quatorze ans, Luther fut envoyé à Magdebourg
pour y continuer ses éludes ', et Tannée suivante il entra à Técole
latine d'Eisenach. A cette époque, la pauvreté de ses parents était
telle, qu'en route l'enfant dut gagner son pain en chantant quelques
refrains aux passants. Il a raconté qu'à cette époque le culte solennel
de l'Église faisait sur lui une heureuse impression; qu'il se plaisait à
la représentation des mystères, et qu'il aimait les pieux cantiques
chantés par les fidèles pendant le service divin -.
A Eisenach, lorsqu'il eut atteint l'âge de seize ans environ, un grand
changement s'opéra dans sa vie. Une jeune dame noble, de la famille
des Cotta, le recueillit dans sa maison ^ Elle s'attacha à lui, rapporte
Mathésius dans son panégyrique de Luther, " à cause de la beauté
de sa voix et de la ferveur avec laquelle il priait ; . C'est d'elle que
Luther tenait cette maxime : « qu'il n'y a pas de chose plus pré-
cieuse sur cette terre que l'amour d'une femme, quand on est assez
heureux pour l'obtenir*. >!
En 1500, le jeune homme entrait à l'Université d'Erfurt pour y
étudier la philosophie et la jurisprudence; en 1502, il était bachelier
en philosophie; trois ans plus tard, il obtint le grade de maître es
arts, et pendant quelque temps enseigna la morale et la physique
d'Aristote^
Un attrait particulier le poussait alors vers les études classiques;
il lisait les principaux chefs-d'œuvre des écrivains latins, et de pré-
férence Cicéron, Tite-Live, Virgile et Plante, suivait les cours
d'humanités de Jérôme Emser", et se distinguait de telle sorte, rap-
porte son biographe, « que toute l'Académie était dans l'admiration
des dons remarquables de son esprit" r,.
Dans le cercle des jeunes humanistes où il entrait, il rencontra
' Voy. KÖSTL1N, p. 32-34.
* Sur le fréquent usage des cantiques au quinzième siècle, voy. notre premier
volume, p. 219, 225; le témoignajife de Luther y est rapporté.
2 Voy. KösTLiN'. p. 35-36. — KÖHLER, p. 4, appelle la dame Cotta « une digne
matrone •, et convient cependant que Luther, en 1540 ou 1541, par conséquent
plus de quarante ans plus tard, recevait à sa table son fils Henri, alors étudiant à
Wittemberg.
* Sammtl. Werke, t. LXI, p. 212.
* Luther racontait plus tard qu'au temps où il était bachelier, un étudiant
de Meiningen lui prédit qu'il deviendrait un jour un grand homme. Köstlin,
Marlin Luther, t. I, p. 55.
'■'Voy. Unschuldige Xaclirichten, année 1720, p. 14.
^ MÉLANCUTHON, l'ita Lutheri dans le Corpus Reformai., t. VI, p. 157.
LUTHER AU COUVENT. ß9
Crotus Kubianus et Jean Lange, avec lesquels il se lia bientôt étroi-
tement. Il se faisait apprécier de ses compagnons moins comme
poëte que comme < musicien et savant philosophe* «. H prenait
volontiers part aux réunions, aux plaisirs de ses camarades, chan-
tait, faisait de la musique avec eux; mais souvent, après s'être montré
d'une humeur enjouée, il tombait tout à coup dans une disposition
sombre et comme maladive : dès lors il était accablé de tourments de
conscience.
En 1505, la mort subite d'un de ses amis, tué en duel, l'ébranlé
jusqu'au fond de son être*. La même année, aux portes d'Erfurt, un
épouvantable orage le surprend et met sa vie en danger. " Lorsque
je me vis tout proche d'une mort qui semblait se hâter », écrivit-il
plus tard, " je prononçai, sous l'empire de mon effroi, un vœu con-
traint et forcé'. " Ayant réuni ses amis dans un souper qu'égayèrent
les violons et les chants, il leur annonça soudain qu'il avait résolu
de renoncer au monde et de prendre l'habit religieux au couvent
des Augustins. « Vous me voyez encore aujourd'hui , leur dit-il,
-c et bientôt vous ne me verrez plus. » Toutes les objections de ses
amis furent inutiles; ils l'accompagnèrent en pleurant jusqu'à la
porte du couvent.
Il est à remarquer que Luther n'emporta d'autres livres au couvent
que les œuvres de deux poètes païens : Virgile et Plante *. Ce que
disait le Dominicain Pierre Schwarz de l'étude exclusive des clas-
siques et du droit peut s'appliquer à Luther jusqu'au moment de la
démarche la plus grave de sa vie : « De nos jours, beaucoup
apprennent à versifier, mais peu approfondissent l'Évangile. Beau-
coup étudient la jurisprudence, mais peu la sainte Écriture', «
Reuchlin, à la même époque, se plaignait aussi de ce qu'autour de lui
« la sainte Écriture fût délaissée pour l'attrayante étude de l'élo-
quence et de la poésie" ».
Tandis que dans toutes les écoles latines restées fidèles à l'antique
' KÖSTLIN, Luthers Leben vor dem Ablassstreit, p. 37-41. XOUS y troUVODS poUF la
première fois nettement indiquées les premières relations de Luther avec les
humanistes. L'humaniste Gaspard Schalbe, d'Eisenach, qui est cité comme
étant l'ami de Luther (voy. Burkhardt, Luthers Briefwechsel, p. 115), était proba-
blement un frère ou un parent de la dame Cotta (voy. Kösthx, p. 38), dont le
nom de fille était Schalbe. • Summa familiaritate », écrivait plus tard Crotus à
Luther à propos de leur amitié d'Erfurt, • Erfordiae bonis artibus siraul operam
dedimus asiate juvenili », et » eras in raeo quondam contubernio musicus et
philosophus eruditus • . — Böcking, Hutteni op., I, p. 307. Voy. Kampschllte,
t. II, p. 4.
' G. Mathésius, i^, raconte ■ qu'un de ses bons camarades le tua • .
' De Wette, t. II, p. 101.
* Voy. Seckendork, t. I, p. 21».
* Dans son Chochaf Hamschiach (Esslingen, 1477), t. II*.
* Voy. plus haut, p. 37.
70 LUTHER AU COUVENT.
tradition, l'étude de la Bible était poussée avec ardeur', il semble-
rait, à entendre Luther, que dans les établissements visités par lui,
Texplication des auteurs païens ait été Tunique occupation des élèves.
V Parvenu à l'âge de vingt ans -, dit-il, « je n'avais pas encore vu
de Bible, et je m'imaginais qu'il n'existait d'autres épitres ou évan-
giles que ceux de nos livres de prières*. " Ces paroles sont d'autant
plus extraordinaires, qu'à vingt ans Luther avait déjà étudié deux ans
Erfurt, et avait dû y avoir plus d'une fois l'occasion d'apprendre
à connaître la Bible. En effet, nous voyons qu'à Erfurt, à partir de la
seconde moitié du quinzième siècle, la science biblique florissait ; et
dans le catalogue des ouvrages théologiques encore manuscrits
d'une des bibliothèques de la ville, on a remarqué que les ouvrages
d'exégèse formaient au moins la moitié des volumes rassemblés*.
En 1480, l'L'niversité d'Erfurt avait reçu un legs considérable des-
tiné à la fondation d'un cours spécial d'exégèse, devant durer huit
ans. Le fondateur avait stipulé qu'on mêlerait à l'étude de la sainte
Écriture « quelques notions de droit canon* ».
Il
( Si je suis entré au couvent, si j'ai renoncé au monde, » a dit
Luther ^ « c'est que je désespérais de moi-même. » Malgré l'opposi-
tion formelle de son père, qui doutait de sa vocation, et rêvait de voir
un fils de tant d'espérances et de talent obtenir dans le monde de
brillants succès et peut-être faire un jour un riche mariage, il prononça
ses vœux solennels chez les ermites Augustins, jurant de persévérer
jusqu'à la mort, et selon la règle de Saint-Augustin, dans l'obéis-
sance, la pauvreté et la chasteté. « Contrairement au quatrième
commandement > , lui écrivait son père au moment où il se prépa-
rait à recevoir la prêtrise (1507), « vous nous avez abandonnés dans
notre vieillesse, votre bonne mère et moi; et cependant, nous pou-
vions nous attendre à recevoir de vous consolation et secours, après
tous les sacrifices que j'avais faits pour votre instruction «. n
' Voy. les eiemples cités par nous dans notre premier volume, p. 45-48.
* Sätnmtl. Werke, t. LX, p. 255.
* Voy. Kampschllte, t. I, p. 22-23.
* Voy. StÖI.ZeL, Entwicklung des gelehrten Richter thums. t. I, p. 130-131.
' Voy. Jürgens, t. I, p. 522.
« Rapporte l'ami de Luther, Ratzenberger, p. 48. — Voy. d'autres passages sur
les sentiments d'Hans Luther à propos de la vocation de Luther, dans Jlrgens,
t. I, p. 696-697.
LUTHER AU COUVENT. 71
Une résolution violente et soudaine, résultat d'un trouble maladif
de conscience, tel fut donc le motif de l'enlrée de Luther au cou-
vent, et il n'y eut point chez lui de vocation plus profonde. Il espé-
rait, une fuis revêtu de l'habit religieux, recouvrer la paix qui le
fuyait; mais les moyens auxquels il eut recours ne firent qu'empirer
son état. Peut-être même la solitude du cluitre contribua-t-elle à
développer en lui une véritable maladie morale, celle du scrupule.
Bientôt on le vit s'écarter de la simple obéissance aux règles de son
Ordre. La récitation quotidienne des heures lui était imposée; mais
entraîné vers l'étude par un irrésistible attrait, il lui arrivait souvent
de passer des semaines entières sans prendre en main son bréviaire;
alors il s'efforçait de rattraper à la fois tout le temps perdu, s'en-
fermait dans sa cellule, refusait de boire et de manger, et se mor-
tifiait d'une si effrayante manière, qu'une fois il se priva de sommeil
pendant cinq semaines consécutives, et fut sur le point d'expier
cette imprudence par la perte de la raison '. Les exercices de morti-
fication prescrits par la règle de son Ordre ne lui suffisaient pas : " Je
m'imposais ", a-t-il écrit, '■ des obligations particulières ; je voulais
suivre un chemin à part. Mes supérieurs combattaient beaucoup mes
singularités, et sous ce rapport ils faisaient bien. Je devins bientôt
l'horrible persécuteur et le bourreau de ma propre vie, car je jeû-
nais, je veillais, je priais, je m'épuisais, ce qui n'est autre chose que
le suicide. » En un mot, le vieil adage monacal se vérifiait pour
Luther : « En dehors de l'obéissance, tout est danger pour un reli-
gieux. " Comme tous les scrupuleux, il n'apercevait en lui que péché,
en Dieu qu'indignation et vengeance. A son repentir manquait
l'humble amour, et l'espérance filiale en cette miséricorde infiniment
clémente que le Seigneur se plaît à exercer envers l'homme en vue
des mérites de Jésus-Christ. Ses rapports avec Dieu n'étaient basés
que sur l'effroi; il voulait, selon ses paroles, apaiser la colère divine
« par sa propre justice » et par ses œuvres personnelles. « J'étais
alors ^ a t-il raconté, " le plus présomptueux des justes ^;
j'étais le plus téméraire des saints; m'appuyant sur mes œuvres,
je me confiais, non pas en Dieu, mais en ma propre justice. " Aussi
' « ...Et quae per unam, duas. immo très quandoque septiraanas prge studii
assiduitate neglexerat, cibo et potu abstinentem recitasse euraque in modura
se macérasse, ut aliquando quinque septimanis somno caruerit et pêne in
mentis deliquium incident. • Seckendoeif, t. I, 2l'>. » La pureté et l'austérité
de sa conduite morale dans le cloître », dit Köstli\ [Martin Luther, t. I, p. 65),
« n'out été contestées par aucun de ses adversaires, bien que, prenant la question
à un autre point de vue, ils se soient efforcés de le représenter comme possédé
du démon. . Le moine Augustin Jean Mathieu, professeur de sainte Écriture à
Erfurt, citait Luther comme un modèle de sainteté aux religieuses de Mulhouse.
— KOLDE, Auguslmer-Congregatioti, p. 247.
* • Pra'sumptuosissimus justitiarius. =
72 LUTIJEH AU COUVENT.
tomba-t-il peu à peu dans un état de découragement désespéré et
dans le plus sombre abattement. Il en vint presque jusqu'à en
vouloir à Dieu, jusqu'à le haïr, et regrettait souvent d'avoir reçu
la vie. « A ma fausse confiance en ma propre justice ', a-t-il avoué,
u s'ajoutait un doute continuel, le désespoir, l'effroi, la haine et le
blasphème. J'avais tant d'éloignement pour le Christ que lorsque je
voyais quelqu'une de ses images, comme par exemple le crucifix, je
ressentais aussitôt de l'épouvante, je baissais les yeux, et j'eusse plus
volontiers vu le diable. Mon âme était brisée de douleur; j'étais
plongé dans une continuelle agonie, et toutes les consolations que
je voulais tirer de ma propre justice et de mes œuvres personnelles
restaient impuissantes à me consoler*. »
Il est étrange que plus tard Luther ait voulu rendre responsable
d'un si lamentable état intérieur la doctrine de l'Église sur les bonnes
œuvres, car il était manifestement en pleine contradiction avec cette
doctrine, comme avec toutes les prescriptions de l'Eglise à cet égard.
Le premier livre de prières venu, le plus simple catéchisme, eût pu
lui rappeler que l'Église rejette tout pharisaisme, toute justice per-
sonnelle de l'homme; qu'elle considère le Christ et ses mérites comme
les uniques fondements de la sainteté et de tout acte méritoire;
que la grâce du Rédempteur est à ses yeux le principe de toute vie
agréable à Dieu; qu'en particulier, elle ne voit dans les exercices de
la mortification chrétienne que les moyens d'atteindre à une fin
plus haute, que des secours qui, en affaiblissant nos penchants cou-
pables, nous aident à les surmonter avec le secours de la grâce,
nous répétant que ces moyens n'ont par eux-mêmes aucune valeur,
et que l'homme ne saurait établir sur eux son salut. « Le chrétien
doit mettre sa foi, son espérance et son amour en Dieu seul, et non
dans une créature quelconque >', lit-on dans le catéchisme de Dide-
rich Cölde (1470); « il doit placer son unique confiance dans les seuls
mérites de Jésus-Christ. » " Mets tout ton espoir, toute ta confiance«,
dit \e Petit Jardin de l'âme, un des livres de prières les plus complets
et les plus répandus du quinzième siècle, « dans les mérites et dans
la mort de Jésus-Christ. » « L'homme doit mourir appuyé sur la
miséricorde et sur la bonté de Dieu », enseigne Ulrich Krafft dans
son Combat spirituel (1503), « car il ne saurait compter sur ses
bonnes œuvres *. » Dans tous les livres autorisés et répandus par
' Voy. ces passafjes dans Jürgens, t. I, p. 577-585, et t. II, p. 4. — A un autre
endroit, Luther dit en parlant de lui-raéme : • J'étais un moine austère; ma vie
était chaste, sévère; je n'aurais pas voulu disposer d'un liard à l'insu de mon
supérieur; je priais avec ferveur, jour et nuit. ^ Sämmtl. iVerke, t. XLVIII,
p. 306.
* Voy. ces passages et d'autres encore dans notre premier volume, p. 35-42.
•^ L'homme doit croire sans hésiter », dit le Petit Jardin de l'âme, publié par
LUTHER A ROME. tili. 73
l'Église à cette époque, ouvrages de doctrine ou traités religieux
destinés aux fidèles, pas un qui ne contienne la doctrine de la justi-
fication par Jésus-Christ .seul.
L'angoi.sse intérieure dont .souffrait Luther ne trouvait aucun
adoucissement dans la réception du sacrement de pénitence. Il en
est ordinairement ainsi pour les natures que tourmente la maladie du
scrupule. En vain, à Erfurt, il fit deux fois une confession générale;
en vain, en Italie, il renouvela encore cette confession ', y cherchant
un peu de relâche à ses tourments, rien ne le soulageait. Son exalta-
Sébastien Brant et répandu parmi les fidèles par plus de quarante éditions,
• qu'il ne peut être délivré et éternellement heureux que grâce à l'amère
Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » Dans une édition allemande de
l'Ars moriendi [1470), on trouve la prière suivante : « Seigneur, je réclame ton
paradis, non en récompense de mes mérites, car je ne suis que cendre et pous-
sière, et le plus misérable de tous les pécheurs, mais parce que, par la puis-
sance et l'efficacité de ta très-sainte Passion, tu m'as délivré, moi, pauvre
misérable pécheur, et m'as ouvert le paradis par ton sang précieux, répandu
pour moi. ^ (Voy. Seelengurthin, Munich, 1877, p. 497-513.) Nous lisons dans un
sermon de Geiler cette invocation au Sauveur : « Très-doux Jésus, en toi est mon
unique espoir. Seigneur, je réclame et désire ton paradis, non à cause de mes
mérites, mais uniquement par la vertu de ta sainte Passion, par laquelle tu as
voulu me sauver, moi, misérable pécheur, m'achetant le ciel au prix de ton
sang précieux. » (Geiler, IVie mon sich halten soll bei einem sterbenden menschen, 1482.)
Fac-simile avec introduction par L. Dacueüx, Paris-Francfort, 1878. Les pres-
criptions des synodes concordent de tout point avec ce qui précède. Le con-
cile de Bâle (1503) recommande instamment aux prêtres d'avertir tout fidèle
• ut de peccatis doleat, omncm tpem in merito Passionis Christi pönal, in fide Christi
et Ecclesiae constans maneat... moneatur etiam, ne rem alienam scienter deti-
neat, et ut omnibus amore Christi ex corde ignoscat ». Hartzheim, Concilia
Germania, t. VI, p. 29. — Voy. le mandement du synode de Bamberg (l49ij dans
Hartzheim, t. V, p. 630.
' Lui-même donne pour principal motif de son voyage à Rome le désir d'y
faire une confession générale. Köstli\, Luthers Leben vor dem Ablasstlreit, p. 50.
— II n'est pas exact de dire, d'après des affirmations souvent répétées, que le
Toyage de Rome ait rendu Luther hostile à la papauté. On conçoit aisément que
le faste mondain de la cour de Léon X lui ait beaucoup déplu; mais ce ne fut
qu'après sa rupture avec Rome qu'il prit plaisir à raconter tout ce qui l'avait
choqué en Italie, et mille traits relatifs à l'immoralité du clergé; son attitude
vis-à-vis de l'Église et de son chef resta parfaitement correcte et respectueuse
plusieurs années encore après son retour de Rome. Le duc Georges de Saxe lui
reprochait plus tard de n'être devenu l'ennemi acharné du Pape que depuis
que celui-ci, à Rome, avait refusé de le délivrer du froc, lui avait interdit
le mariage et refusé le chapeau de cardinal; mais cette imputation n'a aucun
fondement. — Voy. cette citation dans Schnorr de Carolsfeld, Archiv für
Literatur geschichie, t. IV, p. 119. Luther reçut en Italie des impressions
favorables. Il prit plaisir à admirer la beauté des hôpitaux de Rome •■ si bien
tenus, si propres, si beaux, si libéralement entretenus par la bienfaisance publi-
que. Là, les dames les plus respectables de la ville soignaient volontairement
les pauvres. » Dans la population, il fut frappé du contraste de la sobriété ita-
lienne avec les habitudes d'ivrognerie des Allemands. Il dit aussi avoir été satis-
fait de l'organisation " de la chancellerie romaine, où sont apportées toutes les
affaires relatives au droit ecclésiastique ». Voy. Kostlin, Martin Luther, 1. 1, p. 101.
74 LE NOUVEL EVANGILE DE LUTHER.
tion devint telle, qu'à Rome, ainsi qu'il l'écrivait plusieurs années après,
il ressentait une sorte de regret de ce que ses parents fussent encore au
monde, parce qu'à l'aide de ses messes, de ses prières, et autres œuvres
encore plus méritoires, il eût pu les délivrer du Purgatoire." J'aurais
alors volontiers consenti s a-t-il assuré, '^ à devenir, pour la cause
de la religion, le plus cruel des assassins, si l'occasion s'en était
offerte. » « J'aurais été prêt à immoler, si je l'avais pu, tous ceux qui
auraient refusé d'obéir au Pape, même à propos d'une syllabe '. »
Un tel étal moral devait inévitablement amener une réaction.
Dans son décliiremeut, dans sa torture intérieure, Luther, insensi-
blement, passa d'un extrême â l'autre. Si jusqu'alors il avait présomp-
tueusemeut compté sur ses propres forces, maintenant il niait toute
efficacité des oeuvres pour le salut. Il se persuada peu à peu que
l'homme, par suite du péché originel, a été complètement corrompu
et n'a plus de libre arbitre; que toutes les actions humaines, même
les meilleures, ne sont que les fruits de sa volonté dépravée, et par
conséquent, devant le tribunal de Dieu, ne peuvent être que des
péchés mortels. L'homme, selon lui, n'est sauvé que par la foi. " Par
le fait seul de notre foi en Jésus-Christ '-, enseignait-il, '■ ses mérites
deviennent notre propriété; nous revêtons sa robe de justice; elle
couvre toutes nos fautes et notre constante iniquité, et supplée
surabondamment à tout ce qui manque à notre justice humaine. Si
nous avons la foi, il suffit; toutes nos angoisses de conscience
deviennent superflues. » « Sois pêcheur », écrit-il à l'un de ses
amis; " pèche hardiment; mais crois plus hardiment encore, et
réjouis-toi dans le Christ, qui a triomphé du péché. Les péchés d'un
homme ne sauraient le séparer de l'Agneau qui efface les péchés
du monde, quand bien même, en un seul jour, il s'abandonnerait
mille fois à la luxure ou commettrait un nombre égal d'homicides '. «
1 Sämmtl. Werke, t. XL, p. 184. — Voy. Kahms, t. I, p. 149-174.
* Les passages suivants sont dignes d'attention : " lia vides, quam dives sit
hoino eliristianus sive baptisatus, qui eliam volens non potest perdei-e salutcm suam
quaniiscunque peccatis , nisi nolit credcre. Nulla eniin peccata euni possunt damnare,
nisi sola incredulitas. Canera oinnia, si redeat vel stet fides in promissionem
divinam baplisato factum, in momento absorbentur per eamdem fidera. »• Fides
sola est pax conscienti», infideliias autem turbatio conscientia-. » Be Capiivit.
Babyl.Eccl., Op. lathia, t. V,p.59, 55. Dans une lettre à Mélanchthon 1" août 1521),
Luther se sert de termes encore plus forts ; - Esto peccator et pecca fortiter,
sed fortius crede, et gaude in Christo qui viclor est peccati, mortis et mundi :
peccandum est, quamdiu sumus. Vita haec non est habitatio justitiae, sed
expectamus, ait Petrus, cœlos novos et terram novani, in quibus justitia habi-
tat. Suflicit, quod agnovimus per divitias glori* Dei .Agnum, qui toilit pecca-
tum mundi : ab hoc non avellet nos pe catum, etiamsi millies, millies uno die,
forniceiiiur aut occidamus. Putas tam parvum esse pretium et redemptionem'
pro peccatis nostris factam in tanto ac tali .\gno? » De Wette, t. II, p. 37.
Pour plus de détails, voy. Evers, t. I, p. 75-127.
LE NOUVEL ÉVANGILE DE LUTHER. 75
Celte nouvelle doctrine de la justification par la foi seule, Luther
ne tarda |)as à la considérer comme le centre suprême de la religion,
comme le dogme essenliel du christianisme. Elle devint à ses yeux
la « sainte parole, la sainte révélation », si longlemps cachée sous le
boisseau. Il la nommait tout court " l'Évangile ", « la bonnenouvelle »,
et la considérait comme l'unique remède qui piU opérer le salut de la
chrétienté. Selon lui, elle contenait un évangile sans alliage, presque
celui qu'avaient entendu les Apôtres. " Le mot évangile «, disait-il,
« ne signifie rien d'autre qu'un message joyeux et nouveau, qu'une
doctrine, une prédication, promettant un événement heureux, dont
on reçoit volontiers l'annonce. II ne faut donc pas entendre par évan-
gile une loi, un précepte réclamant de nous des sacrifices, et nous
menaçant de châtiment ou de damnation si nous ne lui obéissons
pas; car une telle nouvelle, personne ne l'apprend avec plaisir'. »
Ce nouvel évangile se forma insensiblement dans l'esprit de
Luther à partir du moment où, sur l'invitation du prieur de son
Ordre, Jean de Staupitz, avec lequel il était intimement lié, il accepta
de l'électeur de Saxe les fonctions de professeur de philosophie à
l'Université de Wittemberg, tout récemment fondée (1508). Son
départ ne fut pas très-vivement regretté par les religieux d'Erfurt,
rapporte un contemporain dans ses mémoires; on était las de son goût
pour les disputes, dans lesquelles il voulait toujours avoir raison '.
A Eisenach, Luther se livra exclusivement aux études théologiques
et bibliques. En 1512, il fut reçu docteur en théologie, et fît avec
grand succès des cours sur les Epitres de saint Paul, particulièrement
sur l'Epitre aux Romains, sur les Psaumes, et sur saint Augustin.
Ses sermons à l'église collégiale étaient extrêmement suivis. « Ce
Frère a des yeux bien profonds! » disait en parlant de lui Martin
Pollich, premier recteur de l'Université de Wittemberg; « il aura
d'étranges imaginations M »
Plusieurs années avant la querelle des indulgences, Luther, avec
ses opinions sur la grâce, la justification, la non-liberté de la volonté
humaine, s'était déjà placé en dehors de la doctrine de l'Église, et
dès 1515, au rapport de son panégyriste Mathésius, on lui repro-
chait ses opinions peu orthodoxes *. « Notre justice n'est que péché »,
' Voy. ce passage et d'autres analogues dans Döllinger, Reformation, t. III,
p. 173-187,
' Voy. Jürgens, t. I, p. 674. — Evers, t. I, p. 53, note.
' KÖSTLIN, Martin Luther, t. I, p. 96.
* Historien, p. 9. Le changement décisif qui se produisit dans l'ûme de Luther
nous semble dater de 1513 ou de 1514. Il dit avoir prêché trois ans à Wittem-
berg avant d'avoir enseigné sa doctrine en public. (Lettre du 16 octobre 1523,
voy. DE Weïte, t. n, p. 422.) Cependant nous le voyons exposer ses opinions en
chaire dès le commencement de 1517. — Dans le Pétri a Bceck Aquisgranum (Aquis-
grani, 1620, p. 255), il est rapporté que Luther, longtemps avant d'avoir exposé
76 LE NOUVEL ÉVANGILE DE LUTHER.
avait-il dit daas un sermon prononcé le second jour de Noël (1515);
u que chacun se borne donc à accepter la grâce qui lui est offerte
par Jésus-Christ '. » « Apprends, mon cher frère, à désespérer de
toi-même ", écrivait-il le 7 avril 1516 au moine Augustin Georges
Spenlein, à Menningen; « apprends à dire : Seigneur Jésus, tu es
ma justice et je suis ton péché -; tu m'as pris ce qui était mien, et
tu m'as donné ce qui était tien. Ce n'est que par Lui, et par un pro-
fond mépris pour toi-même et tes œuvres, que tu trouveras la paix. »
" Apprends encore du Christ que puisqu'il t'a adopté, faisant de tes
péchés les siens propres, il a aussi rendu sa justice tienne. " H était
dès lors si fermement convaincu de la vérité de cette doctrine, qu'il
y ajoute un anathème : « Maudit soit celui qui ne croit pas ceci ^ ! »
Dans une dispute soutenue par lui en 1516 à l'Université, dispute
qu'il avait demandé le droit de diriger, bien que ce droit, selon
l'ordre établi, appartint à un autre, il émet ses opinions sous une
forme absolue et tranchante. Il soutient entre autres la proposition
suivante : « L'homme pèche quand il fait ce qui est en lui, car de
lui-même il ne peut ni vouloir, ni penser *. » Dans les vingt-neuf
propositions posées par lui pour un candidat au doctorat (août 1517),
on lit (quatrième thèse) : « La vérité, c'est que l'homme, n'étant
qu'une souche pourrie, ne peut produire que corruption, ne peut
vouloir et faire que le mal. » Et dans la cinquième thèse : « 11 est
faux que la volonté puisse se déterminer d'un côté plutôt que d'un
autre. Ce qui est vrai, c'est que la volonté humaine n'est pas libre,
mais captive \ »
Il commence, pendant le carême de 1517, à exposer ses principes
en public. Eu chaire, il s'échauffe contre " les inutiles bavards qui
ont rabâché à toute la chrétienté tant d'inepties, séduisant le pauvre
peuple par leurs doctrines, et lui enseignant du haut de leurs chaires
qu'on peut former et exécuter un bon dessein, une bonne résolution ».
" A dire le vrai, il nous faut abandonner franchement cette espé-
rance, car personne ne peut formuler ni exécuter un bon dessein. Là
où n'existe pas de volonté, la volonté de Dieu reste la meilleure ". »
sa doctrine en public, avait coutume de consulter les ouvrages des hérétiques
dans les bibliothèques de la ville.
' LUTHERI Op lalina, t. I, p. 57.
- • ...Tu, Domine Jesu, es justitia mea, ego autem sum peccatum tuum. •
î De Wette, t. I, p. 16-18.
* « Homo, quando facit quod in se est, peccat, cum nec velle nec cogitare ex
se possit. • Op. latina, t. I, p. 235.
5 Op. latina, t. I, p. 315. Luther se demandait avec anxiété quel effet produi-
saient au dehors des axiomes si étranges. • On les üornrntTi cacadoxiques «,
disait-il; - mais pour nous, ils ne sauraient être qu'orthodoxes. » De Wette,
t. I, p, 60-63.
« Sammll. Werke, t. XXI, p. 192-193.
THÈSES DE LUTHER SUR LES INDULGENCES. 1517. 77
En juin 1517, trois mois avant (jirécIalAl la querelle des indul-
gences, le duc Georges manil'eslail déjà son ellroi sur les con-
séquences qu'une telle doctrine pourrait avoir pour les fidèles.
Lor.'sque Luther, à Dresde, le 25 juillet, dans un sermon prêché à
la jjrière du duc, assura que la seule application des mérites de
Jésus-Christ nous donnait la certitude du salut, et que toute personne
possédant la loi ne pouvait plus douter aucunement de sa justification,
le duc, le soir même, répéta plusieurs Ibis pendant le souper, avec
un accent grave et triste, « qu'il donnerait beaucoup pour n'avoir
pas entendu ce sermon; qu'un tel enseignement ne servirait qu'à
donner au peuple une fausse sécurité, et à le rendre incrédule ' >!.
La doctrine de Luther, qu'il croyait pouvoir appuyer sur saint
Augustin, l'appelant à cause de cela confession augustinienne, préva-
lait dès 1516 dans toute l'Université de Wittemberg*.
Elle se propagea rapidement en Allemagne à partir du 31 octo-
bre 1517.
Ce jour-là, Luther, à propos des sermons sur l'indulgence prêches
par Jean Tetzel, Dominicain, fit afficher a la porte de la chapelle du
château de Wittemberg quatre-vingt-quinze propositions, ayant
pour but l'obtention d'une dispute sur Tefficacite des indulgences,
Tetzel, dont les fidèles goûtaient beaucoup l'enseignement, venait
d'être nommé sous-commissaire apostolique par l'archevêque Albert
de l\Iayeiice, avec mission d'annoncer et de prêcher, dans tuutc l'Alle-
magne du Nord, rindulgeuce publiée par Léon X pour la construc-
tion du dôme de Saint-Pierre ^ Ses prédications étaient extrême-
ment suivies. Dans l'une des instructions remises par lui de la part
de l'archevêque aux curés de paroisses et aux confesseurs, il était
expressément recommandé aux fidèles désireux de participer à la
grâce de l'indulgence, de s'acquitter premièrement de leurs devoirs
religieux, de s'approcher du sacrement de pénitence, de recevoir la
communion, et de jeûner la veille de leur confession. Les prédicateurs
étaient invités à mener une vie régulière, à éviter les hôtelleries, les
fréquentations suspectes et les dépenses inutiles *. Malgré ces précau-
' Voy. Seidemann, Leipziger Disputation, p. 4-5.
» Christophe Scheurl, juriste de Nuremberg, parle de la • confession augus-
tinienne • dans une lettre à Luther, 2 janvier 1517. (Schewi's Briefbuch, t. II, p. 1.;
• Theologia nostra et S. Augustinus •, écrit Luther le 18 mai 1517 à Jean Lange,
• prospère procedunt et régnant in nostra Universitate Dec opérante. • De
Wette, t. 1, p. 57.
' Voyez plus haut, p. 65.
* Inslruclio summaria pro suhcommissariis , pœnitentiariis et con/essoribus. Yo)'.
Kapp, Sammlung, 117-184. Pour plus de détails sur cette instruction et sui-
les critiques qui m'ont été faites à ce sujet, voy. l'opuscule intitulé : Au meine
Kritiker, p. 69-77, et Ein ztceiles Wort au meine Kritiker, p. 24-26.
78 THÈSES DE LUTHER SUR LES INDULGENCES. 1517.
lions et ces sages avis, de graves abus ne tardèrent pas à se pro-
duire. L;i conduite des prédicateurs, leur manière d'offrir, de
vanter, de mettre à prix les billets d'indulgence, causèrent plus
d'un scandale '.
Mais ces abus n'étaient pas le principal motif de la campagne
entreprise par Luther. Ce qu'il entendait avant tout combattre,
c'était le dogme même de Tindulgence, et surtout la doctrine de
l'Église sur l'efficacité des bonnes œuvres, si manifestement contraire
à ses opinions sur la justification et la non-liberté de la volonté
humaine. Dans un de ses sermons de carême (1517), il s'était écrié :
a Jésus-Christ a mis la satisfaction dans le cœur. Tu n'as donc nul
besoin de courir à Rome, à Jérusalem, à Saint-Jacques, ici ou là, pour
gagner l'indulgence. La bulle du Christ est ainsi conçue : Si vous
pardonnez à ceux qui vous ont fait quelque tort, mon Père aussi
vous pardonnera; que si vous ne pardonnez pas, mon Père ne
vous pardonnera pas davantage. » Or c'était précisément là ce que
l'Église avait toujours enseigné. Elle n'avait cessé de répéter que
la véritable amélioration du cœur, la digne réception des sacre-
ments étaient les indispensables conditions de l'indulgence, grâce
qui n'est autre chose que la remise de la peine temporelle due au
péché. Mais, selon Luther, la bulle d'indulgence du Christ, scellée
par ses plaies, confirmée par sa mort, était presque oblitérée et
corrompue par les averses d'indulgences que Rome faisait pleu-
voir sur la chrétienté. D'ailleurs, le Christ n'avait pas dit : ^ Pour que
tes péchés soient effacés, il faut que tu jeûnes tant de fois, que tu
récites tant de prières, que tu donnes telle aumône, que tu fasses
ceci, cela. Il s'était borné à demander à l'homme de quitter sa mau-
vaise voie, et de pardonner à ceux qui l'avaient offensé. » « 11 est
vrai ", ajoutait Luther, t< qu'une telle indulgence n'avancerait guère
la construction de Saint-Pierre, chère au diable, et qu'elle édifie-
rait les temples du Christ, que le diable hait! « Après l'énoncé de
' Voy. ROHRBACHER-SCHULTE, Universalgeschichte der Katolischen Kirche (Münster,
1873, p. 18-24). Il était expressément recommandé aux prédicateurs de l'indul-
gence de n'excepter personne de la grâce accordée par l'Église; « car il faut
avoir autant d'égard à l'intérêt des fidèles qu'à la construction de Saint-
Pierre». «Ceux qui ne peuvent donner d'argent remplissent les conditions
imposées au moyen de la prière et du jeûne, car le royaume du ciel est aussi
bien pour les pauvres que pour les riches. » (Kapp, Sammlung, 147, 172.) — Jérôme
Emser est le premier à se plaindre - de ces commissaires rapaces, moines et |
prêtres, qui prêchent l'indulgence d'une manière scandaleuse... appuyant
l)ien plus sur la question d'argent que sur la confession, la contrition, la péni- '
tence ». U idcr das unchristlichc Buch Luthers an den deutschen AdelBl. g. 4. Le Cardinal
Sadolet dit à propos de l'indulgence accordée par Léon X : « ...quas ego indul-
gentias atque adeo potius indulgentiarum illarum ministros neque nunc défende,
et tune cum décréta' illse atque publicata' sunt, recordor me contradixisse, • etc.
Sadoleti 0;??ra 'Moguntia', 1607, p. 753).
LUTHER ET TETZ EL. 79
scniblablcs paroles, qu'éfait-il besoin que ï.uther affirmât ne point
rejeler rinfliil{^;ence romaine '? De tels sermons remuaient et trou-
blaient nécessairement la foi des fidrles. Plus lard, s'expliquant fran-
chement sur les secrets mobiles de sa conduiîe passée, Luiher écrivait
h Teizel : « Restez calme, car la chose n'a pas commencé par moi,
l'enfant a bien un autre père '! » >< De graves abus s'élaient iniroduits
dans le clergé «, écrit-il dans un mémoire rédigé pour l'électeur de
Saxe; « les États s'en étaient plaints, le F^ape avait promis d'y
apporter remrde; mais comme ces abus n'avaient point été réprimés
par ceux-là mêmes qui eu avaient la charge, ils commençaient main-
tenant à tomber d'eux-mêmes dans tous les territoires allemands.
Eux seuls étaient cause du mépris dont les prêtres étaient l'objet, de
leur réputation d'ignorance, d'incapacité, et de la méfiance générale
qu'ils inspiraient. Or la déchéance du clergé, la cessation des abus,
élait déjà, pour ainsi dire, un fait accompli avant qu'apparût la
doctrine luthérienne, car le monde entier était las des abus ecclé-
siastiques. » Luther attachait une importance capitale à ce qu'il appe-
lait emphatiquement « sa doctrine ». A l'entendre, la religion lui
devait son salut \
Tetzel, en cent dix antithèses*, réfuta les propositions de Luther
à l'Université de Francfort-sur-l'Oder, où il venait d'être promu au
grade de docteur en théologie (1517). Ces antithèses exposent avec
clarté et concision la doctrine de l'Église sur les indulgences. Tetzel
y insiste surtout sur les points suivants : les indulgences n'effacent
pas le péché; elles ne font que remettre les peines temporelles que
le péché a méritées, à condition qu'il ait été préalablement regretté
et confessé; la doctrine des indulgences n'amoindrit en aucune
manière la foi du fidèle en l'unique efficacité des mérites de Jésus-
Christ, puisque l'indulgence ne fait autre chose que substituer aux
chùliments satisfactoires la Passion expiatrice du Rédempteur*. -^ Le
^Samvitl. IVerIce, t. XXI, p. 2t2-2t3.
' De Wette-Seidemann, t. VI, p. 18.
» De Wette, t. III, p. 439. — Siimmtl. Werke, t. LIV, p. 63-64.
* L'opinion communément répandue que Tetzel aurait brûlé publiquement
les thèses de Luther, n'est pas fondée. Voy. Gröne, p. 122-126. Les Antithèses
de Tetzel furent brûlées par les étudiants de Wittemberjj sur la place du mar-
ché. Voy. sur ce fait les lettres de Luther du 21 mars et du 9 mai I.'IS. Dr Wette,
t. I, p. 98-99, 109, et les passages cités par BüRCKH.*.nDT, Luthers Briefwechsel, p. 10.
L'auteur de l'article sur Wimpina, dans le Mainztr CathoUk, Meue Folge, t. XXII,
p. 129-132, a prouvé que Tetzel était bien l'auteur des antithèses, et non Wim-
pina. — Voy. aussi Grone, p. 74-81. • Quiconque lira les antithèses de Tetzel •,
dit Hefele dans le Titbingcr Quartalschri/i (année 1854, p. 631), t sera forcé de con-
venir qu'il possédait à fond la difficile doctrine des indulgences, et que ses
arguments sont incontestablement préférables à ceux du très-célèJ)re D"^ Eck. -
' Gröne. p. 81-96.
80 VÉRITABLE PORTÉE DE LA QUERELLE DES INDULGENCES.
saint concile de Constance », dit Tetzel, " l'a récemment défini :
Pour [jagner l'indulgence, il faut, selon les conditions imposées
par la sainte Église, confesser ses péchés avec repentir et former
le ferme propos de ne les plus commettre. On trouve ces conditions
exposées avec détail dans toutes les bulles papales » ; « ceux qui
gagnent l'indulgence sont établis dans un vrai repentir et amour
de Dieu. Or ces sentiments ne sauraient laisser le chrétien inactif
et tiède; ils l'animent, au contraire, dans le service de Dieu, et l'exci-
tent à procurer sa gloire par de saintes actions. Il est clair que les
fidèles qui ont gagné l'indulgence par leur ferveur sont de bons
chrétiens, craignant Dieu, et non des âmes tièdes et relâchées. «
« L'indulgence est surtout accordée en vue de la gloire de Dieu, et
celui qui fait l'aumône pour la mériter est bien évidemment charitable
par amour pour Dieu, puisqu'il lui serait impossible de l'obtenir sans
un vrai repentir et sans une grande charité. Or, celui qui fait le bien
par amour de Dieu agit selon Dieu '. » Tetzel recommande aux
prédicateurs de bien faire comprendre aux fidèles que nos œuvres de
justice ne suffisent pas pour le salut, auquel nous ne saurions jamais
atteindre sans le secours de la divine miséricorde *. Parmi les
bulles et lettres d'indulgence où ces doctrines sont le mieux précisées,
il faut citer un décret de Léon X (1518), où nous lisons : « Le Pape,
en sa qualité de successeur de saint Pierre, possesseur des clefs,
vicaire de Jésus-Christ sur la terre, en vertu du pouvoir qui lui a été
remis, a tout aussi bien la puissance de remettre les péchés aux
fidèles que de les délivrer des châtiments dus à ce péché. Le Pape
efface les offenses du pécheur au moyen du sacrement de pénitence,
et le délivre du châtiment temporel au moyeu de l'indulgence ^ »
Tetzel, d'un coup d'œil pénétrant, devina tout de suite, à la vive
sensation produite par les thèses de Luther, que la querelle com-
mencée n'était pas, comme le pensaient plusieurs, une simple dispute
d'école. Il y vit aussitôt une lutte de principes d'une immense portée,
lutte touchant aux fondements de la foi et à l'autorité même de
l'Église. Il se plaignit, dans sa réfutation du Traité sur les mdulgences
et la grâce, publié par Luther en réponse aux Antithèses, que le Pape et
l'Église y étaient tournés en dérision; il ne prévoyait que trop,
disait-il, que désormais on n'ajouterait plus foi aux enseignements
de l'Église, et qu'on interpréterait la sainte Écriture à sa guise *.
Maximilien, lui aussi, avait promptement aperçu toute l'impor-
1 Dans Rapp, Sammlung 332 fii. — Voy. K. M. IIermann, Joh. Telzd (Franc-
fort, 1882), p. 31-32.
' Rapp, Schauplatz des Telzelischen Ablasskrames (Leipzig, 1720), p 48
^ Kapp. Sammlung 461.
''Gno-NE, p. 103-109.
LUTHER ET LE NOUVEL EVANGILE. 81
tance de la queslion soulevée. ;< Les nouveautés de Luther >', écrivait-
il au Pape le 5 aoiit 1518, < mettront, si l'on ne s'y oppose éuer-
giquement, l'unité de la foi en péril; aux vérités traditionnelles du
salut, on substituera bientôt les opinions privées '. »
Luther, dès le début, regarda sa cause comme étant celle même
de Dieu. Toutes ses opinions lui semblaient autant de vérités acquises,
dont jamais il ne devrait se désister. En envoyant à son ami .lean
Lan[',e (11 novembre 1517) ses premières thèses sur les indulgences,
il lui écrit qu'on lui reproche sa légèreté, son orgueil, sa manie de
condamner; mais ■■• sans orgueil, ou du moins sans apparence d'orgueil
et sans dispute, aucune nouvelle doctrine ", selon lui, « ne peut être
annoncée au monde ». Il appuie celle opinion sur l'exemple du Christ
et des martyrs : « Pourquoi Jésus-Christ et tous les martyrs onl-ils été
mis à mort? Pourquoi les saints docteurs se sont-ils attiré la haine et
l'envie, si ce n'est parce qu'ils étaient considérés comme les orgueil-
leux contempteurs de la sagesse ou de la prudence antique partout
en honneur, et que, sans se préoccuper des maîtres de l'ancienne
sagesse, ils prêchaient une nouvelle doctrine ^? " Il écrit à Spa-
latin, peu de mois après (14 janvier 1518), qu'il méprise de tout
cœur ses vaines terreurs au sujet de l'excommunication, ajoutant
qu'il craint si peu les arrêts de l'Église et ses axiomes purement
humains, qu'il se propose d'entreprendre bientôt une guerre
ouverte contre eux. La miséricorde de Dieu saura bien le pro-
téger ^
A l'entendre, il enseigne la plus pure théologie : « Elle parait, il
est vrai, aux plus saints des Juifs, un scandale; aux plus sages des
Grecs, une folie »; cependant, tout ce que Luther tient pour vrai et
tout ce que ses adversaires attaquent dans ses écrits. Dieu lui-même
le lui a révélé *.
' Kaynaldi Annales eccl. ad annum 1518, n» 90. — LUTHERI Op. latina, IF, p. 349-350.
' Voy. T)E Wette, t. I, p. 72-73.
^ De Wette, t. I, p. 86. Voy. la lettre de Luther à Spalatin, 15 février 1518, et
ce qu'il y dit de son adversaire, qu'il accuse d'avoir jeté le soupçon d'hérésie sur
l'Université de Wittemberf;. Pour la première fois, dans la préface de la seconde
édition de la Théologie allemande, Luther parle de - quelques savants docteurs qui
se sont exprimés avec mépris sur les théologiens de Wittemberg, et prêtent à
Luther et à ses amis le dessein d'introduire en Allemagne des nouveautés reli-
gieuses .. Dans la préface de la première édition (1505) ce passage ne se trouve
pas. Voy. Sämmtl. Werke, t. LMII, p. 235-238. — Sur ce point, DöUinger est à tgcü-
fiiv (Reformation, t. Ill, p. 11-121. L'ouvrage de Staupitz, cité par Luther dans sa
lettredu 31 mars 1518, n'est pas, comme le pense'de Wette, la Théologie allemande,
I mais le Livret sur l'imitation de l'oblation volontaire du Christ. — Voy. Stalpitii Opera,
f t. I, p. 50 et suiv.
* " Egoautem, ut mihi conscius sum, non nisi sincerissimam theologiam me
•Jocere, ita jam diu prap.<;cius fui fore ut sanctissimis Judaeis scandalum et
Japientissimis Graecis stuliitiam predicarem. Sed spero me debitorem esse ,Iesu
I hristo. qui et mihi forte dicit : Ostendam ei quanta opporteat eum pati prop-
II. 6
82 LUTHER ET LE NOUVEL ÉVANGILE.
Dès lors il estimait que soa nouvel « évangile :> de la justification
par la foi sans le secours des bonnes œuvres, et son opinion sur la
non-liberté de la volonté humaine, étaient des dogmes tout aussi
importants que les plus grandes vérités du christianisme; aussi le
voit-on souvent renouveler la déclaration qu'il avait faite dès les
premières années de la lutte, et affirmer qu'il ne se soumettra au
Pape et à l'Église que dans le cas où le Saint-Père et l'Église tien-
dront ses opinions personnelles pour orthodoxes, et se converti-
ront à son nouvel évangile. 11 est donc facile de comprendre que
ni les écrits de controverse, ni les négociations entamées par le car-
dinal Caietan sur l'ordre du Pape (Augsbourg, octobre 1518), ni les
timides essais de conciliation de Charles de Miltitz, ne pouvaient
avoir aucune influence sur son esprit. Persuadé que les foudres du
Vatican allaient l'atteindre, Luther, dès le mois de juillet 1518, prêche
sur l'excommunication et sur ce qu'il en faut penser. Niant la doctrine
catholique, il pose alors un nouveau principe : L'Église, en (ant que
société, n'est pas un corps visible, mais une communauté invisible,
et nul ne peut en être séparé par l'excommunication, car le péché
seul rend indigne d'en faire partie '.
Luther, fermement convaincu que Dieu lui a confié la mission
d'annoncer le dogme essentiel du christianisme, obscurci et défiguré
depuis les Apôtres, va bientôt jusqu'à dire : « Je n'admets pas que
ma doctrine puisse être jugée par personne, même par les anges. ■-
<' Celui qui ne reçoit pas ma doctrine ne peut parvenir au salut *. >:
La même conviction lui fait adopter des termes depuis longtemps
employés par les hussites et autres hérétiques du seizième siècle ^ :
le Pape devient pour lui l'Antéchrist, et l'Église languit dans un
étal de captivité babylonienne.
Sa doctrine lui avait été révélée par Dieu même, seule elle con-
duisait au salut, le Pape élait l'Antéchrist; ces assertions passèrent
bientôt à l'état d'idées fixes dans l'esprit de Luther, et devinrent les
moteurs de toute sa vie et de tous ses actes.
Le 11 décembre 1818, en envoyant â un de ses amis, à Nuremberg,
ter nomen meum. Si enim id non dicit, cur in officium verbi hujus me invic-
tissimura posuit? Aut cur non aliud docuit, quod loquerer? fuit voluntas sua
sancta. ' 10 juillet 1518, à Wenceslas Link. -^ ...Id mihi reliquum est et cordis et
conscientige, quod oninia quae haheo. qureque ipsi impugnant, ex Deo me
habere cognoscam et confitear. • 21 août 1518, lettre à Spalatin. De Wette, t. I,
p. 129 voy. t. VI, p. 537, note 5) et 132.
^ Sermo de virtu'.e excommunicationis. Op. latina, II, p. 306-313. « Quid futuri mail
mihi iaLumbat », écrit Luther en juin 1518 à propos du sermon cité ci-dessus.
« omnes expectamus novum ignem succendi, sed iia jacit veibum veritaiis signum,
cui contradicitur. - De Wette, t. I, p. 130
■^Sämmil. ll'erke, t. XXVIII, p. 144.
2 Voy. notre premier volume, p. 581-582.
DISPUTE DE LEIPZIG. 1,0 19. 8»
le compte rendu de ses pourparlers avec le cardinal Caietan, il écrit :
K De bien plus grandes idées assié^jent ma plume; je t'enverrai mes
petits essais, afin que tu puisses voir si j'ai raison de supposer que
le véritable Antéchrist, décrit par saint Paul, r('{jne en ce moment à
Rome, et soit bien plus à redouter que le Turc; je crois pouvoir le
prouver '. » « La cour romaine », écrit-il le 10 décembre 1518 à Spala-
tin, « lutte contre le Christ et son Église de concert avec tant de
monstres, qu'en fait de tyrannie elle va plus loin que tous les Turcs. "
Et le 13 mars 1519 : « .le te dirai en confidence que j'ignore si le
Paj)e est véritablement l'Antéchrist, ou seulement son apôtre '. »
Cependant dix jours auparavant il avait écrit au Saint-Père : « Dieu
et toutes les créatures me sont témoins que je n'ai jamais eu l'inten-
tion de combattre l'Église romaine, et que je ne mets rien au-dessus
d'elle au ciel et sur la terre ^ " Ce qui ne l'empêchait pas de déclarer,
au mois de mai de cette même année, que ce n'était que par con-
descendance pour l'électeur de Saxe et l'Université qu'il s'abste-
nait " de vomir tout ce qu'il avait sur le cœur contre Rome, ou pour
mieux dire contre Babylone, la corruptrice de la sainte Écriture et
de l'Église * ".
Telle était déjà sa disposition d'esprit lorsque eurent lieu entre lui et
Jean Eck (juin et juillet 1519) les célèbres colloques connus sous le
nom de Dispute de Leipzig ^ Lorsque, dans le cours de la discussion,
son adversaire lui reprocha très-justement d'avoir pris vis-à-vis de
la primatie du Pape une attitude qui ne différait guère de celle des
hussites; lorsqu'il lui dit que les Frères de Bohême se vantaient avec
I raison d'avoir trouvé en lui un nouvel adepte et un protecteur
i Luther repoussa vivement toute communauté de sentiments avec les
1 hérétiques de Bohême. « Jamais », assurait-il, « son intention n'avait
i été de susciter un schisme, jamais il ne donnerait les mains à un
I pareil dessein. » En février 1519 il avait écrit « que sous aucun pré-
! texte, si grand qu'il fût ou pût devenir, il ne pouvait être permis de se
! séparer de l'Église romaine ». " Non, aucun crime, nul abus, ne peut
I justifier une scission. Jamais il ne peut être légitime de déchirer
! l'unité. » A Leipzig, il répète encore que les hussites ont eu tort de
se séparer de Rome.
' De Wette, t. I, p. 192.
* De Wette, t. I, p. 200-239.
' De Wette, t. I, p. 233-235.
* De Wette, t. I, p. 260.
* La dispute de Leipzifj a eu un tel retentissement, et l'on entend encore
( aujourd'hui affirmer si souvent que Luther y a été entraîné malgré lui par
I Eck, qu'on nous permettra de grouper ici quelques faits positifs relatifs à cette
', question.
i I. A la prière de l'évêque d'Eichstaedt , Eck avait rassemblé sous le nom
I d'Obélisques [dàQue; critiques) une série de remarques sur un certain nombre de
I 6.
84 LUTHER SE DECLARE HUSSITE.
Mais peu de temps après il ch;mgea subitement de lang^age et
apprécia tout différemment l'hérésie de Bohème; c'est qu'il avait
reçu, le 3 octobre 1519, des lettres de deux chefs hussites qui lepres-
propositions avancées par Luther, remarques non destinées à la publicité. Sans
qu'il pût deviner par quelle voie ce travail tomba entre les mains de Luther,
qui avait le docteur Eck en grande estime à cette époque (voy. ses lettres dans
DE Wette, t. L p. 63, lOO, et le Briejbuch de Schelrl, t. F, p. 425), néanmoins il
riposta, en mars I5I8, par ses.'îi^e"^?««« (Étoiles critiques) Asterisci Luiheri adversus
Obeliicos Eccii (in Op. latina, t. \, p. 405-456).
II. Pour défendre ses assertions, mais sans citer Eck ni les Obélisques, Luther,
le 26 avril 1518, ouvrit au monastère des Augustins d'Heidelberg, où lavaient
appelé les affaires de son Ordre, nne dispute publique à laquelle assistèrent un
grand nombre de professeurs, d'étudiants, de bourgeois et de courtisans.
Luther, dans cette dispute, soutint vingt-huit propositions théoiogiques et qua-
rante philosophiques. Ces thèses déplurent aux théologiens d'Heidelberg i ■■ pere-
grina illis videbatur theologia »), et l'un d'eux émit l'opinion que - si rustici
haec audirent, certe lapidibus vos obruerent et interficerent ». (Lettre de
Luther, 18 mai, de Wette, t. I, p. 3.) Dans ses thèses, et les notes justificatives
publiées postérieurement {Op. latina, t. I, p. 387-444), Luther développe nette-
ment sa nouvelle doctrine sur la justification parla foi seule, sur la complète
captivité de la volonté de l'homme, et sur les œuvres humaines, toutes entachées
de péché. " L'homme ", dit-il, ^ est dans la main de Dieu comme la scie dans
la main du charpentier. »
m. Content des résultats de la dispute d'Heidelberg, qui lui avait fait beau-
coup d'amis dans l'Allemagne du Sud (Martin Bucer, entre autres, qui est d'avis
que Luther joint à la vigueur d'un saint Paul la finesse d un Érasme. Voy.
Kahxis, t. I, p. 213\ [,uther, à son retour, eût aimé soutenir à Erfurt une dispute
publique (voy. KiMPSCHCLTE, t. II, p. 19-20). « Erfurdiensibus •, écrit-il, - mea
theologia est. Bis mortem cratnbe. ■■■■ Mais ses anciens professeurs, Trutvetter et
Usingen (voy. Kampschllte, t. II, p. 17-18), l'exhortèrent paternellement à
changer d'attitude vis-à-vis de l'Église. Luther, répondant à ces conseils, écrit
à Trutvetter (9 mai 1518): « Ego simpliciter credo quod impossibile sit eccle-
siam reformari nisi funditus canones decrciales, scholastica theologia, philosophia,
logica, ut nunc habentur, eradicentur et alia studia instituantur. » Il écrit à
Spalatin le 18 mai que les vieillards entêtés méprisaient sa doctrine, mais
que la jeunesse était pour lui : « Eximia spes mihi est, ut, sicut Christus ad
gentes migravit rejectus a Judaeis, ita et nunc quoque vera ejus theologia,
quam rejiciunt opiniosi illi senes, ad juventutem sese transférât. » De Wette,
t. I, p. 188-112,
IV. Ce qui ralluma la guerre entre Eck et Luther, ce fut la malencontreuse
démarche de Carlstadt, l'ami et le collègue de Luther : il défendit publiquement
ce dernier contre les Obélisques inédites de Eck, et il en publia une partie en les
défigurant et en les accompagnant d'injures à l'adresse de Eck. (Löscher, t. II,
p. 66-104.) En vain Eck (29 mai 1518) pria-t-il instamment Carlstadt, et cela de
la manière la plus conciliante, de s'abstenir de ces attaques publiques (Löscher.
t. II, p. 64-65); en vain adressa-t-il la même prière à Luther par l'entremise de
Christophe Scheurl (de Wette, t. I, p. 125) : Luther, au mois d'août, fit paraître
ses Asiériques. Eck s'abstint de se justifier. Il se borna à réfuter les attaques de
Carlstadt dans un langage plein de dignité et de calme. Löscher, t. II, p. 107,
en convient lui-même. Cependant son amer adversaire continua à lui refuser
la paix qu'il souhaitait si sincèrement. (Voy. l'article sur la dispute de Leipzig
dans le KathoUh de .Mayence, 1872, liv. de septembre-novembre.)
V. Pendant qu'avaient lieu les conférences avec le cardinal Caietan (octo-
bre 15I8I, Luther sollicita instamment la permission de discuter ses opinions en
public. Le 19 novembre 1518, il écrit à l'électeur Frédéric de Saxe : • Il (Caietan)
refuse de m'autoriser à discuter publiquement mes opinions; cependant je ne
renonce pas encore à tout espoir. Peut-être pourrais-je organiser une dispute.
LUTllEH SE DÉCLARE HUSSITE. 1020. 85
saient de marcher hardimenl en avant. « Ce que .lean Huss a élé
autrefois pour la Bohême », lui écrivait l'un d'eux, prévôt de l'église
abbatiale de Saint-Charles, à Prague, « toi, Martin, tu l'es maintenant
soit à Leipzig, soit à Erfurt, soit à Halle, à Magdebourg ou en tout autre lieu où
Votre Grâce a autorité, celte discussion, /oi« dy renoncer, je l'implore de Votre Grâce. -
(. Quin etiain oro et utinain exoreni. «) De Wettf., t. I, p. 185. Il rappelle aussi
dans une lettre à .Miltiz {17 mai 1519) que Caietao lui a refusé la discussion
publique. — (De Wf.tte, t. I, p. 276.)
VI. Cependant, pour parvenir ù ses fins, il somme Eck, qu'il rencontre à Augs-
bourg, d'avoir à soutenir contre lui et Carlstadl, grand partisan des doctrines
luthériennes, une dispute publique : • Eccius noster ' , écrit-il à Sylvius Egranus le
2 février 1519, « a metcntaïus .lugustœ. Ut cum Carlstadio nostro Lipsiie congrede-
retur pro componenda contentione, tandem obsecutus est. ■• — De Wette, t. I,
p. 216. Il prend sur lui d'engager aussi Carlstadt dans l'affaire, et de retour à
Wittemberg, il écrit à Eck (15 noveml)re 1518) que Carlstadt est prêt à la dis-
pute, et lui laisse le soin de déterminer le lieu et le jour où elle aura lieu.
• Itaque fac " , ajoute-t-il, « ut non frustra horainem permoverim. » — De Wette,
t. I, p. 171. Eck donne enfin son assentiment à la dispute, mais il est bien évi-
dent que c'est Luther qui l'a provoquée.
VII. Cestpar une lettre deCiiri^topheScheurl, du24novembrel518,queJeanEck
apprit que Carlstadt avait déclaré à Erfurt « quod te eo mox evocalurus sit in arenam
atque etiara ea lege disputaturus, ut singula verba calamus excipiat diligen-
tissime... ». • Tuœ defensiones apud Wittenbergenses puijlice distrahuntur. .
Schcuri's Brie/buclt, t. II, p. 61-62. — Eck reçut plus tard VAppellalio ad conci-
lium de LUTHEU, qui date du 18 novembre 1518. — Lctueri Op. laiina, t. II,
p. 438-445.
VIII. Entre les deux Universités dont le choix lui était laissé par Carlsdat,
Eck se décida pour Leipzig. Il écrivit à la faculté de théologie de cette ville
et au duc Georges de Saxe pour obtenir l'autorisation de la dispute (4 dé-
cembre 1518). L'Université la refusa. Le duc Georges, au contraire, envoya le
31 décembre la permission demandée. — (De Wette-Seidemann, t. VII, p. 1!,
note.) Dans l'intervalle. Eck, sans attendre qu'il y fût autorisé, fit imprimer ses
douze thèses sur l'indulgence et l'autorité du Pape, et les envoya à Luther.
Celui-ci fut tellement irrité des objections qu'il y rencontra, qu'eu janvier (et
non en mars ou avril, comme le dit de Wette, t. I, p. 249; voy. aussi Seidemann,
Leipsiger Disputation, p. 27-28) il écrivit à Carlstadt une lettre destinée à la publi-
cité, où parmi les plus ûpres invectives contre Eck (il parle entre autres des
^ pestilemibus Romani ponlißcis et Romanorum tyrannorum adulatoribus •) il fait part à
Carlstadt de son dessein bien arrêté de combattre Eck en public à Leipzig : « Oro
ut una mecura ad illustrissimum principem ducem Geargium, prudentissimum
quoque senatum Lipsiae sciibas, si qua dignentur nobis domum vel profanam in
hoc negotium collocare. Nam egregios dominos doctores de universitate penitus
noio hujus periculo judicii onerari, quod et prudentissime recusarunt. • « Main-
tenant elle aura lieu », écrit-il le 3 février 1519 à Jean Lange, « ut faciam quw
diucogiiavi, Christo propitio, id est, ut aliquando libro serio lu Romanas lernas
invehar .. — (De Wette, t. I, p. 217.) Le 12 février il écrit à Spalatin ; « Eccius et
ego congrediemur Lipsia? post Paschalia », etle20février à Scheurl : «Nec Eccius
sibi, nec ego mihi in hac quicquam serviemus. Dei consilium agi mihi videtur.
Ssepius dixi hucusque lusum esie a me : nunc tandem séria in Romanum Ponti-
ficem et arrogantiam Romanam agentur. • De Wette, t. I, p. 223-230. — Le 22 fé-
vrier 1519, il prononça sur la puissance papale un sermon irrité, qui inspira au
célèbre juriste de Wittemberg, Otto Beckmann, la réflexion suivante (lettre à
Spalatin, 24 février): « Quantum ad nostrura Eleutherium attinet, nescio quod
possim polliceri. Scripsi tibi antehac, nostrates (les professeurs de lUniversitéi
excepto uno vel altero improbanda probare, ut Martiniaui videantur, quamquam
cum Martino minime consentiant quantum videlicet attinet ad potestatem
summi pontificis, quse nec convelli ac minui potest nostris latratibus. » • Tu
S6 LUTHER SE DKCLARE HUSSITE.
pour la Saxe. Prie donc, et fortifie-toi dans le Seigneur. Si l'excom-
municafion t'atteint, si Ton te traite d'hérétique, ne te laisse pas
abattre; pense à ce que le Christ et les Apôtres ont eu à souffrir! »
recte feceris, si Amsdorfio scripseris, ut Martinum admooeat, ne sine causa
coram vulgo de pontifice aliisque prelatis tam petulanter loquatur. Aliiur ncscio
quid monstri, sed Christus faxit. ne apud nos nascatur. Alia via pergenduin est.
Commentis equidem nostris non potest reformari ecclesia, si reformanda venit. •
— LöscBER, t. III, p. 90-91. — KÖLDE, Analecia, p. 6-7. Ces faits ne prouvent-ils pas
que la lettre pleine de soumission écrite par Luther au Pape le 3 mars 1519 de
Wette, t. I, p. 233-235) a pu difficilement être sincère?
IX. Après que la lettre de Luther à Caristadt eut été publiée, l'Université de
Leipzig écrivit au duc Georges de Saxe ilô février 1519) qu'elle avait, sur son
ordre, donné à Eck et à Caristadt l'autorisation désirée pour la dispute, mais
que Luther, intervenant dans la question, prétendait maintenant se substituer à
Caristadt. L'Université conseillait au duc de s'opposer à ce que Luther, malgré
elle et malgré lui, soutint publiquement cette dispute. — (Seidemann, Leipziger
Disputation, p. 126.) Le 19 février, l'Lniversité exprime à Luther son étonnement
de ce que, sans y avoir été autorisé, il se proposât de soutenir la dispute, ainsi
qu'il l'annonçait officiellement dans sa lettre à Caristadt. Ce même jour, Luther,
s'adressant humblement au duc. le supplie d'autoriser la dispute, ses thèses
contre Eck étant déjà publiées. — (De Wette-Seidem.vnn, t. VI, p. 11.) Il est donc
absolument inexact de dire que Luther a été pour ainsi dire contraint à la dis-
pute par la lettre de Eck du 19 février. — (Lltheri Op. latma, iv, p. 77.) Eck ré-
pondit à la lettre de Luther à Caristadt par des lettres pleines de dignité,
adressées aux deux prélats Gaspard de Wessobrunn et Jean de Pollich. (Lltheri
Op. latina, III, p. 9.) — Sans répondre aux attaques personnelles de Luther, il
expose l'état véritable de la question. .\ cet exposé Luther ne trouve rien à
opposer dans sa Disputalio et Excusatio adversus criminationes J. Eccii. [Op. latina, III,
p. 12-17.'! Eck fixa le jour de la dispute au 27 juin, tout en répétant qu'il serait
heureux de voir Luther se désister et offrir sa soumission au Saint-Siège.
X. Parmi les thèses de Luther, ses partisans remarquèrent avec surprise des
propositions comme celle-ci: • Romanam ecclesiam esse omnibus aliis superio-
rem, probatur ex frigidissimis Rom. Pontificum decretis, intra quadragentos
annos natis, contra quae sunt historiac approbatae mille et centum annorum,
textus scripturae divinae et decretum Niceni concilii, omnium sacratissimi. »
"Voy. au sujet de ses thèses (■ Sanctis patribus contraria •) l'intéressant passage
du Briefiuch de ScHEURL, t. II, p. S5. ('> Velaquo\is errore putetur excusari
posse, SI modo errare possit. v] Caristadt, à propos de cette thèse (24 février 1519),
écrit à Spalatin (Löscher, t. III. p. 91) qu'il avait conseillé à Luther de se
désister, mais que la thèse ayant été publiée, et la chose n'étant plus répa-
rable, il avait engagé Luther à appuyer du moins ses assertions de preuves
solides. Luther s'était donc mis à étudier assidûment le droit canon. Il écrit le
13 mars à Spalatin, après avoir expédié au Pape la lettre soumise que l'on sait :
■ Verso et décréta pontificum pro mea disputatioue et in aurem tibi loquor
nescio an papa sit Antichristus ipse vel apostolus ejus. = — (De Wette, t. I, p. 239).
Avant la dispute de Leipzig, il imprima encore pour faire suite à ses thèses
sa Eesolutio de potestate papœ, per auctorem locupktata [Op. latina, III, p. 293-384), d'OÙ
il ressort avec évidence que non-seulement il rejetait la suprématie des papes,
mais que déjà, en principe, il adoptait la doctrine sur le sacerdoce universel,
qu'il devait plus tard enseigner. — (Voy. le Katholik, 1872, p. 238-549.) Par con-
séquent, c'est à tort qu'on soutient que la Dispute de Leipzig a exercé une
influence considérable sur ses manières de voir.
XI. La Dispute de Leipzig, sur Inquelle le livre de Seidemann nous fournit les
détails les plus circonstanciés, eut lieu, ce dont il faut tenir compte, malgré
les autorités ecclésiatiques de Mersebourg et de Brandebourg. — (SEiDEM.iNN,
p. 29-31, 41; et Albert, p. 407-418.) La faculté de théologie de Leipzig résista
longtemps; mais Georges de Saxe l'obligea enfin à céder, et l'interdiction de
LUTHER SE DÉCLARE 11 US SITE. 1520, 87
L'aiilre chef hussile lui écrivait : < (jiic rAiifechrist ne vienne pas à
bout de te séduire! Souviens-foi qu'il a mille manii^res de perdre
nos âmes. Oue le Christ te fortifie ' ! »
En février 1520, Luther, > soudainement éclairé , se persuade
tout à coup qu'il est hussile, et que .lean Huss a été son précurseur
dans rintelli(jence du véritable évangile. " Cette guerre est celle
du Seigneur », écrit-il à Spalatin; « le Christ n'est pas venu pour
apporter la paix. Insensé que j'étais! Sans le savoir j'ai enseigné et
tenu pour véritables toutes les doctrines de Jean Huss! Nous sommes
tous hussites sans en avoir eu conscience ! Saint Paul et saint Augustin
sont aussi de parfaits hussites! .le ne sais, dans la terreur où je suis
plongé, ce que je dois penser des effroyables jugements de Dieu sur
les hommes de notre temps, qui ont brûlé et condamné depuis plus
d'un siècle la vérité évangélique, et n'ont pas permis à ses apôtres de
la confesser^ » Au concile de Constance, le Pape et les siens avaient
substitué à la doctrine du Christ celle du dragon infernal. Huss était
un grand martyr du Christ; il fallait le vénérer comme un saint ^
révêque de Mersebourjj fut inulilement affichée à THôtel de ville de Leipzig.
Nous voyons ici commenctr limmixtion de la puissance temporelle dans les
affaires ecclésiastiques. La lettre de Thomas Venatorius à Pirkheimer, insérée
par Albert, ne prouve pas du tout que l'évèque dEichstadt ait vu avec déplaisir
l'attitude de Eck (p. 408). Les passages qui semblent blâmer Eck ne se rapportent
pas à la Dispute de Leipzi?;, mais à la dispute jadis soutenue par Eck à Bologne,
sur la question du prêt à intérêt. — (Voy. notre premier volume, p. 399.)
XII. Luther fut mécontent du résultat de la dispute : ■^ La discussion n'a pas
été bien conduite», écrit-il ù Spalatin. («Maie disputa tum est. ^ " Tout cela n'a été
que du tempsperdu. » (^ ...fuisse perditionera temporis.-) — (Voy. ceslettres dans
DE Wette, t. I, p. 284-289, 290-306.) Il disait plus tard, en parlant de Carlstadt :
• Noluit mihi Lipsiae primas partes disputationis concedere, ne ei pra>riperem
honorem, cui tamen libenter favebam. • Il avoue avoir été plus humilié qu ho-
noré à Leipzig, - quia est infelicissimus disputator,horridi,et hebetis ingenii. -
— ■ [Lauierbach's Tagebuch, p. 190.) A propos d'Eck, Melanchthon écrit à OEcolam-
pade après la Dispute (21 juin 1519) : « Apud nos magnae admirationi plerisque
fuit Eccius ob varias et insignes ingenii dotes. -• — (Luthep,! Op. latina, lll, p. 487.)
Christophe Scheurl, bien qu'alors partisan de Luther, vante dans une lettre à
.Mélanchthon (11 mai 1519)« dexteritas, gnavia, eruditio, ingenium, humanitas,
fides, amicitia », de Eck. [Bric/buch, t. II, p. 92.)
' Voy. les lettres des deux hussites dans les OEuvres latines de Luther, p. 78-81
Luther les reçut le 3 octobre 1519. — Voy. sa lettre à Staupitz datée du même
jour. • Accepi ac hora ex Praga Bohemiae litteras... » — De Wette, t. I, p. 341.
* De Wette, t. I, p. 425.
»Sam/ntl. Werke, t. XXIV, p. 133-134; t. L, p. 143, et t. LXV, p. 82. L'attrait de
Luther pour .Tean Huss venait de la remarquable analogie de caractère et de des-
tinée qui existe entre ces deux hommes. Tous deux, par leur naissance, appar-
tiennent aux basses classes; tous deux acquièrent dans leur contact avec le peuple
un secret rarement révélé aux esprits formés dans une sphère plus haute : l'art
d'agir sur les masses. Tous deux doivent à l'Église un rang social plus élevé, et
se font tous deux prêtres contre le sentiment de leurs compagnons d'état et de
leurs supérieurs ecclésiastiques. L'un et l'autre aliandonnent aux laïques la
direction des affaires ecclésiastiques, et tombent, par les inévitables consé-
quences de leurs principes, dans le césaro-papisrae ; tous deux, par leurs attaques
88 LUTHER ET LES HUMANISTES.
Comme Luther était fermement convaincu que Dieu , en lui révé-
lant la vérité évangélique, avait voulu qu'elle fût annoncée au peuple
par son intermédiaire, la question était maintenant de savoir
comment, par quels moyens, il allait combattre la papauté, siège de
l'Antéchrist, et comment le règne de la vérité pourrait être établi sur
la terre. Les hussites avaient propagé leur doctrine par le fer et le
feu; Luther, aussitôt qu'il eut reconnu en lui un véritable hussite, ne
recula pas davantage devant l'emploi de mesures violentes. " Je t'en
supplie », écrit-il le 20 février 1520 à Spalatin, " si tu entends bien
l'Évangile, ne t'imagine pas que sa cause puisse triompher sans
émeute, sans scandale et sans révolte. Tu ne feras pas une épée d'une
plume; avec la guerre, tu ne feras point la paix. La parole de Dieu
est un glaive, c'est un combat, c'est un déchirement, un scandale,
une ruine, un poison. Comme dit le prophète Arnos, elle est sem-
blable à l'ours sur le chemin, et à la lionne de la forêt qui s'avance
au-devant des fils d'Éphraïm '. »
Au moment ou Luther traçait ces lignes, un parti puissant venait
de se rallier à son « évangile ». Fort de son appui, il pouvait désor-
mais braver l'excommunication, ainsi que les menaces et les pièges
de tous ses ennemis.
III
Les humanistes furent les premiers alliés de Luther. Dans la lutte
qu'ils avaient entreprise contre la scolastique et l'autorité ecclé-
siastique, ils saluèrent avec enthousiasme ses attaques hardies; ils
entrèrent en lice pour lui, comme autrefois pour Reuchlin.
Les humanistes, au rapport de Cochl^eus, guerroyaient sans
relâche pour Luther, et s'efforçaient, par la parole autant que par
la plume, de gagner les laïques aux doctrines nouvelles. Ils s'atta-
quaient aux prélats, aux théologiens, par toutes sortes de propos
méprisants et moqueurs, leur reprochant leur cupidité, leur faste,
violentes contre l'Église, déchaînent sur leur pays la plus effroyable des tempêtes,
et tout en faisant faire à leur langue maternelle un remarquable progrès, sont
les pères d'une révolution de la plus immense portée. — (Voy. le parallèle entre
Huss et Luther dans les Hhtor. Pol. BliUtcrn., t. XXXf, p. 369-374.)
1 » Obsecro te, si de Evangelio recte sentis, noli putare rem ejus posse sine
tumultu, scandalo, seditione agi. Tu ex gladio non faciès plumam, nec ex
belio pacem; verbum Dei gladius est, bellum est, ruina est, scandalum est,,
perditio est, venenum est » , etc. (De Wktte, t. I, p. 417.) Nous citerons plus loin
d'autres passages où Luther pousse ouvertement à une lutte sanglante contre
Rome et les évêques romains.
LUTHER ET I, E S HUMANISTES. 89
leur envie, leur ignorance el leur rudesse. « Le clergé ne persécute
l'innocent Luther i, disaient-ils, ^^ que parce qu'il est plus savant que
lui, et possède- assez d'indépendance d'esprii pour juger comme elles
mériteni de l'être les impostures et les fables des hypocrites. « Comme
les humanistes étaient non-seulement savants, cultivés, pleins de
talent, mais encore habiles à manier la parole et la plume avec aisance
et goût, il ne leur était pas difficile d'éveiller chez les laïques une
vive sympathie, une sincère compassion pour Luther; ils le repré-
sentaient comme une victime de la cause de la vérité et de la justice;
à les entendre, il n'était contredit que par des prèlres envieux,
cupides et ignorants, qui, dans la paresse et la débauche, vivaient
des mensonges de la superstition, et ne songeaient qu'à extorquer
l'argent d'un peuple imbécile '. L'étroite amitié de Luther et de Phi-
lippe Mélanchthon,si célèbre dès ses jeunes années dans toute l'Alle-
magne par sa science, si ardent à servir son ami, contribua beau-
coup à donner aux humanistes une opinion favorable « du nouveau
héraut de la vérité, qui luttait si courageusement pour elle à Wit-
temberg ».
Luther avait cherché de bonne heure à se rapprocher de la ligue
des poètes. On le voit, dans ses écrits, offrir successivement ses
hommages et ses louanges aux coryphées de la bande, à Mutian,
Reuchlin, Érasme. Comparé à Mutian, ce savant génie, cet esprit
si cultivé, si exquis, il avoue n'être qu'un barbare, accoutumé tout
au plus à crier parmi les oies, et il lui demande son amitié -
(29 mai 1516). Écrivant à Reuchlin (li décembre 1518), il se dit son
imitateur; comme lui, il souffre sans perdre courage la persécution
et l'injure. Grâce à l'énergie de Reuchlin, l'Allemagne recommence
à respirer, après avoir été pendant des siècles non-seulement oppri-
mée, mais en quelque sorte annihilée. L'aurore de la renaissance
intellectuelle ne pouvait venir que d'un homme comme Reuchlin,
d'un esprit aussi exceptionnellement doué. « De même que Dieu
I a réduit en poussière par la mort le Christ, la plus haute de toutes
' les montagnes, et que de cette poussière se sont élevées ensuite tant
d'autres montagnes, ainsi tu n'aurais porté que peu de fruits, si,
comme le Christ, tu n'avais été poi'r ainsi dire broyé; et voilà que
de ta poussière nous voyons maintenant sortir de hardis défenseurs
I de la sainte Écriture ^ » Son langage est encore plus obséquieux
j lorsqu'il s'adresse à Érasme. Érasme est l'ornement et l'espoir de
' Voy. Otto, p. 118.
' De Wette, t. I, p. 21.
' De Wette, t. I, p. 196-197. — Voy. Geiger, Reuchlin, p. 354. Dans Evers, t. [,
p. 62-72, voyez les passages où Luther déclare que son entreprise n'est que la
continuation de la querelle de Reuchlin.
£0 LUTHER ET LES HUMANISTES
son siècle, l'homme de son cœur, et son esprit s'entretient journel-
lement avec le sien ; « car où trouver quelqu'un dont l'oreille ne
soit attentive à tout ce que dit Erasme, qu'Érasme n'instruise,
qu'Erasme ne domine? » Quant à lui, nourri « parmi les sophistes «,
il n'est pas assez instruit pour oser s'approcher, même par la corres-
pondance, d'un savant tel qu'Érasme; mais puisque la querelle sur les
indulgences a fait parvenir son nom jusqu'au grand homme, puisque,
dans la préface de la nouvelle édition du Manuel du soldat chrétien, il
voit qu'Érasme approuve son œuvre, il se hasarde, il s'approche, il
lui demande ses bonnes grâces, et désire ardemment s'attacher à lui
par les liens d'une tendre affection ' .
Mulian, qui le premier avait reçu l'encens de Luther, fut aussi le
premier à saluer, dans son attitude agressive contre Rome, 1'« aurore
d'un radieux avenir ». Parmi ses amis, le « nouvel Hercule », le
« second saint Paul * », rencontre les partisans les plus ardents.
Dans leurs écrits satiriques comme dans leurs cours de professeurs,
les humanistes d'Erfurt, Euricius Cordus, Juste Jonas, Eoban Hessus,
déclarent la guerre à la « horde impie » que Luther harcelle et presse
de tous côtés, et ce sont eux qui poussent Érasme, leur chef com-
mun et vénéré, à prendre sous sa protection la cause de Luther '. Les
écrits et les lettres d'Érasme sont la source où s'alimente tous les
jours l'enthousiasme toujours croissant des humanistes pour Luther.
' Celui qui les a lus », écrivait l'un d'eux, " ne peut plus demeurer
hostile à l'œuvre commencée. »
A l'imitation de Luther, les humanistes affectent de prendre
un ton biblique, et ce ton domine bientôt toute la littérature de
l'époque; ils deviennent même tout à coup savants théologiens,
et font des conférences sur les points de foi controversés. Si aupa-
ravant un émule de Mutian avait fait de VÉloge de la folie le sujet
d'un cours spécial, Eoban Hessus, en 1519, commente en chaire
le Manuel du soldat chrctien. Érasme, selon lui, a ramené les
âmes vers la Bible, source de toute vraie piété, et maintenant le
monde sort de l'enfance, et renonce à la superstition et à Thypo-
crisie. Il n'était plus possible de tolérer que le peuple chrétien, la
' De Wette, t. I, p. 247-249. Celte lettre tout entière et la réponse d'Érasme
ont été traduites dans l'ouvrage de Stichart, p. 309-315. Avec ses intimes, Luther
s'exprime déjà différemment sur le compte d'Érasme. — Voy. Köstli.n, M. Luther,
t. 1, p. 137-138.
* Voy. ces passages dans K uipschblte, t. II, p. 30.
* Voy. Hess, t. II, p. 39-45. A Capito, conseiller d'Albert de Mayence, qui cher-
chait à le décider à ne rien entreprendre contre Luther (Hess, t. II, p. 61-62),
Érasme écrivait (décembre 1520; : « Theologi putant Lutherum non posse
ccnfici nisi meo stiio. Et id tacite flagitant, ut scribam in illum. At ego absit,
ut sic insaniam. • (Hess, t. H, p. 552.)
PARTISANS DE LUTIJER DANS L'ALLEMAGNE DU SUD- 91
foule simple et ignorante, continuât à se laisser abuser par des
farces indignes et niaises. « Sous la conduite du Christ, il fallait
anéantir l'armée ennemie. " Euricius Cordus, célébrant Luther,
découvre en lui un héros plus vaillant qu'Achille; Juste .lonas ne voit
dans le monde entier que vice et corruption, et engage tous les
hommes éclairés à rompre ouvertement avec le passé'. Mais Crotus
Rubianus va plus loin encore; autrefois, à Erfurt, il avait été l'intime
ami de Luther. Bien qu'en sa qualité d'humaniste il eut chanté très-
peu de temps auparavant les louanges de l'Italien Pierre Pomponace,
qui doutait de l'immortalité de l'âme; bien qu'il eiU salué en lui un
allié précieux dans la guerre d'extermination qu'il avait juré aux
« sophistes " et aux moines», il ne tarde pas à reconnaître de quelle
importance les querelles suscitées par Luther peuvent être pour son
parti; aussitôt, son esprit devient « biblique », et il choisit pour nou-
velle devise le « glaive de la sainte Écriture ». Le 16 octobre 1519,
il presse Luther, « son savant, son saint ami », « l'élu du Seigneur »,
de ne rien craindre dans la lutte qu'il a entreprise contre Rome, <; ce
foyer de corruption dont la pensée seule excite le dégoût ». L'éclair
qui autrefois avait renversé Luther à Erfurt était un signe donné par
Dieu même, et nous révélant que, nouveau saint Paul, Luther avait
reçu du ciel une mission divine. Aussi l' exhortait-il à continuer
l'œuvre commencée, l'assurant que l'Allemagne recevrait de lui avec
enthousiasme la parole de Dieu'.
Luther, dès ses premières négations, avait trouvé parmi les huma-
nistes, les juristes et les patriciens de Nuremberg, des partisans tout
aussi exaltés. Christophe Scheurl, Jérôme Ebner, Jean Holzschuher,
Lazare Spengler, d'autres encore, se surpassaient mutuellement dans
leurs témoignages d'admiration '. " Luther est devenu l'homme le
plus célèbre de l'Allemagne -, écrivait Christophe Scheurl en 1518;
" il est dans toutes les bouches; ses amis le célèbrent, l'adorent,
combattent pour lui, sont prêts à tout endurer pour lui ; ils baisent ses
moindres écrits, et le nomment le héraut de la vérité, le clairon de
l'Évangile, leprédicateur de Jésus-Christ; saint Paul, à les entendre,
parle par sa bouche '. » Albert Durer, lui non plus, ne trouve pas de
termes assez louangeurs pour célébrer Luther, « ce docteur éclairé
' Kampschulte, t. II, p. 31-35. — Sur les - poètes d'F.rfurt et leurs rapports
avec Érasme et Luther, voy. Rr.vuse, Eobanus Hessus, t. I, p. 259-329.
» Voy. sa lettre dans Kampschulte, t. II, p. 44-45.
'Voy. BÖCKING, Hutteni Op. I, p. 309-312. • C'est une des lettres les plus
remarquables que Luther ait reçues •, fait observer avec raison Kampschulte,
t. II, p. 51.
* Voy. Roth, Reformation in Xümherg, p. 49.
* Voy. les lettres d'octobre à décembre 1518 dans ScheurVs Brie/buch, t. II,
p. 53-65. Voy. aussi, p. 83, la lettre de Scheurl à Eck (19 février 1519 sur l'enthou-
siasme du clergé pour Luther, dont il approuve sans restriction les principes.
92 PARTISANS DE LUTHER DANS I/AL LE MAGNE DU SUD.
par l'Esprit-Saint, ce confessseur de la vraie foi, dont les écrits sur-
passent en clarté tous les traités composés depuis un siècle et demi ».
Dürer attendait de Luther Tunité et la paix derÉ<i[lise; « lorsqu'elles
seront restaurées -, disait-il, « tous les incrédules viendroutànous, con-
vertis par nos bonnes actions, et ils embrasseront la foi chrétienne' ».
Longtemps, l'ami de Dürer, Willibald Pirkheimer, partagea ces
manières de voir; mais, plus tard, ses yeux s'ouvrirent sur les tristes
fruits du nouvel " évangile «, sur le caractère de beaucoup d'évangé-
listes imposteurs, et sur la liberté, « plutôt diaboliquequ'évangélique«,
de tant d'apostats des deux sexes, tous = fort bons luthériens ^ ».
Mais à l'époque qui nous occupe, Pirkheimer appelle encore les
philosophes scolastiques des monstres et des gnomes, gens qu'il
serait heureux de voir s'entre-dévorer, adultères de la philosophie
dignes d'être fustigés de la belle manière \ Dans sa satire du Poteau
raboté'', sorte de riposte aux Épîtrcs des hommes obscurs, il livre Jean
Eck au mépris public, le dépeint comme un homme dépravé, et lui
attribue les mobiles les plus intéressés. Il le met en scène, et lui
fait avouer qu'au fond du cœur il est luthérien, mais que l'espoir
de s'enrichir le retient dans le camp des adversaires de Luther, et le
pousse à exploiter la superstition et la sottise populaires *.
Luther rencontra aussi les sympathies les plus ardentes parmi les
humanistes d'Augsbourg, de Strasbourg, de Schlestadt, de Bàle et
de Zurich. Les coteries littéraires de ces villes propageaient avec zèle
dans le peuple tous les écrits hostiles à l'Eglise, pamphlets, feuilles
volantes, caricatures. Ils employaient pour cette propagande des
colporteurs gagés, auxquels il n'était permis d'écouler que les pro-
ductions de la littérature révolutionnaire*. Ces colporteurs allaient
de maison en maison offrir leur marchandise, et les écrits de Luther
trouvaient partout un débit prodigieux'; outre cela, des milliers de
' ThauSING, Dürer's Briefe und Tagebücher, p. 119-122.
-Voy. ses lettres dans DÖLLIXGER, Reformation, t. I, p. 167-170 et 553. NOUS y
reviendrons plus tard.
^ Voy. Roth, Reforynation in Nürnberg, p. 18.
* Eccius dedolatus, 1530. Voy. Kampschllte, t. II, p. 38, note 1. — Jung, Beitrage
zur Gesc/iic/ite der Reformation, donne Guidius Matheus comme étant l'auteur de la
satire; mais nous sommes bien fondé à croire qu'elle est l'œuvre de Pirkheimer.
Voy. R. RossLER, dans le Zeitsctiriftfür Deutsclie Culturgescliictile , 1873, p. 259-469.
— Roth, Reformation in Nürnberg, p. 71-74.
^ H.VGEN, DeutscJilands literarisc/ie UerhuUnisse, t. II, 63-73, et sur la correspondance
postérieure d'Eck avec Pirkheimer et Lazare Spengler touchant la Bulle d'excom-
munication, voy. t. I, p. 113-123. — Roth, Reformation in Nürnberg.
^ ilAGEN, t. II. p. 87-88, 353. Cochlaeus parle dans De actis et scriptis Lutfieri,
p. 58-59, du grand nombre de moines échappés de leurs couvents • qui victum
ex Lutheranis libris quseritantes, in speciem bibliopolarum longe lateque per
Germaniae provincias vagabuntur •.
' Voy. Kampschulte, t. II, p. 80, note 4. — Hagen, t. II, p. 97-98.
HÜTTEN ET LA QUERELLE LUT H F. R I E NN E. 93
brochures, de libelles, de salires, de pasquiaades, paraissaient (ous
les jours, baKant ea brèche toutes les iaslitutioos légales de l'Église
et de la société,
A aucune époque de l'histoire d'AlleiDagne, le journalisme révo-
lutionnaire n'eut une semblable importance ni une telle clientèle.
C'est qu'une foule de gens s'attachaient à Luther, non par sympathie
pour ses opinions religieuses, mais surtout, comme Mélanchthoa
l'avoue, " parce qu'ils croyaient voir en lui le restaurateur de la
liberté' >'. Par cette liberté, chacun entendait, bien entendu, la
suppression de ce qui le gênait personnellement, et l'obtention d'un
bonheur individuellement rêvé. Beaucoup n'aspiraient qu'au boule-
versement de toutes choses par la force. Les discours, les écrits de
ces hommes inconsidérés minèrent sourdement la confiance de tous
dans la sécurité générale, et réussirent à faire tomber les barrières
élevées au dedans par la religion et la conscience, au dehors par la
loi. Parmi tous ces ennemis de l'ordre légal, le plus passionné, le plus
influent, le plus doué, lut Ulrich de Hütten.
Peu attiré par les querelles de dogmes, peu versé dans les questions
théologiques, Hütten, au commencement de la lutte religieuse sou-
levée par Luther, l'avait tenue pour méprisable, et l'avait prise
pour une simple querelle de moines; mais il ne tarda pas à com-
prendre le grand parti qu'il en pouvait tirer pour ses visées particu-
lières.
" Peut-être ne sais-tu pas encore ", écrit-il en avril 1518 à un ami,
" qu'à Wittemberg, en Saxe, un parti puissant vient de se former
contre l'autorité du Pape. Le camp opposé défend de toutes ses
forces les indulgences papales. Des moines sont à la tête des deux
partis; les meneurs sont ardents, pleins de chaleur, de courage et
de zèle. Tantôt ils s'emportent, tantôt ils gémissent aussi haut qu'ils
peuvent, et dernièrement ils se sont même essayés à écrire. Les
imprimeurs ont maintenant de la besogne! On vend des points
de dispute, des corollaires, des arguments, des articles; j'espère bien
qu'ils se détruiront réciproquement les uns les autres ! Un religieux
me fit l'autre jour le récit de ce qui se passe en Saxe, et je lui
répondis : Dévorez-vous, dévorez-vous! Puissiez-vous être anéantis
promptement les uns par les autres! Fasse le ciel que nos ennemis
luttent les uns contre les autres avec tant de rage, qu'ils se brisent enfin
à force de se heurter ^! » Même après l'entrevue de Luther et du car-
dinal Caietan, Hütten, à la fin d'octobre 1518, envisage encore les
' Corpus Reformât., t- I, p. 657.
' BÖCKING, Hutleni Op. I, p. 164-168. — Voy. Stracs, t. I, p. 291.
94 LUTHER ET HÜTTEN.
choses eiu même puiul de vue, jouissant du spectacle, et tout joyeux
de voir les théologiens s'entre-déchirer '.
Quant à lui, écrit-il vers la même époque, son plan est tout tracé.
Ses occupations littéraires ne doivent pas lui faire négliger le soin
de se rendre digne de l'héritage d'honneur qu'il a reçu de ses
pères; il se propose de l'accroitre encore par ses mérites personnels,
et pour l'exécution de ce dessein, il compte sur sa bonne étoile. Ses
revers ne peuvent compromettre sa fortune, puisqu'il n'a même pas
de quoi vivre; mais il peut être favorisé par une chance heureuse.
Seulement, pour atteindre son but, il a besoin, pour quelque temps
encore, du soutien de la cour, et c'est pourquoi il reste au service
de l'archevêque Albert de Mayence -.
A cette époque il ne voyait pas encore dans le mouvement luthé-
rien le moyen de réaliser sa grande idée, c'est-à-dire le renver-
sement de l'ordre politique existant au profit de la chevalerie alle-
mande. Vers la fin de 1518, il publie un ouvrage, terminé depuis le
mois de mai, et connu sous le nom (['Exhortation contre les Turcs.
Il y déclare une guerre ouverte non-seulement à la cour romaine,
mais encore aux princes; il les menace du fer et du feu, leur annonce
l'envahissement et la dévastation de leurs États, et le prompt soulève-
ment du peuple \ Si, l'année d'auparavant, il avait accepté d'Albert
de Mayence la mission d'ambassadeur auprès de François I"'; s'il
avait été chargé de conclure un traité avec ce prince et de lui pro-
mettre le suffrage de l'archevêque au moment de l'élection*, main-
tenant la seule pensée de donner la couronne à François l'indigne;
il appelle un pareil dessein un crime de haute trahison, un plan
antipatriotique et honteux. « Comme si le sang princier était épuisé! »
s'écrie-t-il. Dans un Appendice à l'Exhortation contre les Turcs, dédié
« à tous les libres et vrais Allemands », il retourne contre Rome la
pointe de son dard, et avertit la ville des papes de se tenir sur ses
gardes, « de peur que la liberté bâillonnée et presque étouffée ne
vienne soudain à briser ses entraves ^ ".
Pour combattre plus à l'aise et plus librement le « clergé corrup-
teur de l'Allemagne ", il souhaitait vivement pouvoir quitter la
cour de Mayence. Par l'intervention d'Érasme, qu'il avait humble-
ment sollicité à ce sujet (mars 1519), il obtint enfin de l'arche-
vêque la dispense de tout service à la cour, avec l'autorisation de
conserver son traitement ". Il alla alors s'établir dans le vieux manoir
* Voy. Straus, t. î, p. 314.
* Voy. Straus, t. I, p. 328-329.
2 Voy. Straus, t. I, p. 298-299.
* Voy. notre premier volume, p. 551.
5 Voy. Stuaus, t. I, p. 295-302 et 347-348
•* Voy. Straus, t. I, p. 352, 369.
HÜTTEN ET SICKINGEN. 95
de ses pères, à Steckelberg; là, il organisa des presses uiii<|iieineut
destinées à multiplier et à répandre tous les écrits de controverse,
pamphlets, satires, etc., pouvant contribuer à décrier l'Église. Ces
presses eurent une très-grande importance dans les années qui sui-
virent. En mars et avril 1519, Ilutten prit part-à la campagne dirigée
contre le duc de Wurtemberg, et, plein des espérances les plus
hardies, écrivait à Érasme avant de partir : < En peu de temps, tu
verras l'Allemagne bouleversée'. >
Pendant la guerre, il se lia étroitement avec Franz de Sickingen ^,
qu'il appelle « un grand homme sous tous les rapports, né pour
accroître la gloire de la nation allemande ». « Sickingen est sage et
prudent ■, écrit-il à Érasme (juin 1519); « il s'exprime bien, il saisit
promptement, et fait preuve d'une grande activité, ce qui est un
point important chez un général en chef. Que Dieu soutienne les
entreprises de ce cœur vaillant M »
En effet, Hütten avait trouvé dans Sickingen l'homme de son
cœur, l'instrument dont il avait besoin pour l'accomplissement de
ses plans révolutionnaires. Les deux amis se flattaient que le roi
Charles, «jeune et inexpérimenté -, se laisserait facilement gagnera
leurs vues. Aussi appuyèrent-ils son élection de tout leur pouvoir.
Ils fondaient également beaucoup d'espérances sur le jeune frère de
Charles, Ferdinand, espérant « qu'il prendrait comme eux parti
contre la barbarie* ». « Efforçons-nous de gagner Ferdinand ",
écrivait Hütten à xMélanchthon. " Sickingen aimerait à se l'attacher
par un service ^ » Hütten dédia à l'archiduc son livre sur la Que-
relle de Henri IT et de Grégoire III, ouvrage de polémique où il
représente Henri IV comme l'idéal d'un empereur, et démontre à
Charles-Ouint, nouvellement élu, que le plus grand, le plus élevé
de ses devoirs, c'est d'affranchir l'Allemagne de la tyrannie de la
papauté. Charles est exhorté à prendre Henri IV pour modèle; Fer-
dinand doit l'y encourager; quant à Hütten, il se tiendra à leurs
côtés, brûlant de les servir et de les seconder ".
En attendant ces grandes choses, Sickingen, à l'instigation de
Hütten, s'occupait beaucoup de l'affaire encore pendante de Heuch-
lin, se sentant très-disposé à trancher par l'épée cette querelle de
' BocKiNG, Huttetii Op„ t. I, p. 248.
^ Sur Sickingen, voy. notre premier volume, p. 538-539, 541-542, 540-547.
^ BÖCKING, t. I, p. 273. — Voy. Strals, t. I, p. 361-362.
* " ...Fore ut orljiscapitaadversus barbariera nobiscum conspirent.» Bocking,
t. I, p. 273.
^ " ...Primura conciliandus nobis Ferdinandus erit... post facile erit exagitarr
improbos. • Bocking, t. I, p. 320.
" Voy. Stuaus, t. n, p. 48-51.
96 CONDAMNATION DE REUCIILIN-
savants. A la grande joie des humanistes, en sa qualité d'« ami du droit
et de l'équité », il menaça de guerre privée le Dominicain Hochstratten
et le prieur de son Ordre, dans le cas où tous deux refuseraient de
donner satisfaction « au pieux et savant Reuchlin ». 11 envoya aussi
son défi à Cologne, sous prétexte que le premier magistrat de cette
ville s'était rangé du côté des Dominicains '.
Or, chacun savait ce que signifiaient les défis de Sickingen.
Worms, Landau, Metz, tout le pays de la Hesse l'avaient appris
à leurs dépens, et cela d'une foçon terrible -. L'« attitude humble »
que prirent aussitôt les Dominicains vis-à-vis du brigand redouté
est donc excusable, bien qu'elle ne soit pas précisément digne. Le
conseil du couvent, saisi d'effroi, se hâta de retirera Hochstratten la
charge de supérieur du couvent de Cologne et celle de grand inqui-
siteur de la foi. Le silence lui fut imposé.
Mais un bref pontifical ne tarda pas à rétablir Hochstratten dans
ses fonctions, et le procès de Reuchlin, si longtemps en suspens, se
termina enfin en faveur du Dominicain. Le Pape donnait droit à la
sentence de Spire, interdisait le Miroir des yeux comme livre dan-
gereux, suspect, plein de partialité pour les Juifs, et condamnait
Reuchlin à payer tous les frais du procès. Dès ce moment, l'alliance
de Reuchlin avec les chevaliers révolutionnaires cessa complète-
ment. En vain Sickingen lui offrit-il son appui ; en vain l'invita-t-il à
se réfugier dans son château, Reuchlin s'était entièrement soumis à
la décision du chef de TÉglise, et, vis-à-vis de Luther, son attitude
redevint strictement orthodoxe. Il fit même tous ses effortspour éloi-
gner du dangereux voisinage des novateurs son neveu Mélancht hontet
s'exprima sur le compte de Luther avec tant de force, dans une
lettre adressée aux ducs de Bavière, qu'à partir de ce moment Hütten
devint son ennemi juré. " Tu te déshonores », lui écrivit-il, " en
combat tant le parti auquel appartiennent des hommes dont tu devrais
être l'inséparable allié en toute question d'honneur. Essaye cepen-
dant de nous vaincre, et si ton âge te le permet, fais le voyage de
Rome; puisque tu en montres un si grand désir, va baiser le pied
de Léon! Écris contre nous, comme tu enbriUes d'envie! Malgré tes
€ris, ceux de tes amis et des romanistes impies, nous parviendrons
à secouer le joug qui nous écrase; nous briserons cette chaîne hon-
teuse que tu te vantes d'avoir toujours été fier de porter, comme si
' Sur l'intervention de Sickingen, voy. Geiger, Reuchlin, p. 444-450.
^ Voy. notre premier volume, p. 546-547.
' Pour plus de détails, voy. Geiger, p. 451-466. — Voy. la lettre de Reuchlin à
M. Huuimelberger, 3 janvier 1520, où il exprime son opinion sur Luther. —
HORAWITZ, Zur Biographie Ecuchlin's, p. 62.
AM-IANCK DE LUTHER ET DE HÜTTEN. 1520. 97
cela était dip,ne d'un homme comme toi! Tu blâmes l'attitude de
Luther, tu désapprouves son entreprise, tu voudrais voir son parti
vaincu; mais son[;es-y bien, tu as en moi un violent adversaire,
non-seulement si tu t'en prends à lui, mais si tu te soumets au pon-
til'e romain '. =
Depuis quelque temps, Hütten était devenu l'intime ami de Luther.
En 1519, les liens qui l'attachaient encore à l'archevêque de
Mayence, les revenus qu'il tenait du prélat, l'empêchaient de se rap-
procher ouvertement de Luther*. Aussi, en janvier et février 1520,
c'est par l'entremise de Mélanchthon qu'il s'adresse à lui : < Sickin-
gen me charge -, écrit-il à Alélanchton (Mayence, 20 février), ^ de
faire savoir à Luther que dans le cas où il aurait à redouter quelque
péril à cause de ses opinions et ne trouverait point de meilleur appui
d'un autre côté, il peut s'adresser à lui en toute confiance, et serait
sur de rencontrer en lui la meilleure volonté de le servir. Crois-moi,
je ne sais si ailleurs il pourrait s'assurer un auxiliaire plus sûr. Luther
est aimé de Sickingen'. " De Steckelberg (28 février), il fait des
ouvertures encore plus claires : « Ce que je t'ai chargé de commu-
niquer à Luther de la part de Sickingen, dis-le-lui promptement;
mais, je te prie, dis-le-lui à l'oreille; je ne désire pas que quelqu'un
sache la part que j'ai dans cette affaire. Si les difficultés s'amassent
autour de Luther, il n'a pas besoin de chercher bien loin des auxi-
liaires; ayant Franz pour lui, il peut, en pleine sécurité, braver tous
ses ennemis. .Je fais avec Sickingen des plans importants et gran-
dioses; si tu élaisici, je te les communiquerais de vive voix. J'espère
que les barbares feront une mauvaise fin, ainsi que tous ceux qui
révent de voir s'appesantir sur nous le joug romain. Mes dialogues,
la Triade romaine, et les Spectateurs sont sous presse. Ils s'expriment
avec une étrange liberté sur le Pape et sur les sangsues de l'Alle-
magne*. »
Nous lisons dans le premier de ses dialogues : « Contre le poison
i qui sort tout fumant du cœur du Pape, il n'est point d'antidote; le
Pape peut abriter sous sa protection toutes sortes de ruses, de tours
\ de passe-passe; les habiles manœuvres, les complots renaissent sans
cesse autour de lui. Le Pape est un bandit, et l'armée de ce bandit
I s'appelle l'Église. » « Que tardons-nous encore? L'Allemagne n'a-t-elle
' Lettre du 22 février 1521. Böcking, Hutteni Op., Suppl., t. II, p. 803-804. —
Beuchlin's Briefwechsel, p. 327-329. — On voit que la Statue de Reuchlin a été
malencontreusement placée sur le monument commémoratif de Luther, à
Worms.
I * Voy. sa lettre à Eoban Hessus, 26 octobre 1519, dans Böcking, t. I, p. 313
' « Crede mihi, vix aliunde certior salus erit. » Böcking, t. I, p. 320.
* BÖCKING, t. I, p. 324.
98 LUTHER ET HÜTTEN.
donc plus d'honneur? n'a-t-elle point de feu? Si les Allemands en
manquent, les Turcs en auraient, car les épées turques finiraient par
être nécessaires si les chrétiens, refusant d'ouvrir les yeux, se laissaient
encore égarer par la superstition, et ne châtiaient pas les criminels. »
Hütten souhaite que trois calamités fondent sur le bourbier romain,
siège de toute perversité : la peste, la famine et la guerre. Rome
étant la mère de toute impureté, un foyer de corruption, pour s'en
délivrer, on devait, comme on en agit dans toutes les grandes cala-
mités publiques, accourir en masse de tous côtés, seller les chevaux,
déployer les bannières, porter partout le fer et le feu.
Après la publication de ce libelle, Hütten présida à Bamberg, avec
son frère d'armes Crolus Kubianus, une importante assemblée qui
devait grandement servir les progrès de la révolution (avril 1520). Les
conjurés convinrent entre eux de si bien stimuler Luther qu'il se
décidât enfin à prendre vis-à-vis de Kome une attitude plus claire-
ment hostile; leur dessein était de se servir de lui pour la révolution
politique et religieuse qu'ils rêvaient.
Après la réunion de Bamberg, Crotus, le 28 avril, se tourne donc
une seconde fois vers Luther, ■- le plus grand des théologiens », le
« très-excellent Polyclète ", l'exhortant à poursuivre hardiment son
entreprise. Oue les créatures du Pape vantent et célèbrent l'infaillible
mission doctrinale de l'Eglise; pour Luther, il doit s'en tenir à cette
parole des saints Livres : < Tu seras, Seigneur, le flambeau qui éclaire
mes pas, et la lumière de mon chemin. Mais qu'il ne tarde pas à
mettre à profit le secours de ce flambeau divin; qu'il donne suite
aux avances de Sickingen, - cet illustre chef de la noblesse alle-
mande -; Luther voit ses jours menacés par de nombreux ennemis;
mais, grâce à Sickingen, il sera protégé contre tous ceux qui lui
dressent des embûches. ^ Aie souci de l'avenir , lui dit-il en termi-
nant, ' voila mon conseil; écris à Sickingen, et songe à entretenir
sa bonne volonté*. '=
Luther souffrait dès lors d'une angoisse maladive qui lui faisait
redouter partout la persécution et le meurtre. Cette disposition,
après de tels avertissements, ne fit que s'exagérer encore. Le
16 avril 1520, il écrit à Spalatin qu'il a été secrètement informé
qu'un docteur en médecine, ayant le don de se rendre invisible, a été
envoyé pour le mettre à mort-! Ses terreurs sont soigneusement
entretenues par Hütten. ^ Hütten -, écrit-il, ^- ne se lasse pas de me
mettre sur mes gardes, tellement il redoute pour moi le poison K >■
' Dans BÖCKING, Hutteni Op., t I, p. 337-339. — Voy. Kampschulte, t. II, p. 68-
71, et sa dissertation intitulée : De Johanne Croto Rubiano. Bonua% 1862.
ä De Wette, t 1, p. 441.
■* De Wette, t. I, p. 48". — Voy. Luiheri Xachsiellung durch eine Ziindbüchse, durch
ALLIANn: DE LUTHER ET DE FfUTTEN. 99
Plus tard, ces sortes de craiates devinrent chez lui une véritable
monomanie.
Kntrainc par la force de l'impulsion donnée, Luther se décida enfin
à suivre les conseils de son ami Crolus; il écrivit à Sickingen et à
Hütten, avant même que ce dernier eiU encore osé s'adresser
directement à lui '. En mai 1520, le chevalier Sylvestre de Schaum-
burg lui offrit son appui *, et le 4 juin Ilutten lui écrivit directe-
ment de Mayence. Il le pressait de se joindre à ses amis au cri de
" Vive la liberté! » puis, abandonnant soudain le style païen qui lui
était familier, il se transformait en défenseur de l'Évangile, et pre-
nait un Ion biblique^: " Nous n'avons pas travaillé jusqu'ici sans
résultat; Christ, sois avec nous! Christ, aide-nous! C'est pour toi que
nous combattons; c'est pour remettre en lumière la doctrine
obscurcie par les ténèbres papistes que nous luttons, toi, Luther,
avec succès, moi selon mes forces! » « Nous détestons les assemblées
des insensés, et nous ne nous sommes pas assis avec les impies.
Cependant sois prudent, et tiens tes yeux et ton esprit fixés sur eux. »
' Sois mâle et i'ort, n'hésite pas! Tu as en moi un allié fidèle, prêt à
te servir en toute occasion; ne crains donc pas de me confier tes
plans d'avenir. Nous défendrons ensemble la liberté, et nous déli-
vrerons la patrie, asservie si longtemps. Sickingen t'engage à venir
à lui; il te traitera avec tous les égards qui te sont dus, et te défendra
vaillamment contre tes ennemis de toutes sortes. Aujourd'hui, je me
mets en route pour aller trouver Ferdinand, et je tenterai tout pour
servir notre cause auprès du prince *. "
Dans l'entourage de Luther, on fondait sur ce voyage les plus
grandes espérances. « Hütten », écrit Mélanchfhon le 8 juin 1520,
« se rend près de Ferdinand, frère du roi Charles; il va frayer la
Gi/t, durch einen Juden mit gelben Haaren. Il croyait que les Chaires OÙ il prêchait
avaient été plus d'une fois empoisonnées, mais que Dieu l'avait toujours protégé
miraculeusement. Il était aussi convaincu que souvent il avait hu du poison
sans qu'il lui ait fait aucun mal. — Keil, Luthers Lebensumstände, t. I, p. 88-92.
' Le 5 mai, il avait déjà écrit à Hütten. Voy. cette lettre dans de Wette, t. I,
p. 445. — Voy. aussi la lettre du 31 mai, de Wette, t. I, p. 451.
' Voy. la lettre de Luther à Spalatin, 13 mai 1520, dans de Wette, t. I, p. 448.
* Straus remarque à propos du langage biblique employé par Hütten à dater
de ce moment (t. II, p. 52) : ■ Ce style ne convient ni au caractère ni au genre
de talent de liutten. Son instruction avait été assez superficielle, à moitié clas-
sique, à moitié politique; même lorsqu'il traite les questions relifîieuses, il rai-
sonne en • poète » et en homme du monde. Or les paroles de la Bible ont une
portée autrement élevée, et ne sauraient être heureusement associées à des
tendances qui leur sont si étrangères. Malgré l'art avec lequel Hütten les met
en œuvre, elles font un contraste désagréable avec l'ensemble, elles dérangent
le lecteur au lieu de le persuader. Parfois on s'imagine voir la figure de Hütten
grimacer sous un capuchon. • Cela est vrai, mais ces raomeries semblaient à Hüt-
ten nécessaires à son rôle, et indispensables pour séduire et entraîner le peuple.
' BOCKING, 1. 1, p. 355.
7.
100 LUTHER FAIT ALLIANCE AVEC LA RÉVOLUTION.
voie aux princes très-puissants qui bientôt prendront en main la
cause de la liberté. Oue ne pouvons-nous pas espérer ' ? "
Hütten, pour les frais de ce voyage à la cour de Bruxelles, eut
recours à l'archevêque Albert de .Mayence-, avec lequel, en dépit de
tous ses écrits incendiaires contre Home, il restait toujours en fort
bons termes. Albert ne dissimulait point ses espérances. Il se flattait
que TAllemag^ne, une fois affranchie du Pape, fonderait une Église
nationale dont il deviendrait le chef suprême \ <• Hütten est venu à
Mayence ' , mande Agrippa de Nettesheim à un ami (16 juin 1520).
« H était accompagné de plusieurs partisans de Luther; tous montrent
une extrême indignation contre ceux qu'ils appellent les courtisans,
et contre les légats romains. Ils sont fort mal disposés pour la per-
sonne même du Pape. Ils préparent, si Dieu ne l'empêche, de
grandes révoltes en ce pays, car ils font aux princes souverains et
aux seigneurs de belles promesses, et les exhortent à secouer le
joug de Rome. Qu'avons-uous besoin, s'écrieut-ils, d'un évoque
romain? N'avons-nous pas, dans notre Allemagne, des primats, des
évêques? L'Allemagne doit abandonner Rome, et s'en tenir à ses
primats, à ses évêques, à ses curés. Tu vois clairement ce à quoi
ils visent. Déjà, quelques princes et cités leur font un accueil bien-
veillant; quant à ce que pourra tenter l'autorité de l'Empereur, je
l'ignore *. »
Depuis la mort de Maximilien (janvier 1519), l'Empire, privé de
maître, était livré à une sorte d'anarchie, et le déplorable désarroi
des affaires publiques ne favorisait que trop les menées du parti
révolutionnaire.
IV
L'alliance de Luther avec le parti révolutionnaire était désormais
un fait accompli =.
Bientôt il répond à Hütten qu'il a plus de confiance en Sickingen
' • ...Viam facturus libertati per maximos principes. Quid non speramus igi-
tur? » Corp. Reform., t. I, p. 201.
* Voy. la lettre de Jean Cochlaeus, 12 juin 1520, dans Böcking, t. I, p. 358.
^ La question de savoir si le Pape tient son autorité de Dieu ou simplement
d'un mandat humain paraît à Albert « superficielle, indifférente, au nombre
de ces questions dont un vrai chrétien n'a pas beaucoup à se préoccuper = . —
Voy. Riffel, t. I, p. 174-175.
* BÖCKING, t. I, p. 339-360. Voy. STR.iLSS, t. IV, p. 55.
' Maure.nbrecher [Katholische Reformation, t. I, p. 394) reconnaît franchement
ce fait, mais il approuve la ligne de conduite adoptée par Luther: • ce n'est
pas aux protestants '. selon lui, • qu'il appartient de le blâmer. Ils doivent av
LUTHER FAIT ALLIANCE AVEC LA RÉVOLUTION. 10!
qu'en n'importe quel prince '. « Je pense qu'ils sont tous devenus fous,
à Rome ", écrit-il à Spalatin au commencement de juin 1520;
« tous sont violents, inconsidérés, sans cervelle! Cène sont que des
bûches, des pierres, des démons M > Lorsque, le 11 juin, le chevalier
contraire lui savoir gré de ne pas s'être arrêté à de vains et subtils scru-
pules, de n'avoir pas eu horreur des mesures violentes, puisqu'elles étaient
nécessaires, et d'avoir été droit aux moyens efficaces et radicaux. L'emploi de
ces moyens était inévitable. Sans eux, la patrie allemande, si longtemps oppri-
mée par la cour de Rome, ne pouvait être affranchie. •
' « ...Se plus confidentiae erga illum gerere, raajoremque in eo spem habere,
quam habeat in ullo sub ca-lo principe. - Cochl.els, De actis et scriptis Lutheri,
fol. se''. Voy. Kampschulte, t. Il, p. 74, note 3, et Sybel, Histor. Zeitsckri/i, 1874,
p. 189.
» De Wette, t. I, p. 453. En même temps il écrivait à Crotus Rubianus. Voy.
Corp. Reform., t. I, p. 202. — ßöcKiNG, t. I, p. 434. — Burkhardt, Luther' s Brief-
wechsel, p. 29. — De Wette, t. I, p. 452. Luther traitait tous ses adversaires
théologiques, Sylvestre l'rierias, Latomus, les théologiens de Cologne, de Paris
et les autres avec le dernier mépris; tous sont à ses yeux des gredins, des gens
sans pudeur, inspirés par le mauvais esprit, et qui s'attachent à lui " comme
la crotte aux roues •. A l'entendre, ils déchirent effrontément la sainte Écri-
ture et ne sont pas même dignes de garder les pourceaux. Dans une lettre à
Link, 19 août 1520, il en appelle à saint Paul pour exruser la violence de ses
attaques, disant que l'Apôtre a comme lui appelé ses adversaires des chiens, des
serviteurs du démon, etc. Il n'y a que des « asini asinissimi qui écrivent contre
moi " , dit-il à un autre endroit ; « ego vero corpore satis bene valeo et animo,
nisi quod mallem minus me peccare. Et quotidie magis pecco, quod tibi tuisque
orationibus conqueror. • De Wette, t. I, p. 474, 479, 553. ■ Les écrits controver-
sistes de Luther », avoue Kahnis en dépit de tout l'enthousiasme que lui inspire
le réformateur (t. I, p. 297), manquent de logique, de suite, de calme,
d'impartialité, de dignité, de mesure. Beaucoup étaient rebutés par le ton
acéré, les reproches rudes et grossiers qui, sous sa plume, se changeaient
si souvent eu invectives brutales. > • Luther est fortement enclin à mettre
toutes les objections de ses adversaires sur le compte de l'ignorance, d'un
endurcissement voulu, de vices honteux, d'un manque total de sens évan-
gélique, etc. » — Thiersch (p. 58-59) ne dissimule pas davantage ce que lui
fait éprouver la violence sans frein de Luther envers ses adversaires : • Au
lieu d'attribuer leurs critiques à des erreurs de jugement, à un défaut de
science, n'empêchant pas leur loyale bonne volonté, Luther répète constam-
ment qu'ils sont possédés du démon; il les accuse d'aveuglement volontaire; il
représente leurs actes comme entachés de péché mortel. Ces exagérations
nous révèlent en lui l'absence de cette calme 'ucidité d'esprit que posède seule
l'âme pleinement convaincue de l'équité de ses voies et de la justice de sa
cause. Toute sa dialectique repose sur l'idée, érigée par lui en principe, que le
Pape est l'Antéchrist. Pour justifier sa conduite, il est obligé de repéter sans
cesse cette assertion, et de représenter ses adversaires comme des êtres incor-
rigibles, desquels il n'y a absolument rien à espérer. » ^ Son langage violent,
l'àpreté de ses jugements, l'amertume de ses paroles ont beaucoup contribué à
rendre irrémédiable, et cela de nos jours encore, la scission dont il est l'auteur;
car Luther a légué son esprit à ses disciples. Son style acrimonieux a été d'un
exemple déplorable pour les théologiens luthériens qui le suivirent. Comme lui,
ils s'imaginèrent qu'injurier, damner, était le signe d'une foi robuste, prouvait
la justice de la cause défendue, et que cet emportement n'était autre chose que
le véritable » zelus Lutheri, l'héroïque ardeur du nouvel Élie. » Le Courrier
luthérien (p. 380-385) professe les mêmes opinions : « La façon dont Luther
traite ses adversaires rendait tout accommodement, toute discussion scienti-
fique impossible. " D'ailleurs, il avait pour système de jeter ceux qui discutaient
102 LUTHER PUBLIE LE IVIAMFESTE A LA NOBLESSE D'ALLEMAGNE.
Sylvestre de Schaumbourglui offre cent cavaliers nobles pour le pro-
téger *, Luther envoie aussitôt sa lettre à Spalatin : « Les dés sont
jetés ', s'écrie-t-il; « je méprise la colère des Romains aussi bien que
leur faveur, et je ne veux point de réconciliation avec eux dans toute
Téternité; non, je ne veux avoir rien de commun avec eux! Qu'ils me
condamnent ou brûlent mes écrits, peu m'importe! En revanche,
dussé-je ne jamais employer d'autre flamme, je prétends brûler et
damner publiquement tous les livres du droit papal, cette hydre
pédante de l'hérésie. Alors nous en finirons enfin avec l'humilité sté-
rile témoignée jusqu'ici aux Romains, et dont je ne souffrirai plus
que les ennemis de l'Évangile continuent à s'enorgueillir. Sylvestre
de Schaumburg et Franz de Sickingen m'ont affranchi de toute crainte
humaine. " « Franz », écrit-il à un Frère de son Ordre, « m'a fait
assurer par l'entremise de Hütten qu'il me défendrait contre tous mes
ennemis. Sylvestre en a fait autant, et m'offre l'appui de ses nobles de
Franconie; j'ai reçu de lui une belle lettre. Désormaisjene crains plus
rien. Je suis en train de publier en allemand un livre sur le Pape et
sur la réforme de la société chrétienne. J'y attaque le Pape de la
manière la plus violente, et je vais jusqu'à l'assimiler à l'Antéchrist^ >•■
Ce livre, publié au commencement d'août 1520, n'était autre que le
célèbre manifeste intitulé : A la noblesse chrétienne dupay s d'Allemagne^.
ses doctrines dans une confusion toujours plus inextricable : " Comnneje m'aper-
çois », dit-il dans la Captivité de Babylone, « que mes ennemis ont du temps et du
papier, je veux mettre tous mes soins à ce qu'ils aient de quoi criailler, .le pré-
tends courir toujours en avant, et tandis que mes éloquents et glorieux vain-
queurs s'imagineront avoir terrassé quelqu'une de mes hérésies, je leur taillerai
une autre besogne. - Souvent Luther, accablant de son mépris un adversaire
qui jamais et nulle part ne peut avoir raison, est entraîné à soutenir d'étranges
sophismes, et semble vraiment se moquer de la logique la plus élémentaire. C'est
ainsi que, réfutant la proposition d'Alveld qui avait dit que nulle société terrestre
ne peut subsister sans un chef, et que, par conséquent, la société chrétienne
doit avoir un pasteur suprême, il dira : " Une société corporelle ne se fonde
pas sans femme; par conséquent on devrait aussi donner à la chrétienté une
vraie femme, une femme en chair et en os, afin que l'Église ne périsse pas; à
la vérité, cette femme devrait être une robuste prostituée! • Il faut reconnaître
que plus d'un adversaire de Luther imitait sa violence. Sylvestre Prierias l'appelle
" un lépreux spirituel, un homme à la tête d'airain, qui sans doute eût été un
ardent panégyriste de l'indulgence, si le Pape lui eût donné un bon êvéché,
ou bien une indulgence plénière pour l'établissement de son Église ». Dialog.
Silv. Prierias, dans les Op. latina, varii argumenti de Luther, t. I, p. 351-365.
' BuRKHARDT, Luthcr's Brieftcechsel, t. XXIX. Voy. G. LOTZ, Der frankische Adel, und
dessen Einßuss auf die Verbreitung der Reformation, dans le Zeitschrift für die gesammte
lutherische Theologie, t. XXIX, p. 465-486.
* De Wette, 1. 1, p. 466, 469, 475. « A me quidem, yflc/a mihi alea, contemptus est
Romanus furoret favor: nolo eis reconciliari nee communicari inperpetuura.»
" Quia enim jam secure me fecit Silvester Schaumburg et Franciscus Sickin-
gen, ab hominum timoré succedere oportet daemonum quoque furorem. »
3 Sämmtl. Werke, t. XXI, p. 274-360.
LUTHER PUBLIE LE MANIFESTE A LA NOBLESSE D'ALLEMAGNE. 103
C'est la véritable déclaration de guerre du parti révolutionnaire
dirige par Luther et Hütten. Luther était bien sûr d'être chaude-
ment approuvé par ceux-là mêmes qui ne partageaient point ses opi-
nions sur le renversement total de l'organisation ecclésiastique,
lorsqu'il parlait comme il suit de la cessation des abus du pouvoir
temporel : ■< En premier lien », dit-il, " il serait urgent de faire une
loi, du consentement de toule la nation, contre le luxe extravagant
de ces habillements coûteux qui ruinent parmi nous tant de nobles et
tant de riches bourgeois. Dieu nous a cependant donné comme aux
autres nations assez de laine, de crin, de lin, et tout ce qui est
nécessaire à l'honnête entretien de chaque état, pour que nous
n'ayons pas besoin de gaspiller des sommes énormes dans l'achat
de velours, de soie, d'ornements d'or; toutes ces marchandises étran-
gères que nous recherchons follement nous sont inutiles. Nous
n'avons que faire non plus de la masse d'épices dont nous faisons
usage; c'est là le grand vaisseau qui conduit tout notre argent hors
du pays. Mais la grande calamité de l'Allemagne, c'est évidemment
le prêt à intérêt. S'il n'existait pas, plus d'un regarderait à dépenser
son argent en soie, velours, ornements d'or, épices, et pour tous ces
oripeaux dont il se montre si curieux. Certainement, le prêt à intérêt
est la figure et la preuve que le monde avec ses iniquités a été vendu
au diable, qui par là veut nous ravir à la fois le bien temporel et
spirituel; mais nous ne discernons pas son mauvais dessein. En vérité,
il faudrait mettre aux Fugger et autres compagnies un frein dans
la gueule. Comment pourrait-il être juste devant Dieu qu'un homme
puisse en sa vie amassera lui tout seul les trésors d'un roi? » " Il
serait selon Dieu de favoriser le travail des champs et de diminuer
les affaires du négoce, et ceux qui travaillent la terre et en tirent le
nécessaire pour le soutien de leur vie sont bien mieux inspirés que
les commerçants, car ils suivent l'Écriture, qui a dit : « Tu gagneras
' ton pain à la sueur de ton front. » Luther, en parlant ainsi, ne faisait
que répéter ce qu'avaient tant de fois enseigné les théologiens éco-
nomistes du quinzième siècle. ^ Voyez », poursuit-il, - les abus de
mangeaille, de boisson, qui nous sont particulièrement reprochés, et
nous font un si méchant renom dans les pays étrangers. Les prédica-
teurs ne parviennent pas à y apporter remède, tant ils sont devenus
habituels parmi nous. Le tort fait par là à notre bourse serait un bien
petit mal, si le meurtre, l'adultère, le vol, le blasphème et toutes sortes
de crimes n'étaient la conséquence de ces excès. L'épée temporelle
devrait ici mettre le holà; si elle ne s'y décide, nous verrons bientôt
se réaliser ce que le Christ a prédit : le jugement dernier viendra
comme un voleur de nuit, pendant qu'ils boiront, mangeront, se
marieront, feront l'amour, bâtiront, planteront, achèteront, ven-
104 LUTHER PUBLIE LE MANIFESTE A LA NOBLESSE D'ALLEMAGNE.
dront. En vérité, les choses en sont venues à un tel point que je crois
le jugement dernier tout voisin de notre porte; il sera ici au moment
où l'on s'y attendra le moins. Knfiu, n'est-ce pas une chose déplo-
rable que nous autres chréliens tolérions parmi nous des maisons de
filles publiques? Si le peuple d'Israël a pu vivre 5ans un tel scandale,
comment le peuple chrétien ne le pourrait-il pas? Et comment donc
fait-on dans tant de villes, de bourjjs, de hameaux, de villages?
Pourquoi nos grandes villes ne peuvent-elles se passer d'uue pareille
abomination?
Ces réflexions, qui terminent le livre, sont dignes d'être louées;
mais là n'est point la vraie portée du manifeste de Luther. Ce qu'il
venait y déclarer, c'est que, se rattachant à Jean Huss et à Hütten, il
était résolu à combattre l'organisalion de l'Eglise jusqu'en ses plus
profondes racines; il y émettait des propositions, il y posait des prin-
cipes qui menaient tout droit à la complète abolition du droit tra-
ditionnel.
Adoptant entièrement la doctrine hussile sur le sacerdoce univer-
sel, il commence par affirmer que tous les chrétiens sont prêtres :
« Un chrétien sort à peine des eaux du baptême qu'il est prêtre,
et peut se vanter d'avoir reçu l'ordination, et d'être clerc, évêque et
pape. >! " Ce n'est que par rapport aux fonctions qu'il existe quelque
différence entre les chrétiens. Or les fonctions sacerdotales sont
conférées à l'individu par le peuple, sans la volonté et l'ordre duquel
personne ne doit se charger d'exercer le ministère. Et s'il arrivait
qu'un chrétien, élu prêtre de cette manière, liît ensuite révoqué
pour avoir abusé de la charge qui lui avait été confiée, il en serait
quitte pour redevenir ce qu'il était auparavant. Dès que les fidèles
l'ont déposé, il redevient paysan ou bourgeois, comme les autres,
car il faut bien se persuader qu'un prêtre n'est plus prêtre à partir
du moment où il a été déposé '. "
Tous les chrétiens étant prêtres, il s'ensuit que tous ont le droit
de juger la doctrine et de séparer ce qui est orthodoxe de ce qui ne
l'est pas. Or, la mesure de ce jugement, c'est la sainte Écriture, que
chacun doit interpréter selon que la foi lui en donne l'intelligence.
Personne ne doit souffrir que les imaginations des papes mettent
obstacle à !'<' esprit de liberté « dont parle saint Paul. " Il convient,
au contraire, que tout chrétien soit en état de comprendre et de
défendre sa foi, et de réfuter toutes les erreurs. >
La communauté chrétienne, dépouillée de son organisation hiérar-
' Maurenbrecher, Siudicn und Skizzen, p. 342-347, fait très-bien comprendre
comment Luther, par la proclamation du sacerdoce universel et du principe
populaire donné pour base à la constitution de la nouvelle société chrétienne,
sapait jusqu'en ses racines toute l'organisation de l'Église.
LUTIfKR PUBLIK LE MANIFESTE A LA NOBLESSE D'ALLEMAGNR. 105
chique et de son sacerdoce parliciilier, sociélé libre où chacun peut
fornier sa foi d'après la libre inlerprélatiou de IKcriture, est assu-
jettie au pouvoir temporel : " Comme la puissance temj)orelle a été
établie par Dieu pour punir les méchants et protéger les bons, on
doil lui laisser le libre exercice de son pouvoir dans toule l'étendue
du corps chrétien. Elle ne doit jamais avoir égard aux personnes,
mais frapper indistinctement le Pape, les évéques, les prêtres, les
moines, les religieuses ou n'importe qui. ;> Ce que le droit ecclésias-
tique a pu dire de contraire ne procède que du téméraire orgueil de
Home, et n'est que rêverie inventée à plaisir. « Le glaive temporel est
rigoureusement obligé, lorsque la nécessité s'en fait sentir, de veiller
à ce qu'un concile vraiment indépendant soit convoqué; et dans le
cas où le Pape voudrait entraver, par ses excommunications et ses
foudres, la réunion d'un tel concile, il faudrait se borner à mépriser
le dessein d'un homme insensé, et, se confiant uniquement en Dieu,
l'excommunier lui-même, et s'opposer à lui par tous les moyens
possibles. »
Ce concile, que le pouvoir temporel a le droit de convoquer en
dépit des résistances du Pape, aura pour mission de réorganiser de
fond en comble le système ecclésiastique, et de délivrer l'Allemagne
des brigands romains et de leur gouvernement scandaleux et diabo-
lique. « Rome pressure le peuple allemand d'une telle manière qu'une
seule chose doit nous surprendre, c'est d'avoir encore de quoi man-
ger. ') <' Le Pape vit à nos dépens avec une si grande magnificence
que lorsqu'il se promène à cheval, il est entouré de trois ou quatre
mille cavaliers montés sur des mulets; il nargue, par un faste si
choquant, tous les empereurs et tous les rois! » -< H ne serait pas éton-
nant que Dieu, dans sa colère, fit pleuvoir du ciel le soufre et le feu
de l'enfer, et que Piome fiU engloutie dans l'abîme, comme autre-
fois Sodome et Gamorrhe. •■ « 0 nobles princes et seigneurs, com-
bien de temps souffrirez-vous que vos terres et vos gens soient les
victimes de ces loups dévorants? " Lr.iher imite ici le langage de
Crotus Rubianus et de Hütten ', mais il surpasse encore ses modèles
dans la description qu'il fait de Rome, <; où tout est si corrompu par
le vol et le brigandage, le mensonge et la tromperie, que l'Antéchrist
lui-même ne pourrait régner d'une manière plus odieuse ■ . ' Et
parce qu'un gouvernement si diabolique n'est pas seulement un bri-
gandage public, une imposture et une tyrannie sorties des portes
' Sur l'influence exercée par les écrits de Crotus et de Hütten sur les idées et
le style de Luther, voy. V Index de Kampschulte, t. II, p. 75-: 9. Les pamphlets
de liutten fournissent à Lulher, comme le démontre Kampschulte, une partie
de son matériel. Quant à ce qu'il écrivait sur la cupidité du clergé romain, il
déclare plus tard le tenir d'un certain docteur Wick. Voy. Kostliin, Martin Luther,
t. I, p. 336.
106 LITIIER PUBLIE l.E MANIFESTE A LA NOBLESSE D'ALLEMAGNE.
de l'enfer, mais qu'il ruine la chrétienté dans son corps et dans son
âme, nous sommes strictement obligés à faire tous nos efforts pour
la délivrer d'une telle détresse et d'une pareille dévastation. »
' Avant de combattre les Turcs, commençons par châtier les Turcs
d'Europe; ce sont les plus malfaisants de tous. »
Le pouvoir temporel (ouïe concile général) aura donc pour devoir
d'interdire à l'avenir tout envoi d'argent à Rome; toute commende
ou réserve papale doit être abolie; tout courtisan venant d'Italie
recevra un ordre sévère, lui enjoignant, ou de retourner sur ses pas,
ou de se jeter dans le Rhin ou tout aulre fleuve voisin, pour faire
prendre un bain froid à la lettre d'excommunication romaine. Les
évèques allemands ne seront plus désormais « de purs zéros, de simples
idoles ointes par le Pape " ; aucun d'eux ne solKcitera plus le pal-
lium et ne demandera plus au Pape la confirmation de son élection.
Les cas réservés, les serments que les évêques sont contraints de
prêter, tout cela sera supprimé, et toutes les questions se rappor-
tant aux fiefs ecclésiastiques ou aux prébendes seront réglées par le
primat de Germanie, assisté d'un consistoire général.
Par des propositions de ce genre, Luther espérait se rendre favo-
rables les évêques allemands, et surtout l'archevêque de Mayence,
primat d'Allemagne. Ouant au pouvoir impérial, il se flattait de
le tenter en lui offrant comme appât la confiscation des États de
l'Église et l'abolition des droits de suzeraineté du Saint-Siège sur
Naples. La noblesse devait aussi avoir sa part dans les bienfaits pro-
mis par le nouvel état de choses. Luther lui promettait que les cano-
nicats continueraient à pourvoir les fils cadets des grandes familles.
Quant à l'administration intérieure des églises, il déclarait que les
jours fériés, les trésors de sacristie, les riches ornements d'église et
choses semblables ^^ étaient inutiles et nuisibles ". Les jours fériés
seraient abolis, ou remis au dimanche suivant. Les anniversaires,
octaves, etc., seraient supprimés, ou du moins considérablement
diminués. On démolirait les oratoires et chapelles des champs.
Comme il était à craindre que la grande indignation du Seigneur ne
fût excitée par les nombreuses messes fondées pour les défunts, il
serait nécessaire de ne pas admettre à l'avenir de pareils contrats,
et de supprimer beaucoup de fondations de ce genre. Les pèleri-
nages, en tant qu'oeuvres pies, seraient interdits; mais si quelqu'un,
dans la visite de quelque sanctuaire, se proposait surtout l'étude
d'un pays ou des mœurs d'une nation, il faudrait le laisser libre
d'agir à sa guise! Les jeûnes prescrits par l'Église seraient suppri-
més. Les pénitences ecclésiastiques, l'interdit, l'excommunication,
la suspension des fonctions sacerdotales, tout cela n'était que
d'horribles vexations et calamités, introduites dans le royaume
LUTHER SOULÈVE LA GUERRE DE RELIGION. 107
céleste de la chrétienlé par l'Esprit du mal. Aussi celui qui décrétait
un interdit < comnietf;iit-iI un plus grand crime que s'il eût éjîorgé
vingt papes > . Mais avant loul, le droit ecclésiastique, « depuis la
première lettre jusqu'à la dernitMc, devait élrc aboli, et en particu-
lier les Décrétales ». Tout ce que le papisme avait institué et ordonné
n'était bon qu'à propager l'iniquité et l'erreur. On assure ■, ui'i
Luther, ■ qu'il n'existe nulle part un meilleur gouvernement tempo-
rel que celui des Turcs, el cependant ils n'ont ni droit laïque, ni
droit papal, et ne connaissent d'autre loi que leur Alcoran. Pour
nous, nous sommes bien forcés de reconnaître qu'il n'est pire gou-
vernement que celui que nous ont fait le droit ecclésiastique et le
droit séculier, nulle classe n'étant régie par une loi naturelle et rai-
sonnable, ou qui soit en harmonie avec la sainte Écriture.
'< (Jue Dieu nous donne à tous l'intelligence de la foi chrétienne! •'
dit Luther en concluant. Qu'il communique surtout à la noblesse
d'Allemagne un esprit vraiment pieux, afin qu'elle soit en état d'agir
pour le bien de la pauvre Eglise! »
Mais ce n'était pas seulement de la noblesse, c'était vraisemblable-
ment de Charles-Quint que Luther attendait alors avec confiance pro-
tection et secours : " Dieu nous a donné pour chef », dit-il au com-
mencement de son manifeste, un jeune prince issu d'un sang illustre;
et dans bien des cœurs une grande et légitime espérance s'éveille à
son sujet. »
Luther fait tous ses efforts pour exciter les Allemands contre les
Welches, et cherche à exploiter en laveur de sa cause les antipathies
nationales. A l'entendre, les Italiens sont souillés de tous les vices
imaginables, et, outre cela, tellement orgueilleux qu'ils ne considè-
rent même pas les Allemands comme des hommes.
Le Manifeste à la noblesse allemande devint le signal de mesures
arbitraires et violentes contre l'Église '.
Luther le fit suivre de la réédition d'nn livre publié contre lui : la
Mission doctriîiale infaillible des papes, par Sylvestre Prierias. Les notes
marginales qui les accompagnaient n'étaient que la violente réfuta-
tion du texte -. Dans la préface, il appelle la Rome des papes la
' Jean Lanf;e, écrivant à Luther, qualifiait cet appel à la force d'airoce et de
féroce. Luther lui répond le 18 août 1520 : ' Libeitate et impetu, fateor, plenus
est, multis tamen placet, "cc aulœ nostrœ penitus displicct. Lgo de me in his rebus
nihil statuere possum : forte ej;o prsecursor sum Pliiiippi, oui exeraplo Heliae
viam pareni in spiritu et virlute, conturbaturus Israel et Achabitas. » Il ajoute
que quatre mille exemplaires de l'écrit sont déjà vendus. Le 8 septembre,
il écrivait : > Classicum meum acutisiimum est et vehementissimum. • L'élec-
teur de Saxe ayant reçu son manifeste, lui envoya du gibier. De Wette, t. I,
p. 478, 48i.
* Be juridica et irrefragabili veritate Romante Ecclesiœ. Op. lalina, t. II, p. 79-
108 LUTHER SOULÈVE LA GUERRE DE RELIGION.
« synagogue de Satan "; il célèbre le bonheur des Grecs et des
Bohèmes qui se sont séparés delà Babylone romaine. Il anathématise
tous ceux qui gardent encore quelque attachement pour Rome, et
s'écrie : « Meurs donc, disparais, malheureuse Rome, Rome blas-
phématrice et dépravée! Que la colère de Dieu fonde sur toi, comme
tu l'as mérité! » Dans l'épilogue, il ne craint pas de faire directe-
ment appel à la guerre de religion : < Si le délire des romanistes
continue, il me semble qu'il ne reste qu'un remède à employer :
l'Empereur, les rois et les princes devront se servir de la force,
s'armer, s'unir, pour attaquer Rome, cette peste de la terre, afin
d'amener le résultat désiré non plus par des paroles, mais par le
glaive. Si nous punissons les voleurs par la corde, les meurtriers par
l'épée, les hérétiques par le feu, à bien plus juste titre pouvons-nous
employer toutes nos armes contre ces docteurs de perdition, ces
cardinaux, ces papes, et toute cette engeance de la Sodome romaine,
qui ruine sans trêve l'Église de Dieu! Oui, il nous est permis de
tremper nos mains dans leur sang' ! •>
Aux éclats extravagants d'une passion si violente, nous ne trou-
vons d'explication que dans quelques passages des lettres confiden-
tielles de Luther à ses amis. Il écrivait à Jean Lange (18 août 1520) :
' Je suis fermement convaincu que pour anéantir la papauté, siège
108. En juin, l'ouvrage était déjà sous presse. Voy. la lettre de Luther à Spalalin,
DE Wette, t. I, p. 454.
' « Mihi vero videlur, si sic pergat furor Romanistarum, nullum reliquum esse
remedium, quam ut imperator, reges et principes vi et arinis accincti aggre-
diantur has pestes orbis lerrarum, remque non jam verbis, sed ferro décer-
nant. - « Si fures furca, si liitrones gladio, si ha>reticos igné plectimus, cur
non magis hos magistros perditionis, iios cardinales, hos papas, et totani istam
Roniana^ Sodoma? colluviem, quae ecclesiam Dei sine fine corrumpit, omnibus
armis impetimus, et manus nostras in sanguine istorum lavamus? » (P. 107.)
Comment accorder ce qui précède avec ce qu'il écrit le 16 janvier 1621 à pro-
pos d'Ilutten à Spalatin? « Nollem vi et caede pro Evangelio certari; ita scripsi
ad hominem ! » Il continue, et alors s'explique l'énigme : » Mitto etiam episto-
lam meara ad principem » (l'électeur Frédéric de Saxe). (De Wette, t. I,
p. 543.) Or, Frédéric ne voulait avoir rien de commun avec Hütten et la guerre
de religion méditée par lui. Aussi Luther adresse-t-il à Spalatin sa réponse à
Hütten, afin que Spalatin, en la présentant lui-même au prince électeur, puisse
lui persuader plus aisément que Luther a écrit dans le sentiment de son sei-
gneur. Voy. Meineus, Lebensheschreibungen, t. III, p. 278. Le 13 novembre 1520,
Luther donne toute sou approbation aux attaques violentes de Hütten contre
les légats du Pape. " Gaudeo Huttenum prodiisse, atque utinam Marinum aul
Aleandrum inlercepisset. » (De Wette, t. I, p. 523.) — Les lettres de Luther à
Hütten ont été perdues; Cochlaeus en avait eu connaissance : " Vidimus ", écrit-
il, ' certe cruentas ejus litteras ad Huttenum. ■ Otto, p. 121, note. " La réfor-
mation allemande », dit Höfler (/Jf/nra II, p. 32), » semblait s'ouvrir par la
même pensée homicide qui dans la réforme slave entraîna les taborites. Luther
exprimait le dé>ir de voir enfin le jeu finir et les luthériens tomber sur les
maudits, non plus avec des paroles, mais avec des armes. Tel était l'esprit qui
tendait dès lors à dominer en Allemagne. »
EMSER <:ONTRE LUTHER. 109
du vérilable Antéchrist, tout nous est permis, au nom du salut des
âmes'. " « La lureur de ses ennemis est telle ', écrit-il dans une
autre lettre, ■= qu'il n'est plus maitre de lui ■•, il ne sait " quel esprit
le pousse - ^ .
Jérôme Emser, autrefois Tami du prétendu réformateur, aumônier
et secrétaire du duc Georges de Saxe, écrivait à Luther à la suite du
violent manifeste qu'il venait de faire paraître: • Ton esprit superbe
ne peut souffrir qu'on parle ou écrive contre toi ; tu ne veux entendre
les raisons de personne et prétends ne t'en rapporter qu'à toi seul;
aussi, très-certainement ce n'est pas l'Esprit du Seigneur qui t'inspire ;
tu es sous une tout autre influence, car, ainsi que le dit le Pro-
phète, le Saint-Esprit ne se repose que sur les humbles, les paci-
fiques et les calmes. Est-il donc juste que jour et nuit, comme une
mer en furie, tu n'aies ni repos ni trêve avec toi-même, et ne puisses
pas davantage laisser les autres en paix? Comme les vagues battent
le navire, ainsi tu te jettes tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, cher-
chant ce que tu pourrais trouver à attaquer. Je t'affirme, sur la fidé-
lité que je dois à mes vœux sacerdotaux, que je n'ai jamais ressenti
dans mon cœur ni envie ni haine contre ta personne, et qu'à l'heure
où je t'écris, je n'en éprouve pas davantage. Je ne te parle ainsi,
sois-en bien convaincu, qu'en me mettant en présence des sévères
jugements de Dieu, qui doivent un jour nous atteindre l'un et
l'autre. Je suis de plus en plus indigné de ton attitude irrespec-
tueuse envers notre Mère la sainte Église. Je suis choqué au plus
haut degré par ta fausse doctrine et ta téméraire interprétation de
tous les docteurs chrétiens. J'en suis d'autant plus froissé, que de
jour en jour lu agis avec plus de brutalité. Je t'ai averti trois fois
fraternellement, je t'ai supplié au nom de Dieu d'épargner le pauvre
peuple, singulièrement scandalisé dans cette querelle, et voici quelle
a été ta réponse : -• One le diable s'en mêle! la chose n'a pas été
>' commencée pour l'amour de Dieu, et ne finira pas non plus pour
« l'amour de Dieu^! »
' - Nos hic persuasi sumus, papatum esse veri et germani illius Antichristi
sedem, in cujus deceptionem et nequiliam ob salutem aniraaruin nobis omnia Ucere
arbilramur. • De Wette, t. I, p. 478.
* - Compos mei non sum, rapior nescio quo spiritu, cum nemini me maie velle
conscius sim. = (Janvier et février 1421, de Wette, t. I, p. 555.)
' An den Stier zu ll'ietienberg, Bl. A-. Sur la protestation de Luther, assurant qu'il
n'a pas dit ces paroles en parlant de lui-même, mais en faisant allusion à ses
110 EMSER PUBLIE L'EXHORTATION A LA N\TION ALLEMANDE.
« Pour le peuple allemand », écrit Emser vers la fin de 1520, « voici
donc venir le moment de la visite de Dieu! 0 vous, dignes Alle-
mands, Dieu vient vous éprouver d'une manière toute singulière! Il
veut sonder la fidélité, la fermeté avec lesquelles chacun de vous va
prouver son attachement à la sainte foi et à l'Eglise chrétienne! Jusqu'à
présent, il faut le dire à l'honneur éternel de l'Allemagne, jamais
aucun empereur, aucun roi, prince ou population ayant embrassé
la foi chrétienne avec sincérité, n'avait, depuis, ni apostasie, ni
adopté l'hérésie, comme l'ont fait tant de princes des autres nations,
rois et empereurs d'autres peuples; car ceux-là se sont laissé si misé-
rablement séduire par les hérétiques, qu'ils ont apostasie la foi du
Christ, adorant les idoles, détruisant les églises et les monastères,
persécutant et massacrant les prêtres, les évêques et les papes, l'un
ici, l'autre là, comme les chroniques en font foi. C'est pourquoi,
au temps de la visite du Seigneur, des pays, des empires, des
royaumes entiers ont été séparés de la sainte foi par la perfide
influence d'une doctrine étrangère et nouvelle, et depuis ils se sont
endurcis dans leur péché, de sorte que les deux plus grandes parties
du monde, l'Asie et l'Afrique, ont été séparées du royaume romain
et de l'Église, et que très-peu de chrétiens s'y trouvent actuelle-
ment. Outre cela, dans la troisième partie du monde, un grand
nombre de chrétiens se sont laissé séduire; et maintenant, voilà
que notre tour est venu, à nous autres Allemands. Une prédiction
nous avait avertis, il y a bien des années, qu'un moine entraînerait
la nation allemande dans de grandes erreurs; au reste, Jésus-Christ
nous avait fait le premier pressentir cette épreuve, et nous avait tous
mis sur nos gardes en nous avertissant, dans l'Évangile, que des loups
déguisés en brebis viendraient vers nous. >'
u Et maintenant, comme il est bien avéré que publiquement, au
grand jour, pour tout de boa, violemment et de propros délibéré,
Martin Luther, moine augustin, a depuis longtemps l'audace, par
d'étranges et nouvelles doctrines, disputes, prédications, écrits de
tout genre, de mépriser les chefs suprêmes tt les premiers pasteurs
de l'Église, de légitimer le péché, de séduire ainsi le peuple et
d'amener la division entre la nation allemande et l'Église romaine,
11 est vraiment fort à craindre qu'il ne soit le précurseur du séduc-
teur annoncé par la prophétie, ou même peut-être cet imposteur en
personne, celui dont le Christ et les Apôtres nous ont recommandé de
nous méfier. " L'attitude de Luther, selon Emser, est en contradiction
flagrante avec l'Évangile : « L'Évangile ne nous apprend nulle part
adversaires [Auf des Bocks zu Leipsig Antwort, Sämmtl. Werke, t. XXVII, p. 207),
voy. Eck, Auf des Stieres zu IVietlenberg icietende Eeplica. Bl. A'...
EMSER PUBLIE L'EXHORTATION A LA NATION ALLEMANDE. lll
que nous devions ainsi ouvertement outrager, insulter et calomnier
nos premiers pasteurs, seraient-ils môme répréhensibles. De plus,
une telle manière d'agir est contraire au droit naturel, et même au
droit impérial écrit, qui châtie et condamne de pareilles calomnies
et injures envers le pouvoir. Jamais l'Évangile ne nous a enseigné
à lomenler parmi le peuple chrétien de semblables discordes, des
révoltes si funestes. Saint Cyprien a dit : < Celui qui trouble la
paix du Christ et la concorde du peuple de Dieu n'est pas avec le
« Christ, mais s'oppose au Christ. " L'Évangile ne dit nulle pari
que nous devions mépriser les commandements, les ordonnances
et les préceptes de l'Église, ni nous révolter contre elle avec tant
de fureur et de rage; encore bien moins nous autorise-t-il à causer
du scandale à nos frères. Or qu'y a-t-il de plus scandaleux, de plus
funeste, de plus pernicieux pour le peuple allemand, que la doctrine,
les livres elles écrits de Luther? En bien peu de temps, ils ont
engendré de telles querelles, de telles dissensions, qu'il n'est pas une
ville, pas une contrée, pas un village, pas une maison, où les chré-
tiens ne soient entre eux séparés de sentiments, et où l'un ne
combatte l'autre, et cela non sur des points de peu d'importance,
mais à propos des dogmes les plus essentiels de cette foi chrétienne
que nos ancêtres nous avaient léguée, se montrant si fidèles et si per-
sévérants à la conserver, et la confessant plus encore par leurs actions
que par leurs paroles '. -
Luther = >, continue Emser, ne tire pas ses erreurs de son propre
carquois, mais des livres de ses prédécesseurs, Wiclef et Huss. Ce
sont eux qui lui ont enseigné à appeler le Pape l'Antéchrist, les chré-
tiens romanistes, les hérétiques chrétiens; c'est d'eux qu'il a appris
à rejeter les sacrements, la messe, l'ordination des prêtres, les con-
sécrations et ordonnances de l'Église *. Luther repousse l'autorité
de l'Église, la tradition des saints Pères; il nous renvoie tous à la
sainte Écriture; mais si chacun interprète l'Écriture à sa guise, il y
aura bientôt plus de manières de l'expliquer que l'hydre n'avait
de têtes, et il deviendra impossible de s'entendre! En méprisant
l'autorité, la hiérarchie ecclésiastique, on éteindra la crainte de
Dieu dans les âmes. Or, tout homme sensé peut se rendre compte
par lui-même de l'obéissance qu'on montrera au pouvoir dii-igeant,
dès que cette crainte salutaire aura disparu. • Emser rapporte
ensuite les axiomes de Luther qui portent particulièrement atteinte
à l'obéissance que les sujets doivent à l'autorité : « Jésus-Christ
nous a affranchis de toute loi humaine. Tout ce que l'homme a
' Wider das unchrislenUche Buch M. Luthers an den Tewlschen Adel, Bl. A 2-3.
- Wider das unchrislenUche Buch, etc., Bl. S'.
112 EMSEH PUBLIE L'EXHORTATION A LA NATION" ALLEMANDE.
institué étant purement humain, on peut en faire l'usage qu'on veut,
car il n'en sortira jamais rien de bon. » « La liberté que réclame ici
Luther ", dit Emser, « saint Pierre l'appelle un manteau propre à
couvrir l'ancienne malice, et saint Paul, une source d'iniquité, il est
dangereux de dénigrer à ce point les institutions humaines; les
rabaisser ainsi devant les peuples, aller jusqu'à dire que jamais rien
de bon n'est sorti ou ne sortira de ce que les hommes ont institué
ou ordonné, c'est commettre une grande imprudence; que devien-
dront, en effet, les réformes, les ordonnances, les lois qu'établiront
l'Empereur ou n'importe quel concile futur, si nous donnons au
peuple la fausse opinion que jamais rien de bon ne saurait sortir de
leurs déterminations'? Les réformes sont urgentes, il est vrai^;
mais Luther ne parle nulle part de réformer les abus et les scan-
dales existants ; il semble ne viser qu'au renversement de la chose
publique elle-même, qu'à la destruction totale des divins fondements
de l'Église et des institutions ecclésiastiques, de sorte qu'en admet-
tant que son plan vienne à triompher, il s'ensuivrait, dans toutes les
parties de l'Église et de la société, une révolution semblable à celle de
Bohême. » ' Ouvre enfin les yeux, je t'en supplie », dit Emser en
concluant et s'adressant à Luther; " considère la déplorable affliction,
l'hérésie, les erreurs, les meurtres, les assassinats, l'oubli du service
et de la gloire de Dieu, qui, en Bohême, ont été les conséquences des
doctrines de .lean Huss; souviens-toi de la dévastation d'un si noble
royaume, maintenant ruiné, humilié, comme tous les jours les
Bohèmes le sentent et l'avouent davantage. Prends garde de nous
entraîner dans le même chemin, car les choses prennent exactement
la même tournure. Ne perds pas de temps, n'épargne point tes
peines, emploie tout le zèle imaginable pour détourner un pareil
fléau de l'Allemagne. Que le ciel nous préserve de tes doctrines ^ ! »
> Wider das unchristenliche Buch, etc., Bl. G. E*. M*. 0*.
- Voy. sur ce sujet la page G* N* R. 0. Voy. aussi Auf des Stieres zu ll'iettenberg
wietende Replica, Bl. B.
3 Auf des Stieres zu lUietienberg wielcnde Replica, Bl. B* et C. A la fin de l'écrit inti-
tulé Bedingung auf Luters ersten Widerspruch (Leipzig, 1521), il dit : " Adjuro te
per Christum filium Dei vivi, da honorem neoet ecclesia; ejussanctœ. Non rupit
Emser mortem tuam, sed ut convertaris ac vivas. •> Voy. Waldau, Emser, p. 49.
Dans son Antwnrt auf die Warnung , réponse à une critique de ses opinions
publiée sans indication d'auteur, de lieu et de date, et intitulée Warnung an den
Bock Emser (voy. Waldau, p. 49), Eraser s'écrie :
Je ne suis pas très-enclin à guerroyer ;
Mais dès qu'il s'agit de la foi,
De l'Eglise, de la sainte Ecriture,
Je suis pr't à tout ijraver pour les défendre.
Et à la mort et à la vie!
Infortuné et maudit celui qui les attaque
Et s'oppose à elles dans son délire!
Je n'ai pas soif du sang de Luther,
BULLE CONTRE LUTHER. Ui
VI
Après de longues et mûres délibérations ', le Pape avait lancé une
bulle contre Luther (15 juin 1520); elle condamnait quarante et une
propositions extraites de ses écrits, ordonnait de détruire les livres
qui les renfermaient, et menaçait Luther de la pleine rigueur des
châtiments ecclésiastiques, si, après un délai de soixante jours qui
lui était accordé pour se rétracter, il n'abjurait point ses doc-
trines. « Imitant la divine miséricorde, qui ne veut pas la mort du
pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive », disait la bulle,
" nous avons résolu, sans nous souvenir de toutes les injures profé-
rées contre nous et ce Siège apostolique, d'user de la plus grande
indulgence, et de faire tout ce qui dépendrait de nous pour obliger
le Frère Martin, par la voie de la mansuétude, à rentrer en lui-même,
Mais bien de notre salut à tous.
Si Luther n'était pas si efFronté, si brutal,
S'il ne honnissait les évoques.
S'il ne méprisait les sacrements,
L'enseignement de l'tglise et des saints Pères,
Comme s'il n'y avait au monde que lui seul.
Nous serions bien vite bons amis.
Car l'idée de le combattre
Ne m'est jamais venue.
Quand il tonne contre les moeurs du clergé,
Qu'il tombe sur les pr'tres, les moines, les nonnes.
Je ne puis lui donner complélemeiit tort.'
Il aurait pu, malheureusement, en dire davantage,
Car il y aurait bien des réformes à faire!
Mais ce n'est pas seulement le clergé qui a besoin de réforme; toutes le.s
classes de la société sont entachées de vices honteux. Il est donc injuste le
n'accuser que les prêtres. Luther entasse mensonge sur mensonge, et sème U
discorde en tous lieux.
Et, remarque-le bien, lorsqu'il excite ta convoitise
Pour les biens et les richesse du clergé,
C'est de son sang qu'il a boif I
Songe donc k la manit-re dont les Bohèmes,
Tes voisins, ont été pour la plupart abusés!
Et maintenant ils sont si embirrassés dans leurs erreurs,
Qu'ils ne savent plus eux-m^mes ce qu'ils croient!
Beaucoup volent, pillent, frappent, égorgent, assassineat,
Ne craignant ni les hommes ni Dieu !
C'est à cela que Luther voudrait nous entraîner!
Depuis que j'ai bien compris son dessein.
J'écris dans tous les territoires allemands,
J'invite tous les chrétiens à la paix, à l'union fraternelle
Et aussi à la protection, à l'affermissement
De notre sainte foi, que ruinent ces luthériens!
' Voy. Laemmer, Melet. Rom. Mantissa, 197-198, Sur la date de la bulle Exurge,
Domine, VOy. V. Druffel, Sitzungsberichte der bayer. Académie der WissenschafCr.u,
Hiitor. filasse, 1880, p. 572, note.
II. 8
114 BULLE CONTRE LUTHER. 1520.
et à renoncer à ses erreurs. " "Au nom de la miséricorde inson-
dable de Dieu, au nom du sang de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-
Christ, répandu sur la croix pour la rédemption de l'humanité et
l'établissement de la sainte Eglise, nous exhortons, nous conjurons
le Frère Martin et tous ses adhérents et partisans de cesser de troubler
dorénavant la paix, la concorde et la sainteté de cette Église, pour
laquelle le Sauveur a si ardemment prié, et de renoncer à leurs per-
nicieuses erreurs '. «
Jean Eck, l'ancien adversaire de Luther à Leipzig, fut chargé de
faire publier la bulle dans un grand nombre de diocèses allemands, et
de veiller à ce qu'elle fut obéie. Ce choix était une lourde faute ^ au
point de vue des partisans des nouvelles doctrines. A Leipzig, où la
bulle devait être placardée, les étudiants de Wittemberg mirent en
danger la vie du docteur. A Erfurt, la faculté de théologie s'oublia
jusqu'à déchaîner contre lui le ressentiment passionné de la jeunesse
universitaire, qui défendit la > parole de Dieu » à coups de poing et
à coups de pied contre son soi-disant accusateur'.
Quant à Luther, il était fort indifférent à la question de savoir qui
avait était chargé de la publication de la bulle. Depuis un an, il était
résolu à rompre entièrement avec le Pape et l'Église catholique.
Dans son traité sur la Captivité babylonienne de l'Eglise'', il reconnais-
sait de nouveau dans le Pontife romain tous les traits de l'Anté-
christ, rejetait plusieurs sacrements, ôtait à la messe son caractère
de sacrifice, et par une nouvelle doctrine sur le mariage touchait
aux fondements, inattaqués jusque-là, de la famille chrétienne. Non-
seulement il dépouillait le mariage de son caractère sacramentel, mais
il prenait sur lui de lever l'interdiction des unions contractées entre
chrétiens et infidèles ^ et émettait sur les devoirs mutuels des époux
des principes que l'Europe chrétienne® n'avait pas encore entendus.
^ Raynaldi Annales Eccl. ad annum 1520. n" 51. Sur les objections faites alors à la
bulle, voy. Brischar, Beunheilung der Controversen Sarpi's und Pallavicini's, dans la
Gesehichle des Trienter Concils {Tuhinsen, 1844), t. I, p. 51. Rohrbacher-SchüLTE,
t. XXIV, p 69-70.
^ Voy. Pallavicim, Hist. Conc. Tridentini apparalus, cap. xx.
^ Pour plus de détails, voy. Kampschulte, t. II, p. 37-10. Sur le mauvais accueil
fait à la bulle par quelques évéques du sud de l'Allemagne, voy. ce que dit
V. üruffel et les documents communiqués par lui dans les SiUungsbtrichien der
bayer. Académie der Wissenschaften, Histor. Klasse, 1880, p. 571-597.
•* De caplivilale Babylonica Ecclesiœ, Op. latina, t. V, p. 13-118.
* Il appelle même 1'« impedimentutn criminis • et celui de « publicae hones-
tatis » une tyrannie humaine. « idem rigor stultitiae, immo impietatis est
impedimentum criminis, scilicet, ubi quis duxerit priuspoUutam adulterio, aut
machinatus fuerit in mortem aiterius conjugis, quo cum superstite contrahere
possit. » • JEque commenlum est impedimentum illud publicae bonestatis,
quo dirimuntur contracta. •> (P. 95-97.)
^ Voy. surtout p. 1)8-100. " Videamus itaque de impotentia. Ouaero casum ejus-
modi, si mulier impoteuti nupta viro nec possit nec velit forte tot tetitinionii^
DOCTRINE DE LUTHER SUR LE MARIAGE. 115
Dès lors, il professait les mêmes opinions qu'il devait plus lard
développer dans son sermon sur le mariage : « Sache bien », écrit-
il, « que le mariage est un acte tout extérieur, et ne diffère eu rien
de toute autre occupation temporelle. De môme donc qu'il m'est
permis de manger, de boire, de dormir, de me promener à pied ou
à cheval, d'acheter, de parler et d'agir avec un païen, je |)uis tout
aussi bien m'unir à lui par le mariage, et demeurer en paix dans cet
état, ^'ajoute pas foi aux discours des insensés qui te représentent
cette conduite comme criminelle. Beaucoup de chrétiens sont plus
mauvais et plus incroyants au fond de leur cœur que la plupart des
.luifs, des païens, des Turcs ou des hérétiques. Un païen est aussi
bien homme ou femme qu'un chrétien, et tout aussi bien la créature
de Dieu que saint Pierre, saint Paul ou sainte Lucie, à plus forte
raison qu'un méchant et faux chrétien '. »
Aussitôt la publication de la bulle (17 novembre 1520j, Luther en
appela de nouveau des jugements d'un pape hérétique, apostat,
obstiné, endurci, et condamné comme tel par TÉcriture -, à la sen-
tence d'un concile général. 11 pressait l'Empereur, les princes, les popu-
lations des villes libres, de s'opposer au dessein autichrétien, au délire
furieux de LéonX. Celui qui obéissait au Pape, il le citait, lui, Martin
Luther, devant le tribunal de Dieu ^ « Jamais -, écrit-il le 4 novembre
à Spalatin, " jamais Satan n'avait osé proférer de pires blasphèmes
que ceux que renferme cette bulle; il est impossible d'être sauvé, si
et strepitibus, quot jura exigunt, judicialiter impotentiam viri probare, velit
lamen prolera habere, aiitnon possit continere, et ego consuluissem, ut divor-
tium a viro impelret ad nubendum alleri, contenta, qiiod ipsius et mariti con-
scientia et experientia abunde testes sunt impotentiae illius, vir aulem nolit,
tum ego ultra cnnsulam, ut cum consensu viri (cum jam non sit maritus, sed
Simplex et solutus cohabitatori misceatur alCeri tel fratri mariti, OC(ultO tarnen
matrimonio, et proies imputetur putative (ut dicunti patri. » - Ulterius, si vir
nollet consentire nec dividi vellet, antequampermitterem eam uriaut adulterari,
consulerem ut contrario cum alio matrimonio aufugeret in locum ignotum et
remotum. • Voy. l'édition de léna et de Wiltemberg, OEuvres de Luther, p. lOO,
note, et d'autres passages du même genre, laissés de côté évidemment à
dessein. - De divortio etiam versatur questio, an licilum sit? Ego quidem
detestor divortium, ut higamiam malim quam divortium, sed an liceat, ipse non
audeo definire. - (P. 100.)
^Siimmtl. Werke, t. XX, p. 65. - Luther envisageait le mariage «, dit Hagen {Lite-
rar und religiöse VerMlinisse, t. II, p. 233-234), comme une union purement exté-
rieure et physique, n'ayant au fond absolument rien à faire avec la religion et
l'Église. - Il d été jusqu'à permettre à une des parties contractantes (voy. la
citation précédente) de recouvrer son indépendance au cas où le mariage n'au-
rait pu avoir son effet, et pour donner satisfaction à la nature, à laquelle on ne
peut résister. On voit que cette manière de considérer le mariage est presque
la même que celle des anciens; plus tard, la Révolution française tenta de la
remettre en honneur.
» Sämmll. Werke, t. XI\% p. 28-34.
8.
116 LUTHER CONTRE LA BULLE, 1520.
l'ou y adhère de cœur, ou si Ton refuse de la combattre'. » « Je
suis maintenant convaincu », écrit-il à un autre ami, " que per-
sonne ne peut parvenir au salut s'il n'attaque de toutes ses forces,
et même au péril de sa vie, les statuts et les mandements du Pape et
des évêques -. »
Partant de son habituelle supposilion que sa doctrine est seule
orthodoxe, il dit dans son Commentaire, de la bulle de l'Antéchrist : « .le
l'ai dès longtemps soutenu : celui qui met l'erreur au-dessus de la
vérité renie Dieu et adore le diable. Or c'est à quoi nous exhorte
et veut nous contraindre cette précieuse et célèbre bulle, avec toutes
ses menaces d'exrommunication! » « Qu'y aurait-il d'étonnant à ce
que les princes, la noblesse et les laïques en vinssent à frapper à la
tète le Pape, les évêques, les prêtres, les moines, et ne les chassent
enfin du pays? N'est-ce donc pas un fait inouï jusqu'ici dans la
chrétienté, une chose horrible à entendre que la proposition
publique faite au peuple chrétien de renier la vérité, de la condam-
ner, de la brûler? Cela ne s'appelle-t-il pas être hérétique, égaré,
imposteur? N'est-ce pas un acte injustifiable aux yeux de toute âme
chrétienne? C'est ainsi que tout est de nouveau bouleversé autour
de nous! Je pense qu'il est bien évident, à présent, que ce n'est pas
le docteur Luther, mais le Pape lui-même et ses moines qui ont pré-
paré leur propre ruine par ces abominables et odieuses bulles; oui,
eux seuls, et de gaieté de cœur, invitent les laïques à leur tomber
sur le dos ! " La bulle, selon Luther, méritait que « tous les véritables
chrétiens la foulassent aux pieds, repoussant par le soufre et le feu
l'Antéchrist romain, ainsi que le docteur Eck, son digne apôtre ^ ».
VII
Hütten, de son côté, déployait une activité infatigable : « La cognée
est déjà à la racine de l'arbre », dit-il dans son Avertissement à tous
les hommes libres d'Allemacjne (mai 1520); « tout arbre qui ne porte
pas de bons fruits sera déraciné. La vigne du Seigneur sera nettoyée.
Pour ceci, bientôt vous n'en serez plus à l'espérance, car avant peu
' « ...Impossibiie est enim salvos fieri, qui hiiic bullse aut faverunt, aut non
repugnaverunt. • De Wette, t. I, p. 522,
ä >. Eo milii processit persuasio, ut nisi adversiis papae et episcoporiim pu-
gnent statuta et mandata summis viribus, per vitani et mortem, nemo possit
salvus fieri. » Lettre à Nicolas Uausmaii 22 mars 1521. Voy. de Wette, t. I,.
p. 578.
3 Sammtl. Werke, t. XXIV, p. 35-52
INTRIGUES RÉVOLUTIONNAIRES DE HÜTTEN. 1520. 117
VOUS le verrez de vos propres yeux. Kn attendant, ayez confiance,
hommes de T Allemagne; cncourap,ez-vous les uns les autres; vos
chefs ne seront ni inexpérimentés ni faibles pour ramener la liberté
parmi vous '. «
Revenu sans succès de son voyage à la cour de l'archiduc Ferdi-
nand, qu'il avait espéré entraîner dans la ' grande lutte contre
Home », Hütten, peu de temps après son retour, eut connaissance
d'un bref papal adressé à l'archevêque de Mayence Albert, et requé-
rant celui-ci d'arrêter les projets « de ce fou audacieux, de ce dan-
gereux agitateur nommé Hütten, et, en cas de nécessité, d'employer
contre lui la force* ». Ce bref lui servit de prétexte pour supposer
un effroyable complot, ourdi, prétendait-il, contre sa vie et sa liberté
par le Pape. Luther écrit le 15 septembre à son ami Spalatin : » Hüt-
ten, dans les lettres qu'il m'écrit, fulmine contre le Pape. Il me
mande qu'il est maintenant décidé à déchaîner la tempête contre la
tyrannie sacerdotale, et cela par la plume comme par le glaive. Le
Pape lui dresse des embikhes; sa vie est menacée par le poignard et
le poison; il parait que Léon a ordonné à l'archevêque de Mayence
de se saisir de lui, et de l'envoyer garrotté à Rome^ » Et plus tard,
le 2 octobre : « Hütten s'arme contre le Pape, et sa rage est à son
comble; aussi se propose-t-il de servir la bonne cause par les armes
autant que par son ingenium''. »
On put bientôt apprécier ce qu'il fallait entendre par l'" Inge-
nium » de Hütten. En septembre 1580 parurent plusieurs circulaires
de sa façon, adressées d'Ebernbourg, centre d'action de Sickingen, à
l'Empereur, à l'électeur Frédéric de Saxe et à tous les Ordres de la
nation. » La cause que je défends », dit Ulrich dans le premier de
ces libelles, « est celle même de l'Empereur. .le ne suis persécuté par
Léon que pour m'être montré trop dévoué à Charles, qui a reçu de la
Providence la mission d'anéantir le pouvoir du Pape, opprobre de la
nation allemande. > Hütten ne craint pas de déclarer à l'Empereur
que son but est de renverser de fond en comble tout l'ordre existant * ;
' BöcKiNG, Huiieni Op.,t. I, p 349-352. Dans la préface de l'ouvrage : De schismate
exiinguendo, etc. Cet écrit, qui contient six lettres de dispenses provenant pro-
bablement du temps du grand schisme des Universités d'Oxford, de Prague et de
Paris, et du roi Wence->las, est un libelle forgé en 1381 en Angleterre pour favo-
riser l'établissement des doctrines de Wiclef. » (Voy. Lindner, Theolog. Studien
und Kritiken, 1873, p. 151-161.)
- Voy. ce bref (20 juillet 1520), dans Böcking, t. I, p. 362.
' De Wette, t. I, p. 486.
* De Wette, t. I, p. 492.
5 Septembre 1520. Böcking, t. I, p. 371-383. ■ Fateor hoc me scriptis conalum
efficere, ut hic vertatur rerura ordo, hic emendetur status. • Le savant impri-
meur Jacques Köbel, secrétaire d'État à Oppenheim, faisait alors également par-
tie du cercle intime de Luther et, ainsi que ses amis, attendait de lui la véri-
table réforme de l'Église. Tous ensemble cherchaient à entraîner Charles-Ouint
118 INTRIGUES RÉVOLUTIONNAIRES DE HÜTTEN. 1520.
surtout il en veut à Rome : « Rome, la grande Babylone, la mère
des plus effroyables crimes, des actes les plus inhumains ", dit-il dans
une lettre circulaire dédiée à Frédéric de Saxe; « oui, Rome qui a
corrompu et empoisonné le monde entier, doit être réduite en poudre.
La tyrannie qu'elle exerce pourrait-elle donc devenir plus odieuse?
Ne faut-il pas qu'elle s'effondre? Mais qui mettra la main à l'œuvre?
Dieu, cela est vrai, oui. Dieu! mais, comme toujours, Dieu par l'entre-
mise de mains humaines. Et quelle attitude est la vôtre dans cette
question, princes et seig^neurs? Quel conseil, quel appui apportez-
vous à la bonne cause? » Il les exhorte alors à venir à son secours, à
l'aider, lui et ses compagnons, dans la sainte guerre entreprise contre
la " bête à plusieurs cornes ". - Si vous ne m'entendez >-, ajoute-t-il
avec menace, " je saurai bien trouver un autre remède à notre mal.
Caton l'Ancien disait jadis à Rome que les gouvernants et fonction-
naires publics qui peuvent empêcher l'iniquité et qui ne l'empêchent
point méritent d'être lapidés. Notre dessein ne peut s'effectuer sans
meurtre, sans effusion de sang. On a coutume d'appliquer aux vio-
lentes maladies les remèdes les plus énergiques; c'est ce qu'il nous
faut faire maintenant, et il n'en peut être autrement. Nous rendrons
Rome à l'Empereur, s'il en veut; l'évêque de Rome redeviendra l'égal
des autres évêques; le nombre des prêtres sera tellement réduit que,
sur cent, un seul sera toléré. Quant aux moines, il faut qu'ils dispa-
raissent de la surface de la terre '. «
Dans le manifeste intitulé : Aux Allemands de toutes conditions, Hüt-
ten s'exprime avec le même emportement sur le compte " des Romains,
passés maîtres en tromperie, auteurs de la servitude de l'Allema-
gne " ; sa diatribe se termine par ces paroles empruntées à David :
« Brisons leurs chaînes, et rejetons leur joug loin de nous*. »
Après avoir reçu, par l'entremise de Crotus Rubianus, ces pamphlets
incendiaires, Luther écrit à Spalatiu : « .Je commence à croire que
la papauté, jusqu'ici invincible, pourra être renversée contre toute
dans le parti luthérien. Köbel adressa même et rendit publique une lettre de lui
adressée à l'Empereur qui, selon lui, avait besoin d'un bon conseil. Il appelle
Luther « un homme profondément pieux, un apôtre de la divine parole . I^lais
Köbel ne voulait pas entendre parler dune scission avec l'Eglise; il suppliait
ses amis de ne pas imiter les hussites, dont il disait :
Hélas! ils se sont séparés du Pape,
Ils ont mis l'obéissance en oubli !
Que Dieu détourne de nous un malheur semblable!
Plus tard, Köbel se sépara totalement de Luther. Voy. l'article que Falk lui
à consacré : Der oppen/wimcr Typograpli Köbel und seine Stellung zur Reformation, dans
les Histor. polit. BläUern, 1878, t. LXXXII, p. 463-476.
' Du II septembre lö20. böcki.ng, t. l, p. 383-399. Voy. Strauss, t. II, p. 83-86,
où les termes les plus violents sont modifiés.
- Du 28 septembre 1520. Böcking, t. I, p. 405-419.
INTRIRÜES RÉV0r,UT10!VNAIRES DE HÜTTEN. 1520. 119
attente, ou bien c'est que le jour du jugement dernier est tout
proche '. "
Le 5 décembre 1520, Crotus s'était tourné avec une nouvelle
ferveur vers Luther, assurant " le grand prêtre sacré, le nouvel
évangéliste dont la bonté du Ciel avait fait présent à ce siècle
corrompu ', de son dévouement sans bornes, et lui promettant
d'employer tout son zèle à le servir. Les théologiens de Cologne,
disait-il, en brûlant les livres du saint docteur, avaient en même
temps brûlé l'Évangile de .lésus-Christ, ou plutôt Jésus-Christ lui-
même*.
Cinq jours plus tard, Luther, en sa qualité de nouvel « évangé-
liste, " brûlait à son tour dans une grande cérémonie publique,
devant la porte d'Elster, à Wittemberg, les livres de droit canon
et la bulle du Pape : « Puisque tu troubles le saint du Seigneur, que
le feu éternel te dévore'! » avait-il dit en jetant la bulle dans les
flammes. Pourlégitimer un pareil acte, Luther s'appuyait sur l'exemple
de l'apôtre saint Paul condamnant au feu les livres de magie!
« L'incendie allumé par Luther, sans précédent jusque-là dans l'his-
toire de la chrétienté », écrit Anshelra à cette date dans sa Chronique
de Berne, c répand de tous côtés l'étonnement et l'effroi *. »
Le jour suivant, Luther expliquait à ses auditeurs, dans sa chaire
de professeur, à Wittemberg, que brûler les livres du Pape n'était
qu'une bagatelle; que ce qu'il importerait bien plus de brûler, c'était
le Pape lui-même, c'est-à-dire le Siège apostolique. « Celui qui de
toutes ses forces ne s'oppose pas au pouvoir du Pape ne peut espé-
rer la félicité éternelle ", leur dit-il. « La clarté et la beauté de ses
paternels discours étaient si saisissantes ", assurait un des assis-
tants, « qu'il aurait fallu être plus inintelligent qu'une bûche pour
ne pas reconnaître que tout ce que Luther a jamais dit est la pure
vérité, et que lui-même n'est autre chose qu'un ange du Dieu vivant,
envoyé pour distribuer aux brebis égarée» d'Israël l'aliment de la
parole de vérité ^ »
' De Wette, t. I, p. 533.
* " ...Pontifex sanctissime... » Böcking, t. I, p. 433.
' Voy. Mauren'BRECHER, Kathol. •Reformation, t. I, p. 396. Le corps des étudiants
de Wittemberg avait été convoqué pour assister à la destruction de la bulle par
le feu. «Age pia et studiosa Juventus ad hoc pium ac relisiosum spectaculum
constituito, fortassis enim nunc terapus est quo revelari Antichristum oppor-
tuit. » Voy. KOLDE, Analecla, 26.
* Anshelm, t. V, p. 478.
' Exuslionis Anlkhristianarum decrelalium. Acta, dans les Op. latina de Lulher, t. V,
p. 252-256. Luther est souvent célébré sous le nom de l'Ange du Dieu vivant. L'Au-
gustin Michel Stiefel (d'Esslingen) croyait reconnaître en lui l'ange de l'Apoca-
lypse qui vole à travers les cieux portant le saint Évangile. Keim, Reformaiions-
blälter, 7 fl. — Kolde, Augustiner Congrégation, p. 380-381. Voy. Uhlhorn. « Luther
est le troisième Élie », lisons-nous dans la Chronique de Hambourg, p. 412-417.
120 HÜTTEN ET LUTHER. 1520.
A dater de 1520, on trouve fréquemment en tête des éditions
latines et allemandes des œuvres de Luther une gravure sur bois le
représentant la tête couronnée d'une auréole; le Saint-Esprit, sous
la forme d'une colombe, plane sur sa tête'. Le bruit se répandit
parmi le peuple qu'à Witteraberg, au moment où il avait mis le feu
aux décrétales et à la bulle du Pape, des anges avaient été aperçus
dans les cieux, semblant témoigner toute la joie que l«ur causait ce
spectacle.
>' Luther menace ' , ajoute la lettre qui rapporte ces bruits; " il
affirme que sept provinces se sont offertes à défendre sa cause,
que les Bohèmes lui ont promis trente-cinq mille hommes, et la
Saxe et autres pays du Nord tout autant. Le dessein des confédérés
est, parait-il, d'envahir Rome et l'Italie, comme l'ont fait autrefois
les Goths et les Vandales. Le poi^^on de l'hérésie a pénétré si avant
qu'il sera impossible de le détruire sans de grandes secousses. Le
peuple montre une grande animosité contre le clergé; beaucoup de
gens sans aveu, accoutumés au brigandage, espèrent, grâce à Luther,
trouver l'occasion de ruiner cette caste détestée et opulente, et
croient pouvoir en venir facilement à bout *. «
Il faut reconnaître que tous les amis de Luther n'approuvaient
pas ces mesures violentes. Wolfgang Capito, prédicateur ordinaire
à la cour de Mayence, s'efforçait de détourner le novateur de
la pensée de soulever la populace : '■ Les allusions transparentes
que tu fais aux hommes d'armes et à la lutte l'aliènent beaucoup
de ceux qui t'étaient dévoués >, lui écrit-il. •< Il nous sera très-
facile, il est vrai, de tout bouleverser; mais je crains qu'ensuite il
ne soit plus en notre pouvoir d'apaiser l'émeute. D'ailleurs, com-
ment se confier aux masses? L'expérience nous apprend avec quelle
mobilité elles se tournent tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, exces-
' Voy. dans Schuchardt, t- II, p. 312-313, la liste des ouvrages où cette gra-
vure (composée par Lucas Cranacli) se trouve reproduite. Elle est en premier
lieu dans l'édition latine du livre De cnpiiiitate Bahylonica Ecdesiœ, accompagnée de
ces paroles : Numina cœlestem nobis peperere Lutberum. Nostra diu raajus
ssecla videre nihil. Quem si pontificum crudelis deprimit error, non feret iralos
impia terra deos. - Voy. ma brochure : Ein iiceites Wort an meine Kritiker, p. 69.
Luther autorisa Lucas tranach à graver son portrait, sur cuivre, d'abord en 1519,
puis en 1520, et de nouveau en 1521. Schuchardt, t. II, p. 189-191.
* - ...Fecit tameu hoc virus tam alte radiées suas, ut vix absque magno malo
tolli posse existimarem, quod Germani omnes ordini sacerdotali infesti rapi-
nisque dediti, se in hoc homine jam ansam nactos putant, qua ordinem illum
alioquin invisum et opulentum subvertere, et omnia sur^um deorsum facile
miscere posse arbitrantur. ^ Lettre anonyme, datée de décembre 1520, dans
Chmel, Handschriften, t. I, p. 523-524. Le passage où il est fait allusion à l'exécu-
tion de la bulle : « Solemni more X""> die presentis mensis •, établit la date de
cette lettre.
HÜTTEN ET LUTHER, 15^0. 121
sives en leur enj>oiicmenl comFue en leur colère. » Capilo reproche
donc à Luther de < faire retentir trop souvent la trompelle guer-
rière >', et d'avoir excite Hütten à la révolte. H blâme les deux amis
de r« entreprise à main armée qu'ils méditent '.
D'après le plan de Hütten, la guerre de religion devait éclater
dès 1520.
Le 9 décembre, il envoie à Luther, « son bien-aimé frère et ami,
le héraut invincible de la parole de Dieu > , le compte rendu détaillé
de ce qu'il a déjà tenté pour la bonne cause. « Mais tandis que je
recrute de nouveaux auxiliaires et de nouveaux amis «, lui écrit-il,
« beaucoup d'anciens se retirent. La superstition est encore si pro-
fondément enracinée parmi les hommes, que celui qui s'élève contre
le pape de Home est regardé comme coupable d'un crime irrémis-
sible. Le seul homme qui ait embrassé la bonne cause avec une fer-
meté inébranlable, c'est Franz de Sickingen. « - A la vérité, ajoute
Ulrich, Franz avait paru hésiter un moment; mais peu à peu Hütten
avait su si bien l'enflammer, que maintenant, presque tous les soirs,
à souper, il se faisait lire quelque passage des écrits de Hütten ou de
Luther, et déclarait nettement à ceux de ses amis qui tentaient de
l'ébranler, que l'intérêt de la patrie exigeait qu'on s'en rapportât entiè-
rement aux décisions des deux nouveaux apôtres, parce que la vraie
foi devait être défendue. '^ « Malgré tout cela », continue Hütten, « je
ne te dissimulerai pas, très-cher frère, que c'est Franz qui jusqu'à
présent m'a empêché de commencer l'attaque. 11 assure qu'il vaut
mieux laisser croître la présomption de nos ennemis; il est aussi
d'avis qu'il est plus sage de s'assurer d'abord du parti que prendra
l'Empereur. » Sickingen espère que ce dernier comprendra bientôt
ce qu'il peut attendre du Pape et de son entourage. On annonçait
une scission prochaine et grave entre Léon X et l'Empereur; c'était à
ce moment favorable que Sickingen comptait se tourner vers Charles-
Quint. ' J'ai écrit dernièrement à Spalatia >, écrit Hütten, « je
lui demande de sonder adroitement l'Électeur-, puis de m'écrire sa
pensée. Je désire vivement savoir jusqu'à quel point on peut compter
sur son appui, et je souhaiterais que ses bonnes intentions fussent
connues, non-seulement de toi, mais de tous ceux qui ont offert
leur bras et leur épée pour le service de la bonne cause. Insiste toi-
même sur ce point, je t'en prie. Tu ne sais pas combien il est dési-
rable que Frédéric vienne en aide à nos gens, ou du moins pro-
mette de fermer les yeux sur un beau coup de main, ou bien encore
nous permette de chercher un refuge à l'intérieur de ses États, si la
situation le réclamait. Aussitôt que je serai instruit de ses inten-
' EVEI\S, Heß 7, 215-218.
' L'électeur de Saxe.
122 HUTTEX SOULEVE LA GUERRE DE RELIGION. 1520.
tions, je me propose d'aller t'entretenir de vive voix, car je ne puis
résister plus longtemps au désir de te connaître davantage, et
j'aspire au bonheur de voir face à face un homme que ses vertus me
rendent si cher '. >■
En même temps que cette lettre, Hütten envoyait à Luther ses der-
niers écrits, dans l'espérance qu'il les ferait réimprimer à Wittemberg.
Ces libelles, dirigés contre la papauté et le clergé, destinés spécia-
lement au peuple, et à cause de cela rédigés en allemand, appelaient
aux armes la nation tout entière :
« Je fais appel à la fière noblesse!
Vous aussi, bonnes villes, soulevez-vous!
Soutenons-nous mutuellement,
Ke me laissez pas combattre seul!
Ayez pitié de la patrie,
Dignes Allemands, levez la main!
Voici l'instant d'agir, d'entrer en lice !
Que notre devise soit :
Pour la liberté! Dieu le veut! »
Les puissants et les petits sont invités à s'unir pour la guerre de
religion :
« J'exhorte ici tous les princes,
Et en premier lieu le noble Charles!
Que tous se rallient à noire cause;
J'invite la noblesse et les bonnes villes;
Celui qui ne prend pas la chose à cœur.
Celui-là n'aime point son pays,
Et ne connaît Dieu qu'imparfaitement.
Donc, vous tous, braves Allemands,
Invofiuez le secours de Dieu, proclamez hautement la vérité!
Vous, lansquenets, vous, braves cavaliers,
Vous tous qui avez au cœur un vaillant courage,
Venez ! nous étoufferons la superstition.
Et nous ferons resplendir de nouveau la foi!
Mais la victoire ne peut être obtenue sans lutte.
Il faut s'attendre à ce que le sang coule !
Nous avons des harnais, des chevaux,
Des hallebardes, des épées!
El si les discours de paix ne suffisent pas,
Nous saurons nous servir de nos armes!
Que personne ne m'en demande davantage :
Le secours et la vengeance de Dieu sont avec nous! i
Hütten prévoit déjà que le secours de l'étranger sera nécessaire :
« Oui, je le jure sur mon âme.
Si Dieu m'accorde sa grâce,
1 BÖCKING, t. I, p, 435-437.
HÜTTEN SOULÈVE LA GUERRE DE RELIGION. 1520. 12»
Lui qui n'a jamais abandonné l'innocent.
Je laverai notre injure de ma propre main,
Dussé-je avoir recours à l'étranger! »
Dans le Parallèle entre la papauté et l'Empire, Hütten prétend
instruire Ciiarles-Quint do ses devoirs et de ses droits vis-à-vis de
Rome. Partisan du césaro-papismc, il affirme qu'autrefois les empe-
reurs étaient à la fois papes et Césars, qu'ils élevaient et dépo-
saient les évêques; mais qu'ensuite tout avait changé de face, parce
qu'ils s'étaient honteusement courbéssouslejoug papal. Le despotique
Henri IV est à ses yeux un noble héros; l'Allemagne n'en a pas connu
de plus digne d'admiration. Mais plus ce prince était brave, vail-
lant et vertueux, plus il avait été exposé par cela même aux persé-
cutions des papes. Dès qu'ils avaient compris à quel vaste esprit, à
quelle capacité ils avaient affaire, ils s'étaient opposés à lui, de peur
qu'il ne vint à les éclipser : ' Henri IV n'a pas eu seulement à subir
l'opposition d'un ou deux papes; quatre ou cinq se sont comportés
de la même manière envers lui; mais l'odieux moine Hildebrand l'a
traité plus impitoyablement encore que tous les autres. " Les con-
naissances historiques de Hutteu sont vraiment bizarres. Pour éta-
blir l'ancienne suprématie des empereurs sur les papes, il raconte
que l'empereur Othon IH fit crever les yeux à Jean XIV; pour
démontrer la tyrannie des papes et prouver qu'ils ont été souvent les
meurtriers des empereurs, il rapporte que Clément IV fit assassiner
Conrad IV. Or il n'y a pas un mot de vrai dans ces assertions.
Pour exciter le peuple encore davantage, il réédita ses dialogues
latins, et cette fois les publia en allemand, sous le nom à' Entretiens
familiers. Le frontispice du livre symbolise la pensée de l'auteur :
à droite, au haut de la feuille, le roi David présente à Dieu le Père,
qui apparaît à gauche lançant sa foudre du haut du ciel, ce verset du
psaume c\i : « Lève-toi, Seigneur, toi qui juges la terre, donne aux
orgueilleux la récompense qui leur est due! » Au centre, on voit appa-
raître Luther et Hütten, les deux héros de la liberté. Au bas, des
hommes d'armes, les lances étendues, chassent une troupe de prêtres
qui s'enfuient en poussant des clameurs lamentables, et parmi les-
quels on reconnaît le Pape, des cardinaux et des évêques '.A la fin
du livre, Luther et Hütten, toujours réunis, reparaissent encore.
A partir de ce moment, on prit l'habitude de les représenter toujours
ensemble, comme les inséparables « instruments du Seigneur «. « Dieu
nous a envoyé deux apôtres », dit Eberlin de Giinzbourg dans le livre
des Quinze Alliés (1521); « cœurs vaillants, hardis, éclairés, ces deux
' Strauss (t. II, p. -218) trouve cette gravure " la plus divertissante du
monde •.
121 HÜTTEN SOULEVE LA GUERRE DE RELIGION. 1520.
messagers da Seigneur se nomment Martin Luther et Ulrich de Hüt-
ten; tous deux Allemands de naissance, très-instruits et bons chré-
tiens, ne respirent que pour la gloire de Dieu, comme leur entre-
prise le fait assez voir'. » A cette époque se répand aussi parmi le
peuple la lÀtanie des Allemands, où l'aide de Dieu est invoquée pour
Hütten et Luther ^
Hütten, dans ses libelles, feint d'être convaincu que l'Empereur
va prendre la direction de la sanglante révolution qu'il prépare. Il
5'adresse même à lui :
•• Oui, si j'exécute toutes ces choses,
Ce ne sera que pour ton honneur!
Autrement, il ne me siérait guère
De lever ainsi l'étendard de la révolte.
J'exhorte tous les Allemands libres
A le rendre obéissance.
Afin que notre pays soit secouru.
Et que la ruine et la honte en soient bannies.
Un vaillant capitaine comme toi
Peut seul diriger et mener à bien l'entreprise. »
Mais il ressort au contraire des lettres confidentielles de Hütten
que, depuis son inutile voyage à la cour de Ferdinand, il gardait fort
peu d'illusions sur le parti que prendrait Charles-Quint, et doutait
beaucoup qu'il consentit à devenir le chef de la révolution : « Je
n'attends pas grand'chose de l'Empereur », écrit-il à Luther (9 dé-
cembre 1520). « Il est entouré d'une foule de prêtres, parmi les-
quels plusieurs ont su capter entièrement sa confiance. « S'adressant
à Erasme (13 novembre 1520), il exprime les mômes craintes, se
montrant d'ailleurs résolu à marcher en avant sans le concours de
Charles -Quint. Il engage vivement Érasme, avant que la lutte
commence, à songer à sa sûreté personnelle et à se réfugier à Bâle.
« La guerre aurait déjà éclaté «, dit-il, « si Franz de Sickingen
n'avait été d'avis d'attendre encore, à cause de l'Empereur. Si tu
n'approuves pas non plus les moyens violents, tu ne peux du moins
blâmer mon dessein d'affranchir l'Allemagne. Les sciences, après
sa délivrance, retrouveront un nouvel Oclat, et même si notre
' BÖCKING, t. II, p. 101. Voy. ce que Jean Faber écrivait à Lulber sur son
alliance avec Hütten : -^ .. qnid enim primum aliud in dialogis vestris quam virus,
convitia, pestis ac sesquipedalia verba jactastis ? hic vester exercitus clavis,
fustibus, furcis obarmatus erat. ' Ravnvld, ad a. 1528, n. 359.
* Dans cette Litania Germanorum qui date de 1521, on lit entre autres choses:
« Ut strenuum ilUim Germaniae equitem, Ulricum Huttenum, .Martini Lutheri
Pyladem, in suo bono proposito ac provincia, pro Martine Luthero suscepta,
perseverare facias, te rogamus, audi nos. - Dans les Preces qui suivent, on lit au
sujet du Pape : ' Dominus prœcipitet eum de cathedra pestilentiœ et conterai
caput ejus, et qui seipsum fecit Deum orbis terrarum, sit alibi diabolus diabo-
lorura in aîternum. Amen. . Kapp, iVacA/e»e, t. II, p. 506-509. — Voy. Pescheck, p. 159.
HÜTTEN SOULÈVE LA CUERRE DE RELIGION. 1520. 125
tentative échouait, toutes les ruses, toutes les supercheries de la cour
de Rome ne parviendraient pas à éteindre l'incendie que nous avons
allumé. Le feu continuerait, même si l'on persistait à nous écraser,
et de nos cendres surgiraient de nouveaux défenseurs de la liberté,
plus forts, plus courageux que nous. C'est parce que j'en suis
persuadé que Je suis décidé à tout tenter, et résolu à ne me laisser
intimider par aucune menace. Quand bien même l'Empereur lance-
rait un édit contre nous, tous les lieux de refuge ne nous seraient
pas fermés, tous les moyens do secours ne nous seraient pas refu-
sés. » « La tyrannie romaine est effroyable », disait encore Hütten,
« elle dépasse l'imagination; il est impossible d'y remédier, comme
Érasme le pense à tort, au moyen de la douceur; il ne reste rien
d'autre à faire que d'avoir recours à la force; il faut jeter au loin les
cadavres empestés, les brûler et les anéantir'. Au reste, Hütten
ne serait pas seul à entreprendre la campagne ; dans une chanson
écrite pour le peuple il s'écrie :
" Beaucoup parmi nous, je le sais,
Désirent aussi entrer en danse.
Dussent-ils y perdre la vie!
Allons, brave lansquenet,
Généreux cavalier,
Ne laissez pas périr Hütten! t
Dans une autre chanson, également composée pour le peuple,
il se pose en protecteur et en champion de l'Évangile :
I Ah! noble Hütten de Franconle,
Sois avisé, sois prudent!
Rends grâce à Dieu, bénis sa bonté,
II t'aidera certainement
A combattre pour la justice !
Tu soutiendras rhonime de bien.
Avec le secours d'autres chevaliers et varlels,
Avec tes loyaux guerriers,
Protégés par le sang du Christ! »
Au commencement de 1521, Hütten réédita le recueil encore
augmenté de ses Entretiens. Dans le premier, intitulé BuUidda (le
Tueur de bulles), il fait un nouvel appel aux armes : " 11 s'agit ici de
notre intérêt à tous, il s'agit du bien public! » s'écrie-t-il. « Le feu de
la guerre commence à se propager; accourez, vous qui soupirez
après la liberté, car ce n'est qu'avec nous que vous pourrez acquérir
I un si grand bien. Chez nous on poursuit les despotes, on brise les
! chaînes de l'esclave! Où sont les hommes libres? Ils ne peuvent être
.tous disparus! Où sont les nobles, aux noms illustres? Où êtes-vous,
■ « ...Abjiciamus putrida cadavera, exuranius et aboIeamus.fQuod si vi et arrais
coneinur efficere... » Bocking, t. I, p. 423-426,
126 HÜTTEN SOULÈVE LA GUERRE DE RELIGION. 1520.
chefs du peuple? Pourquoi ne venez-vous pas grossir notre nombre?
pourquoi ne pas vous joindre à moi pour délivrer notre commune
patrie de la peste romaine? Y a-t-il un homme ici qui puisse accep-
ter d'être esclave, qui ne rougisse de sa servitude et ne soit impatient li
de s'en affranchir? En un mot, y a-t-il quelqu'un parmi vous qui ait
du courage, et se sente résolu à tout tenter? Où êtes-vous donc, vous
qui, il y a peu de temps encore, vouliez entreprendre une croisade
contre le Turc? Comme si les bulles maudites n'étaient pas de pires
ennemis pour l'Allemagne ! Mais vous m'avez entendu! Je vois cent
mille hommes, à la tête desquels se place Franz, mon hôte et mon
ami! Que les dieux soient loués! L'Allemagne s'est souvenue d'elle-
même! L'Allemagne veut redevenir libre '! »
Dans le dialogue des Brigands, Hutteu distingue quatre sortes
de voleurs. Les plus inoffensifs et les plus excusables, à son avis,
sont les voleurs de grand chemin. Bien plus à craindre sont les
grands commerçants, qui rançonnent tous les ans l'Allemagne dans
des proportions inouïes, par l'importation des marchandises étran-
gères; ceux-là méritent qu'on les expulse du pays. Les juristes sont
une engeance plus nuisible encore; ils falsifient le droit, et pour s'en
défaire on devrait employer la cognée et la massue. Mais les plus
dangereux de tous les hommes, ce sont ces brigands qui composent
la bande perverse des prêtres. « Si l'Allemagne ne se débarrasse de
cette peste -, dit Sickingen, que Hütten introduit ici dans la con-
versation, n il deviendra bientôt impossible de lui porter secours! >
Pour lui, il ne cessera de rappeler à l'Empereur que son devoir est
d'oter au clergé le fardeau des richesses temporelles, dans l'intérèf
même de la sainteté de son état; qu'il doit s'emparer de tout l'or,
de tout l'argent entassé dans les églises, faire vendre les pierreries
renfermées dans les sacristies, et, du produit de ces trésors, entre-
tenir des troupes.
" Le peuple allemand est exploité d'une façon inique, extrava-
gante, et cela non-seulement par Rome, mais encore par ses propres
prélats; les impostures et les brigandages des évêques les ont ren-
dus si puissants qu'ils se sont emparés des contrées les plus fertiles
de l'Allemagne; les terrains les plus beaux sont entre leurs mains;
la malheureuse Franconie est soumise à la domination impie des
prêtres, et n'est plus digne de son glorieux nom de Franconie (terre
1 Bulla vel Bullicida. Dans le dialogue Monitor prunus, llutten fait dire à Luther : i
o Je passe volontiers bien des choses à Léon, et je me tais sur sa conduite pri- j
vée; mais je ne puis assez m'étonner lorsque je vois des hommes fonder tout j
l'espoir de leur salut sur l'indulgence, c'est-à-dire sur l'abstention des bonnes 1
œuvres, eux qui cependant devraient si bien savoir que la foi sans les œuvres
est marie ! • (STRAUSS, p. 275.) On voit que Hutten avait admirablement saisi la
doctrine de Luther!
HÜTTEN SOULÈVE LA «UERRE DE RELIGION. 1520. 127
libre) ; plus servilement qu'aucun autre territoire, elle a courbé
son front sous le joug. Mais le temps où l'Allemagne s'alTranchira
de ces brigands pervers est enfin tout proche. »
Par cet « affranchissement «, il ne fallait donc pas entendre seu-
lement la confiscation des biens du clergé et le pillage des églises,
mais encore la transformation des principautés ecclésiastiques en
Etats laïques. Sickingen chercha plus tard à opérer une transforma-
tion semblable dans l'archevêché de Trêves.
« Aussitôt que le moment décisif de l'affranchissement sera
venu, la chevalerie de l'Empire, les bonnes et fortes villes d'Alle-
magne devront se décider à une action commune, mettant de côté
les anciens malentendus et griefs. » " Déjà je les vois lutter avec
énergie pour la liberté, rougir d'une servitude honteuse, et se mon-
trer plus résolues que tous les autres ordres de la nation. Elles ont
des troupes, de l'argent en abondance, et lorsqu'il s'agira d'entre-
prendre une guerre qui, selon moi, est inévitable, elles seront en
état d'offrir à la grande cause les secours les plus efficaces. » Un
marchand que Hutteu fait intervenir ici dit alors : « Tout cela mène,
ce me semble, à la guerre contre les prêtres; puisse le Christ
Rédempteur protéger un tel dessein, car, à mon avis, il n'a
jamais existé un motif de résistance plus légitime, plus honorable
et plus pressant! » Ce à quoi Hütten répond : " Il en est comme tu
dis! Si l'on a jamais légitimé la résistance à une tyrannie quelconque,
quel zèle ne devons-nous pas déployer, nous qui avons affaire à des
tyrans qui non-seulement mettent la main sur nos propriétés et
nous ravissent notre liberté de citoyen, mais encore oppriment et
anéantissent ce qu'il y a de plus sacré au monde, la foi et la piété? car
ils tiennent la vérité captive, et voudraient effacer de nos mémoires
jusqu'au nom du Christ '. x
Il fallait donc, de toute nécessité, déchaîner en Allemagne la
« tempête hussite ' .
Aussi, dans un dialogue postérieur intitulé Second Avertissement
[Monitor secundus), Hütten voit-il en Ziska, le chef hussite, le modèle
accompli du libérateur et du héros. Il met ces paroles dans la bouche
de Sickingen : c Afin que tu comprennes bien que tout n'a pas tourné
mal pour ceux qui ont résisté aux prêtres, je te citerai, entre beau-
coup d'exemples, celui du Bohême Ziska, l'invincible chef d'une
lutte longue et ardente contre le clergé. Que lui a-t-il manqué pour
prétendre à la célébrité des plus illustres héros? N'a-t-il pas eu la
gloire de délivrer son pays du despotisme, de chasser du territoire
bohémien les hommes inutiles, les prêtres oisifs, les moines fai-
' Prœdones. Cet entretien parut probablement dès 1520. Strauss, Ulrich von
Hutlen, t. II, p. 156.
128 MURNEU : LA DE TRESSE DE LA FOI.
néants? N'a-t-il pas restitué les biens du clergé en partie aux héri- I
tiers des bienfaiteurs', en partie à l'État? N'a-t-il pas fermé son }
pays aux entreprises romaines, aux extorsions des papes? N'a-il pas t
noblement vengé la déplorable mort du saint prophète Jean Huss? j
Et, parmi tant de grandes actions, il n'a jamais cherché son intérêt
personnel ni l'accroissement de sa fortune! » Ici un second paysan
l'interrompt pour lui dire qu'il a entendu raconter que Ziska s'était |
souillé de beaucoup de crimes abominables; mais Sickingen lui
répond que punir des malfaiteurs n'est point un crime; que prendre
à des hommes orgueilleux, cupides, insolents, débauchés et lâches
un bien injustement acquis, les chasser de la patrie où leur grand ,
nombre cause renchérissement des denrées, n'a rien de répréhensible. I
« Pourquoi n'iraiterais-je pas l'exemple de Ziska? " dit-il en ter-
minant.
Bien qu'il recherchât l'appui de Charles-Quint, Hütten était très- |
décidé à s'en passer au besoin; « car, en vérité », assure-l-il, « il est
des cas où ne pas obéir est la véritable obéissance ». « L'Empereur
souffre que des hommes pervers se servent de lui pour des choses j
futiles. » « S'il est dans sa destinée '-, dit Ulrich à plusieurs reprises, '
« de suivre si promplemeut les mauvais conseils, je crois qu'une
prompte ruine sera aussi dans sa destinée. Entouré d'une troupe de
fidèles serviteurs, Charles devait songer à restreindre le pouvoir
excessii des évêques, abattre la superstition, rapprendre au peuple la
vraie religion, la remettre en lumière, et restaurer la liberté de
l'Allemagne. 11 ne devait pas avoir égard aux rêveries de quelques-
uns, mais à la volonté de Dieu, car la vérité et la religion sont icf
en jeu. Oue si l'Empereur refuse de se mettre à notre tête, et que
nous ne puissions espérer lui voir embrasser de lui-même la cause
de la patrie, j'ai résolu de tenter quelque chose à mes risques et
périls. Le sort en est jeté ! Advienne que pourra ^! >>
VIII
Le parti de la révolution politique et religieuse faisait à une grande
partie de l'Allemagne une situaiiouque déplore, dans sa Complainte
sur la détresse de la foi chrétienne ', Thomas Murner, moine franciscain.
Personne, dit-il, n'a jamais prétendu nier les abus qui se sont
' En Allemagne, selon les vues de llutlen, ces biens devaient revenir à 1»
nol)lesse.
- Monitor secundus.
3 L'Idand's lolkslieder, t. II, p. 906-917. Voy. 1039, no 349.
MURNER, LA KüINE DE LA FOI C H R ET I E N ^f E. 129
introduits dans l'Église. Aucun homme loyal n'a jamais tenté de les
justifier Seuls ils sont cause du mouvement révolutionnaire (jui
éclate :
Les abus dont on se plaint,
Nul homme d'honneur ne les défend!
Dieu même, je commence à le croire,
Ne veut pas les tolérer davantage!
Mais mon cœur est plein de larmes,
Parce qu'on veut détruire notre foi.
Voilà l'unique sujet de mes pleurs!
Il faut que je confesse ici la vérité.
Nous ne sommes pas sans reproche.
La question de l'indulgence, dit-on,
A malheureusement égaré bien des gens
Entendant dire tant de mal d'elle,
On s'est imaginé que les sacrements
Étaient tout aussi suspects;
On a cessé de les vénérer.
0 Dieu du ciel, fais-nous miséricorde!
Les hauts dignitaires de l'Église sont ensevelis dans la mollesse;
la désunion et l'envie régnent dans tout le clergé, cela n'est que trop
vrai, mais on ne peut remédier à ces maux par un bouleversement
violent, parle renversement total de tout Tordre établi! Or c'est vers
ce but que courent les partisans des idées nouvelles, car l'organisa-
tion ecclésiastique serait ruinée de fond en comble si les doctrines
qu'ils propagent venaient à être adoptées :
Le bon Pasteur a été frappé,
[,cs brebis se sont dispersées !
Notre Saint Père est mis dehors :
Il ne doit plus porter couronne,
( ar le Christ n'a fondé son pouvoir
Par aucune parole sacrée!
En plus de cent mille endroits
Se répand cette doctrine empoisonnée.
Tous nos grands prélats,
Les cardinaux, les évêques
Vont être supprimés.
Le curé seul sera toléré,
A condition que le peuple l'ait choisi;
Mais comment son esprit faussé
Pourrait-il reconnaître le bon Pasteur .'
0 lamentable honte !
La messe ne sert plus à rien,
Ni dans la vie, ni à la mort;
Ils se raillent des sacrements :
Nous n'en avons que faire ! disent-ils.
130 MURNER, LA RUINE DE LA FOI CHRÉTIENNE.
Ils en ont déjà aboli cinq,
Et ceux qu'ils laissent debout,
Ils les ont si bien modifiés,
Que bientôt ils les retrancheront aussi.
A propos des doctrines de Luther sur le sacerdoce universel, Murner
s' écrie :
Kous sommes tous devenus prêtres,
Les femmes aussi bien que les hommes.
Bien que nous n'ayons pas été consacrés,
tt n'ayons point reçu les ordres!
Les escabeaux sont sur les bancs,
La charrue est devant les bœufs,
La foi sombre entièrement
Dans un abîme sans fond !
L'Allemagne est déchirée à l'intérieur; on abuse de la parole de
Dieu; elle est devenue le prétexte d'émeutes, de rixes sanglantes .
La pomme de discorde est jetée!
Hélas! cela n'est que trop vrai!
Dans les villes, dans les villages.
Je ne donnerais ni sou ni maille
Pour èlre à la place des gouvernants!
Par la ruse et par la fraude
On les accuse de crimes prétendus.
Autrefois on tenait le saint Évangile
Pour un message joyeux
Envoyé par le Seigneur lui-même
Pour nous procurer la paix!
Maintenant ils ont empoisonné le saint Livre,
Ils l'ont rempli de leurs jjensées liomicides.
Et ce qui devait faire notre joie
Kous plonge i\ présent dans l'angoisse.
Je ne m'en prends pas à la parole de Dieu;
Mais ce dont je me lamente,
Cest de la voir dèfgurée,
Et devenue une parole meurtrière!
Oui, la parole de vie éternelle
X' est plus qu'un prétexte d'émeute et de crime!
Voilà ce qu'ils ont fait de l'Évangile
Que Jésus nous avait apporté dans l'amour!
Si le Turc nous eiU vaincus,
S'il avait envahi l'Allemagne
Depuis le lever du soleil jusqu'au couchant,
Il n'aurait pu insulter notre foi
Plus cruellement que nous ne l'avons fait,
Kous autres chrétiens, dans notre propre pays!
Depuis la venue du Christ,
Je l'affirme ici par serment,
MlJIîNEH CONTUr: LUTHER. 1520. 131
Jamais pareille rlétrcsse
Ne s'était vue dans la chrcHienté !
Notre foi, jadis si resplendissante,
Gîl maintenant h terre!
Notre couronne est tombée lourdement,
Et devient un objet de risée!
Ceux qui ensorcellent le peuple et le poussent au mépris de toule
jiulorité ruinent la foi de rAllemaj^ne :
Maintenant celui qui ment,
Qui méprise le pouvoir.
Celui qui contourne le sens de l'Évangile
El en fait un prétexte au crime,
On court à lui, on l'applaudit!
Notre foi, entièrement ruinée.
Ne sera bientôt plus qu'un amas de cendres!
Dans une réfutation raisonuée du Manifeste de Luther à la noblesse
allciiiande , Murner s'explique très -franchement sur les abus dont
gémit l'Église. Il n'hésite pas à condamner les annates, les frais du
pallium, les commendes, les cas réservés et autres regrettables excès.
Si l'excommunication, si les pénitences ecclésiastiques sont tom-
bées dans le mépris public, les prêtres et les évoques en sont seuls
responsables, dit-il, car ils en ont abusé, et les ont souvent imposées
à propos de " trois noisettes et de deux crottes de pigeon ». Aussi
les prêtres feront-ils bien de ne pas trop se plaindre, car eux seuls
sont coupables. « Ce que tu as fait toi-même, souffres-en toi-
même. ') La réforme des abus doit être entreprise légalement par
les autorités compétentes, c'est-à-dire par l'Empereur et les états,
mais il est interdit à tout chrétien d'invoquer ce prétexte, comme
le fait Luther, pour outrager la foi. Luther, personne n'en peut dou-
ter, en paraissant prendre tellement à cœur les charges de la nation
allemande, n'a en réalité qu'un but; il s'en sert comme d'un petit
morceau de lard à mettre dans son piège. Sous ce prétexte, il se
propose de transformer bientôt tout à son aise notre sainte foi.
Ensuite, il répandra son venin, il enverra partout ses messages
hussites et wicléfites. Il veut créer un schisme en Allemagne, lui
qui prétend nous mettre tous d'accord. Il veut, faisant cause com-
mune avec les Bohèmes et les Moscovites, nous séparer du reste
de la chrétienté, répandue par toute la terre. « J'espère de la
bonté de Dieu que nous autres Allemands, nous saurons triompher
de toutes les difficultés présentes, et resterons bons chrétiens,
fidèles à la foi de nos pères. Quant à la réforme des abus, si un
concile doit être convoqué, cela regarde l'Empereur et les états.
Luther, il est vrai, fait appel à ce concile. " " Mais j'aurais cru ';,
dit Murner en s'adressant directement à lui, « que toi, qui sou-
9.
132 MURNER CONTRE LUTHER.
pires avec tant de ferveur après un concile, tu t'en remettrais
au Saint-Esprit, comme cela est légitime, du soin d'améliorer et
de rectifier tous les abus, toutes les difformités de l'Eglise. Cepen-
dant tu laisses de côté un chemin si simple, si droit, si légal, et tu
n'as à la bouche que des paroles de menace! » A tout propos Luther
conseille les mesures violentes. Ses invectives contre le Pape dé-
passent toute mesure : ■■ .le dirai en toute sincérité que jamais gou-
jat ou gâte-sauce n'a été interpellé d'une façon plus odieuse, et
quand même le Pape .serait un homicide et le pire scélérat de tout
l'univers, on n'aurait cependant jamais le droit de le traiter d'une
manière si abominable' • Par ces pamphlets amers, on n'arrivera
point à améliorer la situation religieuse.
Dans sa réfutation dogmatique des nouvelles doctrines, Murner
s'indigne surtout au sujet de la sainte messe. 11 rapporte avec
indignation ce qu'en dit Luther, qui prétend que fonder une
messe n'est pas seulement un acte inutile, mais coupable, qui attire
sur nous la colère du Seigneur : • 11 faut que j'épanche ici la grande i
amertume de mon cœur, et que je parle brièvement, mais claire- ■
ment, avec toi, Luther. Laissons de côté le sacerdoce, le doctorat, I
l'état religieux, les Ordres, les vœux, les serments, et tout ce à quoi i
l'on pourrait vouloir me contraindre; je ne veux parler qu'en simple
fidèle. Depuis mon eniance, mon père m'a appris à révérer la
sainte messe. 11 m'a enseigné qu'elle était le mémorial sacré de
la passion du Christ Jésus, Xotre-Seigneur. Tous ceux qui instrui-
sent les fidèles dans la science de l'Écriture nous ont appris que
la messe est un sacrifice efficace pour les vivants et pour les morts.
Cette opinion est celle de tous les saints docteurs, et l'usage de la
célébrer nous a été transmis par les douze messagers du Sauveur.
0 vous, premiers gardiens de la foi, soyez vigilants! Songez à nous i
instruire exactement de ce qui concerne la sainte messe, car le '
chrétien a mis eu elle tout son cœur. Si, par votre négligence,
l'erreur venait à prévaloir sur ce point, il est aisé de prévoir ce
qui arriverait pour les autres! Veillez donc, n'épargnez rien dans
une question aussi grave; ceux qui combattent notre dévotion au-
saint Sacrifice n'épargnent rien de leur côté, et si vous tardiez
à agir, vous auriez bientôt à déplorer les conséquences de votre
apathie! ==
" Je parle ici du fond de mon cœur de chrétien, car je suis attaché
par un profond respect à ce que mon père m'a enseigné sur ce point.
Et si même la mort devait réduire au silence tous les évêques, de
sorte que la dévotion à la sainte messe vint à s'éteindre entièrement,
je témoigne ici, en apposant ma signature sur cette page, que
j'entends mourir et quitter ce monde, fidèle à l'enseignement que j'ai
ESPÉRANCES QUE FAIT CONCEVOIR I.AVI^NEMENT DE CHARLES-QUINT- 133
reçu de mon père sur la sainte messe, implorant mon salut par la
contemplai ion de la sainte passion de Jésus-Christ. »
Murner s'écrie à propos de la promesse faite par Luther à la
noblesse que les canonicats des abbayes seront conservés aux fils
cadets des (grandes maisons et serviront à les pourvoir comme par
le passé : « Ici, Luther, le Saint-Esprit ne parie point par ta bouche-,
tu passes à la noblesse, pour laquelle tu écris, une douce petite plume
sous le nez! N'as-tu pas prétendu que nous étions tous prêtres?
Pourquoi donc accordes-tu aux enfants des nobles des privilèges que
tu refuses à d'autres? T'imagines-tu, peut-être, que le Christ n'ait
choisi que les seuls nobles pour la sublime dignité d'apôtre? Toi qui
te donnes pour le prédicateur intègre de la vérité, il te sied mal de
flatter! Pour moi, comme tu n'appuies pas ton dire sur la sainte
Ecriture, je regarde tes paroles comme de purs discours humains! »
Murner supplie et conjure la noblesse de défendre et de pro-
téger l'antique foi : « .le ne prétends pas, cependant, que le docteur
Luther ait tort sur tous les points, et parle toujours contre la vérité;
je ne nie pas qu'en bien des choses il n'ait souvent trouvé juste.
Mais je l'accuse hautement d'avoir si perfidement mêlé la vérité au
mensonge empoisonné, qu'il est impossible aux chrétiens peu instruits
de démêler lune de l'autre. .le l'accuse d'avoir abusé de son noble
talent, de son intelligence et de la sainte Écriture, dans le but sédi-
tieux, antichrétien, contraire à la paix, d'entraîner dans l'hérésie,
sous la conduite des chefs de la noblesse et des premiers d'entre
nous, les pauvres petites brebis du Christ. »
« Les discours violents de Luther '■, poursuit Murner, « mènent
droit au Bundschuh, à une révolution furieuse, insensée, radicale. »
" Mais il faut pourtant commencer par lancer le premier coup, et la
boule n'est peut-être pas encore posée au bon endroit! »
Comme Luther, comme Hütten, Murner met toute son espérance
en Charles-Quint, le jeune souverain nouvellement élu. Il le conjure
de prendre la défense de la foi : « L'Empire >;, dit-il au début de son
livre en s'adressant au nouvel empereur, ■ n'a pas eu, depuis son ori-
gine, de plus dangereux ennemis que Luther et ses adhérents. Comme
un nouveau Catilina, Luther excite à la guerre civile, et, pour le sou-
lèvement qu'il médite, se sert de la foi comme d'un manteau; mais
il est impossible que la foi retire aucun avantage du bouleversement
qu'il prépare. Comme si une telle révolte et transformation pouvait
s'opérer au nom de la foi chrétienne, sans que la loi de Dieu soit
violée et sans grave péché ' ! «
' An den grossmächtigsten und durchlückligsten Adel tütscher Xalion, etc., 40 Bl., in-4''.
Chaque page est surmontée de la suscription : Von dem tütschem Adel. La même
134 ESPÉRANCES QUE FAIT CONCEVOIR L'AVÈNEMENT DE CHARLES-QUINT.
« L'Église et l'Empire tremblent jusqu'en leurs fondements »,
écrivait le chanoine Charles de Bodmann peu de temps avant que
Charles-Quint arrivât d'Espagne; " tous ont les yeux fixés vers le
nouvel élu qui vient prendre possession de la couronne en des cir-
constances si difficiles et si lamentables, que c'est à peine si l'un de
ses prédécesseurs en a connu d'analogues. Comment maîtrisera -
t-il la guerre intérieure qui menace à chaque instant davantage?
Quel remède employer contre le mal toujours croissant qui envahit
l'Eglise? Le peuple entier lève les yeux sur son roi; il met en lui
tout son espoir; il attend de lui seul sa délivrance'. «
année, Murner écrivit : l'on dem babstenthum , dasist von der höchsten oberkeyt
Chrisllichs glaubens wyder Doclor Martlnum Luther. Voy. Waldau, Thomas Murner,
p. 84-95.
' * Lettre inédite du 27 août 1520. OEuvres posthumes de Bodmann.
LIVRE II
LA DIETE DE WORMS ET LES PROGRÈS DE LA RÉVOLUTION
POLITIQUE ET RELIGIEUSE
JUSQU'A L'EXPLOSION DE LA RÉVOLUTION SOCIALE.
(1521-1524.)
LIVRE II
LA DIÈTE DE WORMS ET LES PROGRÈS DE LA RÉVOLUTION
POLITIQUE ET RELIGIEUSE
JUSQU'A L'EXPLOSION DE LA RÉVOLUTION SOCIALE.
(1521-1524.)
CHAPITRE PREMIER
LA DIÈTE DE WORMS. LE NOUVEL ÉVANGILE
JUGÉ PAR LES CONTEMPORAINS.
Charles- Quint, empereur nouvellement élu, avait pris en main le
gouvernement avec la ferme intention de rétablir la paix parmi
les peuples chrétiens, de protéger la chrétienté contre le péril
toujours plus menaçant et plus proche des invasions turques, et
de travailler de tout son pouvoir à rendre aux chrétiens l'empire
du monde en refoulant les infidèles en Asie. Dans sa première
lettre circulaire, datée de Molino-del-Re (31 octobre 1519), quatre
semaines avant qu'il eût connaissance du résultat de l'élection, il
annonçait aux Ordres et à tous ses sujets allemands qu'il se pro-
posait de quitter l'Espagne au mois de mars suivant, et de se
rendre en Allemagne pour y être couronné. 11 convoquerait ensuite
les états; il comptait élire parmi eux el d'autres dignes et loyaux
personnages de nationalité allemande un conseil de régence com-
posé d'hommes sages et éclairés, capables de rétablir dans l'empire
la paix, la justice et le bon ordre. « Nous aviserons ensuite », ajou-
tait-il, u à tous les autres besoins de la nation, comme nous y oblige
notre titre de roi des Romains, de chef suprême et de protecteur
de la chrétienté, et afin de pouvoir nous opposer énergiquement
aux progrès des infidèles, qui étendent leur domination et leur
tyrannie d'une manière toujours plus redoutable; c'est ainsi que
nous désirons nous rendre digne de notre titre d'augmentateur du
138 SITUATION DIFFICILE DE CHARLES-QUINT.
Saint-Empire \{Me/u^er)\ r, « Ses sujets '), disait-il dans un second
manifeste, « devaient accueillir sa venue avec allégresse et confiance,
et supplier Dieu par de ferventes prières et par des processions
publiques de daigner bénir son voyage en Allemagne, afin qu'il y
puisse accomplir sa noble mission dans la sécurité et la paix, et pour
le bien de la chrétienté tout entière *. >■
La situation de Charles-Quint, dès le début de son régne, présen-
tait les plus redoutables difficultés.
Tandis que l'Empire lui était remis, la perte de ses États hérédi-
taires semblait imminente. En Espagne, une révolution menaçant
de lui ravir la couronne couvait sourdement*. Les Castillans révoltés
avaient offert le pouvoir au roi de Portugal, don Manuel; Naples,
dans un continuel effroi, s'attendait de jour en jour à un assaut de
la flotte turque; François I", en Italie aussi bien qu'en Espagne,
attisait continuellement contre Charles-Quint les mécontentements
et les rancunes; en Autriche, nul gouvernement capable de mainte-
nir le peuple, et la lutte « pour la liberté des états » menaçant gra-
vement l'autorité royale*; quant à l'Empire, il était pour ainsi dire
livré à l'anarchie. L'ambassadeur d'Angleterre, Richard Pace, qui
visita les pays rhénans pendant l'été de 1519, mandait à Henri Vill
que la nation allemande était dans un tel état de discorde p,énérale
que tous les princes de la chrétienté ne seraient pas en état d'y réta-
blir la paix; et le printemps suivant le cardinal d'Esté écrivait en par-
lant de la partie orientale de l'Allemagne : « La confusion est si grande
ici que chacun s'y comporte à sa guise. Il y a beaucoup de gouver-
nants, mais bien peu d'obéissants M » Les conditions que les électeurs
avaient imposées au jeune souverain avant l'élection équivalaient à
une complète victoire du principe oligarchique sur le monarchique",
et pour comble d'embarras, dans des circonstances aussi critiques,
le trésor de Charles était « littéralement épuisé^ ",son élection à
'* Archiyes de Francfort, Reichsiagsagkten, t. XXXV, fol. 1. Voy. Bacmgauten,
t. I, p. 303.
** Ausschreiben aus St Jacob, 12 avril 1520. Archives de Francfort, Kaiserschreiben,
t. VIII, fol. 5.
' A la suite des vexations dont les Hollandais formant l'entourage de l'Empe-
reur avaient été le sujet. Pour plus de détails sur ce point, voy. Ch. Henne,
Histoire durègne de Charles-Quint en Belgique. Voyez aussi liÖFLER, Zur Kritik und Quel-
lenhunde, t. I, p. 39.
* Voy. Victor V. Kraus, Ein Bild ständischer Parteikämpfe nach den Quellen bear-
beitet. Vienne, 1873.
* Baijmgarten, t. I, p. 300.
^ Voy. 0. Waltz, Die Wahloerschreibung Carl's des Fünften in ihrer Genesis, dans les
Forschungen zur deutschen Geschichte, t. X, p, 215-233. — WynekeN, Regimenlsordnung,
p. 580-581. — ROESLER, p. 206-207. — Waltz, p. 217. Appendice, p. 6B2.
^ Sur les immenses sommes d'argent dépensées par Ciiarles-Quint pour son
COURONNEMENT DE CHARLES-QUINT A AIV-LA-CHAPELF-F. 139
l'Empire lui ayant coûté la somme, alors prodigieuse, d'environ un
million de florins. Il avait bien tenté un emprunt auprès du roi
d'Angleterre Henri VIII, mais ses propositions avaient été repous-
sées '.
L'état actuel des affaires commandait donc à lui seul une poli-
tique de conciliation; mais en dehors dt^ ces faits trop réels, l'esprit de
conquête, le goiU des mesures violentes étaient absolument étrangers
au caractère et aux vues de Charles-Quint-. C'était à défendre l'hé-
ritage qui lui avait été transmis qu'il avait résolu d'employer la puis-
sance que Dieu lui avait donnée, puissance qu'il remerciait la Pro-
vidence de lui avoir confiée'. La protection, l'intégrité des pays à
lui appartenant, le devoir de les défendre contre toute attaque
étrangère, voilà ce qu'il se proposa constamment dans tous ses
actes politiques; ce mobile l'a seul engagé dans toutes les luîtes et
périls de son règne.
Le 22 octobre 1520, Charles, entouré d'un imposant cortège, fit
son entrée à Aix-la-Chapelle, la ville du sacre. Joachim de Brande-
bourg et Frédéric de Saxe manquaient seuls au corps électoral. Ce
dernier était retenu à Cologne " par une attaque de goutte ". On
élection, voy. notre premier volume, p. 561-564. Sur les prome.^ses faites au
margrave Casimir de Brandebourg, le négociateur le plus actif de Charles-
Quint au moment de l'élection, voy. Spiess, Brandenburg, histor. Münzbelustigungen,
l. I, p. 195, et t. IV, p. 101. — Lang, .Veuere Geschichte des Furstenthums Bayreuth, t. I,
p. 170.
' Le GLi.Y, .Végociatiom, t. II, p, 465. — En juin 1520, les dettes de l'Empereur
s'élevaient à un million de ducats. Les revenus de Castille avaient été hypo-
théqués. Depuis six mois, la flotte destinée à l'expédition d'Afrique n'avait reçu
aucune solde. Vers la fin d'août, Charles put enfin se procurer 20,000 ducats, à la
condition de promettre au préteur 20 pour 100 d'intérêt. Avec cette somme, il
put enrôler trois mille marins. Les dîmes consenties par le Pape rapportèrent
8.000 ducats. — Voy. L.nyz, Actenstûcke und Briefe, Introduction, p. 244, note 57.
— Sur les embarras d'argent de 1521, voy. Lanz, p. 249. François!", si humilié
par l'élection de Charles-Quint, se consolait en pensant qu'elle avait dû singu-
lièrement appauvrir son rival. — Baumgarten, t. I, p. 164.
- On trouvera de plus amples détails sur ce sujet dans un des chapitres
suivants. Voyez aussi la lettre de Charles-Quint au margrave de Brandebourg,
dans SpieS, Brandenburg. Münzbelustigungen, t. I, p. 199. « La politique de Charles-
Quint », dit Roesler, '^ révèle dès le début les tendances conservatrices de l'Em-
pereur. Il n'y a rien de capricieux, d'exagéré, d'inquiet dans sa manière. Son
jugement est pénétrant, calme, plein de mesure. Ce qui lui appartient en
propre, ce qui est à lui par héritage, il tient à le conserver, désireux de » on-
solider toujours davantage ses possessions. C'est envers les musulmans qu'il
se montre le plus enclin à oublier cette règle de conduite, parce qu'il est à la
fois de sang espagnol et petit-fils de Maximilien. D'ailleurs, toute l'Europe par-
tageait ses vues à cet égard; combattre les infidèles était encore considéré à
cette époque comme le plus saint devoir d'un monarque, et comme la mission
particulière de l'Empereur romain. »
^ Voyez comment il s'exprime sur ce sujet lorsqu'en juillet 1521 il apprend
que François I" a commencé les hostilités. Brewer, 3'', 599.
HO COURONNEMENT DE CHARLES-QUINT.
admira beaucoup, dans la suite de TEmpereur, « quatre cents cui-
rassiers parés d'armures d'ar^^ent et d'or, si belles, que je n'aurais
jamais imaginé », écrit un témoin oculaire, » que des hommes
pussent en posséder de plus riches et de plus magnifiques; et
cependant, celle du Roi les surpassait encore' ». Charles montait
un cheval caparaçonné d'argent; un béret d'argent était posé sur
ses boucles blondes; sa taille peu élevée était mince et souple.
Le visage, encore imberbe, était pâle, sérieux et calme, « si bien
qu'on n'eût jamais pu croire qu'il ne fiU âgé que de vingt ans à
peine ». « 11 paraissait compter pour peu de chose le plus ambi-
tionné des bonheurs terrestres, et faisait paraître une telle dignité
et grandeur d'âme, qu'il semblait avoir le globe terrestre sous ses
pieds^ »
Le 23 octobre eut lieu le couronnement solenneP. Charles, ce
jour-là, prêta ce serment célèbre qui formait la base de la con-
stitution du u Saint-Empire romain de nation germanique* > et en
constituait pour ainsi dire l'essence. L'article principal de ce ser-
ment a trait à la protection de l'Eglise et du Saint-Siège, et
l'archevêque de Cologne, selon l'antique usage, demanda au nou-
veau souverain : « Promets-tu de maintenir et de protéger la sainte
foi catholique telle qu'elle nous a été transmise par les Apôtres?
Promets-tu de témoigner fidèlement au Pape et à la sainte Église
romaine la soumission que tu leur dois? T'engages-tu à la sou-
tenir par tes actes? » " Oui, je le promets », répondit l'Empereur;
alors, appuyant sur l'autel les deux doigts de sa main droite
comme pour donner à son serment une expression plus solennelle
encore, il ajouta : « IMe confiant dans le secours divin, m'appuyant
sur les prières de tous les chrétiens, je m'engage à remplir loyale-
ment mes engagements, aussi vrai que Dieu m'aide et son saint
Évangile. »
Charles se faisait de la dignité impériale la même idée qu'en avaient
conçue ses aïeux; il voyait en elle la pierre angulaire de tout
droit sur la terre, et considérait comme sa plus haute mission la
tutelle de l'Église chrétienne et de son chef.
Son dessein bien arrêté, avait -il déclaré dans une instruction
rédigée pour son ambassadeur près le roi Henri VIII (17 aoiU 1519),
était de mettre toute sa puissance au service de Dieu et du Siège
' Voy. G. Will, Beiträge zur Geschichte des Einzugs und der Krönung Kaiser Carl'* U
zu Aachen, daiis le Chilianeum de VVürzbourg, t. IV, p. 331-341. 369-375.
* É> rivait en 1519 Pierre Martyr, ep. 648.
' Voy. Baumgarten, t. 1, p. 315-319.
* Voy. notre prenaier vol., p. 407-409.
COURONNEMENT DE C H A R F, ES-Q C I NT. NI
aposlollquc '. L'aulorité du Pape et celle de l'Empereur élaient,
selon lui, d'iustilulion divine, et placées au-dessus de (oufe antre
juridiction. Le Pape et l'Empereur avaient, en leur qualité de chefs
légitimes de la chrétienté, le devoir spécial d'écarter les héré-
sies qui pouvaient se glisser parmi les peuples chrétiens, de fonder
la paix jjénérale, d'organiser une ligue commune contre le Jure, de
réformer les abus, et de remettre toutes choses dans un meilleur
état et dans une forme meilleure. Dans la guerre comme dans la
paix, les deux puissances devaient rester indissolublement unies, et,
par leur concorde, donner à tous les vrais fidèles le gage d'un meil-
leur avenir ^
Après que l'Empereur eut prêté le serment du sacre, l'archevêque,
.«'adressant à tous les princes et électeurs présents et à toute l'assis-
tance, leur demanda : « Promettez-vous de vous soumettre à ce prince
et seigneur? Vous engagez-vous à fortifier son royaume, à l'édifier
par votre fidélité? Promettez-vous d'être obéissants envers ses com-
mandements, selon la parole de l'Apôtre : Que chacun soit soumis à
l'autorité? " A quoi tous les assistants, les princes aussi bien que les
derniers de l'assemblée, répondirent en chœur : c Oui, nous le pro-
mettons! ') Le serment du couronnement, contrat réciproque passé
entre le souverain et la nation, engageait tous les princes allemands,
ceux-là même qui n'avaient pu se rendre à l'assemblée; ainsi le
voulait l'antique tradition. On pouvait d'autant plus s'attendre à
voir les princes prendre en main la protection de l'Église et de son
chef, qu'alors, en Allemagne, les liens ecclésiastiques n'étaient encore
dénoués nulle part, et que nulle part la scission religieuse ne s'était
encore produite. En effet, quelle qu'eût été la gravité du mouvement
excité par les nouvelles doctrines et les écrits incendiaires de Luther
et de ses disciples, aucune conséquence pratique n'en était encore
résultée; l'ancienne constitution ecclésiastique, l'antique culte chré-
tien n'avaient subi aucune altération. Mémo à Wiltemberg, la sainte
messe était célébrée tous les jours. Il était donc permis d'espérer
' • Nostre principale intencion a toujours esté d'employer nostre dite puis-
sance au service de Dieu et du Saint Siéi^e apostolique, à l'amplificücion de nostre
saincte foy catholique et de la république rhrétienne, debtruction et ruyiie des
ennemis et turbateurs du repos et tranquilité des chrestiens et de nostre saincte
religion. " Barcelone, 16 août 1519. Lanz. Actenslûcke und Briefe, p. 104-105. Dës
l'époque des conflits électoraux, Charles avait dé^ laré que sa plus grande ambi-
tion était d'être un jour le témoin de - l'exaltation et de la propagation de la
sainte foi ». Voy. Bau.mgarten, t. I, p. 138.
* Convention entre Charles-Quint et Léon X,8 mai 1521. Voy. L.vnz, Aciensiûcke
«72<fiînV/e. Introduction, p. 256-258. — Uofler, Wahl und Thronbesteigung Adiian's II,
p. 7- 8. « Le papat, ...et l'empeyre • , écrit Charles à Adrien (7 mars 1 522 , ■ doist
estre une même chose unanime des deux. • Lanz, Correspondes, t. l, p. 59.
142 CllARLES-OUINT A LA DIÈTE DE WORMS. 1521.
que les princes et autres Ordres de l'Empire persévéreraient dans
les sentiments qu'ils avaient exprimés en 1512, alors qu'ils avaient si
hautement déclaré, à la diète de Cologne, leur résolution de main-
tenir la foi, l'Église romaine et le Saint-Empire romain de nation
germanique, affirmant que l'Empire, l'Église, l'Empereur et les
princes, unis, engagés réciproquement les uns envers les autres,
ne formaient qu'un grand corps, qu'une seule société chrétienne;
s'engageant à soulager la papauté de ses charges, et à protéger
énergiquement l'Église contre les tendances séparatistes qui com-
mençaient à se produire'.
Après que les questions et les réponses du serment eurent été
échangées, le Roi reçut à genoux l'onction sainte sur la tête, la poi-
trine et les mains; puis on le conduisit dans la sacristie, ou il fut
revêtu des ornements liturgiques : l'étole, la dalmatique et la chape.
On mit à son coté l'épée de Charlemagne ; on lui passa au doigt l'an-
neau d'or; on lui tendit le sceptre, et le globe impérial fut placé
«ntre ses mains. Enfin les électeurs posèrent sur sa tête la couronne
de Charles le Grand. Reconduit ensuite devant l'autel, le Roi y
renouvela son serment solennel, et reçut avant la fin de la messe la
sainte communion.
Peu de jours après l'auguste cérémonie, l'archevêque de Mayence
lut à haute voix, en présence de l'Empereur, un bref papal disant en
substance que le Souverain Pontife, ayant approuvé l'élection de
l'empereur Charles-Quint, désirait qu'à l'exemple de Maximilien son
prédécesseur, il portât dorénavant le titre à! Empereur romain élu'^ .
D'Aix-la-Chapelle, Charles se rendit à Cologne; c'est de cette ville
qu'il annonça à tous ses sujets que la diète d'Empire s'ouvrirait à
Worms le 27 janvier, immédiatement après le service divin, solen-
nellement célébré dans la cathédrale ; les états étaient invités à s'y
rendre en grand nombre ^
II
A l'ouverture de la diète, l'Empereur informa les états qu'étant
Allemand de naissance, son premier souci était la situation actuelle
du Saint-Empire romain, qui, si l'on n'y faisait promptement cesser
le désordre et les troubles, serait infailliblement démembré en
l'espace de peu de temps. Aussi s'était-il promis de tout tenter pour
venir à son secours; son premier désir était d'y remettre la loi en
' Voy. Neue Sammlung der Reichsabschiede , t. II, p. 137.
^ VOy. BUCHHOLTZ, t, I, p. 120. — ROESLER, p. 233.
3 BALMGARTEN, t. I, p. 400-401.
r)ÉMBr^:RATIONS POMTIQUKS a I.A diète de WORMS. 143
houucur, afin (ju'il fiUeusuilc plus aisé de (riompher des enncmisdu
nom clirélien. Mais il fallait premièrement aviser aux moyens de
restaurer le droit, la paix, le bon ordre et la police, et commencer
par instituer un conseil de régence chargé d'adminisirer les affaires
en l'absence de l'Empereur; car ce ne serai! (pie par la justice, la
paix et le maintien de l'ordre que l'industrie, dans toutes ses bran-
ches, pourrai! prospérer et s'accroître. L'Empereur désirait aussi,
et cela le plus promptement possible, comme les électeurs l'en
priaient instamment, aller recevoir à Home la couronne impériale;
il ferait ensuite tous ses efforts pour reconquérir les terres et prin-
cipautés ravies à l'Empire. Pour toutes ces choses, il réclamait le con-
seil et l'avis des états; il désirait ardemment voir le droit et la paix
rétablis, et les attaques à main armée, pratiquées sur les roules,
entièrement abolies, car il les avait dans une aversion particulière,
et ne pouvait les tolérer plus longtemps'.
Ce n'était pas dans un but intéressé qu'il avait ceint la couronne,
déclara-t-il dans un message postérieur. Il ne s'était pas proposé,
en acceptant l'Empire, d'étendre son royaume, ses possessions héré-
ditaires, et de grossir ainsi ses revenus; s'il avait désiré la suprême
couronne, ce n'était que par amour pour la nation allemande et
pour le Saint-Empire, « auquel, en gloire, beauté, pouvoir et force,
aucune monarchie de la terre n'était comparable, mais qui malheu-
reusement, et pour dire le vrai, n'était plus que l'ombre de lui-même,
et ne ressemblait plus en rien à ce qu'il avait été jadis ^ ». « 11 espé-
rait, grâce à ses alliances, aux ressources de ses possessions par-
ticulières, pouvoir lui rendre son antique splendeur. S'il réussis-
sait, il n'aurait pas seulement à s'en féliciter en qualité de chef
temporel de la chrétienté, de protecteur et défenseur de l'Église et
du Pape : le bénéfice de ses efforts reviendrait surtout à la nation, et
profiterait à tous, contribuant aussi au rétablissement de la paix et
du droit. » Son désir, sa volonté, pourvu que les états lui prêtassent
fidèle assistance et loyal secours, était de relever la gloire du Saint-
Empire. Il était prêt à exposer dans ce but sa vie et ses biens; il
'* Proposition du lundi après la Conversion de saint Paul. (28 janvier 1521.)
Archives de Francfort, liekhsiagsakicn, t. XXXIV, fol. 1-5.
* Il eût d'ailleurs été absolument impossible à l'Empereur de • remplir sa
bourse • à l'aide des revenus que lui fournissait alors l'Empire, car ces revenus
ne s'élevaient pas au-desSus de 13,000 Ooi-ins (et cela depuis Sijiismond}. Voy.
Frankforts Reichscorrcspondenz, t. I, p. 142. Voy. ce que Peulinger disait à ce
sujet à l'ambassadeur vénitien Contarini. Albéri, sér. I, vol. II, p. 20.) Jamais
Charles n'a profité pour lui-même des revenus de l'Empire. Jamais non plus il
ne songea à ajrandir ses propres possessions par l'annexion de territoires
allemands. Au contraire, on le voit abandonner le gouvernement de ses pays
héréditaires à son frère Ferdinand, et, pendant son règne, défendre plus d'une
fois les intérêts allemands au moyen des ressources que lui fournissent ses
propres États.
144 DELIBERATIONS POLITIQUES A LA DIETE DE WORMS. 1521.
se proposait de gourverner avec équité, et de travailler utilement
au bouheur de tous, secondé par des conseillers braves, intelligents
et pieux. Il considérait son honneur, sa dignité, comme l'honneur
et la dignité des états eux-mêmes. Il était donc juste que les Ordres,
dans leurs délibérations, se montrassent soucieux « de voir la gran-
deur, la suprématie de l'Empereur universellement reconnues, et
cela non-seulement en Allemagne, mais aussi à l'extérieur, afin que
nous et eux obtenions le respect général. 11 n'était pas nécessaire
que l'Empire eût beaucoup de maîtres; un seul suffisait, comme le
voulait l'antique tradition K "
Les discussions de la diète eurent pour premier objet l'établis-
sement du conseil de régence, qui, dans les vues de l'Empereur,
devait fonctionner pendant qu'il serait éloigné de l'Allemagne. Rela-
tivement à cette question, les états annoncèrent à Charles qu'ils s'ap-
prêtaient à lui remettre un projet où il pourrait tout de suite recon-
naître de quelles bonnes intentions ils étaient animés. Sa Majesté
s'apercevrait bien vite en en prenant connaissance que les Ordres
ne visaient qu'à relever la gloire de l'Empire et à augmenter le res-
pect dû à l'Empereur, qu'ils regardaient et vénéraient ^ comme
leur légitime souverain et seigneur, désirant vivement sa gloire et
sa prospérité, souhaitant fort d'en être les témoins, et de voir
l'Empereur surpasser en gloire et en prospérité tous les souverains
de l'Europe ^ =;.
Mais lorsque Charles eut examiné le plan de gouvernement pro-
posé par les princes électeurs, il put croire « qu'ils n'avaient voulu
que se railler de la majesté impériale ". En effet, les oligarchiques,
sous un si jeune souverain, avaient cru le moment favorable pour
accaparer à leur profit le pouvoir exécutif, se flattant de pouvoir
ensuite traiter à leur guise les autres corps de l'État ^ Dans leurs
exigences ambitieuses, ils allaient encore au delà de l'ordonnance
gouvernementale t dictée jadis à Augsbourg sousMaximilien (1500) '•.
Le nouveau conseil de régence devait, même lorsque le Roi serait
en Allemagne, exercer toute autorité, et, selon l'expression fort
juste d'un délégué des villes, « soulager entièrement Sa Majesté du
fardeau du pouvoir ". Charles, indigné, s'écria « qu'en vérité on
semblait le considérer comme trop jeune encore pour gouverner!
Cependant, n'avait-il pas été élu à l'unanimité des suffrages, et par
' Lundi après Oculi (4 mars !521). OtENSCHLiGEn, Erlauterunjen, Urkundenbuch,
15-19. Arctiives de Francfort, Rekhstagsaktev, t. XXXI V, fol. 35'', 59.
- * .Jeudi après Oculi 7 mars). Archives de Francfort, Reichstagsakten, t. XXXIV,
fol. 60-64. Waltz, -Hj, note 5.
' Voy. le mémoire du duc Guillaume de Bavière, 9 février 1521. Jörg, 8.
* Voyez noire premier vol., p. 510-511.
DÉLIBJ'IIATIONS POUTIOUIOS A LA DlflTK DE WORMS. 1521. 145
conséquent n'avait-il pas été déclaré majeur? Ur, lorsqu'on est
majeur, on n'a besoin ni de curateurs, ni de tutelle. » 11 ne convenait
point " à sa dignité, à son autorité, à la considération à laquelle il
avait droit, (ju'étant en personne dans l'Kmpire, le conseil de ré-
gence eût en main l'administrai ion et le pouvoir. 11 ne soulfrirait
jamais que l'autorité, que la dignité royale, qui jusque-là avaient été
prêtées ou reconnues à ses prédécesseurs par les lois divines et
humaines et par les coutumes du pays, fussent en rien diminuées en
sa personne '. »
Après de longs débats, il fut décidé que le conseil de régence
ne fonctionnerait que pendant l'absence de l'Empereur, et n'aurait,
dès l'arrivée de Charles dans l'Empire, « d'autre titre que celui de
conseil ». L'Empereur, dès ce moment, devait lui assigner à l'inté-
rieur un cercle particulier d'activité. Dans les questions encore en
suspens, le conseil conserverait la première autorité; mais dans les
affaires qui surviendraient l'Empereur étant présent, rien ne pour-
rait être traité sans l'assentiment du souverain. En l'absence de
Charles, le conseil de régence était investi de la toute-puissance,
devenait l'organe suprême et central du pouvoir pour toutes les
affaires intérieures, et se constituait en tribunal souverain; l'admi-
nistration, la surveillance générale, tout lui était remis; il avait aussi
mission de régler les questions de féodalité, mais toutefois l'Empe-
reur se réservait le droit de donner l'investiture des grands fiefs, et
de prononcer en dernier ressort dans les discussions qui pourraient
survenir à ce propos. La décision prise alors au sujet de la justice
ecclésiastique devait par la suite avoir de très-graves conséquences :
le conseil de régence fut chargé de l'exercer, et d'agir en qualité
de « déi^nseur autorisé de la foi ». Le lieutenant impérial et vingt-
deux membres devaient composer le conseil. Charles avait droit à la
nomination de quatre d'entre eux : deux en sa qualité d'empereur
d'Allemagne, deux comme souverain de l'Autriche et de la Bour-
gogne. Le choix des autres conseillers était abandonné aux états.
Au lieu de s'intituler comme du temps de Maximilien : ^- Conseil
royal et du Saint-Empire », l'Empereur exigea que le nouveau pou-
voir prit le nom de Conseil de l'Empereur dans le Saint-Empire romain.
Les conseillers, au lieu de prêter serment comme autrefois à l'Empe-
reur et à l'Empire, n'eurent plus à le prêter qu'à l'Empereur. Nurem-
berg fut choisi pour siège du gouvernement pendant les dix-huit
mois qui allaient suivre; la Chambre impériale devait aussi tenir ses
séances dans cette ville pendant le même espace de temps-.
* Harpprecht, Staatsarchiv, 4'', p. 112-117.
* Pour plus de détails, voy. Wtneken, p". 581-628.
II. 10
146 DÉLIBÉRATIONS POLITIQUES A LA DIÈTE DE WORMS 1521.
Les délibérations relatives à la remise en activité de cet organe
suprême de la justice prirent un temps considérable. » La Chambre
impériale », écrivait à Francfort le délégué de cette ville, Philippe de
Furstemberg (9 février), -< est un animal si farouche que chacun s'en
montre tout déconcerté; personne ne sait comment rapprocher; Tun
conseille ceci, l'autre cela '. » « Comment en venir à bout? comment
rétablir le souverain tribunal?« écrit-il encore., le 26 février; « c'est
ce qu'on discute en ce moment avec beaucoup de zèle et de labeur.
Mais parmi les docteurs qui délibèrent, et ils sont nombreux, aucun
ne me paraît avoir encore trouvé une solution pratique -. A la
fin, on en revint, à peu de chose près, aux ordonnances édictées
sous Maximilien; seulement, le nombre des assesseurs fut augmenté
de deux membres, et l'Empereur s'en réserva le choix. Pleinement
d'accord avec les états sur ce point, Charles s'occupa ensuite de
l'affermissement de la paix publique. Il en étendit les conditions,
et l'antique alliance entre le pouvoir spirituel et temporel fut encore
une fois cimentée par une loi portant que tous ceux qui persévére-
raient audacieusement dans leur conduite rebelle un an et un jour
après avoir été mis au ban, encourraient la peine de l'excommuni-
cation ecclésiastique ^
Les états s'étaient offerts à fournir la somme nécessaire au main-
tien du conseil de régence et de la Chambre impériale. Cette somme
se montait à cinquante mille florins, et il s'agissait maintenant d'avi-
ser aux moyens de se la procurer; « car en fin de compte =•, écrivait
à Francfort Philippe de Furstemberg, " si l'on veut rétablir la justice
et la paix, il faut nécessairement trouver de l'argent ".
Mais, pour ne point payer, chacun inventait des excuses. « Nous
sommes maintenant tous emprisonnés; personne ne peut plus bou-
ger », écrit Furstemberg; « Metz touche à la Lorraine et s'attend
tous les jours à un assaut des Français; Nuremberg n'a pas eu de
répit depuis vingt et tant d'années; Ulm est surchargée de taxes;
Cologne a la bourse vide; Francfort a vu diminuer le nombre de
ses bourgeois et de ses richesses, et les mauvaises monnaies l'ont
appauvrie; Worms a été forcée, pendant ses guerres privées, de
débourser plus de cent mille florins; Spire est ruinée par son clergé
et par les douanes récemment établies. Jamais on n'entendit de
pareilles lamentations! » « Les comtes, seigneurs, chevaliers pré-
sentent ou font présenter leurs excuses par écrit. Si l'on ne fait un
' * Samedi après sainte Dorothée (9 février 1521). Archives de Francfort, Heiscks-
tagsakien, t. XXXV, fol. 16. Ranke {Deutsche Geschichte,-t. I, p. 468) a mal interprété
le premier passage.
^ * Mardi après saint Matthieu (26 février). Rekhstagsahten, t. XXXV, fol. 21.
» Voy. Haberlin, t. X, 351-367.
DÉLIBÉRATIONS l'OLITIQUES A l.\ DIKTE DR VV0R:\IS. H7
devoir positif aux pauvres comme aux riclics de payer Timpôl, ils ne
voudront entrer dans aucun arrangement. Ouelques princes et pré-
lats se dispensent tout simplement d'apporter leur continj^fent; d'au-
tres disent tout haut que ne retirant aucun avantage de l'Empire, ils
ne voient pas bien pourquoi ils seraient contraints de se dépouiller
en sa laveur. ;> Plusieurs princes proposaient de prélever les sommes
nécessaires sur le produit des annales, ou bien sur les revenus tou-
chés par Rome sur certains tiefs ecclésiastiques; d'autres étaient
pour l'établissement de nouvelles douanes, conseillaient de taxer les
Juifs, ou d'imposer toutes les marchandises provenant de France et
des pays welches : « Ilcm, impôt sur tout objet d'or, d'argent, d'acier,
de cuivre, de fer et d'autres métaux travaillés; item, impôt d'un
florin sur vingt pour tous les chevaux envoyés hors des pays alle-
mands. » A entendre les princes, de semblables mesures n'obére-
raient en rien le pauvre homme, le paysan de peu de ressources.
Mais les délégués des villes ne voulurent jamais donner les mains à
aucun de ces projets. A la fin, on convint, abstraction faite de
quelques exceptions, que chacun, pour le maintien de la Chambre
impériale et du conseil de régence, payerait cinq fois ce qu'il avait
, donné auparavant pour l'entretien de la Chambre impériale *.
Quant à la politique extérieure, Charles, présent en personne à la
; réunion de l'hôtel de ville, fit représenter aux états ^ (21 mars) que
j l'honneur, la prospérité et la gloire du Saint-Empire tenaient encore
I à deux objets importants : le couronnement de l'Empereur à Rome,
I et le recouvrement des pays qui avaient été ravis à l'Empire pendant
I les funestes guerres d'Italie. L'Empereur, si les états, selon leur
j pouvoir, lui venaient loyalement en aide, était prêt à exposer sa vie
I et ses biens pour amener ces résultats si désirables; il s'offrait à
j équiper deux mille cuirassiers au moins, plus un bon nombre de
cavaliers de moindres armures, et promettait le concours de dix
i raille Suisses et de sept mille Espagnols. Il demandait aux états de
fournir de leur côté pendant un an vingt mille hommes de pied et
quatre mille cavaliers. Une prompte décision était urgente, « car
personne n'ignorait que les ennemis de Sa Majesté faisaient d'actifs
préparatifs de guerre ». Depuis quatre siècles, « jamais plus belle
occasion de servir l'Empire ne s'était offerte; mais il n'y avait pas
de temps à perdre ». S'il obtenait ce qu'il demandait, Charles se ren-
drait tout de suite en Italie ; s'il se voyait déçu dans son espoir, il se
' * Lettres de Philippe de Furstemberg, lundi après l'Ascensionf 13 mai) et lundi
après la Pentecôte (20 mai) 1521. Archives de Francfort, Reichstagsahten, t. XXXV,
fol. 52-55.
- Furstemberç écrit le 24 mars 1521, jour des Rameaux, que l'Empereur était
présent à l'hôtel de ville le jeudi d'auparavant. Reichstag takien, t. XXXV, fol. 37.
Voy. BAUMGiRTEN, t. I, p. 442.
10.
148 DÉLIBÉRATIONS POLITIQUES A LA DIÈTE DE WORMS.
déclarait innocent devant Dieu et devant les hommes des malheurs
qui pourraient fondre sur T Allemagne, protestant < qu'il n'avait pas
tenu à lui que le Saint-Empire ne fût secouru ». « Il se verrait alors
autorisé à pourvoir d'une autre manière à ses propres intérêts, soit
par la guerre, soit par la paix, car ses possessions héréditaires récla-
maient d'une manière pressante ses soins et ses efforts. » 11 s'offrait
néanmoins à rétablir et à maintenir dans le Saint-Kmpire « le bon
gouvernement, la paix, la justice, le pouvoir exécutif et les lois, et
à entreprendre tout ce qui pourrait contribuer à la prospérité et au
bien de la nation ' ".
Quant aux Suisses, qu'il espérait rattacher de nouveau étroite-
ment à l'Empire et décider à prendre part à l'expédition romaine,
l'Empereur, quelques semaines auparavant, avait exposé ses vues
aux états. Plusieurs nations étrangères, leur avait-il dit, sont dans
l'usage et la pratique de faire des conventions, des aUiances et des
traités avec les Suisses, qui, tout sujets impériaux qu'ils sont, se
laissent fréquemment entraîner à la rébellion contre leur pays. Un
tel état de choses ne pouvait durer. L'Empereur proposait d'envoyer
aux Suisses des ambassadeurs experts et bien intentionnés, chargés
de leur présenter une triple requête. En premier lieu, on les prierait
instamment, eux, membres et sujets de l'Empire d'Allemagne, de ne
plus se liguer dorénavant avec les nations étrangères contre l'Empe-
reur et les états. Secondement, on les invitait à accorder à Charles,
qui s'engageait à les solder, dix mille hommes d'armes pour l'accom-
pagner à Home et l'aider à recouvrer les pays qui lui avaient été
ravis. Enfin l'Empereur désirait voir se conclure une entente cor-
diale et solide entre le Saint-Empire, les états et les Suisses, afin que
de bons rapports de voisinage pussent s'établir entre la Suisse et
l'Allemagne, et que la guerre et les soulèvements, si facilement exci-
tés entre pays limitrophes, fussent à l'avenir évités. L'Empereur et
les états « considéreraient toujours les Suisses comme membres de
l'Empire s'ils consentaient à cet accord, et s'engageaient à les proté-
ger et à les défendre de tout leur pouvoir contre leurs ennemis' ».
Le 13 mai, les états se déclarèrent prêts à fournir le nombre de
cavaliers et d'hommes d'armes réclamés par l'Empereur pour l'expé-
dition romaine et pour le recouvrement des pays détachés de
l'Empire; mais ils ne s'engageaient à les livrer ([ue dans quinze
mois, seulement pour six mois, et à la condition expresse qu'on
' Proposition impériale, Archives de Weimar, publiée par Wyneken, 624-625.
^ * Remontrance de l'Empereur aux états, jeudi après Oculi (7 mars) 1521, dans
les Archives de Francfort, Reichttagsakten, t. XXXIV, fol. 64-67. — Voy. aussi la
lettre de Philippe de Furslemberg et de Biaise de llolzhausen, dimanche de
l.atare (10 mars), dans les Heichsiagsakten, t. XXXV, fol. 31.
IJÉLIBÉHATIONS POLITIOCKS A LA DIKIE DE WORMS. 149
n'exigerait d'eux que des troupes, et point d'argent, afin que nul
« agiotage » ne piU résulter de cette couvcnlion. Le départ et la
rentrée des hommes d'armes devaient s'eflecluer en l'espace de
six mois. Dans le cas où la paix et la justice n'auraient pas été
maintenues pendant ce temps à l'intérieur, les états ne s'enga-
geaient pas à porter remède au mal'. Des cadres maîriculaires*,
organisés à nouveau, répartirent les contingents de troupes entre
tous les ordres. Ces cadres lurent consultés et restèrent en usage
aussi longtemps que la constitution de l'Empire fut maintenue en
Allemagne \
Les princes n'avaient pas invité les délégués des villes à prendre
part aux délibérations relatives à l'expédition romaine; ceux-ci se
plaignirent hautement d'un pareil procédé, le déclarant " inique et
entièrement opposé aux anciens usages ; ; car, disaient-ils, < s'ils
devaient partager la bonne fortune ou les revers de la nation,
comme les autres ordres, s'ils étaient tenus de venir en aide au
pays, et cela au delà même de leurs ressources, du moins devaient-
ils être admis à délibérer à la diète sur les mesures à prendre «. A la
suite de ces plaintes, un de leurs délégués fut appelé au sein du
comité, afin de veiller à ce que les cités qui dans le premier projet
avaient été trop peu imposées, fussent taxées plus fortement, et
celles trop obérées, soulagées d'une partie de leur dette*.
- Plaise à Dieu ", écrivait le député de Francfort après avoir con-
signé dans sa dépêche les délibérations dont nous venons de parler,
' que quelque chose de bon sorte de tout ceci, et qu'on songe enfin
à l'honneur, à la paix, à la justice, et au recouvrement des pays alle-
mands! Mais je crains bien, et j'ai toujours eu ce pressentiment, que
tant d'efforts n'aboutissent à rien^! »
En effet, les excellentes dispositions des états étaient destinées à
n'amener aucun résultat, et la faute en doit être entièrement attri-
buée au complot révolutionnaire qui agitait alors l'Allemagne
entière, menaçant autant les intérêts politiques que l'organisation
de l'Église.
' "" Lettre de Phil. de Furstemberg, lundi après l'Ascension (13 mars 1521, dans
les Reichstagsahten, t. XXXV, fol. 52. Cette réponse devait être remise à l'Empe-
reur ■ aujourd'hui •, par conséquent le 13 mai.
* Xeue Sammlung der lieichsahschiede, t. II, p. 216-229.
' Us étaient désignés sous le nom de « matricule nouvelle et légale ■. Voy.
Haberlin. t. X, p. 370-371.
** Lettre de Phil. de Furstemberg, lundi après la Pentecôte (20 mai), dans les
Reichstagsakten, t. XXW, fol. 55.
' Voy. la lettre citée dans la note précédente.
150 LE LEGAT ALEANDRE,
III
La bulle de Léon X déclarait Lu(her hérélique et condamnait
ses écrits à être publiquement brûlés. Pour veiller à l'exécution de
Farrêt du Saint-Siège, pour que la peine du ban encourue par
Luiher reçût son application, le Pape députa deux légats en Alle-
magne : Marino Caraccioli, proîonotaire apostolique, et Jérôme
Aléandre, chef de la bibliothèque du Vatican.
Aléandre était un esprit supérieur, et l'un des humanistes les plus
éminents de son temps. A Paris, ses cours de grec avaient obtenu
un succès extraordinaire. Un étudiant allemand, qui y assistait,
rapportait qu'à ses conférences sur Ausone, le grand nombre des
assistants avait obligé le professeur à quitter la salle ordinaire de&
cours pour un local plus vaste. Parfois plus de deux mille auditeurs,
de toute condition, se pressaient autour de sa chaire, « semblables
à une armée compacte «. On remarquait parmi eux les hommes les
plus distingués de la ville. En 1511, Aléandre était venu se fixer en
Allemagne pour y suivre le progrès et l'épanouissement des études
grecques, et y surveiller la publication des chefs-d'œuvre classiques.
En France, en Italie, on rencontrait, disait-il, d'excellents esprits;
mais selon lui on s'y vouait de préférence, et non sans quelques mobiles
intéressés, aux arts dont on pouvait attendre un profit immédiat;
en Allemagne, au contraire, les savants n'étaient mus que par l'amour
de la vérité; s'ils mettaient tant d'ardeur à agrandir toujours davan-
tage le cercle des connaissances humaines, ils n'y étaient excités
que par le seul désir d'acquérir de la gloire; ils ne cherchaient que
le bénéfice commun des peuples; glorifiant les anciens arts, ils en
inventaient de nouveaux'.
Aucune nation, telle avait été jadis la conviction d'Aléandre,
n'était plus dévouée à l'Église que l'Allemagne. Mais revenant
dans son pays après dix ans d'absence, il trouva, dans tous les
cercles de la société, des dispositions toutes nouvelles. Jadis il avait
' « Bona invenio ingénia in Gallia, bona in Italia, sed utraque haec gens ut
plurimum illotis non sine avaritia' nota pedibus sese ad eas artes dat, ex qui-
bus solura praesentaneum lucrum speret. At Germania virtutis unius aniore
commota semper novi aliquid quaerit, nnde sibi potius {^loriam compare! quam
lucelkim... in communem gentium usum lal)orat. artes veteres illustrât, novas
invenit... » Uorawitz, Michael Hummelberger, t. IV, p. 31-32, 47. — Voyez Jansen,
p. 15-16. Aléandre n'était pas Allemand de naissance; voy. sur ce point Jansen,
p. 19-21.
LE LÉGAT ALÉANDRE. 151
été tenu en haute eslime par les humanistes; mais depuis qu'il avait
pris en main la défense de rÉ{>Iise contre Luther et Ilutten, ses
amis, ses élùves d'autrefois étaient devenus ses adversaires les plus
acharnés, ils l'accusaient, ainsi qu'il l'écrit lui-même à Rome,
' d'avoir trahi les belles-lettres, flatté les courtisans, soutenu la
cause des Frères prêcheurs* >. Ilutten attenta même à sa vie, et
Luther re^jretta que cette tentative eût échoué*. < L'Allemagne »,
écrit Aléandre, « regorge de grammairiens et de poètes qui s'ima-
ginent ne pouvoir être des savants, ni surtout des hellénistes, s'ils
ne s'écartent du chemin tracé par l'Église ^ Les maîtres en droit
canon et en droit romain appartiennent tous au parti de Luther.
Le clergé lui-même, à l'exception des curés, est en grande partie
atteint par l'erreur ^ Une légion de nobles tombés dans la misère
brûle, sous la conduite de Hütten, de répandre le sang des prêtres,
et n'attend qu'un signal pour faire éclater la révolte. L'Allemagne
entière est exaspérée contre Rome. On soupire de tous côtés après
la réunion d'un concile sur le sol allemand. On se moque de l'excom-
munication du Pape; un nombre incalculable de personnes ne
s'approchent plus du sacrement de pénitence. » En un mot, Aléandre
voyait se déchaîner contre le Saint-Siège cette furieuse tempête
qu'autrefois, il y avait de cela cinq ans, il avait prédite au Sou-
verain Pontife sans parvenir à se faire écoutera « L'aversion contre
Rome s'enracine toujours plus profondément dans les classes diri-
geantes ", écrit-il.
Aléandre estimait que dans le cas où Luther ne pourrait être
* Relation d'Aléandre, Friedrich, p. 95-96. — Balan, p. 31. — Brieger, p. 28.
* Voy. la lettre de Luther dans de Wette, t. I, p. 523. Voy. plus haut, p. 108,
note t. » Coinmuni omnium rumore », écrit Aléandre, " circumfertur che Ilutten
con li suoi coniurati me cercano ammazzar, et sono advisato non solum io da
miei amici, ma ancor proxime alcuiii principi et certi secretari di César hanno
advertito Liege, che me admonisca, che io mi guardi, che a gran pena la scaperô
di questa Germania. » Friedrich, p. 96. — Balan, p. ^2. — Brieger, p. 29.
' • ...Morosissimum grammatistarum et poeticulorum genus, quorum Ger-
mania plenissima est. Ili tune demum putant se haljeri doctos, et presertim grece,
quando profitentur se dissentire a communi ecclesiae via. ^
* Ce sont justement ces prêtres - che sono promoti per Roma, fanno peggio
che gl' altri ». Cochlaeus et Eciv envoyèrent plusieurs rapports analogues à
Rome sur ces ■ favoris de la curie ». Lck écrivait à Contarini à propos de la
propagation des nouvelles doctrines (13 mai 1540) : « Praelati et canonici et qui
pinguia habebant bénéficia a sede apostolica, plus muti erant (sicut hodie sunt)
quam pisces. • Raynald, ad a. 1540, n. 6.
* Rapport d'Aléandre dans Friedrich, p. 95-99, 113. — Balan, p. 98-99. —
Brieger, p. 47-49. « Al présente ben io in'arrecordo, che essendo io già 5 anni
mandato a Roma... io dissi a Nostro siguore quello che quasi vedemo avenuto,
che io teinea tumulto Germanico contra Sedem Apostolicam, perché l'havea già
inteso da molti in questi paesi, H quali non expettavano altro se non un pazzo che aprisse
la bocca contra Roma, sed tunc mihi nihil credebatur. • Balan, p. 73. — Friedrich,
p. 107. — Brieger, p. 73.
152 LE LÉGAT ALÉANDRE.
amené à se rétracter, le meilleur moyen d'arrêter les progrès de
l'hérésie serait de faire brûler publiquement ses ouvrages. De cette
manière, la réprobation de l'Eglise serait promptement connue en
Allemagne et dans le monde entier. Un acte si public, croyait-il,
accompli de par l'autorité du Pape et de l'Empereur, aurait une
heureuse influence sur les laïques, un moment enfrainés par des
prédications haineuses et par des milliers de pamphlets. Déjà, pour
la Bourgogne et les Flandres, possessions particulières de l'Empe-
reur, Aléandre avait mis à exécution la mesure qu'il recomman-
dait. A Cologne aussi, pendant le séjour de l'Empereur, les livres
luthériens avaient été brûlés dans la cour de la cathédrale'.
Mais dans celte même ville, Aléandre, précisément au sujet de
l'exécution de la bulle, s'était heurté pour la première fois à des
difficultés qui dans la suite devaient se représenter trop fréquem-
ment. Elles furent alors soulevées par Frédéric de Saxe. Aléandre
et Caraccioli lui avaient fait remettre (4 novembre 1520) des lettres
pontificales lui enjoignant de livrer aux flammes tous les écrits
de Luther, et de s'assurer de sa personne, soit pour le tenir sous
bonne garde, soit pour le faire comparaître à Rome-. Ainsi mis
en demeure d'agir, Frédéric avait demandé du temps pour réfléchir
à ce qu'on exigeait de lui, et, le lendemain, avait réclamé l'opinion
et le conseil d'Érasme, en ce moment à Cologne.
Érasme, dans ses lettres à l'Électeur, s'était toujours montré favo-
rable à Luther. Tous ceux à qui la religion était chère, préten-
dait-il, lisaient et admiraient ses écrits*. Cela n'avait pas empêché
ce même Érasme d'écrire à un évêque espagnol (mars 1520) « que
dans les différends religieux récemment soulevés, tout pieux fidèle
devait prendre parti pour le Pape, car Luther fomentait les émeutes,
les troubles, et publiait des libelles toujours plus amers et plus hai-
neux >'. Le 13 septembre de la même année, s'adressant à Léon X,
il affirmait encore au Souverain Pontife que jamais il n'avait lu les
écrits de Luther, qu'à peine il en avait parcouru dix ou douze pages,
et cela en courant, sans les approfondir; qu'il était bien décidé
à ne jamais contredire sur quelque point que ce fut l'évêque de
' « Nemo illic est •, écrit Aléandre en 1522 ou 1523 dans un mémoire suri es
griefs de l'Allemagne, « qui non saltem oh odium sedis apostolica' sit macula-
tUS -. DlTTRlCH, Histor. Jahrbuch der Görrcsgesellschaft, t. III, p. 677.
* Bala>, p. 69-70. La supposition de .sieidan est fausse. « Petebant... ut ipsum
yel capiie plecteret \e\... • Il ne fut janiais question dans les délibérations d'infli-
ger à Luther le dernier supplice. ■ Naui pontificis Romani mentem non esse »,
dit Aléandre, ■ procedendi contra ipsius Lutheri personam, ut qui nolit manus
suas (ut Aleandri verlis utamiir) ejus sanyuine pinguefacere. » C'est ce que nous
lisons dans le Brevis Commemoralio rerum Coloniœ aelarum. Lutheri Op. lalina, t. V,
p. 248.
' Four plus de détails, voy. Hess, t. II, p. 30-36.
ÉRASME POUH ET CONTRE LUTHER. 153
son diocèse, et comprenait assez l'obéissance plus parfaite qu'il
devait au suprême représentant de Jésus-Christ sur la (erre. Aupa-
ravant, lorsqu'on était encore libre de prendre parti pour ou
contre Luther, jamais il ne s'était ranp,é à son opinion, jamais il
ne l'avait pris sous sa protection '. Telles avaient été les assurances
officielles d'Érasme; mais chez l'Électeur, il avait tenu un lanj^age
fort différent. Interrogé par Frédéric sur la question de savoir
si Luther avait erré dans ses écrits et dans ses prédications, il
avait commencé par sourire; puis, au rappori de Spalatin, il avait
répondu : « Luther a fait deux lourdes faules : il a attaqué la cou-
ronne des papes et le ventre des muines ^ » 11 s'était ensuite
«xprimé si favorablement sur la doctrine de Luther que le conseil-
ler et chapelain particulier de l'Électeur, Spalatin, l'avait pressé de
mettre par écrit quelques-unes de ses appréciations. Érasme, pour
lui complaire, avait écrit ses Axiomes, ou il disait entre autres
choses que la guerre commencée contre Luther n'était entretenue
que par les ennemis des lettres; qu'elle provenait d'une présomp-
tion tyrannique; que les chrétiens bons et justes, les vrais amis
de la sainte Écriture n'étaient nullement choqués des doctrines de
Luther; que la bulle, au contraire, les scandalisait grandement;
Luther en avait appelé avec raison au jugement d'hommes impar-
tiaux; le monde était altéré de vérité évangélique; il était répré-
hensible de .s'opposer, dans un esprit de haine, à un pareil élan,
et l'Empereur, au début de son règne, aurait grand tort de se
rendre impopulaire en adoptant des mesures de rigueur'. Ce n'était
point de par l'autorité ecclésiastique, c'était par quelques hommes
impartiaux, éclairés, qu'Érasme voulait voir résoudre les questions
soulevées par Luther. De l'Empereur, à son avis, « il y avait peu à
attendre, car il était assiégé de papistes* ». Tremblant que son
manuscrit ne vint à tomber entre les mains du légat, Érasme s'était
hâté de le redemander dès le lendemain à Spalatin, et celui-ci, très-
attaché aux idées nouvelles, eut alors bien sujet de s'écrier ironi-
quement : « Voyez avec quelle hardiesse Érasme se prépare à con-
fesser la vérité évangélique ! » Mais bien que Spalatin eût rendu le
manuscrit à Érasme, les Axiomes furent livrés à l'impression, au
grand déplaisir de leur auteur. Aussi, peu de jours après son entre-
1 Voy. Stichart, p. 328-331. Le 12 mai 1521 , il écrivait à Juste .Tonas : ■ . . .ad pri-
mum gustum opusculorum, quac l,utheri nomine prodire cœperant, plane
verebar ne res eiiret in tumuUum ac publicum orbis disaidium. ■> Op. III, p. 639,
ép. 572.
- OEuvres posthumes de Spalatin, p. 164.
' Axiomata Erasmi, Lutheri Op. latina, t. v, p. 241-242.
* • Olim Erasmus scripit. nihil esse spei in Carolo, sophistis et papistis
obsesso. » Luther à Spalatin, 27 février 1531; de Wette, t. I, p. 562.
*54 LUTHER £T LÉGLISE. 1521.
tien avec l'Électeur, Érasme avait-il écrit à un ami dans l'espoir de
se mettre à couvert : « Pour plus d'un motif, j'ai toujours refusé
de me mêler en rien à la querelle luthérienne ' ! »
« Erasme est un ennemi plus redoutable que Luther », disait
Aléandre; « c'est le véritable père de la nouvelle hérésie ^ »
L'Electeur, après son entretien avec Érasme, avait fait répondre
aux nonces qu'il lui était impossible de souscrire à leur demande,
Luther en ayant appelé. D'ailleurs, il était à présumer qu'un nombre
considérable de chrétiens, savants ou ignorants, prêtres ou laïques,
étaient déjà acquis au parti luthérien. La doctrine, les sermons, les
écrits de Luther n'avaient pas été assez examinés et discutés pour
qu'on eiit le droit de les détruire. Le plus sage, selon lui, serait de
faire comparaître l'accusé, protégé par un sauf-conduit, en présence
de juges impartiaux et éclairés '. Frédéric avait parlé dans ce sens
aux conseillers les plus écoutés de l'Empereur, le seigneur de Chièvres
et le comte Henri de Nassau. Le 28 novembre, Charles- Ouint fit
parvenir à l'Électeur l'ordre d'amener Luther avec lui à la diète
de Worms, où il aurait à s'expliquer devant les états; Frédéric,
jusqu'à ce moment, devait l'empêcher de rien publier d'injurieux
pour le Pape et le Siège apostolique \ Mais après que Luther, le
10 décembre, eut brûlé en grande pompe la bulle du Pape et les
livres de droit canon, Charles-Quint révoqua cet ordre. Luther avait
été encouragé à cet acte par Jean-Frédéric de Saxe, qui, le 20 dé-
cembre, lui exprimait toute sa gratitude de voir qu'en dépit de la
condamnation du Pape, il continuait à prêcher et à écrire comme
auparavant. Il avait l'intention, lui écrivait-il, de lui en témoigner
sa satisfaction par ses bonnes grâces \
Luther, avec une infatigable ardeur, continuait à exciter le peuple
contre le chef de la chrétienté. Dans son sermon pour le jour de
' Voy. Stichart, p. 327. Il écrivait au recteur de l'Université de Louvain : « Per-
sonne ne m'a jamais entendu approuver la doclrine de Luther. Je n'ai pas même
pris la peine de lire ses livres, à l'exception de quelques pages; encore les ai-je
dégustées plutôt que lues. Dans vos disputes avec Luther, je me suis tenu con-
stamment du bon côté. Lorsque les livres du docteur furent brûles, personne
ne m'en a vu affligé. J'ai écrit et dit beaucoup de choses en particulier dans
le dessein de corriger l'extrême acrimonie de ses écrits, et là-dessus on m'appelle
luthérien. . —Stichart, p. 351.
* Voy. plus haut p. 14. note 2. « A Colonia, dove fu irovato Erasmo la nette
andar ad pervertir li Elettori et far el peggio che lui potea... ■ - Erasmo il
grand fundameiito di que.ia heresia. » Rapport d'Aléaudre dans Friedrich,
p. 115-116. — Balan, 10I-1Ü2. — BuiEGER, p. 62-54.
» Luiheri Op. latina, t. V, p. 244-248. Le noiice avait même eu de la peine à obtenir
une audience de l'Électeur, et cependant il lavait réclamée au nom du Sou-
veraiu Pouiife ». — Voy. Förstemann, Xeues Urhundcnbuch, t. I, p. 32.
^}/lVLLV.i\, Staatscabincl, t, VIII, p. 279-281.
' BURKARDT, Luther's Briefwechsel, p. 35-36.
LUTHER ET L'ÉGLISE. 1521 155-
rÉpiphanie (1521), il compare le Pape au roi Hérode, « qui, l'âme
pleine d'hypocrisie, ose feindre d'adorer .Jésus-Christ, tandis qu'en
réalité il ne songe qu'à lui tordre le cou ». « Le gouvernement du
Pape et le royaume du Christ sont aussi opposés l'un à l'autre que
l'eau et le feu, le démon et l'ange '. " « Le Pape », dit-il dans un
écrit publié en allemand (1" mars), « est pire que tous les démons
réunis, car il condamne la foi, ce qu'un démon n'a jamais fait. Et
parce que je le nomme le plus grand homicide qu'ait supporté la
ferre depuis le commencement du monde, l'assassin à la fois des
corps et des âmes, je suis. Dieu merci, un hérétique pour Sa Sain-
teté, et aux yeux de ses papistes. » Luther, dans le même écrit,
rejette de nouveau les conciles, et particulièrement celui de Con-
stance, <i où le saint Évangile fut condamné avec Jean Huss, tandis
que le dragon infernal lui était substitué ». « Mais saint Jean a osé
trop peu ,continue-t-il; cil n'a fait que commencer à prêcher l'Évan-
gile. J'ai fait cinq fois plus que lui, et cependant je tremble d'avoir
encore été trop timide. Jean Huss ne nie pas que le Pape ne soit la
première autorité du monde; il se borne à affirmer que bien qu'un
mauvais pape ne fasse même pas partie de la sainte chrétienté,
parce que tous les membres de l'Église doivent être saints, ou du
moins travailler à le devenir, il tient qu'il faut tolérer ce mauvais
pape comme on doit supporter les tyrans. Au lieu que moi, si saint
Pierre lui-même siégeait aujourd'hui à Rome, je continuerais à nier
que son autorité soit de droit divin, et que Dieu l'ait établi au-dessus
des autres évêques. La papauté n'est qu'une invention humaine.
Dieu n'en sait rien. Toutes les décrétales du Pape sont contraires au
Christ, elles sont écrites sous l'inspiration du mauvais esprit, et je
les ai briHées avec joie*. » ALiis ses livres, à lui, ne devaient être ni
brûlés, ni interdits; sa doctrine avait-elle été discutée, trouvée en
faute? « D'ailleurs, quand bien même tout le genre humain se ran-
gerait du côté du Pape et des bulles », dit-il dans son Instruction
pour les fidèles qxii se disposent à la confession, " le Pape et les bulles
condamnent si manifestement l'Évangile et la foi, que, loin de leur
obéir, il faut les brûler et les détruire ^ »
' Sümmtt. IFerke, t. XVI, p. 39-40.
* Dans l'écrit intitulé : Grund und L'rsach aller Artikel so durch die römische Bulle
unrechilich verdammt worden Snmmtl. Werke, t. XMV, p. 96, 134-140. Oll se servit aussi
1 pour combattre la papauté du Passional Christi und Antichristi ; Luther en fournit
le texte, et l.ucas Cranach les gravures. L'idée première de ce parallèle entre
' Jésus-Christ et le Pape a été prise dans une ancienne poésie latine, Antuhesis
I Ckriiti et Antechrisli, per Conr. Xuccr. Vov. KnaaKE, dans le Zeilschrift fur die
I getammie lutherische Theologie und Kirche, t. XXXII, p. 70-73.
i 3 Sämmil. Werke, t. XXIV, p. 203-207. Dans vetlG Instruction, Luther déclare que
I celui qui tient sa doctrine pour orthodoxe ne doit pas obéir à son confesseur
dès que ce confesseur exige la remise des écrits luthériens. Que si le confesseur
156 t,UTHER ET L'ÉGLISE. 1521.
Dans tous les écrits publiés par Luther à cette époque, il se
pose en homme qui a complètement rompu avec l'Église. Il rejette
ia tradition chrétienne, l'autorité de l'Église; il émet sur les rap-
ports de l'homme avec Dieu de nouveaux dogmes, qui, de son
propre aveu , étaient demeurés cachés depuis le temps des Apô-
tres. Ses doctrines sur le sacerdoce universel et la société chré-
tienne, principes sur lesquels il entend baser la nouvelle union des
fidèles, sapent jusqu'en leur racine tout l'ensemble de la con-
stitution de l'Église; selon lui, l'Église doit rompre avec le passé
dans sa doctrine, ses sacrements, son culte, ses institutions. Jadis
on désirait la voir se réformer dans son chef et dans ses mem-
bres; mais Luther, allant plus loin, réclame sa complète dissolu-
tion, et veut qu'elle exécute elle-même le décret de sa propre
déchéance '.
Et comme toujours, tout ce qu'il avance est à ses yeux vérité
d'Evangile, vérité indubitable. Aussi ne pouvait-il être question avec
lui d'aucune espèce d'accommodement. Tous les essais de concilia-
tion devaient nécessairement échouer.
Ils échouèrent en premier lieu à la diète de Worms*.
insiste, et que le pénitent ne puisse obtenir l'absolution qu'à la condition de
se soumettre, il doit laisser au prêtre son absolution, et quitter celui qui, à
l'imitation de Lucifer, est assez téméraire pour outre-passer les devoirs de sa
charge et de son état, et pour prononcer les jugements de Dieu, scrutant ce qui
est caché dans le fond des cœurs, sans en avoir le droit. Si le confesseur
refuse d'absoudre le pénitent, celui-ci doit néanmoins se retirer content, satis-
fait et sûr de son pardon, puisqu'il s'est confessé et a demandé l'absolution.
Dans un cas semblable, il faut considérer le confesseur comme un larron et un
brigand, qui prend et retient ce qui est à nous. En pareille circonstance, nous
pouvons avec joie et sans nulle crainte nous regarder comme absous devant
Dieu, et venir sans nul scrupule recevoir ensuite le Saint Sacrement ! Mais si le
prêtre, alhint plus loin, refusait le sacrement de l'autel à celui qu'il n'a pas
absous, il faut le prier humblement de revenir sur sa décision, car il faut tou-
jouis agir humblement envers le démon et ses œuvres, et témoigner une foi à
toute épreuve. « Et si cela ne le sert de rien auprès de ton confesseur, laisse
là le sacrement, le prêtre, l'autel et l'église, car la parole divine condamnée
par la bulle est avant toute autre chose indispensable à l'âme, au lieu que tu
peux te passer du sacrement. Jésus-Christ, véritable évêque, saura bien te
nourrir lui-même spirituellement de son sacrement. •
' Voy. DOLLINGER, Kirche und Kirchen, p. 67. Luther eût voulu que l'Église se
débarrassât de ses primats et de son épiscopat, qui d'après lui ne servaient qu'à
troubler l'harmonie établie entre les peuples. La simple prédication devait rem-
placer le culte d'adoration et de sacrifice. Ceux-là seuls qui restaient igno-
rants du véritable principe de la doctrine protestante et ne comprenaient point
la portée du mouvement qui se produisait, pouvaient songer à une entente,
à une réconciliation même partielle avec lui.
* Sur les délibérations reli;;ieuses de Worms, consultez les ouvrages suivants ;
Steitz, Die Milanchthon'i und Luther Herbergen tu Francfort am Main. Francfort, 1861.
Dans I .\ppendice, p. 47-62. on trouvera les dépêches du délégué de Francfort,
Philippe de Furstemberg, et d'autres actes tirés des archives de Francfort.
(.Malheureusement, il n'est pas rare d'y rencontrer des fautes d'impression.) —
Hennés, A/. Luthers Aufenthalt in U'ormn, 1521. Mayence, 1868. — Waltz, Der ll'ormser
DÉLIBÉRATIONS RELIGIEUSES A LA DIÈTE DE WORMS. 1521 157
Dès la première réunion généiMle des états (13 février 1521) ',
Aicandre donna lecture à l'assemblée d'un bref papal où l'Empe-
reur élait requis, si l'unité de l'Kgiise lui était chère, de donner force
de loi, par un édit général, à la bulle d'excommunication. Dans un
discours qui dura plus de trois heures, Méandre démontra que la
doctrine du moine augustin non-seulement ébranlait l'Kgiise jus-
qu'en ses fondements, mais encore, au point de vue social, renfer-
mait les germes les plus subversifs. Jadis les Bohèmes, s'appuyant soi-
disant sur l'Évangile, avaient détruit toute obéissance, anéanti toute
discipline; cette (ruvre de destruction, Luther et ses auxiliaires vou-
laient la reproduire en Allemagne. Luther avait été jusqu'à dire, dan.s
l'un de ses écrits, qu'il allait tremper ses mains dans le sang des
prêtres. < Quelques-uns sont d'avis de faire comparaître Luther à
Worms, et prétendent qu'il serait juste de lui permettre de s'expli-
quer. Mais comment entendre les raisons d'un homme qui déclare
ouvertement ne vouloir se laisser enseigner par personne, fût-ce par
un ange descendu du ciel, et se vante de désirer l'excommunica-
tion? Luther en appelle au concile, et déclare en même temps qu'il
méprise les conciles, et que celui de Constance a condamné injus-
tement Jean Huss. Les essais de conciliation, les négociations enta-
mées avec lui, les moyens suggérés par l'indulgence, tout a été inu-
tile, et Luther n'eu est devenu que plus arrogant. Il ne reste donc
qu'un suprême moyen à employer : c'est de porter contre lui la
sentence du ban d'Empire, qui, suivant la constitution allemande,
est la conséquence obligée de l'excommunication-. »
Le discours d'Âléandre fit une impression profonde sur tous les
assistants.
Se conformant à l'injonction du Saint-Père, l'Empereur soumit
aux états l'édit qu'il se proposait de publier contre Luther et ses
adeptes. Luther, disait ledit, attaque de la manière la plus violente,
par ses prédications et ses livres, le Siège apostolique, les décisions
des conciles, la foi et l'unité de l'Église. Malgré l'indulgence dont on
a usé envers lui, il persiste audacieusement dans ses erreurs. Abusant
du caractère sacerdotal dont il est revêtu, il trompe la simple cré-
Reichstag und seine Beziehungen zur reformatorischen Beilegung, dans les Forschungen
zur deutschen Geschichte, t. VFII, p. 23-44. — MaüRENBRECHER. Der ll'ormser Reichstag
von 1521, dans les Studien und Skizzen, p. 241-273. Les dépèrhes du légat Aleandre
sont aussi extrêmement intéressantes.
' Voy. la lettre de Phil. de Furstemberf; dans Steitz, p. 47.
' Voy. FÖRSTEM.VNN, t. I, p. 30-35. Aléandre n'avait pas préparé son discours.
C'est d'après ses notes et les instructions qui lui avaient été données que
Palavicini a composé plus tard, en l'amplifiant à sa guise, le prétendu discours
du légat. Palavicim, ffist. Conc. Trid., t. I, cap. xxv. — Voy. Bucbholtz, t. I,
p. 345. Aléandre, dans ses dépêches à Rome, note à plusieurs reprises l'heureuse
impression produite par se" discours.
158 DELIBERATIONS HELIGIEUSES A LA DIETE DE WORMS. 1521.
dulité du peuple; il renîraine dans de nouvelles et condamnables
hérésies, il l'excite au refus d'obéissance, et même au meurtre, et
désigne à sa haine le Pape, le clergé et toutes les autorités consti-
tuées, une telle attitude intéressant souverainement la foi, le Pape,
comme sa fonction lui en donnait le pouvoir, avait, à plusieurs
reprises, sommé Luther de comparaître à Rome. Mais voyant que,
loin de se mettre en demeure d'obéir, il continuait à enseigner les
doctrines les plus opposées à la croyance de TÉglise et aux déci-
.sions des conciles, le Pape l'avait déclaré hérétique, et, comme tel,
l'avait frappé d'excommunication. Suprême défenseur temporel de
la chrétienté, guidé aussi par ses propres sentiments de religion,
l'Empereur était fermement résolu à protéger, à sauver par tous
les moyens en son pouvoir, la sainte foi, les décisions et les défi-
nitions de rÉglise et des Pères, le Pape et le Siège apostolique.
Demander de nouvelles explications à Luther n'était ni convenable,
ni nécessaire. S'il refusait d'abandonner son entreprise et de se
rétracter, il fallait s'assurer de sa personne. L'Empereur ordon-
nait donc que ses écrits, sous peine du ban, fussent interdits dans
tous les territoires de l'Empire; il exigeait qu'ils fussent brûlés et
détruits, puisqu'ils ne visaient qu'à ruiner la foi et qu'ils excitaient
le peuple à la révolte et même au meurtre, conduisaient au mépris de
toute autorité ecclésiastique ou temporelle, et nuisaient grandement
au bien public. Les partisans ou protecteurs de Luther seraient con-
sidérés à l'avenir comme coupables du crime de lèse -majesté, et
punis en conséquence '.
Les princes et électeurs discutèrent sept jours durant ledit impé-
rial, et l'on en vint à son sujet à de si furieux débats que l'électeur
de Saxe et Joachim de Brandebourg furent sur le point d'en venir
aux mains-. Enfin les princes parvinrent à se mettre d'accord, et
répondirent à Charles-Ouint qu'évidemment il eût pu, sans les con-
sulter, lancer contre Luther l'arrêt en question, mais qu'en agissant
ainsi il eût risqué de provoquer en Allemagne un terrible incen-
die. Ils se déclaraient prêts et disposés, de concert avec l'Empereur,
à ne rien épargner de ce qui pourrait contribuer au bien de l'Église
et de l'État; mais ils se croyaient obligés de rappeler au souve-
rain quels pensées, rêves et désirs les prédications, les doctrines
' FÖRSTEMANN, t. I, p. 55-56. — Steitz, p. 53-55.
* « ...Liprincipi per sette giorni consuUoroDO con lanta controversia, che le
duc Saxone et el marchese Brandenburgh veunero quasi ad manus, et sarebbe
fatto, se non se fusse messo de megjio Saltzbur^jh et altri che vi erano. quod a
primordiis Hlectoratus ad haec usque tempora dicono tutti mai esser più acca-
duto, con stupore omnium et pericolo di qualche grande tumulto. • Dépêche
d'Aléandre du 27 février 1521, dans Bal<i>, p. 72. — Friedrich, p. Iû5. — Brie-
GEB, p. "0.
DELIBERATIONS RELIGIEUSES A LA lUKTE DE WORMS. 1521. 159
c" les écrits fie Luther avaient fait naître parmi le peuple. Quels
Iniils porteraient ces germes dangereux, si, sans entendre Luther
cl sans le faire comparaître devant la diète, on prenait envers lui
le |)arti de la rigueur'? Les princes proposaient de le mander à
Worms, de l'y faire accompa{;ner par une sOrè escorte chargée de
le conduire et de le ramener dans le lieu de sa détention après les
interrogatoires, puis de faire choix de quelques juges compétents,
cdairés, ayant mission, non de discuter avec lui, mais simplement
do lui demander s'il persistait, oui ou non, à soutenir les écrits
imblics sous son nom et contraires à la sainte foi chrétienne. Dans
le cas ou il se montrerait disposé à se rétracter, ses juges l'enten-
diaient sur les divers points de sa doctrine, et décideraient selon
r('(juité; mais s'il répondait, au contraire, que sur tous ou sur quelques
aiMcles de foi définis et tenus pour dogmes par l'Église et les saints
! Pères, il maintenait ses opinions personnelles, les électeurs, les
princes, les Ordres réunis, de concert avec Sa Majesté Impériale,
sans plus longue hésitation et s'en tenant à ce que leurs pères et
aucêfres dans la foi avaient toujours tenu pour vrai, ne songeraient
plus qu'à prêter main-forte à la sainte religion du Christ. L'Empe-
reur donnerait à cet effet les ordres nécessaires, et ferait publier
son édit et sa sentence dans tout l'Empire.
" Mais les états >;, disaient en terminant les auteurs de l'adresse,
« en soumettant leur avis aux réflexions et au bon plaisir de Sa
Majesté, la suppliaient très-humblement de daigner se souvenir des
charges du Saint-Empire, de ses justes griefs envers le Saint-Siège
et des nombreux abus dont il avait à se plaindre, afin qu'il y soir
remédié par des mesures équitables ^ '•
L'Empereur, ayant pris connaissance des représentations des états,
demeura extrêmement circonspect et « strictement orthodoxe dans
son attitude •. li recommanda aux Ordres de ne pas confondre la
question luthérienne, qui intéressait directement la foi, avec les
griefs particuliers que le Sainl-Empire pouvait avoir contre la cour
romaine. Il se proposait d'écrire au Pape touchant les abus; il espé-
rait parvenir à faire disparaître ceux qui existaient réellement ,
priant les états de les lui signaler^ et de lui donner leur appré-
ciation et leur avis sur les plaintes que l'Allemagne croyait avoir à
formuler contre le Siège apostolique et le clergé. L'Empereur exami-
■ Le 16 février 1521, Christophe Scheurl écrivait à Hector Pomer: ■ Communes
îamici scribunt (de la diète de Worms', rem respectare ad incredibilem seditio-
nem, si d. Martinusinauditus et non revictus condemnetur, nec déesse, qui hune
Icontra quoscunque defendere velint et possint. " Briefbuch, t. II, p. \1i, 126.
I« ...Rem spectare ad incredibilem seditionem populärem contra clericos. >
'Dans FÖRSTEMANN, t. I, 57-58. — Steitz, 56-57.
* VOy. FÖRSTEMAN.N, t. I, p. 58.
160 DÉLIBÉKATIOiVS RELIGIEUSES A LA DIÈTE DE WORMS. 1521.
nerait ensuite un à un tous ses griefs, et, de concert avec les Ordres,
aviserait à les faire disparaître. Mais sur les décrétales et sur l'au-
torité du Pape, nulle discussion n'était admissible, et Charles, en ces
matières, ne regardait pas la diète comme un corps compétent. Si
vraiment, ajoutait-il, les états désiraient faire comparaître Luther
en leur présence, il ne serait besoin que de lui adresser une seule
question : Était-il, oui ou non, l'auteur des livres condamnés? S'il
les reconnaissait pour siens, mais se montrait disposé à les rétracter,
l'Empereur s'emploierait auprès du Pape, afin que le Souverain Pon-
tife, levant l'excommunication, l'admit de nouveau dans la commu-
nion des fidèles; si au contraire il s'obstinait dans ses erreurs, il ne
resterait autre chose à faire que de le traiter en hérétique, et de
procéder immédiatement contre lui'.
C'est dans cet esprit que fut rédigée la citation impériale adressée
à Luther (6 mai 1521). L'Empereur le sommait de comparaître à
Worms en personne, afin d'y fournir des explications sur sa doc-
trine et ses écrits. « Tu n'as à redouter ni embûche, ni mauvais trai-
tement V, lui écrivait-il; " notre escorte et notre sauf-conduit te
protégeront. Nous comptons sur ton obéissance; si tu nous la refu-
sais, tu encourrais aussitôt la rigueur de nos jugements. »
L'Empereur ayant interrogé les états sur ce qu'il conviendrait
de faire si Luther, ne se fiant pas au sauf-conduit impérial, refu-
sait de se rendre à Worms, ou bien, une fois en présence de la
diète, ne consentait pas à se rétracter, les états répondirent qu'en
ce cas il ne resterait plus qu'à le regarder comme hérétique, et à
le traiter comme tel. " Plaise à Dieu ", écrivait Méandre au Pape,
" que la présence de Luther à Worms soit utile à la paix et au repos
de l'Église! »
Pendant ce temps, le confesseur de l'Empereur, Jean Glapion,
Franciscain austère, se donnait toutes les peines imaginables pour
déterminer Frédéric de Saxe à arrêter Luther dans la voie révolu-
tionnaire où il s'engageait de plus en plus. Il le conjurait de per-
mettre ainsi à la réforme, telle que l'entendait rE;;lise, de s'effec-
tuer. Il avait déclaré à l'Empereur, mandait-il à Frédéric, que Dieu
le châtierait sévèrement, lui et tous les princes chrétiens, s'il ne
songeait, de concert avec ces derniers, à écarter de l'Église les nom-
' Aléandre adresse à plusieurs reprises les plus grands éloges à l'Empe-
reur. Le Pape, écrit-il, devait tout faire pour lui complaire, car plusieurs
de ses conseillers inclinent à faire servir la question luthérienne à des inté-
rêts politiques. C'est dans cette pensée « qu'ils temporisent, afin d'amener le
Pape à consentir à une alliance contre le roi de France •. Les dépêches
dAléandre contiennent à ce sujet quelques passages importants. Voy. Mauren-
BRECHEn, Studien und Skizzen, p. 263-264. — Lanz, âctenslucke und Briefe, Introduc-
tion, p. 262; EVERS, cahier 7, p. 158.
à
DÉLIBÉRATIOIVS RELIGIEUSES A LA DIÈTE DE WORMS, 1521. IGl
breux et criants abus qui s'y étaient introduits. Luther était le fléau
de Dieu, envoyé par le Seijjneur pour châtier les iniquités des
hommes'. L'Église, ajoutait (ilapiou, pourrait recueillir de bons
fruits de quelques-uns de ses écrits, pourvu que l'on prit soin de
pousser dans le port toutes les bonnes marchandises de son bag^age;
mais un chrétien ne pouvait admettre ses doctrines, surtout celles sur
le sacerdoce universel et sur l'abolition de l'autorité ecclésiastique.
Glapion assurait que la lecture de la Captivité babylonienne de l'Eglise
lui avait causé tant de douleur qu'il n'eût pas souffert davantage si
quelqu'un l'eût fustigé avec des lanières de la tête aux pieds. La
Bible, si constamment invoquée par Luther, était, disait-il, sem-
blable à de la cire molle que ron peut tirailler et étendre en tous
sens. Dès qu'un homme se croyait autorisé à fomenter l'erreur
et l'hérésie, il pouvait Irès-aisément, avec quelques textes de la
Bible, démontrer des choses beaucoup plus singulières que les prin-
cipes avancés par Luther. Glapion signalait avec détail les articles
que Luther aurait à rétr;icter avant de travailler avec les catholiques
à une réforme que pourrait approuver l'Eglise, réforme pour laquelle
l'Empereur se montrait extrêmement zélé. Si par malheur la vraie
réforme catholique échouait, et si le désordre, la guerre et la révolte
continuaient à être excités en Allemagne, - songeons », disait-il,
« au grand sujet de joie que nous donnerions aux souverains envieux
de France, d'Angleterre et des autres pays* ».
Glapion traita ces points et beaucoup d'autres avec le chan-
celier de Saxe Brück, car il ne put jamais obtenir une audience de
l'Électeur ^
Luther, à qui l'on avait communiqué les opinions du Franciscain,
écrivait à Frédéric le 19 mars : >< Je suis prêt à témoigner à l'Église
romaine le respect le plus humble, et à ne lui rien préférer au ciel
et sur la terre, si ce n'est Dieu même et sa sainte parole; aussi me
' ' ...Vil maledicat hominibus et ut si flagelliitn propter peccata. •
' " ...Visis bellis intestinis inter nos, quae vidèrent utique libentissime et
nihil libcntius. » Sur Glapion, voy. Baumgarten, t. I, p. 390-391.
^ Sur les négociations de Glapion avec Brück, voy. Forsteman\, t. I, p. 36-54.
— Maurenbrecher, Studien und Skizzen, p. 258-261. — «Les propositions de
Glapion renferment tout le programme de la politique impériale. D'un côté,
il fait ressortir la nécessité dune réforme religieuse; il avoue que les prédi-
j cations de Luther pourraient la servir, mais, d'autre part, il maintient avec fer-
j meté la tradition, les antiques fondements de l'Église, se séparant compléte-
I ment des nouveautés préchées par Luther et les tenant pour hérétiques. Il
1 pensait pouvoir réussir à mettre à profit, pour le bien général de l'Église, les
I récriminations de Luther, tout en écartant soigneusement le poison de
) l'hérésie, si sa tentative eilt réussi, la scission religieuse eût peut-être été évitée,
j et une heureuse réforme se serait accomplie. - Mais, à en croire Maurenbrecher,
' !a civilisation générale en eût été retardée, et la non-réussite de ce plan doit
être considérée « comme un grand bonheur pour l'humanité •.
n. 1 1
162 DÉLIBÉRATIONS RELIGIEUSES A LA DIÈTE DE WORMS. 1521.
rétracterais-je volontiers là où mon erreur me sera clairement dé-
montrée'. '■ Mais cinq jours plus tard, il tenait un langage tout
différent dans une lettre adressée à un ami (24 mars 1521) : « a
Worms ■', écrivait-il, >: on met tout en œuvre pour me décider à
rétracter beaucoup de points de ma doctrine. Or voici quelle sera la
teneur de ma rétractation : Jusqu'à présent, j'ai appelé le Pape le
représentant de Jésus-Christ; maintenant je me rétracte, et je dis:
Le Pape est l'ennemi de Jésus-Christ, le Pape est l'apôtre du diable *. '
Méandre reconnaissait aussi bien que Glapion la nécessité des
réformes. Il conjurait le Pape d'abolir les trop nombreuses réserves
et dispenses papales; il réclamait l'observation des anciens concor-
dats, la cessation de tous les graves abus qui déshonoraient la cour
romaine, le rétablissement en tous lieux de la discipline ecclé-
siastique^; il demandait qu'on mit un frein à la rapacité des - chas-
seurs de bénéfices ". - La plus grande pierre de scandale pour les
pauvres âmes «, avouait franchement le duc Georges de Saxe, adver-
saire déclaré de Luther, dans un cahier de doléances sur les abus
ecclésiastiques présenté à la diète sur la demande de l'Empereur,
i' ce sont les mœurs du clergé. Aussi une réforme universelle est-elle
urgente, et la meilleure manière de l'effectuer serait la réunion
d'un concile général. >■ Georges énumérait ensuite les principaux
griefs de la nation contre le Saint-Siège : les annates, la vente
des dispenses, le pernicieux système des commendes, la multiplicité
regrettable des indulgences, etc. *. « Tout le monde s'accorde à
déplorer ces abus •, écrivait le chanoine Charles de Bodman à
Rome, « depuis l'Empereur jusqu'au dernier de ses sujets. Tous se
révoltent contre les sommes toujours plus exorbitantes réclamées
pour le pallium. Au sein de la diète, ces plaintes trouvent un
immense écho'. «
Une commission nommée à cet effet dressa la liste générale des
' De Wette, t. I, p. 575.
« De Wette, t. I, p. 580.
» . Ben supplice per amor di Dio, et cosi fanno tutti li orthodoxi, che si metta ,
fine a tante reserve et dispense el derogationi de concord.Ui di Alemagna coin- \
posilioni et altre simili no\elle- - - ...Tidl.U SS' ' D. N. e curia sua eas errores
quibus merito Deus et hoinines offenduntur, et quantum ejus vires et aucto- j
ritas patiuntur clerumsiln toto terrarum orbe subditum, monendo, increpando,
etiam sacerdotiis privando castiget. Id si serael Germani, quum in nostiis, tum j
in suis sacerdotibus factura videant. nulla postliac de Lutliero fiet mentio. Itaque ;
in nobis ipsis omnium malorum origo pariter ac medela sila est. » — Voyez cei
rapport dans Friedrich, p. Ü6-99. — Voyez aussi l'appréciation d'ALÉANDi\E, p. 89. i
— Balan, p. 33. — Brieger, p. 30, 43. — Les passages recueillis par Jansen dansi
les dépêches d'Aléandre prouvent que ce dernier ne négligeait rien pour com-;
battre par des dons et des faveurs les progrès de l'iiérésie.
* Voy. FÖRSTEMANN, t. I, p. 62-64.
* * Codex Trierer Sachen und Brief/cha/ten, œUVres poSthumes du chanoine de
DKLIBÉlUrrONS RELiGIEUSKS A LA DIKTE DK WORMS. 1521. 16:î
griefs de la nation contre le Saint-Siège et des plaintes formulées
de tous côtés contre les archevêques, les évoques, les Ordres reli-
gieux et le clergé eu général. On se plaignait particulièrement :
jdes sentences prononcées par les tribunaux ecclésiastiques dans des
'questions purement tem|)orelles; des nombreux bénéfices conférés à
des personnes incapables; des sentences d'excommunication rigou-
reusement portées pour de puérils griefs; de l'interdit frappant
quelquefois contrairement à toute équité; du fréquent abandon où
les curés laissaient leurs paroisses; du refus des évoques de réunir et
de présider les synodes, bien que les prescriptions du droit canon
leur en fissent un devoir; de la liberté excessive laissée aux Frères
I mendiants; des aumônes en nature recueillies par ces Frères en trop
grande abondance; de l'ambition excessive des Bénédictins, des Ber-
nardins, des Prémontrés, qui, non contents de leurs immenses pos-
! sessions, acquéraient tous les jours des biens laïques, et devenaient
ainsi démesurément riches'.
' Ce volumineux dossier fut soumis à l'examen de la diète. Le délé-
gué du Neubourg-Palatinat écrivait à ce propos : « C'est mainte-
nant que nous pouvons constater l'influence que Luther et Hütten
ont exercée sur les états, sans parler du tort que leurs écrits ont
jfait à la foi ^ >;
Xanten, Pelz, fol. 27. On trouve encore dans ce recueil, fol. 28-39, sept lettres
inédites de Bodmann, datées en partie de Worms (années 1521-1524). — Les sommes
prélevées par Rome à l'occasion de la promotion des évêques variaient beau-
coup d importance. En 1484, l'archevêque de Mayence, Rerthold, verse en tout,
;y compris les gratifications offertes aux divers personnages de la chancellerie,
14, .300 ducats, tandis que le second de ses successeurs envoie à Rome en 1508
21,000 florins. — Voy. ces comptes dans Aschenberg, Niderrheinische Blätter
(Dortmund, 1801, t. I, p. 295-301). — Dans son .aperçu général sur Fhisloire de
Mayence [eu manuscrit à la biblioth. du château d'Aschaffenbourg, feuille 44),
Wimpheling rapporte que George de Gemmingen, frère de l'archevêque Uriel,
lui écrivait : « Ipsum (Uriel) soUicilum esse de grandi acre Fuccaris Augustanis
(quod ad urbem mutuarant) reslituendo. Tanla summa novies iam aetate mea
(illuc a Germanis ex une tantum archiepiscopatu eva-^uit. » L'archevêque de
Cologne, Hermann de Wied, racontait « quod pro suo pallio Romam miserit ad
lrii;inta sex millia aureorum solidorum ». — Vakuentrapp, p. 48, note 2. —
Dans l'archevêché de Brixeii, les annales se montaient 5 environ 7,000 florins. —
SiNNACiiER, t. VII, p. 263. On voit par l'exemple de Ratisbonne coml)ien le&
sommes réclamées étaient devenues plus fortes dans quelques évêchés pendant
le cours du quinzième siècle. L'administrateur .Jean II, pour la confirmation de
son élection par le Pape (1507), dut payer 1,40) florins, tandis que Jean I", son
prédécesseur, à la fin du quatorzième siècle, n'avait eu à verser que 12 florins
jd'or. Gemeiner, t. IV, p. 132.
I ' Articul damit bapstliche heyligkeit tetctsche land beschwürt. — liesckwerd von den
^erzbicho/en, pischo/en und pridalen allain. — Von ertzpricslern, officialen und andern geist
lichen richtern und gerichtspersonen. — Lundi après Jubilate (22 avril). Etlliche beschwe-
runge tewtscher nation vom stule zu Rom. — Frankfurter Rcichstagsacten, t. XXXIV,
fol. 303-391. — Pour plus de détails, voy. Gebhardt, Die Gravamina der deutschen
Nation gegen den römischen Hof, Breslau, 1884.
- Dans Waltz, p. 32.
11.
J64 AGITATION REVOLUTIONNAIRE. 1521.
Quant à l'Empereur, « il se montrait plus préoccupé de la réforme
des abus, plus soucieux de mettre fin aux scandales qui se produi-
saient dans rÉglise que pas un de ses sujets «, et nul ne pou-
vait mettre en doute le zèle ardent dont était animé Adrien VI,
élevé depuis un an sur le trône pontifical. A aucune période de
riiisfoire d'Allemagne, une véritable réforme de l'Église, dans son
chef comme dans ses membres, n'eût eu plus de chance de réussir,
si elle avait pu s'effectuer sans trouble et sans violence, dans une
heureuse communauté d'action avec les pouvoirs spirituels et tem-
porels, et dans cette union de toutes les classes de la nation, si sou-
vent recommandée par l'Église.
Mais, dès la diète de Worms, tout annonce la révolte et la guerre.
Dans la ville même, tout est dérèglement et anarchie. " Il n'y a
pas de nuit ", écrivait de ^Vorms, le 7 mars, Dietrich Butzbach, ^ où
trois ou quatre hommes ne soient assassinés. Le prévôt de l'Empe-
reur a déjà fait noyer, pendre ou décapiter plus de cent hommes. »
« Les jeûnes ne sont pas observés ; on se bat, on se livre à la débauche,
on mange de la viande, des gigots fins, des poulets, des pigeons,
des œufs, du lait, du fromage; enfin, on mène une telle vie qu'oo
se croirait dans la montagne de Vénus. •■ " Sachez aussi que beau-
coup de seigneurs et d'étrangers succombent à la suite d'excès de j
boisson". »
Depuis son discours du 13 février, la vie d'Aléandre n'était plus |
en sûreté. Il ne pouvait se montrer dans les rues sans être injurié j
par la populace et poursuivi de menaces de mort. Pour Luther, il j
était partout célébré comme un nouveau Moïse, comme un second j
saint Paul. Un de ses partisans disait eu plein marché, devant la j
foule assemblée, que, nouveau Père de l'Église, il était plus grand j
que saint Augustin. Ce dernier avait gravement péché, il avait pu se j
tromper, et il s'était effectivement trompé; Luther, au contraire, j
étant sans péché, n'avait jamais erré. On vendait publiquement ces j
feuilles, déjà répandues depuis longtemps, où Luther était repré- ;
sente la tête couronnée d'une auréole, et le Saint-Esprit planant au-
dessus de sa tête sous la forme d'une colombe ^ On propageait le^
portraits de Luther et de Hutlen, - ces communs champions de la
liberté chrétienne' >'. Les luthériens avaient établi à Worms une
imprimerie uniquement destinée à reproduire des pamphlets contre
' Worms, 1521 (jeudi après Oculi, 7 mars), dans Goldast, Politische P.eiclu-handd.
p. 940-941.
* Voy. plus haut, p. 120, note l .
' ' ...Et lo vendano et basciano et portano nel palazzo... non è più quella
Cattolica Germania che olim era, purch non vediamo peggio, quod Deus aver-
tat. ' Dépêche d'Aléandre. dans Friedrich, p. 99. — Balan, p. 40. — Brieger.
p. 40-41.
ANXIÉTÉ DES ESPRITS A WORMS. 1521. 165
l'Église'. TJu manifeste de Huden, ainsi que d'innombrables libelles
remplis de sarcasmes et de mépris jx^ur les adversaires de Luther,
couraient de main en main. De son château d'Ebernbourg, Hütten
adressait aux légats des lettres grossières et menaçantes; il les dési-
gnait à la haine populaire comme les plus léroccs brigands, comme
les imposteurs les plus éhoutés. « .le mettrai tout mon zèle », écri-
vait-il à Aléandre, « je ferai tous mes efforts, j'emploierai toute mon
énergie pour que bientôt lu ne sois plus qu'un cadavre, et pour qu'on
pousse bientôt dehors ta dépouille sans vie, car lu es venu vers nous
plein de rage, de délire et d'iniquité ■•! » Il accable des plus violents
outrages les princes de l'Église, les hauts dignitaires ecclésiastiques
présents à la diète. 11 les appelle les mauvais génies de l'Empereur,
et les déclare souillés de tous les crimes imaginables. « Tenez-vous
loin des sources limpides, pourceaux impurs! sortez du sanctuaire,
marchands pervers! Ne sentez-vous pas le souffle de la liberté qui
passe? ne voyez-vous pas que les hommes, las de l'état de choses
actuel, cherchent à en établir un nouveau? Je pousserai, j'aiguillon-
nerai, j'éperonnerai, j'entraînerai vers la liberté! » «Il estimpossible
qu'un homme possédant une ombre de courage », dit-il ailleurs,
« puisse désormais contenir son indignation! Tous vont s'élancer
vers l'ennemi commun pour l'assaillir avec violence, tous vont lui
préparer la ruine et la mort M » Hütten va même jusqu'à proférer
des menaces contre l'Empereur : « Nous espérions », dit-il dans une
adresse à Charles-Quint, « que tu nous délivrerais du joug romain, que
lu détruirais la tyrannie du Pape. Fassent les dieux que quelque
chose de meilleur que tes commencements vienne bientôt nous con-
soler! Mais si l'Empereur laissait se consommer la honte de l'Alle-
magne, les Allemands sauraient agir, au risque de l'offenser momen-
tanément *. "
Une eflTayanle agitation ne tarda pas à s'emparer des esprits.
De tous côtés on répétait qu'un grand coup allait être porté au
clergé, et que les chevaliers allaient mettre la main sur tous les biens
' ■^ ...Eliam in aula Ca>saris ", écrit Aléandre, « chè chi e cosa stupenda corne
sono uniti et trovano in cuinulo danari. «
' * BÖCKING, Ulr. Hutteni Op. II, p. 12-21.
' « ...Ouis vel mediocriter fortimn potest continere se, quin impetu, vi et vio-
ientia invadat vobisque ctedem et evitium moliatur. " — Bocking, t. II, p. 21-34.
Hulten termine sa lettre par la menace suivante : « Certe profecto innocentis
|Viri (Luther) damnationi capita vestra consecrata sciatis. » Il est clair que Luther
léprouvait une vive satisfaction de la publication de ces lettres « ad pileos istos
jet gaieritas upupas -. — Voy. de Wette, t. II, p. 9.
\ *BöcKiNG, t. II, p. 38-46. — STRAUSS, t. II, p. 178-180. L'ambassadeur anglais
Tonstall écrit de Worms à Henri VIII que Luther a offert à l'Empereur, dans
|le cas où celui-ci consentirait à marcher ( outre Rome, démettre sur pied une
iarmée de cent mille hommes. — Fides, Life of Wohey, 2« édit., p. 231. — Voy.
jW'ALTZ, p. 32.
166 LUTHER EN ROUTE POUR WORMS. 1521.
ecclésiastiques. Les rapports d'Aléandre témoignent de la perpétuelle
anxiété où Ton vivait à Worms. Chacun se croyait à la veille de
quelque hardi coup de main; on craignait que le parti de la révolu-
tion n'envahit le lieu des séances de la diète. Une tentative de ce
genre était d'autant plus à redouter que l'Empereur était sans défense,
sans armée pour le protéger. " Au fond ", écrit Aléandre, ' Sickin-
gen est maintenant le véritale maitre de l'Allemagne, car il a des
hommes d'armes quand et comme il veut, et l'Empereur n'en a
point. » ' Les princes restent inactifs, les prélats tremblent, et se
laissent circonvenir comme des lapins. " « La noblesse appauvrie,
mais forte en nombre, est aux ordres de Sickingen, et prête à le
seconder dans toutes ses entreprises. En vérité, dans les circon-
stances actuelles, Sickingen est l'effroi de toute l'Allemagne. Tous
semblent impuissants, et sont comme paralysés à son aspect. «
C'est dans un tel état de choses que Luther était attendu à
Worms'.
IV
Luther avait quitté Wittemberg le 2 avril. Quatre jours plus tard,
il était reçu " comme un triomphateur «par le parti des humanistes,
qui lui était entièrement dévoué. " Réjouis-toi, noble cité d'Erfurt,
couronne-toi comme aux jours de fête! » s'écriait Eoban Hessus à la
nouvelle de son arrivée; « car regarde, le voici, celui qui vient te
déhvrer de l'opprobre sous lequel tu as gémi trop longtemps, celui
qui, le premier, saisissant le hoyau de fer, a détruit l'ivraie empoi-
sonnée qui envahissait le champ du Christ! « Eoban fait intervenir la
Gera pour célébrer Luther; le fleuve apporte ses hommages à l'At-
1 Dépêche d'Aléandre dans Friedrich, p. 126, 127, 128— Balan, p. 160.— Brie-
GER, p. 125, 134. — Glapion et le chambellan impérial Paul Armerstorff furent
députés au château d'Ebernbourg. Ce dernier avait mission d'offrir à Hütten
de la part de l'Empereur une pension de 400 florins d or, pourvu qu'il consentit
à se taire à l'avenir. Il était aussi charj^é de faire une dernière tentative de
conciliation vis-à-vis de Luther. Sickingen envoya donc au-devant de Luther
Martin Bucer, le moine apostat; Luther s'était déjà mis en route et s'était
arrêté à Oppenheim; Bucer l'invita à venir à Ebernbourg, où Glapion l'atten-
dait. Mais Luther déclina l'invitation. — Voy. Ulmann, p. 179-181. — Mauren-
BRECHER, Studien, und Skizzen, p. 267-268, et Katholische Reformation, t. I, p. 192-193,
397. — Luther lui-même a rapporté la réponse qu'il fit à Martin Bucer : ' Si le
confesseur de l'umpereur a quelque chose à me dire, il peut tout aussi bien
venir me trouver à Worms. » Sammtl. Werke, t. LXIV, p. 368. Aléandre, ainsi
que le prouvent ses dépêches, ignorait le véritable but de la missiou de Gla-
pion et d'Armerstorff au château d'Ebernbourg.
LUTHER PRECHE A ERFURT. 1521. »67
tendu, au Triomphateur, à celui qtii saura vaincre, s'il le faut, l'uni-
vers enlier. Crotus Rubiaiius, alors recteur de l'Université, accom-
pagné de quarante professeurs et suivi d'une {"rande foule de peuple,
alla au-devant du « héros de ri<:vannile >' à une distance de trois
milles d'Erfurt. Dans sa harangue, il appelle Luther le ' juge de
l'iniquilé > , et il assure (pi'en contemplant ses traits, lui et ses amis
croient avoir devant les yeux une « apparition divine' ".
Le jour suivant, Luther prêcha dans l'église des Augustins, au
milieu d'un grand concours de peuple. « Les Athéniens ne furent
pas remplis de plus d'étonnement en écoutant le langage de Dé-
raosthène », dit à propos de ce sermon l'emphatique Eoban; « Rome,
assise aux pieds de son grand orateur, n'eut jamais plus de joie;
saint Paul n'a pas remué davantage les esprits par son éloquence, que
Luther, par ses paroles, les habitants des rivages de la Gera. " Voici
quelques passages de ce sermon : « L'un bâtit des églises, l'autre entre-
prend un pèlerinage à Saint-Jacques ou à Saint-Pierre, le troisième
jeûne et prie, porte le froc, marche nu-pieds... mais de telles œuvres
ne sont rien, il les faut abolir. Oui, remarquez bien ces paroles :
Toutes nos œuvres n'ont aucune efficacité. « Je suis moi-même votre
"justification", dit le Sauveur Jésus; «j'ai détruit les péchés que vous
« aviez sur vous; donc, croyez seulement que je suis l'auteur de votre
'< rédemption, et vous serez justifiés. » « Aussi, lorsque nous venons
de commettre quelque péché, ne devons-nous point nous hâter de
nous désoler, mais dire plutôt au Seigneur : Tu vis encore, Jésus-
Christ, mon Seigneur! tu as détruit le péché! Et aussitôt notre
péché disparaîtra. » « Ne faisons aucun cas de la loi humaine; que
le Pape nous excommunie si bon lui semble, que nous importe?
Nous sommes unis à Dieu de telle sorte que nous bravons toutes les
calamités, excommunication, proscription, etc. » Luther attaque de
nouveau, dans ce discours, l'intolérable joug du papisme, et ce clergé
cruel " qui mène paître les brebis à peu près comme les bouchers,
la veille de Pâques, conduisent les moutons à l'abattoir; car sur
trois mille prêtres, on n'en saurait trouver quatre de justes - ».
Taudis qu'il parlait, au rapport de ses disciples, son premier
miracle se produisit. Dans l'église comble, un grand bruit se fit
soudain entendre; les assistants se troublèrent, et le désordre se mit
dans l'assemblée. Mais Luther le fit cesser d'un mot : « Mes chères
' Voy. Kampschulte, t. II, p. 95-97. — Swertzell, p. 32-33. — Eoban compare
Luther à Érasme :
Ante quidem Tidit mundoque ostendit Erasmus,
Sacula quo cernunt doctius ista nihil.
Quam fecitse igitur velut est missus ottendiste,
Lutberus meriti grandius instar habet.
^Sämmtl. Werke, t. XVII, p. 98-104.
168 ÉMEUTE POPULAIRE. 152 1.
âmes -, dit-il, « c'est le diable qui nous donne une fausse alerte,
tranquillisez-vous, il n'y a aucun danp,er! ■■ Ensuite il menaça le
démon, dit un chroniqueur, « et le silence se rétablit aussitôt n.
« Ceci est le premier miracle que fit Luther », dit une autre
narration, » et ses disciples s'approchèrent de lui, et ils le ser-
vaient'! );
Ce qui ne fut pas un miracle, c'est l'incendie qu'allumèrent les
prédications ardentes de Luther dans une population où couvait
depuis lonfjtemps la haine la plus passionnée pour le clergé. Luther,
il est vrai, n'avait pas souhaité un semblable incendie, mais il sortit
malgré lui et tout naturellement du germe qu'il avait semé *.
Dès le jour qui suivit son départ d'Erfurt, une " tempête de
prêtres » [Pfajfensturm) éclata dans la ville. La populace, pactisant
avec une bande d'étudiants débraillés, pénétra dans les maisons des
chanoines, et satisfit sa rage longtemps contenue, en pillant le bien
des prêtres, « acquis par la sueur et le sang des pauvres ". « Les
émeu tiers », rapporte un témoin oculaire, « brisèrent toutes les
fenêtres, démolirent les poêles dans les chambres, arrachèrent les
boiseries, fendirent les précieuses tables de mosaïque, et jetèrent
des monceaux de débris dans les rues, ainsi que toutes sortes de
provisions alimentaires. » Les chanoines ne purent échapper aux
mauvais traitements qu'en se hâtant de prendre la fuite. Le conseil
de la ville regarda tranquillement ces premiers fruits du nouvel
Evangile. Crotus Rubianus, trouvant que la mutinerie des étudiants
devenait trop difficile à contenir, mais n'osant toutefois infliger
aucun châtiment aux coupables, se démit de sa charge de recteur, et
quitta la ville. Quant à l'ami de Luther, l'Augustin Jean Lange, il
soutenait qu'il était légitime « de défendre l'Évangile par le glaive ^ ».
Le 16 avril, Luther et ses amis, parmi lesquels se trouvait l'huma-
niste .luste Jonas, arrivèrent à Worms, fermement résolus à braver
'- toutes les portes de l'enfer et tous les princes de l'air ». « Récitez
un Pater pour Notre-Seigneur Jésus-Christ », disait Luther pendant
le voyage au supérieur des religieux de Rheinhartsbrunn (Thuringe).
' Priez pour que son Père lui soit favorable, car, s'il fait triompher
sa cause, la mienne est gagnée M » Il écrivait à Spalatin : « Nous
' Voy. sur ce « miracle » et sur un autre tout seraljlable qui se produisit plus
tard à Gotha pendant un sermon, les détails fournis par Kampschulte, t. Il,
p. 98, note 5.
* • N.;ni etsi bonum est -, érrivait-ii à ce propos à Mélanchthon en mai 152;,
« incessabiles illos impies cocrreri, ^noikis tarnen iste Evan^jelio nostro parit et
infamijm et justam repubaiii. = De Wette, t. II, p. 7-8.
3 Pour plus de détails sur l'émeute et ses causes, voy. Kampschulte, t. II,
p. 106-123. Voy. le petit poëme intitulé : font Pfaffenstûrmen zu Erfurt, dans
Lilienkron, t. III, p. 366-368. — Voy. Ku.\USE, t. I, p. 329.
* Dans IIatzeberger, p. 50.
LUTHER DEVANT LA DIÈTE. 1521. 169
sommes décidés à faire reculer Satan, et nous méprisons ses embû-
ches '. »
Mais amené pour la première fois en présence de l'Empereur et de
la diète (17 avril), Luther ne parait pas avoir conservé cette assu-
rance pleine de fermeté. Lor.squ'on lui demanda s'il avouait être
l'auteur des livres condamnés, il répondit affirmativement; mais à la
seconde question qui lui fut adressée : « Consentez-vous à les rétrac-
ter? » il demanda du temps pour réfléchir. « Il parlait presque à
voix basse », rapporte Philippe de Furstemberjj, « d'un ton calme
et comme résigné, de sorte qu'on pouvait difficilement l'entendre,
même en se tenant tout proche de lui. Il semblait éprouver de l'effroi
et du trouble*. » L'Kmpereur et les états répondirent « que bien
que par le mandat qui lui avait été adressé il dût être suffisamment
instruit des causes de son appel à Worms, et par conséquent ne dût
pas avoir besoin de beaucoup de temps pour réfléchir, l'Empereur,
dans son indulgente bonté, voulait bien lui accorder un jour encore
pour songer à sa réponse ".
Dès la première audience, Hütten, d'Ebernbourg, saluait en Luther
un invincible évangéliste, exhortant « son saint ami " à demeu-
rer inébranlable. « Prends courage et sois fort! Tu vois les grandes
choses qui dépendent de toi! Je m'attacherai à toi jusqu'au dernier
souffle, si tu restes fidèle à toi-même. Je tenterai même les choses
les plus effroyables pour notre cause, car j'espère que le temps est
venu où le Seigneur va nettoyer sa vignes » « Je voudrais être en
ce moment à Worms », écrivait-il en même temps à Juste Jonas,
' Le 14 avril 1521. — De Wette, t. I, p. 586. — Voy. la dépêche d'Aléandre sur
l'arrivée de Luther à Worms, dans Frieduich, p 136. — B.vlan, p. 170. — Brie-
GER, p. 143. — Bien qu'Aléandre eût fait tous ses efforts pour empêcher que
Luther ne fût mandé à Worms, il disait plus tard qu'à son avis la présence du
moine avait eu d'heureux résultats. « In reliquis la venula del detto è stato
saluberrima, perché et César et quasi tutto il monde l'ha existimato per pazzo,
dissoliito et demoniaco; quin imo subito che César il vide, disse : questui mai,
me farebbe heretico, et poi quando furono nominati li libri coram Cesare et
Imperio, César palam dixit et sepissimc postea repetiil, che mai crederà che
l'habia composto detti libri. — Lasso a parte la ebrietà alla quale detto Luther
è detilissimo, et molti atti brutti visu, verbo, et opère, vultu, incessu, che li
han fatto perder tutta la opinione, chef mundo haveva concelto de lui. ■
Friedrich, p. 138. — Balan, p. 236. — Brieger, p. 170. « Un Vénitien qui ne peut
être accuse de partialité », dit K\'SKE[Deuische Geschichie, t. I, p. 495), "remarque
que Luther, à Worms, n'a point fait preuve d'une science extraordinaire ni
d'une pénétration très-remarquable, et qu'il n'a pas été sans reproche dans sa
conduite; selon lui, il n'a pas répondu à ce qu'on attendait de lui. • — Con-
tarenus ad M. Dandulum, Wormalia> 23""' d. Apr. 1521, dans la chronique de
Sanuto, t. XXX. — Voy. aussi les passages cités par Höfler, Adrien II, p. 55,
note 1. « ...Luther excels solely in impudence. »
* Archives de Francfort, Heichstagsakien, dans Steitz, t. XLVIII, n" 4, au Heu
de 7nilder il faut lire niddcr. Voy. la dépêche du délégué de Strasbourg, Kolde,
Analecta, p. 30, note.
^ « ...Equidem atrocissima omnia concipio, neque fallor, credo, sed spero tem-
170 LUTHER DEVANT LA DIÈTE. 1521.
« afin d'y faire mugir la tempête et d'y provoquer l'émeute'. «
Le jour suivant, 18 avril, à sa seconde audience, Luther fît preuve
de cette constance inébranlable que lui souhaitaient tant ses amis;
d'une voix ferme et assurée, il repoussa toute pensée de rétractation*.
Le 19 avril, l'Empereur envoya aux états un mémoire rédigé par
lui, et qu'il avait écrit de sa propre main en français et en alle-
mand. 11 y déclarait qu'il était résolu, à l'exemple de ses ancêtres,
à rester fidèlement et fermement attaché à la foi chrétienne et à
l'Église romaine. Il s'en rapportait plus aux saints Pères, qui de
tous les points de l'univers s'étaient autrefois réunis en conciles,
qu'à l'opinion d'un moine isolé. Il se repentait de la neutralité qu'il
avait gardée si longtemps, regrettant de n'être pas intervenu plus
tôt et plus éuergiquement dans une si importante question. Dès ce
moment, Luther pouvait se retirer. « La parole que nous lui avons
donnée ", disait l'Empereur en concluant, « et qui lui assure un
sauf-conduit, nous la tiendrons loyalement; nous prendrons des
mesures pour qu'il puisse retourner en toute sécurité d'oii il est
venu. Mais nous lui interdisons de prêcher et de séduire le peuple
par sa pernicieuse doctrine, qui excite la sédition et la révolte parmi
nos sujets \ »
Dans la nuit qui suivit la déclaration impériale, des mains incon-
nues tracèrent ces mots sur plusieurs portes de la ville : " Malheur
pus est, ut purget Dominus vineaa» suam. • Ex Ebernburgo 15 cal. Maj. 1521.
BÖCKING, t. II, p. 55.
' Ex Ebernburgo, 15 cal. Maj. 1521. Böcking, t. II, p. 56.
* Voy. sur sa comparution à la diète la lettre de I. Crels (30 avril 1521) dans
les Forschungen zur deutschen Geschichte, t. XI, p. 635-637, et la relation de Conrad
Peutinger dans Kolde, Analecta, p. 28-30. - Aussitôt que Lutiier, après la seconde
audience », écrit le conseiller de Nuremberg, Sixte Oelhafen. « fut rentré dans
son hôtellerie, en ma présence et celle de plusieurs autres, il leva les mains au
ciel, et s'écria le visage plein de joie : » Enfin j'en ai fini! enfin j'en ai fini! •
Je me proposais aujourd'hui daller l'entendre, mais il y avait une telle foule
dans la salle des séances que je n'ai pu y rester. Dans toutes les rues où il passe,
la foule s'amasse pour le voir; on ne pense qu'à lui, il est le sujet de toutes les
conversations. » hem. Luther, même en public, s'est laissé deviner, et il a déclaré
• que si les choses n'allaient pas autrement, il lui faudrait bientôt ouvrir les
fenêtres toutes grandes >. Riederer, Nachrichten, t. IV, p. 96. — Voy. Baum, p. 57.
Le juriste Jérôme Schiirpf était alors au nombre des plus fervents adeptes
de Luther; c'est lui qui lui servit de conseiller juridique pendant la diète; il
l'appelle dans une lettre adressée à Frédéric de Saxe • le véritable apôtre et
évangéliste de Jésus-Christ en notre siècle >. C'est lui qui attira dans le parti
de Luther Grégoire Lamparter, un des plus influents conseillers de l'Empe-
reur, intimement lié avec le conseiller impérial Mercurinus (Gattinara). —
Voy. MUTHER, 'ius dem Univenitiits und Gelehrtenleben iin Zeitaller der Reformation,
p. 196-200. — Sur l'opinion professée plus tard par Schiirpf au sujet de Luther
et de sa doctrine, voy. Dollinger, Reformation, t. I, p. 535-538.
' » ...Prohibentesque ne predicet : neve cum sua pessima doctrina, plebem
admoneat, ne sit causa, ut aliquis tumultus fiât in populo. ■ — Voy. Förste-
MIN.N, t. I, p. 25.
POURPARLERS AVEC LUTHER PENDANT LA DIÈTE. 1521. 171
au pays dont le roi n'est qu'un enfant! " A l'hôtel de ville, le len-
demain, on put lire ces mots sur une affiche placardée aux murs :
« Nous sommes quatre cents nobles conjurés; nous nous sommes
unis, et nous avons juré de ne pas abandonner Luther le Juste. Nous
annonçons d'un commun accord aux romanistes, aux gens dénués
de bon sens, aux princes et seigneurs, et avant tout à l'archevêque
de Mayence, notre profonde inimitié, parce qu'ils veulent opprimer
le droit divin et ce qui revient à la gloire de Dieu, et qu'en dissimu-
lant leur nom, ils prétendent, sous la direction des prêtres, exercer
toutes les tyrannies, ,1e m'explique en peu de mots, mais je me pro-
pose de m'opposer avec énergie a nos adversaires; je les attaquerai
avec huit mille hommes d'armes. » L'affiche se terminait par ce
terrible cri de ralliement des paysans révoltés : Bundschuh! Bund-
schuh '/
Effrayés par les fréquentes menaces venues du dehors, les Ordres
supplièrent l'Empereur de ne pas rompre tout de suite les négociations
avec Luther. Ils craignaient « que la révolte n'éclatât dans le Saint-
Empire », si, par un procédé aussi prompt, sans avoir écouté les
explications de Luther, on prenait le parti de la rigueur. Ils sup-
pliaient Charles de daigner permettre à quelques-uns d'entre eux
d'essayer encore d'amener le moine hérétique à rétracter les articles
condamnés par le Saint-Siège ^
Hütten, que Luther avait mis au courant de ce qui se passait '
à Worms, ne pouvait s'empêcher de craindre que son ami ne vînt
à montrer quelque faiblesse : « Invincible évangéliste », lui écri-
vait-il le 20 avril, « je vois qu'il est besoin de flèches et d'arcs,
d'épées et d'arquebuses pour arrêter la fureur du démon M Mais toi,
excellent père, reste inébranlable, ne te laisse intimider par rien!
Qu'ils s'égosillent, divaguent, hurlent et ragent! qu'importe? Pour
toi, comparais sans crainte devant ces monstres! Tu ne manqueras
pas d'amis pour te défendre et pour te venger! La prudence des
nôtres, qui tremblent de nous voir trop risquer, retient encore mon
ardeur, sans cela il y a longtemps que j'aurais excité une émeute
sous les murs de Worms! Mais avant peu, j'éclaterai, et alors tu
' " Les paysans rebelles prenaient pour se reconnaître un mot d'ordre et
une enseigne. L'enseigne était une hande d'étoffe moitié bleue, moitié blanche,
avec la figure de Jésus crucifié au milieu, et au-dessous du Christ, un soulier
lacé [Bundschuh); à la botte du reître ils opposaient le gros soulier du laboureur,
armé à la semelle d'énormes clous. » Audin, Histoire de Luther, t. II, p 408.
(Note du traducteur. — Voy. Steitz, p. 51. — Hennés, Luther in Worms, p. 17-19.
' Steitz, p. 50, 6-2.— Waltz, p. 36.
' La lettre de Luther à ce sujet, à laquelle Hütten fait allusion dans un écrit
postérieur, a été perdue.
* « Opus esse video gladiis et arcubiis, sagittis et bombardis, ut obsistatur
cacodaemonum vesanise... •
172 POURPARLERS AVF.C LUTHER PENDANT LA DIÈTE. 1521.
verras que moi aussi, à ma manière, je ne renie point l'esprit que
Dieu a suscité en moi ! » « Franz de Sickin^jen, notre ardent défenseur,
est toujours prêt à nous servir '. »
Plus tard, Thomas Münzer, réfutant Lutlier, disait en s'adressantà
lui : « Lorsque tu as comparu devant les étaîs, à Worms, tu as eu
bien sujet de rendre grâces à la noblesse allemande! Tu lui avais si
bien graissé le museau, tu lui avais tant prodigué le miel, qu elle
s'imaginait recevoir par l'effet de tes sermons de beaux présents
de Bohême, des abbayes, des bénéfices! Si tu avais hésité à Worms,
tu aurais été poignardé, au lieu d'être affranchi! Tout le monde
sait cela ^! »
Une commission déléguée par les états et présidée par l'arche-
vêque Richard de Greifenklau employa tous les moyens conseillés
par la douceur pour convaincre Luther et l'amener à se rétracter.
Ce fut en vain que Conrad Peutinger, délégué d'Augsbourg, et le
chancelier de Bade, Jérôme Vehus, le supplièrent à plusieurs reprises
de remettre sa cause à la sentence suprême de l'Empereur.
Luther repoussa ces conseils, « donnant des marques du mépris
qu'il éprouvait, tant pour la personne de Sa Majesté Impériale que
pour celles de beaucoup de princes de la diète ". Vehus lui dit :
« Tes écrits excitent le peuple à la révolte, à l'émeute. Ceux surtout
où tu parles de la liberté chrétienne serviront plus tard de prétexte
à bien des gens pour satisfaire leurs convoitises et légitimer tous
leurs actes. » Ce discours ne lui fit aucune impression.
Il rejeta de même une autre proposition : « Ne consentirait-il pas
à s en remettre à la sentence de quelques prélats allemands, nommés
à cet effet par le Pape? N'accepterait-il pas le jugement qu'eux et
l'Empereur porteraient sur sa conduite? »
Enfin Peutinger lui proposa d'attendre la décision du prochain
concile. Lu!her répondit qu'il y consentait, « à la condition que
dans cette assemblée rien de contraire à la divine parole, aux épifres
de saint Paul et à la vérité ne serait décidé ". En vain chercha-t-on
à lui démontrer « que ce faux-fuyant était inadmissible, parce qu'il
pourrait toujours prétendre que les jugements prononcés contre lui
allaient contre le véritable sens de la sainte Écriture ^ ». Jean Co-
■ « ...Alioqiii ad ipsos muros concitassem aliquam îurbam pileatis istis, sed
post ptiulo emittendus sum. ubi evasero, videbis me iiec déesse in hoc {jenere
spirilui quem excitavit. in me Deus! Franciscum habemiis ardentem in par-
tibiis. » Ex Eberiibuifïo, 12 cal. Maj. 1521. — Voy. Bocking, Suppl., t. II, p. 807.
' MuNZER. Hoch verursachte Schulzrede und Antwort wider das geistlose sanfllehcnde
Fleisch zu Wittenberg. — Voy. Stkobel, Thomas Münzer, p. 166.
' Sur ces négociations avec Luther, voy. l'ariicle de Seidemann dans Niedner,
Zeitschrift fur die historische Theologie, année 1851, p. 80-100. — V'oy. la lettre de
Schwarzenbergdans Joug, p. 317.
POURPARLERS AVEC LUTHER PENDANT I,A DIÈTE. 1121. 173
chlipus ', conseiller théologique de l'archevêque de Trêves, lui offrit
alors une dispute publique; mais il ne voulut rien entendre. Lorsfjue
Cochia'us lui dit que s'il s'opposait ainsi au senliment de loule
rÉ[jlise, et s'il rejetait les conciles, c'était sans doute parce qu'il
croyait avoir reçu du ciel une révélation particulière et divine, Luther
eut un nionicnl d'hésitation, puis il répondit : < Oui, ma doctrine m'a
été révélée ^ « Il déclara qu'il ne renonçait ni à écrire, ni à prêcher.
Christophe de Schwarzenberg mandait le 25 avril au duc Louis de
Bavière : « L'archevêque de Trêves m'a confié que Luther, dans un
moment d'intime épanchcment, lui avait révélé un profond secret. -^
Luther évidemment avait fait pressentir à l'archevêque l'appui que
la chevalerie révolutionnaire promettait au c nouvel Évangile^ '.
' Depuis 1520 doyen de Notre-Dame de Francfort-sur-le-Mein, Otto, 106 fi.
^ Colloquium Cocldai cum Lulhtro liormatitr habilum ' Mofjuntiac, 15î0 , mis par
écrit pridie idus Junii 1521... " Simpliciter ita iiiterrofjavi : Kst tibi revelatuir. ?
lUe vero intueris me pauUulum cunctabiinlus respyiidit : Kst mihi revelatiiin.
Tum eîïo : lam negasti (dixerat enim paulo ante modestiu.s : Non dico mihi reve-
latuin esse). At ille ; Non nejjavi. Rursus ego : Ecquis tibi credat reveialum esse?
quo probas miraculo, aut quo id ostendis sigiio? Nonne quilibet posset hoc
modo errorem suum defendcre ?.. Nihil p:ofecto audivi, quid ad hoc mihi res-
ponrlerit Liitherus. » En présence de plusieurs gentilshommes de la suite de
Luther (voy. aussi la dépêche d'Aléandre dans Friedrich, p. 138). Cochi.Tus émit
l'opinion suivante : >■ Disputet tuto absque omni periculo, insu^) conductu, modo
erant judices... quos noliis Caesar et Principes hic congregati dederint. - Luther
reprit : • Sumptnrum se judiceui piierum octo aut novem annoruui. - « luirsus
provocari euin rogaiis, ut sujj judicibus, quos Caesar et Principes nobis daluri
essent, exactius mecum dispuiare velit, quia hic nihil ageremus, ipse album
diceret, ego nigrum aut e converso; absque judicibus non posset veritas ista
exquiri. Acquiesceret i;;itur lorabam' judicio, sme ullo peiiculo. Quauivis ego
pœnam juris noUem recusare auî deprecari, si a judicibus condamnarer. Tum
certe silentium erat, nihil comités, nihil astantes in me aperte dicebant. Luthe-
rus autem rursum veniebat cum judice suu, novem annorum puero. ^ — .^lors
eut lieu entre ces deux hommes un long entretien. = Prior cœpit Lutherus,
placide niulta commemorans, quae contingerant. Fatebatur quidem se contra
Romaniim ponlificem injuriis excessisse, indulgentias tamen abolevisse, per
quas fueramus decepti. Tum ego similiter benigne et fideliler ei respondi, in-
tellexisse me piidie ex nuncio apostolico, quod non plus petalur ab eo, nisi ut ea
reoocet, quw aperte sunt contra fidcm et ecclesiam calholicam : de reliquis fore, Ut
deputenlur a Caesare et Principibus viri docii, qui perleclis diligenler libris
ejus, separarent mala a bonis, ut hac servarentur, lila périrent. Quod si timoré
aut pudore inter suos aniplius degere noiit, Ca-sar et archiepiscopus Irevi-
rensis curaturi essent, ut alibi viveret quiète et honeste. » • ....\djeci item, ut
perpenderet clementiam Pontificis, Cacsaris et Principum. Quo enim mitiori
moilo posset secum agi? Cogitaret, quod atrocissimas et antea nunquam auditas
in sedera apostolicam injurias, summus Pontifex ei absque pœna velit remit-
tere. ut sedaretur ista turbatio. Quod autem indulgentias te penitus abolevisse,
inquam, putas, falleris profecto, mr.nent adhuc hodie in ecclesiis et mane! unt
ctiara post nos. » — Sur cet entretien, voy. K. Otto dans le OEsierr. liertel-
jahrssc/ui/l für Kathol. Theologie, 1866, p. 83-114. Cocblaeus revient plus tard à
plusieurs reprises sur cette conversation, dans ses écrits de controverse. —
Glos, und Comment, auf die 18 Arlickel, Bl. C-, et Glas, und Comment, auf 154 Artickelu.
Bl. F' J^
^ Voy JÖRG, p. 317.
174 LUTHER QUITTE WORMS. 1521.
Après que l'on eut inutilement (out tenté, l'Empereur intima à
Luther l'ordre de partir sans délai. Le sauf-conduit impérial le pro-
tégeait encore pendant vingt et un jours; mais il lui était interdit
de prêcher ou d'écrire en route.
Luther fit connaître à Hütten ' la décision de Charles-Quint, et
quitta Worms le 26 avril. Deux jours après, de Friedberg, il adres-
sait un message à l'Empereur et un autre aux états. Ce dernier fut
tout de suite reproduit en feuilles volantes. Sur le verso du titre, il
est de nouveau représenté la tête nimbée, et la divine colombe pla-
nant sur sa tête*. En même temps, une médaille commémorative
était frappée à Worms, portant cette inscription : « Docteur Martin
Luther, heureuses les entrailles qui t'ont porté M "
« Je me laisse enfermer et cacher », écrivait Luther au peintre
Lucas Cranach, « je ne sais moi-même où je vais. Pour le moment,
il faut se taire et souffrir. Un peu de temps encore, et vous ne me
verrez plus, et un peu de temps après vous me reverrez, dit le
Seigneur Jésus. J'espère que les choses iront de même pour moi *.
Le soir qui avait précédé son départ, Frédéric de Saxe, en pré-
sence de Spalatin et d'autres amis, lui avait fait entendre qu'on
s'occupait de le mettre à l'abri '. Mais le nom de cet abri ne lui fut
pas révélé, et Frédéric lui-même ne voulut pas en être instruit, afin
de pouvoir nier toute complicité, dans le cas où il serait interrogé ".
' C'est à cette lettre que Hütten fait allusion dans une relation adressée à
Wilibald Pirkheimer le 1" mai 1521. Voy. Bocking, t. II, p. 59-62.
* « Handlung so mit Doctor Martin Luther uff dem keyserlichen Reichstag zu Worms
ergangen ist, vom unfang zum etid and uff das kürzest begriffen ' (Luther's Schreiben vom
28 arril 1521, dans de Wette, p. 594-600i, avec les {gravures ci-dessus mention-
nées. — BURCKHART daus ses Studien and Kritiken avait déjà émis l'opinion que la
célèbre parole de Luther : ' Je m'en tiens à ce que j'ai dit, je n'y peux rien chan-
ger ', n'avait pas été prononcée. Cette appréciation se trouve comfirniée parle
rapport authentique des faits et ;';esles de Luther à Worms, publié par Kuczincki,
Thesaurus libellorum histor. re/ormationis, Leipzig, 1870, p. 10, n" 102. — Voy. aussi
Bauer, Deutschtand in den Jahren, 1517-1525, p. 67 et 295. — Sur les efforts tentés
de nos jours pour défendre l'authenticité de cette parole de Luther, voy. Mau-
RENBRECHER, Katholische Ile/ormation, t. I, p. 398. » Ce n'est que par une touchante
attache à des traditions aimées % dit-il, - que peut s'expliquer tant de zèle
pour soutenir des anecdotes invraisembrables. • Conrard Peutinger a rapporté
qu'à la fin de la séance Luther s écria à haute voix : < Seigneur, viens à mon se-
cours! " KoLDE, Analecta, p. 30.
^ Une autre médaille porte l'effigie de Luther avec cette inscription :
Heresibus si dignus erit Lutherus in ullis,
Et Christus dignus crimine hujus erit.
Lt fac-similé de ces deux médailles se trouve dans le Gulden und silbern Ehrenge-
dächtniss, M. Luthers, Francfort, 1706, p. 58.
-* Francfort, le 28 avril. — Voy. de Wette, t. I, p. 588-589.
* Spalatin, Annalen, edid. Cyprian,p.50. — Frédéric n'était donc pas seulement
complice, mais auteur de l'enlèvement de Luther à la Wartbourg.
^ D'après un renseignement manuscrit. Voy. Freitag, Bilder, t. I, p. 90. —
ÉDIT DE WORMS. 1521. 175
Luther fut conduit à la Wartbourg '. Ses partisaa.s se dispersèrent de
tous côtés pour exciter le peuple; bientôt leurs lettres, leurs émis-
saires, répandirent partout le bruit que le sauf-conduit de l'Empe-
reur avait été violé, et que Luther, fait prisonnier et garrotté, avait
été victime des plus cruels traitements. On alla môme jusqu'à affirmer
que son cadavre avait été découvert dans le conduit d'une mine *.
Tandis qu'à Worms on était tous les jours sous la menace d'une
sanglante émeute, la cause de Luther achevait d'être instruite devant
la diète. Le 30 avril, l'Empereur, réclamant de nouveau l'avis des
étals, les interrogea sur la conduite qu'il convenait de tenir avec
Luther, maintenant qu'il avait formellement refusé de se rétracter,
et s'était retiré déclarant persister dans ses manières de voir. Que
décider, par rapport à lui, à ses écrits, à ses adhérents et fauteurs, et
de quels châtiments follail-il user? Était-ce du ban d'Empire, ou de
toute autre peine'? Les étals, qui, auparavant*, prévoyant le cas où
Luther s'obstinerait dans son erreur, avaient laissé toute liberté à
Charles-Quint de pourvoir au maintien et à la défense de la foi
KOLDK, Friedrich der Weise, p. 28-29. — KOLDE, Martin Luther (Golba, 1884), t. I,
p. 350-393.
' Château fort du {jrand-duche de Saxe-Weimar, près d'Eisenacb. Ce château,
ancienne résidence des landgraves de Tliuringe, avait été le témoin des douces
vertus et des courtes années de boniieur terrestre de la « chère sainte Elisa-
beth ". (Note du traducteur.)
^ On pourra se rendre compte de l'agitation produite parmi les amis de
Luther par la nouvelle prétendue de son arrestation et des mauvais traitements
qu'il avait soi-disant subis, diins le journal d'Albert Dürer, (elui-ci était alors
tout dévoué au parti luthérien ; non qu'il vouli\t se séparer de l'unité de l'Ej'jlise,
mais parce qu'il tenait Luther " pour un homme éclairé par le Saint-Ksprit,
et pour un confesseur de la véritable foi du Christ ^. Lorsque Dürer, pen-
dant son séjour à Anvers, apprend la trahison dont Luther a été victime, il
s'écrie : « 0 Dieu du ciel, aie pitié de nous! Nous te supplions. Père céleste, de
renouveler le don de ton Esprit-Saint à celui qui a de toutes parts rassemblé
de nouveau les membres de ta sainte Église chrétienne, aßn que nous vivions désor-
mais tous ensemble dans l'union et la foi chrétienne , et afili que les Turcs, les païens,
les Indiens, viennent d'eux-mêmes à nous, et, témoins de nos bonnes œuvres,
embrassent la foi. » — Voy. ce passage et d'autres analogues dans Thausing,
Diircr's Briefe, Tagebücher und Heime, p. 119-123. — Voy. plus haut, p. 91. On pré-
tend qu'à la diète quelques princes, entre autres le margrave Joachim de
Brandebourg, furent d'avis de ne pas donner de sauf-conduit à Luther pour le
retour. Mais l'Empereur, l'électeur du Palatinat, et aussi le loyal et fervent
catholique Georges de Saxe, s'opposèrent à cette mesure. Les deux électeurs,
assure-t-on, échangèrent à ce propos des paroles si vives qu ils portèrent la
main à leurs épées. Voy. ce que dit Luther à ce sujet, Sâmmil. Werke, t. LXIV,
p. 368 Le duc Georges déclara fièrement « que les princes allemands ne souffri-
raient jamais qu'au mépris de la parole donnée le sauf-conduit fût refusé à
celui auquel il avait été promis; cet acte honteux ne devait pas se produire à la
première diète présidée par Charles-Quint >. En un mot, il combattit ce projet
avec l'antique loyauté allemande; ce que l'on avait promis, il fallait le tenir.
— BUCHHOLZ, t. I, p. 365.
' Voy. Waltz, p. 39-41,
* Voy. plus haut, p 91.
176 ÉDIT DE WORMS. 1521.
catholique, et de faire publier dans tout l'Empire un juste et néces-
saire édit, réclamaient maintenant d'eux-mêmes la prompte publica-
tion de cet édit. Comme le disait Frédéric de Saxe (4 mai 1521), ce
n'était pas seulement Anne et Caiphe, c'était aussi Pilate et Hérode
qui s'opposaient à Luther ', et les pouvoirs spirituels et temporels
lui étaient également contraires. Pour Frédéric, il n'aspirait qu'à
rester neutre; il s'abstint d'intervenir dans un sens ou dans un
autre, et quitta Worms.
L'Empereur chargea Aléandre de rédiger l'édit, et celui-ci le lui
soumit dès le 8 mai ■^; mais il ne fut publié que lorsque le terme fixé
pour le sauf-conduit de Luther fut expiré. Il condamnait au ban
d'Empire Luther, ses adeptes, et tous ceux qui l'avaient soutenu
dans son entreprise, ordonnant que les écrits du novateur fussent
détruits par les flammes. Luther, disait l'édit, avait fait à l'Empereur ■
l'impression d'un possédé. Par ses ouvrages, une semence d'erreur
avait été propagée. Il avait attaqué le nombre, l'institution, l'usage
des sacrements, et avili les lois sacrées du mariage. Il avait accablé
le Souverain Pontife d'injures atroces et calomniatrices, jeté le mé-
pris sur le sacerdoce, et n'avait pas craint d'engager ouvertement les
laïques « à tremper leurs mains dans le sang des prêtres >". Il niait
le libre arbitre, et, dans ses prédications, affranchissait les fidèles de «
toute morale et de toute loi. 11 avait été assez hardi pour renverser i|[
les plus saintes barrières, et les livres de droit canon avaient été par
lui livrés aux flammes. Il outrageait les conciles, et surtout ce grand
concile de Constance qui avait restauré la paix et la concorde à l'éter-
nelle gloire de l'Allemagne, et qu'il appehiit « une synagogue de
Satan " ; tous ceux qui y avaient pris part étaient à ses yeux des ante-
christs et des homicides. « Comme s'il eût été le démon en personne
caché sous un froc de moine », il réunissait en lui " toutes les hérésies
anciennes et nouvelles; sous prétexte de prêcher la foi, il détruisait
toute orthodoxie; prétendant apporter une doctrine évangélique, il
renversait la paix, la charité, le bon ordre. Outre les livres de Luther,
les pamphlets répandus en tous lieux et si préjudiciables au peuple
chrétien, les pasquinades, les caricatures insultant le Pape, les pré-
lats et la foi catholique, devaient tous être anéantis. Et afin qu'à
Tavenir la peste des mauvais livres fut à jamais écartée de la nation,
et que la noble invention de l'imprimerie ne servit plus qu'à propager
de bons et salutaires ouvrages, tous les écrits se rapportant de
quelque manière que ce fiU à la foi catholique seraient soumis à
' Voy. FÖRSTEMANX, .Yeues i'rkuudenbucli , t. I, p. 15.
- Les dépêches d'Aléandre prouvent que l'édit, signé par l'Empereur le 26 mai
seulement, n'a pas été antidaté. ■ Il est probable qu'il porte la date du jour où
il fut rédigé. Sa publication fut longtemps différée. • Friedrich, p. 89, note 1.
AGITATEURS RÉVOLUTIONNAIRES. 1521. 177
r;ippi'oba(ion de l'ordinaire et de la facuKé de théologie de l'Uni-
versité la plus voisine avant d'être mis sous presse. «
Cependant des centaines de cavaliers se rassemblaient autour de
Worms, et Sickingen faisait courir le bruit qu'il viendrait bientôt
en personne signer les conclusions de la diète'. « Franz est avec
nous lî, écrivait Hütten à Willibald Pirkheimer(l" mai 1521); « non-
seulement il est bien disposé pour nous, mais il est tout enflammé de
zèle. Il a, pour ainsi parler, absorbé tout Luther. A table, il se fait
lire ses écrits, .le l'ai entendu affirmer par serment qu'en dépit de
tous les périls, il n'abandonnerait jamais la cause de la vérité. » « Tu
peux t'en rapporter à ses paroles comme à une voix divine, tant sa
fermeté est grande. En parlant de lui aux tiens, tu peux dire en toute
assurance : « Il n'y a pas en Allemagne une âme plus noble*! » Les
amis et auxiliaires de Hütten, Eoban Hessus, Hermann van dem
Busche, étaient d'avis de commencer prompteraent l'attaque. < On a
bien assez parlé >■, écrivait Eoban à Hütten; « il est temps de saisir nos
armes, et de fondre sur les ennemis de l'héritage du Seigneur; ce sont
les véritables Turcs, et les plus dangereux. > Hütten ne serait pas
isolé dans le combat. De toutes les campagnes de la Germanie, les
hommes d'armes se hâteraient de rejoindre sa bannière. Hütten et
Sickingen fondraient sur Rome avec la rapidité de l'éclair, et anéan-
tiraient la peste romaine ^ Pourquoi attendre que l'Empereur ait
quitté Worms? Pourquoi tarder à ouvrir la campagne? écrivait de
son côté à Hütten Hermann van dem Busche; si Hütten souffrait que
les nonces du Pape, ces pires ennemis de Luther et de l'Allemagne,
sortissent de la Germanie « la peau saine «, l'attente générale serait
déçue, et l'honneur de Hütten en serait atteint*.
Luther, de son côté, écrivait de la Wartbourg à Sickingen, « son
très-cher seigneur et maître » (1" juin) : » Nous lisons dans le livre
de Josué que Dieu ayant conduit le peuple d'Israël dans la Terre pro-
mise, fit périr tous les habitants de ce pays, avec leurs trente et un
rois. Toutes leurs cités furent détruites, parce qu'aucune n'avait été
assez humble pour implorer la paix. A l'exception d'une seule, toutes
avaient eu la folle témérité de combattre contre Israël, car Dieu
avait ainsi disposé les choses; il était arrêté que ces villes résiste-
raient avec obstination et courage, pour que nulle miséricorde ne
pût leur être montrée. Cette histoire me semble faite pour servir
d'exemple à nos papes, à nos évêques, à nos docteurs, à tous nos
'Dépêche d'Aléandre dans Friedrich, p. Ii2. — Bahn, p. 233. — Brieger
p. 216.
^ BÖCK1NG, t. II, p. 59-62.
* Voy. SCHWERTZFELL, p. 35.
*BÖCK1NG, t. II, p. 62-64.
H- 12
178 ARRÊT MOMENTANÉ DANS LA RÉVOLUTION. 1521.
tyrans spirituels. Bien que leurs intrigues aient été découvertes, ils
ne songent ni à l'humilité, ni à la paix. De propos délibéré, ils mettent
la lumière sous le boisseau; ils s'obstinent dans leur folie, et s'ima-
ginent être si solidement en selle que personne ne puisse les en faire
broncher. Je pense que tout cela vient aussi de Dieu, afin qu'endurcis,
ne voulant entendre parler d'aucune humble soumission, refusant
toute paix, ils finissent, eux aussi, par être exterminés sans miséri-
corde. » « Je ne peux plus rien faire, je suis positivement hanté par
le grand projet. Ils ont maintenant tout le temps de se convertir!
Mais Rome ne veut, ni ne doit, ni ne peut souffrir de réforme;
cependant s'ils ne changent, un autre les changera sans se soucier de
leur reconnaissance, et celui-là ne les instruira pas, comme Luther,
par des lettres et des paroles, mais par des actes'. »
Mais Sickingen continuait à déconseiller l'action. Au moment
décisif, il refusa même très-nettement son concours au parti révo-
lutionnaire. C'est qu'il avait trouvé plus avantageux d'offrir son
épée à l'Empereur qui , à ce moment même, lançait contre Luther
son édit de proscription. Robert de la Marck, encouragé par Fran-
çois I", avait envahi les pays héréditaires de Charles-Ouint, et
l'Empereur venait d'enrôler Sickingen dans l'armée destinée à pro-
téger ses États ^
« Nos alliés se découragent et hésitent », écrit Hulten à Eoban
qui le presse d'agir; « mais quant à moi, je persisterai jusqu'à la
mort dans mon dessein! Je tenterai tout, je saisirai mes armes, et de
même qu'autrefois j'ai soutenu Luther par la force de mes arguments,
maintenant je le défendrai par le poing! Si les nonces du Pape ont ■
réussi à s'échapper, ce n'est pas ma faute, car je n'ai rien négligé
pour leur dresser des embûches. Les routes étaient occupées, les
embuscades préparées, mais l'escorte de l'Empereur a déjoué tous nos
plans. •' Néanmoins il gardait au cœur l'invincible espoir d'être avant
peu le témoin delà chute de la papauté et du triomphe del' - Évangile » \
Mais Hütten, pas plus que Sickingen, ne pouvait pour le moment
rien entreprendre, et malgré ses fanfaronnades il lui eût été bien
impossible de servir ouvertement la « cause de l'Évangile ", car un
chargé d'affaires de Charles-Ouint venait d'acheter son inaction en
échange d'un revenu annuel de 400 florins * !
Luther, désespérant presque de l'avenir, écrivait à Mélanchlhon le
1 De Wette, t. II, p. 13-15.
^ Pour plus de détails, voy. Ulmann, 191 fl — Voy. dans Hofler, Adrian VI, p. 58,
note 1, la liste des nobles qui entrèrent en même temps que Sickingen au ser-
vice de l'Empereur.
* BÖCKING, t. II, p. 71-75. [_
* Voy. plus haut, p. 163, note 3. MaurenbrecheR, Studien uud Skiaen, p. 272.
LUTHER JUfiE PAR SES CONTEMPORAINS. n9
12 mai : « Personne n'est là, personne ne se présente pour défendre
la maison d'Israël et lui servir de solide rempart! Portons donc en-
semble le fardeau ! Seuls, nous sommes encoxe disposés au combat.
Mais lorsque je n'y serai plus, toi aussi tu seras persécuté'! » Mé-
lanchihon, de son côté, se plaignait amèrement que beaucoup de par-
tisans des nouvelles doctrines rentraient dans le giron de l'Église*.
Depuis la diète de Worms il était devenu évident que Luther
et ses partisans visaient au complet renversement de l'organisa-
tion ecclésiastique et par conséquent de toute la législation exis-
tante ^ Aussi les esprits qu'effrayait une révolution si radicale
se séparèrent-ils de Luther à dater de ce moment. Bien des pané-
gyristes des premiers jours firent silence; beaucoup rentrèrent
même franchement dans le camp des défenseurs de l'Église. Érasme,
dès le mois de mai 1520, se repent de tout ce qu'il a écrit précé-
demment en faveur des nouvelles doctrines. Il prévoit dans un avenir
prochain la spoliation de l'Église, les révoltes, la guerre et la ruine
des lettres*. Mutian, qui avait d'abord salué en Luther - l'étoile
' De Wette, t. II, p. 2.
* Mélanchthon à Spalatin, septembre 1521, dans le Corp. Reform., t. I, p. 456.
= nroysen dit à propos du prodigieux travail de destruction entrepris par
Luther (2'', p. 108) : ^ Jamais révolution n'a plus profondément creusé, n'a
plus effroyablement détruit, n'a ju;;é d'une manière plus implacable. Comme
à un signal donné, tous les liens d'obéissance et de respect se trouvent dénoués,
et tout est remis en question, d'abord dans l'appréciation des hommes, ensuite,
avec une logique entraînante, dans les faits, dans la discipline et le bon ordre.
Des propriétés immenses ne sont plus en sécurité, malgré leurs titres légaux.
Les tribunaux ecclésiastiques, avec leurs vastes ramifications, cessent tout à
coup de fonctionner. La juridiction de l'ordinaire tombe en désuétude. •
• L'ordre temporel et spirituel, tout est en pleine dér.oute, dans le chaos. •
« Tout est menacé, ébranlé jusqu'en sa plus profonde racine, et jusqu'à la ques-
tion même de son existence. •
* Sur la confiscation des biens du clergé projetée par le parti révolutionnaire.
Érasme écrivait à Juste Jonas (10 mai 1521) : ' Qua re nihil arbitror sceleratius,
! ac publicae tranquillitati perniciosius. Etenim si ideo fas arbitrantur invadere
I facultates sacerdotum, quod quidam suis ad luxum, aut alioqui ad res parum
' honestas abutuntur, nec civibus , me magnatibus aliquot erit satis firma rerum suarum
possessio. — Belle vero consultum rebus humanis, si impie tollatur a sacerdotibus,
. quo pejus abutantur homines railitares, qui sic sua profundunt, nonnunquam
' et aliéna, ut nulli mortalium sint usui. • Érasme gémissait : « E meis libris
! quos scripsi, priusquam somniarem exoriturum Lutherum, odiosa quaedam
decerpserunt et in Germanicam versa linguam publicarunt, quaî viderentur
affinia quibusdam Lutheri dogmatis... Ut ingénue dicara, si prœcissem hujus-
modi sa^culum exoriturum, aut non scripsissem quaedam, quae scripsi, aut
aliter scripsissem. » Op., III, p. 641-642, «p. 572.
12.
180 LUTHER ,]U(;E PAR SES CONTEMPORAINS.
du matin de Wittemberg ", s'aperçoit maintenant qu'il n'est que
a rinsti{ïateui* et le père d'une révolution funeste ", et se plaint
.< de la témérité, de l'intolérable présomption des novateurs, dont
la fureur ressemble à du délire ' « . « Crotus Rubianus reconnaît
qu'il est criminel d'attaquer TÉglise, cette maîtresse auguste, cette
sainte Mère, quia donné au monde de si sages lois*. » Mais l'homme
le plus complètement transformé, c'est Ulrich Zasius, l'un des
savants les plus illustres de ce temps \ Lui aussi avait espéré qu'une
réforme heureuse sortirait des prédications de Luther ^ et peu de
temps avant la dispute de Leipzig, on l'avait entendu s'écrier :
« Puisse le voyage de notre Luther s'effectuer sous d'heureux aus-
pices ! » Mais lorsque Luther eut nié l'institution divine de l'Église
et l'infaillibilité des conciles, Zasius, insensiblement, commença à
se détacher de lui, et à partir de la diète de Worms jugea avec
une sévérité toujours plus grande ses projets révolutionnaires. 11
souffre de voir Mélanchthon abaisser « sa noble intelligence jus- j
qu'à se faire le champion des erreurs luthériennes ». 11 écrit le
21 décembre 1521 à son ancien élève Thomas Blarer qui avait
embrassé les doctrines nouvelles : « Tu me plains, et moi, de mon [
côté, je te plains de toute mon âme! Tu es jeune, tu ne connais j
pas le monde, et tu quittes l'Église pour courir après des ombres? »
« Est-il juste que l'Église entière soit bouleversée a. cause des fautes
de quelques-uns ? Vous jugez l'ensemble d'après quelques excep- li
tions, les abus vous font perdre de vue ce qui est louable, et vous n
confondez toutes les questions. « Les blasphémateurs de la messe |;
causent à Zasius une douleur particulière, et il se propose de les •■
réfuter : " Un tel travail me siérait fort bien ", dit-il, « quoique
je ne sois qu'un légiste, puisque vous autres, grammairiens, vous,
poètes, vous, jeunes gens, vous ne craignez pas de remettre en
question les principes les mieux établis de la théologie. -^ « Vous
niez l'efficacité des bonnes œuvres? Cependant n'est-il pas dit à
propos des justes : " Leurs œuvres les accompagnent et les sui-
" vent «? Vous réclamez la liberté évangélique, mais vous ne démon-
trez nulle part comment on la peut obtenir. Quel est donc votre
dessein, malheureux jeunes gens, qui vous laissez séduire par
des docteurs imprudents ? » « Tu dis que tu as étudié l'Évangile en
> Voy. Rampschulte, t. II, p. 227-232. — Krause, Briefwechsel, t. LXI, LXIV.
2 Heu scelus est, dominam sanctamque lacessere matrem,
Quœ peperit leges res aliasque bonas.
Dal. Cal. Quinciil. 1521 à Petrejus, voy. Kampschulte, t. II, p. 139, note.
^ Voy. sur Zasius notre premier volume, p. 95-97.
* ■ Lutheri quacunque me contiugunt », écrit-il en 1519 à Boniface Amer-
bach, ■ ita excipio, ac si angelo auctore eraerissent. ■ riegger, Zasii Episi., 4.
LUTHER .JU(;É PAR SES CONTEMPORAINS. 181
puisant à sa source même; tu prétends l'avoir reçu de Jésus-Christ
seul, et non des Pères de l'Éjjlise.Qui te conteste ce droit"?Moi aussi,
j'étudie les sources; mais dans les passages douteux ou obscurs des
saints livres, je m'en rapporte plus volontiers ä l'interprétation d'un
saint Jérùme, d'un saint Augustin, d'un saint Jean (^hrysostome,
qu'à ton interprétation ou à celle de tes amis. Quel prodige d'or-
gueil! (Juoi! un homme isolé prétend que son sentiment doive
être préféré à celui de tous les Pères de l'Église, à celui de l'Église
elle-même, et de la chrétienté tout entière! Pourquoi? pour quelle
raison? à quel propos, je le prie? Mais je devine ce que tu vas
me répondre : C'est l'Esprit, diras-tu; Il nous conduit, 11 nous
inspire! L'Esprit ! dis-moi, mon Thomas, quel esprit? Oh! que de
choses ne pourrais-je pas te dire à ce sujet ! Est-ce donc cet Esprit
qui vous inspire tant d'injures, tant d'abominables outrages? J'ai lu
dans l'épitre de saint Jacques que la sagesse est pacifique et chaste.
Mais je t'entends me répondre : Ce n'est pas la paix, c'est le glaive
que le Seigneur est venu apporter sur la terre. Oui, c'est la
répouse que Luther a faite aux princes de la diète. Mais qui ne voit
qu'en parlant ainsi il forçait le sens de la sainte Écriture avec une
insupportable témérité, comme tous vous avez coutume de le faire?
N'est-il pas évident que Notre-Seigneur n'a jamais prononcé ces
paroles dans le sens que vous dites? J'ai appris de lui qu'il fallait
laisser l'épée dans le fourreau, et que celui qui l'en tirerait périrait
par l'épée. Qui sait si alors il n'avait pas Luther eu vue? » " Sous
prétexte de zèle pour l'Évangile ", dit encore Zasius, qui ne fut mal-
heureusement que trop prophète, < nous verrons bientôt le peuple se
précipiter dans toutes sortes d'excès avec une licence effrénée ^ »
« J'ai longtemps bien auguré des commencements de Luther »,
écrivait dans le même esprit que Zasius le chanoine Charles de
Bodmann; ' non que je désirasse une scission avec l'Église, un chan-
gement dans son enseignement; non que je russe disposé à croire
nécessaires ou souhaitables de nouveaux dogmes ou un nouveau culte;
mais parce qu'avec beaucoup d'hommes éclairés, j'espérais voir,
grâce à ses écrits, une heureuse réforme religieuse tentée et accom-
plie. Malheureusement, ce qui se passe autour de nous ne montre
que trop clairement que nous nous étions tous amèrement trompés!
Comment les luthériens pourraient-ils réformer une institution dont
ils rejettent tout l'organisme, tous les actes, toutes les antiques et
vénérables traditions, et qu'ils représentent sans cesse comme perni-
cieuse et corrompue? L'esprit mondain, la luxure, la cupidité, la pas-
sion pour les jouissances de la vie, le mépris des lois, la haine, l'envie,
' Voy. StiNTZING, Ulrich Zasius, p 223-233.
182 LUTHER JUGÉ PAR LUI-MÊME.
et toutes les passions basses, quels que puissent être leurs noms, sont
profondément enracinés dans toutes les classes de la société; ces
vices se propagent, ils nous envahissent et sont les fruits ordinaires de
notre nature corrompue. On les a vus se produire dans tous les siècles
aussi bien que dans le nôtre, et parmi nous, ils dominent dans tel
territoire, dans tel autre, en cette ville-ci, en celle-là, dans l'exacte
mesure où les ecclésiastiques et les laïques d'un rang élevé donnent
de fâcheux exemples aux classes inférieures. Mais comment corriger
et améliorer grands et petits si l'on commence par leur ôter le seul
frein qui pouvait encore retenir leurs passions; si l'on foule aux pieds
toute discipline ecclésiastique; si l'on répand à pleines mains le
mépris sur les lois pénales de TÉglise; si l'on tient le jeune et la
confession pour choses inutiles et même dangereuses ? Pense-t-on
apaiser la soif de l'or et des richesses en désignant aux puissants,
comme un appât facile à saisir, les riches propriétés du clergé?
Croit-on consolider et protéger la sainteté de la vie de famille en
émettant sur le mariage des principes qui font rougir tout chrétien
honnête et sérieux? En attaquant l'Église et sa doctrine, on attaque
en même temps toute notion religieuse, et dès que le peuple aura
perdu la foi, toute autorité temporelle sera ébranlée. L'intelligence
de Luther est noble, élevée par certains côtés, mais l'orgueil a causé
sa chute. Je voudrais pouvoir lire dans son âme, et savoir le juge-
ment que lui-même porte sur sa mission et sur les résultats de son
œuvre; je voudrais savoir comment il apprécie les actes auxquels on
le fait servir d'instrument *, »
YI
C'est par les entretiens confidentiels de Luther avec ses amis, c'est
par sa correspondance intime que nous pourrons connaître exac-
tement le jugement qu'il portait sur lui-même et sur son œuvre.
Dès son séjour à la Wartbourg, il est assailli d'angoisses, de doutes,
de tourments intérieurs *. « Bouleverser les lois religieuses et
' * Lettre du 23 juillet 1524, écrite peu de semaines avant l'explosion de la
guerre des paysans. Voy. plus haut, p. 162, note 5.
* Sur le lamentable état spirituel de Luther pendant son séjour à la Wart-
bourg, voy. ses lettres dans de Wette, t. II, p. 2, 10, I6, 17, 22, 33. Tandis qu'il
annonçait en prophète l'explosion d'un incendie {jénéral en Allemagne, il sentait
s'allumer au fond de son être un autre incendie éveillé par la concupiscence
dans sa chair immortifiée. • Garnis meae indomita; uror magnis ignibus —
ferveo carne, libidine, pigritia, otio, somnolentia. » 13 juillet 1521, lettre à
Mélanchthon. Voy. de Wette, t. II, p. 22.
LUTHER JUGÉ PAR LUI-MÊME. 183
humaines malgré le sentiment de tous les hommes ", et porteries
autres à vouloir un pareil clian{jement, lui semblait toutefois une
entreprise « d'une immense portée ". " f)h! qu'il m'en a coiUé ' ,
écrit-il le 28 novembre 1521 aux Augustins de Wittemberg, « et
que de peines, de difficultés n'ai-je pas eues, môme en m'appuyant
sur les textes de la sainte Écriture les mieux établis, avant de
parvenir, et à grand'peine, à me justifier aux yeux de ma propre
conscience! Ouand je venais à réfléchir que moi, individu isolé,
j'osais résister au Pape, le tenir pour l'Antéchrist, appeler les évo-
ques apôtres de l'Antéchrist et les Universités ses maisons publiques,
que de fois mon cœur a frémi au dedans de moi ! Que de fois il m'a
châtié, me répétant avec reproche son perpéluel argument : Es-
tu donc le seul sage? tous les autres se sont-ils trompés? Est-il
probable qu'ils aient erré si longtemps? Et si toi-même tu étais
dans l'illusion! Et si tu avais égaré toutes ces âmes! Et si, à cause
de toi, elles se voyaient un jour condamnées à un éternel châti-
ment! 'I Mais Luiher se persuadait que les angoisses de cette nature
ne se représenteraient plus. Le Christ, assurait-il, l'avait affermi et
confirmé par sa parole positive, infaillible, et son cœur ne frémissait
plus. Il résisterait à tous les arguments des papistes « comme une
digue de pierre résiste aux vagues en furie ». Désormais il ne
ferait que rire de leur « vacarme et de leurs menaces « '.
Mais Luther s'abusait.
Les angoisses intérieures revinrent, et recommencèrent à le tor-
turer presque sans relâche; et jusqu'en sa vieillesse une voix secrète,
qu'il prenait à la vérité pour celle du démon, lui redemandait sans
cesse de qui il tenait la mission de prêcher l'Évangile en lui prêtant
un sens que, pendant tant de siècles, nul évêque, nul saint n'avait
pris sur lui d'adopter. Et si son œuvre déplaisait à Dieu? Et si Dieu
le rendait responsable de la perte de tant d'âmes ^? ^ Personne ne peut
1 De Wette, t. II, p. 107.
2 Sämmtl. Werke, t. LIX, p. 296, et t. LX, p. 6, 45. Les luttes de Luther avec le
diable, qu'il croyait voir apparaifre sous toutes les formes possibles, sont bien
connues. ■ Le diable », Aiiaii-W (Hauspostille), ^ se déguise quelquefois, comme je
l'ai souvent remarqué moi-même, soit en porc, soit en un brandon de paille ar-
dent, etc. " A la Wartbourg, il raconte à son ami Myconius que le diable lui est
apparu deux fois sous la forme d'un chien furieux, prêta le dévorer. — Mycomus,
Hist. Reform. , p. 42. Dans son jardin, il croyait souvent reconnaître le démon sous
la forme d'un sanglier noir. A Cobourg, il l'aperçut dans une étoile. — Voy. Ma-
THESius, Historie, p. 184. Ses idées sur les demeures que le démon se choisit sur la
terre sont curieuses, ainsi que ses opinions sur le diable, considéré comme homi-
cide. Sur ce sujet voy. les anecdotes reproduites dans le Journal de L.4.lterb.4.ch,
p. 109, 129, 143, 156. Il croyait que le margrave Joachim de Brandebourg» habuit
fœdus cura Sathana, ipse et pater ejus =. — Lalterbach, p. 105. Il était ferme-
ment convaincu de l'alliance des sorciers avec le diable, et se déclarait même
prêt à brûler les sorciers de sa propre main. « Cum illis nuUa h;ibenda est
misericordia. > Je voulais les brûler moi-même, « more legis, ubi sacerdotes
184 LUTHER JUGÉ PAR LUI-MÊME-
se représenter », avouait-il lui-même, -< combien il en coûte et quel
casse-tête c'est, pour un homme, que d'enseigner et de croire une
doctrine que n'admettent point les Pères de TÉglise. Ouel trouble
en son cœur lorsqu'il songe que tant d'hommes excellents, éclairés,
instruits, et pour ainsi dire la meilleure et la plus grande partie du
monde chrétien, ont cru et enseigné tel et tel article, et avec eux
tant d'âmes saintes, les Ambroise, les Jérôme, les Augustin! On croit
les entendre pousser des cris de détresse, et répéter en chœur :
L'Église! l'Église! Et c'est alors dans l'âme une suprême douleur!
Oui, c'est en vérité une rude épreuve que de vaincre son âme en des
choses semblables, de se séparer de tant de saints personnages qui
ont su conquérir le respect de tous, et dont le nom est partout en
vénération; de rompre avec l'Kglise elle-même, et de n'avoir plus
ni foi ni confiance en ses enseignements! " Sa conscience lui repro-
chait d'avoir propagé une fausse doctrine, d'avoir détruit l'antique
équilibre de l'Église, « si paisible et si calme sous le papisme >', et
d'avoir été l'occasion d'innombrables scandales, discordes, troubles,
rixes. - .)e ne puis nier ", avoue-t-il, le trouble et l'angoisse que ces
pensées me causent souvent, r Mais il cherchait à apaiser ses cruelles
perplexités en se persuadant qu'il enseignait » Jésus-Christ seul »,
le seul qui fût infaillible, au lieu que l'Église avait pu se tromper
et s'était effectivement trompée; il se répétait que sa doctrine
n'était autre chose que l'Évangile « pur et sans alliage », et que
par conséquent personne n'avait le droit ni le pouvoir de l'entraver '.
Cette doctrine, il était de nécessité urgente de la prêcher, quand
bien même, à cause d'elle, le monde entier devrait être précipité dans
l'abime. « Tout cela est effrayant '•, disait-il, c mais inévitable. La
solution est prompte et claire : si l'on refuse de croire *, point de
salut, car, dit le Seigneur Jésus, Celui qui m'a envoyé et dont j'ai
entendu le témoignage, c'est celui-là même qui m'a ordonné de
prêcher, et il ne ment point. On entend quelquefois dire : Si le
Pape est renversé, l'Allemagne périra, elle sera brisée, broyée en
mille pièces! Eh bien, qu'y puis-je faire? je ne saurais l'empêcher! A
qui la faute? Hélas! disent les bonnes gens, si seulement ce Luther
n'était pas venu et n'avait pas prêché, la papauté serait encore
debout, et nous jouirions d'une douce paix! Que voulez-vous que
j'y fasse? » Il ne craignait point de comparer l'état de la chré-
tienté avant la prédication de sa doctrine à celui du monde païen
reos lapidare incipiebant -. — Lauterbach, p. 121. Voy. p. 117. —Nous revien-
drons avec plus de détails sur ce sujet dans notre cinquième volume.
» Snmmtl. Werke, t. XLVI, p. 226-229, et t. LX, p. 82. — Voy. t. LIX, p. 297. et
t. XLVIII, p. 358.
* C'est-à-dire à son nouvel Évangile.
LUTHER JUGÉ PAR LUI-MÊME. 185
avant la mission des apôtres : « En ce temps-là on disait aussi à
Home : Depuis que saint Pierre et saint Paul sont venus ici, tout
tombe en ruine; autrefois, lorsque nous adorjons les idoles, nous
étions bien plus heureux ! La môme criaillerie recommence de
nos jours. Ah! répè(e-t-on, si l'on n'avait pas |)réché rKvanp,ile,
toul n'aurait pas été de la sorte, nous serions tranquilles! Eh bien,
mes amis, il faut vous attendre à mieux encore, car le Christ a dit :
« J'ai encore bien des choses à vous enseigner, j'ai encore d'autres
« choses à juger », ce qui signifie que vous devez laisser cet Évangile
se répandre, et que, si vous vous y opposiez, il ne vous resterait pas
une seule motte de terre, pas une pierre l'une sur l'autre ' ! »
Dans tout ce qu'il publie, c'est avec la même assurance qu'il parle
de la vérité absolue de sa doctrine. Mais quand il s'épanche avec ses
amis, son langage est bien diliérent. Après avoir prêché pendant
plus de vingt ans, voici l'aveu qui lui échappe : « Ce qui me remplit
d'étonnement, c'est que je ne puis avoir moi-même une pleine con-
fiance en ma doctrine! Je suis devenu mon propre ennemi à cause
d'elle, tandis que mes disciples pensent la savoir sur le bout du
doigt V )' Mathésius, son panégyriste, rapporte qu'un certain Antoine
Musa, curé de Hochlitz, ouvrant un jour son âme au docteur, s'était
plaint à lui de la peine qu'il avait à se persuader à lui-même ce qu'il
enseignait aux autres. " Dieu soit loué! » s'écria aussitôt Luther, « il
en arrive donc autant aux autres qu'à moi-même! Je croyais être le
seul à éprouver ces choses * » ! Pour se consoler dans ses doutes,
il cherchait à se persuader que saint Paul, lui aussi, n'était jamais
parvenu à croire fermement à sa doctrine, et que le doute avait
été pour lui cet aiguillon de la chair dont il est parlé dans ses
épitres. La parole de l'Apôlre : '; Je meurs tous les jours », signifiait,
au dire de Luther, l'angoisse qu'il éprouvait au sujet de son ensei-
gnement. « A parler franchement, je ne puis malheureusement
avoir cette foi inébranlable que je témoigne en mes prédications,
mes discours et mes écrits. Je ne crois pas avec autant de fer-
meté que beaucoup de gens se l'imaginent. » Se<; combats inté-
rieurs, sa détresse, ses profonds abattements, trouvent parfois pour
s'exprimer des paroles tellement poignantes, qu'elles nous émeuvent
de pitié. Après de p.ireilles luttes, il était, disait-il, si épuisé, si
brisé dans tous ses membres, qu'il avait peine à respirer, et res-
tait longtemps pantelant. Personne ne pouvait alors lui apporter
quelque consolation, et il se disait à lui-même : « Pourquoi suis-je
seul à passer par de pareilles angoisses? Pourquoi faut-il que je
• Sämmtl. Werke, t. XLVIII, p. 342-343.
s Sammil. Werke, t. LXII, p. 122.
^ Historien^ p. 139.
186 LUTHER JUGÉ PAR LUI-MÊME.
sois assailli par de semblables tenlations? » « Oh! j'ai vu d'horribles
visages, de hideux fantômes! Au milieu de si affreuses visions, je
me suis souvent demandé si j'avais encore une parcelle de cœur
dans mon corps! » « Je suis parfois en colère contre moi-même »,
avoue-t-il ailleurs, i'- parce que je ne puis pendant ces luttes atta-
cher mes pensées sur Jésus-Christ ni me délivrer de la tentation,
moi qui ai tant lu, tant écrit, tant prêché sur ce sujet'! => « Si
tout autre que moi avait eu à soutenir les combats que j'ai à subir,
il serait mort depuis longtemps! J'ai surtout éprouvé de rudes assauts
au sujet de mes prédications, lorsque je me disais : Est-ce ainsi
que tu tranches toutes les questions? Dans mes luttes, j'ai sou-
vent été jusque dans l'enfer, et ensuite Dieu m'en délivrait, puis
me consolait. L'esprit de tristesse n'est autre chose que la conscience
elle-même; ceux qui ont enduré dans leur conscience des tortures
spirituelles comptent ensuite pour rien les combats de la chair *. n
Un jour, un prédicateur ayant raconté en sa présence que le démon
lui avait suggéré la pensée de se donner la mort au moyen
d'un couteau, Luther s'écria : « Cela m'est aussi arrivé bien des
fois ! Tenant un couteau entre mes mains, cette mauvaise pensée
m'est venue, et souvent m'a complètement empêché de prier. Le
diable, alors, me chassait de la chambre'. -^ « Je sais quelqu'un qui
pourrait se lamenter presque autant que Job et Jérémie, et répé-
ter comme eux : Je souhaiterais n'être jamais né''. « « Moi aussi, je
suis tenté de m'écrier quelquefois : Pourquoi suis-je venu en ce
monde, et pourquoi ai-je publié mes livres? Je n'avais pas demandé
la vie! je verrais mes livres anéantis sans regret'! » it J'ai été bal-
lotté et jeté çà et là parmi les tempêtes; les vagues furieuses du
^ Siinimll. Werke, t. LX, p. 108, 1 1 1 .
' Tome LXII, p. 16, et t. LX, p. 46, 109.
' Tome LX, p. 61.
* De Wette, t. V, p. 153.
^ De W^ette, t. III, p. 189. — Voy. Keil, Luthers Lebensumstande, t. II, p. 1S9. —
Voy. ces passages plus au long dans Döllinger, Reformation, t. III, p. 245-260. La
relation impartiale que l'aml)assadeur polonais, .lean Dantiscus. nous a laissée de
sa visite à Lutht r (1523), est pleine d'intérêt. Dantiscus fut présenté à Lutlier par
Mélanchthon. ■ Luther se leva », écrit-il; ■ une sorte de timidité paraissait dans
sa démarche, il me tendit la main, et me pria de prendre place. Nous nous
assîmes, et restâmes au moins quatre heures, jusqu'à la nuit, à causer de divers
sujets. Je trouvai en lui un homme spirituel, instruit, éloquent; mais en parlant
du Pape, de l'Empereur et de quelques-uns des princes, il ne se sert que de
paroles sarcastiques, amères et mordantes. Son visage ressemble à ses livres; les
yeux sont perçants et brillent d'un feu singulier, comme celui qu'on remarque
quelquefois dans les regards des possédés. Son langage est violent, semé de
sarcasmes, d'épigrammes. Son habillement ne se distingue en rien de celui d'un
gentilhomme ordinaire. Mais lorsqu'il quitte sa demeure (autrefois un couvent),
il remet, dit-on, son froc de moine. Notre visite ne fut pas uniquement remplie
par la conversation. Nous bûmes ensemble gaiement du via et de la bière,
LUTHER JUGÉ PAR LUI-MÊME. 187
désespoir et du blasphème m'ont assailli », écrit- il un jour à
Mélanchtlion; et à un auire de ses amis : < Bien des {jens, parce
que dans mon extérieur j'alfecte quelquefois^ un air joyeux, s'ima-
ginent que je ne marche que sur des roses; cependant Dieu sait
dans quel état je suis, la moilié du temps! » Sans relâche, sans
répit, il était en butte aux plus rudes combats intérieurs, et lui-
môme a avoué que, pour y échapper, il avait souvent recours à
de copieuses libations, au jeu, à la plaisanterie, ou bien s'elïor-
çait de penser à une jolie fille, ou cherchait à exciter en lui une
violente colère '.
Or ce qui réussissait toujours à le mettre dans cette violente
colère, c'était le souvenir de l'Église, de sa doctrine, de ses institu-
tions; c'était surtout la papauté. Pour maîtriser ses angoisses, pour
justifier sa rébellion, il s'évertuait à adopter de plus en plus dans
sa polémique ce ton violent, passionné, qui a jeté dans l'étonne-
ment et l'elfroi tous ses contemporains calmes et de sang-froid,
amis ou ennemis. Dès qu'on attaquait sa doctrine de la justification
par la foi seule : « Injurier sans retard », telle était sa maxime. " Il
n'y a que d'incurables benêts qui puissent soutenir que c'est un péché
d'insulter Home* », disait-il. Lorsqu'il éprouvait de la difficulté à
prier, il essayait aussitôt de se représenter le Pape, " avec ses ulcères
et sa vermine ». Alors son cœur « brûlait d'indignation et de haine,
et sa prière devenait ardente^ ». « Ma gloire, mou honneur, et
j'aspire à les mériter », disait-il, « c'est qu'un jour on puisse dire de
moi que j'ai versé à pleines mains l'injure, l'outrage et la malédic-
tion sur les papistes! » « Je veux jusque dans ma tombe m'achar-
ner à injurier, à outrager ces misérables! Ils n'auront de moi nulle
bonne parole! Mon tonnerre retentira à leurs oreilles, leurs yeux
seront éblouis par mes éclairs, et cela jusqu'à ce qu'ils succombent!
Puisque je ne puis pas prier, je puis du moins maudire! Au lieu de
dire : Que ton nom soit sanctifié, je dirai : Maudit, damné, honni
soit le nom des papistes! Au lieu de répéter : Que ton règne nous
arrive, je dirai : Que la papauté soit maudite, damnée, exterminée!
selon la coutume du pays. Luther, comme on dit en allemand, me semble être
« un bon compagnon • {ein gut geselle); quant à ses mœurs sévères, dont beau-
coup parmi nons vantent le mérite, il ne me paraît nullement au-dessus des sim-
ples mortels. L'orgueil se fait tout de suite remarquer en toute sa personne, ainsi
qu'une grande ambition. Il est vraiment par trop libre dans ses railleries, quo-
libets, médisances. Aureste, ses écrits révèlent exactementlhomme. » Lettre du
6 aoilt 1526, dans Hipler, p. 71-74. — IIöfleu, Adrien VI, p. 320, note 2, cite
l'opinion de Danticus sur Luther: « affirmans eum esse daemoniacum-.
*Voy. ces citations dans Dollingek, t. III, p. 257. — Voy. Sammtl. Werke,
t. LX, p. 124-125. — De Wette, t. IV, p. 188.
* Sammtl. Werke, t. LX, p. 129.
2 Sammtl. Werke, t. LX, p. 107-108.
188 LUTHER JUGÉ PAR LUI-MEME.
Et en réalité c'est ainsi que je prie tous les jours sans relâche, soit
des lèvres, soit du cœur' ! »
Tout ce qui provoquait sa colère et s'opposait à lui devait être
anéanti. Aussi avait-il juré une guerre à mort non-seulement à la
papauté, mais à tous ceux qui combattaient sa doctrine, " gens
endiablés, possédés et archipossédés, gueules menteuses! » Les
Juifs aussi lui étaient en horreur : « C'est un peuple obstiné, incré-
dule, orgueilleux, pervers, maudit, un bouillon d'iniquités », disait-
il. 11 eût voulu voir mettre le feu à leurs synagogues, à leurs écoles.
11 fallait, si cela était possible, y jeter du soufre et de la poix, et si
l'on avait pu y mettre le feu de l'enfer, c'eût été mieux encore. Ce
qui ne voudrait pas brûler, on devait l'enfouir dans la terre, de
façon que jamais personne n'en puisse revoir pierre ni débris.
" Voilà comment il faut agir pour honorer Notre-Seigneur et la
chrétienté tout entière, et c'est à ces actes que Dieu verra que
nous sommes sincèrement chrétiens! Donc, que l'on démolisse, que
l'on détruise leurs demeures! Pour eux, qu'on les mette sous un
auvent ou dans une étable; qu'on leur enlève tous leurs livres de
prières, le Talmud, la Bible; qu'on défende à leurs rabbins, sous
peine de mort, d'enseigner à l'avenir; qu'on leur interdise l'usure;
qu'on ôte d'entre leurs mains toutes les marchandises brutes, les
joyaux d'or et d'argent, et qu'on mette tous ces trésors de côté.
Et si tout cela ne suffit pas encore, qu'on les chasse en pleine cam-
pagne comme des chiens enragés! « " J'ai fait ce qui dépendait de
moi », dit-il en terminant cette apostrophe; ' que chacun voie
maintenant ou il en est de son devoir : j'ai fait le mien*! »
Le langage de Luther en vint enfin à de tels excès de violence et de
grossièreté, que Wilibald Pirkheimer croyait y reconnaître la preuve
d'une véritable aliénation mentale ou d'une possession du démon ^
« Luther ne garde plus aucune mesure! " écrit Bullinger, un des théo-
logiens luthériens les plus respectés de la Suisse. " En vérité ses écrits
ne contiennent la plupartdu temps qu'outrage, emportement, fureur!
Dieu lui donne-t-il un bon terrain? Il le sème aussitôt de tant de
paroles grossières et dissolues que le bongrainnesaurait ygermer, et
qu'on ne l'y distingue plus. Il envoie tout de suite au diable tous ceux
qui ne se livrent pas entièrement à lui. Parmi tant de sarcasmes, c'est
l'esprit de haine qu'on voit dominer en lui, non l'esprit de bonté
et de paternelle onction. Beaucoup et trop de prédicateurs tirent de
ses écrits amers tout un arsenal de paroles grossières, puis, une fois
' Sämmtl. Werke, t. XXV, p. 108.
*Tome XXXII, p. 217, 233-236, 252-254, 259-260.
^ « Adeo ut plane iriianire, vel a raalo damonio agitari videatur. > Lettre de
Pirklieimer à Kilian Leib, »öllinger, Heformation, t. I, p. 533-534.
JUGEMENT PORTÉ PAR ULRICH ZASIUS SUR LUTHER. 189
en chaire, se décharf,eQt de leur butin, et en fatiguent les oreilles du
pauvre peuple de Dieu. Ces tristes exemples propagent dans toute
la communauté chrétienne le goiU de l'insulte, et la plus grande
partie de cette société qui se dit évan{',clique ne sait plus témoi};ner
sa foi que par des propos injurieux, .'ipres cl mordants. 11 est clair
comme le jour, et malheureusement impossible à nier, que personne
avant Luther n'avait été plus libre dans ses propos, plus indécent,
plus querelleur, que personne n'a blessé davantage la retenue et la
chasteté chrétiennes, et cela dans les questions qui regardent la foi.
Et pourtant quelques-uns de ses écrits sont pleins d'élévation et de
gravité; mais on dirait qu'il vise toujours à se surpasser lui-même
dans l'art de l'invective'. ^ « Bien souvent % dit Théobald liillika-
nus, " j'ai conjuré .Mélanchthon, lui qui est la joie, l'orgueil de l'Alle-
magne, de modérer le zèle de Luther, d'adoucir sa violence par
des représentations douces et amicales, car je crois pouvoir pré-
dire qu'entraîné vers la révolte par de semblables apostrophes, le
peuple surexcité précipitera bientôt l'Allemagne dans une incurable
détresse ^ "
!' Que dirais-je à ce sujet? ^ écrit avec douleur Ulrich Zasius à Boni-
face Amerbach; < Luther, dans son délire impudent, interprète l'Écri-
ture tout entière, l'Ancien et le Nouveau Testament, depuis le pre-
mier chapitre de la Genèse jusqu'à la dernière sylIabC; dans le sens
d'une perpétuelle menace et malédiction contre les papes, les évêques
et les prêtres. Il semble qu'à travers tous les siècles Dieu n'ait eu
d'autre affaire que de tonner contre le clergé! » = L'esprit de
Luther ), dit-il ailleurs, « engendre la haine, la discorde, les émeutes,
les ressentiments, le meurtre ^ «
' Voy. DÖLHNGER, t. m, p. 262-263.
*Voy. DÖLLINGER, t. I, p. 149.
^ Voy. RiEGGER, Zasii epist,, p. 72. « ...parit inimicitias, lites, aemulationes,
iras, concertationes, sectas, invidias, caedes, etc. •• — Vov. Höfler, Adrian il,
p. 319.
CHAPITRE H
SOULÈVEMENT DU PEUPLE PAR LA PRÉDICATION ET LA PRESSE.
(1521-1523.)
Cependant le « grand embrasement » auquel on s'était attendu
lors de la diète de Worms n'avait pas encore éclaté.
Mais en dépit de l'édit impérial, prédicateurs ambulants, prêtres
séculiers, moines sortis de leurs couvents ou simples laïques, conti-
nuaient sans relâche à entretenir l'agitation populaire par des libelles
révolutionnaires de tous genres. Les écrits et les discours les plus
passionnés, les pamphlets les plus injurieux pour l'Église étaient
tolérés dans la plupart des territoires allemands. Le peuple des cam-
pagnes, surtout, était entraîné dans le mouvement révolutionnaire;
on le pressait de s'affranchir par la violence du joug des institutions
établies. Le clergé tout entier, depuis le Pape jusqu'au dernier moine
mendiant, et avec lui toute prescription, toute pieuse coutume de
l'Église, étaient raillés et honnis de la manière la plus grossière et la
plus cynique. Dans les cabarets, dans les maisons de bains, sur les
places de marché, en pleine campagne, un grand nombre d'orateurs
improvisés déblatéraient contre " la prétraille, les serviteurs de Satan,
le dragon de l'enfer, contre leurs crimes sodomites et les jongleries
abominables dont, prétendaient-ils, le culte des saints était pour eux
le prétexte, les idoles, la confession, les prières, les dîmes, etc. «. On
dépeignait au peuple, sous les mêmes couleurs, les exactions des
grands princes temporels en les représentant comme tout à fait into-
lérables'. " Les tyrans ecclésiastiques et laïques qui vous pillent »,
lit-on dans un pamphlet de 1521, « sont évidemment responsables en
partie de la peste qui dévaste en ce moment l'Allemagne '\ ii « Une
' Voy. les extraits de sermons et de pamphlets cités par Hagex, t. II, p. 155-227,
et Balr, Deutschland in den Jahren 1517-1527.
- Cité dans Glos, und Comment. F*.
SOULÈVEMENT DU PEUPLE PAR LA PRÉDICATION ET LA PRESSE. 191
morlalifé effrayante désole loiit le pays, et contribue encore à
exciter l'ima^jination populaire. Eu Bavière, les princes n'osent
plus résider dans aucune ville; à Vienne, vinjyt-quatre mille hommes
ont péri victimes du fléau, qui cependant ne parait pas diminuer. »
A CoIo{;ne, sur toute la rive du Hliin, en Souabe, en Sui.sse, en
Autriche, la mort fraisait d'épouvantables ravagées'.
L'un des prédicateurs et des pamphlétaires les plus influents de
cette époque, c'est Jean Eberlin de Giinzbourg, ancien moine fran-
ciscain. Il prêchait en Suisse, en Souabe, en Bavière, en Saxe et
ailleurs, annonçant en tous lieux le < nouvel Évangile > par la parole
et par la plume.
Au dire d'Éberlin, « tout |)rètre était impie, cupide, querelleur,
envieux, adultère ». La colère de Dieu s'était appesantie sur les
prêtres, et c'était miracle que le peuple ne les eiU pas encore lapidés.
" Moines et prêtres ont calculé et médité jour et nuit les meilleurs
moyens de nous tromper. Tandis que, pleins de soucis et d'angoisses,
nous ne songions qu'à nous procurer la subsistance de tous les jours,
celle de nos enfants et de nos serviteurs, nous ne nous apercevions
pas que nos guides spirituels, nos cagots hypocrites avaient, sous
de beaux prétextes, préparé la mort de notre âme. >< Grâce aux
doctrines des universités et des moines mendiants, les Allemands
étaient devenus ^ pires que des païens et plus gueux que des men-
diants ». Parlant de saint François d'Assise, fondateur de l'Ordre
auquel il avait jadis appartenu, Éberlin disait que c'était, ^ ou un fou,
qu'on eiU dû chasser à bous coups de crosse, ou un infâme scélérat,
qu'il eiU fallu expulser du pays ». A la vérité, on ne pouvait nier
K qu'il n'y eût eu beaucoup de saintes âmes dans son Ordre; mais
un mauvais arbre ne pouvait porter de bons fruits; ces âmes avaient
sans doute servi de pièges à Satan; en tout cas, Satan était le véri-
table auteur de la règle franciscaine ».
< O mère », s'écriait Éberlin, « toi qui envoies ton enfant au cou-
vent, tu es plus dure que la pierre, tu es une louve, une lionne,
une vraie Médée! Père, tu es moins père que meurtrier; ami, tu es
moins ami qu'ennemi; citoyen, tu agis comme un étranger; chré-
tien, tu es pire que l'Antéchrist! O mère, si tu avais étouffé ton
enfant dans son berceau, tu aurais été mieux inspirée, car cet enfant
est destiné à pleurer le jour de sa naissance comme Jérémie et
comme Job; il deviendra un autre Antéchrist, parce que là où sont
les moines, là se rassemblent les soldats et les serviteurs du démon. »
Éberlin demandait donc que l'on chassât les moines du pays et
de la ville comme oppresseurs de la divine parole. Le souverain tem-
' G. KiRCHMAiu, Denkwûr digkeiten, dans les Fontes rer. Auslriacarum script., 1. 1, p. 457.
192 SOULÈVEMENT DU PEUPLE PAR LA PRÉDICATION ET LA PRESSE.
porel avait le devoir de les faire étrangler, en punition des blas-
phèmes publics et incessants qu'ils proféraient contre Dieu; de cette
manière on se verrait enfin débarrassé de ces misérables et détes-
tables « mangeurs d'images ». Lutlier n'avait-il pas dit et répété
qu'il fallait délivrer le monde des pourceaux qui habitent les cou-
vents? Tous ceux qui prononçaient des vœux, - moines, religieuses,
prêtres », étaient « les sujets du diable; et par conséquent ils étaient
maudits de Dieu » ; comme Achab, ils s'étaient vendus pour com-
mettre l'iniquité. " Le nègre deviendra blanc avant que le moine
soit capable de quelque bonne action. » Les consécrations de l'Église
n'étaient que des pièges séducteurs; donc il fallait les abolir, aidé
de la parole de Dieu et soutenu par l'autorité légitime.
Les prêtres et les évêques devaient se marier, « car Dieu a
ordonné l'état du mariage, et il n'en a pas excepté les prêtres ».
-' Les évêques qui empêchent les prêtres de se marier sont les
ennemis du bien public; leur conduite est antichrétienne. » En tête
du traité où Éberlin cherche à établir ces principes, se trouve une
gravure représentant trois couples prêts à recevoir la bénédiction
nuptiale : un moine et une religieuse, un moine et une dame, un
évêque et une dame.
Quant aux édifices consacrés au culte, Eberlin enseignait que
l'église est une maison destinée, non par Dieu, mais par la com-
munauté chrétienne, aux pieuses assemblées, et que, lorsque cette
maison n'est plus du goût de la communauté, on peut s'en servir
sans aucun scrupule pour divers usages profanes, et la transformer
en boutique, maison de bains, boulangerie, boucherie, etc. = C'est
le commencement de tout le mal et c'est une grande ruse du diable
que la persuasion, où il nous a tous mis, que Dieu réclame de nous
une demeure. Le démon nous a ainsi détachés du Christ et de son
esprit, pour nous attirer aux pompes et aux frivolités de la terre.
Cependant Jésus-Christ avait dit : = Mon royaume n'est pas de ce
" monde. "Le pays est ruiné par la construction des églises; les autels,
les tableaux, les verrières nécessitent d'énormes dépenses. Non-
seulement les frais sont considérables, mais il n'est pas de petit vil-
lage qui ne veuille avoir deux, trois églises. A tout bout de chemin
il nous faut des chapelles, et chaque cultivateur veut avoir dans sa
vigne ou dans son champ un petit oratoire pour son saint. » ■• Vos
pieux ancêtres », dit Éberlin aux habitants d'Ulm à propos de leur
cathédrale, ' ont cédé à la tentation; ils ont fait construire une
église magnifique, beaucoup d'argent y a passé et y passe encore
tous les ans ; on eiU bien mieux fait de donner cet argent aux pauvres,
au lieu de le prodiguer aux adorateurs de temples. Avoir une mai-
son qui serve au culte, cela n'est pas répréhensible ; mais sachez
SOULÈVEMENT DU PEUPf.K PAR LA PHÉDICATION ET LA PRESSE. 193
bien que cette maison n'est pas plus a^^réable à Dieu qu'une maison de
bains, un établissement de douane ou un liOIel de ville. Dieu veuille
que vous ayez le bon sens de démolir toutes vos é[}lises de marbre et
de pierre, et de construire avec leurs débris^un bel hôpital, ou bien
des asiles pour les pauvres! Je souhaiterais presque que l'orajjc
détruisit vos égalises, et j'aiderais volontiers à en construire de nou-
velles où l'on ne verrait ni tableaux, ni précieux ornements, ni
riches all'ublements de prêtres. Allez plutôt au marché ou à la danse
habillés de velours, de soie, d'or et d'argent, que de souffrir que le
prêtre lasse servir ces riches étoffes à son culte idolâtrique. •■
11 n'était nullement nécessaire, enseignait encore Kberliu aux
paysans, que chaque église eût son curé. '^ Durant bien des siècles nos
ancêtres, en Allemagne, n'ont souvent eu qu'un curé pour dix ou douze
villages. Si ta conscience te tourmente, cherche conseil et consola-
tion auprès d'un chrétien pieux, digne de ta confiance. Si tu ne peux
avoir de prêtre, prends un laïque; si tu ne rencontres pas ce que tu
cherches dans un homme, confie-toi à une femme, soit pour ce qui
concerne ta vie, soit pour t'aider à l'heure du dernier passage. Souffre
plutôt la mort que de te laisser contraindre à la confession ; contente-
toi d'aller à l'église aux jours fériés. S'il ne t'est pas possible de t'y
rendre, que la foi te suffise. Si tu ne peux recevoir l'Eucharistie au
moment de la mort, le désir que tuen as suffit. - " Surtout % ajoutait
Éberlin, < hâtons-nous de nous débarrasser de tous ces prêtres, diseurs
de messes. » » La messe est un si grand outrage fait à Dieu qu'il
vaudrait mieux, plutôt que de la dire, jeter le Sacrement dans les
latrines, ou dans une étable à porcs. >
Dans son Traité sur la réforme du clercjé, Éberlin va jusqu'à émettre
le vœu qu'il soit défendu " sous peine de mort » d'enseigner au
peuple d'autre prière que le Pater et le Credo; encore ne veut-il pas
du symbole de saint Athanase, il n'accepte que celui des apôtres.
Dans sa Nouvelle Organisatio)i de l'état laïque, il trace, dès 1.321, le
plan suivant au su^et de la réforme sociale qu'il voulait voir s'opérer :
" L'État ne reconnaîtra d'autre travail honorable, d'autre moyen
d'existence que l'agriculture. Aucune marchandise étrangère, si ce
n'est dans des cas urgents d'utilité publique, ne pourra être intro-
duite dans le pays. L'importation, même du blé ne sera permise
que dans un cas d'extrême nécessité. On ne tolérera pas plus de
trois associés dans les compagnies commerciales. Le gibier, le pois-
son seront propriété commune, et chacun pourra en user pour ses
•besoins, s'il peut se les procurer par la chasse ou la pêche. Tout indi-
vidu aura le droit de couper du bois dans la forêt, mais jamais au
delà de ses besoins; on pourra acheter chez le boulanger pour
un demi-pfenning ' autant de pain qu'un homme robuste en peut
II. 13
194 SOULÈVEMENT DU PEUPLE PAR LA PRÉDICATION ET LA PRESSE.
manger à son repas; une mesure de vin ne coûtera pas plus d'un
kreutzer, et cette mesure sera suffisamment grande pour que deux
hommes, « ayant raisonnablement soif > , en aient assez pour leur
dîner. - Toute charge, même celle du Roi, sera conférée par les suf-
frages de tous. Dans les conseils, paysans et nobles seront égaux en
nombre, mais nul prêtre n'y pourra siéger. Celui dont l'avoir ne
dépasse pas cent florins ne sera pas obligé de payer d'impôt; celui
qui aura davantage payera un liard par semaine, n
« Dans les villes, à l'exception des édifices d'utilité publique,
aucune maison luxueuse et magnifique ne sera construite. Tout indi-
vidu dépensant au delà de ce que son revenu a été estimé, sera
dénoncé sous serment à l'autorité. Personne ne pourra léguer quel-
que chose aux établissements publics. "
L'autorité temporelle sera seule chargée du soin des pauvres et de
l'organisation de l'enseignement scolaire, qui sera obligatoire et
gratuit. Voici quel est le curieux plan tracé par Éberlin pour cet
enseignement : « Tout enfant, fille ou garçon, sera conduit à l'école
dès sa troisième année, et fréquentera les classes jusqu'à l'âge de
huit ans. Les écoles seront entretenues sur les fonds publics. Les
enfants y apprendront la doctrine chrétienne dans l'Évangile et
dans saint Paul. Ils devront être formés à l'intelligence du latin
aussi bien que de l'allemand, et savoir lire un peu le grec et l'hébreu.
En outre, ils apprendront le violon, la géométrie, le calcul, l'astro-
nomie, enfin la botanique et la médecine usuelle, ainsi que l'art
d'appliquer les remèdes dans les maladies ordinaires. Lorsqu'un
enfant aura atteint l'âge de huit ans, on lui fera apprendre un
métier, à moins qu'on ne lui permette de poursuivre ses études, «
« Il semble en vérité que le monde soit devenu fou ou songe-
creux '), dit à propos de ces plans scolaires l'auteur des Plainles^
d'un simple moine. « On voit se faire jour de merveilleuses fantaisies!
Les gens se mettent dans l'esprit que ceci, que cela doit être enseigné
aux enfants; les têtes s'échauffent, s'emplissent de projets extrava-
gants; enfin tous deviennent si emportés, si disputeurs, que c'est
chose pitoyable à voir '. »
Éberlin voulait aussi que la philosophie fiU bannie des Univer-
sités, ainsi que tous les auteurs scolastiques, à moins qu'il ne s'agit
de les livrer au mépris des élèves. Il demandait que les livres de
droit canon et les Décrétales fussent publiquement brûlés.
Dans toutes les questions intéressant la chose publique, soit à la
ville, soit à la campagne, nulle autorité ne devait être exercée « sans
la participation et le conseil de ceux que la majorité des citoyens
' BI. c.
SOULftVEMENT DU PEUPLE PAP. I,.\ PhÉDlf.ATION FT r.A PRESSE. 195
aurait élus et investis de son mandat, n. « Tous les anciens droits
impériaux et ecclésiastiques seraient abolis • » ; « chacun connaîtrait
des droits communs, et serait en état d'apprécier la légitimité ou
rillé{;alilé d'un acte. A l'avenir on n'aurait plus besoin ni de juriste
ni d'avocat. »
Un pamphlet publié vers 1.322, et intitulé: Besoins et mressités de
la nation allemunde ; organixation et réforme de toutes les condilinns
dans l'Empire romain *, réclame aussi UD changement radical dans
' V'oy. Kurz, Einleitung zu Murner's Gedicht vom grossen lutherischen X'arren, IX-XXVII.
— Hagen, t. II, p. 167-169, 226, 309, 33i. — RiGGENBiC», p. 44, 58-77, 88-96, 99, 105,
124-125, 148, 181-186. Les opinions d'Kl)erlin sur les connaissam es quun enfant
peut avoir acquises à huit ans ne concordent pas avec les vues qu'il a exposées
en d'autres endroits de ses ouvrages. - Luther et Mélanchthon -, dit-il, -eussent
été contents de voir leurs écrits brûlés, ainsi que ceux de tous les autres doc-
teurs, afin qu'en fait de lecture les chrétiens se contentassent de la Bible. En
cela ils avaient ^ai^on. En effet, chacun de nous sait, par sa propre expérience,
le peu de profit qu'on retire des livres de doctrine, comme un auteur rejette
l'opinion d'un autre et en fournit rarement une meilleure, les lecteurs sont
divisés de senti inents, et les connaissances qu'ils retirent de leurs lectures ne sont
que vanité et bafjatelle. Lis Origène, Jérôme, etc.; que trouves-tu dans leurs
ouvrages? rien que fleurs de rhétorique et vanité humaine! Saint Chrysostome
aurait fait un meilleur juge de village qu'un docteur de l'Eglise. Saint Augus-
tin, à force d'avoir écrit, a été obligé de rétracter plus d'un passage de ses
livres. Saint Grégoire a composé une masse de traités de morale : mais celui
qui médite dix pages de la Bible et laisse ensuite, plein de foi, l'Esprit divin
agir en lui et l'instruire au dedans, tire plus de profit de sa lecture que de
tous ses livres. Que n'a pas écrit Boëce sur la Sainte Trinité? La chrétienté
n'eût-elle pas subsisté sans cela? Un cœur vraiment affermi dans la foi se con-
tente de la Bible, et ne se soucie que médiocrement des sciences et des arts
humains. Il ne s'en approprie que ce qu'il peut en apprendre sans grande perte
de temps et sans grand labeur. > (Riggenbàch, p. 137-138 ) Plus tard, Éberlin,
comme Rii;genbach le prouve surabondamment dans son ouvrage, revint de
beaucoup de ses idées extravagantes et outrées. En parlant de ses travaux
apostoliques, il disait : ^ Je paraissais singulier à plusieurs eu enseignant que
pour un chrétien il y a encore autre chose à faire qu'insulter les prêtres, man-
ger de la viande, cesser d'assister à la messe, ne plus se confesser, et^'. J'éton-
nais mon auditoire en blâmant l'excès dans le boire et le manger, en léprou-
vaut la gloutonnerie des soi-disant évangélistes. la luxure, l'usure, les blas-
phèmes, les mensonges et déloyautés auxquels ils étaient enclins. C'est sans
doute le diable qui rend beaucoup de ceux qui se disent évangélistes et luthé-
riens plus opiniâtres, moins soumis que qui que ce soit. Maintenant que vous
vous êtes affranchis du joug papal par un motif de conscience, vous seriez
bien aises de vous délivrer aussi de toute peine, et de vivre dans la bonne
chère, foulant aux pieds la croix du ( hrist et méprisant son exemple. Vous
deviendriez ainsi deux fois pires que les papistes, et même que Tyr, Sidon
et Sodome. Aussi les gens de Sodome seront-ils jugés avec plus de miséri-
corde que vous au dernier jour. • Riggenbach, p. 221-222-242. — Voy. la table
chronologique des œuvres complètes d'Éberlin dans Riggenbach, p. 285-290.
— V. A. Kaufmann, Archive des histor. l ereins von Unter/ranken und Aschaffenburg ,
t. XX, p. 1-29.
'Attribué faussement à FrédéricIH, qui l'avait composé, prétendait-on, ^ pour
la gloire de Dieu, l'utilité et le salut de toute la chrétienté ^. — Voy. Hagen,
t. II, p. 338-342. — Friedrich, Astrologie und Reformation, p. 138-149. — StaLIN,
t. IV, p. 298, note 1.
13.
196 SOULÈVEMENT DU PEUPLE PAR LA PREDICATION ET LA PRESSE.
l'état de choses existant. Il demande que les docteurs en droit canon
ou en droit séculier soient cassés dans tous les tribunaux; que tous
les droits séculiers impériaux, jusque-là appliqués, soient supprimés,
à l'exception de quelques lois qui " |.our de solides raisons, et exa-
minées au plein jour de la pure vérité, seront reconnues d'utilité
publique •'. Les douanes, péages, frais d'escort«, monnaie suspecte,
enchérissement de denrées, impôts et charges établis jusque-là dans
l'Empire, tout cela devait être aboli, à l'exception de ce qui serait
reconnu pour vraiment nécessaire, afin que l'égoisme des particu-
liers ne nuisit plus au bien public, et que nul obstacle ne s'opposât
désormais à la prospérité des industries et métiers usuels. =< Aucun
marchand ne pourrait entreprendre une affaire comportant un capi-
tal de plus de dix mille florins : l'excédant retournerait à l'État. '•■
« Certes, princes ». dit l'auteur inconnu de cet écrit, « vous
convoitez un bien injuste; vous voudriez continuer à sucer à votre
guise la sueur et le saug du peuple, mais en vérité vous avez fait
assez de mal; tenez-vous pour avertis. •- " Dans vos palais, vous
êtes entourés de flatteurs, d'hypocrites, de mangeurs de soupe;
aussi ne pouvez-vous souffrir qu'on vous dise la vérité en face; celui,
au contraire, qui améliore votre position en nous exploitaut, est
toujours, à vos yeux, un habile compère. Parmi vous, personne ne
s soucie de savoir si la fortune qu'il possède est légitimement
cquise. Il en jouit, cela lui suffit. Il semble que Dieu n'ait créé les
siens que pour vous servir de dupes! Vos extorsions ne sont plus
nécessaires. > Le haut clergé a transformé la population en une troupe
de mendiants : " A vous, bons chrétiens, nobles et roturiers, riches
et pauvres, jeunes et vieux, de réfléchir à ces choses en votre âme
et conscience, et de décider si une telle situation peut être long-
temps tolérée ou maintenue parmi nous! Je voudrais bien savoir à
quoi servent les hauts dignitaires ecclésiastiques! Je voudrais bien
aussi que quelqu'un me dise si Jésus-Christ, notre Rédempteur, tan-
dis qu'il était sur la terre, a jamais parlé de moines et de religieuses!
Si le clergé ne veut pas restituer le bien de l'Église, il peut être sûr
que « Dieu le récompensera selon ses mérites ", c'est-à-dire qu'on lui
arrachera de force sa propriété. Vous avez surchargé et tyrannisé
le peuple, mais voici venir le temps où vos biens seront partagés et
traités comme butin ennemi. > '■ Vous avez opprimé la nation, mais
bientôt elle s'élèvera contre vous à son tour, et vous ne saurez où
trouver un lieu de refuge. »
« Les agitateurs se répandent de tous côtés dans les cités et les
villages », lit-on dans les Plaintes d'un simple moine; « ils distribuent
des livres remplis d'injures, de caricatures ignobles contre le haut et
le bas clergé. Ils enseignent que l'on ne doit aux prêtres ni dime,
SOULfiVEMENT DU PEUPLE PAR LA P(!l!:i)IC.\TION ET LA PRESSE. 197
ni redevances, et qu'il faut les dépouiller de tout ce qu'ils possèdent,
les chasser et les ég^orger. Ils accommodent la Sainte Écriture à leurs
desseins maudits, ponssenl le peuple à se révoller contre toute auto-
rité et toute loi, et la divine parole est contrainte de servir de man-
teau à leurs conseils séducteurs et pervers '. »
C'est ainsi, par exemple, que le prédicant de Memmingen, Chris-
tophe Scliappler, persuadait aux paysans, Bihlc en main, ' que le
Nouveau Testament avait aboli la dime; qu'il était anlichrétien d'exi-
ger des fidèles des redevances ou des taxes; qu'on n'était pas obligé
de payer les dettes qu'on avait contractées envers le clergé ; que le
ciel était ouvert aux paysans, mais fermé aux nobles et aux prê-
tres* ". A Kempicn (1523), Mathieu Waybel enseignait de son côté
que l'on ne devait aux prêtres ni dime, ni redevance; que les
ordonnances de l'Fglise, par lesquelles l'homme du peuple, à Kemp-
ten comme partout ailleurs, avait été trompé, » devaient être abo-
lies ^ ». Le prédicant Nicolas Schweikart, habillé en paysan, ensei-
gnait publiquement que l'on n'était pas tenu de payer la dime aux
prêtres. « Ils nous ont assez trompés >, disait-il; " leur temps est
passé \ »
Des laïques aussi parcouraient le pays en prêchant (1521-1523).
« Des gens illettrés », rapporte Éberlin de Günzbourg, « paysans,
charbonniers, batteurs en grange, savent et enseignent l'Évangile
mieux que tous les chapitres urbains ou ruraux de chanoines et de
prêtres, mieux même que les docteurs les plus éminents^ » « On
voit maintenant à Nuremberg, à Augsbourg, à Ulm, le long du Rhin,
en Suisse, en Saxe », écrit l'ex-moine franciscain Henri Ketten-
bach (1523), « des femmes, des jeunes filles, des serviteurs, des
ouvriers, des tailleurs, cordonniers, boulangers, tonneliers, reitres,
chevaliers, qui en savent plus long sur la Bible que tous les docteurs
des Universités, y compris celles de Paris etàe Cologne, et que tous
les papistes mis ensemble, aussi loin que le monde est grand; ils sont
en état de le prouver, et le prouvent tous les jours. » « Si l'empe-
reur Charles «, continue-t-il, 'i avait seulement autant d'instruction
que le chauffeur de poêle de Luther, il ne se laisserait pas berner
par son Glapion, ce moine sans cervelle, qui est son confesseur,
et le gouverne à tel point qu'il devient la risée du monde entier,
et qu'il est compté pour un zéro''. »
' Bl. G«.
* Voy. Ar\, Gesch. des Cantons i>on St-Gallen, t. II, p. 492.
* Voy. Flaschutz, Chronik des Sli/tes Kempten, dans B.vumann', Quellen, p. 377.
* JÖRG, p. 251. Sur les prédications séditieuses de cette époque, on trouvera
de plus amples détails dans les chapitres qui traitent de la révolution sociale.
* RiGGENBACH, p. 198.
* Ein new Apologia und Veranlicorlung Martini Luthers, Bl. B'*.
198 SOULÈVEMENT DU PEUPLE PAR LA PRÉDICATION ET LA PRESSE.
Parmi ces prédicants laïques, un paysan nommé Karslhans se fai-
sait particulièrement remarquer. Il déployait surtout son zèle dans
les pays rhénans, à Strasbourg et à Bâle : ■■- Un laïque nommé Kars-
thans », lit-on dans une relation de Strasbourg, « un extravagant,
un homme remuant, attaché à l'hérésie luthérienne, a soulevé dans
la ville de Strasbourg l'émeute et la révolte contre tous les gens
honorables. Il agite les masses, il les rassemble autour de lui, dans
les ruelles et dans les rues, enseignant beaucoup de choses dan-
gereuses, fausses et hérétiques; ainsi, par exemple, cet impudent
coquin a osé dire ouvertement que maintenant le temps était oppor-
tun, l'heure propice pour l'extermination et l'anéantissement de
tous les -= accapareurs d'^héritages « ; et comme quelqu'un qui se
trouvait là lui demandait la raison d'une mesure si violente, Kars-
thans a répondu et dit que c'était parce que jusqu'ici les « man-
geurs d'héritage - avaient, contre toute justice, soutiré les Pfen-
nings des laïques, enseignant la doctrine du purgatoire, et prétendant
que les âmes sont sauvées par les aumônes et la prière, choses qui
ne sont cependant que de leur invention. -
Le nom de Karsthans devint bientôt un nom, un type populaire.
On le retrouve dans tous les pamphlets révolutionnaires répandus
à cette époque par les marchands ambulants '.
Le plus célèbre de ces pamphlets, le Xouveau Karsthans, parut sans
nom d'auteur; il émanait du cercle des amis de Sickingen. Le paysan
Karsthans et le chevalier Franz de Siciiingen causent ensemble sur
les affaires du temps. Hütten, dans son dialogue des brigands, avait
cherché à former une alliance entre la noblesse et les villes contre
le clergé; mais dans ce nouveau libelle, ce sont les paysans que la
noblesse veut attirer à elle. - .le suis profondément attaché à la
noblesse >•, dit Karsthans dès le début; <- je suis prêt à en venir aux
mains. Pour régler le compte sanglant qui va être présenté aux
prêtres, il ne manque plus qu'un chef, et dès que ce chef sera trouvé,
la bonne cause marchera! •■• Sickingen démontre aux paysans que
les prêtres sont des loups dévorants, si bien que son interlocuteur,
prenant feu à ce discours, s'écrie : ■' Alors, il faut les assommer avec
des fléaux et des pioches! ;; Lorsque Sickingen lui explique que le
Pape a placé son trône au-dessus du trône de Dieu, et qu'à cause
de ce crime il sera précipité dans l'abime comme autrefois Luci-
fer, Karslhans répond : " Qu'il y tombe au nom de tous les diables,
et qu'ensuite Satan l'aide, s'il veut, à se relever! » « Il faut », lui
explique Sickingen, « se débarrasser du clergé, de ses cérémonies,
de ses jongleries. Le clergé égare la simpUcité du peuple. Dieu ne
1 Voy. Hagen, t. II, p. 173.
SOULÈVEMENT DU PEUPLE PAR LA PRÉ[)If:ATION ET LA PRESSE. 199
demande de nous que l'adoralion en esprit et en vérité; il ne prend
aucun plaisir aux éj;lise.s de pierre ou de bois; aussi faut-il en
déiruire la plus jjraude partie, et en toutes choses prendre pour
modèle le Bohême Ziska, qui a réussi à chasser de son pays les
moines et les prêtres. Aussi longtemps que les églises resteront
debout , dit encore Sickingen, ■ l'esprit clérical s'insinuera de
mille côtés. La superstition ne sera détruite parmi le peuple que
lorsqu'on parviendra à se débarrasser des hommes de trop, c'est-à-
dire de tous les moines. " - En vérité, Ziska a été bien avisé lorsqu'il
a abattu les églises, car s'il les avait laissées debout, la prédiction
qu'il avait faite autrefois aux Bohèmes se serait accomplie à la lettre.
Si vous laissez les nids, avait dit ce grand homme, au bout de dix
ans, tous les oiseaux y reviendront, .le ne puis assez louer la haute
intelligence de Ziska; il a compris qu'il fallait d'abord chasser
les moines, puis détruire leurs couvents ; c'est qu'il savait fort bien
que le fondement de toute superstition vient de ces hypocrites
bigots, qu'on ne peut jamais rassassier. Si nous ne nous eu défai-
sons promptemcnt, le monde chrétien sera ruiné. Sickingen, en
conseillant cette mesure et en s'efforçant de la justifier, s'appuie
sur cette parole de saint Paul : ■ Là oii est l'Esprit de Dieu, là est la
liberté. "
Trente articles forment un appendice à ces dialogues : Helferich,
qui appartient à la noblesse, le chevalier Henri et Karsthans jurent
de les maintenir fidèlement et loyalement. Les conjurés s'engagent
à ne plus considérer le Pape que comme l'Antéchrist; les cardinaux,
que comme les apôtres du diable. Ils traiteront tout légat envoyé
par le Pape comme l'ennemi commun des pays allemands. Ils jet-
teront une pierre de quatre livres à tout moine mendiant deman-
dant un fromage. Tout officiai ou délégué ecclésiastique sera pour-
suivi par les chiens, et les enfants lui jette'-ont de la boue. Les
conjurés se rallieront à Hütten; ils égorgeront et feront périr les
courtisans romains et leurs partisans, et ne se feront aucun scru-
pule d'assommer un prêtre ou de le fouler aux pieds. Ils jurent
inimitié à tous les ennemis et adversaires de Luther. Les huissiers
envoyés par le Pape pour apporter en Allemagne les décrets du
Saint-Père auront les oreilles coupées; s'ils reviennent à la charge,
on leur crèvera les yeux. Les jours de fête sont abolis, à l'excep-
tion du seul dimanche; on ne souffrira plus aucune image, qu'elle
soit de bois, de pierre, d'or ou d'argent '. Dieu ne sera adoré qu'en
esprit seulement. Les conjurés promettent d'exposer leurs corps et
leurs biens pour le maintien de ces articles, et prennent Dieu à
* Strauss transcrit : - Aucune image ne sera plus adorée. > r. II, p. 224.
200 SOULÈVEMENT DU PEUPLE PAR LA PRÉDICATION ET LA PRESSE.
témoin que leur entreprise ne tend qu'à la propajyation de la divine
vérité et au bien de la patrie ' !
Murner prédisait au - pauvre homme >< auquel on promettait une
bonne part du butin, qu'il aurait le même sort que le paysan de
Bohème, entraîné jadis comme lui dans une sanglante révolte; la
même lamentable destinée lui était réservée. En ce temps-là,
Le riche s'empara de tout, et h; pauvre
Fut laissé à sa lamentation et A sa détresse-'.
Ce que Joseph Grünbeck, secrétaire de Maximilien, avait prévu,
bien des années auparavant, s'accomplissait à la lettre : • Tous les
vices doubleront, tripleront, quadrupleront; l'égoisme et la cupidité
grandiront de telle sorte qu'on mentira sans aucun scrupule; on
mettra la main sur les biens de l'Église et sur les biens séculiers d'une
manière inique et déloyale, et cela sans nul remords. Les pauvres
veuves et les orphelins, dépouillés de leur droit, pousseront conti-
nuellement de grandes clameurs vers Dieu, implorant vengeance, et
cette vengeance retombera sur nos têtes, si nous ne nous hâtons de nous
convertir au Seigneur. - « Je crains fort que l'Empire, entièrement
corrompu au dedans, ne tombe bientôt en pourriture et ne soit
promptement flétr.i et desséché; je tremble que de sanglantes émeutes
n'éclatent de tous côtés dans l'intérieur de l'Allemagne. Je suis dans
une étrange angoisse; j'ai peur que notre mâle courage et notre force
ne se changent en pusillanimité de lièvre, et que la guerre, la famine
et la peste ne cessent de faire rage que lorsque toute l'énergie des
petits et des grands sera complètement épuisée . » « Jeunes et vieux,
pauvres et riches, prêtres et laïques, sont avides de richesses, et indif-
férents sur les moyens de se les procurer; le temps viendra où, pour
1 Gesprech Biechlin neue Karsthans, Au frontispice, on lit :
Je viens à vous, nouveau Karsthans,
Avec un bon enseignement, une saine doctrine .'
Je ne fais plus qu'un avec la noblesse.
Je ne tairai rien de ce que je sais.
Et Tolontiers j'en viendrais aui mains!
Que les autres fassent aussi de leur mieux!
Schade, Satiren und Pasquille, t. Il, p. 1-ii, 277-288. — Voy. Baur, p. 131-144. —
Les trente articles se trouvent aussi dans Br>.sE>, p. 512-514. - Les trente
articles - , dit cet auteur, >■ forment un document important ; ils éclairent dune
vive lumière bien des incidents de la révolte des paysans. =■ On lit dans une
chanson dont le duc Georges de Saxe est le héros :
Quelque menteurs qu'ils soient, il faut les appeler évangéliques.
Sous ce noble nom, ils écoulent leur poison;
Ils ne font rien pour la vérité. Amen.
Voy. Seidemann, Thomas Münzer, frontispice.
' Vom grossen lutherischen .Varren, p. 23-28.
SOULÈVEMENT DU PEUPLE PAR Lk PRÉDICATION ET LA PRESSE. 201
nous punir, Dieu permettra que l'état séculier réclame sa part des
biens ecclésiastiques; or ce bien l'empoisonnera, car de fous les châ-
timents qui tomberont sur les prêtres à cause de leurs iui<}uiiés, la
plus grosse part finira par revenir aux laïques; le clergé boira le
premier au calice de la désolation, mais les laïques se verront un
jour contraints d'en avaler le plus amer, et de le vider jusqu'à la
lie '. La persécution et la proscription des prêtres seront prompte-
ment suivies d'un soulèvement général contre les seigneurs. '
Plus d'une prophétie de cet te époque prédit à l'homme du peuple
que de dures épreuves seront préparées aux princes et aux sei-
gneurs par leurs sujets, " qui se ligueront ensemble, et forme-
ront un Bundschuh ». « La menace ne regardait pas seulement tel ou
tel seigneur, mais presque tous. - Cn second déluge était proche,
et toutes les choses de ce monde allaient être renouvelées, transfor-
mées. L'année 1524 était généralement désignée pour l'époque de ce
grand cataclysme.
Tout ce qui s'imprime en ce moment nous parle d'émeutes, de
meurtres, et respire le mépris des institutions ecclésiastiques ou
séculières :;, lit-on dans les Lamentations d'un simple moine; •■• ce qu'il
y a de plus regrettable, ce n'est pas, à vrai dire, que les biens tem-
porels du clergé soient menacés, ni qu'on attaque le luxe et la sen-
sualité des évéques et des grands prélats, car il y a là vraie matière
à réforme; il serait à souhaiter que la richesse des hauts dignitaires
de l'Eglise fiU diminuée, et qu'eux-mêmes fussent tenus de mener
une vie simple et chaste. Mais ce qu'il y a de beaucoup plus regret-
table , c'est que tout est bouleversé dans les choses mêmes qui
regardent le service de Dieu; les églises, les couvents, la vie chré-
tienne, plus rien n'est respecté; la jeunesse ne sait plus ce que c'est
que la discipline; on lui apprend à injurier tout ce qui est digne de
respect. » ^ 0 Dieu, dans quel monde vivons-nous ! On raille et
l'on maudit tout ce que nos parents avaient tenu pour saint, tout ce
que nous avions appris à vénérer et à pratiquer dans notre enfance,
les croyances sacrées que nos pères et nos mères avaient gardées, et
dans lesquelles ils étaient morts pieusement dans 1 amitié de Dieu,
grâce que nous espérions obtenir aussi pour nous-mêmes! Le mémo-
rial satisfactoire de la Passion de Jésus-Christ, dans la sainte messe,
est traité d'idolâtrie diabolique! On refuse d'honorer les chers saints;
on ne veut plus ni du jeune, ni de la prière pour les âmes du
purgatoire. On excite le frère contre le frère, l'inférieur contre le
supérieur; tontest querelle, tout est chaos, et l'on semble ne redou-
ter nullement les troubles et les émeutes qui s'approchent. Certes,
' Voy. Friedrich, Astrologie und Be/ormation, p. 63-78.
202 SOULÈVEMEM DU PEUPLE PAR LA PRÉDICATION ET LA PRESSE.
Jésus-Christ n'a pas annoncé le même Évangile que celui de Lutiier
et de ses partisans! >
L'Epure d'une religieuse à son père reproduit les mêmes plaintes :
« C'est à tort qu'on reproche aux religieux de s'imaginer gagner
le paradis rien que par leur entrée au couvent, rien qu'en adoptant
le saint habit, ou bien par leurs jeûnes et leurs prières. Une telle
conviction est très-éloignée de leur esprit, et ne leur a jamais
été enseignée. Instruits par la Sainte Écriture, ils savent fort bien
que toute justice humaine est souillée, et n'attendent leur salut
que des mérites de Jésus-Christ. L'habit ne fait pas plus le bon
religieux que le costume civil ne rend honorable le bourgeois de
Cologne. Si quelques moines mènent au fond de leurs couvents
une vie peu édifiante, il ne s'ensuit pas que tous les religieux
soient criminels, de même qu'il serait inique, dès qu'un bourg-
mestre ou un conseiller commet une faute grave, de condamner
tous les bourgmestres et tous les conseillers. Pour ma part, je
sais que les cloîtres renferment un grand nombre d'hommes pieux
et respectables, et sans aucun doute, parmi les bourgeois et les
bourgeoises des villes, parmi les paysans et paysannes des vil-
lages, il y a de très-honnêtes gens. Ceux-là nous laissent en paix,
et ne voient en nous que des frères et sœurs en Jésus-Christ. Que
chacun songe à bien remplir les devoirs de sa condition, fuyant
la médisance et la calomnie, et se souvenant, comme saint Paul
nous en avertit dans le premier chapitre de l'Épi tre aux Romains,
que Dieu a en horreur les médisants et les calomniateurs. '^ - En
disant ceci, je ne parle pas de toi, cher frère ■, dit la religieuse,
« mais de ceux qui portent aux nues la doctrine de ce Luther.
Lorsqu'ils viennent chez nous, je n'entends autre chose que ca-
lomnie, outrage, invectives contre le Pape, les évêques, les prêtres
et les religieux; ils ne sont préoccupés que de l'abolition du jeune
et de la prière. Si c'est là ce qu'enseigne Luther, je m'en rapporte
à ton jugement; dis-moi, mon cher frère, sa doctrine ne ressemble-
t-elle pas à du poison plutôt qu'à du miel? Je ne vois nulle part
dans l'Évangile que Jésus-Christ nous ait conseillé tant d'injures et
de sarciismes '. "
« Les papistes se plaignent «, dit Henri Kettenbach dans son
Apologie de Lutlwr, « que Luther observe mal le commandement de la
charité fraternelle et évangélique. Ils l'accusent d'être mordant,
envieux, d'injurier et d'outrager les gens. Luther, cependant, ne
fait en cela que suivre l'exemple de Jésus-Christ et de ses apôtres.
De nos jours, il est beaucoup plus nécessaire de prêcher contre la
' Voy. cette lettre dans B\tin, p. 217-219.
SOULÈVEMENT DU PKUI'LE ['AI'. LA PRÉDICATION KT LA PRESSE. 203
perverse influence, la séduction sainte et spécieuse de la gent luu-
surée, que de tonner contre les pécheurs avoués, les païens, les
Turcs, les brigands, les meurtriers, les adultères! Luther en s'en
prenant à vous, papistes, ne fait qu'imiter Jésus-Christ, Paul, fMerre
et Élie. Commcnl donc serait-il dans son tort? Luther ne saurait
faire la cour aux l'ripoiL*^; ils ne méritent pas (ju'on leur adresse de
bonnes paroles; ils sont aveugles, et veulent rester aveugles! Aussi
j'estime que les poursuivre, les anéantir, n'est pas un grand péché,
puisque Daniel et Élie ont fustigé autrefois de même sorte les scé-
lérats de leur temps '. "
II
Luther a donné le ton à toute la littérature polémiste de son
siècle, dans ses premiers ouvrages comme dans les écrits plus récents
qu'il répandait sur le monde du fond de sa solitude de la Warl-
bourg.
Son traité sur VAints des messes, publié pendant l'automne de
1521, va jusqu'à appeler le saint sacrifice de la messe ■• une œuvre
infernale, une abominable idolâtrie - : '= Que tout vrai chrétien
sache bien que dans le Nouveau Testament il n'est question d'autres
prêtres visibles que de ceux que le diable a suscités et élevés au
moyen des mensonges des hommes. Le sacerdoce réside en tous
les chrétiens; il est dans l'esprit seulement, il n'a besoin ni de per-
sonnes, ni de masques. ■ D'où sortez-vous donc, prêtres des
idoles? Vous n'êtes que des voleurs, des brigands, des blasphé-
mateurs de l'Église! Vous abusez honteusement d'un nom qui
appartient à tous, et que vous avez pris et dérobé de force aux
autres chrétiens, pour servir votre ambition, votre orgueil, vos
aises, votre cupidité! Vous êtes l'intolérable fardeau de la terre,
vous n'êtes nullement prêtres. Avez-vous quelque idée du châti-
ment qui vous est réservé, hypocrites et brigands que vous êtes? •
Comme le sacerdoce n'est que mensonge, il s'ensuit naturelle-
ment que la loi qu'il prétend nous imposer n'oblige personne. Le
sacrifice, les actes qui, selon l'Église, doivent s'accomplir par le
prêtre, ont encore bien moins de valeur : ■ Les lois du Pape ne sont
que tromperie; son sacerdoce n'est que chimère et que leurre; la
messe des papistes, qu'ils appellent sacrifice, n'est qu'idolâtrie,
' Ein neue Apologia, Bl. B
204 SOULÈVEMEM DU PEUPLE PAR LA PRÉDICATION ET LA PRESSE.
et cette idolâtrie est plus criminelle que celle des Juifs et des
païens. »
II ne se lasse pas de répéter, « s'appuyant sur l'autorité de Dieu
et sur la Sainte Écriture ", ;< que les prêtres ne sont autre chose
que les serviteurs du démon, et que leurs livres, leurs écrits ren-
ferment le diable en personne : < Que tout chrétien jette les yeux
sur l'innombrable troupe des moines et des prêtres, avec leurs
messes, leurs sacrifices, leurs lois, doctrines et œuvres, il ne verra
en eux que les sujets et les suppôts du diable. » ■ 11 vaudrait biea
mieux être bourreau ou malfaiteur, que prêtre ou moine'. " Le
Pape, « ce pourceau de Satan, a fait du sacerdoce un bouillon
d'iniquité ". « Le sacrement de l'Ordre imprime aux prêtres ce signe
de la bête dont il est parlé dans l'Apocalypse. »
Mais c'est surtout contre les évêques que Luther est animé d'une
singulière fureur : « Il n'existe point de race plus ennemie de Dieu
que ces idoles d'évêques! Ce sont des gens sans foi, des singes
ignorants; ils n'ont rien de chrétien, ce sont des caricatures, des
miracles de la colère divine! » « Pourquoi les craindre? Pourquoi
t'inspireraient-ils de l'effroi? Pourquoi, bien plutôt, ne les regar-
derais-tu pas comme la balayure du monde, ainsi que Pierre les
nomme, eux et toutes leurs lois, leurs mensonges, leur faste, leurs
usages, leurs cérémonies? "
Il jette également l'outrage sur les Universités, qu'il appelle » des
temples de Moloch, des cavernes de malfaiteurs -^ : ' Or, de ces
cavernes sortent les sauterelles qui régnent sur le monde entier, et
gouvernent partout à la fois spirituellement et temporellement
[Apoc, IX); en sorte que le démon, depuis l'origine du monde, n'a
rien imaginé de mieux pour opprimer la foi et l'Évangile que les
Universités ^ »
' ■ J'aimerais mieux être un souteneur de filles ou un brif;and que d'avoir
blasphémé le Christ pendant quinze ans par loffrande de laut de messes. '
Sammtl. llerke, t. LX, p. 106.
Il appelle les theolofjiens de Louvain, prêtres comme lui, - ânes grossiers,
truies maudites, misérables fripons, panses de blasphème, incendiaires altérés
de sang, fratricides, pourceaux grossiers, porcs épicuriens, hérétiques et ido-
lâtres, vaniteux païens damnés, maîtres de mensonges, mares croupies, bouil-
lon maudit de l'enfer », etc., etc. Il nomme la faculté de théologie de Paris - la
synagogue damnée du diable ». ■ Elle est -, dit-il, ■ rongée depuis le sommet
de la tele jusqu'à la plante des pieds par la lèpre blanche; elle est atteinte
de la pire des hérésies qui aient jamais contredit l'Église chrétienne. C'est la
plus abominable gourgandine intellectuelle qui ait jamais paru sous le soleil,
la vraie porte de l'enfer, la maison de filles du Pape, etc. • llöfler remarque à
ce sujet (/idrien Vf, p. i\) . qu'on ne peut du moins pas dire d'un tel langage
qu'il manque de franchise! » « Mais ', ajoute-t-il, ■ le peuple que le • réfor-
mateur > trouvait digne d'être repu de pareils propos, était vraiment liien à
plaindre! Dans cette grossièreté cynique Luther est toujours resté égal à lui-
même. Son esprit, son influence, ont contribué à rendre la nation grossière.
SOULÈVKMENT DU PEUl'I.E l'A H F.A PHÉIHCATION ET LA PRESSE. 205
Il s'irrile de voir la plus {jrande et la meilleure partie de la jeu-
nesse élevée dans « ces cavernes de brigands -. Sur ce point, son
temoi{ynaßc est important, car il prouve d'une manière irrécusable
que l'Eßlise était encore puissanleen Allemajjne, (jue les Universités
jouissaient encore du respect de tous, et (pie l'ardeur et le zèle pour
la science étaient encore (rès-vivaces à cette époque. '■■ De l'avis
de tout le monde ", dit Luther, « il n'est aucun lieu sous le ciel où
la jeunesse soit mieux enseignée que dans les Universités; les
moines eux-mêmes y affluent. Celui qui ne les a pas fréquentées
n'est rien dans le monde; mais celui qui y a fait ses études, peut
parvenir à tout, tant on est convaincu que là seulement on peut
être initié aux sciences divines et humaines. Aussi chacun se per-
suade-t-il qu'il ne peut mieux faire que d'y envoyer son fils, et croit
rendre à Dieu un fort grand service en y sacrifiant ses enfants; on
espère que plus tard ils deviendront des prédicateurs, des prêtres,
des serviteurs de Dieu, utiles à Dieu et aux hommes. Ce peuple uni-
versitaire compose ensuite la foule de nos grands personnages, de
nos docteurs, de nos magisters, gens habiles à gouverner les autres.
Nous sommes tous témoins qu'on ne peut obtenir une chaire ou une
cure sans avoir été d'abord maître es arts ou docteur, ou du moins
sans avoir étudié à l'Université'. >
L'un des chagrins les plus sensibles de Luther, c'était de voir l'ardeur
avec laquelle les jeunes gens souhaitaient entrer à l'Université, dans
l'espoir d'appartenir un jour au clergé.
Ses plaintes si souvent renouvelées à ce sujet font de lui un témoin
irrécusable; elles attestent qu'alors, dans toute la nation, l'Église
inspirait encore non-seulement un attachement purement extérieur
ou d'habitude, mais un sentiment profond, ardent et sincère: « Cha-
cun ", dit-il, " cherche le meilleur chemin à suivre pour devenir un
jour un saint prêtre, un curé, un moine. Lorsque arrive le jour où un
cela est manifeste. Ici il n'y a plus moyen de pallier ni d'excuser, L'Alle-
majjne, en peu d'années, fit des proférés incroyables dans l'art de l'invective
grossière. Le poison de la haine théologique fut légué par les moines apo-
stats comme le plus triste des héritap,es aux classes les plus élevées comme
aux plus infimes. L'esprit de haine détruisit tout; tout se flétrit sous son
souffle empesté, et le bel élan intellectuel du siècle de l'humanisme se trans-
forma en querelle dojjmatique. On eiU dit que l'Allemagne avait recueilli la
triste succession de Byzance. ■< (F. 301-302.) Apres que Luther eut adopté ce
langage, qui dépasse en cynisme tout ce qu'on avait ouï jusque-là et forme
un si choquant contraste avec les sujets qu'il traite, ce qui devait arriver
arriva. Ses adversaires ne voulurent pas rester en arrière. Ses opinions furent
traitées d'audacieux mensonges; lui-même, frater, pater potator -■ , fut appelé
non-seulement ivrogne et ribauti, mais tout carrément fou et possédé. Tho-
mas .'\lorus le nommait " latrinarius nebulo », qui nihil in capite concipit,
praeter stultitias, furores, ainentias; qui nihil habet in ore prœter latiinas,
merdas, stercora », etc. P. 367-368.
■ 'Voy. à ce sujet l'opinion déjà citée de Wimpheling, t. I, p. 574.
206
SOULÈVEMENT DU PEUPLE PAR LA PRÉDICATION ET LA PRESSE.
jeune homme doit dire sa première messe, sa mère s'estime mille foi^
heureuse d'avoir porté un tel fils et donné un serviteur à Dieu '.
« Il n'est ni père ni mère >', dit-il ailleurs, " qui ne souhaite voir un
jour son enfant curé, moine, religieuse; c'est ainsi qu'un fou en fait
un autre, et que la jeunesse, c'est-à-dire ce qu'il y a de meilleur au
monde, se précipite en foule vers le diable ^ ^ " Avec une libéralité
cruelle nous avons préparé des rentes aux marionnettes du diable
et aux fantoches des Universités, à tous ces docteurs, prédicateurs,
prêtres, moines, maîtres es arts, gros et grossiers ânes gras, dont
les barrettes brunes ou rouges font l'effet d'un collier d'or et de
perles sur le cou d'un porc engraissé. Nous avons soutenu et entre-
tenu à nos frais ceux qui, bien loin de nous donner une saine doc-
trine, nous rendaient toujours plus aveugles et plus insensés, et
dévoraient, pour la peine, tout notre bien. ■ C'était, selon Luther,
chose lamentable à penser qu'un jeune homme dût étudier vingt ans
et plus, avant de devenir prêtre et de pouvoir dire la messe; et néan-
moins, celui qui en était arrivé là croyait être parvenu au bonheur
suprême, et sa mère était dans l'allégresse de son cœur d'avoir porté
un pareil enfanta Et ailleurs : ■ Quelqu'un a-t-il endossé une sou-
tane"? Aussitôt tout le monde le fête et lui témoigne du respect. Cha-
cun veut contribuer à sa carrière et donne largement à cette inten-
tion; et bienheureuse, alors, est la mère qui a porté un tel fils*!
Au point de vue de son <: nouvel Évangile », Luther considérait ce
chaud dévouement du peuple pour l'Église, l'éducation donnée par
les Universités, leur influence, comme un très-grand malheur, comme
un sérieux obstacle à la diffusion de la - vraie doctrine ". Aussi ne
négligea-t-il rien pour discréditer les Universités, " ces cavernes de
la suprême abomination, ces synagogues de perdition! »
A la fin de son traité sur ÏAbus des messes, il témoigne de nouveau
sa joie de ce que les habitants de Wittemberg avaient aboli le saint
sacrifice : « Plaise à Dieu -, s'écrie-t-il, " que le scandale phari-
saique croisse et progresse parmi vous! Puisse la troupe des papistes
s'écrier bientôt : Voyez donc! à Wittemberg, on ne célèbre plus le
service divin, on ne lit plus la messe, on n'entend plus résonner
l'orgue, tous sont devenus païens, tous ont perdu l'esprit! « Il avait
vu avec mécontentement que Frédéric de Saxe, « séduit par les
papistes », avait agrandi et rendu plus magnifique l'église de Tous-
les-Saints de Wittemberg. Avec l'argent que ces embellissements
avaient coûté, l'Électeur, à son avis, eût pu nourrir bien des pau-
1 Sammtl. Werke, t. XLIX, p. 317. Voy. aussi t. X, p. 403.
- Sammtl. Werke, t. LU, p. 241.
' Tome XXII, p. 196.
•» Tome XLUI, p.302.
SOULÈVEMENT DU PEUPLE PAR LA PRÉDICATION ET LA PRESSE. 207
vres'. Cet exemple faisait bien voir que Dieu jugeait très-rarement
digne d'être employée pour les iulcréfs elirétiens la fortune des
princes, du reste rarement ac<juise d'une autre manière que celle de
Nemrod*. ■■ Cependant • , dit Luther, TÉlecteur n'est ni un
tyran, ni un fou; il entend volontiers la vérité, il la tolère, et ceux
de VVMttemberg pourront facilement achever l'œuvre commencée. '
L'électeur Frédéric a accompli l'antique prophétie, disant qu'un
prince de son nom délivrerail le Saint Sépulcre. " Or de quel autre
sépulcre peut-il être ici question que de la Sainte Écriture, où la
vérité du Christ a été ensevelie après avoir été mise à mort par les
papistes? Et maintenant les archers, les gardes, c'est-à-dire les
Ordres mendiants, les docteurs d'hérésie, gardent son tombeau, le
surveillent, de peur que quelque disciple du Christ ne vienne et ne
dérobe la vérité; car Dieu se soucie de la tombe où le Seigneur fut
autrefois déposé autant que de toutes les vaches de la Suisse! - « Per-
sonne ne peut nier que parmi vous, sous le règne du duc Frédéric,
électeur de Saxe, l'Évangile dans toute sa pureté n'ait été annoncé au
peuple. Et moi, ne puis-je me vanter avec raison d'avoir été l'ange
ou la Madeleine du Saint Sépulcre? Ouelque>-uns estiment sans doute
que je me livre ici à une bouffonnerie coupable, mais je continuerai
le jeu, et je ne cesserai de m'étonner de tout ce qui arrive, admirant
que Dieu ait fait choix de cette ville inconnue du monde pour y susci-
ter sa parole. Un autre miracle qui, selon moi, ne s'est produit dans
aucun pays, c'est que les villes et villages des environs de Wittem-
berg, et les bourgeois mêmes de la ville, portent des noms hébreux,
comme les cités et bourgades des environs de Jérusalem! Les habi-
tants de VVittemberg, possédant maintenant l'Évangile pur et sans
alliage, sont obligés de le propager avec zèle, de le communi-
' Sifïismond, baron d'IIerberstein. raconte dans son autobiographie le séjour
qu'il ni à Wittemberg en 1516 : - On voyait près du château une belle église
ornée de nombreux ouvrages d'argent ciselé, offerts en l'honneur de Dieu et
des saints. Les églises de la ville renfermaient beaucoup de riches autels, d'orne-
ments, de tableaux précieux. On conservait aussi des reliques venues de beau-
coup de pays étrangers. Les savants les plus en renom, les plus considérés des
pays d'Allemagne, étaient appelés dans la ville pour y remplir les fonctions les
plus honorables, et lévéché pourvoyait libéralement à leur entretien, (ombien
tout cela a été promptement change, et c'est ici même que tout a commencé! •
Fontes rer.Austr., 1. 1, p. 89. En 1519, l'électeur Frédéric envoyait encore à Louise
de Savoie des tableaux de Lucas Cranach en échange de reliques. — Voy. Schc-
CHARD, 1. 1, p. 67-68. En 1522, comme le prouvent les lettres de Spalatin, il s'occu-
pait encore d'enrichir sa collection de reliques. — Voy. Kolde, Friedrich der
ll'eise, p. 29.
- Voyez à ce propos l'opinion émise par Luther dans une lettre à Spalatin
(15 août 1521) : - Scis enim quod si cujusquam opes perdenda" sunt, Principum
perdendiL' sunt; quod Principcm esse, et non aiiqua parle latronem esse, aut nou, aut
vix possibile est, eoque majorem, quo major Princeps fuerit. • Vov. de Wette,,
t. II, p. 43.
208 ÉLOQUENCE DE LUTHER.
quer aux autres; surtout ils doivent rester unis entre eux, éviter
les querelles et les disputes, et se donner la main'. "
Dans un autre opuscule de la même époque. Mémoire et instruction
relatifs aux monastères et aux vœux religieux, Luther rejette les vœux,
par la simple raison qu'ils sont impossibles à garder*.
Il enseignait encore que personne ne devait être obligé à la con-
fession, ni même au baptême. « .Je loue la foi et le baptême >, écrit-il
le 17 septembre 1521; « néanmoins je soutiens que personne ne doit
être contraint au baptême, mais seulement exhorté. On doit engager
les infidèles à le recevoir, puis les laisser libres ^ » Il dit aussi dans
son Traité sur la confession : " La réception des sacrements est facul-
tative. Laissez en paix celui qui refuse le baptême. Celui qui ne veut
pas communier est libre d'agir comme il veut. De même, qui ne
veut pas se confesser en a parfaitement le droit devant Dieu '. »
11 était impossible que de pareilles assertions n'exerçassent pas une
influence troublante et funeste sur la vie morale et religieuse des
peuples.
La forme dont Luther savait les revêtir contribuait beaucoup à les
faire pénétrer dans les esprits. Il maniait la langue allemande avec
une incomparable puissance. Luther est véritablement un maître. Son
expression est concise, énergique; son exposition, pleine de mouvement
et de vie; ses comparaisons, bien que fort simples, sont saisissantes et
pleines de feu. Il avait largement puisé aux riches sources de la langue
dupeuple. Enfait d'éloquence populaire, bienpeupeuventluiétre com-
parés. Là où il s'inspire encore de l'esprit dupasse catholique, ses pa-
roles ont parfois une grandeur, une éloquence singulières. Dans ses ou-
vrages d'édification ou de doctrine, se révèle, en plus d'une page, une
profondeur de sentiment religieux qui rappelle les plus beaux jours du
mysticisme allemand. Ouel charme, par exemple, dans ces passages du
1 Sammtl. Werke, t. XXVIII, p. 27-141. Vov. surtout les paj^es 34, 37, 41, 45, 52,
57, 116, 120, 134, 136, 138. 141. Luther, dans un de ses sermons, s'exprime avec le
même cynisme .\ propos des reliques : " Un os de saint Pierre et de saint Paul ne
vaut pas mieux qu'un os de voleur expiré sur la potence. ■ T. XVI, p 126.
En novem'jre 1521, Luther, s'étant furtivement échappé de la Wartbourg, se
montra ravi de tout ce qu'il vit à Wiltemberrj : '^ Veni Wittenbergam..., omnia
vehementer placent, quse video et audio. Dominus confortet et spiritum
eorum, qui bene volunt. • Fin novembre, lettre à Spalatin. — Voy. de Wette,
t. II, p. 109.
^ Siimmt!. Werke, t. XXVIII, p. 1-27. Il envoya ce traité, ainsi que le traité sur
VAbiis des messes, à Spalatin, qu'il pria de les faire imprimer à \Vittember[;. Mais
Spalatin ne s acquitta point de la commission, sur quoi Luther entra en fureur
et se promit d'écrire avec plus de violence encore. Voy. sa lettre de la fin de
novembre 1521. — De Wette, t. II, p. 109. Voy. d autres opinions de Luther
sur la chasteté dans ma brochure : in second mot à mes critiques, p. 93-94.
s Dp Wette, t. IJ, p. 57.
* Siimmti. llerke, t. XXVIi, p. 343-344.
ÉLOQUENCE DE LUTHER. 209
pelit livre intitule : De la liberté d'un chrétien' t>j20j, OU Luther a
retracé le bonheur de l'ànic unie à Jésus par l'anneau de la foi,
« comme une épouse est unie à son époux »! « Un chrétien est telle-
meui élevé par la foi au-dessus de toutes les choses de la terre, que,
spirituellement parlant, il en devient le maître, car elles ne peuvent
plus apporter aucun obstacle à sou salut; tout lui est soumis, tout
favorise son voyage vers le ciel. " « C'est une di(;nité vraiment
sublime et incomparable que celle du chrétien; c'est une domination
toute-puissante, c'est vraiment un royaume spirituel! > -< M;iis de plus,
nous sommes prêtres, ce qui est encore beaucoup plus que d'être
rois, car le sacerdoce nous rend dignes de servir Dieu et de prier
pour nos frères. « " Le Christ nous a choisis et rachetés, afin que
nous puissions aider spirituellement nos frères, et intercéder les uns
pour les autres, n « Qui pourrait dire la gloire et la dignité d'une
âme chrétienne? Sa royauté lui donne pouvoir sur toutes les choses
créées, et son sacerdoce la rend puissante sur le cœur même de
Dieu. ' C'est ainsi que Luther, dès qu'il sent sous ses pieds un débris
de l'antique foi, jette sur le monde un regard joyeux et triomphant.
Beaucoup d'autres pages de ce petit traité sont encore plus éton-
nantes. On ne peut assez s'émerveiller en voyant cette même main,
habituée à renverser comme à coups de massue tout ce qui avait été
tenu jusque-là pour sacré, toucher avec tant de justesse les cordes
les plus délicates du sentiment de l'amour divin : ' C'est assez par-
ler de l'homme intérieur; venons maintenant à un autre sujet;
parlons de l'homme extérieur. Voici qu'il s'agit à présent des actes.
Les bonnes œuvres s'offrent aux regards du chrétien, car il ne doit
pas rester dans l'inaction, il faut que son corps soit exercé au jeune,
aux saintes veilles, au travail, soumis à une règle de tempérance
exacie, afin que parfaitement dompté il obéisse en tout à l'homme
iniérieur et à la foi, et n'apporte plus aucun obstacle, aucune résistance
à l'âme, comme il a coutume de le faire lorsqu'on lui laisse pleine
liberté. L'homme intérieur est uni à Dieu; il est joyeux, il est plein
d'allégresse en songeant à Jésus, qui a tant fait pour lui; il met son
unique bonheur à le servir avec désintéressement, et dans un libre
amour. ' » « Le chrétien doit se faire, volontairement, le serviteur de
Dieu, aidant son prochain, et traitant avec lui comme Dieu l'a traité
lui-même par l'intermédiaire du Christ. Il doit s'acquitter de son
office de charité sans jamais réclamer de salaire, ne voulant, ne
cherchant que le bon plaisir de Dieu. » -' Vois, c'est de la foi que
naissent l'amour et l'attrait pour Dieu, et c'est de l'amour que nait
le dévouement volontaire, joyeux et libre, pour le prochain! > Les
' Sâmmtl. Werke, t. IV, p. 173-199.
n. 14
210 LUTHER ET LA BIBLE.
dons de Dieu doivent passer de Tun dans les autres, et devenir com-
muns à tous. De Jésus-Christ, ils s'écoulent en nous; de nous, ils
doivent se répandre en tous ceux qui en sont dépourvus*. >' Lorsque
Luther écrivait ces lignes, son âme était comme envahie par un souffle
puissant du passé catholique. Elles sont comme le lointain écho des
sentiments de son cœur le jour où il prononça ses vœux et, dans un
libre élan d'amour, se consacra pour jamais à la pratique des conseils
évangéliques.
Mais bientôt, dans ce même traité, nous le voyons reprendre son
œuvre de destruction, et renverser de nouveau le développement reli-
gieux de tous les siècles chrétiens,ne laissant subsister que la sainte Écri-
ture, = unique source où la foi doive puiser ses certitudes, seule règle,
seule puissance législatrice auxquelles le chrétien puisse recourir ".
Et néanmoins il est le premier à ruiner l'autorité de la Bible dans
les préfaces qui accompagnent certains livres de sa traduction du
Nouveau Testament*.
C'est ainsi qu'il rejette l'épi tre de saint .lacques, « véritable épltre
de paille «, selon lui, n'ayant « absolument rien d'évangélique ".
'• Je ne la tiens p;is même pour apostolique «, dit-il. " Au reste, la
vraie pierre de touche pour la critique des livres du Nouveau Testa-
ment, c'est la mesure dans laquelle ils reproduisent la doctrine du
Christ. Ce que Jésus-Christ n'a pas enseigné ne serait pas aposto-
lique, quand bien même Pierre ou Paul l'enseignerait. En revanche,
<:e que prêche Jésus- Christ serait apostolique quand bien même
Judas, Anne, Pilale et Hérode le prêcheraient. Mais ce Jacques ne
nous entretient que de la loi et de ses œuvres; il embrouille toutes
les questions. » « Aussi % dit Luther dans l'édition de 1522 du Nou-
' Summll. Werke, t. IV, p. 182-183, 185-186, 188-189, 196.
' Dans sa traduction du Nouveau Testament et dans les commentaires qui
l'accompagnent, Luther, par des passages intercalés habilement dans le texte,
en contournant le sens de maint passage, en en transformant d'auires, s'efforce
de donner à la principale de ses doctrines, la justification par la foi seule, une
couleur plus biblique. Voyez les preuves multipliées que DoUinger a réunies sur
ce sujet : Reformation, t. II, p. 139-n3. Dans l'épitre aux Romains, chap. iv, v. 28,
saint Paul avait dit : ' Nous devons reconnaître que l'homme est justifié par la
foi, sans les œuvres de la foi " ; Luther traduit : ■ par la foi selle. > Ses paroles à
ce sujet ont été souvent citées : ■ Si votre nouveau papiste a l'intention de faire
un fracas inutile à cause du mot sola, h;Uez-vous de lui dire : « Le docteur Martin
le maintient, et aftirme de plus qu'un papiste et un âne sont mêmes choses, sic
vola, sic juheo, sii pro ratione volunias, car nous sommes bien décidés à n'être plus
ni les disciples ni les élèves des papistes, mais bien leurs maîtres et leurs juges.
Nous aussi, nous ferons à notre tour les fiers et les arrogants avec ces tétas
d'ânes! <■ Je suis fâché de n'avoir pas mis dans mon texte louiet et toute - et de
n'avoir pas écrit, par conséquent, sans ^w»/« les œuvres de toute la foi' ; le sens eût
été ainsi plus rondement formulé. Donc ce vers reste et restera tel quel dans mon
Nouveau Testament, et quand tous les ânes papistes devraient en devenir fous et
stupides, ils ne me feront point démordre de ce que j'ai avancé. ■ (P. 141-142.)
I. U THE i; IT LA BIBLE. 2H
veau Teslamenf, " je ne veux pas mettre soa épitre dans ma Bible
parmi les autres livres authentiques, .le n'empêche néanmoins per-
sonne de l'estimer et de l'apprécier selon (juil le jugera bon '.
Quant à Tepiire aux Hébreux, Luiher affirmait qu'elle n'était ni
de saint Paul, ni d'aucun autre apùlre. u On ne saurait dire à qui elle
doit être attribuée. 11 est probable qu'on l'ijjnorera encore pendant
quelque temps. Üu reste, peu importe ^ >
Voici son opinion sur l'Apocalypse : ( Pour ce livre, je laisse à
chacun toute liberté; je n'entends lier personne à ma manière de voir,
je dis ce que j'éprouve. Je ne lui fais pas un mince reproche, car je
ne le tiens ni pour apostolique ni pour prophétique. (Jue celui-là
s'y attache qui y sent son esprit attiré; mon esprit, à moi, ne peut
s'en accommoder'. »
Ainsi diiuc, l'autorité de la sainte Écriture ne reposait que sur le
sentiment particulier de chacun.
« Jusqu'où ira-t-on •', demandait avec Emser et Cochlaeus Charles
de Bodmanu; •■ jusqu'où ira la doctrine luthérienne quant à Tinter-
prélatiou et à l'autorité des saintes Écritures? Luther rejette tel ou
tel livre, il le tient pour non apostolique, non authentique, et cela
uniquement parce que son esprit ne le goùle pas. Mais d'autres vien-
dront après lui qui, dirigés par les mêmes principes, rejetteront a
leur tour ce livre-ci, celui-là, et à la fin, la Bible, en son ensemble,
deviendra un vaste champ de doute, et sera discutée comme tout
autre ouvrage profane. Et cependant on jette les hauts cris de ce
que la traduction de Luther ait été interdite aux fidèles; il semble que
cette défense soit un acte inouï de tyrannie*! Dès maintenant, bien
1 Sammtl. Werke, t. LXIII, p !15, 156-158.
' T. LXIIF, p. 154-155. — Il me semble •, dit-il encore, - que cette épître est
camposée de beaucoup de pièces disparates. Elle n'a aucune unité. Quoique saint
Paul n'y pose pas le fondement de la foi (il le déclare lui-même, chap. m, v. î ;.
ce qui est le propre de la mission d'un apôlre, il ne laisse pas d'élever sur
ce fondement l'or, l'arfjent, les pierreries les mieux travaillés. Donc, ne pre-
I nons pas ^arde aux parcelles de bois, de pierre et de paille qui y sont mêlées;
I acceptons cette epitre avec les autres, tout en ne la mettant pas au même rang
I que les épitres apostoliques. ■>
\ ' T. LXIII, p. 15M55. — On lit dans la préface du traité de Luther intitulé : Des
j livres les plus aullientiques et les plus excellents du Xouveau Testament : - Comme Jean
1 parle très-peu des actes du Christ, mais s'étend beaucoup sur ses prédications,
I tandis que les autres évangélistes parlent au contraire beaucoup de ses actions
I et peu de son enseignement, l'Évangile de Jean est l'unique Évangile, l'Évan-
gile de l'amour, l'Évangile par excellence, et doit être mis et élevé bien au-
! dessus des trois autres. Les épitres de saint Paul et de saint Pierre sont aussi
bien supérieures aux récits des trois évangélistes Mathieu, Marc et Luc. »
1. LXIII, p. 115.
* La traduction !"thérienne du Xouveau Testament lut également interdite en
Bavière, en Autriche, dans le Brandebourg et dans le duché de Saxe. Un édit
du duc Georges, daté du 7 novembre 1522, ordonnait que dans un délai de
cinq semaines, tous les exemplaires en circulation dans le pays depuis Noël
14.
212 SOULÈVEMENT DU PEUPLE PAR LA PRÉOICATIOX ET LA PRESSE.
des gens méprisent tout autant rÉcriture sainte, et même le Christ,
que l'Église et son enseignement, et ces tristes exemples se multi-
plieront toujours plus, dans la mesure où TÉglise, en son autorité
comme eu ses premiers pasteurs, sera plus honnie, plus salie par les
ignobles propos de Luther et de ses disciples '. '
Luther, en guise de compliment de nouvelle année, dédia au Saint-
Père (décembre 1522) son Exposillon sur la Bulle Cœna Domiui, autre-
ment dite Bulle du souper (jlouton du Très-Saint Seijneur le Pape.
Le Pape, dans cet écrit, reparait de nouveau sous les traits de
l'Antéchrist : « Sa perversité >, dit Luther, « dépasse celle du dragon
infernal, et toute l'infamie des suppôts du diable. » « Ouvrez les yeux,
malheureux papistes, papistes aveugles, considérez votre idole, voyez
comme elle s'élève contre le Christ, et à quelle besogne satanique
elle s'emploie! >• - Le Pape, par ses mensonges d'enfer, force tout le
monde à déserter la foi chrétienne; aussi dans sou corps, dans ses
biens, dans son âme, le gouvernement du Pape est-il dix fois pire
que celui des Turcs. ■' Jésus-Christ, comme nous le lisons dans
l'iicriture, s'est réservé le châtiment de l'Antéchrist; sans cela, avant
de songer à exterminer les infidèles, il faudrait commencer par
anéantir la Papauté. Le Rhin serait à peine assez profond pour
engloutir toute la bande des pillards romains, tous ces infâmes bour-
reaux, très-fidèles apôtres du Pape, cardinaux, archevêques, évêques,
abbés, qu'on ne saurait compter*! ■■
Il s'exprime avec la même violence, la même passion, dans un
fussent rerais aux agents du duc; le prix des Bibles devait être remboursé aux
acheteurs. Jérôme Emser, chapelain du duc, exposa dans un traité étendu les
raisons de cette interdiction. Non-Seulement -, dit-il, ^ le sens de certains
passages, mais encore le respect dû à la sainte Écriture est bles.é dans les
commentaires et les préfaces de Luther. - La faculté de théologie de Leipsick
(janvier 1523 supplie le duc d'interdire i ses sujets la lecture des commen-
taires et préfaces de Luther, quand bien même la traduction du texte saint
serait ndèle. (Ce qui n'était pas le cas.) Emser recommande aux évêques de
charger quelques savants de publier une nouvelle et exocte traduction du
Nouveau Testament. — Voy. SeIDEM.VNN. Erläuterungen zur Reformationsgeschichte,
p. 51-55. — Emser fut plus tard chargé par le duc d'éditer une traduction ca-
tholique, et Georges en composa lui-même la préface. Cette préface se termine
ainsi : « Ceux de nos sujets qui accepteront et liront docilement ce Nouveau
Testament, véritablement donné par Dieu, nous feront d'autant plus de plai-
sir, et nous le reconnaîtrons d'autant plus volontiers par toutes sortes de
grâces, qu'ils y puiseront plus d'avantages et d'édification pour le salut de leurs
âmes '. — Voy. l'article sur le duc Georges dans les Hist. pot. Blattern, t. XLVI,
p. 462-463. — Emser eût désiré que sa traduction fiU imprimée chez les Frères de
la vie commune de Rostock ; mais Luther, par une démarche auprès du duc Henri
de Mecklembourg, parvint à empêcher la chose. — (Lisch, p. 23-43.) — Il pressait
le duc de l'interdire, à cause des commentaires et des annotations d'Emser.
Voy. ses lettres sur ce sujet dans de Wette, t. III, p. 528-530.
' ' Du 23 août 1523. Voy. plus haut, p. 162, note 5.
^ Sammil. Werke, t. XXIV, p. 164-202. Voy. surtout les pages 166, 182-183, 188. ,
SOULÈVEMENT DU PEIPI.E l'AR (.A l'KÉniCATION ET LA PHESSE. 213
écrit polémiste plus considérable, qu'il avait cru pouvoir intituler :
Loyale exhortation adressée à tous les chrélkns pour les détourner de toute
émeute et révolte : < Comme les honteuses et funestes impostures, les
crimes, la tyrannie du Pape et de ses affidés sont maintenant exposés
en plein jour et livrés au mépris de tous % dit-il dans l'introduction
de ce livre, « il est à prévoir qu'on en viendra prochainement à la
révolte ouverte, et que les prêtres, les moines, les évêques, enfin
tout le clergé, pourront bien être chassés ou assommés, à moins que
d'eux-mêmes ils ne s'appliquent à une sérieuse et foncière réforme. »
« Le peuple, dans la première chaleur de son ressentiment, com-
prenant eufin le tort qu'on a fait à ses biens, à son corps et à son
âme, tenté au delà de ses forces, écrasé de la façon la plus inique et
la plus excessive, refusera de se soumettre à l'avenir à de pareils trai-
tements, il n'a que trop de motifs légitimes '^ de frapper dur avec son
fléau et sa pioche ' , comme dit Karsthans en son rude langage.
Luther voit avec plaisir l'effroi, l'angoisse du clergé, et souhaiterait
que cette terreur s'accrût encore : ■ L'Écriture constate une pareille
épouvante chez tous les ennemis de Dieu; elle nous apprend qu'elle
est un des signes avant-coureurs de leur réprobation. Et il est vrai-
ment bien juste que le temps de l'expiation commence pour les
papistes; leur châtiment m'agréerait fort, car ils ont persécuté et
condamné la divine vérité. Mais ils auront bientôt à s'en repentir! »
Toutefois il ne souhaitait pas le déchaînement de l'émeute, et ne
désirait pas voir la populace se ruer à l'aveugle sur les objets de sa
haine. L'autorité devait réprimer, disait-il, « l'iniquité et la tyrannie
papistes « au moyen de son pouvoir légitime; les princes, les seigneurs
devaient, eu leurs territoires respectifs, prendre l'initiative de mesures
énergiques, - car ce qui s'obtient avec le concours de l'autorité légale
ne saurait s'appeler révolte ». L'homme du peuple ne devait donc rien
entreprendre pour la bonne cause sans l'ordre de ses gouvernants,
sans l'assistance du pouvoir public. ^ Sois attentif à la conduite que
tient l'autorité ', conseille Luther à son lecteur; " aussi longtemps
qu'elle ne se met pas à l'œuvre et ne te donne pas le signal, que ton
cœur, ta bouche et ta main restent inactifs; n'entreprends rien de toi-
même. Mais si tu peux décider l'autorité à agir et à ordonner, alors
il t'est permis de la seconder. ^ Qae ferons-nous donc > , me diras-
tu, " si nos gouvernants refusent de commencer la besogne? Tolé-
rerons-nous plus longtemps les abus? fortifierons-nous, par notre
inertie, l'audace de nos ennemis? « Je réponds : " Non, ce n'est
pas là ton devoir. ■-
Le chrétien, selon Luther, devait continuer à suivre le chemin
tracé, combattre, par la parole et la plume, les impostures des pa-
pistes, et le prendre lui-même pour exemple : Enseigne, répète,
211 SOULÈVEMENT DU PEUPLE PAR LA PRÉDICATION ET LA PRESSE.
écris, prêche que les lois humaines ne sont rien. Empêche par ton
influence que personne à l'avenir ne se fasse prêtre, moine ou nonne;
conseille à ceux qui le sont déjà de s'affranchir au plus tôt. Ne donne
plus ton argent pour les bulles, les cierges, les cloches, les tableaux,
les églises; dis hautement que la vie chrétienne réside dans la foi et
l'amour; persévère dans cette conduite pendant deux ans; tu verras
ensuite ce que seront devenus pape, évêque, prêtre, moine, nonne,
cloche, clocher, messes, vigiles, frocs, capuchons, tonsures, règles,
statuts, en un mot, tout l'ulcère et toute la vermine du système
papal! " t Tout homme qui annonce la parole du Christ peut affir-
mer hardiment que sa bouche est la bouche même du Christ. Pour
moi, je suis certain que ma parole n'est pas la mienne, mais celle
du Christ lui-même. Ma bouche est la bouche même de Celui qui
par moi annonce sa parole '! "
On aurait pu lui objecter ce que lui-même avait écrit jadis au
légiste Christophe Scheurl (22 janvier 1517) : ■■ C'est le comble de
l'orgueil de s'imaginer être le temple de Jésus-Christ. La mission
seule d'un apôtre pourrait légitimer une pareille présomption*. »
Mais à cela Luther n'eût pas manqué de répondre par les paroles
qu'il avait adressées à Frédéric de Saxe le 5 mars 1522 : << Votre
Grâce n'ignore pas, ou si elle l'ignore elle pourra l'apprendre
ici, que je n'ai pas reçu des hommes, mais uniquement du ciel, par
l'entremise de Notre-Seigueur Jésus-Christ, l'évangile que j'an-
nonce^. En sorte qu'il m'eiU été loisible, comme désormais je le
veux faire, de me vanter d'être et de m'intituler en effet servi leur
et évangéliste de Dieu*. ^
Luther, dans cette même lettre, prévenait l'Électeur qu'il avait
quitté la Wartbourg et rentrait à Wittemberg. Les troubles révo-
lutionnaires qui commençaient à s'y produire, suite inévitable de la
nouvelle prédication évangélique >', y réclamaient impérieusement
sa présence.
> S'immll. Werke, t. XXII, p. 43-59.
' Immo id ipsum est summum arrogantiae, praesumere de te, quod Cbristi
habilaculum sis, nec nisi apostolico ordini facile permittenda ista gloriatio. •
De Wette, t. 1, p. 50.
• C'est-à-dire sa doctrine de la justification par la foi seule, et celle de la non-
liberté de la volonté humaine.
* De Wette, t. II, p. 139.
CHAPITRE III
MOUVEMENTS RÉVOLUTIONNAIRES A ERFURT ET A WITTEMBERG
COMMENCEMENT DE LA SCISSION RELIGIEUSE
Les premiers troubles révolutionnaires qui suivirent la publication
de ledit de Worms éclatèrent à Erfurt en juin 1521, L'ami de Luther,
TAuf.ustin .lean Lan^,e, ayant excité le peuple, par des prédications
irritantes, à la haine et aux voies de fait contre les prêtres, le conseil
de la ville n'eut point honte de mettre à profit la révolte populaire
pour attaquer les prérogatives du clergé et mettre 1 1 main sur ses
biens. Des bandes armées composées d'étudiants, d'ouvriers, de gens
sans aveu, déiruisirent en peu de jours plus de soixante >< maisons de
prêtres ". L'autorité laissa faire. Des bibliothèques furent détruites;
les bâtiments où siégeaient les tribunaux ecclésiastiques de l'arche-
vêché, abattus; tous les registres de dîmes qu'on y put découvrir,
brûlés ; en un mot, les révoltés se livrèrent à toutes sortes de dépré-
dations, et allèrent même jusqu'à l'assassinat. Maternus Pistoris,
dont les savants travaux avaient jadis fait tant d'honneur à l'Univer-
sité, ne fut pas épargné :
Ils vinrent aussi dans la maison de Materne
Et le jetèrent par la fenêire.
Materne gisait à terre comme un homme mort!
Dans quelle terrible angoisse ont été les prêtres!
Ils firent un feu de joie des débris entassés,
Ils brisèrent tout ce qui se trouvait là:
Fenêtre, banc, poêle, table, grille.
Tout fut détruit en un clin d'œil !
Ils travaillaient sans relâche,
Comme s'ils eussent été bien décidés
A ne rien laisser d'intact dans la maison '.
' Das Pfaf/enstûrmcn zu Erfurt, /luthore Gotlhardo Schmalz. Gotha. Voy. LiliencrOD.
t. III, p. 369-376. Vers 167-171, 220-224.
216 LA PRÉDICATION ÉVANGÉLIOUE ET SES RÉSULTATS A ERFURT. 1521.
Pendant une seconde émeute, qui éclata vers la fin de juillet, sept
maisons de prêtres furent incendiées '.
C'est à partir de cette époque que l'Université d'Erfurt commença à
dépérir. Le nombre de ses étudiants diminua au moins de moitié; beau-
coup de parents rappelaient leurs fils, redoutant pour eux la « conta-
gion hussite *. " Parmi les étudiants demeurés dans la ville, les actes
de brutalité, de violence, d'inconduite, se multipliaient tous les jours^
Cependant, malgré ces troubles, ces désordres, l'antique forme du
culte continuait à être respectée. Jusqu'à la fin de 1521, le service
divin se célébra sans aucune altération, à Erfurt comme dans tout le
reste de l'Allemagne. Le rite de la messe, le mode d'administration des
sacrements ne subirent aucun changement. On ne songeait pas encore
à fonder une église nouvelle, un système ecclésiastique différent.
Mais les doctrines de Luther sur la justification par la foi seule
et sur le sacerdoce universel devaient logiquement conduire au ren-
versement de l'ancien ordre de choses. Si tous les chrétiens étaient
prêtres devant Dieu, il s'ensuivait nécessairement que la hiérarchie
sacerdotale devait être supprimée. Si les bonnes œuvres étaient
inutiles au salut, les fondations pieuses et les couvents devenaient
inutiles, et l'Église ne devait prétendre à aucune propriété tempo-
relle. D'ailleurs la " liberté évangélique » si pompeusement annon-
cée réclamait la suppression des « criants abus du passé ", et ce
séduisant prétexte allumait en d'innombrables âmes l'ardent désir
de " rompre avec tous les vestiges d'un esclavage odieux, d'abolir
les frocs, les couvents, les prières, les jeûnes, les mortifications, de
mettre la main sur les riches propriétés d'un clergé fainéant, enfin
de s'emparer dans les églises des calices d'or et d'argent, et de tous
les trésors improductifs des sacristies ».
A Erfurt, la " transformation • commença dès l'automne de 1521,
Les moines, en grand nombre, et en premier lieu les Augustins,
abandonnèrent en tumulte leurs couvents ', et commencèrent à
' Pour plus de détails sur les deux soulèvements d'Erfurt, voy. K ampschllte,
t. Il, p. 123-132. Un prêtre, victime de l'insurrection, prédit à la ville un som-
bre avenir :
Erfurt, tune doleas nunquam c.irUiira dolore.
Cum careas clerc, qui te ditavit lionore.
* ' Adeo ut plerosque bonorum hominum fiiios, ne Hussitico lederentnr con-
tafjio", lisons-nous dans le registre de la faculté de philosophie, • hincadpatrios
lares avocari conti;T;erit. •
^ Voy. pour plus de détails. Kampschulte, t. II, p. 134-138.
*Luther ne s'en montra pas satisfait. Il écrit le 18 décembre 1521 à Lange: ' Non
probe egressum istum tumultuosum, cum potuissent et pacifiée et amice ab
invicem separari - ; et le 28 mars 1522 : « Video monachos nostros multos exire
nulla alia causa quam qua intraverant, hoc est, ventris et libertatis carnalis
gratia, per quos S;itanas magnum foetorem in nostri verbi odorem bonum exci-
tabit. » — Voy. de Wette, t, II, p. 115, 175.
r,A PRÉDICATION ÉV ANGÉLIQUE ET SES RÉSULTATS A ERFURT. 1521. 217
prt^chcr publiquement qu'il n'était plus permis de demeurer dans la
reli{;ion des ancêtres; que l'Ancien Testament faisait aux chrétiens
un devoir positif d'abandonner le culte catholique; que lÉjjlise
n'avait fait autre chose pendant des siècles qu'inventer des maximes
humaines, propager des doctrines d'orgueil, de cupidité, de sensua-
lité, de déloyauté, d'hypocrisie; qu'elle n'était qu'un atelier de men-
songes et de perversité > . Lange, l'ancien moine aujjusiin, appelait
les couvents des repaires de brigands, et conseillait à l'homme du
peuple, à l'ouvrier, de faire le signe de la croix toutes les fois qu'il
entendait prononcer le nom de l'Église catholique. Les prédicants
pressaient les chrétiens affranchis de la tyrannie du papisme d'aban-
donner la pratique dc<' bonnes œuvres, car le jeune, la prière, la
confession, les indulgences, les couvents et les messes n'étaient que
de pures institutions humaines, inventées pour assouvir la cupidité
de la gent ointe et tondue ". Les martyrs chrétiens et les Pères de
l'Église des premiers siècles étaient vilipendés en pleine chaire. La
chasteté d'un saint François d'Assise ou d'un saint Dominique était
livrée aux quolibets et à la risée publique. La foule grossière, ras-
semblée dans les églises autour des prédicateurs, exprimait par ses
applaudissements et ses cris d'allégresse la satisfaction que lui
causaient de pareils discours. Sur les places de marché, dans les
auberges, les questions Ihéologiques étaient débattues; jeunes gens,
hommes et femmes, commentaient et expliquaient la sainte Écriture.
Aussi le peuple ne tarda-t-il pas à traduire son - zèle évangélique »
par des émeutes répétées.
" Nous voyons maintenant les fruits de la prédication évangé-
lique, ' écrivait l'ancien compagnon et maître de Luther au couvent
des Augustins, Barthélemi Usingen; " le peuple, après avoir secoué
l'obéissance qu'il devait à l'Église catholique, se livre, sous prétexte
de liberté chrétienne, à tous les plaisirs charnels, méprise la vraie
dévotion, et se précipite dans un abîme dont il sera ensuite bien
difficile de le retirer. «
Usingen était à Erfurt l'inébranlable soutien de l'antique foi; dans
ses sermons, prêches à la cathédrale, dans ses écrits apologétiques,
il ne cessait de mettre le peuple en garde contre les faux prophètes.
" ils semblent uniquement préoccupés d'évangile et de liberté r,
disait-il, - mais en réalité ils détruisent la religion, l'ordre et l'hon-
neur; ils renouvellent les troubles autrefois excités par les hussites;
ils poussent à l'émeute, nu désordre, et livrent la Chrétienté à des
maux dont on ne saurait prévoir la fin. " Une réforme est certaine-
ment nécessaire, mais elle l'est premièrement pour ces moines dis-
solus, échappés de leur couvent, qui maintenant se donnent pour les
sévères censeurs des mœurs, et par une perfide exagération des abus.
218 LES NOVATEURS RELIGIEUX ET L'ARCHEVÉOUE DE MAYENCE.
s'efforcent de couvrir leur propre ignominie. " L'honnête Usingen
ne pouvait contenir son indignation en voyant ceux qui avaient pré-
cisément le plus besoin de réforme s'ériger en juges de la société
chrétienne : que l'audacieuse entreprise des novateurs demeurât
impunie, lui semblait une honte pour le nom allemand. Les désor-
dres des iconoclastes à Constantinople avaient causé jadis la chute
du Bas-Empire, dont l'antique splendeur avait été transférée à la
nation allemande : ainsi, disait Usingen dans un douloureux et
prophétique pressentiment, la dévastation des églises aura égale-
ment pour conséquence la décadence de l'Allemagne et la ruine de
sa vieille gloire'. Le peuple se pressait autour de sa chaire', et
pourtant sa parole restait sans influence sur le cours des événements,
et le parti révolutionnaire gagnait chaque jour du terrain. Pendant
trente ans, Usingen avait servi fidèlement sa ville natale, il avait bien
mérité de l'Université d'Erfurt; cependant, il se voyait maintenant
exposé sans défense aux insultes de la populace; c'est à peine s'il était
en sécurité pour sa vie, car la majorité des membres du conseil faisait
cause commune avec les novateurs, et protégeait « l'évangile ", dési-
reux qu'ils étaient d'échapper à la domination détestée de l'arche-
vêque de Mayencc, et de faire main basse sur les biens du clergés
« Les nouveaux hérétiques ne redoutent guère l'archevêque de
Mayence -, écrivait à Home Charles de Bodmann; ■ au contraire, ils
espèrent que lui, et bien d'autres avec lui, se tourneront peu à peu de
leur côté, et que les prélats, dans leur propre intérêt, donneront les
mains à la confiscation des biens de l'Église. Ouant à l'exécution de
l'édit de Worms, il n'eu a pour ainsi dire plus été question depuis
que l'Empereur a quitté le royaume; dans quelques villes épisco-
pales, les livres luthériens sont vendus librement et publiquement,
' Voy. les excellents développements fournis sur ce sujet par Kampsghllte,
t. II, p, 141-16), 169-174.
' A son sermon pour la fête de saint Mathieu (1523), environ quatre mille
auditeurs étaient réunis. Voy. Kampschulte, t. II, p. 153, note 1. Cuelsamer, pré-
dicant luthérien, disait un jour en chaire à propos d'Usinjjen: - Nelnilo ille tur-
pissimus nunc tandem Christum ipsum pudef.icere conatur ob fornicarioruni
defensionem : idqne lucri causi. Usingen, selon lui, n'était qu'un sophiste
frappé d'aveuglement qui ne comprenait rien à l'Évangile; « un de ces vieillards
endurcis », comme s'exprime un autre préJicant, ^ qui, d'après le témoignage de
la sainte Écriture, ont dans tous les temps résisté à la vérité - . Des bandes tumul-
tueuses étaient envoyées aux sermons d'Usinger, pour l'interrompre par des sif- \'\
flets et le troubler par des exclamations injurieuses. Plus d'une fois, rapporle-t-il, |:
on tenta de se débarrasser de lui par la violence. Des espions stipendiés le j
guettaient quand il retournait chez lui après avoir prêche (p. 155-158, !70). |'
Usingen finitparseréfugier au couvent des Augustins, à Würtzbourg. Un volume i:
d'extraits rassemblés par lui et écrits de sa main, se voit encore dans la biblio- 's
thèque de l'Université de cette ville, et donne une haute idée de l'étendue de ses j;
connaissances. — Koldf, Augustiner Congrégation, p. 394, note 2. j
' Kampschulte, t. II, p. t65. ;
r.ES novatei:r.s nF.r.ifarux et f/archev^que pe mayence 219
et ledit impérial devient nnliirellement l'objet de la risée popu-
laire '. " Un autre jour, il crrit : ;: Le peu|)Ie dévore avec une
incroyable avidité tous les libelles qui attaquent et injurient TEglise
et son organisation. A peine si quelques évêques veillent à ce que
de<: })rédications et des écrits de controverse appropriés à ses con-
naissances viennent l'instruire des conséquences funestes que peuvent
avoir les doctrines hérétiques pour l'unité de l'Église et le bien
public. Les partisans de Luther ont pénétré jusque dans les conseils
privés des princes ecclésiastiques. Dans la crainte et l'effroi de la
révolution qui nous menace, tout, parmi nous, semble paralysé,
tandis que dans le camp de nos ennemis la révolte lève audacieuse-
ment la tête'. "
L'attitude révolutionnaire toujours plus hardie des novateurs
religieux était la conséquence toute naturelle de la conduite hési-
tante et louche d'un grand nombre d'évêques. Albert, archevêque
de Mayence et primat d'Allemagne, en était surtout responsable. Dès
le début, il n'avait pas été franc, et le nonce du pape, Aléandre,
n'avait eu que trop de motifs de blâmer à plusieurs reprises sa
conduite et celle de son clergé, dont l'orlhodoxie était à bon
droit suspectée. Aussitôt après la publication de ledit de Worms,
Albert avait fait savoir à Luther qu'il pouvait compter sur ses bons
offices et sur sa protection. Lui aussi songeait à soutenir la cause
de l'Évangile, « mais il comptait prendre un chemin plus sur et
plus aisé ». Menacé par Hütten et son parti', Albert n'avait pas
signé l'édit de Worms comme il eut di) le faire en sa qualité de
chancelier de l'Empire, et dans ses diocèses de Mayence, de Mag-
' Corhlaeus se plaint à plusieurs reprises du peu de zèle qu'apporteut les
évéques à la répression des nouvelles doctrines. Voyez les Glos und Comment
auf den 18 ArticLel vom rechten Messhaiti n Dl. B^ et D- et Glos und Comment auf
154 Ariickel, Dl. q^. und l*. L'édit de Worms, qui avait fait croire au ' dénoi'iment
de la tragédie - , n'en fut au contraire que le début. — Voy. la lettre d'Alphonse
Valdes à Pierre Martyr, 15 mai 1521, dans les œuvres de Lessing, puhi. par
Mallzahu, t. IV, p. 101.
' Lettre du 22 juillet et du 2,3 août 152.3. Voy. plus haut, p. 162, note 5.
' « Fertur Galerita Moguutinus hosies in se juratos habere 1800 •, écrit
Luther à Mélanchthon le 21 mai 1521. Voy. de Wette, t. II, p. 11. Albert, dans
sa pusillanimité inconcevalde, comme disait Aléandre, agissait sous l'impres-
sion des prophéties astrologiques, qui annonçaient un soulèvement général et
prochain du peuple. A la cour d'Albert -, dit Bodmann - les astrologues sont
très en faveur. - L'astrologue Jean ab Indagine avait cherché un abri près de l'ar-
chevêque contre les ' canes Astrologiae calumniatores " , c'est-à-dire les
théologiens scolastiques, qu'il dépeint comme imbus d'une - theologia ineptis-
sima .. Il disait en parlant d'Albert : • Jure consultus aliquis est? habet apud
te, quo compensare actum studiorum laborem potest. Medicus est vel Astro-
logus? ab archanis habetur. - Lettre du 1" juin 1522 dans les Xeuen Beiträgen
von allen und neuen theologischen Sachen, auf das Jahr 1752, p. 458-468. Le vicaire
général d'Albert, Théodoric Zobel, dédia à Jean ab Indagine (1522) un ouvrage
astrologique. Voy. Friedrich, Astrologie und Re/ormation, p. 149-150.
220 LES NOVATEURS RELIGIEUX ET L'ARCHEVÊQUE DE MAYENCE.
debourg et d'Halberstadt, il avait empêché, autant que cela était en
son pouvoir, que des mesures de rigueur fussent prises contre
Luther. Aussi son chapelain ordinaire et conseiller privé, Wolfgang
Capito, favorable aux nouvelles doctrines, porte-t-il son maître aux
nues dans une lettre à Zwingle datée du 4 août 1521, et l'appelle-t-il
' le vrai protecteur de l'Évangile ".« L'archevêque », dit-il, " ne souffre
pas qu'on parle mal de Luther en chaire. ' ^ Tout récemment, le Pro-
vincial des Frères Mineurs lui a demandé l'autorisation de faire une
tournée dans les pays rhénans pour prémunir le peuple par des pré-
dications suivies contre les nouvelles doctrines, mais Albert la lui a
refusée. - » Malheureusement les disciples de Luther se divisent
déjà en nombreuses sectes; une nouvelle classe de sophistes vient
de se produire. Ils remetient tout en question, et ue songent qu'à
trouver prétexte à de stériles disputes de mots ou à de furieux
éclats. C'est ce que font tout spécialement les moines défroqués,
de sorte quune bonne partie du peuple commence à se détourner
d'eux '. «
Vers la fin de septembre 1521, Capito et Henri Stromer, médecin
particulier de l'archevêque, se rendirent à Witfemberg auprès de
Mélanchthonpourle supplier d'user de son influence sur Luther, afin
d'obtenir de lui qu'il modérât la violence de son caractère, et consen-
tit à traiter l'archevêque de Maj ence avec plus d'égards et de ména-
gement. « Luther -, lui dirent-ils, •■■ par une sage retenue, triomphe-
rait aisément de ceux qu'éloignent ses emportements. - Mélanch-
thon, pour toute réponse, déclara qu'il n'avait pas mission d'agir sur
son maitre. 11 savait trop bien le jugement que portait le monde sur
le nouvel apôtre, et que plusieurs le considéraient ou comme un
méchant, ou comme un fou. Quant à lui, Mélanchthon, il était con-
vaincu que Luther n'annonçait l'Évangile que sous l'inspiration
même de Dieu; il entrait dans les desseins du Seigneur que sa parole
fût prêchée de manière à scandaliser les impies, pendant que les
brebis égarées d'Israël rentreraient au bercail! ^ En fait de choses
divines, > leur dit-il, - chacun entend ce qu'il plait à l'Esprit-Saint
de lui révéler. Luther, toutefois, épargnerait autant que possible
le primat, pour mieux disposer celui-ci ci à fermer les yeux sur la
non-exécution de l'édit de Worms*.
Albert, prince sans droiture, dépourvu de tout courage moral,
ne s'opposa jamais franchement aux nouveautés religieuses. Il plia
devant Luther, et le primat d'Allemagne s'humilia devant « un moine
excommunié « qui le menaçait de faire des révélations '. Dès 1522,
' Dans IIOTTINGER, Histor. eccl., l. Il, p. 520-526.
* Lettre de Mélanchthon, Corp. lie/cirm,, t. I, p. 462.
» Voy. la lettre de Luther à Albert ^l" décembre 1521), dans de Wette, t. Il,
LA PRÉDICATION DES NOVATEUHS REI.IGIKCX A UIITEMBKIU; 15*.>l 221
Charles de Bodmana exprimait la crainle qu'il ne se mariai, ne
transformai rarchevêclié de Mayeuce eu priucipauié lemporelle,
er n'y laissât librement pénétrer révanj;ile de Luther. Carisladt
annonce à ses lecteurs à la fin d'un de ses ouvrajjes ' une heureuse
nouvelle : Il sait, à n'en pouvoir douter «, que l'archevêque de
Ma\ence est favorable à la vérité évangélique, qu'on n'est pas sans
espoir de voir d'autres évéfjnes rejeter comme lui le joup, romain
et, sans plus se soucier de l'investiture et de la confirmation du
Pape, commencer enfin à régner par eux-mêmes '. - De son cùté,
Capito, en 1523, vantait en pleine chaire la tolérance d'Albert,
énumérant les prédicants luthériens qui, dans ses villes et domaines,
avaient toute liberté de prêcher ouvertement « l'Évangile* -.
Cependant, à Wittemberg comme à Erfurt, des troubles ne tar-
dèrent pas à se produire. Le 6 octobre 1521, Gabriel Zwilling, sur-
nommé Didyme, moine auguslin, haranguant les étudiants rassem-
blés dans le cloître, leur démontre que l'adoration du Saint Sacre-
ment est une idolâtrie, et que personne ne doit plus assister au culte
idolàtrique de la messe, parce que le Corps et le Sang de .lésus-
Christ ne constituent pas un sacrifice, et ne sont que le symbole de
la rémission des péchés. << Nous ne savons encore ce qui arrivera,
mais ce qui est certain », écrivait à un ami un jeune étudiant comme
une curieuse nouveauté de la ville très-chrétienne de Wittemberg
(18 octobre 1521), - c'est que nous communierons bientôt sous les
deux espèces, dussent le Pape et toute sa bande en crever de dépit!
A moins que Mélanchthon n'ait menti, en disant ouvertement dans la
salle des cours : '• Je crois que nous introduirons bientôt l'usage de
« la communion sous les deux espèces ^ >• -• Aujourd'iiui, 23 octobre -,
écrit un autre étudiant, " les Augustins ont aboli la messe. Carlstadt
a organisé, séance tenante, une dispute publique. Il eût souhaité que
l'on prêchât d'abord contre l'abus de la messe, et qu'ensuite toute
la ville de Wittemberg se rassemblât pour en sanctionner l'aboli-
tion; il craignait que, sans cette mesure préalable, la concorde chré-
p. 112-115, et la réponse pleine de soumission d'Aliiert (21 déceiulire 1521\ dans
Walch, Luthcr's Werke, t. XI\, p. 661. — Voy. Hennés, Albrechi von Brandenburg,
p. 156-159.
' Voy. Jager, Carlstadt, p. 235-23'J.
- lettre de f.apito, du 30 juillet 1524, dans Baum. p. 74. Le 20 novembre 1524, le
duc Jean de Saxe écrivait à son frère l'élecieur Frédéric que l'archevêque de
Mayeuce lui avait confié qu'au fond de son cœur il voulait du bien à Luther,
parce que celui-ci prêchait et écrivait selon la vérité : « Il me dit encore : Lors-
qu'on arrête les prêtres (ceux qui étjient attachés à la doctrine de Luther et
qu'on me les amène, cela arrive sans mon ordre et je ne le vois pas d'un bon
ceil; mais je suis oblij;é d'avoir égard au Pape et à l Empereur. '■ — Voy. Kolde,
Friedrich der ll'tise, p. 56.
* Albert Burrer à Beatus Rhenanus ; voy. Baum, p. 65-66.
222 LA PRÉDICATION DKS NOVATEURS KELIGIfcll X A WITTEMBERG. 1521.
îieaoe ne souffrit (juelquc atteiüte. Mais les moines ont été d'avis
qu'avant toutes choses ou devait avoir devant les yeux le péril de la
foi, et que la messe était la principale cause du dépérissement de la
religion. Enfin on a porté la question devant .Mélanchthon, qui, d'ac-
cord avec Carlstadt, a nettement déclaré que le Sacrement ne devait
point être adoré, parce que le Christ était éternellement présent dans
le ciel. Si saint Paul n'avait pas craint d'abolir la circoncision chez
les Corinthiens, pourquoi donc serait-il si coupable d'abolir la messe?
Les Augustins, en prenant les devants, avaient donné le bon exemple.
Et comme Carlstadt émettait l'avis qu'on ferait peut-être bien
d'attendre, de réfléchir encore, Mélanchthon s'écria avec impatience :
' Il a été assez prêché dans Capharnatmi! D'oii vient donc qu'on y
demeure si attaché aux cérémonies? Les moines ont pour eux le
Christ, peu importe que les Pharisiens se scandalisent et perdent
oui ou non la raison! » Bien qu'en pQt dire Carlstadt, Mélanchthon
soutint qu'il n'était nullement nécessaire de déférer à l'autorité dans
cette question : celui qui avait mis la main à la charrue ne devait pas
regarder en arrière'-. Le 12 novembre, le prieur des Augustin«,
Conrad Helt, se plaignit à l'électeur de Saxe qu'une partie de ses
moines, après avoir abandonné le couvent, tournaient en dérision
leur ancien genre de vie et le livraient au mépris des bourgeois et
des étudiants, excitant contre le monastère et contre les moines
restés fidèles à leurs vœux la haine des gens de mauvaise vie, de
sorte qu'à chaque instant le couvent était en danger d'être assailli*.
Peu de semaines après, les étudiants d'Erfurt et de Wittemberg
se pressaient, couteaux nus à la main, dans l'église paroissiale,
arrachaient les prêtres des autels, leur jetaient des pierres, et
exhortaient le peuple à - détruire les autels, puis avec leurs débris
à construire des potences et des échafauds, l'office des bourreaux
étant beaucoup plus utile que celui des prêtres idolâtres; ceux
qui persistaient à assister à la messe exposaient le salut de leur
âme ^ .
Pour ■- affranchir par son exemple et en prenant les devants tant
de pauvres prêtres abusés, pervertis, dignes de compassion et captifs
du démon* ■■ , Carlstadt résolut d'embrasser l'état du mariage, auquel
Dieu, disait-il, " avaitconviétoussesprêtres -. Enprésence de Mélanch-
thon et d'un grand nombre de professeurs de l'université, il célébra
ses fiançailles avec la fille d'un pauvre gentilhomme, annonçant en
' Ulscénius à Capito, dans Jager, Carlsiadt, p. 508. — Baum, 66-68. — Voy. Kolde,
Augustiner Congrégation, 367 ff.
- Dans le Corp. Reform., t. I, p. 484.
^ Voy. Jager, Carlsiadt, p. 246-250.
■ Lettre de Carlstadt à Frédéric de Saxe, du 6 janv. 1522 dans le Corp. Reform.,
t. I, p, 538.
I.KS PUOFHÈTF.S DK ZWICKAU A W I T T E M B E KG. 1521. 2Ï3
rrH';nie lemjis rinfeutiou où il élait de doiiiicr une{5rande (ôfe iejoar
de ses noces. Luiher exprima (oiite la joie (jue lui causait cet événe-
meni ' (26 décembre 1521). A son lour, le prévôt du chûteau, .Juste
.louas, confia à son ami Capilo qu'il songeait également ä se marier,
et le pria de veiller à ce que l'archevéiiue Albert n'euireprit rien
contre un dessein que manifeslemeul Dieu lui-même avait inspiré et
conduit ». » .le ne nie pas >, lui écrivait-il, u la tolérance de ton
maître, et récemment tu nous en as toi-même donné l'assurance ver-
bale. Mais je préférerais néanmoins que les princes confessassent
plus iranchement le Christ et la sainte Écriture. « ^ N'oublie jamais
que la parole de Dieu est ordinairement calomniée et raillée eu ce
monde; mais oublie un peu les motifs pour lesquels tu m'as tou-
jours recommandé et prêché la modération. Apprends que Dieu lui-
même semble maintenant, comme au temps du Christ, enseigner
directement son peuple par un souffle ardent et soudain de
l'Esprit ^ »
A Zwickau, cet esprit prétendu se manifesta d'une manière plus
surprenante encore. Là, excités par le zèle du prédicant Thomas
Munzer et du foulon Nicolas Storch, de nouveaux prophètes entrè-
rent en scène. C'étaient presque tous des ouvriers, qui, ^ divine-
ment appelés à la mission sainte ", prétendaient substituer - le
règne du Christ " au vieil empire croulant. Dans ce nouveau
royaume, aucun culte sensible, aucune loi extérieure ne devaient être
reconnus pour légitimes, aucune autorité séculière exercer de pou-
voir; tous les hommes étant égaux, les biens étaient communs,
et les citoyens étaient, de droit, prêtres et rois. Douze apôtres et
soixante-douze disciples, dont Münzer fut élu < le seigneur et le
maître^ >', furent choisis. Une dangereuse sédition eût éclaté si par
bonheur le conseil n'eiU réussi à la prévenir. Cinquante -cinq
ouvriers drapiers furent mis au cachot; mais les chefs parvinrent à
s'échapper, et parmi ces derniers étaient Münzer et Storch.
Storch se rendit aussitôt à Wittemberg avec deux de ses
' " Ciristadii nuptiae mire placent, novi puellam -, écrivait Luther le 13 jan-
vier 1522 à Amsdorf ; voy. de Wette, t. H, p. 123. A propos du prévôt de Kem-
berjï, Bernard de Feldkirch, qui avait aus^i célébré ses noces, Luther écrit
(26 mai 1521) : « Cameracensis novus niaritus mihi mirabilis, qui nihil metuat,
atque adeo sic festinavil in iiunullu isto ; regat eum dcminus et misceat ei oblec-
iiiinenta lactucis suis, quod et sine precibus meis fiet. > Voy. de Wette, t. II,
p y. — tapito, pensant servir la gloire de l'archevêque de Mayence, rapporte
que • le prévôt de Kemberg non-seulement n'eut pas à subir de contradictions
de la part des autorités spirituelles lorsqu'il se décida à prendre femme, mais
que son apologie du mariage des prêtres fut publiée sans obstacle, et que tout
ce qu'il y avait avancé en faveur de sa thèse avait été considéré comme l'opi-
nion d'un véritable honnête homme ». Lettre du 30 juillet 1523, Baum, p. 74.
' Dans Baum, 71-72.
' Voy. Seidemann, Thomas Munter, p. 11-13.
22} LES PROPHETES DE ZWICKAU A WITTEMBKRG. 1521.
compagnons, afin d'y annoncer son nouvel évangile. Le 27 décembre
1521, jour qui suivit les fiançailles de Carlstadt, les prophètes
entrèrent à Wittemberg et commencèrent à prêcher ^ que tous
les prêtres devaient périr, même si déjà ils avaient pris femme, et
que dans un court espace de temps (environ cinq, six ou sept ans),
un tel changement surviendrait dans le monde, que nul homme
impie et pervers ne pourrait y demeurer en vie •. Comme Luther et
ses partisans, les nouveaux prophètes voyaient dans la sainte Écri-
ture Tunique source de toute science. En matière de foi, il ne fallait
accepter que ce qui y était clairement indiqué; c'est pourquoi le
baptême des enfants, si contraire, selon eux, à l'enseignement formel
du Sauveur: < Oui croit et sera baptisé sera sauvé n, devait être aboli.
Mais après tout, la sainte Écriture n'étant qu'une parole morte, il
ne fallait pas lui attribuer une valeur permanente. Dieu et le Saint-
Esprit faisaient directement part aux fidèles des vérités divines par
des visions et des ravissements; il leur communiquait ses ordres de
la même manière.
Les prophètes firent une profonde impression sur l'esprit de
Mélauchthon, auquel ils expliquèrent la manière " singulière, cer-
taine, manifeste, dont Dieu se communiquait à eux r-. Il ne doutait
pas que certains esprits n'agissent en eux, mais quant à la nature de
ces esprits, il pensait qu'il n'appartenait qu'au seul Luther de décider.
Les prophètes étaient d'un avis tout différent; ils disaient .> que Mar-
tiu avait eu raison sur la plupart des points de sa doctrine, mais que
dan* plusieurs autres il s'était étrangement trompé, et qu'un pro-
pliète nouveau s'élèverait bientôt au-dessus de lui, doué d'un esprit
beaucoup plus sublime' «. Mélanchthon, plein d'anxiété, se tourna alor-
vers l'autorité séculière; il eut recours à Frédéric de Saxe. En sa qualité
d'Électeur chrétien et de proiecieur de l'Église dans les temps actuels,
c'était à lui, selon Mélanchthon, de décider en de telles circonstances,
et il pressait le prince de danner son avis sur le baptême des enfants.
~ Cette question trouble ma conscience ", lui écrivait-il; .<■ elle me
jette dans une grande perplexité ^ •-; H avait ouvert sa maison à l'un
des prophètes, homme d'une éducation cultivée, et lui avait confié
l'instruction de plusieurs enfants. Dans leurs assemblées publiques,
les prophètes prêchaient ouvertement le nouveau règne du Christ. Ils
firent tout pour attacher étroitement Carlstadt à leur parti.
Carlstadt, d'abord hésitant, puis devenu bientôt l'un des plus
' StrOBEL, Miscellaneen, t. V, p. 127. — Voy. GlESELER, 3', p. 101-105.
* Lettre de Mélanchttion (27 décembre 1521 ; à l'Électeur et à Spalatin. Voyez
1 expression de ses syrapattiies pour les prophètes de Zwickau dans la lettre du
1«' janvier 1522, Corp. Reform., t. I, p. 513-515, 534. — Voy. Jager, Carlttadt,
p. 259. — GiESELEP., 3», p. 103.
CAHLSTADT PRÉCUK LE BRISliMENT DES IMAGKS. •2ir,
ardeols parmi les prophètes, avait déjà institué uu jiouveau rile
pour la célébration de la Cène, et, dans un écrit spécial, insisté sur
la nécessité « <le purifier les églises » et d'en arracher les images.
« Les iin;iges », avait-il dit, « sont une abomination, et nous deve-
nou'^ a!>ominal>le* en y atiachaut nos cœurs. Nos temples pour-
raient êire justement appelés fies repaires d'assassins, car notre
âme y est mise à mort. Le diable soudoie hs papes, et les papes,
pour lui obéir, inventeni toutes sortes de manières de nous exter-
miner, de nous égorger. » « Il vaudrait beaucoup mieux que les
images fussent dans renier ou dans le four ardent que dans la
maison de Dieu. » Carlstadi n'ignorait pas que les catholiques
n'adorent pas les images et ne les vénèrent pas pour elles-mêmes,
mais il n'en persistait pas moins à réclamer leur ai)olition : « Si
quoiqu'un ose dire : i\on, je n'adore pas les images, je ne les honore
pas pour elles-mêmes, mais uniquement à cause des saints qu'elles
représentent; àcului-là Dieu lui répondra brièvement et nettement :
Tu ne dois pas les adorer, tu ne dois pas les vénérer. Si quelqu'un
vi'Ui ensuite et dit encore : Les images enseignent et instruisent les
laïques comme les livres enseignent et instruisent les savants; je
lui répondrai : Dieu m'a défendu les images, et je ne veux rien
apprendre par elles. Si ua troisième se présente et dit : Les images
nous prêi hent, elles nous rappellent la passion du Sauveur, et
bien souvent, grâce à elles, on récite un pater, on pense à Dieu,
au lieu que sans leur secours ou ne songerait ni au Seigneur ni à
la prière; à qui te parle ainsi, réponds : Mou chrétien. Dieu a défendu
les images. Aucune excuse ne t'aiderait, quand bien même tu répé-
terais mille fois : Si j'honore ceux qui ont été déclarés saints, ce
n'est pas en vertu de leurs propres mérites, mais à cause de Celui qui
les a sanctifiés. «
Carlstadt soutenait que l'autorité avait le droit et le devoir de
faire disparaître les images des églises : « PhU à Dieu que nos maîtres
ressemblassent aux pieux rois et seigneurs de l'Ancien Testament!
La sainte Écriture leur donne tout pouvoir dans les églises; ils ont
le droit d'y interdire tout ce qui est préjudiciable à la foi. « L'auto-
rité devait donc presser le clergé d'abolir les images, car le clergé
était, « de droit divin », assujetti en toute chose à l'autorité. Aussr
n'élail-il pas besoin d'attendre - que les prêtres de Baal aient enlevé
leurs vases, leurs bhics et leurs souches » ; le bras séculier devait
ordonner et agir '.
'Jager, Carlsiadt. 254, 271-273. Contre le livre de Carlstadt sur l'abolition des
images, Jérôme l inser piil>lia en 1522 Touvraf^e intitulé : Que l'on ne doit ni profaner
ni abolir les lainiei imagei dans les églises. Il y traite excellemment de la doctrine et
de la pratique constante de l'Église par rapport aux images. — Voy. par exemple
n. 15
226 CARLSTADT PRECHE LE BRISEMENT DES IMAGES.
Il tenait le même langagfe dans ses sermons, où le peuple accou
rait en foule. ' Ceux qui autrefois n'allaient que rarement ou jamais
entendre les prédications s rapporte un contemporain, ' ne
manquent maintenant aucun prêche'. « Carlstadt, d'accord en cela
avec Gabriel Zwillin^y, exhortait le peuple à faire, de sa propre
autorité, des chanjjemenis dans le culte; il démontrait à son audi-
toire que « la confession était un commandement diabolique, issu
les p. B'-* et F-, où sont exposés les motifs du culte des images; c'est une de ses
meilleures démonstrations. Il ne prétend pas excuser les abus. iVoy. p. Q*-^.)ll met
au nombre de ces abus les tableaux peu décents que les peintres exécutent
de nos jours . - :\lais lorsque nous contemplons les tableaux d'autrefois •,
dit-il, - nous n'en saurions tirer qu'édification. Tous les membres y sont cou-
verts, et personne ne peut y trouver le prétexte d'un mauvais désir ou d'une
pensée impure. Dieu châtiera nos peintres, il leur retirera leur mission s'ils
n'abandonnent leur honteuse habitude. .le prie tous les pasteurs et prélats de
l'Église de veiller, pour l'amour de Dieu, à ce que certaines mesures soient
prises au sujet de ces tableaux; il faudrait en revenir aux décisions des Pères et
des conciles, afin que les hérétiques n'aient plus aucun sujet d'insulter les
images d'une façon si cruelle pour nous, et ne les mettent plus en pièces,
comme cela est arrivé en quelques endroits - .le crains fort que cette conduite
des hérétiques n'ait d'autre but que le désir d'arracher complètement de nos
cœurs le respect et le souvenir des chers saints. Ils ont dès longtemps enseigné
qu'ils ne peuvent nous venir en aide ni prier pour nous; ils espèrent ainsi
nous détourner de la confiance que nous avons en leur intercession, m^is
comme nous persistons dans notre créance, et qu'ils s'aperçoivent que les
images, chaque jour sous nos yeux, ne nous permettent pas d'oublier nos
saints, ils ne songent qu'à les détruire, .\insi fait non-seulement Caristadt, mais
encore son niaitre Luther. Car Luther a beau reprendre ses moines, les blâmer
d'avoir si vite fait disparaître les images (ce qui veut dire qu'ils eussent dû cacher
et retarder encore un peu leur jeu. jusqu'à la conriusion de la diète de Nurem-
berr;), il ne peut cependant nous dissimuler ce qui se passe en son cœur dhéré-
tique, et il nous avoue qu'il faut s'efforcer d'oler de l'esprit des gens le goAt des
images coloriées, et que peu à peu, par la force même des chose>, on les verra
disparaître. Mais je ne doute pas que les vrais chrétiens ne ferment l'oreille à
ces discours creuxet vulgaires. L'Église chrétienne ne cédera pas sur ce point. Et
puisque Luther lui-même fait peindre son précieux visage et permet la vente
publique de son portrait, pourquoi l'Église ne tiendrait-elle pas en dignité et en
honneur les images de ses saints bien-aimés? Qui a jamais compris, enseigné
ou écrit autre chose sinon que Dieu seul donne la grâce, le secours, la consola-
tion, le s;ilut et la béatitude .' Dieu est l'unique source d'où jaillit tout bien, d'où
découle tout ce qui est bon au ciel et sur la terre! Mais pourquoi conclure de là
qu'avec l'Église chrétienne nous ne puissions réclamer le secours et l'interces-
sion des saints, et dire de tout notre cœur : Saint Pierre et saint Paul, priez pour
nous! -^ Dieu demeure la source de toute grâce, mais cette grâce s'écoule aussi
par les précieux ruisseaux et canaux de la communion des saints. Tel est l'ordre
divin ; mais les hérétiques, en gens aveugles et obstinés qu'ils sont, ne veulent ni
le voir ni le reconnaître, aussi s'opposent-ils violemment à la vénération, au
souvenir et aux images des chers saints; et pourtant, nous les honorons de
telle sorte que Dieu n'est aucunement lésé dans le divin honneur qui lui est dû,
et qu'il lui en revient au contraire plus de gloire ■ - Les laïques, qui tousles jours
entendent et reçoivent sur ce point et sur beaucoup d'autres la saine doctrine
chrétienne, ne sont pas assez niais pour placer leur consolation ou leur espé-
rance dans les images; et si, en souvenir des chers saints, ils leur sont dévots et
attachés de cœur, cela ne saurait leur être imputé à idolâtrie. •
' .lAGER, Carlstadt, p. 260.
ÉTAT KELIGIEUX DE r/ÉLKr;T 0 11 AT DE SAXE. 16ÜI. '^71
de la tyrannie papale, et que le Pape et les évoques étaient les
vicaires (•( les messîifjers du diable . Enfiu, à la tête d'une bande
d'émeuticrs, il se mil a Id'uvre : les autels et les croix Curent abaf-
lus, les images des saints brisées, les prêtres qui passaient dans la
rue assaillis à coups de pierres, et le cloître des Carmes déchaussés
menacé d'un assaut.
Le duc Geor};es de Saxe, se tournant alors vers ses cousins, Fré-
déric et Jean de Saxe, les avertit des événements qui venaient de se
passer (16 novembre 1521). il leur représenta que les choses pre-
naient exactement en Saxe la môme tournure que l'hérésie du siècle
précédent en Bohême, cette hérésie à laquelle leurs pères avaient
opposé une si énergique résistance, versant leur sang, offrant leurs
vies pour la défense de la religion! Déjà dans les États de l'Élec-
teur, beaucoup avaient complètement perdu la foi, et allaient
jusqu'à nier riminortalité de l'àme. Luther avait causé tout ce mal.
Le duc Georges ne pouvait assez déplorer qu'à VVillemberg, la pre-
mière ville do l'électorat, des émeutes comme celles qui venaient de
se produire aient pu avoir lieu. Il conjurait le duc Jean d'employer
le crédit qu'il avait sur son frère, et d'obtenir que Frédéric se décidât
enfin à sévir contre les novateurs; Georges le suppliait de se déclarer
du moins nettement contre eux. Quant à lui, il était prêt à agir, il était
tout disposé à mettre au service de la vérité les conseils de son expé-
rience. « Nous voici parvenus tous trois ", disait-il, " audernier quar-
tier de notre vie; nos cheveux et nos barbes idanchis nous en aver-
tissent assez; il est temps de prendre en main la défense de la bonne
cause. 1 A diverses reprises, Georges, dans ses lettres, rappelle aux
princes Ihérésie de Bohême. En Bohême aussi, les églises et les
couvents avaient été pillés, et les princes pouvaient considérer l'état
où la religion se trouvait actuellement réduite en ce pays. Le clergé
y était tombé dans la dernière misère; il y était méprisé à tel point
que l'on se voyait forcé d'attirer à l'état ecclésiastique jusqu'à des
bourreaux et des bouchers. Partout de nombreuses sectes divisaient
les chrétiens, la foi était presque entièrement éteinte et tombée au
niveau d'un conte de vieille femme. Frédéric était invité à réfléchir
sérieusement à ce qui se passait dans son propre pays : à Wittem-
berg, ou venait d'introduire un nouveau rite; à Eilenbourg, la mai-
son du curé avait été assaillie; un homme assis sur un âne était
même entré dans l'église; les autels et les images avaient été bri-
sés; les moines se sauvaient de leurs couvents, les prêtres se
mariaient, et Georges avouait ne savoir plus comment défendre
Frédéric contre ceux qui lui imputaient la responsabilité de tous ces
événements. « Songez ", lui disait-il, <• que celui qui n'empêche pas
15.
228 ÉTAT RELIGIEUX DE I/É LETT O R AT 0 E SAXE. 1521.
le malest aussi coupable que celui qui l'exécute. >' Dieu a accord«' de
grands trésors à la maison de Saxe; mais depuis que Ludier a com-
mencé sa funeste entreprise, les mines semblent avoir perdu de leur
fécondité ', et le niveau moral baisse. « Vainement on se flattait
d'avoir retrouvé l'Évangile. Georges l'étudiait depuis plus de qua-
rante ans, et restait convaincu que l'Evangile de sa jeunesse valait
beaucoup mieux que celui qu'on prêchait actuellement -.
A Eilenbourg, Gabriel Zwilling agitait la population. « Le moine
défroqué de Wittemberg •■, rapporte à son sujet un contemporain,
« nous a fait aujourdhui un sermon; il a endossé un habit d'étu-
diant, et mis par-dessus une chemise bordée de noir; il s'est affublé
d'un bonnet de fourrure, et dans cet accoutrement nous a parlé
de la messe avec le dernier mépris. Il a aussi rejeté les bonnes
œuvres, disant que deux chemins s'offraient à nous : l'un étroit et
conduisant au ciel, c'est celui de la foi; l'autre large et menant droit
à l'enfer, c'est celui des bonnes œuvres. Il a rejeté messe, jeune,
prière, aumône, discipline. iSous sommes, selon lui, au-dessus de
toute loi. Personne n'est plus obligé ni à la confession ni au
baptême. " Après ce sermon, la Cène avait été célébrée dans l'église
du château, située sur la montagne. Comme Zwilling avait persuadé
à ses auditeurs qu'il n'était nullement nécessaire de se confesser
avant de se présenter à la sainte table et qu'on pouvait fort bien
communier après avoir mangé, " les assistants ", continue le même
narrateur, « s'avancèrent presque en riant pour recevoir l'Eucharis-
tie, et ceux-là mêmes qui avaient passé la nuit précédente dans la
débauche et l'ivrognerie, reçurent le Sacrement, comme j'en ai été
moi-même témoin " >.
i- Mais dans tout ce qu'ils faisaient, les nouveaux évangOlistes s'ima-
ginaient obéir à la loi de Dieu : '> Lorsque Frédi'ric charge un délégué
de faire des représentations à l'iconoclaste Carlstadt, celui-ci, absolu-
ment comme Luther l'avait fait avant lui, allègue aussitôt la mission
surnaturelle qu'il a reçue de Dieu. « La parole ■ , dit-il, " m'a été donnée
en grande abondance; malheur à moi, si je ne prêchais pas! " La dés-
union ne venait que de ce que tous n'obéissaient pas textuellement à
' Le prince Joachim d'Anhalt mande à son frère que le duc Georges lui a dit :
« Si nous restons iidelesà l'Église, tout nous réussira; m;iis si nous nous en lais-
sons détacher, au lieu de notre prospérité actuelle, nous verrons hienlôt .ies
revers nous atteindre J'ai remarqué que tous ceux qui sont attachés à la nou-
velle doctrine ne réussissent à rien, mais tombent dans la ruine et la misère. Dieu
les a-t-il châtiés, ou bien sont-ils tombés par leu;- propre imprévoyance, c'est
ce que je n'entreprendrais pas de décider. ■ Prince Georges d'Anhalt, Predigten
und Schriften, p. 325.
* Seckendorf, t. I, p. 217; voyez l'article sur le duc Georges dans les : Hisior.-
polit. BL, t. XLVI, p. 451-4Ô3.
^ Seidemann, Erläuterungen zur Reformationsgesch.^ p. 37.
LUTH KR A WITTEMBKRG, 1522. 229
la sainte Écrilure. Ouant à lui, nulle menace de mort ne le sépare-
rait Jamais de cette base Irès-sure. Il resterait toujours loyalement
anaclié au sens litléral de la parole divine, sans se laisser égarer
par ce que pourraient ensei(jner les autres. D'ailleurs, il n'y avait
que les mauvais chréliens qui pussent se scandaliser de ses sermons.
A l'exemple des prophètes de Zwickau, Garlsladt déclarait la
guerre aux études scientifiques, réclamait la fermeture des écoles
et l'abolition des grades de docteur; lai<|ucs et ouvriers étaient
appelés à prêcher le nouvel évangile, les étudiants exhortés à ne
plus perdre leur temps à n'importe quel travail scientifique et à
apprendre un métier, ou la pratique d'un arl. Tous les jours le
nombre de ses adhérents grossissait, et le parti révolutionnaire
triomphait à Wittember^ comme à Erfurt. Là aussi, l'Université se
changeait eu désert. « Les plus savants, les plus éclairés d'entre
nous sont dans la désolation », écrivait Spalatin. " Les nouveaux
évangélistesont chacun une méthode différente. » « Ils embrouillent
tellement toutes les questions, ils ont de si étranges fantaisies »,
mande-t-il à Frédéric, « que tous les jours on voit de nouvelles sectes
se produire, il en résulte que chacun est troublé dans sa conscience,
et que nul ne sait plus qui est cuisinier, qui est cellerier'. »
C'est au milieu d'un pareil état de choses que Luther, qui dans sa
solitude de la Wartbourg avait été soigneusement informé de tout
ce qui se passait, apparut tout à coup à Wittemberg. Il y prêcha
huit sermons consécutifs (mars 1522). 11 attribua les actes de violence
récemment commis à « une fausse manière d'entendre la liberté
chrétienne ». En présence des faits abominables qui venaient de se
produire, il tirade plusieurs textes bibliques, entre autres de l'épitre
de saint .lacques (auparavant rejeiée par lui), le principe " que la foi
sans la charité est sans aucune efficacité, qu'elle n'est plus même la foi,
mais une ombre de foi n. Ce qui avait eu lieu s'était fait sans ordre,
au grand scandale du prochain : " Avant d'agir, vous auriez dû
prier du fondde votre cœur, puis marcher avec le concours de l'auto-
rité; alors on aurait su que la chose venait de Dieu. » Il était pro-
fondément affligé qu'on eût agi sans son ordre et sa coopéra-
tion. « Suivez-moi », s'écria-t-il, s'autorisant de la mission directe
qu'il assurait avoir reçue de Dieu; " je .suis le premier auquel le
Seigneur ait révélé ses desseins, c'est moi auquel Dieu a donné la
première inspiration de vous prêcher et de vous annoncer sa parole.
' Voy. ces lettres dans le Corp. Reform., t. I, p. 541, 545, 554, 560, 561. Jager,
Carhiadt, p. 277-287. On voit, par une lettre de Fröschel citée par Jä|',er {Carl-
ttadt, p. 282), combien les devoirs les plus sacrés de la charité étaient mis eu
oubli dans ces tristes querelles.
23) LE PEUPLE SAXON CONTRAIRE AU NOUVEL EVANfilLE.
Aussi ne deviez-vous pas faire un pareil coup sans mon ordre,
ef sans m'avoir préalablement consulté. Il reprocha sévèrement
à son auditoire la profanation publique du sacrement de l'autel :
« Vos autres méfaits seraient encore excusables à la rigueur,
mais pour celui-là, nulle indulgence n'est possible. Vous avez agi
par trop brutalement! Aussi qu'arrive-t il? On répète : • Là-bas,
à Wittemberg, il y a vraiment de beaux chrétiens! Ils prennent
le Saint Sacrement entre leurs mains, saisissent le calice, vont
ensuite trouver l'eau-de-vie, et se soûlent à cœur joie ! » ^- Si quel-
qu'un a l'enfantillage de désirer tenir le Saint Sacrement entre ses
mains, qu'il se le fasse apporter dans sa demeure, qu'il le tienne et
le touche tant qu'il voudra; mais en public, qu'il s'abstienne d'une
pareille conduite, car s'en abstenir ne peut lui causer aucun dom-
mage. Il ne faut pas scandaliser nos frères, nos sœurs, nos pro-
chains, et maintenant voilà que tout le monde est si irrité contre
nous, qu'on va jusqu'à souhaiter de nous mettre à mort*. -
En effet, la population saxonne ne se montrait nullement favorable
au nouvel évangile. Une lettre de l'ambassadeur polonais, Jean Dan-
tiscus, qui visita Luther en 1526 à Wittemberg, nous fournit à cet
ép;ard un curieux témoignage : " C'est avec beaucoup de difficultés >■,
écrit-il, < que je pus atteindre Wittemberg. Les Meuves, surtout l'Elbe,
qui traverse la ville, étaient tellement débordés, que dans les terrains
ba?, les champs étaient complètement inondés. Sur ma route, j'enten-
dis les gens de la campagne attribuer ce (léau à Luther, le maudire,
l'accabler d'injures, lui et ses partisans. Le peuple est généralement
persuadé que Dieu visite et châtie les habitants du pays qui pendant
toute la durée du carême ont, pour la plupart, mangé de la viande ^ »
Une preuve encore plus évidente du peu de sympathie des Saxons
pour i- l'évangile >' nous est fournie par la Consultation publiée par
Mélanchthon eu 1523. On lui avait demandé son opinion sur la ques-
tion de savoir si Frédéric avait le droit de lever une armée pour la
défense de - l'évangile . Mélanchthon répond négativement : ^ Il
est évident ', dit-il, ^- que la disposition et le .sentiment des Saxons
s'opposent à la guerre; cela tient à la faiblesse de leur foi, ils ne
sont pas chrétiens. Aussi l'Électeur ne doit-il pas songer à prendre
les armes, car il gouverne des païens, c'est-à-dire des infidèles \ »
Les catholiques, au dire de Mélanchthon et de Luther, n'étaient
donc que des païens et des mécréants.
• Summil. U'erice, t. XXVIII, p. 204-285; voyez particulièrement p. 208, 212-214,
220, 246, 275.
- Dans IIiPLER, p. 72. Voy. aussi p. 54, et plus haut, p. 136, note 5.
» f.uthrrs Sihnmil. Werke, t. LXIV, p. 278.
LUTHER SUR SA UOCTRIXE SEULE JUSTIFIANTE. 1522. 231
II
Lurher voyait dans le méchant tour que le diable lui avait joué
à Wittembepjj », par l'entremise de Carlstadt et des nouveaux pro-
phètes, une punition divine. Dieu avait voulu le châtier de sou
attitude trop humble à Worms : « Je rejjrette amèrement > , dit-il
dans sa réponse à Henri VIII (1522), « de m'étre trop humilié à
\\'orms. Par égard puur l'Empereur, j'ai été jusqu'à souffrir que ma
doctrine fiU soumise à des juges; j'ai consenti à écouter ceux qui
prétendaient démontrer mon erreur, .le n'aurais pas dû témoigner
une humilité si sotte, puisque j'étais convaincu de la vérité absolue
de ce que j'avais avancé, et que d'ailleurs, avec le tyran, tout était
inutile. » Ainsi donc Luther n'hésitait pas à appeler publiquement
l'Empereur un tyran. Dans le même écrit il s'intitule : ^ l'Ecclésiaste
de Wittemberg, par la grâce de Dieu. " Non-seulement il affirme
avoir reçu sa doctrine de Dieu, mais il veut être considéré comme
ayant « plus d'autorité dans sou petit doigt que mille papes, rois,
princes et docteurs n'en possédèrent jamais '. Il se déclare prêt à
soutenir tous les points de sa doctrine, qu'il analyse avec détail :
> Celui qui enseigne autre chose que ce que j'enseigne ou me
condamne à ce sujet, condamne Dieu même, et demeurera pour
jamais enfant de l'enfer. » - Une oie connaît mieux le psautier que
tous les papistes mis ensemble ne savent ce que c'est que la foi et
les bonnes œuvres! > L'étude assidue de la sainte Écriture et la
grâce de Dieu lui ont révélé " que la papauté, l'épiscopat, les abbayes,
les couvents, les universités, la prèlraille, la monacaille, les nonnes,
les messes, les offices ne sunt que damnées inventions du diable ».
•le n'aurais pas dû dire que la papauté est une plus grande usurpa-
tion que celle de JNemrod, car presque tous les royaumes de cette
nature sont en dehors de la loi de Dieu, comme celui de Nemrod;
mais j'aurais dû dire : Le p;ipisme est la pire abomination et la plus
empoisonnée du diable que la terre ait connue! ■■•■ Henri VIII n'était
qu' " un cerveau fêlé, une grossière tête d'âne », et le roi d'Angle-
terre justifiait bien le proverbe qui assure « qu'il n'y a pires fous
que les rois et les princes ' » .
> Antwort au/ König Heinrichs l'III von Engelland Buch vider seinen Tractât von der
babylonischen Geßingniss. Sämmtl. Werke, t. XXVIII, p. 343-387. — V'oy. SUrtOUt
p. 3ôl, 346-347, 349-351, 380, 383. Parlant de Henri, il dit encore : Cest par la
permission de Dieu qu'il est aveuglé, afin que par moi sa malice soit mise au
232 LUTHER SUR SA DOCTRINE SEULE ,] U S T 1 F lAN T E. 1522.
« l'ous mes ennemis réunis à tous les démons, bien que ces der-
niers se soient approchés de moi de bien près >, disait-il en déplo-
rant le " méchant tour de Wittemberg" avec le chevalier Hartmuth
de Cronberg, « ne m'ont pas fait autant de mal que les nôtres,
et je dois confesser que la fumée qui vient d'eux me cuit terriblement
les yeux, et semble pénétrer jusqu'à mon cœur. Après tout, je me
demande si tout cela n'est pas arrivé pour me punir, car à Worms,
pour ne pas désobliger de bons amis et ne pas sembler trop roide et
trop obstiné, j'ai montré une modération excessive; j'aurais dû con-
fesser ma foi devant le tyran avec plus de force et de vigueur. Com-
bien, depuis ce temps, lespaïensincrédules nem'ont-ils pas injurié! De
combien de mépris et d'outrages ne m'ont-ils pas abreuvé! Ils jugent
en païens qu'ils sont, et comme des gens qui ignorent profondément
ce que c'est que l'Esprit, ce que c'est que la foi. Je me suis bien sou-
vent repenti de mon humiliié et de mes égards! » Selon Luther, la
condamnation de sa doctrine à Worms avait été la condamnation de
la divine vérité elle-même, et ce crime était maintenant imputé à la
nafionallemande tout entière. « Vous savez ", écrit-il, « que l'iniquité
commise à Worms, alors que la divine vérité fut si déplorablement
outragée,condamnéedepropos délibéré, méchamment, publiquement,
sans avoir été entendue ni examinée, vous savez, dis-je, que ce crime
a été imputé à toute la nation allemande, car les chefs l'ont commis,
et personne ne les a contredits et ne s'est opposé à leur sentence. Par
là, Dieu a été si grièvement offensé qu'il nous a retiré sa précieuse
parole; ou bien il a permis qu'elle dtviul le prétexte d'un tel scandale,
que personne ne pouvant plus reconnaître en elle la parole de Dieu,
elle a été traitée selon ses mérites. On s'est cru autorisé à la persécu-
ter, à la diffamer, ou Ta appelée diabolique. Oui, eu vérité, mon cher
Hartmuth, l'Allemagne, pour être agréable au Pape, a malheureuse-
ment assumé sur sa tête une terrible responsabilité, à Worms, au jour
fatal de la Diète! « Du reste, au dire de Luther, ce n'était pas la pre-
mière fois que l'Allemagne repoussait l'évangile. Aussi craignait-il
beaucoup que Dieu ne la traitât comme la Judée : « Nous lisons dans
le livre des Rois que les Juifs, ayant pendant longtemps persécuté et
mis à mort les prophètes, Dieu s'était enfin détourné d'eux, et leur
avait refusé toute assistance. Si mes ennemis n'ont pas versé mon sang,
ce n'est pas qu'ils n'en aient eu le dessein précis et arrêté, et tous les
jours ils m'immolent encore dans leur pensée. Malheureuse nation!
Étais-tu donc destinée à servir l'Antéchrist, à te faire son geôlier et
son bourreau! Devais-tu t'élever contre les saints et les prophètes du
Seigneur! " « Voyez comme les paroles me viennent en abondance!
jour. » On trouve une sévère mais juste appréciation de la réponse de Luther à
Henri VIIl dans IIöfler, Adrian VI, p. 26t.
LUTHER SUR SA DOCTRINE SEULE JUSTIFIANTE. 1522. ^33
La foi du Christ opère en moi, elle tressaille d'allégresse dans mon
cœur, à cause de votre foi et de votre heureuse adhésion à la
vérité! » « Saluez tous nos amis dans la loi, le seigneur Franz ', le
seigneur Ulrich de Hütten, et ceux qui se joignent encore à vous'.
« Si tant d'abominations souillent le papisme, ne nous étonnons
pas ", dit Luther, « que beaucoup fassent un mauvais usage de notre
évangile; heureusemeni nous avons des potences, des roues, des
épées, des couleaux : celui dont la volonté n'est pas droite, nous
pourrons encore nous en défendre \ » Néanmoins, en dépit des scan-
dales donnés par ceux de son parti, en dépit de toutes les agressions
papistes, on verrait bientôt tous les rois, tous les princes spirituels
et temporels se « soumettre et se rendre » à son évangile. « J'ai de
tristes appréhensions », écrit-il à Frédéric, « et malheureusement je
les crois trop fondées; j'ai peur qu'une effroyable sédition n'éclate
dans les pays allemands. Dieu, par ce bouleversement, s'apprête à
châtier l'Allemagne. Le peuple reçoit et accepte admirablement notre
évangile, mais il le prend trop à la lettre, il l'interprète charnelle-
ment; il sent bien qu'il est le seul véritable, mais il ne sait pas encore
eu faire un bon usage. Ceux qui devraient apaiser la révolte, l'attisent,
au contraire. La violence dont ils usent empêche la lumière de l'évan-
gile de briller, ils ne s'aperçoivent pas que de pareils procédés ne
font qu'aigrir les esprits et pousser les gens à l'émeute. Us semblent
vouloir courir au-devant de la mort, eux et leurs enfants. Très-
certainement Dieu permet ces choses pour nous châtier. » Selon
sa coutume, Luther attribue tous les malheurs dont il est l'occasion à
' De Sickirigen.
* Voy. DE Wette, t. II, p. 165, 167-170.
» Sihnmtl. Werke, t. XXVIII, p. 311. — Voy. ce que dit Luther sur les prêtres,
moines et religieuses ■ qui se marient et se sauvent de leurs couvents, non dans
une pensée chréiienne, mais parce qu'ils sont heureux de trouver dans la liberté
évangeliqiie un manteau commode pour cacher leur mauvaise conduite.
Cette appréciation est néanmoins précédée du principe : - que le devoir des
prêtres est de se marier et que les moines et les religieuses sont libres de s'échapper
de leur couvent -. - Cette doctrine, ' dit Luther, . scandalise et courrouce les
papistes plus qu'on ne saurait dire, mais cela importe peu. ■ — • Que le ma-
riage des prêtres ait été ordonné par le diable et l'état religieux fondé par
Satan, on en trouve l'indubitable preuve dans saint Paul, Tim. I, ch. iv, v. 3. —
Il faul confesser qu'ils ont reçu le mariage de Dieu, et ne doivent être con-
traints par auiuii serment à agir contre la parole de Dieu et de par l'ensei-
gnement du diable. • — Le prédicant d'Erfurt, Mechler, bien qu'après être sorti
du couvent il se fiU immédiatement marié pour bien établir ses sentiments évan-
géiiques, se lamentait de la conduite des moines et des religieuses échappés de
leurs monastères. • Quand les moines ou les nonnes sont sortis depuis trois jours
seulement de leur cloître, les uns font société avec des filles perdues, les autres
avec de mauvais garnements, et cela sans se soucier nullement de Dieu. Les
prêtres en font autant, ils vont à la première femme venue, de sorte qu'une
longue période d'expiation succède promptement à un court mois de baisers. •
— Kampschulte, t. H, p. 173.
234 LUTHER SUR SA DOCTRINE SEULL JUSTIFIANTE. 15-.'2.
la volonté même de Dieu. « La tyrannie cléricale est humiliée, c'est là
tout ce que je voulais obtenir par mes écrits; mais je m'aperçois
maintenant que Dieu veut pousser la chose beaucoup plus loin,
comme il en usa jadis avec Jérusalem et les deux royaumes de Judée.
J'ai reconnu récemment que non-seulement l'ordre spirituel mais
encore l'ordre temporel devraient, de gré ou de force, se soumettre
à l'évangile. Tous les récits de la Bible le prouvent clairement. » « Si
jusqu'à présent j'ai ri de l'émeute, croyant qu'elle ne s'en prendrait
qu'au clergé -, dit-il dans le posl-sctiptnm de la même lettre, - aujour-
d'hui j'ai peur qu'elle ne s'attaque d'abord à nos maîtres, et, comme
un véritable fléau public, n'entraine ensuite avec elle tout le clergé'. "
« Les prémices de la victoire sont à nous ", écrit-il quelques jours
plus tarda Vinceslas Link (19 mars 4.522); « nous triomphons de cette
tyrannie papale qui jadis a tant opprimé les rois et les grands 1 Com-
bien nous sera-t-il plus facile de vaincre et d'humilier les princes! «
Le duc Georges de Saxe excitait tout particulièrement son indignation.
Se conformant à ledit de Worms, celui-ci combattait avec énergie les
nouvelles doctrines et leurs adhérents, et s'efforçait de déterminer
les souverains, les autorités, à prendre en main la défense de l'Église.
" Si les princes continuent à se diriger d'après les conseils de ce cer-
veau stupide* >, dit Luther, .: je crains bien qu'une révolution
n'éclate, et ne renverse bientôt dans toute l'Allemagne les grands et
les magistrats, enveloppant le clergé dans sa ruine. '• Il lui semblait
déjà voir ' l'Allemagne nager dans le sang ». ' Les peuples -, disait-il,
« ne sont plus ce qu'ils étaient jadis. Les princes devraient com-
prendre que l'épée de la guerre civile est suspendue sur leur tète. «
Il était, pour sa part, bien éloigné de la redouter; les calamités que
les princes avaient attirées sur eux ne le concernaient point, et ne
regardaient qu'eux seuls'.
Il n'hésitait pas à déclarer hors la loi les prêtres qui ne recevaient pas
son évangile : « Ainsi que je vous l'ai dit », écrit-il le 6 mai 1522 au
bourgmestre et aux conseillers d'Altenbourg à propos des chanoines
de la ville, - dès que les prêtres réguliers s'opposent à l'évangile,
leur autorité cesse d'être légitime; dès lors il faut les fuir et les éviter
comme on ferait des loups. Tout chrétien est autorisé à juger leur
' De Wette, t. II, p. 143-H4.
^11 nomme à plusieurs reprises le duc Georges « le pourceau de Dresde» • ille
porcus Dresdensis '. De Wette, t. Il, p. 7, n" 319, et t. XXXII, n» 330. Il appelle
aussi l'électeur Joacliim de Brandebourg . le Benahdad de Damas». — Voy. de
Wette, t. II, p. 3.
* Voy. DE Wette, t, II, p. 157-158. Il croit nécessaire de faire cette remarque
en terminant sa lettre : - Sobrius haec scribo et mane. ■ Et précédemment :
■ Haec certe in spiritu loqui me ^rbitror. .
IMTUF.W FAHORTr: SKS PAUTISANS A I-ROSCRIRF: LES I^IVKQÜKS. 1522. 235
doctrine et à discerner ces loups, car tout chrétien doit croire parlui-
inôme, et être en état de distinguer ce qui est orthodoxe de ce qui
ne l'est pas'. " « Dieu nous dispense d'obéir à l'autorité toutes les
fois qu'elle est en contradiction avec l'évangile > , dit-il en faisant
allusion à la lettre que nous venons de citer, dans une instruction
adressée à Frédéric de Saxe : « Aussi le conseil d'Altenbourp; et Votre
Grâce sont-ils obligés d'écarter les prédicateurs qui peuvent nuire
à la foi, et d'aider à ce qu'un bon choix soit fait, ou du moins à ce
que rien n'y mette obstacle; il n'est ni charte, ni sceau, ni lettre, ni
usage, ni droit, ni pouvoir quelconque qui puisse aller à l'encontre
de ce devoir. Je vous ai déjà prouvé surabondamment que vous
aviez le droit et le pouvoir de discerner et de juger la vraie et la
fausse doctrine. Ouant aux chanoines, leur droit, leur autorité et
leurs revenus ont pris fin le jour niéme où ils se sont ouvertement
opposés à l'évangile *. " « Loin d'être répréhensibles ', écrivait-il dans
le même sens au comte .lean-Henri de Schwarzbourg, « on est dans
le strict devoir en chassant les loups de la bergerie, et l'on ne doit
point s'inquiéter de l'abstinence qu'on impose à leur ventre. Ce
n'est pas pour nuire, c'est pour venir en aide qu'on accorde dime ou
salaire au ministre de la parole (nuire, signifie, ici comme toujours,
ne pas prêcher l'évangile luthérien). Du moment qu'il ne sème pas
le bon grain, il n'a droit à aucun salaire ^
Mais au dire de Luther, il fallait avant tout chasser de la bergerie
« les grands loups % c'est-à-dire les évêques, et dans un traité spécial
intitulé : Contre l'état faussement appelé ecclésiastique du Pape et des évê-
ques (juin 1522), il conjurait tous les enfants bieu-aimés du Seigneur,
tous les vrais et pieux chrétiens, de travailler à leur expulsion. Or,
des mesures de cette nature eussent équivalu au renversement radical
des constitutions de l'Empire, puisqu'en Allemagne les évêques
n'étaient pas seulement les premiers pasteurs spirituels, mais encore,
pour la plupart, les princes souverains des divers territoires.
Luther, « par la grâce de Dieu, ecclésiaste de Wiitemberg «, répé-
tait dans ce nouvel écrit ce qu'il avait si souvent affirmé : sa doc-
trine seule conduisait au salut. Partant de ce principe, il se croyait
autorisé par Dieu même à juger les évêques en dernier ressort : « Ma
doctrine >■, disait-il avec une superbe assurance, « ne peut être
jugée par personne, même par les anges, car je suis certain de sa
vérité; par elle je prétends être votre juge et celui des anges eux-
mêmes, comme dit saint Paul. J'affirme donc que celui qui ne la
' Voy. DE Wette, t. U, p. 191.
' De Wette, t. Il, p. 192-193.
' De Wette, t. H. p. 258. — Voy. Friedrich, Atlrologit und Reformation, ç. 126-138.
236 LUTHER EXHORTE SES PARTISANS A PROSCRIRE LES ÉVÉQUES, 1522.
reçoit pas ne peut être sauvé, parce qu'elle vient de Dieu et non
de moi, et que ma sentence est celle du Seigneur, non la mienne.
Tant que je vivrai, vous n'aurez point de paix; si vous m'imm )lez,
vous en aurez dix fois moins encore ; je serai, comme dit le prophète
Osée, un ours sur votre route, un lion dans votre sentier. Tant que
vous vous opposerez à moi, vous ne réussirez à rien, jusqu'à ce que
votre front de fer et votre cou d'airain aient été brisés, soit par la
miséricorde, soit par la justice. »
« Mais de peur que quelques âmes bien intentionnées ne m'estiment
trop hardi d'oser ra'attaquer aux grands personnages, et parce que
les tyrans eux-mêmes se plaignent que nous encourageons à l'émeute
et à la révolte, il importe que je vous expose ici le fondement et les
motifs de ma conduite, et que je vous démontre par écrit que non-
seulement il est légitime, mais indispensable de châtier les hauts
dignitaires. »
Les reproches de tous les prophètes et ceux du Sauveur lui-même
s'adressent pour la plupart « aux rois, princes, prêtres, savants,
en un mot aux premiers du peuple « : « Le Christ, dans l'Evan-
gile, nous apparaît dans Thumilité, dans un rang obscur. 11 n'est
pas revêtu d'une haute dignité, il n'appartient pas au gouvernement.
Or envers qui se montre-f-il sévère? Oui menace-t-il de châtiments?
Les grands prêtres, les scribes, les grands clercs, en un mot tout
ce qui occupe un rang élevé, reçoivent ses reproches. Sa conduite doit
être le modèle des a|)ôtres de l'évangile. 11 faut qu'avec une grande
assurance ils s'opposent aux chefs, car le salut ou la perte du
peuple dépend surtout d'eux. Pourquoi donc, malgré le Christ et
l'exemple de tous les prophètes, suivrions-nous la loi des fous,
inventée par un pape inepte? pourquoi laisserions-nous impunis
les gros bonnets et les tyrans spirituels ? Et à quoi nous servirait-il
de châtier le peuple si nous laissions les grands en paix? On ne
pourra jamais îaire autant de bien en répandant la bonne doctrine,
que de mauvais chefs ne feront de mal en en propageant une mau-
vaise. î>
Les évêques et les hauts dignitaires de l'Église méritaient donc un
traitement plus rigoureux que les chefs temporels, et cela pour deux
raisons : d'abord parce que les dignités ecclésiastiques n'ont pas été
instituées par Dieu; Dieu ne connaît point la mascarade épiscopale;
ensuite parce qu'elles ne viennent pas non plus des hommes, car les
évêques et prélats se sont élevés de leur propre autorité, et se sont
éf abUs dans leur pouvoir en dépit de Dieu et du genre humain. Secon-
dement, parce que « le gouvernement temporel, bien qu'usant de vio-
lence et d'injustice, ne porte préjudice qu'au corps, au lieu que les
prélats, lorsqu'ils ne sont pas saints et ne servent pas les intérêts delà
LVnUin KXIIOUTE sus PARTISANS A PROSCRIUE LES ÉVKQUES. 1.022. 237
•rôle de Dieu, .«^onl des loups, des assassins d'âmes, et font autant de
;iial(|ne.<.i le diable en personne éiait assis à leur place et gouvtrnait
pour eux. Aussi faut-il se garder de l'cvéque qui n'enseip,ne pas la
parole de Dieu comme du démon eu personne. \.ä où la parole de
Dieu n'est pas annoncée, il n'y a très-certainement que pure doc-
trine diabolique et meurtre des âmes, d'autant que sans cette parole
divine, Frimc ne peut vivre, ni être affranchie du démon i.
Par la parole de Dieu, Luther entendait loujours, bien eniendu,
sa propre interprétation de l'Écriture, interprétation qui, selon son
or{',ueilleuse conviction, lui avait été révélée par Dieu même.
« vS'ils le disent », conlinue-t-il, « qu'il faut craindre d'exciter une
émeute en poussant les sujets à résister aux supérieurs ecclésiastiques,
réponds : La parole de Dieu scra-t-elle entravée pour un tel motif?
L'univers doit-il périr à cause de nos misérables anxiélés? Que tous
les évéques soient exterminés, que foutes les abbayes et couvents
soient rasés, plutôt qu'une seule âme ne vienne à se perdre, à plus
forte raison plutôt que toutes les âmes ne soient perverlies par ces
inutiles pantins, par ces idoles d'évêques! A quoi sont-ils bons ceux
qui, dans lebien-êire, vivent du travail des autres, profitent de leurs
sueurs, et mettent obstacle à la parole de Dieu? Ils redoutent une
révolution temporelle, et ils ne se '■oucient point de la perdition éler-
nelle! Ne sont-ce pas des personnages honnéles et sages? S'ils rece-
vaient la parole divine et désiraient ce qui fait vivre l'âme, le Seigneur,
qui est un Dieu de paix, serait avec eux, et nulle émeute ne serait à
redouter. Mais comme ils veulent rester sourds à la parole de Dieu,
comme au lieu de l'écouter ils se déchaînent contre elle et la com-
batlent par l'excommunication, piir les Miimmes et par tous les fléaux
qu'ils peuvent inventer, qu'ont-ils donc justement mérité, sinon une
révolution puissante qui vienne enfin les déraciner de ce monde?
Que si pareil malheur leur advient, il ne faudra qu'en rire, comme
le conseille la divine sagesse : Vous avez, dif-elle, délesté ma correc-
tion et riiillé ma loi, mainienant je me rirai de vous à mon tour, et
je vous raillerai, lorsque le malheur s'abattra sur votre cou! »
Après avoir émis de pareilles opinions, Luther assurait en vain
désapprouver l'emploi « du poing et del'épée »; eu vain répétait-il
qu'on ne devait pas s'opposer à l'Antéchrist par la violence.
- La parole de Dieu ne suscite point d'émeute. C'est l'insoumission
obstinée qui la produit, et ne tarde pas à recueillir ce qu'elle a mérité. »
« Quels sont-ils »? dit encore Luther à propos des évéques, ^ ils
vivent sous nos yeux comme des animaux privés de niison. Qui
sont-ils pour que personne n'ose les punir, pour que nul ne tente
de leur résister? Jgnore-t-on que les évêchés, les couvents, les
abbayes, les Universités ne sont que d'inépuisables pots de graisse,
238 LUTHER EXHORTE SES PARTISANS A PROSCRIRE LES ÉVÉQUES. 1522.
OÙ viennent sans cesse se fondre les biens des princes et tous les
trésors de la terre? Ils s'imaginent être les très-nobles joyaux de la
Chrétienté, et cependant saint Pierre les appelle la honte et l'ordure
du monde ! Ils maudissent, ils condamnent la vérité qu'ils ne con-
naissent point. Ils sont noyés et enfoncés dans la matière, hommes
charnels, êtres sensuels, bestiaux, qui n'ont jamais goûté les choses
de l'esprit! »i Agir contre eux n'est pas commettre un attentat
contre l'autorité ecclésiastique, « car ce ne sont point des évéques,
ce sont des pantins, des idoles sans intelligence, des marionnettes,
des idiots, gens incapables même de savoir ce que c'est qu'un
évêque, à plus forte raison ce que c'est que la charge d'un évéque!
Ce sont des loups, des tyrans, des tueurs d'âmes, des apôtres de
l'Antéchrist! Mais je t'entends dire : Vraiment tu t'en prends là à
de bien hauts personnages! Songes-tu que parmi eux il s'en trouve
d'illustres, de savants? A cela je réponds : Jésus-Christ, Pierre, Paul,
tous les prophètes ont annoncé que les plus grandes calamités que
la terre ait à redouter sont l'avènement de l'Antéchrist et les fléaux
des derniers jours. Penses-tu que de semblables paroles aient été
prononcées à propos de plumes d'oies ou de feuilles d'arbre? La
parole de Dieu ne nous entretient jamais que de grandes choses!
Elle s'élève contre les grands, contre les puissants; elle tonne contre
les hauts personnages! Elle nous démontre que l'iniquité est tou-
jours commise par eux, comme de nos jours le Pape, les évêqucs et
leur clique nous le font assez voir. En fin de compte, qu'importe-t-il
qu'ils soient grands, nombreux, élevés, savants, si, manifestement,
ils s'opposent à Dieu? Dieu u'est-il pas plus qu'eux? Dieu n'est-il pas
au-dessus de toute chose créée? Le Turc aussi est puissant, et cepen-
dant c'est l'ennemi de Dieu! Mais, diras-tu encore, qui donc serait
assez hardi pour appeler race maudite le Pape, les évéques, et toute
leur bande? Qui? Pierre! Oui, le Saint-Esprit les a maudis par la
bouche de Pierre! Ils sont à la vérité évéques, mais non évéques de
chrétiens; ce sont des évéques de voleurs, de brigands, d'usuriers,
des chefs de voleurs, des chefs d'assassins, des chefs d'usuriers " !
" Le porc, le cheval, la pierre, le bois, ne sont pas plus destitué«
de bon sens que nous ne l'avons été en subissant le joug du Pape. >•
« Et afin de me débarrasser l'estomac, je veux ici dire hautement ma
pensée : Les évéques que nous voyons maintenant régner sur tant de
villes ne sont pas les évéques du Christ, institués par la loi divine,
mais bien les évéques du diable, établis par son ordre, et très-cer-
tainement messagers et intendants de Satan! » Luther est prêt à le
prouver « bien et dûment « par la sainte Écriture. « Les couvents »,
dit-il encore, « sont de bien plus mauvais lieux que les maisons
publiques, que les tavernes et que les repaires d'assassins. »
f,rriii:i? r:\iioitTK sks l'AirrisANS a pkoscrire les eveques. 1522. 23!)
Cet écrit ét.iit ;iccompa<;ué d'un appendice intitule : liulle et
llt'foriiic. Lullier y déclarait que < tous ceux qui exposaient leurs
corps, leurs biens, leur honneur pour détruire les évèchés et le gou-
vernement des évoques, étaient les enfants bien-aimés de Dieu, les
vrais chrétiens, gardant la loi divine et résistant à la loi du dé-
mon '). Lorsqu'il n'était pas possible de combattre ouvertement les
évéques, il fallait du moins condamner et réprouver leur autorité :
« Je le répète, tous ceux qui se soumettent volontairement à eux
sont à proprement parler les serviteurs du démon, et s'opposent
à l'ordre et à la volonté de Dieu. >; < Tout chrétien, exposant son
corps et ses biens pour la vérité, doit travailler à mettre fin à
leur détestable tyrannie; tout ce qui peut le moins du monde
porter préjudice aux évéques, ils doivent s'en acquitter joyeuse-
ment, agissant envers eux comme envers Satan en personne. "
i Ceci est ma bulle , dit Luther en concluant, ^ à moi, docteur Lu-
ther! Elle apporte la grâce de Dieu à tous ceux qui la garderont et
la suivront. Amen '! «
Spalatin ayant fait quelques représentations à Luther sur l'extrême
violence d'un pareil langage, il lui répondit (2.5 juin 1522) que c'était
à dessein qu'il se déchaînait ainsi contre les évéques, et qu'il était
résolu à ne plus les épargner. Que si l'émeute et toutes sortes de
calamités imprévues venaient à atteindre les hauts dignitaires de
l'Église, ils n'auraient à s'en prendre ni à ses instigations ni à son
influence, mais bien à leur propre tyrannie, qui forçait la main au
peuple, et aussi à leur destinée, qui le voulait ainsi ^
Au moment où paraissait cet écrit, Franz de Sickingen, ^ seigneur
' Sammtl. Werk,; t XXVIII, p. 142-201. — Voy. Surtout p. 142-145, 147-149, 155-
156, 174-176, 178-179, 189. — Maint passage de ce livre, par exemple ceux des
p. 158-159-163, 199, sont impossibles à reproduire.
- " Tu ergo noli timere, nec speres me illis parciturum : moius uc res novas si
passifuerint, nobis autoribus non patientur, sed sua tyr;innide sic vocaatibus fatis
urgente. ■ — Voy. de Wette, t. II, p. 236. — Lutlier érrit à Slaupitz (27 juin 1522 :
• Quod tu scribis meajactari ab iis, qui lupanaria coluni, et multa scandala ex recen-
lioribus scriptis meis orta, neque miror, neque metuo. • — De Wette, t. II,
p. 215. • Personne-, écrit-il à un inconnu ;28 août 1522), - ne doit se scarjdaliser
de ces injures; la justice doit avoir son cours; tous ceux qui ne sont pas
dignes d'elle se scandaliseront et tomberont, ainsi qu'il est écrit dans saint
Jean (chap. vi, v. 60 . Cet apôtre rapporte que beaucoup de disciples de .îésus-
Christ se retirèrent après lavoir écouté, disant : Ce discours est trop dur, et
qui peut le supporter?Donc,cherami, ne vous effrayez pas, si beaucoup se scan-
dalisent de mes écrits; il faut qu'il en soit ainsi, et que très-peu restent fidèles
à l'évangile. • Avec le temps, on comprendra pourquoi il est resté sourd à
toutes les remontrances que lui font à ce sujet Frédéric de Saxe et beaucoup
de ses amis. Pour le moment, il ne peut répondre qu'une chose : c'est qu'il
ne doit ni ne peut faire autrement : • Je ne peux plus accepter de demi-mesures ;
je ne veux plus ni plier, ni céder, ni me soumettre, comme je lai fait jusqu'à
présent, fou que j'étais! > — De Wette, t. II, p. 244.
240 LUTHER EXHORTE SES PARTISANS A PROSCRIRE LES ÉVÉOUES. 1522.
et patron spécial » de Luther ', se préparait à être rinstrumenf
de cette destinée.
Le livre de Luther est pour ainsi dire le manifeste de guerre
avec lequel Sickingen entre en campagne , pour renverser la consti-
tution de l'Empire et faire « une trouée à l'évangile' ".
' C'est ainsi que le nomme Lutiier. — Voy. de Wette, t. H, p. 13.
* Voy. plus loin.
CHAPITRE IV
FRANZ DE SlCklNGEN TENTE DE RENVERSER I.A CONSTITUTION
DE LEMI'IRE.
Sickingen, revenu sans gloire et sans butin de son expédifion
contre la France, crut le moment venu, pendant l'été de 1522, pour
la réalisation de son grand projet : « la réorganisation de l'Empire «.
Charles-Ouint était reparti pour l'Espagne, et le Conseil de régence,
qui siégeait à Nuremberg depuis le mois de septembre 1521 sous
la présidence du lieutenant impérial le comte palatin Frédéric, était
" faible et peu à redouter >!. Sickingen s'attendait d'autant plus à
voir les nobles venir de tous cotés lui offrir ' d'abondants secours ",
que l'état général des affaires publiques servait de moins en moins
les intérêts de la peti'e aristocratie, et que le sourd mécontentement
qui couvait depuis longtemps parmi la noblesse prenait de plus en
plus les proportions d'une haine violente.
Exclue de toute participation aux affaires publiques, dépouillée
d'un de ses droits politiques les plus essentiels, le droit de réunion,
« la noblesse libre d'empire • avait vu son crédit lui échapper à mesure
qu'avait grandi la puissance des petits souverains'. Le joug féodal
que les princes faisaient peser sur elle était, à l'entendre, <= intolé-
rable. ■ Les nouvelles taxes de douane allaient s'augmentant chaque
jour; sans cesse on voyait surgir de nouvelles servitudes, enchéris-
sements et charges onéreuses. Les nobles éprouvaient-ils le besoin de
s'assembler pour traiter ~- ensemble de leurs griefs communs ", ils
s'en voyaient aussitôt empêchés par les menaces et les violences des
princes; et cependant, « le droit de réunion leur avait été garanti
depuis plus de deux siècles dans un grand nombre de territoires «.
Les Électeurs, princes et autres Ordres, au contraire, « avaient coü-
' Voy. notre premier volume, p. 452-454.
11. 15
242 SITUATION DE LA PETITE ARISTOCRATIE.
tinuellement ensemble des pourparlers, des conférences secrètes ou
publiques, et bien qu'au sein de ces assemblées l'Empereur fût sou-
vent honoré en paroles, en réalité elles donnaient plus fréquem-
ment lieu à des discussions, à des querelles, qu'à des actes de sou-
mission envers le chef souverain et légitime de la nation. Elles
compromettaient par conséquent la paix publique, et lésaient
gravement les intérêts communs de l'Allemagne . La noblesse se
plaignait encore de la mauvaise administration du droit : les tribu-
naux secondaires des petits souverains semblaient n'être plus desti-
nés, comme autrefois, à rendre la justice à tous et ne se montraient
préoccupés que des intérêts des seigneurs qui les tenaient sous
leur dépendance. Lorsqu'un noble en appelait d'un jugement par-
tial et inique, il se voyait aussitôt débouté de son droit, ici par
l'allégation de tel privilège, là par la violence. Voulait-il soumettre
la cause en litige au Conseil de régence, à la Chambre impériale?
c'est à peine si, dans toute la principauté, il se rencontrait un notaire
assez courageux pour se prêter à ce que réclamaient de lui les de-
voirs de sa charge. La haute magistrature se faisait l'instrument du
révoltant despotisme des grands. La Chambre impériale, toute au
service des puissants, se montrait injuste et partiale dès qu'il s'agis-
sait de faire exécuter une sentence; de sorte qu'après mille difficul-
tés, les faibles ne pouvaient jamais profiter d'un arrêt obtenu à
grand'peine. Mais on supposant même que la Chambre impériale
eût la bonne volonté de se montrer équitable, le Conseil de régence
avait entre les mains un pouvoir exécutif trop insignifiant pour
oser s'en prendre à de hauts et puissants personnages ', de sorte
que tout fortifiait - l'insoumission des grands ". Impuissant et
faible, le Conseil •< ne parvenait même pas à maintenir la paix
publique dans l'Empire ".
Aussi, dès qu'un jugement était rendu, abandonnait-on le plus
souvent à celui qui avait gain de cause le soin de faire exécuter la
sentence; l'autorisant à enrôler, pour soutenir ses intérêts, des
hommes d'armes en plus ou moins grand nombre, selon les forces
dont son adversaire pouvait disposer '. ^ Tous les Ordres de l'Empire,
aussi bien les spirituels que les temporels, aspiraient à voir la noblesse
humiliée > ; aussi ne croyait-elle pas agir contre la justice et le droit
en appelant de tous ses vœux le jour où, se levant enfin, elle ten-
terait " d'échapper à la servitude, et réunirait ses forces pour recon-
quérir un peu d'autorité, et se faire une existence supportable ".
A l'entendre, les autres Ordres « s'enrichissaient tous les jours;
' Dans les pièces désignées dans le répertoire de Weller sous le n» 2357, Be-
schwerdeschrift der Grafen, Herren und gemeiner Pilterschaft, Nuremberg, 1523. — JÖRG,
p. 21-23, 42-43.
I.E PROI.ÉTAIilAT I)F l,A NOBLESSE ET LES CHEVALIERS BRIGANDS. 24.t
seule elle se vo} ail condamuée ' â une misère de plus en plus pro-
fonde ".
Ce qu'il y avait de vrai dans ces laraentalious, c'est que la petite
noblesse, à force de morceler les propriélés héréditaires, de se livrer
à sa passion pour le plaisir, de déployer un luxe excessif, et aussi
en raison de la dépréciation de la propriété foncière et du dévelop-
pement envahissant du capital, avait perdu dans beaucoup de terri-
toires les éléments matériels de son influence politique. Le proléta-
riat de la noblesse formait une classe considérable -, et les seigneurs
ruinés, déchus, regardaient d'un œil d'envie les riches couvents, les
abbayes florissantes, surtout les collégiales princières. L'avidité
de tant de {jrands seigneurs spirituels en vue d'agrandir encore et
toujours leurs possessions déjà si étendues, la magnificence qu'ils
étalaient au dehors en faisant insolemment parade de leurs richesses,
tout avait fait détester de plus en plus l'organisation ecclésiastique,
et ce mécontentement amer était partagé par une foule de gens qui,
d'ailleurs, ne songeaient nullement à se séparer de l'Église et de sa
doctrine. La confiscation des propriétés ecclésiastiques, le partage
des biens du clergé, tant réclamés par Hütten et Sickingen, et
représentés comme de nécessité urgente, flattaient donc le sentiment
du plus grand nombre et semblaient une œuvre - raisonnable et
attrayante •. Cette perspective • chatouillait surtout délicieuse-
ment ) les penchants de celte classe particulière de gentilshommes
' Voy. notre premier volume, p. 366-367. Wimpheling parle, dans son Aperçu
général de l'histoire de Mayence (Ïâl5), de la passion des nobles pour la boisson, et il
ajoute : « ni viderint, an sitit nobiles, immo si sint homines quidem, cura no-
bililas ex sola virtute comparetu.r. Ad quas sordes redarta est prisca et autiqua
nobilitas Germanica, yd quam labeculam demersa est alta comitum generositas !
Ignorant profecio splendorem proprium, excellentiam et dignitatem. ■ (Fol. 22-
23.) Manuscrit de la bibliothèque du château d'Aschaffenbourg.
' Les nombreux documents cités par Jörg, et copiés sur dix actes authen-
tiques, montrent dans quel abaissement était tombée la noblesse de Bavière
(p; 49-jO). Nous en citons un passage :
. llirschauer de Gersdorf est veuf, chargé de petits enfants, et de plus affligé
de beaucoup de malades; il ne touche que quatorze florins par an de rede-
vances. Jacques Tanner, de Tann, et ses deux frères ne possèdent plus que la
seule résidence de Tann; encore ce petit bien appartient-il à leurs trois neveux.
Érasme Reigher, de Lankwart, loge dans une maison de paysan, et y vit pauvre-
ment avec 25 florins de redevances annuelles; lui, sa ménagère et trois autres
personnes sont obligés de cherrher au dehors des moyens de subsistance.
Wolfgang Auer, de Straubing, a une toute petite propriété; il cultive lui-même
sa ferme avec sa femme et ses enfants. Ulrich de Kailangkrent n'a ni servi-
teurs ni chevaux. B;ilthazar Kollnbeck, de Thurnthenning, n'a pas le moyen
d'entretenir un serviteur; tous ies biens sont hypothéqués. Gui Rohrbeck, de
Rohrbach, ne possède plus à Rohrbach que la dixième partie de son domaine
qui comporte dix livres de pfenning de revenu; c'est avec cela que ce pauvre
gentilhomme doit vivre, lui, sa femme et de nombreux enfants », etc.
16.
2H LES CHEVALIERS BRIGANDS. 1522.
qui avaient toujours été d'avis que l'un des privilèges de la noblesse
consistait à dépouiller le plus possible ceux qui possédaient.
Dans beaucoup de territoires impériaux, les chevaliers bri-
gands avaient conquis une position ' vérilablement redoutable >.
En dépit de toutes les lois édictées pour le maintien de la paix
publique, ils continuaient à considérer leurs vols à main armée
comme une« occupation honorable «. Un jour, un Carme déchaussé
ayant osé dire en chaire qu'on devrait suspendre en plein jour à la
potence et faire mourir de raalemort, tout bottés, tout éperonnés,
si la nécessité le réclamait, les brigands de grandes routes; plusieurs
nobles de Franconie, mêlés à l'assistance, se montrèrent fort irrités
du discours du moine; « car ils tenaient pour certain >, dit la Chro-
nique de Zimmer, « qu'un ancien privilège leur concédait le droit de
voler impunément sur les chemins, et de dépouiller les passants ».
L'un d'eux, l'échanson Ernest de Tautenberg, menaça le religieux, et
témoigna le désir de « l'accommoder de bonne sorte ' ». .Jusque dans
les environs de Nuremberg, siège du Conseil de régence, la popula-
tion vivait dans un perpétuel effroi, toujours sous le coup des agres-
sions d'un des principaux chefs des chevaliers brigands, Hans Thomas
d'Absberg, lequel, secondé par ses nombreux compagnons de rapine,
torturait et rançonnait jusqu'à de pauvres manœuvres sans ressource.
En juillet 1522, Absberg avait lui-même coupé la main droite d'un
tonnelier de Nuremberg. En vain ce pauvre homme lavait-il supplié
à genoux de couper plutôt la main gauche : Absberg s'était montré
inflexible. Le 5 août de la même année, lui et sa bande sanguinaire
surprirent près de Baireuth un coutelier et un pelletier de Nurem-
berg. L'un des chevaliers brigands demanda un dissah (courte épée
de Bohême, sans poignée, très en usage dans le pays); il éprouvait,
disait-il, le désir de travailler un peu par lui-même, étant resté trop
longtemps dans l'inaction. On fit au pelletier cinq cruelles blessures,
enfin on lui coupa la main droite. Le coutelier eut aussi la main cou-
pée. Hans Thomas envoya les membres coupés au bourgmestre de
Nuremberg, en lui faisant savoir que son épée avait encore un pom-
meau, et qu'il le lui ferait si bien mordre que les dents lui tombe-
raient de la bouche et que le feu lui jaillirait des yeux. Son inten-
tion était d'agir de même envers tous les habitants de Nuremberg,
et il chargea le pelletier de bien avertir le bourgmestre que c'était
' « Retourner les poches des marchands, passe encore •, disait le mar-
grave Frédéric de Brandebourg à ses gentilshommes [Zimmcrischc Chronik, t. II,
p. 434-4.35t, « mais il vous est interdit d'attenter à leur vie. • - In Franco-
nia nobiles depraedabantur mercatores etiam salvum conductum prin ipum
habentes, volentes etiam proprium ligim eiigere contra regnum Romanorum
et ligam Suevicam », écrit Jean Nibling d'Ebrach. — Voy. Höfler, Fränkische
Studien, t. VIII, p. 254.
PLANS DU PAKTI R É VO LU T lONN A 1 K K DE LA NO B LES S E, 1 522. 245
lui, Absberg, qui avîiif fait le coup, et se chargerait du reste. Georges
de Giech, Wolf Heinrich et lîans Georges de Aufsess, (étaient au
nombre des compt'res, recôlcurs, et complices secrets ■■■ d'Absberg.
Ces brigands trouvaient abri et j>roleclion jusque dans les possessions
du margrave Casimir de Brandebourg'. Mangold d'Eberstein, sei-
gneur de Brandenstein, le seigneur de Bosenberg, d'autres encore,
se montraient à peu près aussi féroces. .Marguerite de Hosenberg,
femme de Mangold, se plaisait à donner des conseils pratiques aux
chevaliers brigands qu'elle recevait à sa table. • Lors(|u'un marchand ne
tient pas la promesse qu'il vous a faite s disait-elle à ses hôtes, « cou-
pez^lui pieds et mains, puis laissez-le par terre, étendu sur le sol ^ "
Sickingen, qui avait été pendant de longues années l'effroi des
paisibles bourgeois, comptait parmi ses affidés, maintenant que selon
son expression il songeait à une expédition que nul empereur
romain n'avait osé entreprendre avant lui », plus d'un camarade qui,
en maint endroit, « avait bien souvent trouvé l'avoine de ses chevaux
dans la bourse du prochain ^ ».
Martin Bucer, prédicant de Strasbourg, ancien Dominicain, plu-
sieurs fois employé par Sickingen à des missions évangéliques,
écrivait de Strasbourg à son ami Sapidus (7 juin 1522)* : » Il faut
que je m'en retourne le plus vite possible auprès de Sickingen. 11
songe à me confier une fois de plus une mission importante. 11 m'a
fait promettre de revenir auprès de lui promptement, et sans doute
pense à m'envoyer en Saxe. Prie le Seigneur, toi et les tiens ", con-
tinue-t-il sur le ton biblique qui était alors à la mode, " qu'il daigne
assister mes chevaliers, Sickingen et Hutlen. Tous deux sont enflam-
més d'un tel zèle pour l'évangile, qu'ils sont prêts à exposer avec
joie pour sa cause leurs biens, leur fortune et leurs vies. Jusqu'à
présent leurs efforts ont été heureux, et si Dieu ne se détourne de
leur entreprise, la tyrannie des grands pourra bien être abattue.
Que le Seigneur fasse tout ce qui sera agréable à ses yeux! Si je ne
m'abuse, une révolution grandiose et universelle est toute proche
de nous, et les retardataires prudents et anxieux n'en attendront pas
longtemps l'avènement, qu'ils le veuillent ou non \ "
' Voy. la relation de ces faits dans Baader, p. 28-29, 35,40-41, 45-46.
' EBERSTEtN, Fehlte Mart'joît's von Eberstein mil der Rcichsstiidl Xiirnherg, p. 72.
Hans de Walsa, dans une lettre de défi adressée à l'archevêque Léonjrd de Salz-
boiirg, lui annonce qu'il se dispose à brûler, piller, poignarder, couper les
mains, en un mot A faire de son mieux. « Ci-joint la date du jour où vous
verrez monter la fumée % dit-il en terminant. — Voy. Roth de Schreke.nstein,
Beichsrillerschaft, 2», p. 247, note 2.
* Voy. JÖRG, p. 67.
* Voy. L'LMANN, p. 286.
* Baum, Capito und Butzer, p. 141-143.
246 PLANS DU PARTI REVOLUTIONNAinE DE LA NOBLESSE. 1522.
Bucer fut en effet envoyé eu Saxe. En récompense de son zèle,
il demanda la permission de passer quelque temps à Witfemberg,
afin d'y entretenir des relations suivies avec Luther et Mélanchthon '.
De quelle mission avait-il été cliarp,é? Comment devait-il servir
> la cause de l'évangile "? On l'ignore. Ouant à la réforme de l'état
de choses existant au profit des nouvelles doctrines, nous pourrons
nous instruire de la façon dont l'entendaient les meneurs, par les
propres aveux de Sickingen, aussi bien que par les déclarations
de ses compagnons, Hartmuth de Cronberg et Ulrich de Hulten.
Harfmulh, ardent partisan de Sickiogen et de Luther, publiait
depuis longtemps une foule de messages , de lettres , d'avertis-
sements qu'il dédiait au Pape, à l'Empereur, aux moines mendiants,
aux Suisses, au curé de Francfort Pierre Mayer, Il avait déclaré à ce
dernier que, s'il refusait « de recevoir l'évangile », chacun serait
autorisé, en pleine sécurité de conscience, à l'attaquer par la parole
et par les actes, « parce qu'il était légitime et louable de se défendre
contre un loup ravisseur, un voleur de choses saintes, un homicide
spirituel * -. Cronberg conseillait à l'Empereur de faire entendre ;iu
Pape « avec la plus grande courtoisie » qu'il n'était que le lieutenant
du diable, ou pour mieux dire que l'Antéchrist en personne. Que si le
Pape, complètement possédé du démon, refusait de convenir du fait,
Charles-Quint, selon Cronberg, aurait le droit et serait même tenu
devant Dieu, d'employer contre lui les ressources que sa grande puis-
sance lui mettait entre les mains, et de le traiter comme un mécréant,
un hérétique, un antechrist. L'Empereur se servirait ensuite des biens
du Pape, actuellement appelés biens ecclésiastiques, de façon que
le royaume de l'Antéchrist fût détruit au moyen de ses propres
ressources et par son propre glaive ^ L'exaltation maladive d'Hart-
muth alla même si loin qu'il eut l'audace de publier en son propre nom
un manifeste, où toute la société chrétienne était représentée
comme une armée immense, ayant reçu du Roi des rois, du Prince
des princes, de Jésus-Christ, Seigneur tout-puissant, l'ordre de se
tenir prête à combattre les ennemis obstinés de la divine parole.
Mais ce que l'Empereur différait d'exécuter, Sickingen allait
l'entreprendre. Nouveau Ziska, il s'emparerait par la violence et le
' Voy. Baum, p. 14.3.
5 * Le 12 mai 1522, les compagnons d Hartmuth, Mari Lesch de Moinheym,
Georges de Stoclcheim et Emmeric de Reiffenstein sommèrent les prêtres sécu-
liers et les moines de Francfort d'adhérer à l'évangile; en cas de refus, ils les
menaçaient de marcher contre eux. Acun des Religions und Kirchenvesens, t. 1,
fol. 14, Archives de Francfort.
' Voy. BucHOLz, t. II, p. 85-89, O. Thelemann chante tes louanges d'IIartmuth
de Cronberg et l'appelle un ^ chevalier selon le cœur de Dieu • . — Voy. Fullner,
Deutsche Blätter. Gotha, 1875, p. 14-37.
SICKINfJEN CONTRE L'ARCHEVÊQUE DE TRÊVES. 1522. 247
tneurlrc de lous les biens volés par l'Eglise'; nouveau Brulus, il en
finirai! avec la tyrannie des princes el des évoques -. Hultcn ■■ espéraif
qu'en dépit des trop justes griefs que les villes libres pouvaient avoir
contre les chevaliers brigands, elles ne tarderaient pas à s'unir à la
noblesse révolutionnaire, et combattraient avec celle-ci • pour la
cause de la liberté de l'Allemagne et pour l'évangile. '
Dans sa Lamentation des villes libres de nation germanique . Ilutîen
;ippelle les cités aux armes :
Vous, bonnes villes, songez bien
Au pouvoir de la noblesse allemande!
Rapprochez-vous d'elle, confiez-vous à elle.
Je veux mourir si vous vous en repentez!
Songez que vous ^tes accablées comme elle
Par la tyrannie des princes;
Ils oppriment maintenant toutes les conditions,
Attentifs à leurs seuls inlf^rêts.
Ils interdisent la doctrine du docteur Luther,
Comme si elle était en rien répréhensible!
C'est qu'ils ne peuvent souffrir la vérité,
La servir C'^t contre leur usage!
C'est pourquoi, bonnes villes, armez-vous!
Acceptez l'amitié de la noblesse,
Alors on pourra résister à l'ennemi,
Alors les sarcasmes, les humiliations prendront tin!
• Si seulement la parole de Dieu pouvait régner sans entrave, la
puissance des princes serait bientôt anéantie. »
Aucun prince d'Allemagne n'était plus détesté de Sickingen que
l'archevêque de Trêves, Richard de Greiffenklau. Lors de la diète
d'Augsbourg, en 1518, tandis que Sickingen organisait contre
le landgrave Philippe de Hesse sa campagne de pillage et menaçait
Francfort, Richard, dans un discours chaleureux, avait averti les états
du péril que faisait courir à la nation l'impunité de semblables rapines.
Sickingen, avait-il dit, pousse par trop loin l'insolence. Après avoir
attaqué les villes, il s'en prend maintenant aux princes, et les menace
' Voy. plus haut, p. 198.
* Ulmann, p. 267, 269.
^ Depuis la diète de Worms, Ilutten n'avait cessé, en vrai aventurier politique
qu'il était, de poursuivre ses intrigues révolutionnaires dans les pays du Rhin
et du Vein; il vivait de guerre privée, de brigandages, menant une existence
farouche, mallraitant cruellement les moines et les prêtres sans défense. Sur ses
guerres privées contre les Carmes de Strasbourg, contre le curé Pierre Mayer à
Francfort, et sur les trois abbés surpris et pillés par lui dans le Palatinat,
voy. Strauss, t. II, p. 198-200, 203-207, 249. Hutteu encourageait les habitants
de Worms à défier l'épée à la main les évéques ou prévôts, clercs réfractaires
Ü l'évangile, > et à les expulser avec l'aide de Dieu - (p. 209j. Voy. plus haut,
p. 62, ce qu'Érasme rapporte de ses mœurs farouches.
218 .SICKINGE?< CONTRE L'ARCfJEVÉQUE DE TRÊVES. 1522.
les uns après les autres. C'était aux grands seigneurs, aux Électeurs,
aux princes, qu'il apparteniiit de peser les conséquences que pouvait
avoir pour eux une pareille audace. Richard était le premier Élec-
teur de sa famille; il pensait aussi en être le dernier, mais il re-
commandait à ceux à qui la chose importait bien plus qu'à lui, aux
Électeurs-nés, aux princes souverains, de réfléchir mûrement à ce
qu'il convenait de faire ', et il les suppliait de s'opposer énergique-
ment aux progrès de Sickingen. Celui-ci ne lui pardonna jamais ce
discours. D'ailleurs, Richard était un des plus puissants adversaires
de Luther, et, dès la dièle de Worms, le bruit avait couru que
Sickingen ne rassemblait des troupes que dans le dessein d'envahir
les possessions de l'archevêque *.
Avant même de partir pour la France, Sickingen avait enrôlé des
lansquenets dans le but d'aller attaquer Richard dans ses États ^
Toutefois, il ne se décida à commencer la campagne qu'en août
1522. Dans une des assemblées de la chevalerie libre du Rhin, assem-
blées organisées parlui et alors fréquentes (Landau, 13 août 1522), la
Ligue fraternelle de In îioblesse s' é\ai[ définilivement organisée, et Sickin-
gen en avait été élu le chef. Fort de cet appui, il commença aussitôt
d'actifs préparatifs de guerre*. Pour attirer plus de soldats sous sa
bannière, il s'efforçait de faire croire que les recrutements qu'il opé-
rait n'avaient d'autre but que le service de l'Empereur. 11 eut même
la hardiesse de faire porter par ses hommes d'armes la bannière
impériale et la croix bourguignonne. Saisi de terreur à l'approche
du chevalier brigand qui durant laut d'années avait rançonné et pillé
impunément les bourgeois de Worms, le conseil de Strasbourg lui
fit offrir une somme considérable ^; mais il ne se laissa pas acheter.
Cinq mille cavaliers et dix mille hommes de pied furent bientôt à sa
solde".
Pour faire « une trouée à la parole de Dieu, que Richard de
Trêves, en vertu d'un pouvoir tout humain, repoussait de toutes ses
1 Flersheimrr C/iroJuÂ-, pilbl. par Waltz, p. 71.
° Voy. la relation d'Aléandre dans Friedrich, p. 142. — Bal.vn, p. 233. — Brie-
GER, p. 216.
* Ul'.iann, p. 247.
* Pour plus de détails, voy. Ulma>>, p. 250-259. Ulmann suppose qu'après la
réunion où le traité d'alliance fut apporté, la chevalerie neut plus de pourpar-
lers secrets. Cependant les paroles de Spalatin sur cette réunion, - ubi excitata
est nova quaepiam socielas conditionihus neque le{îiinis civilibus iieque cliris-
tianisino paruni conseiitaneis ■ (P. 253, note), ne se rapportent certainement
pas à celte séance, mais à dautres conférences, tenues très-secrètes.
* Voy. les lettres de juillet et d'aoïH 1522 dans Virck, 1. 1, 55 fil.
' C'est le nombre indiqué par Hartmuth de Cronberg dans une lettre datée
du 16 septembre 1522. Voy. Seckendouk, t. I, p. 226. — Sur les relations con-
tradictoires touchant les forces de l'armée, voy. Ulmann, p. 284, note.
APPEL A LA G (EU RE DE RELIGION. 1522. 249
forces ' j. celte armée se mit en devoir d'envahir les possessions
«le rarclievôqiie. Eitclfritz de Zoliern, Guillaume et Frédéric de
Fürstember{y, (iuillaume de LauCen, les chevaliers L'irich de llulten,
Hans Thomas de (»osenberj;, Louis de Spiit et .lean Hilchen de Lorcli
en diriceaieul les divers corps. Dès la fin d'aoïU, Sickin^jen passait ses
troupes en revue dans le voisinage de Strasbourg. Sur les manches
de ses soldats, il avait fail broder ce cri de guerre : >' Seigneur,
que la volonté s'accomplisse! - Dans un manifesie composé par
Henri de Kelteubach^ ex-moine franciscain, les lansquenets de Sic-
kingen étaient appelés " les chevaliers du Christ •', et les évoques et
les prêtres « les ennemis de l'évangile ". La devise : ■- Toute victoire
de Dieu •^, que les Turcs portaient écrite sur leurs manches, y était
commentée par des exemples empruntés à la Bible. C'était avec Dieu
qu'on entrait en campagne, car Sickingen était pur de toute pensée
intéressée; il ne songeait à acquérir ni or, ni gens, ni domaine; son
unique désir était d'exposer fous ses biens pour la gloire du Christ;
son seul but, de renverser les papes et les évéques, « ces ennemis, ces
exterminateurs de la vérité évangélique ». Des prédicants fanatiques
accompagnaient l'armée.
C'est ainsi que, pour la première fois, la guerre de religion fut
allumée sur le sol allemand, et que la religion servit de prétexte
à une campagne de pillage, dont la politique était le véritable
motif.
Invoquant d'insignifiants griefs ^ Sickingen jeta le défi -• à Richard,
archevêque de Trêves, coupable de haute trahison envers Dieu,
envers Sa Majesté Impériale et les lois de l'Empire » (27 août 1522).
Quelques jours après, il envahissait le pays de Trêves à la tête de
quelques bandes armées, il attendait de nouveaux renforts, et se
flattait de s'emparer de Trêves avant que Richard n'eût eu le temps
de recevoir les secours promis par ses alliés, le landgrave Philippe
de Hesse et le comte palatin Louis \ Après cette capture, il se pro-
' Écrit Harmuth de Cronberfï dans la lettre citée noie précédente. On
lit dans les OEuvrcs posthumes de Spalalin (p. 173) : « Et comme il (Mckingeu)
voulait tout de suite entrer en campagne, liartmuth de Cronl)er{î m'écrivit que
Franz de Sickingen commençait la guerre contre l'archevêque de Trêves pour
faire une trouée à l'i^vangile. - Le 16 septembre lô22, llarlmutb, écrivant au
Conseil d«; régence siégeant à Nuremberg, assure qu'il se ferait volontiers écar-
teler tout vif pourvu que par une telle mort il put espérer voir l'Allemagne
adopter « l'évangile -. — Secrendorf, t. I, p. 226.
' Ain Vermanung Junker Frnnlzen von Sickingen zu seynein hör als er wollt ziehen uider
den Bischof von Trier auss byllicher such und reiizuiig, etc. Sans indication de lieu, 1523.
' • Le prétexte de la déclaration de guerre était tout à f.iit dans le goût des
guerres privées du temps, cest-à-dire absolument futile , dit Str.vlss, t. Il,
p. 231.
* « ...Pro more serius Treviro auxilia missuros, priusque ad deditionem Tre-
verim urbera venturum, quam ullum advenire posse praesidium : qua dedita,
250 SICKINGEN CONTRE I/ARCHEVEQUE DE TREVES. 1522.
posait de marcher contre la Hesse : « Nous avons la nouvelle, rannoncc
et la preuve , mandait au comte Michel de Wertheim le landgrave
Philippe (2 septembre 1522), - que Sickingen, dès qu'il aura fait sa
volonté de Trêves, viendra immédiatement nous attaquer '.
Sickingen était si sûr de la victoire, qu'après avoir capturé la
petite ville fortifiée de St-Wendel, il s'ouvrit de tous ses plans aux
gentilshommes faits prisonniers pendant le combat. 11 comptait être
un jour < électeur de Trêves, et mieux encore -. « Vous êtes pri-
sonniers, vous avez perdu vos chevaux et vos bagages, mais votre
électeur, quelque chose qu'il lui advienne, est en état de payer pour
vous une forte rançon. Quand Franz de Sickingen sera électeur à
son tour, comme la chose est fort possible et comme vous le verrez
de vos yeux (et non-seulement électeur, mais plus encore), il vous
fêtera de son mieux, vous qui aurez été ses prisonniers *. « Ce n'était
donc pas à tort qu'on avait attribué à Sickingen l'ambitieux dessein
dedevenir un jour roi du Rheingau et duc de Fr.inconie '. « Au nom
de l'Empereur , il exigea le serment d'hommage de la principauté
de Schaumbourg, puis il pénétra plus avant dans le pays, ravageant,
brûlant plus d'un village sur sa route *. Le 8 septembre, il était
devant Trêves. Dans les lettres qu'il fit remettre au conseil de la
ville, il sommait la bourgeoisie de lui ouvrir les portes, promettant
que les habitants seraient protégés dans leurs personnes, leurs vies
et leurs biens, parce qu'il n'en voulait qu'aux trésors de l'archevêque,
aux clercs et aux religieux du diocèse!
« Sickingen est aux portes de Trêves -, écrivait le chanoine Charles
de Bodmann; " un jeu terrible est engagé. Il a beaucoup d'amis et
de partisans qui ne rêvent que de chasser et d'humilier les princes
ecclésiastiques, convoitent les biens de l'Église, et, tout laïques qu'ils
sont, prétendent exercer le pouvoir spirituel et soumettre à leur
autorité les curés et autres supérieurs ecclésiastiques. Si la chance
facile cetera expugnari posse videbantur, atqiie inde brevissima in Hassiara via
pateret. - llub. Leodils, p. 301.
' Lettre de Philippe, du mardi après Ef^idii (2 septembre 1522), dans les Fürstl.
Löjcenslein- ll'ert/ieim'schen gemeinschafll. Archiv, Grufeit-Tagcs-Snchen, n" 20 II Se pré-
parait tous les jours à entrer en campagne, écrivait-il à Philippe, et demandait
au comte d'envoyer à Darmstadt, le lundi après l'Exaltation de la sainte Croix
(15 septembre), autant de cavaliers qu'il lui serait possible d'en rassembler en
toute hAte.
* iLAI.VNN, p. 287.
' Yoy. le rapport de Jean Nibling d'Ebrach, dans Höfler, Fräiikische Studien,
t. VIII, p. 255.
* ' ...Ceux de Schaumbourg ont été convoqués, et ont juré au nom de
l'Empereur; ce qui ne les a pas empêchés fies troupes de Sickingen) d'incendier
plus d'une localité. » lUlation extraite des Archives de Strasbourg, dans
MONE, Zeitschrift für die Getchichte des Oberrheins, t, XVI, p. 81.
SICKlNGliN CONI'liE L'A HCIl K V KQ U K l)K TliÈVES. 1522. 251
favorise Sickingen, nous assisterons, dans beaucoup de territoires
de l'Empire, à une transformation radicale de l'organisation ecclé-
siastique. On clierclie de mille laçons à soulever l'homme du peuple,
et celui-ci, espérant tirer profit de la révolution qui se prépare,
s'apprête avec.joie à secouer le jouj; que font peser depuis longtemps
sur lui les seigneurs laïques et spirituels. Sous prétexte de liberté
évangélique, les amis de Sickingcn agitent le peuple, et vont prê-
chant partout le meurtre et le pillage '.
« Sickingcn est perdu s'il ne remporte sur l'archevêque une vic-
toire éclatante ■■•, écrivait au duc Guillaume le chancelier de Bavière
Léonard d'Eck (S sept. 1522). « S'il est vaincu, il perdra aussitôt
toute confiance eu son étoile. 11 sait trop ce qui lui adviendrait en
cas de non-réussite; il sait que le cor de chasse sonnerait bientôt le
lancer, que le ban d'empire le frapperait, ou bien que les princes
du Hhin le cerneraient de telle sorte qu'il ne pourrait échapper, et
serait promptement désarçonné. Or il ne peut accepter la pensée
d'une telle honte et d'un pareil échec; cette humiliation lui serait
trop amère, devant Dieu, devant les hommes, devant son propre
honneur. Aussi met-il tout en œuvre pour soulever la populace. Ses
agents y travaillent de leur côté, et tous les jours arrivent des nou-
velles qui font pressentir un prochain ß««(/.?cÄ«/(. > En effet, le cercle
des amis de Sickingcn venait de faire paraître un dialogue intitulé :
le Xouvcau Karsihans, où le peuple était chaudement invité à faire
cause commune avec la noblesse'. « Si donc '•, continue Eck, « le
Bundschuh éclate et que le peuple prenne le dessus, les princes du
Rhin payeront le déjeuner, Votre Grâce et les autres princes le sou-
per, la petite noblesse le coup du soir, et tous iront au diable de
compagnie 1 Au reste, si les princes et les grands chefs doivent être
châtiés, ce sera sans doute par la permission divine, car c'est, en
vérité, chose étrange que de voir de ses yeux des princes, des gens
de guerre honorables, faciliter, par le secours qu'ils apportent,
l'envahissement d'un territoire électoral'! »
Parmi les princes qui, non-seulement toléraient, mais allaient
jusqu'à favoriser les actes de violence de Sickingcn , l'archevêque
de Mayence, Albert de Brandebourg, était au premier rang. On le
soupçonnait, dans le cas où Sickingcn réussirait dans son entre-
prise, de vouloir réaliser un plan qui lui était cher depuis long-
temps, et de transformer l'archevêché de .Mayence en principauté
' Voy. plus haut, p. 162, note 5.
' Voy. plus haut, p. 199.
* Dans JÖRG, p. 64.
252 SICKIiVGEN CONTRE L'AKCHEVÉOUE DE TRÊVES. IJ22.
temporelle '. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il refusa constam-
ment d'envoyer des secours à Richard, fit une réponse évasive au
Conseil de régence lorsqu'il le somma de s'armer contre les periur-
bafeurs de la paix publique, et laissa tranquillement passer le Rhin
aux troupes de Sickingen, en marche vers Trêves. Le grand maître
Frowin de Hutîen et le maréchal Gaspard Lerch de Dirnstein, les
plus hauts dignitaires de la cour de Mayence, étaient alliés de Sickin-
gen, et ce furent eux qui conseillèrent à son général, INickel de
Minkwitz, d'opérer une jonction avec les troupes du chevalier, au-
dessus de Cologne *.
Si le chancelier Ëck augurait mal pour les princes de l'entreprise
de Sickingen, il ne fondait pas beaucoup plus d'espérance sur la
résistance du Conseil de régence : « Le Conseil est faible et bien
malade», écrivait-il; " il est entre les mains de Dieu M «
Du moins le Conseil, dès le 1" septembre, avait-il appelé aux
armes plusieurs princes du Rhin et quelques villes libres, les sommant
de s'opposera Sickingen, " coupable d'exciter dans l'Empire le trou-
ble, la guerre et la révolte. ' Si l'on ne s'opposait prompteraent et
énergiquement au perturbateur de la paix, il était à craindre, leur
écrivait-il, ^^ que cette guerre ne fût pas seulement funeste à l'arche-
vêché de Trêves, mais que, grandissant en peu de temps, elle ne causât
un irrémédiable dommage, d'abord aux grands Ordres, puis à tout
l'Empire ". ) Le 9 septembre, jour qui suivit l'investissement de
Trêves, un délégué du Conseil se présenta devant le camp de Sickin-
gen et lui intima l'ordre de renoncer à son entreprise, sous peine
d'encourir le ban d'empire et de payer une amende de deux mille
marcs d'argent. « Mais Sickingen se comporta avec la dernière
insolence envers le représentant du pouvoir suprême. « « Voici le
' Voy. plus haut, p. 218.
* Voy. BucHOLTz, t. II, p. 99-100. — IIennes, Alhrecht von Brandenburg, p. 1G7-170.
~ Ulmann, p. 292, 309. « Albert n'entretenait aucun rapport coupable et secret
avec Sicliin;",en", suppose Ulinann (p. 288j, - mais il n'osait prendre parti contre
lui aussi longtemps que sa cause semblait avoir quelque cbiince de succès. " — Sur
les mesuies prises par l'archevêque de Trêves et ses alliés contre Albert, voy.
p. 310-312.
' Dans JÖRG, p. 65.
* * Das Schreiben des liegimentcs an Frankfurt, im Frank/. Archiv, Reichstagsaclen,
t. XXXVi, fol. 56. Sur les missives du môme genre adressées à quelques membres
des états, voy. Ulmann, p. 292, note 1. Dans un autre manifeste. Francfort est
sommée d'envoyer le 12 octobre à Gelnhausen quinze reîtres et cent quinze
hommes de pied par ordre de ' la Régence d'Empire » . Mais lescon^eillersde la ville
déclarèient qu'ils entendaient ne se mêler de l'affaire que lorsque tout l'Empire
y prendrait part. De là une lettre de plaintes du Conseil de régence, datée du
17 septembre 1522. Voy. Ueichsiagsacicn, t. XXXVI, fol. 51. Strasbourg non plus ne
voulut s'engager à fournir des secours à l'archevêque de Trêves que dans le
cas où tous les États de l'Empire se joindraient à elle. Lettre du conseil de
Strasbourg, 27 septembre 1522, dans Virck, t. I. p. 58, n» 101.
SrCKINGKN CONTHK I/A K CH F V ÉQ U K I) K TKÈVKS. 1522. 253
vieux violon fie la Réfrénée ", dit-il à ceux qui l'entouraient, au mo-
ment on la volonté du Conseil lui était sifjnifiée; -■ malhcurense-
menf, les danseurs manquent! Ce ne sont pas les ordres qui font
défaut, mais les obéissants! >> Puis, s'adressant au délégué du Con-
seil, il lui fit une réponse insultante, en son nom et au nom de tous
les siens. Il lui ordonna d'aller rapporter an lieutenant impérial et
aux seijvneurs du Conseil qu'ils feraient bien d'y aller plus douce-
ment; qu'il était tout aussi bien qu'eux dévoué à l'Empereur et ne
son[;eait nullement à agir contre les intérêts de Sa Majesté, Il
n'en voulait (pj'à l'archevéfpie, et savait parfaitement que l'Empe-
reur ne se courroucerait point s'il châliait quelque peu ce prêtre
insolent, et reprenait quelque chose des florins d'or que jadis il avait
reçus de la France. Sou dessein était de mettre la justice sur un tout
autre pied; le Conseil de ré(',cnce n'avait jusqu'à présent remédié
à rien, mais lui, Sickinj<i^en, saurait obtenir de bien autres résul-
tats. Quant ä la Chambre impériale de rsuremberg, devant laquelle
le Conseil le citait, il comptait la laisser en repos; il n'en avait que
faire, car il avait chez lui un tribunal ambulant qui décidait les ques-
tions de droit avec des arquebuses et des canons. Quant à son projet
de séculariser les principautés ecclésiastiques, il déclara que pourvu
qu'on consentit à le suivre, il saurait agir de telle sorte que l'Empe-
reur, à son retour, trouverait plus de terres et d'argent dans son
royaume qu'il n'eu allait maintenant chercher bien loin de chez lui.
Il comptait couler des jours paisibles, lorsqu'une fois il serait arche-
vêque de Trêves, et ne verrait alors nul inconvénient à ce que
Richard lut ( hevalier à sa place. C'était pour mener à bien ce grand
projet qu'il s'était établi dans les environs de Trêves. On rapporte
encore que Sickin{yen, expliquant une autre fois ses intentions au
délégué du Conseil, lui aurait dit « qu'il avait commencé la cam-
pagne pour lui, e( la continuerai! pour lui, en dépit même de l'Empe-
reur' ». « Ou je me trompe fort >;, écrivait Spalatin, « ou ce fauteur
de guerre civile peut devenir un autre Jules César*. »
Mais les plans ambitieux du chevalier devaient échouer devant
Trêves. L'archevêque, " homme énergique, sachant agir el s'aider,
€t fort habile capitaine' »,sut venirà bout de tous les obstacles, grâce
à sa résolution, à sa prudence, à son sang-froid; la bourgeoisie resta
fidèle à son seigneur, malgré toutes les horreurs d'un siège. Metz
et Cologne envoyèrent de la poudre et des armes*. Les tro-ipes de
' Voy. Ulmann, p. 297-299, 306.
1 'DuoYSEN, 2'' 107-108.
I '(.'est ainsi que le df'peint la Chronique de FUrsheim, p. 71.
I * Écrivait de Nuremberg Hamann de llolzliausen au bourgmestre .lean de
€laubourg, octobre 1622. frankfurter Archiv, Reiehstagsaeten. t. XXXVI, fol 66.
254 SICKINGEN ENVAHIT LE P A I, AT 1 NAI'. (522.
la Hesse et du Palatinat vinrent au secours des assiégés, tandis que
Sickingen attendait vainement du renfort. Après cinq assauts inuti-
lement donnés à la cité, le manque de munitions se fit sentir. Le
pays avoisinant Trêves était dévasté par des bandes de soldats pil-
lards, et la colère des paysans commençait à menacer. Aussi, le
14 septembre, Sickingen leva-t-il le siège; il s'éloigna, pillant et
incendiant sur son passage églises, monastères et villages. Chargé
de butin, il retourna dans son château '. D'après un compte établi
par l'archevêque Richard, les pertes subies par l'électorat pendant
la guerre s'élevaient à 300,000 florins d'or^
Ce fut ainsi que les paisibles habitants du pays de Trêves firent
l'expérience, les premiers en Allemagne, de ce que c'était qu'une
guerre de religion, et du véritable sens qu'avait cette parole : « Faire
une trouée à l'évangile. »
II
Sickingen " avait cédé à la nécessité >, mais son orgueil, sa con-
fiance dans l'heureux succès de sa cause, sa haine contre « les loups
spirituels et la tyrannie des princes restaient indomptés dans son
âme ». On espérait encore parmi les siens que non-seulement la no-
blesse, mais les villes se joindraient à lui. Henri de Kettenbach,
celui-là même qui avait rédigé les lettres de défi adressées à Trêves,
appelait les villes libres à l'action en d'ardents manifestes : « Jamais »,
leur disait-il, « vous n'avez eu de plus pressants motifs de venir en
aide à la noblesse. Si vous vous entêtez à la desservir, non-seulement
vous vous ferez du tort à vous-mêmes, mais vous nuirez à la cause
de l'évangile ^ » Pendant que l'archevêque Georges de Spire, frère
du comte palatin Louis, s'efforçait de conclure un accord entre
Sickingen et les princes alliés de Trêves, de la Hesse et du Palatinat,
Sickingen, vers la fin d'octobre 1522, sans même avoir fait aucune
déclaration de guerre préalable, envahit avec ses bandes les posses-
> " Obsidionem solvit, in reditu, ut ex animo totam iram effunderet, omnem
rejïionem circa igné concremat, sacra quaeque et propbana depopulatur, vas-
tat, depilat atque ita spoliis onustus ad arces suas rediit. ' Ilub. Llodius, p. 302.
■' Pendant la retraite , dit Strauss (t. Il, p. 237), pour imiter Ziska, on détruisit
entièrement par l'incendie des cloîtres et des églises! Sur la haine de Siclcingen
pour les prêtres, on lit dans Ilub. Leodius, p. 301 : " Acceplissimum Deo sacrifi-
cium sese praeslitisse credebat, qui suramo opprobrio foedaque i{;Dominia illos
adfecisset. » — Voy. Wegtler, p. 28-32.
- Ulmann, p.'*301. — Bucboltz, t. II, p. 105.
' Ein Praclita practiciil aus der heiligen Bibel uffvicl zukünftig Jahr. Selig sind die, die
ihr wahrnehmen und darnach richten, Gott will selber regieren über sein Volk, 1523. —
Hagen, t. III, p. 58.
ENROLEMENTS P O L' R SICKINGEN. 1522. 255
sionsducomte palatin, dévastant et rançonnant les environsde Kaisers-
lautern '. II avait cherché et trouvé des aUiés dans les États mêmes de
lÉlecteur, en Souabe, et jusqu'en Bohême; rilluminé Ilartmuth de
Cronberg, dont les princes alliés avaient autrefois capturé le château
fort-, et le chevalier Jean de Fuchsfein, docteur endroit, avaient
activement travaillé à lui gagner des partisans dans ces contrées. Ce
Fuclistein, qui chez le comte palatin Frédéric avait autrefois rempli
les fonctions de chancelier, était un homme habile, mais d'un esprit
retors et vicieux >, dit un contemporain digne de foi. - Chez lui, le
droit et l'équitése vendaient à beaux deniers, et dès qu'il entrevoyait
la possibilité d'un g;iin, il savait tourner les choses comme il voulait.
Outre cela, il avait un méchant renom; ses mœurs étaient corrom-
pues, et pourtant il était dans les bonnes grâces du prince, car sa
langue, admirablement déliée, savait si bien colorer et dissimuler
ses vices, que beaucoup se méprenaient sur son compte, le tenant
pour homme d'honneur, ce que pourtant il n'était guère! » Nommé
membre du Conseil de régence par le lieutenant impérial Frédéric,
Fuchstein avait adhéré à la doctrine luthérienne et soutenait avec
ardeur les intérêts de Sickingen au sein du Conseil. On trouva des
lettres écrites de sa main adressées à Sickingen, dans lesquelles il
l'exhortait « à prendre courage, parce que la majorité du Conseil
était bien disposée en sa faveur et tout inclinée vers lui, et que le
Conseil verrait avec plaisir le moment où, grâce à son initiative,
l'orgueil des princes serait abattu et la noblesse allemande délivrée
de son intolérable servitude^ . Contraint de prendre la fuite à la
suite de ses intrigues, Fuchstein écrivait de Prague à Sickingen
(1" janvier 1523), ^ qu'il avait reçu de Bohême des promesses de
secours, et qu'il restait dévoué, à la vie et à la mort, à celui qui avait
pris en main la cause de la noblesse, jurant de la délivrer de son
humiliation et d'abattre l'insolent orgueil des princes^ ■.
En Alsace, dans le Sundgau, le Brisgau, dans les comtés de Furs-
' Ulmann, p. 317. Lettre de l'électeur Louis au conseil de Strasbourg (15 jan-
Yier 1523), dans Virck, t. I, p. 66, n" 113. - Avant d'avoir annoncé la guerre
privée ou jeté un défi quelconque au comte palatin, Franz de Sickingen réso-
lut une belle nuit de donner l'assaut au château de Liitzelitein. Mais comme
la garde de la place eut vent de ce dessein et sut l'empêcher, il se porta sur
Kaiserslautern, qu'il rançonna et ravagea, dévastant par le pillage et l'incendie
tous les villages environnants. ' Krieg und Fehdschafun des Edlen Franzen von Sickin-
gen, etc. — Voy. Habels Xacltlass, t. I, p. 3.
' « Les trois princes se rendirent alors avec leurs armées devant Cronberg,
car Harmuth de Cronberg avait non-seulement prêté assistance à Sickingen,
mais avait en personne aidé le chevalier à attaquer le landgrave et à ruiner sa
terre. > Voy. notre premier volume, p. 542. — Krieg und Fehdschafun, etc. Voy.
la note précédente.
' Voy. JÖRG, p. 172-176. — Vogt, p. 37.
* Voy. Ulmann, p. 322, notes 2 et 3. — Stern, Ztciilf Artikel, p. 49, - Illustrissimi
256 LES PRINCES JUGES PAR LUTHER. 1522.
temberg et de Zollern, on enrôlait pour Sickingen '; on lui recrutait
des soldats jusqu'en Bavière*. Il avait même demandé au roi de
France ^ aide, consolation et argent' ».
Dans tout l'Empire on entendait répéter ce refrain :
Je m'appelle Franz,
Je suis Franz,
Je reste Franz!
Comte Palatin, chasse moi :
Landgrave de Hesse, évite moi:
Évèi|ue de Trêves, tu me le payeras!
Évéi|ue de Mayence, tu en seras aussi!
Attention! Voyons qui sera empereur d'ici à un an^!
Tandis que tout était dans l'attente pleine d'angoisse des événe-
ments qui se préparaient, Luther, le 1" janvier 1523, publia son
traité : De l'autorilé temporelle et de l'obéissance qui lui est due.
Cet écrit était rempli des attaques les plus passionnées contre « les
princes hostiles à l'évangile « qui osaient interdire dans leurs
États la vente de ses ouvrages : « Le Dieu tout-puissant a ôlé la
raison à nos princes, en sorte qu'ils se croient libres d'agir envers
leurs sujets sel )n leur caprice, et se permettent de leur commander
ce qui leur plaît. A leur tour, les sujets se trompent et s'ima-
ginent qu'il faut obéir à la lettre. •■ Les princes avaient eu l'audace
d'interdire aux chrétiens l'usage de certains livres, s'arrogeant
un droit prétendu sur les choses de la conscience et de la foi;
ils avaient été assez téméraires, obéissant à l'inspiration de leur
cerveau malade, pour vouloir mener le Saint-Esprit à l'école! >' Et
comme la fureur de tels insensés peut amener la ruine de la foi
chrétienne, conduire à la négation de la parole de Dieu et au blas-
phème de la divine Majesté, je ne veux et ne peux plus long-
temps *, ajoute-t-il, - assister tranquillement à ce que font mes
seigneurs et mes nobles en colère, et j'essayerai du moins de leur
résister par la parole; car si je n'ai pas redouté leur idole de pape,
qui menaçait de me ravir à la fois et mon âme et le paradis, je
principes reliquique imperii ordines -, rapportaient en déceinljre tô22 les états
rassemblés à Nuremberg au légat du Pape, - non spernendis ruraoribus intel-
lexere Bohemos exerciluin parare et copias facere niilitares animoque mcdiri
excursiones et oppugnationes in quosd.im principes Germanos ip^is tîniiimos.
Unde iisdem principii)us negotium faciunt, causamque prel)ent, se vicissim ad
belli apparatum insliiuere et hnjusmodi incucsiones expectare ».* Responsuin
nuntio apostolico datum in re llungarica, dans les Archives de Francfort, Heichs-
tagsacten, t. XXXVHI, '' fol. 38-43.
' Ulminn, p. 324.
»JÖRG, p. 69.
' Ulmann, p. 324-325.
* UhlaND, Uolksliedcr, p. 955, n" 81 -.
LES F' RINCES JUGÉS PAR LUTHER. 257
prouverai à tous que Je crains eacore moins ces atomes, ces bulles
d'eau qui menacent de m'ùtei* laterreet la vie! « « Dieu veuille qu'ils
aient sujet de se courroucer, et que les iVocs {jris disparaissent entiè-
rement de ce monde! » " En Misnie, en Bavière, dans la Marche et
autres territoires, les tyrans ont donné l'ordre de remettre aux juri-
dictions tous les exemplaires de ma traduction du Nouveau Testa-
ment'. Or, dans ces circonslances, voici quel est le devoir des sujets :
Pas la plus petite feuille, pas la moindre syllabe des évangiles ne doit
être livrée, il y va du salut. Celui qui obéirait aux tyrans livrerait
le Chris! entre les mains d'Hérode, et serait aussi coupable que les
bourreaux du Seigneur et qu'IIérodc lui-même, " Dieu -, ajoutait-il,
« avait permis la perfidie des princes, il avait prévu de loute éternité
qu'ils auraient la perversité de s'opposer à l'évangile. » " Dieu a donné
aux princes un sens perverti, parce qu'il veut en finir avec eux, aussi
bien qu'avec les nobles d'Eglise. » « Les seigneurs temporels sont
obligés de s'occuper du gouvernement de leurs terres et de leurs
gens, mais ce devoir, ils le négligent. Ils ne savent que tondre, pres-
surer, inventer de nouvelles taxes, accumuler les impôts. Ils ne
s'entendent qu'à courir tantôt un ours, tantôt un loup, et tout cela
sans que le droit, la loyauté, la vérité aient auprès d'eux le moindre
accès. Ils laissent croître le nombre des scélérats et des brigands, de
sorte que leur manière de gouverner est tout aussi funeste que le
gouvernement des tyrans spirituels. Aussi Dieu leur ôte-t-il le bon
sens, et les voyons-nous agir contrairement à la raison. Tandis qu'ils
prétendent gouverner les âmes, le clergé, de son côté, veut gouver-
ner temporellement. Pleins d'une confiance présomptueuse en eux-
mêmes, les uns et les autres accumulent ainsi sur eux les péchés de
leurs frères, la haine de Dieu et de tous les hommes; ils sombreront
dans la même nef que les évêques, les clercs et les moines, un
coquin ira avec l'autre. Voyant que les choses prennent une mau-
vaise tournure, ils rejettent tout le mal sur l'évangile; au lieu de
s'accuser, ils blasphèment, et répètent que notre prédication est
cause de tout, tandis que c'est leur malice perverse qui a provoqué
la colère de Dieu, et l'attire encore tous les jours sur nous. Le peuple
romain s'est comporté de la même façon, et Dieu l'a retranché. »
« Vois ", dit Luther à son lecteur, " tu as sous les yeux le juge-
ment de Dieu sur les gros bonnets. Pour eux, ils ne s'aperçoivent
de rien. Dieu permettant leur aveuglement pour que sa justice
sévère ne puisse être entravée par leur pénitence. " " Depuis le
commencement du monde ', dit-il plus loin, ^ un prince sage a tou-
jours été un oiseau rare; un prince pieux est chose plus introuvable
1 Sur les motifs de celle défense, voy. plus haut, p. 210-212.
II. n
258 LES PRINCES JUGES PAR LUTHER. i:)23.
encore. Généralement, les princes sont les plus grands fous ou les
pires scélérats de toute la terre; avec eux il faut toujours s'attendre
à ce qu'il y a de pire, et l'on ne peut espérer que fort peu de bien.
Mais c'est surtout dans les questions religieuses, qui touchent au
salut et à l'âme, que leur stupidité se révèle. Les princes sont les
exécuteurs des vengeances de Dieu; ils lui servent de bourreaux et de
geôliers, et son divin courroux les emploie tantôt à punir les
méchants, tantôt à garder la paix au dehors. Notre Dieu est un fort
grand seigneur, voilà pourquoi il a besoin de tant de nobles et
d'illustres bourreaux, et de tant de valets de bourreaux. Mais je
voudrais donner un loyal conseil à ces aveugles, c'est de bien médi-
ter un petit verset qui les concerne tout particulièrement dans le
psaume cvii : « Dieu », dit l'Esprit-Saint, ' a déversé son mépris sur
les princes. •• .Je vous jure devant Dieu, princes, prenez-y garde, que
si ce petit verset venait à se vérifier, vous seriez perdus, chacun de
vous fû(-il aussi en état de se défendre que le Turc. Vous aurez beau
vous essouffler et vous agiter, cela ne vous servira de rien, une
grande partie de la divine prophétie s'est déjà accomplie, car presque
tous les princes sont aujourd'hui regardés comme des fous ou des
scélérats. L'homme du peuple commence à ouvrir les yeux et devient
attentif; le fléau des princes continue à s'abattre violemment sur
lui; sois-en sur, les princes ne pourront éviter la colère du peuple
que s'ils se décident enfin à se conduire princièrement et recom-
mencent à gouverner avec sagesse. « <= On ne ))eut plus, on ne veut
plus supporter davantage votre arrogance et votre tyrannie, chers
princes et seigneurs! Sougez-y bien, Dieu ne tolérera pas longtemps
votre conduite. Le monde ne marche plus maintenant comme autre-
fois, lorsque vous pouviez à votre guise chasser et poursuivre les
gens comme un vil gibier ' ! «
Le bruit de l'alliance de Luther et de Sickingen s'étant répandu,
Mélanchthon le démentit avec chaleur : -< Sickingen ", dit -il dans
une de ses lettres, t a horreur du nouvel évangile, et Luther, de
son côté, s'afflige extrêmement de la révolte qu'excite Sickingen *. "
Mais le récent écrit de Luther n'était-il pas fait pour confirmer les
catholiques dans la persuasion, où ils étaient depuis longtemps, que
Luther était d'intelligence avec le chevalier brigand ^?
' Sftmmtl. Werke, t. XXII, p. 59-105.
* Franciscus a Sickinfjen magna invidia causam Lutheri degravat. Qui quam-
quam ab hoc alienissimus sit, tamen ubi bellum suicepit, statim videri voluit
publicam causam, non suam agere. Nunc latrocinium foedissimum ad Rhenum
exercet. • «De fide doctrinae deque integritate Lulheri noli quidquam dubitare.
Scio quam doleat ei bic tuumltus. • Lettre des 1" et 2 janvier 1523, dans le Corp.
Reform., t. I. p. 598-599.
' L'archevêque de Trêves imputait à Luther l'entreprise criminelle de Sickin-
gen, et le délégué du duc Georges écrivait le 19 [décembre 1522 à son
MOUVEMENTS P O I' U L A I 1. E S . 253
Le duc Georges, iodigné du libelle injurieux el révolulionnaire
de Luiher, se tourna vers Frédéric de Saxe, le pressant de sévir
contre le coupable. Mais rÉIecteur lui répondit i: (|u'aiusi que tous
le savaient, il ne l'avait jamais protégé, et ne se mêlerait pas davan-
tage de sa querelle à cause de ce petit livre; le duc, eu bonne con-
science, ne pouvait l'exiger de lui -. Le Conseil de régence, qui
siégeait alors à Nurember^j et auquel Georjjes eut également re-
cours, répondit à son tour -- qu'il ne savait en cette circonstance
({uel avis donner, mais que cependant il engageait fortement le
duc à ne pas prolonger plus longtemps ses différends avec Lui lier • . »
(21 mars 1523).
' Cette attilude des autorités explique amplement ;, écrivait
Charles de Bodmann, ^ qu'en Allemagne toutes les calomnies contre
l'autorité temporelle et spirituelle paraissent légitimes. Un tient
pour certain que les princes ne sont plus assez forts pour résister
à la fureur populaire qui les menace*.
Léonard d'Eck, chancelier de Bavière, écrivait à son maître le duc
Guillaume, en lui rendant compte de la manière dont Luther instrui-
sait le peuple touchant ses devoirs envers l'autorité : 'i Le docteur
Luther a composé et fait imprimer en allemand un livre où il expose
la conduite que les sujets doivent tenir envers leurs souverains. 11
y appelle les princes temporels des niais, des fous, des scélérats, des
païens; il les traite, en un mot, d'une faron sanglante. Il les nomme
ouvertement des tyrans, particulièrement ceux de Misnie, de Bavière
et de la Marche; il les attaque en particulier sur les impôts et les
taxes, dont, selon lui, ils accablent leurs subordonnés. Luther a
résolu de soulever les sujets contre leurs gouvernants, de sorte que
si jamais les princes ont eu de bons motifs pour faire bonne garde,
c'est à présent. Il ne s'agit plus de rire et de se contenter d'un peu
de vent dans ses voiles. « - Que Vos Grâces réfléchissent à ce qui se
trame en ce moment sur beaucoup de points de l'Empire. On a
imprimé un petit livre adressé à l'homme du peuple, où, à ce que
l'on m'affirme, on lui conseille de rejeter loin de lui le joug qui
lui pèse et que lui ont imposé jusqu'à ce jour rois, princes et sei-
gneurs. On lui démontre qu'en se révoltant il fera une œuvre pie, et
tout cela vient de ce misérable Luther et du parti de Franz de Sic-
kingen. » « Je le répète, si jamais un effroyable Bundschuh a été à
redouter, c'est maintenant-'. «
maître : " Votre Grâce voit assez que le moine diabolique et Franciscus de
Sickingen ne sont qu'une même chose. • Ulmxnn, p. 344, note 1.
' Seidemann, Erläuterungen zur liiformationsgeschichle ^ p. 67-70.
• Voy. plus haut, p. 162, note ô.
' Dans JÖRG, p. 61.
17.
260 M 0 ü V E M E N T S P 0 P U L A I R E S .
On se demandait avec une « singulière angoisse » si Franz de
Sickiogen n'avait pas conclu un traité secret avec le duc Ulrich de
Wurtemberg, prince jadis proscrit de ses propres États par la ligue
souabe, et qui, depuis ce temps, s'était associé à la plus vile popu-
lace. On craignait que Franz ne l'eût attaché à son parti en lui pro-
mettant de l'aider à reconquérir son duché. Ulrich, de son château
de Hohentwiel, dans le Hegau, ne cessait d'ourdir « de vastes com-
plots ». Pendant l'automne de 1522, on avait vu flotter sur les
tours de son château une bannière blanche où était peint un Bundschuh
d'or entouré de rayons lumineux, avec cette devise : u Que celui
qui veut être libre, marche vers ce soleil! " Voici comment le Con-
seil de régence autrichien, sous la tutelle duquel était placé le
Wurtemberg, mettait en garde les habitants de la forêt Xoire contre
les agissements du duc : ^- Invoquant un prétexte menteur de liberté,
Ulrich ne songe qu'à ramener les simples et les ignorants sous le
joug si pesant de sa domination; il veut les remettre dans l'ancienne
servitude. Tout homme de bon sens pourra facilement se rendre
compte que son intention et celle de ses compagnons ne sont pas et
ne sauraient être de donner la liberté ; il ne veut qu'enlever tous
leurs avantages à ceux qui avec beaucoup de peine ont amassé un peu
de bien, car c'est toujours ainsi que se terminent ces Bundsc/iu/i mau-
dits. Ulrich et les siens se proposent de détruire la hberté partout
où elle a pu s'établir, de sorte que s'il venait à réussir, les petits
feraient l'amère expérience d'un esclavage beaucoup plus rude que
celui du passé. =' '■ Le pauvre peuple se soulève de tous côtés :-,
mandait le Conseil à l'archiduc Ferdinand; « il est altéré de hberté,
refuse de payer les laxes, et réclame sa part des biens de ceux qui
possèdent. » Le Conseil pressait l'archiduc, pendant qu'il en était
temps encore, et avant que le mouvement populaire ne prit le des-
sus, d'envoyer promptement des secours, afin que la révolte ne
trouvât pas le pays sans défense'.
Les princes alliés de Trêves, de la Hesse et du Palatinat se plai-
gnaient de leur côté au Conseil de régence de ce que Sickiogen et
ses partisans excitaient le peuple à la révolte, le détournant du res-
pect qu'il devait à ses princes et ne négligeant rien pour le gagner*.
' Voy. Zimmermann, t. II, p. 39-43. Stalin, t. IV, p. 254-255.
*' Voyez le passage qui concerne la requête des trois princes au Conseil
(Ulmann, p. 333, note , Archives de Francfort, Reichsiagsacien, t. XXXVII, fol. 94''.
La date du jour où cette requête fut présentée ressort d'une lettre écrite au
délégué de Francfort, Hamann de Holzhausen (12 janvier 1:23 , où il annonce
que l'évéque de WùrzLourg a demandé la permission de quitter Nuremberg,
parce que la plupart de ses gens de service menaçaient de se réunir à Sickingen.
L'évéque craignait d'être assailli par Franz. « Dans toutes les directions de son
LES PUINCES CONTRE SITKINGEN. 1522-1523. 261
Vers la fin de septembre 1022, les Irois princes s'unirent dans le
dessein de s'opposer cnergiqiicmcnt à Sickinfyen. Ils se proposaient
d'arracher du sol allemand la mauvaise semence ", de rendre à
l'Empire la paix, l'union, et d'assurer la sécurité de ceux qui pos-
sèdent'. Le duc (ieorjjes insistait depuis bien lonjjtemps pour
qu'avant tout « on détruisit les nids* y. « (Juand bien même •', disait-
il, « l'Kmpire, durant toute une année, et même pendant deux ans,
devrait laisser une armée eu permanence devant l'un des châteaux
torts des brigands chevaliers, un tel sacrifice serait encore préférable
à l'angoisse où nous vivons perpétuellement, tremblant à chaque
instant de voir éclater l'insurrection. On éviterait ainsi beaucoup de
dépenses, les intérêts de la paix seraient mieux servis, et cette cam-
pagne serait tout aussi nécessaire et méritoire que l'expulsion des
Turcs de Jérusalem^ » Le margrave Joachim de Brandebourg récla-
mait aussi avec instance la répression de Sickingen, qu'il appelait
« le Turc de l'intérieur, toujours sur le point d'attaquer, aujour-
d'hui tel prince, demain tel autre' n. Enfin les trois princes alliés,
voyant qu'ils n'obtenaient aucun secours de l'impuissant Conseil,
dont quelques membres allaient même jusqu'à favoriser en secret
les plans de Sickingen, se joignirent à la ligue souabe qui se pré-
parait de son côté à marcher contre les chevaliers brigands de Fran-
conie. Le lieutenant impérial, l'archiduc Ferdinand, et les Ordres
réunis à la diète de Nuremberg, s'efforcèrent eu vain de ramener
Sickingen à la raison, de l'incliner vers la paix : il ne voulut entendre
parler d'aucune concession, et déclara aux parlementaires envoyés
vers lui, qu'il se regardait comme l'instrument choisi du Seigneur;
qu'il avait reçu de Dieu même la mission de châtier le clergé, qu'il
attendait de France et d'Allemagne de puissants renforts, résolu
qu'il était d'obéir à l'ordre qu'il avait reçu du cieP.
Mais il avait des illusions profondes sur les forces dont il pou-
évéchc, des soulèi^cmsnts étaient à crainire, ainsi que les dépêches le lui marquaient. •
Reichsiagsactev, t XXW'II, fol. 10. « Une révolte de paysans faisant redouter un
Bundschuh semblait imminente dès le mois de novembre 1522. " Voy. la lettre
de Holzhausen du jeudi après Elisabeth (20 novembre 1522), dans les Reichsiags-
acten. t. XXXVI, fol. 84.
' Voy. ULM.iNN, p. 305, .352-353. '
* Des violateurs de la paix.
' Lettre de Georges, 8 septembre 1522, dans Ulmanx, p. 275-276.
* Voy. IJROYSEN, 2'', p. 108.
* Réponse de Sicl^ingen, daiis Kilian Leib, t. TX, p. 1039. « Franciscus de
sua fide, de Evangelii amore deque justitia sua sibi placens et gloriabundus, ut
Lutheraiii soient, respondit : a saeculis semper fuisse aliquem, quo Deus quasi
instrumento usus peccatis lasciviens mortalium genus attriverit : persuasura
sibi esse, quo Deus veluti flagello Ecclesiasticorum petulantiam velit caedere,
affuturam sibi ex Germania atque Gallia bellatorum non contemnendara raanura,
decretum sibi id exequi, ad quod se Deus elegerit. .
262 CAMPAGNE C 0 N 'I 11 E SICKINGEN. 1523.
vait disposer. Luther, dès le début, avait mal auguré de l'entre-
prise '. Lorsque vint le moment décisif, ses alliés lui manquèrent
de parole. Il s'était flatté de voir la noblesse du Palatinat, de la
Hesse, de l'archevêché de Trêves, se soulever simultanément et
venir se joindre à lui, mais il fut amèrement déçu. Le plan de
campagne des princes était conçu avec beaucoup de sagesse. Dès
avril 1523, ils se portèrent vers Landstuhl, le château fort de Sic-
kingen. Ils voulaient " surprendre l'oiseau au nid », car Sickingen
s'était retranché dans cette place pendant que son fils, Schwicker,
était allé presser, chez le comte Eitelfritz de Zollern, l'envoi de
troupes assez considérables pour faire lever le siège. Le 29 avril,
l'assaut commença avec une incroyable furie. Dès le troisième jour,
Sickingen fut blessé mortellement par un débris de poutre qui lui
ouvrit tout le côté, ;< de sorte que le poumon et le foie furent rais
à jour ". Le château, criblé de boulets, n'était plus qu'un amas de
ruines, et, désespérant de la victoire, les assiégés capitulèrent
(6 mai 152.3). Sickingen mourant avait été transporté dans une
grotte de rochers, proche du château, « Où sont maintenant tous
mes amis >•, répétait-il avec amertume; " où sont les seigneurs
d'Arnberg, de Fürstenberg, de Zollern, les Suisses, mes alliés de
Strasbourg, et tous les amis de la « fraternité >;, qui m'avaient tant
promis et m'ont si mal tenu parole? One personne désormais ne se
confie donc en ses grands biens et ne s'appuie sur la consolation et
les promesses des hommes! n
De quels éléments était composée cette ' fraternité v, dont parlait
le mourant? On l'ignore ^
Le 7 mai, les princes firent leur entrée dans le château. Ils visi-
tèrent Sickingen en son abandon et sa détresse. A la question de
l'archevêque de Trêves : « Franz, quel motif a pu te pousser à me
faire un tel dommage, à moi et à mes pauvres hommes? » le mori-
bond répondit : « 11 y aurait beaucoup à dire sur ce sujet! Je n'ai
pas agi sans motif! >• Après que les princes se furent retirés, Sic-
kingen se confessa à son chapelain, et tandis que celui-ci allait
chercher le saint viatique, il rendit l'esprit ^ « Aussitôt que l'âme de
Sickingen eut quitté ce monde i-, rapporte Spalatin, ;' quelques
' - Franciscus Sickingen », écrivait-il le U) décembre 1522 à Wenceslas
Link, « Palatino bellum indixit, res pessima futura eit. » Vov. de Wette, t. II,
p. 265.
^ Des documents nombreux, établissant l'existence d'une vaste conspiration
de nobles, furent détruits après la prise d'Ebernbourg; on craignait d'irriter de
nombreux et secrets adversaires. Voy. Rommel, t. II, p. 64.
* Pour plus de détail, voy. Ulmann, p. 361-385. — Pour ce qui concerne la
guerre faite par les princes à Sickingen et les derniers moments du chevalier,.
Ulmann a suivi les sources les plus dignes de foi, laissant de côté avec raison les
embellissements de la chronique de Flersheim.
DÉFAIT K DE SICKINtiEN. 1523. 2 63
paysans, aidés des cuisiniers du landgrave, firent entrer son corps
(le force dans un vieux coffre qui avait jadis servi à serrer les
harnais et les liabils; on fut oblige de j)lojer la tele et les genoux
pour Vy foire tenir. Le coffre fut ensuite tlescendu avec une corde
le long des flancs de la montagne. On l'enlerra dans une petite cha-
pelle, proche de Landstuhl '. ^
" Ainsi finit l'homme qui avait fait trembler tout l'Empire ro-
main si peu de temps auparavant* -, dit Spalatin. c Si Dieu ne l'eût
rappelé », lisons-nous dans une chronique de Bâle, - il aurait attiré
de grands désastres sur les princes, et eilt été en Allemagne ce que
.lean Ziska^a été en Bohème. « " Dieu est un juste juge, mais un
juge surprenant! " s'écria Luther avec découragement en apprenant
1.1 mort du chevalier*. Frédéric de Saxe écrivait de sou côté à Spa-
latin : .( Que Franz de Sickingen, auquel Dieu fasse paix, ait ainsi
péri de corps et de biens, c'est véritablement, et selon nos pauvres
pensées humaines, une nouvelle étrange à ouïrM »
III
Au dire de Spalatin, les catholiques se seraient écrié après la
défaite de Sickingen : « L'Empereur postiche est mort, on sera bien-
tôt débarrassé de l'antipape"! > Luther, en effet, tomba gravement
' OEuvres posthumes de Spalatin, p. 180. Voy. de Weech, BericlUe über Franz von
Sickingen's Ende^ dans les Forsciiungen iur deutschen Geschichte, t. XVIII, p. 649-656.
Dans une chanson de lansquenet, on lit à propos de la défaite de Sickingen ;
Les princes étaient pleins d'entiain,
Ils tirèrent si bien sur le château
Qu'ils atteignirent Franz:
Son noble s:ing fut répandu:
Je ne l'oublierai pas, je ne l'oublierai pas !
Il a aim^ tous les lansquenets.
Il les avait bien équipés.
Chantons ses louanges;
Ce qu'il a semé n'est pas perdu,
La bemence ne périra pas, elle ne périra pas :
Voyez I.IL1ENCR0NE, t. III, p. 418.
* Spalatin's Annalen dans Menckev, Script.^ t, II, p. 622.
' • Quem si Deus non tulisset e medio, graviora damna principibus fuerat illa-
turus quam olim .loaimes Zischa regno Bohemorum. Basier Chrojulcen, t. I,
p. 385. L'ambassadeur de Venise Contarini porte sur Sickingen le jugement sui-
vant dans sa description de 1 état de l'Allemagne : « Ultimameute poi ha rovi-
nato Francesco de Sickingen, il quale era un signorotto capo de' lutherani,
ladro di strada, e capo de' gentiluomini poveri, inimici del viver quieto. >
Dans Alberi, t. II, p. 20.
* • Deus justus, sed mirabilis judex. • Lettre à Spalatin; vov. de Wette, t. Il,
p. 340.
* Spalatin, Friedrich des Weisen Leben, p. 192.
" Spalatin's Annalen, p. 625.
264 DERNIÈRES ANNEES DULRICll DE UUTTEN.
malade à ce moment même. La chute d'un des premiers et des plus
puissants soutiens du parti luthérien effraya et affligea grandement
les amis des nouvelles doctrines : « Je ne puis te dire », écrivait
Martin Bucer à Zwingle (9 juin 1523), ^ combien, enhardis par la
mort d'un seul homme, les monstres du papisme relèvent à présent
leurs cornes! L'Antéchrist, sachant bien qu'il lui faudrait périr si,
par les efforts de Sickingen, l'évangile était de nouveau annoncé au
monde dans toute son intégrité et pureté, n'a rien négligé pour le
perdre. - •■ Nous avions fondé de grandes espérances sur lui, mais
déjà son œuvre chancelle et tombe », écrit à Zwingle avec douleur
Otto Brunfeld, ;= et non-seulement son œuvre, mais celle de tous
les amis de l'évangile. Notre Hütten est en mauvais point, et nous
autres devons nous attendre à être bientôt battus de tous les côtés.
Nous deviendrons l'objet de la risée générale, et j'ai le pressenti-
ment d'une catastrophe imminente'. » " Aucun des princes ou des
pharisiens ' , dit-il ailleurs, " ne croit à l'évangile. » Hulten, de son
côté, tremblait que les princes n'aient tramé quelque vaste complot
contre la nouvelle doctrine : « Partout ';, écrit-il, ;t nos ennemis
triomphent et régnent-. '>
Craignant que les princes ne lui fissent subir le châtiment bien
mérité de ses intrigues révolutionnaires, Hütten s'était hâté de
quitter Landstuhl. Vers la fin de 1.522 il arrivait à Bâle, fugitif, sans
ressources, torturé par la maladie. 11 avait des amis dans la ville, et
comptait particulièrement sur l'appui d'Érasme, son ancien maître,
son guide, « son Socrate ». Mais entretenir des relations avec les
malheureux n'entrait point dans les axiomes de philosophie pra -
tique d'Erasme; renouer des liens d'amitié avec Hütten eût été se
compromettre vis-à-vis de ses puissants protecteurs ; puis, comme
il le craignait à bon droit, cette générosité d'âme eût été fatale à sa
bourse. Érasme s'était jadis complu à se représenter sous les traits
d'un sage du christianisme : '; La propriété -, avait-il dit, « n'est pas
interdite aux seuls moines, mais à tous les chrétiens. La charité doit
rendre tout commun entre frères, et celui qui ne soutient pas, selon
les ressources dont il peut disposer, son prochain tombé dans la dé-
tresse, peut et doit être considéré comme possédant injustement un
bien qui ne lui appartient pas*. " Mais Hütten, dans son malheur, ne
s'aperçut point qu'Érasme songeât à mettre en pratique de si admi-
' Zwinglii Op. VII. p. 269-273.
- Voy. Hagen, t. III, p. 63.
2 ' Proprielateni christiana charitas non novir. = « Tu credebas solis monachis
interdictam esse proprietatem? indictam pauperlatem? Errasti, utrumquead
omnes christianos pertinet, etc. > Voy., sur ces passages et d'autres analogues,
WlSKBMA.NN, p. 10-11.
ÉRASME ET HÜTTEN. 1523. 265
rables maximes. Froid, indiCférenI, il repoussa le chevalier vaincu
et malade, et lui fit dire qu'il se jjardàt bien de le mettre dans un
pénible embarras par sa visile. Il écrivait à l'un de ses amis qu'il ne
souhaitait pas voir Hütten; qu'il lui voudrait du bien aussi long-
temps que Hütten s'en voudrait à lui-même, mais qu'il avait autre
chose à faire qu'à s'occuper de lui'. Blessé au vil, Hütten considéra
dès lors Érasme comme un apostat de l'évangile, et, dans un libelle
amer, déversa sur lui son ressentiment et sa colère. « Quel peut
être ", se demande-t-il, ^'. le mobile d'une telle apostasie? Érasme
envie-l-il la gloire de Luther? Est-il dominé par la crainte pusilla-
nime des vainqueurs? A-t-il été acheté, ou réellement Érasme aurait-
il changé de conviction? » « Tant de princes conjurés contre l'évan-
gile ", dit-il encore, ^ le font désespérer du succès de notre cause;
dès lors, il trouve prudent de rompre avec elle, et cherche à obte-
nir par tous les moyens la faveur des grands. Érasme, en rendant
aux princes un service signalé, songe à faire d'eux ses obligés, aussi
médite-t-il un livre contre nous. Oh! le triste spectacle! Érasme
s'est livré au Pape! Adrien lui a ordonné de ne pas tolérer que le
respect dû au Siège apostolique reçût quelque atteinte, et aussitôt
Érasme entre en lice; déjà il a porté de rudes coups. Ouelle trans-
formation! î) « Autrefois, il est vrai, il a travaillé dans le même but
que Luther et que moi, et si la plus grande partie de ses écrits est
destinée à lui survivre, tout homme attentif au fond de la question
plus qu'aux paroles, le comptera parmi les adhérents de ce même
évangile qu'il se prépare maintenant à combattre. Oui, en dépit
de ses efforts, par ses premiers écrits, il comptera toujours, même
après son apostasie, parmi les champions de l'évangile et les adver-
saires de la tyrannie romaine *. "
Érasme publia aussitôt sa réponse, intitulée : Eponge pour essuyer
les éclaboussu7-es de Hvtten\ Il y attaquait sans aucun ménagement la
conduite et le caractère de son ancien ami, ne se faisant même pas
scrupule de railler sa détresse. Avec pleine raison, d'ailleurs, il
offrait Hütten en exemple à la jeunesse; mais quel jour ne jetait-il
pas sur son propre caractère lorsque, à propos de ce même homme
dont il avait été pendant tant d'années le plus intime ami, qu'il
' STRAtss, t. Il, p. 263-265. — Dans une lettre à Mélanchthon, Érasme dit en
parlant de Hütten : < Ille egens et omnibus rebus destitulus, quaerebat nidum
aliquem, ubi moreretur. Erat mihi jjloriosus ille miles cum sua scabie in aedes
recipiendus, simulque recipiendus ille chorus titulo Evangelicorum, sed titulo
duntaxat. Sietstadii muictavit omnes sues amicos aliqua pecunia. .lam amaru-
lentiam et glorias hominis nemo, quamvis patiens, ferre poterat. • Corp. Reform.,
t. I, p. 667.
* Voy. Strauss, t. II. p. 281-288. — Hagex, t. III, p. 63-72.
' Spongia Erasmi adver sus adspergincs HulUni, 1523.
266 ÉRASME ET HI TT EN. 1523.
avait loué et célébré à la face du monde entier, il écrivait, au moment
où la tombe venait à peine de se fermer sur lui, des lignes comme
celles-ci : « On voit de par le monde certains hommes entretenir et
flatter leurs mauvais penchants dès le début de leur vie; ils mettent
leurs passions et leurs excès sur le compte de la jeunesse; ils tiennent
le jeu, la prodigalité excessive, pour de nobles amusements. Mais
pendant ce temps les revenus s'en vont, les dettes grossissent, la
réputation dépérit, la faveur des princes, de la bienfaisance desquels
on vivait, s'évanouit; bientôt le besoin conduit au vol; on com-
mence par y recourir sous prétexte de guerre, puis, rien ne pouvant
combler l'abîme des dettes, pas plus que l'eau ne pouvait remplir
le tonneau percé des Danaides, on se permet de méchants tours, et
dès qu'il s'agit de happer quelque butin, on ne fait plus aucune dif-
férence entre amis et ennemis. Enfin la passion, comme un cheval
emporté qui jette son cavalier par terre, précipite brusquement dans
la ruine celui qui lui a trop obéi'. - Érasme, en cette même satire,
range Hütten parmi les hommes ^- qui, sous prétexte d'évangile, n'a-
gissent qu'en vue du butin et du pillage, se croient autorisés à
détrousser les passants sur la grand'route, et après avoir dissipé leur
bien avec les filles, le vin et le jeu, jettent le défi à tous ceux dont
ils espèrent tirer quelque argent-. -^
Quant à sa propre attitude vis-à-vis de l'Église et du parti luthé-
rien, quant au fond même de la question religieuse, Érasme, dans
ce pamphlet, donne, suivant sa coutume, des explications fort
vagues et tortueuses. Pour assurer le triomphe pacifique de Tévan-
> Voy. Strauss, t II. p. 331-3:32.
^Visant particulièrement Uutten, Érasme dit à un autre endroit : < qu il voit à
la vérité beaucoup de luthériens, mais peu d'évangélistes. Si llutten connaissait
des gens qui, au lieu de fréquenter le vin, les filles ou les dés, se délectassent
dans la lecture de la sainte Ecriture et dans les entretiens pieux; qui, ne trom-
pant personne sur l'argent qui leur était dû, sussent dépenser libéralement ce
qu'ils n'étaient pas obligés de donner aux nécessiteux; qui, au lieu d'injurier
ceux qui ne leur avaient fait aucun mal, répondissent d'une manière conciliante
à une parole irritante; qui ne se lendissent coupables d'aucun acte de vio-
lence, ne menaçant personne, mais au contraire, pour un tort souffert, rendant
des bienfaits: qui, loin d'exciter des trouldes établissent partout où ils le pou-
vaient la concorde et la paix; qui, l)ien éloignés de ve vjuter de crimes ou
d'actes qu'ils n'avaient point accomplis, rapportassent au seul Christ tout le
mérite de leurs bonnes œuvres; si llutten lui montrait de tels évangelistes, aus-
sitôt il se joindiait à eux avec joie. Mais s'il en existait, ils étaient, à vrai dire,
excessivement rares! > Strauss, t. II, p. 293-294. — Dans une lettre au conseil
de Zuricli datée du 10 août 1523), Érasme se vante d'avoir jusque-là travaillé
assidûment h répandre la doctrine évangilique ; et cependant llutten a publié contre
lui un petit livre rempli de mensonges et d'injures; llutten ne doit qu'au con-
seil la permission de séjourner à Zurich, mais il n'a pas le droit d'abuser de cette
permission pour puldier un libelle insolent et pervers. Cet écrit nuirait très-
certainement aux int.rcis évangélitjucs, aux belles-lettres, à la chose publique, et
pouvait dans l'avenir porter un grand préjudice à la ville de Zurich; quant à
Hütten, • chacun savait qu'il n'avait plus rien à perdre. ■ Dans Egli, 245, n" 565.
DERNIERS ÉCRITS DE HUTTEN. SA MORT. 1523. 287
{jile, il indifiue les moyens les plus sinjjulicrs. Pour lui, répète-l-il, il
n'apparlicnl à aucun parti, son indépendance lui esl chère avant
tout '. La querelle luthérienne a commencé sans sa participation, et dès
le début, l'esprit entêté de Luther lui a beaucoup déplu. C'est à tort
que Hütten lui fait un crime d'avoir protesté de son attachement
envers le Siège apostolique. Sans doute, il est résolu à ne Jamais s'en
séparer, mais aussi longtemps, toutefois, que le Saint-Siège ne se
séparera pas du Christ! L'Eglise, dans sa lutte contre les nouvelles
doctrines, n'était, aux yeux de « l'oracle de la science -, qu'un parti
en présence d'un autre parti. Les deux opinions devaient apprendre
à vivre en paix l'une avec l'autre, ce qui pourrait d'autant plus faci-
lement se faire qu'on était d'accord sur les articles principaux de la
foi et de la discipline, et que la querelle ne se rapportait la plupart
du temps qu'à certains paradoxes, en partie incompréhensibles, en
partie insignifiants ! Les potentats spirituels et temporels, l^aisant
trêve à leur lutte passionnée, oubliant leurs propres intérêts, feraient
bien d'accepter le conseil d'un simple particulier : les savants devaient
renoncer aux disputes, aux invectives, et conférer entre eux sur la
manière d'éviter le schisme et sur les intérêts généraux de la chré-
tienté, puis exposer le résultat de leurs conférences dans des lettres
privées, adressées soit au Pape, soit à l'Empereur*. C'est d'un pareil
remède qu'Érasme attendait la guérison des maux de son temps.
Mélanchlhon craignait que le ressentiment de Huttencontre Erasme
n'eût de fâcheuses suites : « Hütten =>, écrit-il, « est furieux de voir
en quel péril est notre cause. Malheureusement sa colère nous com-
promet inutilement auprès des bons, et il est à craindre qu'Erasme
ne s'irrite encore plus contre nous que contre lui. Pour nous, nous
entendons rester complètement étrangers aux rancunes de Hütten ^ r>
" Erasme a lâchement abandonné la cause de l'évangile -, écrit
Hütten à Éoban Hessus (21 juin 1523); " toutefois il se repent du mau-
vais marché qu'il a conclu. >' « Pour moi, obligé de prendre la fuite,
je me suis réfugié en Suisse, où j'ai devant moi la perspective d'un
exil encore plus long que les précédents, car dans les circonstances
présentes, l'Allemagne n'est pas en état de me tolérer. Mais j'espère
' Au sujet du peu de franchise d'Érasme, Luther écrivait à Spalatin, le 15 mai
1522 : • Melior est Eccius eo, qui aperta fronte hostem profitetur. Hune autem
tergiversanlem et subdolum tum amicum tum hostem détester. " Dans de
Wette, t. II, p. 196.
' Voy. Strauss, t. II, p. 289-291.
* Corp. Ri'fonn., t. I, p. 626-627. « C'est ainsi que Mélanchthon se dégageait avec
ingratitude, pour ne pas dire avec lâcheté, de toute connivence avec Hutien,
auquel cependant là cause de la réforme avait tant d'obligations, ■ dit IIagen,
t III, p. 60.
26S DERNIERS ECRITS DE HÜTTEN. SA MORT. 1523.
voir les choses changer promptement de face par l'heureuse expul-
sion des tyrans. « II adresse à Éoban un nouveau libelle contre ces
mêmes « tyrans », c'esl-à-dire contre les princes vainqueurs de Sic-
kingen qui ^ se sont injustement emparés de ses biens -, et il presse
Eoban de le faire imprimer le plus tôt possible à Erfurt, t. La chose »,
lui écrit-il, « peut être faite en silence et en secret, et cela dans votre
ville plus aisément que partout ailleurs; là, personne ne s'attend à
rien de semblable, d'autant plus qu'on me sait très-loin. Je t'en prie,
je t'en supplie encore une fois, ne diffère pas, ne néglige rien dans
une question qui est pour nous de la dernière importance! Qu'une
protestation énergique contre un attentat inouï se fasse entendre et
paraisse au grand jour ' ! « Mais Éoban, l'ancien frère d'armes de Hüt-
ten, n'était plus d'humeur à surveiller la publication d'un pareil écrit.
A la vérité, il tonnait comme autrefois contre le Pape, 't cet impos-
teur universel, ce perturbateur de la paix européenne, ce loup sous
le masque de l'innocence •• ; comme jadis il .s'élevait contre les par-
tisans du Pape, -^ ces ouvriers d'iniquité^ »s mais il n'était nullement
disposé à jouer vis-à-vis des princes le rôle d'apôtre de la liberté.
Les efforts des prédicants et de leurs adeptes avaient réu.ssi à ruiner
à Erfurt les études universitaires, et Hessus, talonné par la faim%
s'était vu contraint de recourir au landjjrave Philippe de Hesse, qui
lui avait accordé un poste scientifique à ALirbourg. Aussi n'appelait-
il plus Sickingen et ses alliés que '^ les brigands ^ , et témoignait-il
souvent au chancelier du landgrave toute sa joie de les voir enfin
châtiés \ Hütten ne pouvait donc compter sur lui pour publier son
pamphlet t; contre les tyrans -^ : le manuscrit fut perdu.
Hütten, accusé de travailler au renversement de la constitution
ecclésiastique, fut obligé de quitter Bàle. Pour le même motif, il lui
fallut bientôt fuir de Mulhouse, où il s'était réfugié. Enfin il trouva
un asile à Zurich, près d'Llrich Zwingle. 11 mourut dans l'ile
d'Ufnau, sur le lac de Zurich, dans sa trente-sixième année, vers la
fin d'août 1523, de la maladie dont il souffrait depuis seize ans.
-' Hütten ", rapporte Zwingle, ;: ne laissa après lui aucun objet de
valeur. 11 n'avait point de livres; de meubles, pas davantage; sa
plume seule lui appartenait \ »
' Strauss, t. Il, p. 311-312. — Kampschllte. t. II, p. 191.
* Voy. ScHWERTzELL, p. 41-42. Il ne dissimulait pas qu'il cherchait de temps
en temps à faire plaisir aux gens avec lesquels il vivait. - par de semblables
attaques ..
' Eoban élait parfois si à court d'argent, qu'il était contraint d'emprunter
souvent à ses amis; ordinairement deux florins. Voy. Schwertzell. p. 4 5-45.
* Strauss, t, II, p. .312. — plus tard. Eoban rangeait la défaite de Sickingen
parmi les hauts faits de Philippe.
=■ - Nihil reliquii, quod uUius sit pretii. Libros nullos habuit, supellectilem
nullam, praeter calamum. . op. Vll, p. 313. Hütten mourant « semble n'avoir
CONSÉQUENCES DE lA DI^'.FAITF DE SICKINGEN ET DE SON PAKTf. 20,9
IV
Avec Sickinf,eri et Hütten, la chevalerie révolutionnaire perdait
« ses chefs et ses {guides ». Au bout de bien peu de temps, il ne fut
plus question de tant de vastes plans formés par les chevaliers pour
le renversement de la constitution de rEmpirc.
Les princes alliés s'emparèrent de tous les châteaux forts de Sic-
kingen, dont la plupart furent briHés. Après leur complète victoire,
ils formèrent entre eux une nouvelle alliance pour le maintien de
leurs conquêtes, qu'ils s'engagèrent à défendre '■■ de leurs corps et de
leurs biens ' » . Peu après, la ligue abattit l'orgueil de la chevalerie
de Franconie. Pendant les mois de juin et de juillet 1523, plus de
vingt châteaux de brigands furent rasés par ordre des princes*.
M Mais ce qui est bien regrettable, c'est qu'on ne put jamais mettre
la main sur Hans Thomas d'Absberg, et châtier comme il eût mérité
de l'être ce coupeur de mains et de pieds ^ »
C'en était fait de l'indépendance politique de la petite noblesse;
plus invoqué que la déesse Fortune ". Strauss dit en parlant de ses tendances
athées (t. II, p. 314) : « Nous trouverons dans les dernières lettres plus de
citations tirées des poètes classiques que de sentences empruntées à la Bible.
Voyons ici simplement le retour de Hütten à sa nature primitive, aux souve-
nirs de son éducation d'humaniste. Son commerce avec Luther et les luthériens
avait donné ù son langage un vernis chrétien, mais ce vernis disparut dès que,
tombé dans la détresse, il resta livré à lui-même. - Sur la conduite peu géné-
reuse d'Érasme à l'égard de Ilutten, même après la mort de celui-ci, voy. Drum-
MOND, t. II, p. 146, 111. 158.
' Ulmann, p. 394.
* Pour plus de détail sur la guerre de Franconie, voy. B.iAOEn, p. 70-91. —
"Voy. DE ScHnEKE.NSTEiv, 2% p. 250-251. — Voy. aussi la liste • des nids de bri-
grands détruits », dans Höfler, Fränkische Studien, t. VIII, p. 258. — 1,'archiduc
Ferdinand et le Conseil de régence cherchèrent à empêcher les répressions des
princes. Voyez .Iorg, p. 71, où, tirés dune lettre du chancelier bavarois Léonard
d'Eck, sont exposés les motifs de cette campagne. Mais les princes n'avaient
rien à faire avec un personnage comme Hans Thomas d'Absberg. • Il fut procédé
par décrets et arrêtés de justice contre ce misérable. • Voy. Ulm.vnn, dans la
Jenaer Lilerulurzcitung, 1874, p. 727.
' Hans Thomas d'Absberg, étroitement uni au duc banni Ulrich de Wurtem-
berg, dont on parlera dans la suite, poursuivit en paix la série de ses atrocités
jusqu'en 1531, où il fut assassiné par un .luif, son plus intime ami et son hôte,
auquel il confiait ordinairement le fruit de ses rapines. ■ Cet homme le fit
boire, de sorte qu'il s'endormit à table. L'autre lui porta alors un coup au cœur
avec une arquebuse courte, et, secondé par un autre Juif, l'acheva à coups de
bâton comme un chien enragé, avant qu'il ne se filt bien réveillé; il le fit ainsi
mourir dans ses péchés, puis il traîna son cadavre dans un champ de blé, où il
fut plus tard déterré par des chiens, déjà tout empesté et mangé des vers. -
B.iADER, p. 530. Sur les tortures infligées aux prêtres qui tombaient au pouvoir
de ce misérable et de sa bande, voy. Baader, p. 144, 179, 383, 414.
270 CONSKOUENCES DE r,A DÉFAITE DE SICKINGEN ET DE SON PARTI.
toutefois les tendances révolutionnaires qui s'étaient fait jour dans
ses rangs n'étaient aucunement vaincues.
La révolution politique et religieuse faisait des partisans de plus
en plus nombreux parmi les classes populaires, et plus d'un chevalier
mis au ban et dépossédé soutenait en secret les efforts tentés par
beaucoup de prédicants pour exciter et pousser à la révolte les sujets
des princes, et particulièrement les paysans.
Mais pour que cette révolte pût éclater, il fallait d'abord que les
pouvoirs établis fussent renversés, que le gouvernement central,
devenu impuissant, fût tombé dans le plus irréparable discrédit, et
que l'anarchie fût complète dans le domaine religieux.
CHAPITRE V
LE CONSEIL DE RÉGENCE ET LES DIÈTES DE 1522-1523.
Le Conseil de régence, institué à Nuremberg dans Tautomne de
1521, ouvrit la série de ses actes par la promulgation d'une loi exe-
cutive qui maintenait et proclamait de nouveau la paix publique. Il
adopta ensuite une mesure à laquelle Maximilien, jaloux de l'inté-
grité du pouvoir impérial, s'était toujours opposé, et décida que
les états des différents cercles de l'Empire auraient désormais le
droit d'élire eux-mêmes leurs gouverneurs et conseillers'. Le Con-
seil de régence convoqua ensuite les Ordres à Nuremberg pour le
23 mars 1522. H s'agissait avant tout de s'entendre sur les moyens
de résister aux Turcs, qui, ayant conquis Belgrade et dévasté la plus
grande partie de la Hongrie, se disposaient maintenant à envahir la
basse Autriche, la Bavière et les autres territoires allemands '.
Le péril était imminent. A chaque instant une surprise était à
craindre. Mais les secours étaient fort minces, car chacun ne pen-
sait qu'à soi, et beaucoup de princes allaient jusqu'à reculer devant
les frais nécessités par l'envoi d'un délégué à la diète. Aussi peu
de députés se trouvaient-ils réunis à Nuremberg au jour fixé, et
tandis qu'on perdait ainsi un temps précieux, Méhémet Bey envahis-
sait la Valachie. En Hongrie, on s'attendait tous les jours à voir le
sultan Soliman s'emparer de la Moldavie, et pénétrer jusque dans
l'Esclavonie.
Au mois d'avril 1522, les Turcs ravagèrent les environs de Frioul.
- En un seul jour >, rapporte Georges Kirchmayer dans ses Mémoires,
plus de six mille hommes furent emmenés prisonniers. Les petits
enfants ont été séparés les uns des autres, les femmes odieusement
' Xeue Sammlung der Hcichsabschiede , t. II. p. 229-241.
^^ circulaire du 12 février 1522. Les Ordres devaient se réunir le dimanche
d'Ocw/i 23 mars). Archives de Francfort, Reidistagsacten, t. XXXVI, fui. 2.
272 DIÈTE DE NUREMBERG. 1522.
outragées, les prêtres maltraités; le pays n'est plus qu'un vaste
incendie. On dit que le 15 mai les Turcs étaient encore campés près
de Leybach, au nombre d'environ vingt-quatre mille. Cependant per-
sonne n'a compassion des populations en péril, elles ne trouvent nulle
part aide e( appui. Personne ne se présente pour les défendre et
les guider; ni prince, ni chef ne vient leur rendre courage, chacun
attend que sa propre muraille brûle. Oh! que nos frères chrétiens
sont lâchement abandonnés! Personne ne prend à cœur la dignité,
l'honneur de la foi chrétienne, mais nul n'a garde d'oublier son
propre intérêt'! » Le Conseil de régence ordonna des processions
et des prières publiques pour obtenir de Dieu la cessation " du fléau
turc ». Tous les jours à midi, dans les villes, villages et hameaux, la
cloche avertissait les fidèles de prier Dieu « pour qu'il détournât sa
colère et donnât bonheur et victoire aux armes chrétiennes ^ ».
Le 7 avril, le comte palatin Frédéric, en sa qualité de lieutenant
impérial, annonça aux états que l'Empereur renonçait aux vingt
millehommes de pied et aux quatre mille cavaliers qui lui avaient été
accordés pour l'expédition romaine, ordonnant que lesdites troupes
fussent affectées aux nécessités si pressantes de la défense du pays.
Mais pour cette défense, aucun Ordre ne semblait porté à l'adoption
de mesures énergiques. " Selon l'us et coutume >', écrivait à Franc-
fort Philippe Fiirstenberg^, " des querelles de préséance éclatent au
sein de la diète, et pour de puériles disputes toutes les affaires
restent en suspens; notre bien est inutilement dévoré ^ » « L'im-
minence du péril avait fait espérer y., dit une circulaire du Conseil
publiée le 30 avril, « que les Électeurs et autres Ordres de l'Empire
se trouveraient à Nuremberg au jour marqué; mais un très-petit
nombre seulement s'étant rendu à notre appel, il a fallu remettre
l'ouverture de la diète au 1" septembre*. » En attendant, un nouvel
impôt fut prescrit, atteignant tous les Ordres et tous les sujets de
l'Empire % et le 8 mai, le procès-verbal de la séance portait que sur
les secours consentis à Worms, trois huitièmes seraient affectés
à la campagne turque. Les Ordres devaient fournir leur contribution
' Dans les Fontes rer. Austr., t. I, p. 458.
- * Circulaire du 28 mars 1522. Archives de Francfort, Reichsiagsacten, t. XXX VI,
fol. 6.
' * Philippe Fürstenberg, le lundi d'après les Rameaux M4avril 1522), Reichsiags-
acten, t. XXXVI, fol 11. ' Et il nous arrive un peu ce qui est arrivé aux Grecs
devant Troie :
Postquam délirant reges, plectuntur Achivi. •
* * Circulaire du dernier jour d'avril 1522. Beickstagsacten, t. XXXVI, fol. 14.
" Proposition du 30 avril : • que tous les Ordres et sujets de l'Empire doivent
s'imposer pour la campagne contre les Turcs •. Voy. Lumg, lieichsarcMv, t. II,
p. 4Ü5-408.
Ill^TK DE MJREMBER«;, DISCUSSIONS ENTRE LES Oit DR ES. 273
eiiar^enl, •• sans délai ni prétexte qiieicüu(|ue' . 'ioufefois les ren-
trées se faisaient avec une ■ lenteur désespérante . A la fin de juillet,
ni Worms ni Spire n'avaient encore rien fourni, de sorte que le Con-
seil dut sévir contre ces villes rebelles, ainsi ([ue contre d'autres
retardataires-. P>anctort, à laquelle, en un si pressant péril, le Con-
seil avait demandé un emprunt de 4,000 florins, refusa de venir en
aide à l'Empire, s'excusant sur les nombreuses guerres privées qu'elle
avait eu à subir, et sur la nécessité de construire plusieurs édifices
civils'.
La Diète, dont l'objet pressant était - le péril turc > , ne put s'ou-
vrir à Tepocjue convenue, car entre temps Franz de Sickiogen,
^' véritable Turc de linférieur • -, avait entrepris sa redoutable
aventure, et de tous les côtés des troubles, des émeutes menaçaient
d'éclater^ '- Les Ordres ne semblent guère disposés à ouvrir les
séances «, écrivait avec découragement Hamann de Holzliausen, dé-
puté de Francfort; « aucun prince nest encore arrivé; pour moi, je
voudrais être à la maison! ^ En vain l'archiduc Ferdinand, qui avait
succédé au comte palatin Frédéric dans la charge de lieutenant gé-
néral d'Empire, faisail-il les efforts les plus sincères pour mettre les
choses en mouvement : on allait jusqu'à douter que la Diète pût
avoir lieu".
Elle ne s'ouvrit que le 17 novembre, et les Ordres furent alors
informés que les délibérations porteraient sur les points suivants :
La recherche des moyens à prendre pour étabUr dans l'Empire une
paix solide et durable; l'organisation de la résistance contre les
Turcs, et les moyens de subvenir par des appointements fixes à l'en-
tretien des membres du Conseil de régence et de la Chambre impé-
riale \ Les choses en étaient venues à un tel point que vingt-six
villes libres, trente-huit prélats, quatre-vingt-douze comtes et sei-
' Recez du 8 mai 1522 dans la Xeue Sammlung der Heichsabschiede , t. II, p. 242-247.
* * Philippe Furstenber;; au conseil de Francfort, le dimanche après saint
Jacques (27 juillet) 1522. lieichstnysacten, t. XXXVI, fol. 34.
»* Reichstagsaclen, t. XXXVI, fol. 22-27.
* Voy. plus haut, p. 264.
* * Philippe Fürstenberg au conseil de Francfort, le samedi après la Nativité
de la Sainte Vierge 13 septembre) 1522. Reichstagsaclen, t. XXXVI, fol. 40. Le jeudi
après Elisabeth ^20 novembre), les Ordres réunis à la Diète envoyèrent aux
membres encore absents une sommation leur enjoignant de se rendre le plus
promptement possible à l'assemblée, à cause du danger pressant de l'invasion
turque, et parce que • de tout côté dans l'Kmpire s'élevaient des révoltes et des
troubles faisant redouter de grands malheurs =. — Reichsiagsacten, t. XXXVI,
fol. 86.
'* Hamann de Hozihausen au conseil de Francfort, le mercredi après saint
Michel 1,1" ectobrei 1522. Voy. aussi les lettres des 4, 8 et 9 octobre 1522 dans les
Reichstagsaclen, t. XXXVI. fol. 53. 55. 57, 5S.
'* Holzhausen, le 20 novembre 1522; c'était le lundi précédent (17 novembre ]
que la Diète avait été ouverte. Reiehsiagsaeten, t. XXXVI, fol. 84.
II. 18
274 DOLÉANCES DES VILLES. 1522.
gneurs, onze princes welches et sept princes allemands refusaient
de contribuer au maintien de ces deux grands organes du droit.
« Si Ton n'y apportait un prompt remède, leur arrêt, leur disso-
lution était à prévoir, et la rébellion, l'émeule, le mépris de toute
équité, en seraient les conséquences inévitables. « Mais les « déli-
bérations sur les remèdes à apporter au mal " venaient à peine de
s'ouvrir, que les Ordres, -< qui dans le péril actuel auraient dii tout
faire pour rester unis, commencèrent à s'aigrir les uns contre les
autres «. C'était chose < vraiment lamentable à voir, et presque capable
de faire désespérer >• ! Chacun se plaignait d'être plus imposé que
son voisin, et rejetait sur les autres la faute de la misère et du
malheur public'. En un mot, « toutes les plaies de l'Empire sem-
blaient se rouvrir à la fuis* ».
Les délégués des villes se plaignaient à bon droit de n'avoir pas
été invités à prendre part aux délibérations de la Diète; on s'était
contenté de les informer de ce qu'il avait plu aux électeurs, princes
et autres Ordres de décider, 't Les électeurs et princes sont d'hu-
meur et d'avis ■', disait le député de Francfort dans une de ses
dépêclies, " de n'accorder désormais aux villes ni rang ni voix dans
les assemblées et dans les discussions publiques. Ils se proposent de
les en exclure totalement ^ Or un tel procédé semblait naturel-
lement -■ inacceptable " aux députés urbains, en sorte qu'ils réso-
lurent de mettre l'occasion à profil pour dire une bonne fois leur
sentiment, et s'ouvrir franchement sur tous leurs griefs '-. Us pré-
parèrent donc un cahier de doléances.
" Jusque-là •, disaient-ils, ' les villes avaient tenu le même rang
que les autres Ordres dans les Diètes de l'Empire. Appelées aux
déUbérations des États généraux, leur avis y avait toujours eu un
grand poids. Elles avaient eu voix au Conseil, > il y avait de cela fort
peu de temps encore -, fout aussi bien que les princes et autres États,
et leurs députés avaient donné leur avis sur toutes les questions mises
en délibération par l'assemblée, " Maintenant, elles n'étaient même
plus représentées au Conseil; les affaires étaient discutées et décidées
sans leur participation. •- Or, dans les pénibles circonstances actuelles,
l'union de tous les Ordres était indispensable. Elles exprimaient
donc le vœu que les choses fussent rétablies dans leur premier état.
Les autres griefs des députés urbains avaient trait aux extrêmes
lenteurs de la justice executive, et surtout aux guerres privées, qui
' * Lettres de démenl Endres, Trêves, 27 novembre 1522. Voy. Trierischen Sa-
chen und B ruf schoflen, fol. 52.
^ Voy. UÖFLER, Adrian VI, p. 252.
'* Ilamann de Holzhausen, 17 décembre 1522. Frankfurter lieichsiagsaclen, t. XXWl,
fol. 102.
DIÈTE DE NUREMBERG, l,KS PRINCES CONTRE LES VIIJ.ES. 1523. 275
|)renaicnlde telles proporliotis (juc « nulle vie, nulle propriélc n'était
plus en sécurité >■, ce qui paralysait entièremeul l'essor du commerce.
Contrairement à tous les règlements établis pour le maintien de la
paix publique et de l'ordre, ^- les bourgeois, parents ou amis des
délégués '■'. étaient continuellement exposés aux plus grands dan-
gers sur les routes; leur bien était pillé, ou même brûlé en plein
champ, et les individus mutilés, lamentablement assassinés, roués de
coups, dévalisés, traînés au cachot. On voyait se commettre de tels
actes " qu'on n'en pourrait entendre le récit sans stupeur, même si
les Turcs en étaient les auteurs ». Cependant les coupables, (juelque
féroces et monstrueux qu'ils fussent, non-seulement restaient pour
la plupart impunis, mais encore étaient ostensiblement accueillis et
ménagés par les plus grands personnages. Si l'on ne mettait ordre
à un pareil scandale, il fallait s'attendre à la ruine complète de la
nation. De plus, il était absolument impossible de tolérer plus long-
temps les nouveaux règlements de douanes établis et autorisés par
les princes. Le peuple allemand, plus que tout autre, était surchargé
détaxes écrasantes et multiples, de frais d'escorte, de servitudes sans
nombre. « Il était contraire aux lois divines et humaines qu'un pou-
voir ou un Ordre, au détriment de tant d'autres, piit s'enrichir ainsi
à lui tout seul des sueurs, du sang et de la détresse des pauvres. >' On
savait assez la tournure séditieuse que prenaient de tous côtés les
événements; aussi importait-il grandement de ne pas écraser l'homme
qui n'avait que peu de ressources de charges de plus en plus oné-
reuses. Les villes exprimaient encore leur mécontentement égale-
ment motivé à propos des tribunaux ecclésiastiques, des abus de la
cour romaine et du système monétaire. Une quantité de pièces dont
la valeur avait baissé, et même de fausses monnaies, étaient intro-
duites habilement dans l'Empire, tandis que la bonne monnaie était
emportée dans les pays welches, aussi bien par les chrétiens que par
les Juifs, et cela dans des proportions énormes'.
Le 23 janvier 1523, les électeurs, princes et autres Ordres firent
connaître leur réponse aux délégués des villes. Pour ce qui regar-
dait leur rang à la Diète, ils ne pouvaient se plaindre d'avoir été lésés
en aucune façon, car jamais ils n'avaient eu voix délibérât ive au
Conseil. De temps en temps, il est vrai, ils avaient été admis dans
les comités, mais jamais en raison d'un droit acquis, et seule-
ment par faveur exceptionnelle. Quant à la lente exécution de la
justice, les villes en étaient les premières responsables. Elles n'étaient
' Supplikation der Stell. — Archives de Francfort, Reiclutagsacten, l. XXXVII,
fol. 27-38. En tout dix doléances, dont les plus importantes viennent d'être
citées.
18.
276 LA DIÈTE REFUSE L'IMPOT TURC 1522.
pas seules à souffrir du fléau des guerres privées; tous les Ordres
avaient à s'en plaindre comme elles, et les États se disposaient pré-
cisément à prendre d'importantes mesures pour le maintien de la
paix publique. Les impôts étaieut certainement lourds, mais ils avaient
été établis par l'Empereur lui-même, et il ne se pouvait faire que les
Ordres s'arrogeassent le droit « d'entraver, d'affaiblir en quelque
chose la main et le pouvoir de Sa Majesté Impériale ". Pourquoi les
villes n'avaient-elles pas apporté leurs doléances devant l'Empereur
lors de son séjour à Worms? Quant aux plaintes formulées contre
les tribunaux ecclésiastiques, on était en ce moment même en pour-
parlers avec Rome, sur la proposition même du Saint-Père. Les ordi-
naires étaient les premiers à souhaiter que dans leurs juridictions,
les règles de l'équité fussent remises en honneur. Pour les mon-
naies, c'était surtout dans les villes libres qu'elles avaient été altérées
par divers procédés malhonnêtes'.
Ces réponses « insultantes, ironiques, méprisantes '•, écrivait le
25 janvier 1523 Hamann de Holzhausen au conseil de Francfort,
« mécontentent vivement les députés urbains. Aussi, après s'être
réunis, ont-ils résolu de ne rien répondre, de ne consentir à rien,
et de ne pas apposer leur signature aux procès-verbaux préparés
parles États. - 11 écrivait le même jour au bourgmestre de Franc-
fort, Jean de Glaubourg : « Pour des nouvelles, je n'en ai pas à
vous mander, si ce n'est que le tour que prennent les événements
et les dissensions de ia Diète font craindre que de graves querelles
et des émeutes ne viennent à se produire! Que Dieu, par sa grâce
et miséricorde, détourne de nous de si grands malheurs! Cette
Diète, convoquée pour assurer la paix, n'a jusqu'ici d'autre résultat
que les querelles et les disputes auxquelles nous ne cessons de nous
livrer'. »
Mais ces dissentiments devinrent d'une extrême gravité lorsqu'il
s'agit de s'entendre sur la guerre contre les Turcs.
Les députés des villes ne voulurent ni concéder, ni payer '■ l'impôt
turc décrété à Nuremberg ». " Les cités ", disaient-ils, « comparati-
vement aux autres Ordres, sont, d'après ce plan, intolérablement
surchargées. >; Ils refusèrent également la prestation d'aucun secours
soit en argent, soit en troupes, pour la formation de l'armée de
quatre mille hommes dont les autres Ordres avaient garanti la levée
1* Anticorl auf die Supplikation der Städte, Reichslagsacten, t. XXXVill, fol. 347-357.
D'après la lettre d'IIolzbausen datée du 25 janvier (voy. la note suivante;, cette
réponse fut remise le vendredi après saint Sébastien (23 janvier) 1523.
^ ■ Ces deux lettres sont datées du dimanche de la conversion de saint Paul
(25 janvier) 1523. Reichsiagsacten, t. XXXVII, fol. 19-20.
I,A DI F. TE J{EFi;.SF. LMM POT TURC. l:.22. i^^
aux ambassadeurs de Hongrie présents à la Diète (J9 décembre
1522). La Hongrie, la Croatie, dans le plus extrême péril, avaient
imploré l'aide et le secours des Klats'. : Si nous revenons chez nous
sans réponse favorable «, avaient-ils déclaré, « les habitants de nos
malheureuses contrées, perdant toute espérance, changeront de sen-
timent et se tourneront vers les Turcs'. •' Mais les délégués des
villes restèrent impassibles et persistèrent dans leur relus, même
en apprenant que les chevaliers de Saint-.Iean, après une héroïque
résistance, s'étaient vus contraints de céder à la toute -puissance
ottomane et d'abandonner Rhodes, l'un des plus importants boule-
vards de la chrétienté. Les villes avaient plusieurs fois émis l'opi-
nion qu'il leur paraissait absolument impossible, inutile et vain, de
songer à combattre et à chasser les Turcs avec les seules forces de
l'Allemagne. Le Pape et tous les rois et pouvoirs chrétiens devaient
s'unir pour les refouler; mais si la nation allemande avait l'impru-
dence d'entreprendre à elle toute seule une pareille croisade, elle ne
recueillerait d'une guerre impossible que mépris, ruine et dommage.
Dans le cas où les Turcs pénétreraient au creur même du pays, alors,
disaient leurs délégués, chaque Ordre, chaque commune, les pou-
voirs spirituels et temporels réunis auraient à voter un impùt obli-
geant certaines classes de citoyens, mais laissant à toute commune
la tâche d'imposer elle-même ses bourgeois et ses subordonnés. Les
sommes ainsi recueillies subviendraient à l'entretien des troupes'.
< On ne sait plus ce que c'est que la concorde en Allemagne ",
mandait à Rome le légat Chieregato. « 11 faudra s'estimer bien heu-
reux si l'on parvient à faire voter un très-mince secours pour la cam-
pagne turque. Mais quant à savoir s'il sera vraiment fourni, l'avenir
seul nous l'apprendra, i; Le légat ayant demandé que, selon la volonté
de Charles-Quint, les troupes accordées à l'Empereur pour l'expédi-
tion romaine à la Diète de Worms fussent levées le plus tôt possible,
les Ordres répondirent que depuis que cette promesse avait été faite
' ' Pour plus de détails, voy. Sacri imperii ordinumfinalis responsio L'ngaricis oratori-
bus data in comiliis Xurembcrgentibus die Veneris posl Lucie (19 décembre) 1522. Reichs-
tagsacien. t. XXXVIII, fol. 21-25. On promit aux Hongrois que le Pape, l'Empereur,
la Bohême, l'Angleterre, la France, Venise et les autres puissances chrétiennes
délibéreraient ensemble en un lieu convenable, par l'organe de leurs ambassa-
deurs, sur les meilleurs moyens à prendre pour leur venir en aide. — lieichs-
tagsaclen, t. XXXVIH, fol. 10.
* ' Voy. Bathschlag dtr vom grossen Ausschuss verordneten litUhe, was der ungarischen
Botschaft tvegcn der begehrten Hülfe, zu antworten sei. Reichstagsacten, t. XXXVIII,fol. 7-12.
^ ■ Abschiedder Pollschaßen derFrey-und Reichsstett so yetzo auffürgcschlagenem Reichstag
zu Xüremberg vcrsamht geresen. — Voyez aussi une lettre de Holzhausen datée du
15 décembre 1522. Reichstagsacten, t. XXXVI, fol. 95-105. Le 19 décembre, les délé-
gués des cités réunis à Nuremberg prièrent instamment les villes dont les dé-
putés n'étaient pas encore arrivés d'envoyer sans retard leurs représentants à
la Diète, à cause du danger pressant et de l'angoisse générale. Fol. 104.
278 DIÈTE DE NUREMBERG. IMPOT DE FRONTIERE. 152.3,
l'état intérieur de TAllemagne avait empiré de telle sorte, qu'il serait
imprudent et même impossible d'envoyer pour le moment une si forte
armée loin du pays '.
Mais les discussions entre les villes et les autres Ordres furent sur-
tout envenimées par un projet de douane préparé par les États, et
que les villes déclarèrent « absolument odieux, et visiblement com-
biné dans le dessein de préparer leur ruine totale ".
't Pour l'entretien de la Chambre impériale et du Conseil de
régence, pour assurer au pouvoir exécutif le respect, la liberté
d'action et la possibilité de se faire obéir ", les États proposaient
d'établir un impôt sur toutes les denrées qui ne sont point indispen-
sables aux premières nécessités de la vie. Cet impôt devait être
exigible aussi bien pour l'exportation que pour l'importation, et se
monter à 4 0/0 sur le prix d'achat -.
Une telle mesure, assuraient les députés des villes dans un second
cahier de doléances envoyé aux États le 2 février 152.3, " était fait
pour ruiner entièrement le commerce et pour soulever les popula-
tions. Tous les ouvriers, tous les bons travailleurs se verraient con-
trainls de chercher une autre patrie. L'Allemagne serait absolument
dépouillée! Si les princes persistaient à la soutenir, il serait impos-
sible aux villes de signer le procès-verbal \ "
Les autres Ordres répondaient : Le nouvel impôt n'augmente en
rien les charges du peuple, puisque les marchandises indispensables
à la vie de tous les jours, vin, bière, bœufs, moutons, porcs et autres
bestiaux, fromage, sel, graisse, poisson frais ou salé, cuivre et cuir,
restent affranchies de toute taxe; les choses dont on peut se passer
sont seules imposées. Chacun, par conséquent, ne sera onéré
qu'autant qu'il le voudra bien, et dans la mesure de ses besoins de
' * Responsnm nunlio aposlolico datiim in re Hungarica , dans les lieichslagsacteii,
t. XXXVIII, fol. 38-13. En Allemagne, y lit-on, non parva bellorum intestino-
rum subpullulant fomenta, ex quihus maxime timendum, yie subito jion médiocre
erumpat incendium. Ob id, cum res Germania* iam sint in longe deteriori con-
ditione et sfatu, quam eo tempore, cum auxilia illa Cesarea; Maj. décréta fue-
rant, summa Providentia, consillo et deliberalione opus est, an nunc expédiât,
tantas copias a Germania mittere. » On lit dans le dialogue intitulé Entretien de
Franz de Sickingen avec saint Pierre et saint Georges à la porte du paradis : ■> Pendant ICS
deux dièles de Nuremberg on a tenu environ trente banquets contre les Turcs,
sans parler des courses, combats, promenades en traîneaux, représentations de
jongleurs, et autres sérieuses mesures. » Schade, Satiren, t. II, p. 59.
* Le projet d'impôt général sur les marchandises avait été élaboré par le mar-
grave Casimir de Brandebourg-Culmbach. Voy. son mémoire dans IIofler, Frän-
kische Studien, t. VIII, p. 309-310.
■' ' Die Eingabe der Stddte au/unser lieben Frauentag Purißcationis (2 février) 1523. —
Voy. aussi les remontrances de l'archiduc Ferdinand datées du 9 février, et la
réponse des villes le même jour. — Reichstagsacten, t. XXXVIII, fol. 365-375, 378-
387,
DIÈTE DK NtJREMBEKG. IMPOT DE ERONTIKRE. 1523. 279
luxe, c Comme l'impôt était destiné à l'entretien du Conseil de ré-
{jence et de la Chambre impériale, au mainlieu de la paix publique,
à la sécurité des roules, et que, p,râce à lui, la paix et le bon ordre
allaient refleurir dans l'Empire, il tournerait autant à l'avantage des
marchands qu'à celui de la clas.se ouvrière. Dans les pays étrangers,
comme personne ne Tignorait, un impôt analo{;ue et même plus
onéreux avait été établi pour la garantie des intérêts communs, et ni
le commerce ni les affaires en général ne semblaient en avoir souffert.
Au contraire, la prospérité de ces pays s'était encore accrue, parce
que la sécurité des roules avait été obtenue : c'est ce qui arriverait
également en Allemagne. En outre, il fallait considérer que la douane
de frontière serait surtout préjudiciable aux pays étrangers, à la
Bohème, à la Hongrie, à la Pologne, à l'Angleterre, où allaient et d'oii
venaient continuellement les marchandises imposées. Puis, comme
l'expliquait avec détail le texte de la loi nouvelle, l'impôt n'était
établi que pour cinq ans environ, à moins que l'Empereur et les
(»rdres n'en décidassent plus tard différemment. Pour lous ces mo-
tifs, il y avait lieu de s'étoncer que les délégués des cités ne vou-
lussent apercevoir dans la nouvelle taxe qu'une odieuse vexation,
et missent l'avantage de quelques marchands au-dessus de l'intérêt
de tant de milliers d'hommes. •' Quant à ce qui concernait les griefs
apportés de nouveau par les villes touchant - le siège et la voix ^,
les Élals se proposaient de les soumettre à l'Empereur, ainsi qu'aux
membres de l'assemblée absents pour le moment, et à la prochaine
Diète les villes recevraientune réponse positive. Mais quand bien même,
comme elles le désiraient si ardemment, elles obtiendraient voix déli-
bérativeau Conseil, elles ne devaient pas s'attendre à ce que leur avis
pût jamais contre-balancer les décisions de la majorité des Ordres,
car ce serait là » une nouveauté inouïe, une tyrannie nonpareille.
Il ne se pouvait que la volonté de tous ou de la majorité fiit
anéantie dès l'instant qu'elles n'y voudraient pas souscrire; les Etats
refuseraient toujours de s'assujettir ainsi à leur bon plaisir '. «
- A mon avis ><, écrivait Léonard d'Eck, chancelier de Bavière, au
duc Guillaume, '< les villes ne consentiront jamais à l'impôt de fron-
tière; elles s'adresseront probablement à l'Empereur lui-même, ou
bien à Ferdiuand, et si la Chambre impériale ou le Conseil de
régence veulent leur forcer la main sur ce point, quelques-uns
pensent qu'elles pourraient bien se tourner vers les Suisses, ou bien
vers les Français '. »
' * Antwort auf die Supplikation der Städte, Reichstagsacten, t. XXXVIII, p. 38S-400.
* Voy. Jör.G, p. 14-l.=i. Eck parlait avec la plus vive indi{jiiation de l'impôt de
frontière. Selon lui, il ue pouvait avoir d'autre résultat que l'opp -essiDii de tous
les princes et Ordres. > Ce même argent qui court maintenant chez nous par tant
280 LE CONSEIL DE REGENTE ET LES QUESTIONS RELIGIEUSES. 1521-1523
II
Mais les questions religieuses demeuraient le point le plus grave
des discussions de la Diète.
Le Conseil de régence, depuis son entrée eu exercice, n'avait eu
nulle part c; le pied solide •■ sur le terrain religieux. Il s'était con-
tenté de laisser aller les choses un peu à la dérive, ' tantôt penchant
vers Luther, tantôt s'opposant à ses progrès -. Il avait accordé si
peu d'attention à l'édit de Worms, dont l'Empereur avait cependant
réclamé l'exécution avec une vive instance, qu'à Nuremberg même,
a les livres luthériens étaient imprimés et vendus publiquement, et
que dans quelques chaires les prédicants prêchaient en toute sécu-
rité leur évangile, criblant tous les jours de grossiers outrages le
Pape, les évêques, les commandements de l'Église et les traditions les
plus vénérables -. Les juristes en droit romain, nombreux au Conseil,
étaient pour la plupart ennemis déclarés de l'ancien état de choses,
•' et fort amoureux des trésors et des biens de l'Église -. Ils aspi-
raient à l'heureux moment où les biens du clergé seraient partagés
et ou, la " morgue cléricale ^ étant humiliée, les évêques et le Pape
n'auraient plus aucun pouvoir sur eux. Alors, pensaient-ils, le règne
des laïques, le temps où les légistes prendraient ia place des princes
et des bourgeois, serait inauguré avec éclat '. En vain le duc Georges
s'était-il plaint à plusieurs reprises au Conseil des insultes dont Lu-
ther ne cessait d'accabler le Pape, l'Empereur, les princes du Saint-
Empire et le Conseil lui-même : le Conseil, lorsque ces libelles lui
avaient été présentés, s'était contenté d'écrire au duc : Nous voyons
que les outrages proférés contre Sa Sainteté et contre Sa Majesté
Impériale déplaisent fort à Votre Grâce, et nous faisons savoir à
Votre Grâce que nous ne tolérerions pas davantage l'injure faite à
Sa Majesté, si nous pouvions voir de nos yeux et nous rendre compte
par nous-mêmes'. » La vérité, c'est qu'on ne voulait rien savoir, rien
de mille florins ira à la maison dAutriche et y demeurera! Grâce ;"i ces contri-
butions, il (l'empereur Charles) pourra exiger des Allemands l'obéissance fran-
çaise et welche, et les mettre sous ce joug qui semble pourtant si intolérable à
tous nosprinces. - Eck gourmande les princes qui ont donnéleurassentiment à ce
projet : = En cela, nous voyons assez combien Dieu tous a rendus aveugles, princes,
pour que vous tombiez ainsi dans la panneau les yeux ouverts, comme des oi-
seaux dans un piège d'oiseleur! - — Voy. .)öi\g, t. XIV, p. 16.
' ' Clément Endres dans la lettre citée plus haut, p. 274, note 1.
* Voy. la correspondance du duc Georges avec l'autorité ecclésiastique par rap-
port à Luther, 1522-1523, dans Chmel, Aciemiüche, p. 21-24, 36-.39, 53-56. Voy. aussi
HÖFLER, Zur Kritik und Quellunhunde ,\ . II, p. 138-142. Hans de la Planitz à l'élec-
teur Frédéric, le 14 mai 1522, dans Kolde, Friedrich dtr lUeite, p. 63.
r.E rONSIML DE KÉGENCE ET LES OUESTIONS REf-IGIEnsES. 1521-1023. 281
opposer aux agissements de Luther, rien apprendre de ce qui con-
cernait l'active propajjandc luIlK-riennc. « Dans des fjucslions de
cette nature disait peu de temps après au duc (;eorf,es le comte
palatin Philippe, lieutenant impérial à ce moment, « nous n'avons
absolument qu'à laisser faire '. > Lorsque Sickinp,cn avait entrepris
sa grande campagne contre la constitution impériale au profit du
nouvel évangile, le chargé de pouvoir de Philippe au Conseil de
régence, Jean de Fuchsfein avait fait savoir à Sickingen " qu'il
pouvait avoir bon courage, parce que la majorité du Conseil était
favorablement disposée en sa faveur, et penchait grandement vers son
parti* '). Frédéric de Saxe, forcé par un ordre exprès de la Hégence
d'assister à la Diète de 1522, allait à peine jusqu'au bon vouloir, jamais
jusqu'aux actes; il n'avait jamais voulu se déclarer, et son inertie
servait admirablement les desseins de ceux qui trahissaient secrète-
ment l'Kmpereur et l'Empire, en excitant la révolte dans le domaine
temporel comme dans le domaine religieux. Sous sa protection,
Luther, '■ librement et impunément ' , pouvait à son gré non-seule-
ment décrier et honnir le roi d'Angleterre, allié de l'Empereur, mais
encore les princes allemands, les ducs de Bavière, les électeurs de
Brandebourg, les princes de HoheuzoUern et le duc Georges de Saxe.
Aussi ne se génait-il pas pour les appeler « homicides, tyrans, bour-
reaux du peuple '. « Dans mes rapports avec Sa Sainteté, Sa Majesté
Impériale et les autres Ordres ', écrivait un jour Frédéric à Luther,
« j'ai toujours donné à entendre que je n'avais jamais rien eu à démê-
ler ni avec vous ni avec vos partisans '. " 11 écrivait à l'Empereur qu'il
' Voy. Ranke, Deutsche Geschichte, t. II, p. 52.
* Voy. plus haut, p. 255.
» Spalalin à Luther, sous la dictée de l'Électeur, 13 mai 1523. Voy. Ri rkhaudt,
Luthers Briefwcclifcl. t. LVII. Frédéric avait fort peu de sollicitude pour les besoins
matériels de Luther; il le laissait se tirer d'affaire comme il pouvait dans tous
ses embarras pécuniaires. Les lettres de Luther à Spalatin, secrétaire particulier
de l'Électeur, sont, sous ce rapport, très-curieuses à consulter. En novembre 1526,
Luther écrit qu'il se voit forcé de faire dette sur dette; le trésorier du prince
ne se soucie nullement de lui; la nécessité et la misère le chasseront bientôt de
Wittemberi;, et il en saisira volontiers l'occasion, car il est dégoilté de la dureté
et de l'ingratitude de cette ville (duritiam et ingratitudinemi. De Wette, t. II,
p. 433. — Ce fait semble prouver que l'attachement du peuple pour lui ne devait
pas être bien vif. Le I" février 1524, Luther fait entendre de nouvelles plaintes.
Depuis deux ans déjà les religieux du couvent des Augustins n'ont touché aucune
dîme. Le trésorier les traite avec arrogance (satis imperiosus in nos frémit). De
"Wette, t. IF, p. 473. — Luther est encore plus amer dans une lettre datée de
la fin de 1524. En dépit de ses instantes prières, il ne reçoit rien. L'Électeur
ne semble pas se soucier de savoir s'il pourra, oui ou non, rester à Wittemberg;
il se serait depuis longtemps fixé ailleurs s'il n'eût craint que ce procédé ne
fût peu honorable à la cause de l'Évangile, et n'attirât sur la conduite du prince
quelque méchant blâme. Il n'avait pas voulu non plus qu'on parlât de lui comme
d'un proscrit, et que les ennemis de l'Évangile aient lieu de se réjouir de le voir
humilié. (Nisi contumelia Evangelii atque adeo principis me lenuisset, ne dicerer
282 ADRIEN VI ET LES ETATS DE NUREMBERG. 1522.
devrait cependant, comme il l'en avait tant de fois supplié, ne pas
exiger qu'il s'occupât de ces questions; il était affaibli par l'âge et la
maladie, incompétent dans ces matières, et d'ailleurs il savait peu
de chose ou rien, quant au remède qu'il conviendrait d'appliquer au
mal '. Son ministre, Jean de la Planitz, déclara au Conseil de ré-
gence que l'Électeur, malgré l'édit impérial, avait parfaitement le
droit d'autoriser Luther à rester à Wittemberg, car Luther n'ensei-
gnait aucune hérésie, et si l'on avait l'imprudence de le proscrire,
ses disciples et émules s'élèveraient à sa place, et prêcheraient alors
non-seulement contre l'Église, mais contre le christianisme et contre
Dieu, de sorte qu'une complète anarchie religieuse suivrait une me-
sure si impolitique -.
Il n'était que trop vrai, et déjà un semblable malheur, conséquence
naturelle de la révolte contre l'autorité de l'Église, se faisait pressen-
tir de tous côtés. " Les colonnes du temple imprudemment ébran-
lées faisaient chanceler avec elles tous les pouvoirs temporels : la
porte était ouverte à l'arbitraire. '
« Ceux qui ont insulté les lois de l'Église et les saints conciles •',
écrivait Adrien VI aux Ordres réunis à Nuremberg; « ceux qui n'ont
pas craint de jeter dans les flammes ou de lacérer les décrets des
saints Pères, refusant toute obéissance au suprême sacerdoce, se
soumettront-ils aux lois de l'Empire? Espérez-vous que des hommes
expuisus et l?etificarenliir hostes pietatis, quod sperant.) De Wette, t. II, p. 584.
La même année il se plaint à Jean Hess de l'avarice des princes : - Xikil viirum, si
principes in Eranjelio sua quœrunt et raptores novi raploribus veteribus insidieniur.
Lux orta est, qua videinus quid sit mundus, neinpe regauin Salanae. De Wette,
t. !I, p. 592. En 1525, Luther reçut en don de l'Électeur, qui s'était attribue la libre
disposition des biens ecclésiastiques, le couvent des Auijustins, ainsi que les
meubles, les ornements déj^lise et le jardin du monastère. Luther donna asile
dan.^ ce couvent à beaucoup de religieuses et de prêtres échappés de leurs cou-
vents. '' Un grand nombre d'objets ayant appartenu au couvent ont été déro-
bés '•v dit-il dans 1 inventaire qu'il dresse de tout ce qui était resté dans la
maison. Il vendit les plus belles chasubles, et du prix qu'il en retira nourrit et
entretint des religieuses et religieux (parmi lesquels se trouvaient plus d'un
vaurien) — Voy. Sfidemann, Luthers Grundbesitz, p. 481-483.
' Le 6 janvier 1523. Voy. Blchholtz, t. II, p. 10.
* Ranke, t. II, p. 50-51. Planitz écrivait le 14 mai 1522 à Frédéric de Saxe qu'il
ne serait pas éloigné d'admettre la doctrine du salut par la foi, mais qu'il était
scandalisé des paroles outrageantes, des injures perpétuelles que Luther adres-
sait sans cesse au Conseil de régence et à l'Empereur. Ce qui le concernait per-
sonnellement lui était indifférent, mais il craignait qu'avec le temps ces dis-
cours ne causa>sent des troubles fâcheux et n'aigrissent les esprits contre
l'Électeur. Frédéric lui répondit (26 mai) : - Nous n'avons point de part à ces
choses; ce n'est pas à notre connaissance et de notre consentement que le doc-
teur .Marlin Luther publie ces écrits, car s'il eût voulu nous en croire, il n'aurait
pas envoyé à notre cousin de Nuremberg son petit traité sur la communion
sous les deux espèces, et se fût abstenu de faire paraître bien d'autres ouvrages
encore, caries livres acrimonieux n'ont jamais été de notre goût. ■ — Kolde,
Friedrich der Weise, p. 64.
ADIUKN V[ ET LES KTATS DE NÜREMBEKG. 1522. 283
<|ui sous nos yeux s'emparent dos biens les plus sacrés n'élendroat
pas leurs mains sacrilèges vers les richesses des laïques? Épargne-
ront-ils vos tôles, eux qui ont frappé les oinis du Seigneur? »
Adrien se proposait de traiter les affaires religieuses avec les Etats
dans un esprit d'extrême condescendance.
il était impossible d'être animé d'intentions plus droites. Né à
Utrech, issu d'une famille bourgeoise d'Allemagne, élevé chez les
Frères de la vie commune, à ZwoUe, Adrien avait conquis de bonne
heure le respect général par sa piété, sa science et l'austérité de ses
mœurs. A Louvain, il avait occupé une chaire de théolo{>,ie; plus
tard, nommé précepteur du jeune Charles d'Autriche, il avait été
char{'é pendant quelque temps de la direction des affaires d'Espagne
en qualité de lieutenant impérial '. A la mort de Léon X, survenue
le 1" décembre 1521, il avait été élevé au trône pontifical par le
colléjje des cardinaux d'une façon tout à fait inattendue, et « à la
joie de tous les bons >. Depuis lors toutes ses préoccupations, tous
ses efforts s'étaient portés vers la réforme religieuse, l'amélioration
du clergé, la délivrance de la chrétienté du joug des Turcs, et la
tin des dissensions religieuses dans sa patrie d'Allemagne*.
' HÖ1LEU, Adrien VI, p. lO'J. Vov. le parallèle qu'il établit entre Adrien et
Léon \, p. 114. 280-201, 222.
^ V()\ . sur Adrien les ju{;ements portés par les contemporains. Höfler, Wahl
und Throbestcigunrj Adrians 11, p. 36-37. — Voici Comment Alber{^ati Vianesio,
bien que peu prévenu en faveur des Allemands en sa qualité d'Italien, appréciait
le caractère d'Adrien dans une lettre adressée au sénat de Bolo{;ne : ...méri-
tasse la sua santissima rila, che curlo in queslo mondo non ha pari : da poi ancora e
piacciuto alla divina dementia, che sia stato eletto in Somma l'ontifice... di
che la christiana repul)lica se n' ha da rallej^rare et rendere infinite jjratie all'
Altissimo, mag(i;iorrnente li subditi délia Santa Apostolica Sede. ■ F.^^ntuzzi,
.Votizie degli scrittori Bnlognesi, t. I, p. 137. — Le meilleur de tOus les plans de
réforme est celui qui fut remis au pape Adrien par le cardinal Egidius de
Viterbe, général des .VugUSiins. Voy. Hofler, Analecten zur Geschichte Deutschlands
und Italien. Compte rendu de la section historique de l'Académie des sciences
de Bavière, t. IV, p. 62-89. Kgidius supplie la cour de liome de s'appliquer à la
réforme des abus. Il demande la cessation absolue de la pluralité des bénéfices,
la complète abolition des commendes, la levée des bénéfices réservés, etc. Il
réclatne la nomination de personnes compétentes et capables aux grandes
charges ecclésiastiques. Par des concessions, de secrets accords ou même des
contrats positifs passés avec les princes, les choses en étaient venues à un tel
point que la plus grande partie des droits et des affaires ecclésiastiques
échappaient à la juridiction du Saint-Siège, pour être entièrement remis à la
libre disposition des princes. Il était urgent de restreindre le plus possible ces
concessions et de réformer ces abus. .Mais ces mesures si nécessaires devaient
être prises avec une grande circonspection, puisqu'il n'était que trop vrai que
les pontifes précédents, aux vues courtes et cupides, n'avaient pas rougi de
faire un tort profond à l'Église pour un avantage momentané, etc. C'est
sur le mémoire d'Egidius qu'Adrien se guida dans ses réformes; il nomma
une commission spécialement chargée d'écarter dans la question des indul-
gences tous les abus dont les ennemis de l'Église s'autorisaient pour justifier
leurs nouveautés. Il diminua de beaucoup les cas d'empêchements aux mariages.
284 ADRIEX VI ET LES ETATS DE NUREMBERG. 1522.
Le Pape s'exprimait ; avec une franchise sans égale > sur l'urgente
nécessité de réformer l'Église dans son chef et dans ses membres,
et particulièrement sur les abus de la cour romaine. ^ Nous savons 11,
fit-il déclarer aux Ordres par l'organe de son légat Francesco Chie-
regato, ■■■ que des actes qu'il faut détester ont été commis dans ces
derniers temps, et que les souverains pontifes n'en peuvent rejeter la
responsabilité '. Xous avons ä déplorer de graves abus dans les ques-
tions spirituelles , la transgression de beaucoup de lois existantes,
sans parler des illégalités et des scandales ^ Aussi ne peut-on, en
vérité, s'étonner que le mal se soit répandu du chef dans les membres.
Tous, nous nous sommes détournés du chemin de Injustice; tous
aussi, nous devons rendre à Dieu la gloire qui lui appartient unique-
ment, et nous humilier devant lui. Nous nous efforcerons, quant à
nous, d'accomplir notre devoir avec le plus de zèle possible, afin que
la cour romaine, de laquelle peut-être sont venus tant de maux, soit
la première aussi d'où parte la réforme, et que la santé reparaisse
là où le mal a eu son premier foyer. Nous nous sentons d'autant
plus obligés à prendre à cet égard de sérieuses mesures que nous
sommes témoins de l'ardeur avec laquelle le monde entier soupire
après la réforme de la cour romaine. Nous n'avons jamais ambi-
tionné le suprême sacerdoce; nous n'avons accepté la dignité de
premier pasteur que dans l'espoir de rendre à la sainte Eglise,
l'épouse du Sauveur, sa beauté primitive, de venir en aide aux oppri-
més, de donner les hautes charges ecclésiastiques à des homm.es ver-
tueux et savants; en un mot, de ne rien négliger des devoirs d'un
vrai pasteur de l'Église et d'un digne successeur de saint Pierre, m
Le Pape, animé des intentions les plus loyales, promit aux Ordres
que dorénavant les concordats seraient strictement respectés; que
pour l'investiture des grands emplois, on n'aurait égard qu'au mérite,
et qu'ils ne seraient confiés qu'à des hommes savants, pieux et éclai-
rés. Il réclama ensuite l'avis des États sur les moyens les plus oppor-
tuns d'arrêter les progrès des novateurs religieux.
abolissant par conséquent les dispenses qui en dépendaient, supprima un grand
nombre de cas réservés, de coadjutoreries, de survivances et autres usages qui
peu à peu s'étaient écartés des règles. Il abolit également un grand nombre de
charges auxquelles étaient attachés de grands revenus, et qui servaient bien
plus les goilts fastueux du clergé que les intérêts de la religion. Il prit soin de
ne confier les emplois ecclésiastiques qu"à des hommes pieux, éclairés; il avait
coutume de dire ; ■ Je veux orner les églises de prêtres, et non les prêtres
d'églises. Pour plus de détails, voyez Höfleu, Adrien II, p. 208, ff.
' " Scimus in hac sancta sede aliquot iam annis multa abominanda fuisse
abusus in spiritualibus, eicessus in mandatis et omnia denique in perversum
mutata. >
- ' ...Ut primum curia hax, unde forte omne hoc malum processit, rei";>r-
metur. •
ADRIEN VI ET LES KT AT. S DE NUREMBEliG. 15Î2. 285
Ce fut un in.s(;iQt solennel dans l'Iiisloire du peuple allemand.
Plein de coufianee et de bon vouloir, le Sainl-Père s'adressait aux
chefs s|)iritueis et temporels de ce peuple dont lui-même était issu,
et qu'il aimait si profondément. Il leur faisait part de ses douleurs, de
ses angoisses paternelles, de ses désirs pour le bien de la clirélienté,
réclamant leur conseil, leur aide, et les avertissant que si les institu-
tions ecclésiastiques venaient à s'écrouler, leur chute serait infailli-
blement suivie de la ruine des inslitulions temporelles. Si l'on lolère
ou excite dans le royaume les dissensions relijjieuses, les séditions
contre l'anforilé >■., disait-il, «jamais on ne parviendra à opposera la
fureur des Turcs une résistance heureuse, et des guerres intestines
s'élèveront au cœur même de l'Allemagne. " Le Pape insistait donc
pour la loyale exécution de l'édit de Worms. Tous les articles de foi
à propos desquels Luther s'écartait du symbole catholique avaient été
depuis longtemps définis par différents conciles; il était impossible
de remettre en question ce que les conciles généraux, ce que l'Église
universelle avait décidé et reçu comme article de foi. " Si nous tou-
chons à ce que l'Église a défini, dès lors il n'y aura plus rien de stable
ni de solide parmi les hommes. " « Jusqu'où iraient les disputes,
les querelles, si le premier présomptueux venu pouvait à son gré
nier ce qui a été confirmé et sanctifié non-seulement par le juge-
ment d'un ou de quelques liommes, mais par l'assenliment unanime
de tant de siècles, et par les plus sages d'entre les chrétiens? Si
Luther et les siens rejettent aujourd'hui les saints conciles, s'ils
anéantissent les lois et les ordonnances du passé, bouleversant tout
au gré de leur caprice et plongeant le monde entier dans la confu-
sion, il est évident qu'une telle conduite, s'ils y persévèrent, doit les
faire regarder comme ennemis et perturbateurs de la paix publique
par tous ceux à qui cette paix est chère '. •; Pour le redressement des
abus, la restauration de l'ancienne discipline religieuse, l'apaisement
des troubles, le nonce proposait aux Ordres un grand remède : la
convocation d'un concile (rcuménique dans une ville allemande-.
' Lettre d'Adrien aux princes, et son instruclion pour le nonce Cliieregato
datée du 2^ novembre 1522 dans Reynald, ad armum 1522, n" 60-71. Burmann,
Hadrianus II. sivc ânaUcla historica de Hadriano sexto TrajecCino, Papa Boviano [Trajecti
adRhenum). 1727, p. 375. Voy. Blchholtz, t. II, p. 7 22. — Voy. HÖfler, Anakcten
iur Geschichlc Deulsclilandund llalicns, p. 45-46, ei Adrien II, p. 260-275. Le bref d'Adrien
à l'électeur Frédéric de Saxe souvent réimprimé et qui passe pour authentique,
n'est pas un acte officiel, mais simplement un travail privé dil à Cochla-us. —
Voy. l'article d'OTTO dans le Katholik, ann. LUI, livraison d'août, p. 237-242.
* « Non defuturum pontificem suo muneri in toUendis acerbioribus imperiis,
si qua Germaniaï a Roniana curia imposita essent, mitigandis exactiouibus, abo-
lendis corruptelis, si qua' irrepsissent, atque etiam concilium œcumenicum ad
restituandam in prislinuni splendorem distiplinam ecclesiasticam, motusque
omnes scdandos in Germanica urbe celebraturum. ■ Ray.nald ad annum 1523,
n" 2. Chieregato écrivait le 20 janvier 1523 au marquis de Mantoue : « La sola
286 RÉPONSF DES ETATS AUX DECLARATIONS PAPALES. 1523.
Une commission élue par le Conseil de régence pour préparer
une réponse au Saint-Père, commission où les partisans de Luther
avaient la prépondérance, rédigea un mémoire qui portait en sub-
stance : qu'il était impossible de procéder contre Luther par voie
de rigueur; que si Ton usait de sévérité envers lui, ses partisans
crieraient aussitôt à l'oppression tyrannique de la vérité évangé-
lique et au maintien des abus; qu'il n'en résulterait que révolte et
apostasie. La commission dictait au Pape les moyens à prendre
pour arrêter le mal : il devait s'engager à respecter les concordats,
donner satisfaction aux griefs formulés contre la cour romaine;
surtout ne plus exiger d'annates, mais, à l'avenir, en faire la remise
au lieutenant impérial et au Conseil de régence. Sans l'adoption
de ces mesures il était inutile d'espérer que la paix, le droit et
l'ordre pussent être restaurés en Allemagne. Les laïques devaient
avoir droit de siéger et de voter au concile, qui serait convoqué
pour l'année suivante, avec l'assentiment de l'Empereur. Dans
ce concile, on délibérerait en général sur toutes les questions reli-
gieuses et sur tout ce qui était d'utilité publique. Si le Pape approu-
vait ces conclusions, le Conseil promettait d'agir auprès de Frédéric
de Saxe, ;ifin qu'il obtint de Luther que dorénavant ni lui ni ses par-
tisans n'écrivissent et n'enseignassent aucune chose pouvant fournir
au peuple le moindre prétexte à la révolte ou au scandale. L'Evangile
et l'Écriture sainte, d'après les textes approuvés par l'Église et d'après
le sens littéral, seraient seuls enseignés; les archevêques et évoques
exerceraient sur ce point une sévère surveillance, secondés par les
théologiens les plus éclairés. Outre cela, chez tous les imprimeurs et
libraires « ou aurait l'œil à ce que nul écrit pouvant exciter des que-
relles religieuses ne fût imprimé ni livré au public ' ».
causa del Luther hatanto radice qui che mille homini non bastaria ad eradicarle
non che so che sono solo, pur faro che si potro. Non si inancano minaccie, injurie,
libelli famosi et lutte quelle villanie che sono possibile ad supportare, lo credo
che la cosa homai sia tanto inanli, chella non possi andare più. • Sur les héré-
sies toujours grandissanles. il ajoute : Adesso hanno incoininzialo ad predicare
che! sacramento de lo altare non è vero sacrainenio et chel non si deve adorare,
ma sola si deve far in memoria de Christo. Item hanno suscitato che la B. Ver-
gine non hebbe alcuno merito havere portato Christo net sacrato utero et chella
pavtori più figlioli de Joseph, et ogni ziorno vanno del maie in peggio. IIofler,
Zur Kritik lind Quelleiihindc, t. II, p. 143. — Voy. aussi un mémoire adi'essé par le
légat aux Ordres : il voit dans le trouble qu'ont produit les doctrines de
Luther la véritable cause du mauvais état des affaires d'Allemagne. Une chro-
nique luthérienne écrite à Nuremberg commence le récit de la mission de Chie-
regato par ces paroles : ■ Anno lô22 : Le diable dirigea une fois de plus un légat
romain vers Nuremberg; il était envoyé par Adrien, pape maudit. Depuis ce
moment, la dcictrine de Luther est joliment arrangée! mais le démon a vu ses
espérances déçue^, car les paysans ne sont pas plus bêtes que d'autres, et ils ont
vu clair dans toutes ses ruses. » IIoflek, âdrim 11, p. 365.
' Voy. ce rapport dans les archives de Francfort, liewhstagsacten, t. XXXVIII,
fol. 99-109. — Voy. Höfler, Adrien II, p. 279-280.
RÉPONSK DES ÉTATS MX DÉCLARATIONS PAPALES, l=i23. -287
Parmi les membres de la tomniission, Jean de Sclnvarlzcnberg,
juriste romain, se faisait particulièrement remarquer. C'était un des
plus remuants apôtres de l'évangile luthérien. Peu de temps aupara-
vant il avait assisté à Lindau à l'assemblée des chevaliers convoquée
par Slckingen; c'est lui (jui avait notifié, dans le rapport adressé au
Saint-Père, l'article si important réclamant pour les laïques le droit
de siéger et de voter au concile, droit qui contrevenait absolument
aux anciens règlements de l'Égiise. Une « praticta « astrologique,
composée en vue de la circonstance, imprimée à Nuremberg, dédiée
au Conseil de régence et autorisée par un privilège spécial, con-
cluait de certaines conjonctions " dans la maison de .lupiter » qu'un
concile était de nécessité urgente, et qu'au sein de ce concile,
l'Empereur romain, non le Pape, prendrait en main la réforme, amé-
liorerait, corrigerait et plierait à ses lois l'Église du Christ et tous
les Ordres de l'Empire. Si, comme cela était à prévoir, le concile
rencontrait quelque résistance, « il fallait s'attendre à ce qu'une guerre
terrible, un trouble violent éclatât simultanément dans les princi-
pautés temporelles et ecclésiastiques » ; (^ les paysans, le commun
du peuple, formeraient des ligues dans beaucoup de localités,
s'uniraient, s'élèveraient contre leurs rois, leurs princes et supé-
rieurs spirituels et temporels, s'empareraient de tout ce qui leur
semblerait bon à prendre et n'épargneraient personne, de sorte
que, dans un très-court délai, l'Église devait s'attendre à la persé-
cution et à l'opprobre' «.
Le rapport de la commission fut soumis à l'examen des Ordres.
Les délégués des villes s'en montrèrent extrêmement satisfaits. Les
États, disaient-ils, savaient assez l'extension qu'avait prise la doc-
trine de Luther et combien elle avait excité de querelles et de
fâcheux dissentiments entre les laïques et le clergé, les autorités et
les sujets; les mesures rigoureuses, les actes de répression n'avaient
fait qu'empirer la situation, et les laïques n'en avaient montré
qu'une animosilé plus violente contre le clergé. Si, comme le de-
mandait la commission, le Pape et l'Empereur traitaient ensemble
toutes ces questions, les villes avaient la ferme confiance >< que non-
seulement les erreurs qui menaçaient d'envahir l'Église seraient pour
la plupart redressées, mais que beaucoup d'abus tomberaient d'eux-
mêmes, que les dissentiments entre les Ordres chrétiens prendraient
fin, et que les corps spirituels et temporels pourraient être main-
' Voy. F Rii.ht.Rica, Astrologie und Heformation, p. 156-158. Les plus fervents parmi
les catholiques désiraient, eux aussi, que l'Empereur, en sa qualité de tuteur
suprême de rÉjïlise, coopérât à la réforme religieuse et particulièrement à la
réforme du clergé. Lmser exprime clairement ce vœu dans un mémoire adressé
à 1 Empereur et intitulé : l'encaniung wyder den falsch gcnannlen Ecelesiaslen, etc.,
feuille O*.
288 RÉPONSE DES ÉTATS AUX DÉCLARATIONS PAPALES. 1523.
tenus dans leurs droits réciproques, de manière à procurer à l'Em-
pire la concorde et la paix' ".
Luther comptait peu d'adhérents parmi les princes de la Diète.
« Presque lous, princes spirituels ou temporels «, mandait le député
de Saxe, .leau de la Planitz, à Frédéric, ^■. sont opposés à Luther; mais
leurs conseillers, pour la plupart juristes en droit romain, sont en
très-grande partie bons luthériens. ^^ Pour le margrave Joachim de
Brandebourg, il était décidé à ne tolérer aucune nouveauté. H disait
un jour à Planitz à propos de Luther : « Je suis surpris que votre
mailre ait le courage d'approuver et de soutenir ce moine, auquel il
fait tant de concessions! Il nous met à tous bien des calamités sur
les bras! Je serais heureux d'être agréable à Sa Grâce, mais je ne
me laisserai jamais insulter par ce froc! Avec moi, sa peine est per-
due'! »
L'archiduc Ferdinand, en sa qualité de lieutenant impérial, et
avec lui les électeurs et les princes, répondirent au Pape et au
légat que, pour leur part, ils recevaient avec respect et reconnais-
sance les conseils du Saint-Père. « Les déclarations papales prou-
vaient avec évidence le zèle et le bon vouloir dont Adrien était animé,
car il n'oubliait aucun des devoirs d'un bon père et du premier
pasteur des brebis du Christ. « Chacun n'en était que plus obligé
à reconnaître ses propres erreurs et à travailler avec énergie à
la réforme chrétienne. Les innovations religieuses, les hérésies,
le mépris montré à l'Église, tout cela était odieux aux Ordres chré-
tiens du Saint-Empire; ils étaient tous portés et disposés à faire
ce qui serait en leur pouvoir pour arrêter le mal par des châti-
ments ou d'autres mesures efficaces. Ils reconnaissaient l'obéis-
sance qu'ils devaient à Sa Sainteté et à Sa Majesté Impériale, qu'ils
regardaient comme leurs chefs suprêmes. Ils étaient prêts à se
montrer aussi soumis envers eux que l'avait été leurs prédécesseurs,
ainsi que le voulait l'esprit du christianisme; s'ils n'avaient pas fait
exécuter l'édit de Worms, c'était pour les motifs les plus impérieux
et les plus plausibles, et pour éviter des maux plus grands encore que
ceux dont l'Allemagne gémissait. Longtemps avant Luther, la majo-
rité du peuple avait ouvert les yeux sur les nombreux abus existant
dans le clergé, sur les actes arbitraires dont la cour romaine se ren-
dait coupable, de sorte que les écrits du novateur n'avaient fait que
fortifier des pensées déjà latentes; si donc on eût pris le parti de la
sévérité, un mécontentement général se fiU produit; on eût crié à
l'oppression de la vérité évangélique, au maintien d'abus odieux et
' Réponse des déléfjués des villes. Archives de Francfort, Reichsiagsacten,
t. XXXVIII, foL 109''-ni.
' Dr,OYSE\, 2'', p. 105, 109, llî.
I5ÉP0NSE DES ÉTATS AUX DEC L A K AT I 0 N S PAPALES. 15-23. 28')
détestés, et de nombreuses délections eussent été le résultat de ces
mesures intempestives.
Sur ce point, les États étaient donc pleinement d'accord avec la
commission.
Ils demandaient comme elle avec une vive instance que le Pape,
pour le rétablissement de la paix et de la concorde, consentit à don-
ner satisfaction aux griefs de la nation, et les princes laïques .«e
chargèrent de les porter tous à la connaissance d'Adrien dans un
mémoire détaillé.
Tous avaient trait à des abus de pouvoir, vrais ou prétendus, dans
l'exercice de l'autorité spirituelle; à la sentence du ban, à l'immunité
des personnes ecclésiastiques, aux empiétements du clergé dans le
domaine temporel, aux dispenses, aux sommes versées pour les
indulgences, aux cas réservés et à d'autres lois ecclésiastiques. Nulle
part les fondements sacrés et le divin caractère de l'Église n'étaient
contestés'.
Relativement au concile désiré, les Ordres ne maintenaient pas la
clause si grave de la commission réclamant pour les laïques droit
de siéger et de voter. La convocation de ce concile était fixée à
l'année suivante; le Pape et l'Empereur devaient ensemble prendre
des mesures pour son organisation en Allemagne. Jusque-là, les
Ordres promettaient d'apporter le plus grand zèle à la répression
de l'hérésie, et s'engageaient à obtenir de Frédéric de Saxe qu'il
défendit à Luther et à ses adhérents d'écrire et de faire paraître de
nouveaux écrits ^ Frédéric, ils en avaient la confiance, aurait à
cœur de défendre la bonne cause en loyal électeur qu'il était. Les
électeurs et princes, ainsi que tous les Ordres ecclésiastiques, pro-
mettaient en outre d'employer toute leur autorité à l'intérieur de
leurs Etats pour qu'à l'avenir, et jusqu'au prochain concile, le saint
Évangile fiU expliqué dans la chaire chrétienne suivant les senti-
ments unanimement reçus dans l'Église, et que tout ce qui pourrait
exciter le peuple contre l'autorité ou lui donner sujet d'adopter
' Graramina sedis apostolkœ, non ferenda Germanis. Voy. LUMG, Reichsarchiv t. 11
p. 408-432. — IIORTLEDEU, Ursachen, p. 9-23. Ceux, dirait le légat, < qui Lutherura
sectari velint, quod propter sibi inflicta scandala et gravamina a Curia Romana
(etiam si verum iliud esset) deberecitnô unîtate caihoUcœfidei •^ro'çilerea resilire •
ne sauraient être excusés, surtout maintenant qu'un pape si saintement modéré,
et en outre Allemand de nai>sance, était as^is dans la ciiaire de Saint-Pierre
et prenait en main la réforme. R vynald, ad annun 1523, n" 15-20. — Voy. sur les
griefs en question Texcellent jugement porté par BucnnoLz, t. II, p. 29-34.
^ Par conséquent, nün-.>eulement, comme la commission s'était bornée à le
demander, dans les choses qui pourraient amener la révolte et la sédition >.
Le représentant de Frédéric à la Diète, Philippe de Feilit/.sch, déclara s'en tenir
à l'avis de la commission, et protesta contre le recez de la Diète. Lunig, Reichsarchic,
t. XIX, p. 111.
Il- 19
290 RÉPONSE DES ÉTATS AUX [)E C L A R A T I O iN S PAPALES. 1523.
l'erreur, tïit soigneusement écarté. « Les prédicateurs qui refuse-
raient de se soumettre seraient frappés par les ordinaires du châti-
ment mérité. Aucun livre ou brochure ne serait plus imprimé ou
vendu avant d'avoir été préalablement soumis à l'examen de théo-
logiens compétents. Il serait défendu, sous peine de châtiments
sévères, d'imprimer ou de vendre des pamphlets injurieux pour
l'Église. Le prêtre qui prendrait femme, le religieux qui abandon-
nerait son couvent, encourrait la perte de ses libertés, privilèges,
bénéfices et prébendes. Des ordonnances et des édits seraient publiés
dans tout l'Empire pour obliger l'autorité temporelle à n'entraver
en aucune manière les ordinaires dans l'exécution des peines qu'ils
jugeraient bon d'infliger, et à leur prêter main-forte pour la pro-
tection de l'autorité spirituelle pour le « châtiment des prêtres
apostats d'après les lois établies >.
La réponse des États, communiquée au nonce le 8 février 1523, fut
rendue publique le 6 mars et répandue ensuite dans les divers terri-
toires allemand? au nom de l'Empereur. Elle portait en termes exprès :
^ Rien ne sera prêché que la sainte Écriture, dans le sens approuvé
et reçu dans l'Église; aucun écrit nouveau ne sera expliqué, imprimé
ou vendu, sans l'autorisation, l'inspection préalable et spéciale de
personnes compétentes, ainsi que le veut le rescrit envoyé à Sa Sain-
teté. • En même temps, les Ordres prescrivaient pour tous les
dimanches et dans toutes les paroisses des prières publiques, et
demandaient aux fidèles « de prier humblement le Seigneur de daigner
préserver de l'hérésie qui croit et s'élève en ce moment de tous
côtés en Allemagne -, les autorités chrétiennes, ecclésiastiques et
temporelles, et tous les chrétiens en général, leur accordant sa grâce,
afin que tous ensemble puissent demeurer dans l'union de sentiments
que demande la sainte foi du Christ, se tenir attachés à cette foi,
y persévérer jusqu'à la mort, et parvenir par ce chemin à la félicité
du ciel'.
' Archives de Francfort, Reichsiagsactai, t. XXXVHI, fol. 344-345. Recez du
8 février 1523, Rekhstagsacien, t. XXXVflI, fol. 412-416. La dépêche d'Hamann
de Holzhausen au conseil de Francfort en établit la date llieichstagsacien.
t. XXXVII, fol. 30). Nous y lisons : - Le 8 février, les électeurs, les princes, les
Ordres ont terminé leurs séances ; mais je prévois que les recez ne seront pas
signés par tous les princes, parmi lesquels beaucoup feront fausse route. •
«Les villes libres, vers la fin de la Diète, ont donné aux princes de grands
sujets de mécontentement; pendant les délibérations, elles ne voulaient con-
sentir à rien. Quelque bon résultat sortira-t-il de tout cela, c'est ce que l'avenir
peut seul nous apprendre. » — Voyez la lettre de liernard, évéque de Trêves,
aux autorités d'Inspriick, 9 février 1523. Höfler, Zur Kritik und Quellenkunde,
t. II, p. 115. ' Vous pouvez nous en croire«, dit Bernard; ' de mémoire d'homme,
il n'y eut jamais de diète plus laborieuse... •
CHAPITRE VI
CONTINUATION UE L'AGITATION POLITIQUE ET UE LIGIEUSE.
DÉCADENCE DE LA VIE INTELLECTUELLE ET CHARITABLE.
Nulle parf, dans les coaclusions et recez de la Diète de Nurem-
berg, il n'était question de se séparer de Rome et de l'Église univer-
selle. Si l'on avait agi dans le sens qu'ils indiquaient, la nation alle-
mande n'en eiU point été détachée.
Mais le Conseil de régence fut le premier à les violer; il les vit
transgresser sous ses yeux sans paraître aucunement se soucier de
cette désobéissance. Aussi l'électeur de Saxe, d'autres princes avec
lui et la plupart des villes libres ne se firent-ils à leur tour aucun
scrupule de les regarder comme non avenus. Luther s'en préoc-
cupait moins que personne. Fort de l'appui que lui promettait la
révolution, il était, pour ainsi dire, dictateur en Saxe.
Les Elats s'étaient engagés à ne rien négliger pour empêcher que
lui ou ses partisans ne publiassent de nouveaux écrits avant l'ouver-
ture du concile. Ils avaient promis d'interdire, sous peine de châti-
ments sévères, " tout pamphlet injurieux pour la religion ». Mais
Luther ne reconnaît point de lois, de quelque côté qu'elles éma-
nent , écrivait le duc Georges de Saxe , « et d'ailleurs ceux qui
devraient le plus veiller à l'exécution des arrêts de la Diète sont
insouciants, faibles de cœur, pusillanimes ou impuissants. Aussi a-t-il
toute liberté pour insulter à sa guise le Pape, les évêques, l'Empe-
reur et les princes '. ^ Luther, prenant à partie le duc Georges,
l'avait traité de menteur, d'infâme calomniateur de la vérité évan-
gélique; Hans de la Planitz, ministre de l'Électeur, lui reprocha
vivement l'inconvenance d'un pareil langage; mais Luther pensa
se justifier en répondant que jamais encore il n'avait parlé du duc
comme il l'avait fait du Pape, des évêques, du roi d'Angleterre, et
qu'il avait plutôt beaucoup trop ménagé Georges, car il y avait long-
' Gloss und Comment, uff LXXX Artikeln und Ketiereyen der Lutherischen, etc. Bi. K*.
19.
292 NOUVEAUX LIBELLES DE LUTHER. 1523.
temps qu'il eût dû « empoigner plus vigoureusement " ce turbulent
despote. Il n'ignorait pas que le ton violent de ses écrits les faisait
attribuer au diable. En les lisant, on s'était attendu à voir le ciel
tomber sur la tête de leur auteur; mais il en était arrivé tout autre-
ment : " Nous sommes maintenant en un temps où l'on s'en prend
aux grands personnages, malgré toute la surprise qu'ils en éprouvent.
On verra bien, avec le temps, ce que Dieu avait en sa pensée '! » Il
est certain que Luther trailait le Pape encore plus brutalement que
Georges. Lorsque Adrien eut mis au nombre des saints Bennon,
évéque de Meissen (31 mai 1523), Luther publia un pamphlet intitulé :
Contre le nouveau J?tiche et le vieux diable quoii va béatifier à Meissen.
« Satan, qui vit toujours pour se moquer de Dieu «, y disait-il, " se
fait maintenant glorifier et adorer avec des vases d'or, d'argent, et
le plus pompeux appareil, sous le nom de Bennon. « « Dieu permet,
dans sa colère, que des tyrans et des persécuteurs aveugles et endurcis
comme le Pape et sa séquelle, qui ne veulent ni tolérer ni entendre
l'Évangile du salut, mettent leur confiance dans le mensonge,
l'imposture inouïe, l'œuvre du diable, afin d'être plus sûrement
damnés. » Dans ce nouveau libelle le Pape était de nouveau appelé
« hypocrite, détestable ennemi de Dieu et de sa parole >•. Six édi-
tions le répandirent dans tous les territoires allemands ^
La Diète avait décidé que les prêtres qui prendraient femme, les
religieux qui abandonneraient leur couvent, perdraient leurs privi-
lèges, leurs bénéfices et prébendes.
Luther, comme si tout cela eût été non avenu, publie, le 23 mars 1523,
une instruction adressée aux chevaliers de l'Ordre Teutouique où il
les exhorte à « violer leurs vœux, à se marier, puis à partager entre
eux les biens de l'Ordre ". " Vous jouissez », leur dit-il, " d'un rare
privilège; il a été largement pourvu à votre entretien lemjiorel;
il vous est donc facile de partager entre vous vos revenus, et de
devenir ensuite propriétaires, fonctionnaires, en un mot de vous
rendre utiles au pays d'une manière quelconque. Vous êtes à l'abri du
misérable motif qui retient tant de moines mendiants ou autres
religieux dans leurs monastères : je veux parler des nécessités du
ventre. « 11 n'était guère probable, selon lui, que les chevaliers
eussent quelque chàtimeat à redouter : « Je suis presque certain que
beaucoup d'évêques, d'abbés et autres seigneurs ecclésiastiques se
marieraient bien vite, pourvu que d'autres consentissent à leur en
donner l'exemple, que la voie leur fût aplanie et que les affranchis
' Le 4 février 1523 (mercredi après la Purifica(ion). De Wette, t. II, p. 306.
— Voy.HöFLER, Zum Kriiik und Quellenkunde, t. II, p. 135-137, et les passages extraits
des lettres de Planitz à l'électeur Frédéric, dans Buchholz, t. II, p. 26, note.
2 Sammtl. Werke, t. XXIV, p. 237-257.
NOUVEAUX LIBELLES DE LUTHKK. 1523. 293
fussent en assez {jrand nombre pour n'avoir aucune humiliation à
redouler, aucun risque à courir; mais il faudrait pour cela que la
chose passât pour louable et honorable aux yeux de tous. » Luther
exhortait donc les chevaliers à montrer le chemin à leurs frères, et
à donner « un consolant exemple ". « Voyez, voici maintenant le
temps favorable, voici le temps du salut! La parole de Dieu luit et
nous appelle. Vous ne manquez pas de bons motifs pour suivre mon
conseil; vouS êtes libres, et de plus il est de votre intérêt temporel
denrccouter. La seule chose qui puisse vous arrêter, c'est le jugement
d'un monde insensé. En effet, on dira : Voilà qui va bien! les che-
valiers de Sainl-.lean en font de belles! Mais ne savons-nous pas que
le prince de ce monde est déjà jugé? Ne doutons point que ses opi-
nions et celles du monde ne soient réprouvées par Dieu. " " Si Ton
allègue que la coutume des vœux religieux est une ancienne tradi-
tion qui remonte aux apôtres, qui a été enseignée et confirmée par
un grand nombre de conciles et par les saints Pères , sachez que
tout cela n'est qu'aveugle folie, car Dieu a dit : Je veux que tu
aies une aide, je ne veux pas que tu vives seul. Or Dieu était avant
tous les conciles et tous les Pères. Item, l'Écriture est aussi plus
ancienne, et elle a une bien autre autorité que tous les conciles et
tous les Pères mis ensemble. Item, les anges sont tous du côté de
Dieu et de l'Écriture. Item, l'usage établi depuis Adam est plus ancien
que l'usage établi par les papes. » Il n'était pas besoin d'attendre
sur ce point les décisions du futur concile, et Luther va jusqu'à
tracer les lignes suivantes : « Quand bien même un, deux, cent,
mille conciles et plus encore, auraient décidé que les clercs peuvent
se marier tout en restant fidèles à la parole de Dieu, j'aurais plus
d'indulgence, plus de confiance en la grâce de Dieu pour celui qui
aurait eu pendant sa vie une, deux ou trois concubines, que pour
uuautre qui, afin de se conformera la décision d'un concile, n'aurait
eu qu'une femme légitime, et sans cette décision, fiit resté dans le
célibat. Je voudrais enseigner à tous, au nom de Dieu, que personne
ne doit se marier parce qu'un concile l'y a autorisé, sous peine de
perdre son âme, et qu'il n'a qu'une chose à faire, c'est de commencer
par s'essayer à vivre dans la chasteté, puis, s'il comprend qu'une
telle vie est impossible, de ne point se décourager de sa faiblesse
et de son péché, et d'invoquer le secours de Dieu '. "
Dans un autre écrit, intitulé : Comment les vierges peuvent quitter
leur monastère sa7is désobéir à Dieu (avril 1523), il appelle Léonard
Koppe, bourgeois de ïorgau, qui, sur son conseil, venait de « déli-
• Siimmtl. Werke, t. XXIX, p. 17-33. — Voy. l'analyse de celte lettre, « chef-
d'œuvre de sophistique cbarnelle •, dans Rass, Convertiten seit der Reformation, t. I,
p. 443-446.
294 NOUVEAUX LIBELI-ES DE LUTilEH. 1523.
vrer ' du couvent de Nimptsch neuf religieuses (parmi lesquelles
se trouvait Catherine de Bora), le >< bienheureux larron ■■. Luther
le compare au Christ, qui, lui aussi, a été ici-bas un puissant ravis-
seur, ayant par sa mort dépouillé le prince du monde de son armure
et de ses biens. « Tous ceux qui sont du parti de Dieu doivent regarder
le rapt de ces religieuses comme une action très-louable, et Léonard
peut être certain que tout a été conduit par Dieu même, sans que sa
volonté ou son industrie y aient été pour quelque chose '. » Dans une
lettre adressée au Conseil de régence, il affirme que les vœux religieux
imposent à l'homme un devoir impossible à remplir : « Quel est celui
d'entre vous qui, ayant fait voeu de voler comme un oiseau, pourrait
accomplir sa promesse sans un miracle? Eh bien, il est tout aussi
difficile à un homme ou à une femme de garder le vœu de chasteté,
car Dieu n'a pas créé l'homme pour la chasteté, puisqu'il lui a dit :
Crois et multiplie. Celui qui voudrait retenir sa fiente ou son urine
ne le pourrait pas : que pouvons-nous donc faire '^^ "
Et dans un sermon sur le mariage, il donne comme un comman-
dement regardant tout le monde la doctrine suivante : « De même
qu'il n'est pas en mon pouvoir de n'être pas un homme, de même
il n'est pas en mon pouvoir de rester sans femme. Et vire versa : de
même qu'il n'est pas en ton pouvoir de n'être pas une femme, de même
il n'est pas en ton pouvoir de te passer d'homme. Car il ne s'agit
pas ici d'une chose laissée au caprice, ou simplement d'un conseil;
il s'agit d'un devoir de nature, d'une obligation indispensable. Tout
homme doit avoir une femme, et toute femme doit avoir un homme.
La parole que Dieu a prononcée : Croissez et multipliez, n'est
pas un commandement, elle est plus qu'un commandement; elle
procède d'une disposition divine qu'il n'est pas en notre pouvoir
d'entraver ou de laisser de côté, parce qu'elle est tout aussi impé-
rieusement vraie que mon titre d'homme est vrai. L'acte du mariage
est de nécessité plus urgente que le manger et le boire, plus imposé
que le vomissement ou le crachat, le sommeil ou la veille. » Sans
un appel particulier de Dieu, eùt-on fait mille vœux et serments,
employât-on la discipline d'acier ou de fer, personne ne devait se
laisser détourner par de vains raisonnements de ce commandement
divin : Croissez et multipliez. « Tous les moines et religieuses qui
n'ont pas la foi et se confient dans leur genre de vie et dans leur
chasteté «, dit Luther, « ne sont pas dignes de bercer un enfant
baptisé ou de lui faire de la bouillie, même s'il s'agissait de l'enfant
d'une fille ; car leur couvent et leur Ordre ne sont pas fondés sur la
Voy. DE Wette, t. II, p. 321.
De Wette, t. II, p. 372
NOUVEAUX LinKI.LES DE LUTIIEU. 152.S. 295
parole de Dieu, et ce qu'on y pratique est moins agréable à ses yeux
que ne Test la mère d'un enfant, même illejyitimc ' ! )-
Lullicr avait dès lors uu tel sentiment de sa puissance, qu'il
n'accordait aucune atlention aux ordres de l'électeur de Saxe. Fré-
déric ayant décidé que le service divin serait célébré comme par le
passé à Wiltemberg, et que le culte calliolique y serait mainlenu,
Luther, aux yeux duquel ce culte était « une abominable idolâ-
trie ', enjoint aux chanoines de la caihédrale (11 juin 1525)
d'avoir à l'interdire, pour ne pas donner aux gens le moindre motif
de penser que la parole de Dieu restât sans ibrce et sans fruit à
Wittemberg. (Jue si les chanoines refusaient de se « soumettre » et
d'adhérer au saint Évangile, Luther les avertit « qu'il ne les regardera
plus comme chrétiens ". Frédéric « pouvait à sa guise donner ou
refuser son consentement » , les fidèles n'avaient nullement à s'en préoc-
cuper, par la raison qu'il s'agissait là d'une question de conscience.
Et comme les chanoines, comptant sur l'appui de l'Électeur, ne fai-
saient pas mine d'obéir, Luther leur adresse une lettre de menace :
' Comme je pressens et m'aperçois «, leur déclare-t-il, « que la grande
patience que nous avons exercée envers l'idolâtrie, envers les usages
diaboliques et établis dans vos églises, n'a porté aucun fruit jusqu'ici,
mais plutôt a augmenté et fortifié votre obstination et votre audace,
je vous prie maintenant très-cordialement de mettre fin â toute
cette comédie séditieuse et sectaire, et je vous exprime le sérieux
désir de vous voir abolir les messes, les vigiles et tout ce qui est
contraire au saint Évangile; prenez en gré cet ordre, afin que nous
puissions affirmer devant Dieu et devant les hommes que vous êtes
décidés à renoncer à votre société diabolique et à la fuir désor-
mais. Que si vous vouliez résister, soyez certains que je n'aurai de
repos que quand je vous aurai contraints à l'obéissance et saurai
bien me passer de vos remerciments. Dirigez-vous d'après cet avis,
et sachez que je vous demande une réponse précise et nette, un oui
ou un non formel, dès dimanche prochain*. » La liberté évangé-
lique, si hautement proclamée par Luther, consistait donc, pour
les chanoines, à renoncer à leur foi, malgré leur conscience, pour
adhérer (^ à l'Évangile -. Quant à l'exécution de sa menace, Luther,
' Sämmtl. ll'erkc, t. \x, p. Ô8-59, 79-80. Les femmes aussi ie firent les apôtres
de semblables doctrines. Argula de Grumbacb, femme auteur d'un certain
talent, zélée disciple de Lutber, ardente à le défendre, écrivait en septembre
1523 au duc Guillaume de Bavière : ■ Prononcer le vœu de chasteté, c'est comme
si l'on faisait \œu de toucher le ciel avec le doigt, ou bien de voler; cela n'est
point au pouvoir de l'homme. » Lipowski, Beilage, VI. — Voy. les vers facétieux
adressés à Argula par un étudiant dliigolstadt, et sa réponse, Beilage, IV et V.
- Voy. DE Wette, t. II, p. 354-356, 365. — Voy. ces lettres dans Kolde, Frie-
drich der ll/'eise,p. 65-68.
296 EXPLICATIONS DONNÉES SUR DE PRETENDUS PRODIGES. 1523.
en cette occasion, ne pouvait compter sur le bras séculier, carTElec-
teur avait promis sa protection aux chanoines. En cas de résistance,
il eiU été obligé de s'appuyer sur la populace. Mais les chanoines ne
le mirent point dans cette nécessité. Ils cédèrent. Luther obtint ce
qu'il désirait : le culte catholique fut aboli à Wittemberg.
« Tous les moyens te sont bons pour propager tes hérésies ",
s'écriait un polémiste contemporain en s'adressant à lui ; " mais les
miracles, prétends-tu dans ta folie, ne sont pas expédients en ce
moment. Tu donnes ainsi à entendre que tu pourrais en opérer le
jour où cela te conviendrait'. Et dès maintenant, pour c)ntenter
et ta langue venimeuse et ta rage contre le Pape et l'Eglise, tu
essayes de te rendre populaire eu invoquant de prétendus pro-
diges-. ;>
Il en était vraiment ainsi. Luther et Mélanchthon, pour combattre
l'Église , exploitaient les bruits qui circulaient parmi le peuple tou-
chant des monstres fantastiques, des signes merveilleux dans le ciel,
des naissances prodigieuses sur la terre. Ainsi, par exemple, le
Tibre, à Rome, avait, assurait-on, vomi un animal épouvantable qui
avait la tète d'un àne, la poitrine et le ventre d'une femme, les
pieds d'un bœuf, un pied d'éiéphanl à la place de la main droite, des
écailles de poisson aux jambes et une tète de dragon au bas du
dos. Un autre animal merveilleux, produit avorté d'une vache, était
venu au monde à Waltersdorf, près Freiberg, en Misnie. Ces » ani-
maux prodigieux • remplissaient de terreur les imaginations, et Luther
et Mélanchthon entreprirent d'expliquer au peuple le sens mystérieux
de ces apparitions étranges. Cette Explication des deux horribles
figures, l'ànc-pape de Rome et le moine-veau de Freiberg, fut propagée
par beaucoup de brochures précédées de gravures (1523) '\
i: De même que Daniel avait prédit le règne de l'Antéchrist de
' Allusion au sermon pour le jour de l'Ascension publié par Luther
en 1522. Nous y lisons : ■ Maintenant que rÉvan[;ile est partout répandu
et qu'il est connu dans le monde entier, il n'est plus nécessaire de faire des
miracles comme au temps des apôtres; m;iis si la né'^essité le demandait, si la
cause du saint Évangile était en péril, il faudrait nous y mettre, et opérer des miracles
plutôt que de laisser outrager et opprimer l'Évangile. Toutefois, j'espère que
cela sera inutili\ et que les choses n'en viendront pas là. Il en est de même
pour le don des langues. Il n'est pas nécessaire que je parle neuf langues,
puisque vous pouvez tous m'entendra et me comprendre! • « Personne",
ajoutait-il, « ne devait avoir la témérité d opérer des miracles à moins
d'une nécessité urgente! > Sämmtl. Werke, t. XII, p. 200-201. — Voy. plus haut,
p. 167.
^ Gloss uttd Comment, uff LXXX Artikeln und Ketzereyen der Lutherischen, etc. Bl. 11.
' Voyez-en ia liste dans les Sämmtl. Werke, t. XXIX, p. 1-2.
EXPIJCATIONS UONNÉES SUR DE PRÉTENDUS PRODIGES. 1523. 297
Rome afin que tous les vrais chrétiens pussent être préservés de sa
malice, de même de nos jours, et dans le même but > , dit.Mélanchthon
expliquant l'ûne-pape, •• beaucoup de signes nous sont envoyés par
Dieu. " Dans l'animai merveilleux de Rome « le Seigneur lui-même »
avait voulu figurer l'abomination du papisme. La tête d'âne signi-
fiait le Pape; le pied d'éléphant, son gouvernement spirituel, par
lequel il foulait, angoissait et martyrisait les âmes. Le pied de bœuf
désignait les serviteurs du Pape, les docteurs papistes, les prédica-
teurs, curés et conlesseurs, et tout particulièrement les théologiens
scolastiques, ' car cette race maudite n'est occupée qu'à faire peser
sur le pauvre peuple les intolérables lois du Pape, dans ses prédica-
tions, docirincs et confessionnaux, tenant captives, comme sous un
pied d'éléphant, les consciences malheureuses; ils sont comme les
colonnes, le pied et la base du papisme, qui, sans eux, n'aurait jamais
pu se maintenir si longtemps, car la théologie scolastique n'est que
vanité, rêverie, mensonge, damnation, bavardage de Satan, songe
de moine «. — -' Le ventre et la poitrine de femme représentaient
les cardinaux, les évêques, les prêtres, les moines, les étudiants, et
semblables gens débauchés et pourceaux engraissés. Les écailles de
poisson signifiaient les princes et seigneurs temporels, attachés au
papisme et à son gouvernement. Ces princes soutiennent le papisme
comme s'il était légitime et comme s'il émanait de Dieu; ils défendent
son gouvernement spirituel et temporel, ses lois odieuses, ses doc-
trines, ses canons; ils conservent et augmentent ses revenus, à l'aide
desquels le clergé fonde des abbayes, des couvents, des Universités,
des églises, où les magisters, prédicateurs, confesseurs, docteurs
casuistes ou théologiens poursuivaient leur complot sur (,me large
échelle, le consolidant et l'affermissant à leur aise. " Mais la tête
placée au bas du dos annonçait que le papisme touchait à sa fin,
et que, sans l'appui de mains humaines, il tomberait bientôt de
lui-même de vétusté. " C'est pourquoi j'avertis tout le monde > ,
concluait Mélauchlhon, ' de ne pas mépriser ces g^rands signes de
Dieu, de se garder de l'Antéchrist maudit et de toute sa troupe, et
par conséquent des princes séculiers qui soutiennent le Pape. »
Luther fit suivre cette explication d'un ^ puissant Amen ».
L'âne-pape n'aurait rien de particulièrement effrayant «, dit-il,
' si Dieu lui-même n'avait envoyé et manifesté de telles merveilles
et de si monstrueuses images. Le monde entier doit en frémir
(l'épouvante, car la souveraine majesté de Dieu les a créés et pré-
sentés à nos yeux pour que son dessein et sa pensée fussent claire-
ment révélés au monde. » Si l'on ne pouvait s'empêcher de ressentir
de l'effroi à l'apparition d'un esprit ou d'un démon; si l'on tressail-
lait malgré soi dès qu'un bruit violent se faisait entendre, tout cela
298 EXPLICATIONS DONNÉES SUR DE PRETENDUS PRODIGES. 1523.
n'était que jeu d'enfant, comparé à cette horrible apparition, où
le jugement de Dieu se manifestait si clairement, d'une façon si
terrible.
De même que le pape-âne annonçait la chute de l'Antéchrist, le
moine-veau signifiait la ruine de toute la monacaille. ■ Le seul
aspect de ce veau nous prouve évidemment que Dieu est l'ennemi
de la moinerie. Mais les papistes obstinés ne voudront pas accep-
ter celte interprétation; ils n'y verront qu'une nouvelle raison de se
scandaliser et de s'abstenir, de sorte qu'ils ne parviendront jamais
à la véritable intelligence des choses, et ne corrigeront point leur
vie incrédule. De même que Balaam, pour n'avoir pas obéi à Dieu,
fut à la fin châtié par une ânesse, et néanmoins ne se convertit pas,
ainsi nos pères spirituels, après avoir, comme des vipères, bouché
leurs oreilles à l'Évangile, voient de leurs propres yeux comme
en un miroir ce qu'ils sont aux yeux de Dieu, l'estime où on les
tient dans le ciel, et cependant Dieu permet qu'ils ferment les yeux
pour ne rien apercevoir, de peur que, venant à se convertir, ils
n'échappent à sa terrible sentence. »
« Par tous ces signes miraculeux », Dieu donnait à entendre ' qu'un
grand désastre, une vaste révolution se préparait, révolution qui
très-certainement concernait l'Allemagne ». « Quels changements
verrons-nous s'opérer, et comment se produiront-ils? C'est aux
prophètes qu'il appartient de le dire. = La « lumière évangélique
qui s'était levée avec tant d'éclat » avait été suivie de tous côtés - de
grands bouleversements, par la faute des incrédules ' ». Les pro-
' Sammil. Werke, t. XXIX, p. 2-16. La lettre de Luther à Link (16 janvier 1523)
explique ces dernières paroles : « Unum nionstrorum ego interpréter, modo
omissa generali interpretatione monstrorum. quae sifjnificant cerio renan publi-
carum mutotioiiem per belln potissimum. Quo et mihi non est dubium Germaniœ
portendi lel summam belli calamitatcm vel exlremum diem : eiJO tantum versor in parti-
culari interpretatione, quae ad monachos pertinet. » — De Wette, t. II, p. 301.
Contre l'explication donnée par Luther du moine-veau, Emser publia sa brochure
intitulée U' y der den falsch genannten Ecclesi asten. II y soutient (feuille t. et V.) » que
le moine-veau ne désigne personne sinon Luther et les meines défroqués qui
lui font cortège, car depuis le commencement du monde -, dit-il, » des signes
si extraordinaires et s-iirnaturels ont toujours désigné les méchants et non les
bons. C'est pourquoi le froc, dans le veau représenté par la gravure, n'est pas
entier, mais morcelé et déchiré. » Le Bénédictin Nicolas Ellenbog, d'Otto-
beurn, composa quelques années après le l'ituU monachilis Lutheri covfutaiio pro
monasiicœ x-iiœ de/cnsione, écrit sur lequel On trouvera d'amples détails dans
Geiger, Ellenbog, p. 42-47. «Les monstres •, dit Ellenbog, « les défauts naturels,
les créatures venues au monde avec des signes contredisant les lois ordinaires
de la vie, ne sont nullement destinés à nous prédire l'avenir. On ne saurait
donc en conclure, comme Luther, qu'une tran.^formation est toute prête à
s'opérer dans le monde. - - La guerre des paysans », demande-t-il à Luther,
« serait-elle par hasard la suite de ce vitulus? A-t-elle été provoquée par un
événement surnaturel? N'a-t-elle pas bien plutôt sa raison d'être toute simple
dans les écrits pernicieux par lesquels tu excites les paysans et le peuple à se
RÉFUTATION DE LUTlIliR ET DU NOUVEL ÉVANfilLE. 299
pliètes, c'est-à-dire les astrologues, prédisaient depuis longtemps
qu'en 1521 de grands prodiges apparaîtraient au ciel et ^^ur la terre,
précédant le soulèvement général du peuple, et ce redoutable liunds-
c/ni/i, qui devait bientôt bouleverser les villes et les campagnes '.
il
« Les habitants des villes et des campagnes seraient pour ainsi dire
forcés de se révolter ", écrivait Cochlaeus en 1522, quand bien
même ils ne seraient pas positivement encouragés à prendre en main
l'arquebuse et le hoyau pour abattre et détruire ", tant sont nombreux
les pamphlets, les libelles qui circulent parmi le peuple contre l'autorité
papale et temporelle, et tous ceux qui, ayant en main pouvoir et
richesse, refusent d'abjurer la foi de leurs ancêtres. Luther lui-même
déclare que son Évangile ne saurait être prêché sans sédition et
sans émeute-; il déverse à pleines mains l'outrage et le mépris sur
soulever contre l'Empire et les moines ? • Qua tu, Luthere, ratione, qua philoso-
phia, qua scripluia clocebis illum consequentia : natus est vitulus monstrosus,
ergo prétendit nialum Allemannie ? Cur non Ualis, quum tarnen Ilaliam istis
temporibus maxiniis beilis attritam sciamus ? Verum quidem est, quod per
iiniversam AUtmanniam farta est iiisigniset iiiaudita rusticorum coutra domi-
nossuos conspiratio et tam nobiles quam monachi fu;;ere compulsi sunt de suis
locis ad civitates iiiuratas, ne incideient in manus rusticorum furientium. Sed
numquid id propter viiuhim tuum factum est? Id potissimum feceiunt tua
pesiifera scripta, quibus rusticos et pkbeios contra nobiles et reiigiosos conci-
lasti, et baec evangejii lui novi perfeclio, hic fructus. •
' Voy. plus haut, p. 200-201.
'■^ Dans un sermon publié en 1522 {Sermon pour le dimanche après l'Ascemion
du Seigneur], Luther dit : « Ici la raison s'écrie : Pourquoi ne pourrait-on pas
prêcher l'Évangile tout simplement, tout rondement, sans qu'il y ait des
révoltes dans le monde? Alois tout irait bien ! C'est te diable gui parle ai/isi; car
lorsque je crois et prêche que seule la foi dans le Christ opère et dirige tout,
je me heurte aux singeries du monde entier, je contredis ce que les plus sages
et les plus saints des hommes ont pensé jusqu'ici. Aussi ne peut-on toltrer un tel
langage. L'enseignement du Christ et celui des hommes ne sauraient marcher de
compagnie, l'un des deux doit nécessairement être vaincu, .le dis donc que
la foi chrétienne est uniquement fondée sur le Christ, et qu'il ne faut y ajou-
ter ni œuvres surérogatoires, ni lois humaines. Mais beaucoup ne veulent
renoncer à aucun prix à leurs lois, à leurs usages; de là les séditions. les dis-
sensions, les révoltes. Voilà pourquoi là où est l'Évangile et la confession du
christ, là surviennent les émeutes et le trouble, car sa parole renverse tout ce
qui lui est opposé dans la pensée de l'homme. De même que le Christ ne peut
cesser d'être le Christ, de même d'un moine ou d'un prêtre on ne peut faire
un chrétien. Par conséquent, là où sont les prêtres et les moines, un incendie
doit nécessairement s'allumer, et la guerre est inévitable. » Sümmtl. Werke,
t. XII, p. 245-246.
300 RÉFUTATION DE LUTHER ET DU NOUVEL EVANGILE
la doctrine des Pères et la foi de sa propre jeunesse '. " J'ose affir-
mer ", dit-il ailleurs en s'adressant à Luther, « que notre religion
n'a pas été outragée par Julien l'Apostat comme elle l'est aujourd'hui
par tes libelles et ceux de tes disciples; la presse les répand par mil-
liers en tous pays, dans les villes et jusque dans les moindres bour-
gades. " « Le bruit court qu'un Bundschuh se prépare, et en effet nous
pouvons nous attendre à le voir éclater; il ne lardera pas à mettre
en pièces tout ce qui est encore debout dans nos vieilles institu-
tions. » Luther veut enrichir par le Bundschuh les mendiants et les
nécessiteux; il veut leur abandonner toutes les abbayes (excepté celles
des nobles), les couvents, les oratoires des champs, les chapelles de
pèlerinages. En vérité, si la chance les favorise, ils auront là, en effet,
un joli bénéfice! « Je suis le premier à reconnaître que malheu-
reusement il existe beaucoup d'abus dans le clergé; mais à cause de
cela, faut-il donc jeter bas les églises et les monastères? Alors il faut
aussi détruire toutes les cours princières, car certes aucune d'elles
n'est irréprochable, toutes donnent asile à de nombreux vices! Tu
viendrais peut-être encore à bout de ce dessein à l'aide d'un Bunds-
chuh; mais comment feras-tu pour anéantir aussi toutes les profes-
sions, toutes les conditions humaines? Montre-moi une corporation,
un métier, un gouvernement, un état, une vie qui soient absolument
exempts de reproche! Tu prétends justifier tes doctrines hérétiques
en prétextant les iniquités et les scandales du clergé, et par de tels
discours tu (lattes adroitement et doucereusement le peuple. Tu ne
peux accuser Emser ni moi - de vouloir défendre et soutenir les vices
' cité dans le : Gloss und Comment, ujï LXXX .■ivlilcln und /i'etzereyen der Luther i schert,
Bl. L«.
- Jérôme Emser, dans un avertissement contre le soi-disant Ecclésiaste, Bl. M*,
N*et R, s'exprime ainsi : ■ Il est quelques abus qiii me déplaisent tout autant
qu'à Luther, et je loue les hommes éclairés et savants qui ne combattent ces
nombreux al)us qui s'enracinent encore tous les jours parmi nous, que par
devoir et charité chrétienne, avec bon sens, mesui'e, safjesse et tous les égards
convenable.s, non pour médire des évêques, mais pour affaiblir et extirper
tous les scandales qui répugnent à leur loyauté et leur sont insupportables.
Mais Luther diffame, maudit, tonne, se démène, rage comme un chien furieux,
sans raison, mesure ni sagesse, et l'on s'aperçoit bien vite que ses discours ne
proviennent pas d'un esprit de charité, mais d'un sentiment de dépit, de
colère, d'envie et de haine. Il ne parle point pour améliorer, mais pour
détruire; il en vent moins aux abus qu'aux archevêques et aux évêques, sim-
plement par^e qu'ils sont évêques et archevêques. » " Il est incontestable
que nous avons donné à nos accusateurs de grands sujets de prendre le ton
qu'ils affectent, que notre vie a été mauvaise, corrompue, que notre passion
pour les honneurs et pour l'argent est notoire, car il semble que nous vou-
lions accaparer le monde entier et faire tout entrer dans notre sac. •
" Il se pourrait bien que beaucoup, non-seulement d'évêques, mais de simples
ecclésiastiques, aient montré trop grossièrement leur cupidité au grand jour,
qu'ils aient inventé et ajouté de nouveaux motifs, plausibles en apparence, de
grossir la dîme qui leur est due. Il s'en trouve aussi qui prodiguent l'argent,
RÉFUTATION DE I-UTIIER ET DU NOUVEL EVANfiir.E. 3ÜI
et les scandales des clercs! Que Dieu nous en préserve! IJien plutôt
voudrions-nous t'aider à déraciner le mal là où la chose serait rai-
sonnable et juste, et où nous y pourrions apporter queUpie remède.
Mais Jésus-Christ ne nous a jamais indiqué le chemin où lu marches
avec tant d'emportement et d'orgueil. 11 ne nous a jamais parlé
d'Antéchrist, de filles publiques, de repaires du diable, de forfaits
hideux; il ne s'est pas servi des injures inouïes que tu profères, par-
lant sans cesse, outre cela, de glaive, de sang, de mains sanglantes!
0 Luther, jamais l'exemple du Christ n'a pu te tracer une pareille
voie, car le Christ était doux et humble de cœur! Tu accables
l'Église d'injures; tu la diffames publiquement, devant le monde
entier, aux yeux des chrétiens, des hussites, des .Juifs; tu ne cesses
de l'outrager par tes mille petits livrets, et tu t'élèves non-seulement
contre tes frères, mais contre le Père commun des fidèles, contre
le Pontife suprême de Dieu! Cependant, malgré tant de rage,
tu ne fais rien qui vaille; tu n'arrives ni à aider ni à corriger
les âmes. Tu ne réussis qu'à faire naître les scandales; tu es cause
de cent mille péchés de médisance et d'insulte. A tout cela, tu
mêles beaucoup d'erreurs, et tu gâtes toutes choses; tu fournis et
conseilles des moyens illégaux et antichréliens d'abolir les églises
et les monastères. ■> « Luther >-, dit plus loin Cochheus, « ne recrute
ses partisans que parmi les poètes, les paysans, les ennemis des
prêtres ou les pauvres hères qui espèrent gagner quelque chose
au Bundscliuh. Ceux-là ne se préoccupent guère de sa doctrine! Les
luthériens ne suivent leur chef qu'autant qu'il s'emporte contre la
prêtraille et les riches marchands. Si, grâce au Bundschuh, ils pou-
vaient happer les biens des prêtres et l'argent des gros bour-
geois, abolir les redevances et les dimes, ils redeviendraient
ensuite bien volontiers tout aussi bons chrétiens que l'ont été leurs
parents '. »
et pour lesquels un évêché est un morceau trop petit ^ -Que le Dieu tout-puissant
nous accorde la grâce de nous connaître nous-mêmes, d'améliorer notre vie,
chacun selon notre état, et nous donne la force d'édifier de nouveau le peuple,
afin que non-seulement notre doctrine, mais notre vie soit droite, féconde et
sainte! ^ — Voy. aussi les passages cités par Waldau, p. 38-40.
' Gloss und Comment, auf den 1 8 Arlikeln. Bl. B. C. '. Gloss und Comment, au/ 154 Artikeln,
Bl. A'. N^ et B'-^. ' Si vous croyez que Lutber vous prêche une saine doctrine,
pourquoi ne l'adopiez-vous pas? Pourquoi louez-vous les discours des réfor-
mateurs, et des que queliiU'un met ces discours en pratique vous scandalisez-
Yous au>sitôt de l'innovation? Si vous, moines vagabonds, vous, prêtres nouvel-
lement mariés, vous n'en observez rien, quel enseignement de Luther mettez-
vous donc en pratique? car il écrit et enseigne des choses encore plus gros-
sières. » (Bl. A *.) Luilier s'efforce de détacher les chrétiens de l'unité de l'Église
pour les joindre à la troupe bohème des hussites : ' Et cependant, Luther, toi-
même, il n'y a pas bien longtemps, tu avais coutume de blâmer les héi étiques,
non-seulement dans tes écrits, mais publiquement, témoin le jour de la dispuie
302 RÉFUTATION DE LUTHER ET DU NOUVEL EVANGILE.
Charles de Bodmann écrivait à son tour : « Même quand Luther,
sans doute pour se faire bien venir de son électeur, répète que
l'homme du peuple ne doit pas avoir recours à Tépée, ses libelles
excitent à la révolte et flattent toutes les passions. Comme on
les répand à profusion et par tous les moyens, il est impossible
que l'émeute n'éclate, et n'amène la ruine complète de l'ordre
social. Les évêques et autres supérieurs ecclésiastiques sont, à ses
yeux, des homicides et des brigands dont on est tenu de détruire
le gouvernement et qu'il faut à tout prix expulser du pays. Mais quel
système religieux érigera-t-il sur les débris de l'ancien? En vérité,
nul hérétique, avant Luther, n'a jamais fait de plus étranges récla-
mations que les siennes! Il veut que chacun puise sa propre foi dans
l'Écriture et soit lui-même juge de l'orthodoxie delà doctrine qu'on
lui expose. Or c'est ouvrir la porte à l'anarchie; des disputes sans
fin éclateront, et l'on verra s'élever et s'entre-dévorer des sectes de
tout genre '. »
« Nous autres chrétiens », dit Emser dans l'Adresse à l'Empereur
qui précède sou Avertissement contre le faux ecclésiaste et véritable
archihérétique Martin Luther (1524), " nous ne sommes plus appelés
chrétiens par les hérétiques; nous sommes à présent des papistes, et
les hauts feudat aires, électeurs, archevêques, évêques, princes du
Saint-Empire, attachés cà l'Église romaine et tes fidèles sujets, sont
outrageusement honnis, méprisés, persécutés, poursuivis et excités
les uns contre les autres. Tous doivent accepter d'un cœur résigné
de Leipzig, où tu as dit devant tout le monde : - Le docteur Ecli me représente
comme étant le disciple zélé et le protecteur du parti de Bohême. Que Dieu lui
pardonne cette calomnie qu'il m'adresse devant tant de hauts personnages!
L'idée de causer une scission criminelle ne m'est jamais venue à l'esprit
et me restera toujours étrangère; car les hussites, de leur chef et de leur
propre autorité, se sont séparés de l'union, et bien que le droit divin fût de
leur côté, cependant le droit divin qui doit tout primer consiste dans la charité,
dans l'union de sentiment. » « Luther, relis maintenant ces paroles, et tâche de
n'en point rougir! - Luther brise et rompt le bercail du Christ ; - I>'un dit ; Je
suis bon luthérien, j'aiderai les prêtres à quitter leurs presbytères. L'autre dit,
au contraire .- Moi, je suis pour le Pape, et je demeure dans l'ancienne foi. D'où
vient une telle division dans l'unique Église du Christ? 0 Luther, tu n'es pas
entré dans le bercail par la porte! J'ai peur, ou pour mieux dire je ne doute
aucunement que tu ne sois le voleur et l'homicide contre lequel Jésus-Christ
nous a mis en garde. Nous savons bien qu'il a ordonné à Pierre de paître ses
brebis, mais de toi et de ta mission nous ne savons absolument rien, car tu n'as
pour l'appuyer ni l'Écriture ni d'autres témoins. Gloss und Comment, au/ den
18 Ariikeln. Bl. A^. et B. — Voy. Bl. D., la raison pour laquelle Luther n'en appelle
jamais aux hussites, mais toujours aux Bohèmes, - bien qu'en Bohême, dans
beaucoup d'endroits, il y ait de bons, fidèles et pieux chrétiens, qui ne se sont
pas séparés de nous ^ .
' Lticubrationcs. p. 73. Bodmann, à l'appui des jugements qu'il porte sur Luther,
cite une instruction de ce dernier publiée en 1523 : Motifs pour lesquels une
assemblée chrétienne ou communauté chrétienne a le droit et le pouvoir d'apprécier toutes les
doctrines et d'élire ses docteurs. NOUS reviendrons plus tard sur cet écrit.]
lU'lFUTATrON DE f.UTIIKIi ET DU NOUVEL ÉVANGILE. 303
les horribles injures, les ignominies grossières dont la bouche
calomniatrice de Wittemberg, donf Luiher, qui se donne pour un
ecclésiaste, un prophète, un évangéliste, charge et accable nos pères
et nos seigneurs. Sa Sainteté le Pape, Sa Majesté Impériale, les
princes et les évéques du Saint-Empire romain. Dans quehiues-uns de
ses premiers ouvrages, il se vante effrontément de redouter aussi
peu la délaveur de l'Empereur et du Saint-Père qu'un une craint de
laisser tomber un .sac. Nos évéques les plus vénérables, il a coutume
de les appeler ânes, fantoches, niais, nigauds, assassins des âmes;
les princes du Conseil de régence sont à ses yeux des blasphéma-
teurs et des fous. Il ne se gêne point pour leur dire publiquement,
en pleine figure : Jean l'imbécile s'entendrait mieux à gouverner
que vous! .le ne veux pas répéter ici toutes les paroles grossières,
ignobles, par lesquelles cette bouche impudique blesse les oreilles
modestes et les cœurs chastes. » Emser conclut de tout cela que
Luther n'est ni un véritable ecclésiaste, ni un prophète, mais bien un
de ceux dont .lésus-Christ a dit : Gardez-vous des faux prophètes!
Il reconnaît Luther pour fiiux prophète à vingt signes indubi-
tables, dont voici les principaux :
Les vrais prophètes, apôtres et prédicateurs évangéliques n'ont
pas coutume de se vanter comme lui. Luther n'admet pas qu'en
dehors de lui quelqu'un puisse avoir quelque valeur : lui seul est
tout. Il méprise et déshonore également les morts et les vivants; il
assure que nul docteur ni Père de l'Église n'a, jusqu'à lui, compris
l'Evangile, et qu'avant lui, personne ne l'avait prêché selon son vrai
sens. A diverses reprises, Emser foit ressortir dans les paroles de
Luther une contradiction flagrante : « D'un côté «, dit-il, a il se plaint
d'être condamné par Rome sans avoir été entendu ni réfuté, et sou-
tient qu'il n'a pas été mis en état de plaider l'excellence de sa cause
devant les évéques; de l'autre, il déclare ne reconnaître à personne
ici-bas le droit de le juger; il ne souffrira pas, dit-il, que sa doctrine
soit attaquée, ou par les hommes, ou par les anges. Et maintenant je
voudrais qu'il me dise à quel tribunal veut s'en remettre celui qui
prétend n'avoir déjuge ni au ciel ni sur la terre '! »
> Luther recherche la faveur et l'amitié du monde, et ce n'est point
là le fait d'un vrai prophète. Il a séduit presque la moitié des
chrétiens, c'est-à-dire : les prêtres impudiques, auxquels il permet et
conseille de prendre femme; item les femmes, pour lesquelles il a
considériblement élargi le frein conjugal; item les moines et les reli-
gieuses que leur règle gênait, et auxquels il laisse toute liberté,
malgré leurs vœux, de s'échapper et de courir le monde, et cela afin
' Bl. cV et B'.
304 RÉFUTATION DE LUTHER ET DU NOUVEL ÉVANGILE.
que, comme la reiaede Chypre, il ne soit pas trouvé le seul coupable;
item les nobles auxquels il a dédié son livre de réforme, et qu'il
exhorte à faire ce que bon leur semble de leur épée, bien qu'ils ne
soient que les serviteurs et les sujets de l'Empereur; item le simple
peuple, auquel il promet la liberté, lui répétant qu'un chrétien indé-
pendant ne doit être soumis ni aux hommes ni aux lois. A tous ces
gens, Luther met un doux oreiller sous la tète; il les attire tous à
lui par des caresses et des flatteries. »
" Les véritables prophètes, apôtres et prédicateurs ", dit encore
Cochlaeus, « portent le peuple de Dieu à l'amour de la concorde
et de la paix; les faux prophètes, au contraire, lui enseignent
qu'il doit tremper ses mains dans le sang des prêtres. Car Luther
l'a dit ouvertement : quand bien même une grande tempête s'élève-
rait et déracinerait de ce monde le Pape et lesévêques, il ne faudrait
qu'en rire, et c'est d'un pareil sort qu'il les menace. S'il vit, il ne
leur laissera pas, dit-il, un seul moment de paix ; s'il meurt, ils seront
encore moins en sécurité, car ce sera surtout après sa mort que les
grands coups seront frappés '. "
Emser s'attache avec un soin particulier à réfuter la doctrine
luthérienne par excellence : la justification par la foi seule. L'Ecri-
ture en main, il expose dans toute sa pureté l'enseignement catho-
lique sur les bonnes œuvres, « doctrine que tous les vrais prophètes
et apôtres du Seigneur ont constamment enseignée «.
Sans la foi, il est vrai, les bonnes œuvres n'existeraient pas,
puisque sans la foi, qui doit partout avoir le premier rôle, nulle
action ne serait agréable à Dieu. « Mais si les bonnes œuvres,
accomplies dans la foi et inspirées par la charité chrétienne, ne sont
ni méritoires ni efficaces pour la vie éternelle, pourquoi donc
Jésus-Christ a-t-il enseigné que celui qui donne un verre d'eau
froide aux lèvres altérées recevra la récompense d'un si modique
service? Pourquoi a-t-il annoncé qu'au jour du jugement, s'adressant
à ses élus, il leur dira : Venez, les bénis de mon père, car j'ai eu
faim, et vous m'avez donné à manger, etc.? Que si une aussi petite
chose qu'un verre d'eau a son prix devant Dieu, quels mérites
n'amassent point les fervents religieux qui se mortifient durement,
qui affligent leur corps, qui dévouent leur vie pour l'amour de
Dieu? Que ne méritent pas les malheureuses veuves, les époux chré-
tiens, qui portent le même fardeau, partagent le même travail, et
élèvent leurs enfants dans la crainte de Dieu et la vertu? Item que
ne méritent pas les bons serviteurs qui obéissent fidèlement à leurs
maîtres pour l'amour de Dieu, qui leur sont soumis, et s'efforcent
iBl. D.
HÉl'UTATION DE 1>ÜTIIEK ET I)i; N O H V E f, ÉVANGILE. 305
d'être atlcrilils à leurs ordres? Ouels ne sont pas les mérites des
iiiagistrals el des autorités qui dirij^ent leurs administrés selon la
jusiice, les protéf^ent et leur assurent li sécurité et la paix? Kn
somme, il n'y a point de condition dans la chrétienté qui ne soit
méritoire, dès qu'on cherche à en accomplir les devoirs avec zèle et
conscience, dans la foi, dans la charité, et en vue de Dieu. Ceux
qui enseignent que nos bonnes œuvres ne peuvent être ([ue des
actions de grâce, qu'elles ne sont ni méritoires, ni nécessaires au
salut, sont de purs hérétiques et de faux prophètes, qui vont contre
la croyance de rÉp,lise chrétienne et contre les décisions de ses doc-
teurs. Il est vrai (|ue nous devons louer el remercier Dieu chaque
foisquenous avousaccompli une bonne action, puisque sans sa{;râce
et sa protection nous n'aurions pu ni l'entreprendre ni l'achever;
mais celte juste reconnaissance n'empêche point (pie chaque œuvre
ne conserve sa valeur; or le jeune, la prière et l'aumône en ont
une qui leur est propre. Chacune de ces saintes actions a son mérite
spécial el sa récompense particulière, de sorte qu'un jour les humbles
seront élevés, ceux qui pleurent consolés, les allâmes de justice ras-
sasiés, et que tous ceux qui auront fait ou souffert quelque chose
pour l'amour de Dieu seront récompensés pour cela même, et d'une
manière spéciale, car le Seigneur l'a expressément promis par ces
paroles : " lléjouissez-vous et tressaillez d'allégresse, parce que votre
récompense sera surabondante dans le ciel. » Voilà la saine doctrine
catholique et évangélique '. »
Emser revient à plusieurs reprises sur l'importance des l.onnes
œuvres pour le salut; il y insiste particulièrement dans les pages oii
il réfute les opinions de Luther touchant les vœux religieux : « Luther
prétend que ces vœux sont contraires aux commandements de Dieu
parce que, selon lui, les religieux se fondent sur un principe impie,
contraire à l>ieu, et s'imaginent gagner le paradis par leurs œuvres
et leur genre de vie; doctrine judaïque, dit-il, blessant le pre-
mier, deuxième et troisième commandement. » « Il ne se lasse pas
' Bl. 1)^-'' et E. Voy. V* et G-. I.a doctrine de l'Église sur les l)onne:i œuvrei est
très-fréquemment traitée dans les écrits apoiogiques et polémistes composés
pour le peuple à ceite époque, rlusieurs de ces écrits sont de véritables modèles,
et ont gardé toute leur valeur. Voy. deux brochures de Jean Dietenberger
(1523 etl524), intitulées: La foi sußt-elle pour le sa/ut ? tt : Les chrétiens peuvent-Us nnJri-
ler le ciel par leurs bonnes œuvres? — Dans l'une et l'autre domine cette pensée:
« Nos bonnes œuvres n'excluent pas la grâce de Dieu, mnis elles en sont accom-
pagnées, et s'accomplissent par un effet de la miiéricorde de Dieu. » Par consé-
quent • personne ne peut se croire sauvé par la foi de ses propres œuvres; nous
devons tous mettre notre unique espoir en la miséricorde de Dieu, source de nos
bonnes actions. Nous n'avons rien en propre dont nous puissions nous glorifier,
même nos meilleures actions. ■ Un traité non moins excellent, ccjt le Miroir
de la liberté évangélique (1524). Les tristes conséquences de la doctrine de la justifi-
cation par la foi seule y sont déjà indiquées. Voy. Bl. B.
n. 20
306 REFUTATION DE LUTHER ET DU NOUVEL ÉVANMLE.
de revenir sur ce sujet, comme un musicien qui ne sait jouer qu'un
air sur sa viole. Néanmoins, comme je l'ai déjà répété tant de fois,
on n'offense nullement Dieu par les bonnes œuvres, mais bien par
les mauvaises; d'ailleurs, les religieux n'attachent pas une (elle impor-
tance à leurs actions qu'ils en attendent l'infaillible salut de leur
âme; ils les regardent simplement comme un moyen, comme un
chemin bien tracé qui peut les conduire au ciel plus sûrement
qu'un autre. Car de même que Dieu ne fait pas croître le blé dans
les champs sans notre peine et notre labeur, de même il ne nous
ouvrira pas son paradis sans qne nous nous soyons exercés dans
son saint service, laissant le mal et faisant le bien. Et maintenant
si nous réfléchissons à ce à quoi les religieux s'engagent, jurant de
demeurer chastes, pauvres, obéissants, se vouant à la prière, aux
jeûnes, aux saintes veilles, au chant pieux, à la louange continuelle
de Dieu, nous reconnaîtrons que toutes ces actions seraient des
œuvres excellentes, même accomplies par des .luifs ou des païens.
Mais parce que les religieux les pratiquent au nom et pour l'amour
du Chrisl, ils sont bien éloignes d'agir contre le premier, le second
et le troisième commandement, et leur foi ne saurait s'appeler
judaïque; car les Juifs ne croient pas au Christ, et d'ailleurs les
Juifs ne seront pas condamnés à cause de leurs bonnes œuvres, mais
seulemcn! à cause de leur incrédulité. Que les pieux religieux ne
s'affligent donc pas de s'entendre perpétuellement appeler Juifs et
judaïques. En parlant ainsi, Luther, sans le savoir, dit la vérité,
comme autrefois Caïphe, car ils sont en effet ces vrais Juifs dont a
parlé saint Paul, qui ne sont point circoncis selon la chair, mais
selon l'esprit. '
11 n'est point d'état où ne se rencontrent des gens " orgueilleux,
cupides, impudiques, querelleurs, charnels et sans crainte de Dieu « ;
pourquoi donc s'étonner si quelques religieux cèdent en ce moment
à la tentation, et abandonnent leurs couvents? Le proverbe ne dit-
il pas que lorsque Satan veut exécuter quelque crime signalé, il
se sert généralement d'un moine ou d'une méchante vieille femme?
« Luther, pour engager les moines et les religieuses à quitter leur
couvent, leur promet les douceurs de la liberté; cependant à peine
l'ont-ils écouté, qu'il leur faut, au contraire, devenir les servi-
teurs de tout le monde; les uns apportent des pierres aux maçons,
les autres nettoient les latrines, d'autres chassent les chiens des
rues; en un mot, ce que personne ne fait volontiers, ces pauvres
gens sont obligés de s'en charger, semblables aux Juifs, contraints,
en Egypte, à porter de lourdes pierres sur leur dos. » « Revenez
à nous >, s'écrie Emser s'adressant aux religieux séduits; « revenez,
frères et sœurs égarés; hâtez-vous de reprendre votre premier vête-
RÉFUTATION DE LUTHER ET DU NOUVEL ÉVANGILE. 307
ment, afin que non-seulement nous, mais les anp,es du ciel avec nous,
nous puissions fêter votre retour'!
« Ou leconnait les vrais prophètes et les vrais apôtres », dit
encore Emser, ^ aux actes do vertu qu'ils accomplissent : ils sont
humbles, patients, obéissants, chastes, modestes, disciplinés, pieux,
craignant Dieu. Les faux prophètes et les faux prédicateurs, au con-
traire, produisent des fruits de discorde; ils enseignent aux peuples
l'orgueil, l'insolence, la présomption, Tentètement, l'attachement à
leur propre sens, l'insoumission, la révolte, la calomnie, l;i haine,
l'envie, l'impudicité, la paresse, la gourmandise, l'oubli de foute
crainte de Dieu. Or nous voyons tous les jours les résultats de la
nouvelle doctrine et des principes dans lesquels la jeunesse est formée
depuis trois ou quatre ans. Malheureusement, ces mauvaises semences
ont si bien germé qu'on ne voit presque plus de serviteurs disposés
à se soumettre à leurs maîtres ou maîtresses, sans parler des rap-
ports de l'enfant avec ses père et mère, ni de l'obéissance des sujets
envers l'autorité. Les luthériens ne craignent plus ni Dieu, ni per-
sonne au monde; ils méprisent tout commandement, toute loi, toute
discipline chrétienne, et Platon, pour ne point parler de Jésus-Christ,
ne les eiU jamais soufferts en sa république. » « Jamais on n'avait
vu parmi nous une semblable désolation, un tel trouble, un tel esprit
de sédition, et c'est la fausse doctrine de Luther qui est cause de
tout le mal. "
" El plût a Dieu qu'il se fiU borné à séduire le pauvre peuple, et
n'eût pas semé la zizanie entre les rois et les princes, nous prépa-
rant encore de plus grands maux! Car si les princes et les sei-
gneurs étaient restés unis de sentiment, ils auraient facilement
étouffé l'erreur et empêché le mal. « Emser craignait fort que Luther
ne fût cet homme dont il avait été prédit qu'il affligerait toute la
terre, troublerait les royaumes et les principautés, et y porterait la
dévastation et le désordre *.
Il était impossible de considérer la doctrine de Luther comme
« une bonne nouvelle % même en entendant ses partisans s'inti-
tuler évangélistes : « Lorsqu'on demande aux luthériens s'ils ont la
foi, s'ils sont chrétiens ou luthériens, ils répondent qu'ils sont évan-
géliques, ce qui est sans doute vrai s'ils entendent parler de l'évan-
gile de Luther, car si sa doctrine est un évangile, ils sont évidem-
ment évangéliques. Mais s'ils veulent parler de cet Évangile dont
la sainte Église nous atteste la vérité et qu'elle adopte et enseigne,
leurs paroles, leurs manières d'être et leurs actes s'accordent autant
^Bl. 0^ E*. II. Voy. .1. DiETENBERGER, Wider C XXXIX Schlussiede Luiher's ton Gelüh-
dniss und Geiill. Leben, ßl. C.-F.
*BI. E. H*.
20.
308 RÉFUTATION DE LUTHER ET DU NOUVEL E VAX M LE.
avec lui que le blanc avec le noir, le feu avec l'eau, le jour avec la
nuit, la lumière avec les ténèbres, et il faut convenir que leur évan-
gile à eux ne nous annonce rien de bon. »
Luther contribua indubitablement au sensible abaissement qui se
produisit à cette époque dans les mœurs, par les principes qu'il émet-
tait en pleine chaire sur les devoirs réciproques des époux '. Emser
consacre à ce sujet un chapitre spécial, où il se plaint de ce que la
doctrine chrétienne sur la sainteté du mariage ait été outragée. « Il
se voit contraint '-, dit-il, « de rappeler que Jésus-Christ, saint Paul et
les docteurs chrétiens les plus vénérés depuis la naissance de l'Eglise
1 Voy. plus haut p. 115, note 1. Cesparoles, tirées de la Captivité de Babylone, sont
répétées par Luther dans son sermon sur le niariafie publié en 1522. Il ajoute :
« J'ai donné ces conseils étant encore timide, mais maintenant je désire mieux
conseiller, et voudrais bien persuader à l'homme (qu'une femme, en ces ques-
tions, mène souvent par le bout du nez] que le mariage étant une action pure-
ment extérieure et physique, comme toute autre occupation temporelle, il s'en-
suit que le chrétien peut se marier et rester uni à un païen, un Juif ou un
Turc, sans aucune inquiétude de conscience. Il n'existe ni vice ni crime qui
puisse mettre obstacle au mariage. David rompit le mariage de Bethsabée, femme
d'Uri, et fit de plus périr son mari; il commit donc deux crimes; et cepen-
dant, sans donner d'argent au Pape, il garda Bethsabée pour femme, et eut
d'elle le roi Salomon. ^ Par rapport à la séparation des époux, Luther enseigne
encore : - Je reconnais trois causes de divorce : la première, c'est quand
l'homme ou h femme est impropre au mariage. ...L'autre, c'est l'adultère.
A cause de l'adultère, le Christ sépare l'homme et la femme, afin que celui qui
est innocent puisse choisir ailleurs." •• Mais pour se séparer ainsi, et de ma-
nière que l'un des mariés puisse faire un autre choix, il faut le pouvoir et
l'enquête de l'autorité laïiH>\ afin que l'adultère soit publiquement reconnu; que
si l'autorité refuse de prendre en main cette affaire, il faut du moins que le
divorce ait lieu au vu et au su de toute la congrégation, afin qu'il devienne
impossible de se séparer une seconde fois par pur caprice. Que si tu demandes :
Mais que fera celui des deux époux qui est coupable? Peut-être ne pourra-t-il
pas rester charte'.' Réponse : Voil'i pourquoi Dieu avait ordonné dans la loi
de Mo'ise de lapider les adultères, c'était al^n que cette question demeurât inu-
tile. Le bras séculier doit mettre à mort les adultères, car celui qui a violé sa
promesse de mariage est déjà comme mort et doit être considéré comme tel.
Aussi l'autre partie peut-elle se remarier, comme si son conjoint était mort,
s'il veut rester strictement dans son droit et ne pas lui faire grâce. Là où
l'autorité est négligente et n'agit pas, celui des deux époux qui a commis
l'adultère pourra se rendre dans un pay^ éloigné, et là se marier, s'il ne
peut vivre autrement. Mais il vaudrait mieux qu'il fût puni de mort, qu'il
ne fût plus parlé de lui, afin que tout mauvais exemple soit évité. Que si quel-
qu'un prétend combattre cette doctrine et dit : <■ Voilà de l'air et de 1 espace
accordé à tous les hommci et femmes vicieux! Us vont maintenant pouvoir se
séparer l'un de l'autre, puis aller se marier à leur guise dans les pays étrangers! •
Réponse : Qu'y puis-je faire ? c'est la faute de l'autorité! Pourquoi ne met-elle
pas à mort l'adultère? Je n'aurais pas besoin de donner un pareil conseil! » Le
troisième cas de divorce reconnu par Luther est celui-ci . ^ Quand l'une des
parties se dérobe à l'autre, et lui refuse ce qu'elle lui doit. » Tout ce passage
est impossible à reproduire à cause de son extrême indécence. Il se termine
ainsi : ■^ Il faut qu'ici V autorité temporelle intervienne et contraigne la femme , vu bien
la condamne à mort. Mais si l'autorité n'agit pas, l'homme doit s'imaginer que
sa femme lui a été ravie par les brigands, ou qu'elle a été assassinée, et chercher
une autre épouse. > Summtl. Werke, t. XX, p. 60-61, 65-66, 6J-73.
RÉFUTATIOIV DE LUTIIKU ET DU NOUVEL K VA N C I L K . 309
jusqu'à ce jour, ont recommandé à tous la pureté, la chasteté des
corps et des âmes '. »
« O vous, dignes Allemands, pieux chrétiens restés fidèles à la foi
du passé '), s'écrie Emser, « je vous exhorte, je vous conjure et vous
supplie, par l'amère Passion du Christ, de rester fermement atta-
chés à la religion de vos pères, et de ne vous laisser séduire en
aucune manière par ce nouveau Jéroboam, car ce qu'il se propose,
c'est de vous détourner, vous et vos enfants, des deux principales
vertus du chrétien : la fidélité à ranti([uc loi et Tobeissaiice aux supé-
rieurs. ') u Les hérétiques persuadent au peuple qu'on ne doit plus
aux religieux, au Pape, aux évéques, aux prêtres ou aux moines,
ni offrandes, ni redevances, ni dîmes, ni rétribution quelconcpie;
bien plus, ils soutiennent qu'il est légitime de les dépouiller de ce
qu'ils possèdent. Mes amis, pourquoi vous conseillent-ils ceci? Il
leur est cependant bien aisé de comprendre que lorsque les prêtres
n'auront plus absolument rien, il leur deviendra impossible de
s'adonner à la prière, à la prédication, d'administrer les sacrements
et de s'acquitter des autres fonctions qui sont indispensables au salut
du peuple chrétien et regardent spécialement leur ministère. » < Mais
ils savent que le meilleur moyen d'anéantir la foi chrétienne, c'est
d'abolir les prêtres, la messe, l'église, l'autel, les exercices et pra-
tiques chrétiennes, afin que toute consolation et espérance de salut
nous soit enlevée, que chacun vive ä sa guise, et que celui qui n'a
rien vienne puiser dans le sac de celui qui possède. Hélas! le peuple,
en son ignorance, ne réfléchit pas à tout cela ! 11 s'imagine que lors-
qu'il aura dépouillé et chassé les prêtres, tout ira bien, toute justice
sera accomplie, tout deviendra parfait; il ne prévoit guère quelle dé-
tresse serait la sienne si les désirs des hérétiques venaient à s'ac-
complir! ^ « O vous, pieux Allemands, songez â l'avertissement que
je vous donne ! »
« Je sais trop à quelles agressions, à quelles menaces, à quels dan-
gers je m'expose en entreprenant de défendre ces principes. J'ai
dû souffrir la persécution de ceux-là mêmes qui autrefois étaient
mes meilleurs amis. Mais en dépit de leurs torts envers moi, je
ne leur en veux nullement, et n'ai pas l'intention de leur causer
jamiiis la moindre peine ni le moindre dommage. Je vous supplie
tous de n'avoir à votre tour envers eux ni ressentiment ni aigreur,
' Bl. R'-*. Voy. .1. DlETENBEUGER, ion Mcnschenlcr, B. C. '. «L'Éciitlire est al)SOlii-
ment contre toi(Liuher); les raisons que tu apportes ne sont que pure duplicité,
tout ce que tu écris n'est qu'hypocrisie, belles paroles fleuries, combinées pour
séduire le simple peuple. Ta conscience est faussée; là où il faudrait parler de
péché, de conscience, tu ne vois aucun mal; là où il n'y a nul péché, tu en
forges. •
3ti0 DÉCADENCE DES LETTRES.
car celui qui hait son frère est uq homicide aux yeux de Dieu, et
digne d'être jugé. D'ailleurs, la plus grande partie des hérétiques
agit par ignorance; jusqu'ici ils n'ont pas bien compris de quoi il
s'agissait, ils ont été séduits, abusés, et très-certainement, lorsque
plus tard on les instruira de la vérité, nous les verrons dégager
leur main de celle de Luther. Mais, de grâce, vous et eux, et tous
ceux qui ne veulent pas être empoisonnés par la fausse doctrine,
renoncez aux livres de Luther, tel est le loyal conseil que je vous
donne; car bien que de temps en temps on y rencontre quelques
bonnes paroles, ils contiennent néanmoins tant de poison, que ce
poison finit par étouffer complètement la bonne semence. »
« En lisant le petit livre que voici ' , dit Emser en concluant et
s'adressant à l'Empereur, « Sa Majesté Impériale s'apercevra aisément
de la confusion d'idées où nous ont jetés la fausse docirine, le
délire et le faux zèle de Luther. Nous sommes entraînés et séduits;
non-seulement on cherche à nous détourner de la foi du passé, mais
encore de l'obéissance que nous te devons, à toi et à toute autorité.
Il en résulte que tout état, toute condition sociale est ébranlée
jusqu'en ses bases, et chancelle '. »
III
Les troubles religieux, comme il fallait s'y attendre, ne tardèrent
pas à produire un abaissement sensible et général dans la vie intel-
lectuelle.
Les Universités perdirent - en l'espace de peu d'années, et cela
avec une rapidité aussi lamentable que surprenante, tout le crédit
dont elles jouissaient >'. « La jeunesse studieuse », disait-on dès
1524, « ne s'applique plus aux saines études, et ne s'exerce plus que
dans l'art de la controverse religieuse. Les jeunes gens lisent,
écrivent, propagent des masses de petits traités et pamphlets; ils
deviennent grossiers, leur inconduite est notoire, et cependant ils se
donnent pour les apôtres d'une nouvelle sagesse, et prétendent
réformer la société*. "
Luther avait appelé les Universités des cavernes de malfaiteurs,
des temples de Moloch, des synagogues de perdition ^ Dans un ser-
mon prononcé en 1524 et reproduit par de nombreuses éditions, il
' Bl. V'-\
* Vov. Gloss und Comment, auf LXXX Arlikeln, ni. !,*.
• Voy. plus tiaut, p. 204.
DÉCADENC.K D K S LETTRES. 311
uvait été jusqn'a dire : " On devrait mettre le feu aux Universités,
car rien de plus infernal, de plus diabolique, n'a existé depuis le
commencement du monde, et jamais la (erre ne connaîtra rien
d'aussi pernicieux'. « A son exemple, Mélanchtlion, réfulant Emser,
avait dit (1511) « que rien de plus impie, de plus funeste que les
Universités, n'avait jamais été inventé; que ce n'étaient pas les papes
qui les avaient fondées, mais bien le diable en personne. Wiclef
avait eu le premier le mérite de les aj)peler publiquement les écoles
du démon; pouvait-il dire quelque chose de plus édifiant, de plus
sa[;e? On accusait les Juifs d'immoler des enfants à Moloch; mais
dans les Universités, les jeunes gens étaient sacrifiés aux idoles du
paganisme; celui qui aspirait au litre de docteur en philosophie
n'était plus digne du nom de chrétiens »
La haine passionnée de Luther et, à cette époque, de Mélanchthon
pour les Universités, provenait de leur violente antipathie pour la
philosophie et pour l'usage qu'on en faisait dans les disputes reli-
gieuses. Ils détestaient encore les Universités, parce qu'elles avaient
toujours fait grand état de la " lumière naturelle » ; qu'elles avaient
célébré la raison comme un instrument donné par Dieu pour scruter
la vérité religieuse, et constamment cherché à mettre d'accord la foi
et la science '. Au reste, Mélanchthon ne tarda pas à revenir de ses
emportements; mais Luther, jusqu'à la fin de sa vie, soutint que la
raison « est l'épouse du diable >; que c'est ■■• une belle courtisane, une
prostituée maudite, une fille de mauvaise vie revêtue de haillons,
couverte de lèpre, et la plus grande gourgandine de Satan ». 11
répétait qu'il fallait « fouler aux pieds sa sagesse prétendue,
l'exterminer, lui jeter de l'ordure au visage pour la rendre plus
hideuse encore, et forcer cette infâme prostituée à se cacher dans
les latrines ^ » .
• Sammil. Werke, t. VII, p. 63. Sermon sur l'épitre aux Romains, t. XV, p. 4-13.
La haine de Luther pour Aristote lui inspirait ces jugements. Il eu voulait à
« ce païen stérile, vide de science et plein de ténèbres ". Ces passages ne se
trouvent que dans les plus anciennes éditions du sermon. — (Voy. Sdmmtl.
Werke, t. YI[, p. 63, note 59 — Dans une lettre à Jean Lange, Luther appelle
Aristote « calomniateur éhonté, comédien, Protée, le plus rusé corrupteur des
esprits. Si Aristote n'avait pas réellement existé en chair et en os, on pourrait,
sans nul scrupule, le tenir pour le démon en personne. » Bien éloigné de par-
tager sur ce point les idées de Luther, Mélanchthon se donna plus tard toutes
les peines imaginables pour remettre en honneur l'étude de la philosophie
d.\ristote. ■ lin vérité, sans cet écrivain », ce sont ses propres expressions,
« nori-seulement il ne pourrait y avoir de vraie philosophie, mais encore nous
n'aurions jamais possédé une saine méthode pédagogique. > — Voy. Döllin-
GEI\, Reformation, t. l (2^ édit.), p. 478, note 101.
' Corp. Reform., t. I, p. 286-358. — Voy. P.vulse.n, p 135-136.
' Voy. DÖLLINGER, Riformation, l. I (2= éd.), p. 476-477.
* Voy. DÖLLINGER, Reformation, t. I (2^ édit ), p. 479-i82. J'ignore de quel écrit
312 DÉCADENCE DES LETTRES. 1523.
D'innombrables prédicants tenaient le même langage, et se répan-
daient en injures contre toute notion rationnelle, contre toute science
profane.
Après les Universités, ce furent les belles-lettres et les humanités
qui reçurent les plus rudes coups. Avant le début des querelles reli-
gieuses, elles avaient pris un tel essor « que Cicéron lui-même «,
assurait-on, « n'aurait eu qu'à se cacher dans un petit coin s'il eût
pu revenir au monde ". Mais ce bel élan avait été de courte durée.
« Partout où la doctrine luthérienne prévaut », écrivait Érasme à
Pirkheimer, « les sciences dépérissent, car les nouveaux convertis ne
recherchent que deux choses : une place et une femme. Une fois ceci
obtenu, TÉvangile leur donne pleine liberté de vivre à leur guise'. "
" Sous prétexte d'Évangile », écrivait d'Erfurt l'humaniste Eoban
Hessus (1525), « les moines sortis de leurs couvents étouffent complè-
tement l'essor des belles-lettres. Dans leurs funestes prédications, ils
dépouillent les bonnes études du respect qui leur est di^ pour mieux
prôner leur sagesse prétendue. Noire Université est complètement
déserte, et nous sommes tombés dans le mépris public ^ ' « Nous
en sommes venus à un tel point », écrit-il avec douleur à son ami
Camérarius, " qu'il ne nous reste plus que le souvenir de notre
ancienne gloire. L'espoir de la voir renaître disparait même entière-
ment \ » « Notre Université est tombée », mande à son tour en
gémissant Euricius Cordus à son ami Draconites (1523); « les étu-
diants mènent une vie tellement dissolue que, parmi eux, on pour-
rait se croire dans un camp de soldats; aussi la vie m'est-elle devenue
à charge. » " Dans quel triste abaissement nous voyons maintenant
la science! » écrit vers la même époque l'humaniste Nossen. >< Per-
sonne ne saurait voir avec indifférence à quel point le zèle pour la
science et la vertu sont éteints parmi nous. Ce qui m'afflige le plus,
c'est la crainte qu'une fois les fondements des sciences sapés, toute
piété ne soit du même coup ruinée, et que nous ne voyions repa-
raître une barbarie capable d'anéantir les derniers et faibles vestiges
de la religion et des lettres ^ »
« Personne n'aurait jamaispu croire »,rapporteea cette même année
(1523) le doyen de la faculté de philosophie d'Erfurt dans un compte
de Luther Dollinyer a extrait le passage suivant : " Deux et cinq font sept; ceci,
je puis le concevoir par ma raison; mais s'il m'était dit d'en haut : \on, cela
fait huit, je devrais le troire, contre ma raison et mon sentiment. Aussi le
diable n'est-;l occupé qu'à persuader aux prêtres de Rome de luciurerla volonté
et l'œuvie de Dieu aux règles ordinaires de la raison. •
' Op. IV, p. 1139.
- Voy. ScHAVERTZELL, p. 37. — Krilse, Eobaiius Hessus, t. I, p. 330.
^ Kampschllte, t. II, p. 201.
* kXAlPSCHLLTE, l. II, p. 175, 180.
DÉCADENCK DES I.ETTliKS. (523. 313
rendu officiel, < qu'en si peu de temps notre Universilé viendrait
ainsi à déchoir, et qu'à peine une ombre de sa splendeur passée
subsisterait encore! O douleur! c'est cependant le spectacle qui
frappe maintenant nos regards! On parle de telle façon de l'Univer-
sité dans les chaires chrétiennes, que tout ce qui était en honneur
autrefois est à préseul criblé d'outrages. » « Les éludes scientifiques
sont abaudonnéeset méprisées >-, écrit le recteurde l'université; « la
jeunesse a maintenant horreur des grades académiques; toute disci-
pline a disparu. " « Mais qu'y a-f-il là d'étonnant? » ajoute-t-il;
" comment être surpris de ce qui se passe pour nos écoles, lorsque
nous voyons la religion elle-même, qui, durant tant de siècles, avait
joui du respect de fous, n'être plus à l'abri des insultes? Nos
péchés ont mérité (|ue la h;iine des sectaires s'attaque impunément à
toute chose, selon que cela leur passe par l'esprit; ou n'estime plus,
pour ainsi dire, que ce qui était méprisé autrefois '. »
A Erfurt, le nombre des professeurs et des étudiants diminuait
d'année en année. A peine quelques jeunes gens témoignaient-ils le
désir d'obtenir un emploi, un grade académique quelconque. De
mai 1520 à 1521, on compte encore trois cent onze étudiants imma-
triculés; mais l'année suivante ce chiffre est réduit à cent vingt;
en 1522, à soixante-douze; en 1523-1524, à vingt-quatre*.
Les études scientifiques avaient le même sort à Wittemberg. " .le
vois bien que tu éprouves le même chagrin que moi à propos de la
ruine de nos études », écrivait Mélanchthon à Eoban Hessus (1525).
« Il y a peu de temps encore, les lettres florissaient, main tnant
elles dépérissent. Ceux qui font peu de cas des études profanes n'ont
guère meilleure opinion, crois-le bien, des études théologiques! -
« Si nous avions pu voir l'avènement de cet âge d'or que l'épanouis-
sement des sciences nous faisait autrefois espérer '•, disait-il quelques
années plus tard en présentant ses œuvres au public, -■ mes ouvrages
auraient un caractère plus joyeux, ils seraient plus ornés, plus bril-
lants. Mais la discorde fatale qui a suivi de si près l'essor des lettres
a intimidé mes efforts. Je m'étais mis à l'œuvre avec tant d'ardeur! »
Malheureusement, dès 1524, les troubles religieux étaient venus
l'assombrir : « Je vis ici à peu près au désert », écrit-il à un ami; « je
n'ai presque de commerce qu'avec des esprits étroits et bornés, parmi
lesquels je ne prends aucune espèce de plaisir; aussi je reste à la
maison, comme un savetier boiteux. " « Je n'ai personne avec lequel
je puisse espérer quelque conformité de sentiments; je n'ai d'amitié
qu'avec les loups, comme eût dit Platon, amitiés pleines de soucis
' Kampschulte, t. Il, p. 179, 184.
"■' Voy. KAMrsCHL'LTE, Uchersichl der jährlichen ImnuUnculalionen, t. II. p. 219.
314 DECADENCE DES LETTRES. ir,23.
et de fatigues. > Il voit échouer tous ses efforts pour le relèvement
des sciences ', et dans ses lettres confidentielles, n'hésite pas à accuser
les théologiens de Wittemberg du dépérissement des lettres ^
Les autres Universités de l'Allemagne du Nord, Leipzig' et Ros-
tock, par exemple, perdaient d'année en année de leur importance.
A Rostock, où l'on avait vu jadis jusqu'à trois cents étudiants se faire
inscrire tous les ans, il ne s'en présenta en 1524 que trente-huit;
en 1525, que quinze*.
Les Universités du sud de l'Allemagne, Bâle, Heidelberg, Fri-
bourg, nous offrent le même lamentable spectacle : " L'Université
git à terre, elle est comme morte et enterrée ", écrivait-on de
Bâle à la même date; « les chaires des professeurs sont aussi vides
que les bancs des élèves. >- En 1522, vingt-neuf étudiants seulement
s'y font inscrire; en 1526, il ne s'en présente plus que cinq^ A
Heidelberg, en 1525, il y a plus de professeurs que d'étudiants ^.
'< C'est à peine si j'ai six auditeurs fidèles », écrit de Fribourg,
en 1523, Ulrich Zasius, le plus célèbre de tous les juristes de ce
temps, « et par-dessus le marché, ils sont tous Français. Je m'acquitte
avec un grand zèle des devoirs de ma charge, même lorsque j'ignore
si j'aurai oui ou non des auditeurs, et lesquels; mais je suis tenté
de prendre mon métier à dégoiU, lorsque je vois la jurisprudence
' Voyez ses lelires dans le Corp. Reform., t. I, p. 575, 604, 613, 679, 683, 695, 726,
894. — Voy. l'article intitulé : Reformation und Literatur, dans le Hisi. Pol. Bl.,
t. LXXIX, p. 259. — DÖLL1\GER, Reformatio», t. I, p. 354; Pallsen, p. 135-138.
* Corp. Reform.., t. I, p. 887, et t. II. p. 513. Voy. t. I, p. 830.
* A Leipzig, entre 1508 et 1522, 6,485 étudiants avaient été inscrits. Entre 1523
et 1537, 1,935 seulement. ZN.vnCKE, Die url-undllchen Quellen zur Gesch. der Univer-
sität Leipzig, .jbhand. der Jcönigl. Sächsischen Gesellsch ifi der ll/isscnschaflen, t. III, p. 594,
597.
*A Rostock, au printemps de 1512, le nombre des étudiants se montait à
119; durant le stinestie dliiver, à 183; dans les années qui précèdent immédia-
tement la réforme, la diminution des étudiants n'est pas encore apprécia!. le.
Mais au moment où éclatent les querelles reli;jieuses, leur nombre ne cesse de
décroître, de telle sorte que dans le semestre d'été de 1524 on n'en compte
que 24, dans le semestre d'hiver que 14; dans le semestre d'été 1525, que 11 ;
dans le semestre d'hiver, que 4. Dans le semestre d'hiver de 1526, il n'y eut pas
une seule inscription. Krabbe, Die Universität Rostock, im 15. und 16. Jahrhundert,
p. 290-293, 372, 387. « En ce temps-là ., dit un chroniqueur (Grape, Evangel.
Rostock, p. 109;, l'Académie fut tellement désertée, que lorsqu'on prononçait le
mot de docteur, à peine savait-on ce que cela voulait dire. " — Voy. Döllinger,
Reformation, t. I, p. 575. — PaulseN, p. 141.
* Voy. ViscHER, Gesch. den Universität Basel, p. 185. •- Avec la peste physique,
eorporum pestis, la réforme arriva de compagnie, animorum. pestis. Elle produisit
une perturbation puissante, empêcha l'arrivée de nouveaux élèves et chassa les
anciens. » Registres d'inscription de l'Université; à partir de 1526, chaque nou-
veau recteur répète ces mêmes plaintes. — Vischer, p. 258.
^ -- ...Universitatem magna ex parte decrescere deflorescereque, in eam per-
venisse infelicitatem, ut plures sint professores quam auditores. • — Hautz,
Gesch. der Universität. Heidelberg, p. 390.
»h'ir A r-iKNCK Di-s r.i; r m Ks. 1523, 315
ainsi abnndonuéc. » « Il y a ici ", dit-il encore, « une disette
extraordinaire d'étudiants, et je n'entrevois point d'amélioration
possible *. » L'Université de Vienne, qui sous Maximilicu avait
compté ses professeurs par centaines et qui avait vu quelquefois
sept mille étudiants s'inscrire annuellement sur ses rcg^istres, elle,
si lonpjtemps l'une des |)remières universités de l'Kurope, tomba
peu à peu, à la suite des troubles religieux, dans un si lamentable
état, que c'est à peine si elle possédait encore en i 023 une cinquan-
taine d'étudiants. La faculté de droit se vit forcée de fermer ses
salles de cours pendant quelque temps, les élèves faisant totalement
défaut ^
Là oii la nouvelle doctrine se développait sans aucune entrave,
d'innombrables prédicants travaillaient à ruiner de fond en comble
toute cnUin-e intellectuelle. Ils visaient sciemment, de propos déli-
béré, à fonder le règne de la foule ignorante, guidée par les déma-
gogues religieux, sur les ruines des institutions ecclésiastiques et
scientifiques ^
On revenait aux doctrines que les hussites de Bohême avaient
mises en honneur au quinzième siècle : '= Celui qui s'adonne aux arts
libéraux >', avaient enseigné ces hérétiques, - celui qui accepte un
grade universitaire, n'est qu'un orgueilleux, qu'un païen, qui prêche
contre l'Évangile. Toutes les vérités de la philosophie et des arts
libéraux, même lorsqu'elles semblent devoir servir la loi du Christ,
loin d'être approfondies, doivent être abolies comme entachées de
paganisme, et en réalité païennes; les écoles doivent être détruites*. >
' Voy. SriNTZiNG, i'Irirh Zasius, p. 2ii)-250,
^ A Vienne en 1517, le nombre des inscriptions se monte à (567, en 1520 à 569.
A partir de 1522, une rapide décadence survient, ^ praecipue ■ , lisons-nous dans
les actes de l'Université, quia ea tempestate secta Lutherana plerosque a sus-
cipiendls gradii^us dehortubatur ». Les savants, déclare le recteur Frédéric
Herrer, « sont en horreur à l'homme du peuple -. — Voy. Kink, Gesch. der Wiener
Uniiersim, t. I, p. 233, 253, 254. — AscuBiCH, t. II, p. 86, note 2, p. 29i. — Sur la
diminution du nombre des étudiants à Ingolstadt depuis 1518, voy. Pr.vntl,
Gesell, der Universiiät in Ingolstadt, t. I, p. 164. — A Cologne, en 1516, il y avait
encore 370 étudiants; en 1521, 354; en 1527, 72. — Voy. Zeitschrift des Bergischen
Geschichtsvereins, t. VI. p. 208.
^ Comme le dit très-justement Dollingek, Reformation, t. F, p. 440.
* Voy. 1IÖFLER, Geschichtschreiber der husitischen Bewegung, t. I, p. 391. " Ouod omnes
veritates in philosnphia et in artibus legis Christi promotivae nullo unquam
modo sunt amplectendae sive studendae. - — Brezowa, dans Uöfler, t. I, p. 140.
— Voy. Palacky 3^, p. 189; Lechler, t. II, p. 272-274; Aschbagh, Kaiser Sigmund,
t. III, p. 101-102; Bezold, Zur Gesch. des Husitenthums, p. 48-49. — Lauteur, favo-
rable aux doctrines taborites de la Réforme de l'empereur Sigismond, déc4a-
rait que la science des plus savants n'était plus d'aucune utilité; que les
savants devaient rester inaclifs; que leurs études et leurs travaux étaient vains,
parce que personne n'en devenait meilleur : Je ne puis m'empécher de dire
que leur savoir a été pour nous le chemin de l'enfer; c'est la pure vérité. >
BoEHM, p. 60, note 3.;
316 DECADENCE DE LA LIBRAIRIE.
« Notre temps est vraiment le plus ap^ité et le plus troublé de tous
les temps », écrivait Glaréanus à Willibald Pirkheimer (1524);
« aussi je crains beaucoup la ruine totale des lettres et de Tétude des
lan{i;ues anciennes, un voit surgir de tous côtés des gens qui se
vantent d'avoir rappelé la piété à la vie, qui se regardent comme les
verges des sophistes, et qui en réalité sont beaucoup plus stupides
que tous les sophistes. Comment la piété pourrait-elle fleurir sans
véritable science et sans la connaissance du grec, je ne le conçois
point. Et cependant ces hommes proclament avec un fort grand
fracas qu'il n'est nullement nécessaire d'étudier le grec ou le latin,
qu'il suffit de comprendre l'allemand et l'hébreu. On veut, pour
ainsi dire, faire de la chrétienté une seconde Turquie '. » Mélanchthon
était d'avis qu'il eût fallu couper la langue ;iux prédicants qui détour-
naient des études la jeunesse inexpérimentée (1524) *.
Le discrédit universel des lettres, la ruine du respect et de l'amour
dont elles avaient été l'objet dans toutes les classes de la société
avant l'avènement du nouvel Évangile, allaient naturellement de
pair avec la détresse du commerce de librairie. Depuis 1523, l'activité
des grands éditeurs Rynmaun à Augsbourg, les frères Alantsée,
à Vienne, s'était peu à peu ralentie. L'établissement autrefois si pro-
spère;, si grandiose, de Froben Lachner, à Bâle, ne jouissait plus de
la grande influence qu'il avait jadis exercée. Les lois qui réglaient
autrefois le commerce des livres n'étaient plus en vigueur. La pro-
priété littéraire n'était plus comptée pour rien; seuls, les colporteurs
faisaient de bonnes affaires. Ils se répandaient par troupes dans les
villes et le.> campagnes, débitant de tous côtés leurs écrits polé-
mistes, leurs caricatures ignobles, leurs abominables gravures.
Les grandes villes pullul.iient de marchands ambulants de toutes
espèces. A rs'uremberg, à côté des imprimeurs et des libraires en
titre, des colporteurs offraient leurs brochures aux passants. Des
fripons sans aveu parvenaient à s'introduire dans la ville, et y répan-
daient des livres pernicieux; au marché, derrière l'hôtel de ville,
des colporteurs venus du dehors recommençaient continuellement
à dresser leurs échoppes, en dépit de toutes les ordonnances du
conseiP.
' PiuKHF.iMER, Opera, edid. Goldast, 314. — Voy. Schreiber, Glareanut, p. OS
La lettre est de 1524, et non de 1514.
' ■ Linfïuas profecto praecidi oportet iis, qui pro concionibus passim a lile-
rarum studiis imperitam juventutem dehortantur. » Corp. Reform., t. I, p. 666.
* Pour plus de détails sur la ruine du commerce des livres, voy. Kirchhoff,
t. I, p. 79-102; Hase, p. 71. - Apud Germanos -, écrit Érasme en 1524, • vix
quicquam vendibile est praeter Lutherana acAnti-Lutberana. - Op. III, x>. 824. —
Voy. p. 777. • Frobenius mihi serio questus est, se ne unum quidein opus de
DKCADENCK DES ÉCOLES. 3(7
Comme les hautes éludes et les établissements d'eiisei[jueiiieiil supé-
rieur, les écoles populaires de second ordre dépérissaient d'année
en année. « Les écoles commencent à décliner », écrit Knocli VVidmann
dans la Chronique municipale de Holi; « presque personne ne veut
plus envoyer .ses enlants à l'école; Luther a tant répété que les
prêtres et les savants avaient déplor.ibiement égaré le peuple, que
tout le monde nourrit contre les anciens maîtres un vilressenliment;
ou les humilie, on les tracasse toutes les lois que l'occasion s'en
présente'. « Guillaume Lange, zélé protestant hessois, rapporte les
mêmes faits : « Les études sont ruinées >, dil-il; « dans les campajjnes
et dans les villes les écoles sont désertes, et personne ne veut plus
y envoyer ses enlants*. » « Du temps du papisme », écrit Gui Die-
trich de Nuremberg, •' on donnait sans mesure et sans fin, au lieu que
maintenant personne ne veut plus ouvrir sa bourse ni donner un
liard pour l'entretien des pauvres églises, des écoles, des pauvres
gens nécessiteux ». «
Luther lui-même laisait entendre à ce sujet les plaintes les plus
amères. Ou lit dans une des instructions adressées par lui aux bourg-
mestres et aux conseillers des villes (1524) : « En Allemagne, on laisse
dépérir l'enseignement. Les écoles supérieures languissent, les cou-
vents sont termes, l'herbe se sèche, la fleur tombe. Là où les couvents
et les abbayes ont été supprimés, personne ne consent plus à faire
instruire ses enfants. » « Puisque l'état ecclésiastique ne vaut rien »,
entend-on répéter, « nous n'avons que faire des écoles, et nous ne
voulons plus rien donner pour elles. »
Tout cela, au dire de Luther, était l'œuvre du diable. Sous
le papisme, le diable avait tendu .'^es filets par l'établissement des
couvents et des écoles, de .sorte qu'un jeune garçon ne pouvait leur
échapper sans un particulier miracle du ciel*; maintenant, au
contraire, voyant ses tours déjoués par la parole de Dieu, Satan
avait résolu d'empêcher toute instruction : « Or ou ne saurait ima-
civitate Dei (de saint Außuslin) vendere Francofordiae. » l', 842. Il dit dans les 6W-
loques:. No.s Kvanseiicl quatuor res polissirauin venainur, ut ventri benesit,nequid
desit lis, qiufsub ventre sunt, tum ut sit,uude vivamus, postreino, ut liceaI,quod
lubet,agere. Ilœc si suppetant, inter pocula ( lanmmus : lo Triumphe, lo Pa-an,
Yivit Evan{5elium, régnât Christus. " — Voy. ces passages et d'autres analogues
d'Érasme sur l'influence destructive du nouvel Évangile pour les écoles, la litté-
rature et les sciences, dans 1)ölli.\ger, lieformntion, t. I (2' édit.J, p. 470-472. —
Voy. aussi l'opinion de Cochiseus sur l'anéantissement de la gloire scientifique
des Allemande, causé par les troubles religieux nouvellement excités. —
Voy. Otto, p. 117, 131.
' Forlgcsclze Sammlunj von Alt und Neu, 1735, p. 440. — Voy. Dollinger, lieforma-
tion,t. 1(2« éd.), p. 486-467.
* Leben und Tlialen Philippi Magnanimi, t. I, p. 141.
^ DÖLLiNCER, He/ormation, t. I (2« éd.), p. 4tJ9.
*Donc, presque aucun enfant n'échappait à l'école.
318 DÉCADENCE DES ÉCOLES
giner ia perversilé diabolique de ce dessein, et pourtant la chose se
passe si tranquillement que le mal est fait avant que personne ait
pu donner un conseil, avertir, empêcher. On redoute les Turcs, la
guerre. Tinondalion; on sait discerner ce qui est dangereux de ce
qui est utile; mais quant à ce que le diable a dans l'esprit, per-
sonne ne le devine, personne ne le redoute. Le mal qu'il fait s'opère
à la sourdine. Et pourtant il serait juste que donnant un llorin pour
combatire les Turcs qui sont sur nos talons, on en donnât cent
pour élever un enfant, destiné à devenir plus tard un vrai et fidèle
chrétien. »
« Ouand j'étais jeune > , continue-t-il, " on avait coutume, dans nos
écoles, de répéter ce dicton : .Négliger l'éducation d'un jeune garçon,
c'est un aussi grand péché que de violer une vierge; dicton que l'on
répandait pour effrayer les maîtres d'école, car alors on ne con-
naissait pas de plus grand crime que celui de déshonorer une jeune
fille. Mais, Seigneur mon Dieu! quel moindre péché n'est-ce pas de
mettre à mal une femme ou une vierge que de délaisser les pauvres |
âmes et de leur porter préjudice? Ohl malheur au monde, mainte-
nant et éternellement! Tous les jours il nait des enfants, et nous les
voyons croître sous nos yeux ; cependant il n'est personne qui
veuille prendre soin de la pauvre jeunesse, et consente à la diriger :
on la laisse pousser à l'aventure. Chers seigneurs, si l'on est tenu
de débourser tous les ans de grosses sommes pour l'achat d'arque-
buses, pour les chemins, les ponts, les routes et autres innom-
brables nécessités civiles, afin que les cités jouissent de la paix et du
bien-être, pourquoi ne donnerait-on pas, si ce n'est plus, du moins
autant pour la pauvre jeunesse nécessiteuse? Pourquoi ne pas con-
tribuer à l'entretien d'un ou de deux mail res d'école, capables de
l'instruire? » Grâce à l'Évangile qu'il avait annoncé, les bourgeois
se voyaient affranchis des lourdes taxes qu'ils payaient sous le
papisme. N'élait-il donc pas juste qu'ils employassent au moins la
dixième partie de cet argent au relèvement des écoles? " Le bour-
geois devrait entendre raison sur ce point. Si jusqu'à ce jour il a
sacrifié une si grosse part de ses écus pour les indulgences, les messes,
les vigiles, les fondations, les testaments, les anniversaires, les moines
mendiants, les confréries, les pèlerinages, et tout ce qui pullu-
lait jadis en ce genre, et si maintenant, par la grâce de Dieu, il
est affranchi d'un tel brigandage et d'aumônes si ruineuses, ne
devrait-il pas, pour remercier Dieu et dans la vue de sa gloire,
donner une partie de ce qui lui est rendu aux écoles, afin que les
pauvres enfants puissent être élevés? Maintenant tout est si bien
réglé! Autrefois, il lui fallait donner dix fois autant, et bien inu-
tilement, aux susdits voleurs, et cela non une fois, mais continuel-
DEPERISSEMENT DES Œ T V K E S CHARITABLES. 319
lement. On doil à la lumière de l'Évangile d'ôtre délivré de tant de
charges; mais il faut pourtant que nous trouvions des gens pour
nous annoncer la parole de Dieu, pour nous administrer les sacre-
ments, pour être parmi nous les serviteurs des âmes! Or où irons-
nous les clicr'-her, si on laisse dépérir les écoles, et si Ton n'en établit
pas de nouvelles et de vraiment chréliennes ' ? •
En 1524, il écrit aux luthériens de Riga et de Livonie : « J'ai
beaucoup prêché et écrit touchant le devoir (pie nous avons tous
d'établir dans les villes de bonnes écoles, afin qu'on y puisse instruire
les chrétiens des deux sexes, et qu'un jour nous ayons de bons curés,
des prédicateurs chrétiens, et que la parole de Dieu puisse abondam-
ment se répandre. Mais ou s'acquitte de ce devoir avec une extrême
paresse et négligence; chacun tremble pour l'entretien de sa vie,
pour son bien temporel, et je prévois que bientôt nos maîtres d'école,
curés et prédicateurs, n'étant pas rétribués, se verront obligés de
prendre un métier et d'abandonner la prédication de la parole de
Dieu pour ne pas mourir de faim. Autrefois, dans une ville de quatre
ou cinq cents bourgeois, on donnait aux seuls moines mendiants
(abstraction faite des offrandes aux évêques, aux officiaux, aux sta-
tionnaires, aux pauvres) cinq à sept cents florins par au; mais main-
tenant, dans les pays allemands, on est si besoigneux, si misérable,
qu'on peut à peine recueillir de cent à deux cenis florins pour les écoles
et les prédicateurs. .Jadis on entretenait richement, surabondam-
ment, des centaines de prêtres et de moines; on leur faisait même
des donations de terres et de gens, de villes ou de châteaux, et main-
tenant les prédicateurs sont traités comme le riche de l'Kvangile
traitait le Lazare; on déclare qu'il est impossible d'entretenir trois
prédicateurs dans une ville; partout régnent la cupidité et le souci
de la mangeaille. On se conduit comme des païens incrédules. Aussi
Dieu nous enverra- t-il une horrible disette et enchérissement de
denrées, et cela ne sera que juste-. »
La doctrine de l'Kglise sur les bonnes œuvres, qui autrefois
avait fait une obligation au chrétien de témoigner de sa foi par sa
libéralité, le pressant d'acquérir des mérites pour l'éternité, avait,
durant le moyen âge, multiplié d'innombrables donations chari-
tables, des legs pour les établissements de pauvres, les hôpitaux,
les orphelinats. Elle avait élevé les dômes et les églises, et les avait
^ Sämmtl. IFerle, t. XXII, p. 171-175, 177, 193.
'T. XLI, p. 131-132. — Voy. t. VIII, p. 86, année 1524. • On ne parvient pas
à recueillir cent florins, pour enlreieuir un bon maitre d'école ou un prédi-
cateur, là où autrefois on en donnait mille, et des sommes incalculables, pour les
églises, les abbayes. les messes, les vigiles, etc. •
3>i) DKPÉRISSEIVÎENT DES OE U V R li S CHARITABLKS.
oi-nés des plus splendides œuvres d'art; elle avait créé les Univer-
sités, les écoles secondaires, les dotant de fondations de tous
genres. La nouvelle doctrine de la justification par la foi seule et
de l'inefficacité des bonnes œuvres pour le salut coupa le nerf de
cet esprit de sacrifice en vue des biens idéaux de la vie; en même
temps elle eut les résultats les plus funestes pour les établissements
et fondations charitables légués par nos aïeux.
Le garant le plus irrécusable de ces faits, c'est encore Luther.
Dans ses écrits, il ne cesse de vanter la libéralité, la bienfaisance
du passé : " En ce temps-là, les aumônes pleuvaieut », nous dit-il;
« les fondations, les legs abondaient; mais parmi les évangélistes,
personne ne veut plus donner un liard'. « " Sous le papisme, tout
le monde était bienfaisant et donnait volontiers; mais maintenant,
sous le règne de l'Évangile, on est devenu avare; chacun ne songe
qu'à écorcher son prochain et à tout garder pour lui tout seul. Et
plus on prêche l'Évangile, plus les hommes se noient dans l'avarice,
l'orgueil, l'amour du faste, absolument comme si ce pauvre sac de
mendiant, qui est notre corps, devait éternellement demeurer sur la
terre. « " Tout le monde pressure et racle; cependant personne ne
veut passer pour avare, et tous se donnent pour bons évangélistes
et vrais chrétiens Or cette parcimonie, qui gratte sur tout, est sur-
tout funeste au frère Shidium et aux pauvres curés des villes et des
villages. Ceux-là doivent tout endurer, et se laisser tondre et égor-
ger. Quant aux paysans, aux bourgeois, aux nobles, ce qu'ils amassent
par leur lésinerie, ils le dissipent en bombances, en débauches, en
faste, en osicnlation vaine, en bonne chère, en habillements luxueux
et superflus; ils dévorent tout leur bien, soit en le faisant passer par
leur gosier, soit en se l'attachant au cou. Aussi ai-je dit bien souvent
qu'une telle conduite ne pourrait être tolérée longtemps, il feudra
en finir. Ou le Turc ou le frère Gui arrivera et s'emparera tout à
coup de ce qu'on aura écorché, volé, dérobé, entassé depuis des
années; ou bien le jour du jugement viendra soudain, se ruera sur
le monde et meltra fin au jeu ^ " 11 dit ailleurs : « Du temps du
papisme, tout le monde était miséricordieux et bienfaisaul ; on don-
nait des deux mains, joyeusement et avec une grande dévotion. Mais
mainlenant, lorsqu'on devrait se montrer si reconnaissant pour
le don du saint Évangile, personne ne veut plus donner la moindre
chose. Auparavant, chaque ville, selon son importance, entretenait
richement quelques couvents, sans parler des prêtres à messes et des
fondations. Aujourd'hui, on se débat, on se révolte dès que l'on
' Sämmll U'erle, t. XLIII, p. 164.
2 T. V, p. 2G4-2G5.
DÉPÉRISSEMENT D R S OEUVRES CHARITABLES. 321
parle de la nécessité d'enlrelenir deux ou trois prédicateurs, d'avoir
des pasteurs, des instituteurs pour la Jeunesse. Et cependant il ne
s'agit plus de prendre sur le sien, mais seulement d'employer les
fonds qui nous ont été légués par le papisme ', !^
D'année en année ses plaintes s'accentuent : <•■ Ceux qui devraient
se montrer vraiment chrétiens, ayant eu le bonheur de recevoir
l'Évangile, sont bien plus mauvais, bien moins miséricordieux que
les chrétiens d'autrefois, comme nous n'en avons que trop de preuves
sous les yeux. Auparavant, du temps des doctrines perverses et du
faux culte, comme on enseignait la nécessité des bonnes œuvres
pour le salut, tout le monde était prêt, bien disposé. Mais nos
gens semblent n'avoir appris qu'à rogner, à pressurer, à voler sans
scrupule, par le mensonge, la tromperie, l'usure, renchérissement.
Chacun fait tort à son prochain, comme si, loin de le tenir pour son
ami, pour son frère en .lésus-Christ, il le regardait comme son ennemi
mortel; on veut tout accaparer pour soi tout seul, sans jamais souf-
frir qu'un autre fasse quelque bénéfice. Voilà ce dont nous sommes
tous les jours témoins, voilà ce qui domine parmi nous. Tels sont
les mœurs et les usages les plus habituels dans toutes les conditions,
parmi les princes et la noblesse comme parmi les bourgeois et les
paysans, dans les palais, dans les villes, les villages et presque
dans chaque maison. Nommez-moi une ville assez importante ou
assez chrétienne pour se dire en état d'entretenir un maître
d'école ou un curé ! En vérité, sans les pieuses fondations de
nos pères, l'Évangile, par la faute des bourgeois, de la noblesse et
des paysans, serait depuis longtemps mis en oubli, et pas un pauvre
prédicateur n'aurait à boire ni à manger; car nous ne voulons pas
donner, à l'exemple de nos ancêtres, nous voulons prendre, et
même nous emparer par la violence de tout ce qu'ils avaient légué
et fondé pour ceci et pour cela. Voilà de quelle manière on témoigne
sa reconnaissance au cher Évangile du Christ! Les gens sont à pré-
sent si abominablement méchants qu'ils sont devenus sans entrailles;
ils ne sont plus humainement mauvais, mais diaboliquement pervers,
et loin de rendre grâces à Dieu de la lumière reçue, ils se gorgent
des biens qu'ils ont pillés et volés à l'Église, faisant d'autre part
tout ce qu'ils peuvent pour affamer l'Évangile. Que l'on compte,
que l'on calcule sur ses doigts ce qu'ici et en d'autres lieux ceux qui
bénéficient du saint Évangile donnent et font pour sa cause! Si
nous n'étions encore en vie, depuis longtemps il n'y aurait plus ni
prédicateurs ni disciples, et nos descendants ne pourraient même
pas deviner ce que nous avons enseigné ou cru. L'exemple de nos
' Sämmtl. Werke, t. XIII, p. 123.
II. 21
322 DÉPÉRISSEMENT DES OEUVRES CHARITABLES.
parents et ancêtres, seigneurs et rois, princes et bourgeois, devrait
pourtant nous faire rougir. Ils ont si abondamment et charitable-
ment donné, et cela même avec excès, aux églises, aux cures, écoles,
abbayes, fondations, hôpitaux, etc.! Cependant ni eux ni leurs des-
cendants n'en sont devenus plus pauvres '. «
Parce que sous le papisme, dit-il ailleurs, on s'était montré si
bienfaisant, si compatissant, Dieu, en récompense, avait accordé
du bon temps >■. - La promesse de Jésus-Christ s'était accomplie,
en ce temps-là, car il a dit : Donnez, et 11 vous sera donné, et l'on
vous versera une mesure pleine, pressée, débordante ! Cette parole
s'était vérifiée pour les dévotes gens qui, avant nous, avaient fait
de pieuses aumônes, entretenu les prédicateurs, les écoles, soutenu
les pauvres et richement fondé et donné. Dieu leur avait accordé
la paix et le repos, et c'est de là qu'est venu le proverbe populaire :
Aller à l'église ne retarde point; faire l'aumône n'appauvrit pas;
le bien mal acquis ne profite jamais. De là aussi les malheurs aux-
quels nous assistons. A cause de notre avarice insatiable, à cause
des larcins qui se commettent, et parce que personne ne veut plus
rien sacrifier pour Dieu ni pour le prochain, accaparant pour lui
tout seul ce que ses ancêtres ont légué, parce que nos chrétiens
prétendus s'engraissent de la sueur et du sang du pauvre. Dieu, pour
salaire, nous envoie renchérissement des denrées, la discorde et
toutes sortes de maux, jusqu'à ce qu'enfin nous nous entre-dévo-
rions ou que tous ensemble, riches et pauvres, grands et petits,
soyons dévorés par un autre-. "
• T. XIV. p. 389-390.
« Sümmtl. Werke, t. XIII, p. 224-225.
CHAPITRE VU
AFFAIRES EXTÉRIEURES. — GUERRES d'iTALIE.
« Les affaires d'Allemagne sont clans un piteux état r,, écrivait
Charles de Bodmann le 23 aoiU 1523; •■■ cependant nous pourrions
encore espérer la concorde et la paix, si, comme le Saint-Père le
désire ardemment, les puissances chrétiennes parvenaient enfin à
s'entendre, et s'armaient toutes ensemble pour résister énergique-
ment au Turc, et détourner de la chrétienté le péril imminent qui
la menace. Alors se réveillerait et se fortifierait le sentiment de
solidarité chrétienne qui doit unir tous les peuples, et les mécon-
tents, les esprits remuants et inquiets auraient devant eux un vaste
champ d'activité dans les pays délivrés de la tyrannie des infidèles.
Mais taudis que les puissances européennes se combattent l'une
l'autre et répandent le sang chrétien, les troubles intérieurs croissent
d'année en année, et nulle main n'est assez ferme pour contenir les
masses, toujours prêtes à se révolter; l'angoisse et la misère du
peuple vont croissant; le Turc s'avance toujours plus avant, et les
- Turcs chrétiens » l'y encouragent, en particulier ceux de France,
dont l'ambitieux souverain attise de tous côtés la révolte, allume
l'incendie de la guerre, et réduit à néant tous les grands desseins
de l'Empereur. Le roi de France est le véritable perturbateur de la
paix de l'Europe, et le foyer de dissension qu'il entretient ne
pourra s'éteindre que lorsque la France aura été refoulée dans les
bornes de ses fronlières primitives '. "
François I", en effet, n'était occupé qu'à fomenter les dissensions
et les discordes, « Il n'était nullement disposé >\ ce sont ses propres
expressions, « à céder sur un point quelconque à celui qui avait été
son rival heureux lors de l'élection impériale; encore moins à se
'* Voy. plus liaut, p. 162, note 5. Le cardinal de Santa Croce, Bernardin de
Carvajiil, était aussi d avis (1522) que la paix européenne et la guerre géné-
rale contre les infidèles ne deviendraient possibles que lorsque la France aurait
restitué à Charles-Quint et à Henri VIII tout ce qu'elle avait enlevé à l'un et à
l'autre. Voy. Höfler, Carl V und Adrian VI, p. 19.
21.
324 FRANÇOIS F'^ CONTRE CHARLES-QUINT.
soumettre à lui '. " Il se refusait même à lui donner le titre d'empereur*.
Profondément blessé dans son orgueil par Tecliec qu'il avait subi, il
bridait de prouver au monde qu'en dépit de cet insuccès, " il était le
plus puissant monarque de toute l'Europe >•, et que ses sujets « étaient
capables et dignes des plus glorieuses conquêtes ' . Mais, dans un si
grand dessein, il ne se souciait en aucune façon de la conscience ni
du droit; au besoin, il eût voulu devenir le » marteau du monde ».
Dès 1520, François ouvre les hostilités. Il attaque Charles-Ouint
dans ses droits de souverain d'Espagne, et soutient par des secours
de troupes et d'argent les prétendants au trône de ?savarre. En
mai 1521, il s'efforce de faire triompher la cause des rebelles, et
favorise l'invasion de la Castille. A l'ambassadeur d'Angleterre qui
lui adresse des représentalions à ce sujet, il répond « qu'il n'entend
pas se laisser arrêter dans son élan victorieux ». Il a continuelle-
ment la main dans les révoltes des comniuneros \ L'Empereur, au
grand préjudice des intérêts de l'Empire, se voit forcé de quitter
prématurément l'Allemagne pour accourir au secours de ses États,
dont les Français menacent de s'emparer. Par les ordres du roi de
France et grâce aux subsides français, Robert de la Mark, duc de
Bouillon, enrôle à Paris des hommes d'armes avec lesquels il se
propose d'attaquer les Pays-Bas, possessions de Charles-Ouint. Dans
une lettre autographe, lettre tombée plus tard entre les mains des
Impériaux, François renseigne le comte de Carpi sur l'entreprise qu'il
vient de confier au duc Robert, et lui fait part de son dessein
d'exciter des troubles en Italie et de conquérir les royaumes de
Naples et de Sicile. Tandis qu'il s'oppose à ce que l'Empereur,
comme le voulaient et ses droits et le souci de son honneur, allât
recevoir à Rome la couronne impériale, il se prépare à envahir
l'Italie à la tête de cinquante mille hommes ^
it Les nombreux États de Charles d'Espagne semblent constituer
une puissance formidable «, écrivait-il en mai 1520; « mais nulle
part ses droits de souverain ne sont bien affermis, et ses coffres
sont vides; moi, au contraire, je règne sur un peuple soumis*'; j'ai
' * Ce sont les propres paroles du Roi. Rapport de Clément Endres, 27 juillet
1520. Voy. Trierische Sachen und Briefschaften, fol. 64.
^ Voy. la déclaration de Charles-Quiut aux électeurs, 21 mai 1521, Lanz,
Actenslücke und Briefe, t. I, p. 191.
5 Rapport de Clément Endres. Yoy. la note 1.
* « AU thèse iroujjleswere stirred up by the kingof Frence. - Brewer, S'', p. 560.
5 Voy. L.iNz, Actenftûckc und Briefe, introduction, p. 250.
« .. Hanno del tutto ", écrivait l'ambassadeur vénitien xMarino Cavalli à propos
des Français, " rimessa la liberlà è volontà loro al re ; tal che basta che lui dira,
voler tanto, approbar tanto, che il tutto è eseguito e fatto prœciso, come se essi
stessi lo deliberassero... prima li suoi re si chiamavano reges Francoruni, oro
si possono dimandar reges senorum. r Alberi, t. I, p. 232.
ALLIANCE ENTRE L'E M l« E RE U R ET LE PAPE. 1521. 325
de l'argcat en abondance, et je puis faire servir les biens de
rÉglise à mes desseins. Aussi je ne crains pas le roi d'Kspagne;
je trouverai jusqu'en Allemagne des alliés pour le combattre. « Il
se vanlait d'avoir sur tous les points l'avantage sur son rival'.
L'hérilajje légilime de l'Empereur, la iiourgogne, était entre ses
mains, ainsi que le fiel' impérial du Milanais, et presque toute la
Lombardie, avec Gènes; il était devenu l'allié des Vénitiens. Par
un traité conclu le "> mai 1521 avec les Suisses, il avait réussi à
mettre dans ses intérèls ces utiles auxiliaires"^. Eu Allemagne, à la
vérité, il n'avait pas encore de partisans déclarés; cependant, dès
1522, les bons patriotes allemands' se plaignaient que non-seu-
lement les Suisses, mais une foule de sujets de l'Empire, nobles
aussi bien que roturiers, se mettaient au service de la France, et
devenaient les ennemis de leur pays dès qu'ils étaient gagnés par
l'espoir d'une bonne solde. Contre cette trahison envers la patrie,
tous les ordres publiés par l'Empereur et le Conseil de régence res-
taient sans effet '.
Pour mettre un frein ä l'ardente ambition de François I", et de
peur qu'il ne vint à se rendre maître de toute l'Italie, l'Empereur, le
8 mai 1521, conclut un traité d'alliance avec LéonX; les deux sou-
verains s'engageaient à unir leurs efforts pour chasser les Français
de la Péninsule; le Milanais et Gènes devaient être rapportés à
l'Empire, mais conserver leurs ducs, tout en reconnaissant la souve-
' Rapport de Clément Endres. Voy. plus haut, p. 324, note 1.
* L'Empereur avait une haute idée de la valeur militaire des Suisses. On lit
dans une instruction donnée par lui à ses ambassadeurs auprès de Henri VUI :
« C'est l'universel repos de toute la chrétienté de les tenir lyés à la bonne et
sainte intencion... de nous... » « C'est le secret de tous les secrets de les gai-
gner, quoy qu'ilz coustent ... • « c'est le principal de toutes nos affaires. » Lanz,
Actenstiiche und Briefe, t. \, p. 106-107.
^ Voy. Lucubrationes, 79.
* * Dans les archives de Francfort, Kaiserschreiben, 8, n" 22, se trouve une lettre
du lieutenant d'empire Ferdinand et du Conseil de réjjence (11 octobre 1522)
adressée au conseil de la ville : « Nous avons été informés ■, y est-il dit, « que
Georges Langenmantel, d'Augsbourg, enrôle à Francfort des hommes d'armes
pour le roi de France. Le conseil doit se saisir de sa personne et savoir de lui
qui lui a fourni les moyens de payer la solde de ses hommes. • Dans unrescrit impé-
rial daté du 7 mars 1523 [Reichsacten,t. 37, fol. 31), on lit : • Des ordonnances
précédentes, répandues dans tout le royaume, ont interdit aux nobles et aux
soldats, sous peine de perdre la vie et les biens, de suivre et de servir, soit comme
homme de pied, soit comme cavalier, le roi de France, qui porte injustement la
guerre dans les États de l'Empereur. Mais l'Empereur sous ce rapport n'a jus-
qu'à présent rencontré aucune obéissance, zèle ou bon vouloir parmi les Ordres
ou autorités qui auraient dû exercer la surveillance. Au contraire, il remarque
avec tristesse qu'à son grand détriment beaucoup quittent l'Empire ou les
principautés héréditaires pour se joindre aux armées ennemies. Il renouvelle
donc encore une fois ses ordres, et cela de la façon la plus pressante. »
326 GUERRES D'ITALIE. PROGRÈS DES TURCS.
raineté de rEmpereur. Parme et Plaisance, dont François I" venait
de s'emparer, devaient revenir aux États de l'Église. L'Empereur
s'engageait à soutenir les prétentions du Pape sur Ferrare; Léon X,
à son tour, promettait de défendre les droits de Charles-Ouint sur
Venise, et lui assurait son appui pour la défense de Naples. Henri YIII,
après s'être convaincu que la paix avait été bien réellement violée par
François I", entra, lui aussi, dans une étroite alliance avec l'Empe-
reur. Les Français ayant attaqué Reggio, ville des États de l'Église
{24 juin 1521), cette agression devint le signal de la guerre.
« Bientôt je ferai mon entrée à Rome, et j'y dicterai mes lois au
Pape' «; tel était, en août 1521, le confiant espoir de François.
Mais il se faisait de grandes illusions. En novembre, les Français
se voyaient contraints d'abandonner Milan; en avril 1522, ils per-
daient la bataille de la Bicoque, et presque tout le Milanais se
soumettait aux Impériaux. Gênes était également soustraite à leur
domination. Les deux duchés conservèrent leurs souverains naturels
et leurs anciennes constitutions. " Grâce à la vaillance de nos lans-
quenets et à Georges de Frundsberg leur général ' , répétait-on en
se félicitant en Allemagne, - nous avons enfin reconquis les pays qui,
durant des siècles, avaient appartenu à l'Empire, et l'aigle impériale
y plane de nouveau , comme dans notre glorieux passé \
Mais la joie de ces heureux événements et le contentement que lui
causait la pacification de l'Espagne, furent plus que tempérés pour
l'Empereur, au rapport de l'archiduc Ferdinand, par la douleur que
lui faisait éprouver le péril toujours plus grave de l'invasion turque ^
Le sultan Soliman, après avoir conquis Belgrade, ■- l'un des yeux
de la chrétienté ' (août 1521), était sur le point de s'emparer de
Rhodes, le second rempart des chrétiens eu Europe. " Si les Turcs
réussissent dans leur entreprise », écrivait l'Empereur à Poupet de
la Chaux (25 août 1522), " la Hongrie étant déjà affaiblie et presque
anéantie, la porte leur est ouverte, la clef leur est donnée; ils peuvent
aussi bien entrer à Naples et en Sicile que dans les États de l'Église,
et lorsqu'ils auront conquis ces pays, il leur sera bien facile de
s'emparer du reste de l'Italie et de ruiner la chrétienté tout entière.
Vous savez que nous avons été ent rainés dans la grande et coûteuse
lutte actuelle sans qu'il y ait eu aucunement de notre faute; notre
trésor en a fortement souffert, et nous aurions, pour ces motifs, de
' ' Rapport de Clément Endres, 17 août 1521. Trierische Sachen und Briefschaften,
fol. 67.
- ' Lettre de Charles de Bodmann, sans date. Voy. plus haut, page 162,
note 5.
^ Charles de Bodmann, dans la lettre citée ci-dessus.
PROf;iu;s DES turcs. 327
bien justes raisons de nous souslrairc au devoir d'aider au refoule-
ment des Turcs; d'aulant plus que prccédernincnt nous nous sommes
déclarés prêts à employer à cet eilet les secours qui nous avaient été
accordés â la Diète de Worms pour l'expédition romaine. Mais afin
de prouvera tous que nous n'avons jamais lormé de vœu plus sincère
et plus ardent que celui de mettre notre puissance au service de la
chrétienté, nous avons résolu, en notre qualité de premier prince
chrétien, de protecteur et défenseur de notre sainte foi et de l'Éfjlise,
de procurer la délivrance de Rhodes par tous nos efforts, par
l'emploi de toutes les ressources dont nous pouvons disposer. »
Charles-Quint écrit dans le même sens au roi d'Anf,leterre, aux ducs
de Savoie et de Lorraine, à ses alliés d'Italie ot au Pape. - PliU à
Dieu », disait-il, faisant allusion à François I", " que les Turcs ne
fussent pas excités et encouragés par les vrais auteurs de tout le mal,
par ceux qui conduisent la chrétienté à sa perte ' ! "
François!", en effet, exploilait au profit de son ambition l'extrême
péril de l'Europe. Lorsque le Pape, en septembre 1522, fait équiper
deux caraques à Gênes pour aller au secours de Rhodes, les Français
s'en emparent. Des gentilshommes espagnols s'étant rendus à Gênes
dans le dessein de s'embarquer pour Rhodes, les ■ Turcs français «
capturent le vaisseau qui devait les y conduire. Les Vénitiens, eux
aussi, se montraient de « parfaits musulmans ". Ayant cinquante
galères à leur disposition, il leur eut été bien facile d'attaquer la
flotte turque pendant que celle-ci se trouvait dans le port de Rhodes;
séparant ensuite l'armée ennemie de la terre ferme, ils eussent aisé-
ment pu mettre fin d'un seul coup à l'invasion turque; mais bien
loin d'agir ainsi, ils laissèrent la flotte ottomane prendre position
devant Candie, et se bornèrent à engager les Turcs à rester dans
l'inaction. Ils exilèrent même deux Vénitiens qui avalent osé demander
en plein Conseil que Rhodes fût secourue *.
' Lanz, Correspondeiiz. t. I, p. 66-67. Sur l'ardent désir qu'avait Cliarles-Ouint
d'entreprendre la guerre contre les Turcs, voy. aussi le rapport de l'ambassadeur
vénitien Contarini. ALBr:r,i, t. II, p. 61-66. — Contarini s'exprime très-favorable-
ment sur le compte de l'Empereur. « È uomo religiosissimo, moito fviusto, privo
d'ogni vizio, niente dedito alla voluttà, aile quali sogliono esser dediti li gio-
vanni, ne si diletta di spasso alcuno, etc. "
* Voyez ces documents dans Höfler, Carl U und Adrian VI, p. 35-36. A propos
de l'étroite alliance contractée plus tard avec les Turcs par François I*"", le moine
bénédictin Nicolas Ellenbog, d'Ottenbeuren, écrivait : Je ne puis assez m'éton-
ner de la déloyauté et de l'impiété du roi de France. Il porte le nom de Roi
Très-Chrétien, mais en vérité c'est plutôt roi très-impie qu'il devrait s'appeler,
car il a conclu une alliance avec les Turcs, ennemis jurés de la chrétienté.
J'espère que Dieu finira par châtier la déloyauté des rois de France, déloyauté
dont ils ont donné jadis tant de preuves dans leurs rapports avec l'empereur
Maximilien. Car enfin, une alliance avec les infidèles ne devrait-elle pas être bien
éloignée de la pensée d'un prince chrétien, puisqu'elle conduit nécessairement
328 ADRIEN VI, MÉDIATEUR ENTRE FRANÇOIS \" ET CHARLES-QUINT. 1522.
Adrien VI fut le seul à agir. 11 envoya aux assiégés tout l'argent
qu'il put recueillir. Le secours de l'Empereur arriva trop tard;
en dépit de riiéroique résistance des chevaliers de Saint-.lean,
Rhodes tomba au pouvoir des infidèles. Soliman conquit ensuite les
lies attenantes, ouvrit aux flottes musulmanes le passage, jusque-là
fermé, qui relie Constantinople a Alexandrie, et se vit ainsi en
possession de tous les avant-postes de l'Asie Mineure. Les Vénitiens,
après avoir abandonné Rhodes, durent songer à la défense des
iles de Chypre et de Candie.
Bien avant le désastre de Rhodes, Adrien VI avait tout tenté pour
amener une réconciliation entre Charles- Ouint et François ^^
Il avait écrit à l'Empereur (septembre 1522) que la première chose
à faire dans l'intérêt de la chrétienté, c'était de conclure la paix
avec le roi de France. Charles-Quint lui avait répondu que, pour sa
part, il était tout disposé, soit à la paix, soit à un armistice, pourvu
que François lui proposât des conditions acceptables, ajoutant que
la plus sûre manière d'obtenir ces conditions serait, pour le Pape,
de consentir d'abord à s'allier avec lui et le roi d'Angleterre
contre la France. iMais Adrien répugnait à la guerre à moins d'y
voir une nécessité urgente, et il continua ses infatigables efforts
pour amener la réconciliation entre les deux souverains. Il suppliait
Henri VIH et son ministre le cardinal Wolsey de s'y employer
activement, car la reddition de Rhodes constituait pour la chré-
tienté un péril des plus menaçants. Au moins pourrait-on com-
mencer par conclure un armistice de quelques années; le mieux
serait de le signer à Rome, et de permettre au Pape d'en être l'in-
termédiaire. Si l'Empereur et le roi d'Angleterre consentaient à
l'armistice et s'engageaient aie respecter trois ans, les places fortes
appartenant à l'un ou â l'autre souverain resteraient pendant cet
intervalle sous la tutelle du Pape. Mais François P"" répondit aux
ouvertures d'Adrien qu'il ne pouvait songer à écouter ses [conseils
tant que Milan, qui était son légitime héritage, ne lui aurait pas
été restituée. Un armistice ne conduirait à rien. Quanta la campagne
contre les Turcs, il lui était absolument impossible de rien promettre.
Bien éloigné de songer sérieusement à la paix, François cherchait
à attiser en tous lieux le feu de la discorde. Grâce à sa complicité, les
Ecossais, alors en guerre avec les Anglais, pénétrèrent en Angleterre.
à la ruiue et à l'oppression du nom chrétien ? • « Quid detestabilius rege men-
dace », continue-t-il, • qui promissa literis et sigillis confirmata non pili facit?
Toile fidem, quid in omni republica remanebit integrum? Nihil pestilentius
soeietati humanae, quam promissa non servare, pactis non stare. • Geiger, Nieo-
laus Ellenbog, p. 19-20.
ALLIANCK CONTUK I, A F K A IV C E . (528. 329
Le speaker du Parlemen! iiese fil point laute d'exprimer à ce sujet sou
opiuioii sur la P'rance : - L'ambition des Français est insatiable «,
dit-il; « n'eussions-nous avec eux aucun dilïérend, nous devrions
encore détester la déloyauté dont ils usent vis-à-vis des autres
ualious. Dès (ju'on ne les lient pas sous la ver{',e, ils deviennent la
vcrjye des autres peuples'. » A Rome, François entretenait des
relations secrètes avec le cardinal Soderini, auquel le trop cré-
dule vVdrien avait accordé toute sa confiance. Soderini informa le
roi de France (ju'une nouvelle révolte était sur le point d'éclater
en Sicile contre l'Empereur, l'invitant en même temps à soutenir
par sa flotte l'entreprise des rebelles, celte émeute pouvant devenir
le signal du soulèvement de la Lombardie et de l'entrée des Fran-
çais en Italie. Mais les dépèches qui contenaient les preuves de cette
néj^ociation lurent saisies, et le Pape, irrité de la trahison de son
ministre, le fit jeter en prison et le cila devant la justice. Aussitôt
que François l'eut appris, il entra en fureur, rappela brusque-
ment l'ambassadeur accrédité qu'il avait auprès du Saint-Siège,
fit incarcérer le nonce à Paris, et adressa à Adrien, qui le
menaçait d'excommunication, une leltre hautaine, oii il le priait
de méditer sur le sort autrefois réservé à Boniface VlII. « Le pape
Boniface VlII entreprit contre Philippe le Bel, dont se trouva mal, »
lui écrivait-il; -< vous y penserez, par voire prudence. " On sait que
sur l'ordre de Philippe le Bel, Guillaume Nogaret ayant mis la main
sur Boniface Vil! lui avait fait subir d'indignes traitements. Le Pape,
intimidé par cette menace, se détermina enfin à conclure avec l'Em-
pereur et le roi d'Angleterre un traité d'alliance contre François I".
Venise s'était déjà déclarée pour l'Empereur, et le 29 juillet 1523
s'était unie à l'archiduc Ferdinand pour la défense de l'Italie.
D'autres princes et cité? italiennes vinrent encore grossir la ligue, et
l'on put se flatter de l'espoir « qu'enfin les Alpes seraient protégées,
et que sous Adrien VI, pontife éminent en piété, on pourrait orga-
niser la campagne turque* -k Les alliés espéraient d'autant plus que
l'orgueil français allait être abattu, que le connétable Charles de
Bourbon, grièvement offensé par François I" et lésé dans ses droits
d'héritier, était venu à l'improviste offrir son appui à Charles-
Quint. Le duc s'était même engagé à reconnaître pour futur souve-
rain le roi Henri VIII, qui n'avait jamais renoncé aux anciennes pré-
tentions de ses ancêtres sur la couronne de France ^
■ Pour plus de détails, voy. Höfler, Carl V und Adrian II, p. 10, 40-44, et
Adrian VI, p. 433. — Sur la haine des Anglais pour les Français, voy. la
relation du 14 avril 1521 dans Laxz, Actemtücke und Briefe, t. I, p. 170.
* Pourplus de détails, voy. IIofler, Carll und Adrian VI, p. 45-47, 54-64, 69-72.
^ Bourbon dut jurer au roi d'Angleterre " juramentum homagii et fidelitatis
%..quod ipse nos pro vero rege Franciae recognoscet et acceptabit nobisque
330 GUERRES EN ITALIE ET EN FRANCE. 1523.
« Toute l'Europe se ligue conlre moi et jure ma perte », déclarait
François 1" à l'assemblée des États de Paris; " mais je suis assez
fort pour la braver. .le ne crains pas l'Empereur, car il n'a point
d'argent; je ne crains pas le roi d'Angleterre, car les abords de la
Picardie sont bien gardés. Je ne crains pas les Flamands, car ils sont
mauvais soldats. .lirai moi-même en Italie, je m'emparerai de Milan
et ne laisserai rien à mes ennemis de ce qu'ils m'ont ravi. » « Je ne
serai à mon aise -, écrivait-il le 20 août 1523 à Montmorency, < que
lorsque j'aurai franchi les Alpes avec mon armée '. "
Mais craignant que le duc de Bourbon, dont les intrigues lui
avaient été découvertes, ne soulevât les populations françaises au
moment même oii les troupes espagnoles et anglaises se préparaient
à envahir ses États, il resta néanmoins chez lui, et se contenta, vers
la fin d'août, d'envoyer l'amiral Bonnivet en Italie avec une armée
considérable. En même temps la guerre éclatait en France. Une
armée auglo-flamande, commandée par le duc de Suffolk et le
comte de Buren, pénétrait jusqu'à l'Oise, à onze lieues de Paris, et
jetait l'épouvante dans la capitale. Les Espagnols envahissaient au
même moment le Béarn et la Guyenne, et les Allemands, commandés
par les comtes Guillaume et Félix de Fürstenberg, pénétraient en
Bourgogne et en Champagne. Nulle part une action décisive n'eut
lieu, mais partout le peuple eut horriblement à souffrir des ravages
de la guerre, et, pour comble de malheur, " un incendie horrible,
universel, semblait prêt à éclater de tous côtés «.
Pour propager eu Allemagne aussi ce redoutable incendie, Fran-
çois P' pressait le duc proscrit du Wurtemberg, Ulrich, alors ä son
service, d'exciter une émeute parmi les paysans, et de tenter avec
leur secours de recouvrer son duché. Pour l'y aider, il lui promet-
tait une importante somme d'argent -. François s'efforça aussi de
faire entrer dans ses vues Jean 111 de Clèves (novembre de la même
année), et à cette fin lui envoya de riches présents. Dans une assem-
blée des États de la ligue souabe, à Ulm, il fit parvenir un message
au délégué d'Augsbourg par un de ses agents politiques. Il assurait
à la ville de grands avantages commerciaux, mais à la condition
tanquam régi Franciae fideliler serviet atque obediet '•. Braüford [Con-espon-
dence of thc emperor Charles V, London, 1850, p. 51) fait, observer que Ce ne fut
pas l'Empereur qui fit au connélaljle les premières propositions. Bourbon,
comme les documents du temps l'établissent clairement , • was himself the
first to court an alliance, Avhich slamped him a rebel and traitor • . Bourbon
est bien en effet un traître et un rebelle.
'HÖFLEU, Cari i und Adrian VI, p. 64-65.
- * Relation de Clément Endres, 18 octobre 1523. Tricrische Sachen und Brief-
schaften. fol. 69. D'après la teneur de ce contrat, signé le 29 mars 1521, le duc
entrait au service du roi de France, et lui concédait droit d'entrée et de garni-
INTIUr.IiES DE l,A l'OMTIQUF. FRANflAISK F.N ALLKMA(;NE. 1.02:5-1524. .3.31
qu'elle .s'co^jygerait à ne fournir aucun .secours à Charle.s-Ouint
pendant la guerre d'Italie, et l'aiderait à reconquérir le Milanais'.
' Les menées du roi de France >-, écrivait Charles «le liodniann à
Rome (19 mars I")24), « sont si multipliées, que l'on doit sérieuse-
ment craindre que pour susciler des embarras à l'Kmijereur et à
l'archiduc, aliaiblir autant que possible l'Allemagne et fomenler
parmi nous des dissensions toujours nouvelles, il n'exploite Jus-
qu'aux troubles religieux qui nous divisent, e( ne s'efforce de les
rendre incurables. Dans les cités libres, qui ne sont préoccupées que
de leurs intérêts commerciaux, il se fait de nombreux partisans"^. "
Quehiues députés des villes impériales, ayant sollicité de lui une
audience privée à Lyon\ lui apportèrent l'assurance - (jue leurs
maîtres se comporteraient envers lui de telle manière que Sa Majesté
y prendrait plaisir. Elles priaient le Roi de ne pas faire expier aux
villes ses démêlés avec l'Empereur (10 novembre 1523). Elles feraient
tout ce qui était en leur pouvoir pour s'acquitter très-humblement
envers Sa Majesté Royale delà reconnaissance qu'elles lui devaient, y
François répondit aux députés, avec lesquels il s'entretint pendant
une heure '^ très amiablement et débonnairement :-, que les villes
ne seraient pas moins respectées et protégées par la couronne de
France que les cités françaises elles-mêmes, et qu'elles n'avaient
aucun danger à redouter, " Rapportez tout ceci aux villes que vous
représentez >-, dit-il en terminant l'audience, durant laquelle il avait
donné de fréquentes marques de son ressentiment contre l'Empe-
reur, et lui avait attribué toute la responsabilité de la guerre.
Or cette responsabilité, l'Empereur, à bon droit, la repoussait
énergiquement. Il écrivait à Ferdinand, le 16 janvier 1524, dans
une lettre confidentielle : " Mon frère, vous savez assez, et il
est à tous notoire, comme toujours mou désir et principale affection
a esté d'avoir et entretenir paix et repos en la chrétienté. Et tout
ce que j'ay faist et faist présentement n'est sinon tendant à l'effect
son dans toutes les villes et châteaux du comtat de Mömpelgard, resté en sa
possession. Pour l'achat de la forteresse de llohentviel, qui devait servir de
point d'appui aux entreprises d'LIrich, celui-ci reçut de François 2,000 couronnes
(Sonnenkroneiij. D'après une déclaration de l'Empereur (sept. Iô22i, le duc avait
reçu de François pendant les trois derniers mois 8,536 couronnes; pourtant il
se plaignait constamment de la parcimonie de la France. Hf.yu, Ulrich, Hertzog
von Württemberg, t. Il, p. 132-135.
' Voy. Haberli.n. t. X, p. 554. L'ambassadeur de Charles-Quint, Hannart, mande
à l'Empereur le 13 mars 1524 : « Le roi de France a puis aucun temps en ça
escript bonnes et gracieuses lettres aux villes impériales, pour gangnyer leur
bonne voulunte, el par ce destorber quilz ne vous donnent assistence contre
luy. • Lanz, Correspondenz, t. I, p. 105.
- Voy. plus haut, p. 162, note 5.
' Sur leur retour en Allemagne après leur entrevue avec l'Empereur au sujet
de la douane d'Empire, voy. plus loin, p. 332-333.
332 CHARLES-QUINT DISPOSÉ A CO\CLURE LA PAIX AVEC LA FRANCE. 1524.
de ladite paix, moiennant laquelle les armes et forces des chrestleas
se puissent joindre et unir, afin de non seulement répuiser les Turcs
et infidèles en leur emprinses, mais aussi leur faire la guerre, aug-
menter, exaucer et amplyer la foi et religion chrestienne '. « 11 était
toujours disposé à conclure la paix avec la France, écrivait-il à
Clément Vil, qui venait de succéder à Adrien (14 septembre 1523),
et pressait les puissances belligérantes de mettre un terme à leurs
sanglants et funestes démêlés. Il priait Clément d'être entre les
souverains le médiateur de la paix, et souhaitait que tout le monde
pût se convaincre du désir sincère où il était de se prêter à tout
accommodement raisonnable ^ Même après qu'en Italie les troupes
impériales eurent obtenu de brillants succès, Charles, le 14 mai,
envoyait à son ambassadeur près le roi d'Angleterre des instruc-
tions détaillées lui enjoignant de travailler, autant que la chose
était possible, et par l'entremise du Saint-Père, à la conclusion de
la paix avec l'Angleterre ^
Mais pendant ce temps, François 1" poursuivait en Allemagne ses
« redoutables intrigues ", ne songeant qu'à susciter de nouveaux
ennemis à l'Empereur parmi les princes et les cités, et à opposer à
Charles-Quint un nouveau roi romain.
Il se flattait qu'à la Diète qui devait se réunir à Nuremberg
en 1524, tant d'efforts aboutiraient enfin, et feraient prendre à ses
affaires « une heureuse tournure ».
• Lanz, Correspondenz, t. I, p. 81.
* Voy. Bl'chholz, t. II, p. 248. Lettre de Charles-Oiiint à Lannoy, 15 avril 1524.
^ " Pour parvenir à quelque honeste moyen de paix universelle entre nous
et les autres princes chrestiens a fin de pouvoir mieulx dresser les communes
armes contre les infidèles. •• Instruction pour Gérard de Plème, seigneur de la
Roche, BucHHOLZ, t. II, p. 503-519.
CHAPITRE VI II
DIÈTE DE NUREMBERG. — l'ROJET d'lNE CONVENTION HELIGIEISE.
1524
A l'issue de la dernière Diète, il avait été convenu que le jour de
sainte Marguerite (13 juillet 1523), les Etats se réuniraient de nouveau
à Nurember^y. Mais comme au jour fixé quelques membres des États
et les conseillers des électeurs étaient seuls arrivés, l'ouverture des
délibérations, forcément retardée, fut remise au vendredi d'après la
Saint-Martin (13 novembre). Le Conseil de régence exprimait l'espoir
que, dans les nécessités si pressantes de l'Empire, tous les Ordres se
feraient un devoir absolu de se rendre à Nuremberg à cette date.
Pour entraver autant que cela était en leur pouvoir les décisions
de la Diète précédente, et surtout . pour rendre impossible l'inac-
ceptable projet de douane ' », les villes libres avaient, de leur propre
chef, envoyé en Espagne une ambassade à l'Empereur. Le 9 août 1.523,
leurs délégués avaient été reçus par Charles-Ouint à Valladolid en
audience privée, et deux jours après, ils remettaient aux quatre con-
seillers choisis par l'Empereur un mémoire détaillé où étaient expo-
sés tous leurs griefs contre les •• grands Ordres de l'Empire > . Dans
ce mémoire, ils s'efforçaient d'établir leur droit < de séance et de
voix » au sein de la Diète, affirmant qu'ils l'avaient toujours exercé
dans les assemblées précédentes, et que les princes le leur déniaient
avec une injuste opiniâtreté. Ils n'avaient point admis l'obligation
où on les mettait de se soumettre à la majorité des suffrages. A
les entendre, " ils n'étaient aucunement obligés de donner toujours
leur assentiment aux décisions de leurs collègues; des délibérations
où étaient discutés les intérêts de tant de conditions et de per-
sonnes diverses ne pouvaient avoir lieu sans leur participation, puis-
' Voy. plus haut, p. 278-279.
334 DÉPITATION DES DÉLÈGUES DES VILLES LIBRES A CHARLES-QUINT. 1523.
qu'ils étaient bien résolus à n'entreprendre et à ne décider que ce qui
serait en tout conforme au droit, à l'honneur et à l'équité >■. Quant
à l'impôt sur les douanes voté à Nuremberg, il leur était impossible
d'y donner les mains, car il ne pouvait avoir d'autre conséquence que
le désastre le plus complet pour le commerce à tous les degrés; s'il
était exécuté, les marchands se verraient forcés d'abandonner leur
patriepour aller s'établira l'étranger! INon-seulement il serait funeste
aux villes libres, mais il ferait un tort considérable à la nation tout
entière, et l'homme du peuple qui " sous prétexte de liberté se
montrait déjà récalcitrant envers l'autorité, serait conduit infailli-
blement à la sédition et à la révolte -. Les villes, sans cesse obli-
gées de débourser de grosses sommes, se verraient réduites à la
mendicité; d'ailleurs, les nouveaux impôts seraient d'une faible
ressource pour l'Empereur; on avait vu précédemment que le pro-
duit pouvait bien facilement lui en être enlevé, et cette mesure
paraissait plutôt faite pour accélérer la ruine de r.\llemague que pour
améliorer sa situation. L'impôt de douane, prétendait-on, était indis-
pensable au maintien du Conseil de régence; mais les intérêts de
la paix et de l'équité seraient beaucoup mieux servis si l'on se déci-
dait enfin à élire un roi romain. En ce cas, les villes acclameraient
avec enthousiasme le frère de l'Empereur, l'archiduc Ferdinand.
Lorsque les conseillers de l'Empereur représentèrent aux délégués
que le Pape s'était plaint, dans un bref récemment adressé à Charlcs-
Ouint, de l'assentiment donné par Augsbourg, Strasbourg et Nurem-
berg aux doctrines de Luther et de l'encouragement donné à la dif-
fusion de ses écrits, les députés nièrent ce fait avec assurance, affir-
mant ne voir dans cette imputation qu'une calomnie répandue à
dessein par ceux qui leur voulaient du mal et travaillaient avec per-
sistance à leur ruine. Les cités ne s'étaient jamais jointes à ceux qui
avaient prôné, suivi ou défendu Luther; ou savait assez de qui
venait tout le mal. ^ Le peuple était altéré de vérité évangélique,
il réclamait l'intégrale prédication de la sainte Ecriture ■ ; mais pour
que ce but put être atteint, les délégués reconnaissaient qu'il était
très-nécessaire, en effet, de veiller à ce que, dans les trois cités en
question, conformément à l'édit impérial, les écrits luthériens fussent
absolument interdits, et même saisis chez leurs détenteurs. A leur
retour, ils se proposaient de faire connaître le bref papal et les
volontés de l'Empereur à ceux qui les avaient envoyés, et l'on pou-
vait compter sur leur pleine obéissance '!
' Der gemeinen Fry-und Beichs Slüdt Potlschaßen Handl. by Rom. Kaiserl. Majestät.
Archives de Erancfurt, Beichsiugsacien. t. XXXIX, p. 39-56 Le dimanche de Judica
\1i mars; 1523, l'envoi d'une députation à Charles-OuJnt avait été résolue dans
une assemblée des représentants des villes tenue à Spire. Le 3 juin, les délégués
DEPUTATION DKS KKr.KOl KS IH:S VILLES LIBRKS A CHAIU.KS-QUINT. 1523. 335
Par des assurances de ce {jenre, ils avaient su se concilier l'Em-
pereur, (jul n'avait ■■ rien plus à ccrur (jue le nuiinlien de la religion
catholique et l'unité de rK};iise' '. Des « témoijynajjes dejjratilude »
olferts aux conseillers impériaux rendirent aussi > de fort bons
offices- ». Les députés, il est vrai, ne purent obtenir une réponse
définitive, tout devant d'abord être soumis aux décisions de la Diète
qui allait s'ouvrir à Nuremberg;; mais ils parlirent « remplis d'espoir
et fort consolés d. J.'Em))creur leur avait donné secrètement à
entendre « qu'il était très-porté à favoriser les villes libres préféra-
blement aux autres Ordres ; il leur avait assuré que, sans les néces-
sités actuelles de la {;uerre, il se fiU immédialement appliqué à
régler leurs intérêts d'une façon « vraiment équitable et royale ». 11
n'entrait ni dans ses idées ni dans ses plans de laisser passer la loi sur
les douanes. Il souhaitait fort prendre lui-même le pouvoir en
main, instituer un lieutenant impérial énergique, établir un tribunal
suprême, imposant, respecté, afin que, dans le Saint-Empire, la paix,
le droit et le pouvoir exécutif eussent de fermes soutiens. Il avait
Tinlenlion de régler les choses de telle sorte, de concert avec les
Ordres et le Conseil de régence, que dorénavant, dans les questions
de monopole et de commerce, rien ne piU être décidé ni avoir force
de loi sans que Sa Majesté en eiU pris préalablement connaissance.
Tout devait d'abord lui être expédié, et ce qu'il trouverait d'illégal,
il était résolu à l'annuler. Restreindre l'action du commerce n'entrait
point dans ses vues : " Si les villes voulaient lui prêter un loyal appui,
soit par des secours d'argent, soit autrement, elles pourraient tou-
jours et partout attendre de lui et de ses chargés de pouvoir un gra-
cieux et favorable accueil. Ou aviserait à écarter la loi sur les douanes.
Les villes pouvaient se confier en ces assurances '. "
Le 23 août 1523, l'Empereur remit à son conseiller Jean Hannart,
chargé de le représenter aux États de Nuremberg, une instruction
se réunirent à Lyon. Les pourparlers de Valladolid se prolongèrent jusqu'au
24 août. Voy. les détails sur ces négociations dans les archives de Francfort.
Erber Freij-und Reickstele Abschiede der iare 1523-1542. Voyez-en la relation dans
HÖFLKR, Belrachlungen über das deutsche Städtewesen^ p. 214-2(9.
' Comme les délégués des villes le reconnaissaient eux-mêmes, d'après un rap-
port de Clément Endres, datée du 11 mars 1521. Trierischen Suchen und Briefs-
chaften, fol. 71.
' Le conseiller impérial Jean Hannart reçut 500 florins, et les trois autres
conseillers impériaux avec lesquels les délégués eurent à traiter, 200 florins.
Hannart promit aux députés de se montrer et de demeurer pö*iir elles • un
protecteur chaudement dévoué à leur^ intérêts, et de travailler à écarter
toute mesure pouvant leur être contraire. » Lettre d'Hamann de Ilolzhausen,
12 février 1524, Reichstagsaclen . t. XL, fol. 10. Abschiede der Reichstüdle ,
1524.
'Voy. les pièces citées plus haut, p. 334, note 1, et la lettre d'Hamann de
Holzhausen, du 28 janvier 1524. Reichstagsacien, t. XL, p. 4.
336 DIÈTE DE NUREMBERG. 1524
détaillée sur les questions qu'il importait de traiter avec le Conseil
et les Ordres durant la Diète.
Cetteinstructionserapportaitaux quatre points suivants : la douane
de frontière, la campagne contre les Turcs, le monopole, la question
luthérienne.
Quant à l'impôt, l'Empereur avait appris « que les villes s'y étaient
sérieusement et énergiquement opposées «, de sorte qu'en l'exi-
geant on aurait à craindre de leur part un mauvais vouloir très-
accentué, l'insoumission et la révolte; et comme, en ces temps
périlleux, l'Empereur souhaitait avant tout voir régner la concorde
entre tous les Ordres, Hannart était chargé, avec les cités et les
États, de travailler à l'adoption de moyens et de voies acceptables à
tous, et grâce auxquels la Régence et la Chambre impériale pussent
être entretenues.
Pour l'impôt projeté à la Diète précédente dans le but de couvrir les
frais d'une expédition contre les Turcs, les villes l'avaient également
déclaré inacceptable; elles s'étaient offertes «à payer plutôt le denier
commun - ; mais comme l'organisation d'un pareil impôt était insépa-
rable d'énormes difficultés, et que les progrès des Turcs réclamaient une
prompte répression, Charles-Ouint insistait denouveau pour queles sub-
sides qui lui avaient été accordés à Worms pour l'expédition romaine
fussent immédiatement affectés à la guerre contre les infidèles.
Dans la question du monopole et des monnaies, Hannart devait
s'entendre avec les États.
L'Empereur se montrait fort mécontent de ce que l'édit de Worms,
publié sur le conseil de tous les électeurs, des princes et autres
Ordres, n'eiït pas encore reçu son exécution. Il insistait sur sa mise
en vigueur de la manière la plus pressante'.
La Diète, qui avait été convoquée pour le commencement de novem-
bre 1523, ne put s'ouvrir que le 14 janvier 1. 524. Cependantàla fin du
mois " nulle question importante n'avait encore été débattue ». Entre
les électeurs de Mayence et de Saxe, l'ancienne dissension à propos
du mode des votes s'était ravivée -, et le vieux refrain : « Nous sommes
paresseux, querelleurs, et nous ne nous comprenons en rien », aurait
pu, cette fois encore, être chanté à l'unisson par les Ordres ^ « Je crains
bien que les choses n'aillent tout de travers », écrivait à b'rancforl, dès
le début de la Diète, Hamann de Holzhausen, député de cette ville'.
' * Instruction impériale datée de Valiadolid, 23 août 1523, lîeichsiagsacun,
t. XXXIX, p. 231-230.
' Voy. le rapport d'Hannart à l'Empereur, 13 mars 1524, Lanz, Corrcspondenz,
t. I, p. 102. « ...L'on a perdu trois sepmaines de temps, avant que l'on ait sceu
accorder en cecy les parties. •
* * Clément Endres, dans la lettre citée, p. 334, note 1.
* • Lettre du I 8 janvier 1521, Reichslagsacten, t. XL, fol. 3.
LKS PRINCES KT LES VILLES CONTIîE LE CONSEIL DE T.EGENCE. 1524. 337
Charles-Quint avait insisté « pour qu'on prit de sérieuses mesures
touchant l'entretien du Conseil de régence et de la Chambre impé-
riale; mais aucun résultat ne sortit des pourparlers entamés à ce
sujet. Au sein même de la Diète, d'unanimes et graves récriminations
contre le Conseil s'élevaient de tous côtés, et personne ne voulait
plus rien avoir à faire avec les conseillers'.
Les princes alliés de Trêves, du Palalinat et de la Hesse avaient
été les premiers « à soulever l'orage «, indignés qu'ils étaient d'un
jugement rendu par le Conseil et portant que les possessions
enlevées par Philippe de Hesse à Frowin de Hütten seraient resti-
tuées à ce dernier ^ Le Conseil, déclara au nom des princes le
docteur Venninger, savant légiste en droit romain, n'avait mis
aucun zèle à s'opposer aux agissements révolutionnaires de Sickin-
gen. Loin de le combattre, il avait pris ses partisans sous sa pro-
tection. Frowin de Hütten, en faveur duquel le Conseil, de sa
propre autorité et sans réclamer l'opinion de la Chambre impériale,
avait prononcé ce jugement plein de partialité ^ était publique-
ment connu pour le complice avoué de Sickiugen; ce fait ressortait
clairement des lettres qu'il avait écrites tant à ce dernier qu'à
Nickel de Minckwitz; toutes les affaires secrètes traitées au Conseil
et dans les Diètes précédentes, Frowin en avait été instruit, de
sorte « que le Palatinat, Trêves et leurs délégués avaient été moins
bien informés que Sickingen de tout ce qui se passait au Conseil
ou à la Diète ». « Or de quel carquois étaient sorties ces flèches? Il
était plus prudent de le laire que de le dire. » C'était à tort qu'on
reprochait aux princes alliés d'avoir eu le dessein d'opprimer la che-
valerie et la noblesse; l'injustice de ce reproche était manifeste.
« Leurs Grâces n'en éprouvent pas une petite surprise, car la vérité
est que les plus honorables de la noblesse se sont bien conduits; sans
eux, il eût peut-être fallu s'en remettre uniquement à la miséricorde
divine. » Ce que les princes alliés avaient tenté pour châtier les per-
turbateurs de la paix, ils ne l'avaient fait que dans l'iniérêt de l'Em-
pire, car les complots de Sickingen avaient été si bien ourdis que
s'ils avaient réussi, il fiU devenu impossible de savoir c qui était roi,
empereur, prince, comte, commune, ou n'importe quoi ". Attaquer
ou amoindrir la majesté de l'Empereur n'était jamais venu à la pensée
des princes alliés : " ?se savaient-ils pas bien -, disait Venninger, s'iu-
' Voy. la note i, p. 336.
* Voy. Ulm.vnn, p. 396.
*Nulle part les lois de l'Empire « ne donnent au Conseil de régence le pou-
voir d'instîuire les causes et de prononcer des jugements. Ce droit ciai'. réservé
à la chambre impériale. •
II. 22
338 LES PRINCES ET LES VILLES CONTRE LE CONSEIL DE REGENCE. 1524.
spirant ici des Ihéoiies du droit romain sur le pouvoir, - que TEm-
pereur est le droit vivant, cju'il est élevé au-dessus des lois, que Sa
Majesté n'est autre chose qu'un dieu terrestre, et que tout lui est
possible, comme l'enseignent les docteurs"? Mes très- gracieux et
très-hauts seigneurs n'ignorent point ces choses'. «
« Le discours de Venninger », rapporte le délégué de Francfort
(1" février 1524), " a porté un rude coup au Conseil; Venninger a su
lui dire nettement ses vérités^; aussi les Ordres sont-ils décidés
à ne plus souffrir que des conseillers du genre de ceux qui siègent
actuellement soient élus à l'avenir, " Seul, l'électeur Frédéric de
Saxe prit le parti du Conseil, et comme ses avis n'étaient pas
écoutés, il quitta brusquement Nuremberg (26 février). .. Les élec-
teurs, princes et autres Ordres ", mandait le jour même de ce
départ le délégué de Francfort, ■ brûlent d'abolir le Conseil de
régence. » Toutes les villes libres partageaient cette opinion et
s'étaient affirmées dans ce sens à la Diète de Spire; mais tout à coup
Nuremberg déclara n'être point de cet avis, " car chacun cherche
son propre intérêt ' . Ulm, à sou tour, « se montra récalcitrante
Ces deux villes étaient cause du reproche si souvent fait aux cités
libres d' avoir deux poids et deux mesures , de - ne rendre pas un
son bien net «, et de manger à deux râteliers -. ^- Cependant ce
reproche était à cette époque sans fondement \ »
Les villes, à leur tour, dressèrent un cahier de doléances contre
le Conseil; elles s'exprimaient en termes aigres et durs • . Elles
affirmaient que, par rapport à leurs libertés civiles, statuts et pri-
vilèges, le Conseil s'était livré à des actes arbitraires qui ne pou-
vaient avoir d'autre résultat que le mépris de l'autorité, l'émeute,
l'abaissement de la nation et la ruine générale*. Le duc Georges de
Saxe déclara à son tour que le Conseil n'avait eu aucun souci de la
dignité de l'Empereur, ni de celle des princes; qu'il avait laissé
Luther traiter impunément les princes de coquins et de scélérats,
excitant ainsi le peuple à la révolte contre l'Empereur ^ L'évêque de
Würzbourg accusa également le Conseil d'avoir ouvertement favo-
risé les nouvelles doctrines. Deux capitulaires cités par lui devant
• • Bekhstagsacten, t. XXXIX, p. 57-75, 97-100, 136.
- • Lettre d'Ilamann de Ilolzhaiisen du 1" février 1524, Reichstagsacten, t. XL,
fol. 7.
^ ' Lettres du 21 et du 2G février ^vendredi d'après lieminiscere); autre letire du
5 mars 1524, dans les lUichslagsacten, t. XL, fol. 12, 14, 16. Voy. t, XXXIX, p. 156.
* 'Délibérations du 20 février (Samedi après /nrocar//), Reichstagsacten, t. XXXIX,
p. 262-269. FwhalUn des Regimentes gegen die Städte, fol. 269-271 et 332-337. Le
26 février (vendredi d'après Reminiscere), le Conseil de régence se plaignit que,
malgré le texte formel de ses constitutions, il eût été exclu des délibérations
générales.
' Curieuse Xachrichlen, p. 37.
LKS PRINCES KT LES VILLflS CONTRE EE CONSEIL DE REGENCE. 152i. :{:J9
un tribunal ecclésiastique pour s'être maries avaient été absous par
le Conseil. Un chanoine convaincu d'hérésie avait reçu un sauf-
conduit {yrâce auquel il avait pu se sauver*. « il n'est que trop
certain », écrivait Hannart à l'Kmpereur, « que la plupart des con-
seillers de la Ré{ience sont fort bons luthériens, et que très-souvent,
dans leurs procédés et leurs actes, ils se montrent inq)rudents et mal-
avisés ^ «
Aussi élait-il à prévoir que les membres actuels du Conseil ne
seraient pas réélus ; mais comment, à l'avenir, organiser le nouveau
pouvoir? Ici les opinions et les désirs différaient grandement.
« Quelques-uns voulaient, d'accord en cela avec le lieutenant
impérial l'erdinand et l'organe autorisé de l'Empereur, Hannart,
que le Conseil de régence, dans son essence et son principe, fiU
maintenu tel qu'il avait été constitué, et qu'on se bornât à élire de
nouveaux membres. D'autres, se ralliant aux vues de l'Électeur
palatin, étaient d'avis qu'en l'absence de Chaiies-Ouint, ce prince
exerçât dans l'Empire ses droits au vicariat; la plupart ne voulaient
plus entendre parler de Conseil de régence. Beaucoup étaient pour
l'élection d'un roi romain, excluant d'avance tout prétendant de la
maison d'Autriche. Ainsi tous étaient désunis, tous se querellaient;
il semblait que durant cette Diète aucune question intéressant
l'Empire ne diU être résolue, et qu'il fallût presque désespérer de
l'avenir \ »
Les États eux-mêmes tombèrent dans une sorte de désespoir en
constatant la discorde qui régnait parmi eux. « Les princes et autres
Ordres ", écrit Hannart, u sont persuadés que c'est par un châtiment
du ciel qu'ils ne peuvent parvenir à s'entendre sur les pressantes
nécessités du moment. » <' .l'ai grand'peur », continue-t-il, « que s'ils
ne changent d'attitude, ils ne soient, sous ce rapport, bons pro-
phètes, et qu'en effet Dieu ne fasse peser sur eux sa colère. » Tous
les jours, on voyait se produire d'épouvantables attentats sur divers
points de l'Empire. Si donc la Diète se séparait sans avoir rien con-
clu, une complète anarchie était à prévoir; ^ l'abominable hérésie
luthérienne irait se propageant de plus en plus ", et « des secousses
violentes deviendraient inévitables ». Même les princes qui jusque-là
s'étaient monirés dévoués à l'Empereur étaient maintenant récalci-
trants, pleins d'aigreur; ils avaient trop longtemps, trop vainement
attendu le payement des pensions qui leur avaient été allouées. Si elles
' Voy. HviiERLiN, t. X, p. 577.
- " Et certes, comme suis pour vray averty, la pluspart desdicts du régiment
sont grandz luthériens... " Rapport du 13 mars 1524, dans L\nz, Corresiiondem,
t. I, p. IUI.
^ ' Charles de Bodmann, 19 mars 1521. Voy. plus haut, p. 152, note 5.
22.
340 INTRIGUES FRANÇAISES. 1524.
ne leur étaient promptement remises, ils se déclaraient hors d'état
de rendre à l'avenir de bons offices à l'Empire, et d'entreprendre,
pour le service de l'Empereur, des voyages dispendieux, pour
assister aux Diètes. L'Empereur devrait du moias, et Hanuart l'en
conjurait, faire parvenir à l'ancien lieutenant impérial, le comte
palatin Frédéric, les sommes auxquelles il avait droit afin de le
maintenir dans ses intérêts. Frédéric avait tout pouvoir sur l'esprit
de son frère le comte palatin qui, en ce moment même, remuait
ciel et terre pour empêcher que le Conseil de régence ne fût réélu,
et pour obtenir le vicariat d'empire. Or, si le Conseil, et avec lui le
pouvoir de l'archiduc Ferdinand, c'est-à-dire tout ce qui avait été
organisé à Worms, étaient renversés, les partisans du vicariat au-
raient peu de peine à empêcher la Diète de rien conclure; ils con-
voqueraient une autre Diète dans les pays rhénans, et là établi-
raient à leur guise un nouveau gouvernement central. Dans foutes
ces questions les secrètes pratiques du roi de France devaient être
prises en sérieuse considération'.
En effet, bien avant l'ouverture de la Diète, François I" s'était
efforcé de persuader à plusieurs électeurs et princes que l'Empereur
étant en Espagne et l'Empire laissé pour ainsi dire orphelin, il était
de leur intérêt d'élire un roi romain. Il se déclarait prêt à en accep-
ter le titre si le choix tombait sur lui, et saurait, disait-il, témoigner
son extrême gratitude aux électeurs et princes par des présents et des
faveurs; si pourtant ceux-ci préféraient élire un prince allemand, nul
homme n'était plus digne de leurs suffrages que le margrave Joachim
de Brandebourg. Le comte palatin Louis serait également un choix
très-recommandable, à cause de ses rares qualités; en tout cas, « il
importait au salut de l'Allemagne que l'archiduc Ferdinand, frère de
l'Empereur, fût éliminé ». Une fois élu, le nouveau roi des Romains,
muni de forts subsides de guerre, unirait ses forces à celles du roi
de France, et déclarerait la guerre à Charles d'Espagne, l'ennemi
juré de la liberté de l'Allemagne, le tyran qui ne visait qu'à oppri-
mer et mettre en servitude le monde eritier*.
Des instigations de ce genre ne laissaient pas que d'avoir une
très-grande influence.
" Je sais de bonne source », écrivait Hannart à l'Empereur le
13 mars, « que plusieurs princes se concertent au sujet des absences
fréquentes de Votre Majesté. Ils assurent qu'un bon gouvernement
' Rapport de Hannart ù l'Empereur, 13 mars et 26 avril 1524. L\nz, Correspon-
denz.t. I, p. 102, 104, 106, 118, 120.
^'. chronique de jMayence, 7 janvier 1521, après les ouvertures faites par le
chargé d'affaires français Jean Tempor. Œuvres posthumes de Bodmann.
INTRIGUES FRAN(;AISP:S. J521. 341
est impossible à établir lorsque le souverain est si souvent hors du
royaume. On parle du roi de F-'rance, parce que ses richesses
dépassent celles de (out autre prétendant; mais comme on s'aperçoit
que son élection présenterait de (grandes difficultés, le comte pala-
tin cl le mar{jrave soUj^yent, chacun de son côté, à sonder les esprits
pour voir s'il ne leur serait pas possible d'être élus; aucun d'eux
n'approuverait le choix de l'archiduc Ferdinand. Il est encore trop
jeune, disent-ils, et sous sa conduite les princes seraient plus mal en
point que jamais, car Ferdinand se laisse complètement diri[;cr par
son conseiller Salamanque. " Ilannart se plai{jnait amèrement du
margrave, lequel semblait prendre très-peu de souci des intérêts de
l'Empire. « On découvrira bientôt >', disait Hannart, «que le penchant
du margrave pour les Francais n'a d'autre cause que son désir d'éta-
blir son fils, qu'il destine à la princesse Renée; le souci de ce mariage
lui fait oublier son devoir et ses obligations'. " L'archevêque Richard
de Trêves était également soupçonné « d'avoir fait amitié avec le
roi de France -, et de tirer de celui-ci de quoi payer le grand appa-
reil dans lequel il paraissait à la Diète-. François I", disait-on, avait
aussi réussi à fortifier chez les ducs Guillaume et Louis de Bavière
l'aversion déjà si forte qu'ils nourrissaient pour les princes de la
maison d'Autriche. » Les ducs n'étaient venus aux États ", affirmait-
on dans l'entourage de l'Électeur palatin, « que pour déposséder la
maison impériale d'Habsbourg, et chercher à acquérir pour eux-
mêmes la couronne romaine et impériale ^ «
Ces bruits, ces soupçons, les intrigues françaises, tout concourut
à dicter aux princes la subite résolution à laquelle ils s'arrêtèrent :
ils convinrent d'envoyer une ambassade, d'abord à François l",
ensuite à l'Empereur, puis au roi d'Angleterre, et de lui confier la
mission de ramener la paix et la concorde entre les princes chré-
tiens. L'électeur de Trêves, le comte palatin Frédéric et le duc
Louis de Bavière devaient se rendre dans ce but à la cour de France,
accompagnés d'une suite brillante; l'électeur de Trêves demeurerait
près du Roi. L'archiduc Ferdinand et Hannart eurent toutes les peines
du monde à empêcher un acte aussi inconstitutionnel, acte dont les
princes assumaient toute la responsabilité sans l'assentiment de l'Em-
' L4NZ, Correspondes, t. I, p. 105, 106, 107. D'ailleurs, Hannart ne semble pas
avoir redouté les intrigues en question : • ...joint que les électeurs ne sont tous
d'une oppinion, sarchant chacun son particulier interest. »
^ Voy. le rapport de Hannart, dans Lanz, t. [, p. lOO-lOl.
* • ...lain tum (à la diète de Nuremliery de 1524) in animo habentes, si quo
modo imperialem dignitatem ad se transferre et domui Austriaca^ adimere pos-
sent. » Surtout le chancelier de Bavière, Eck, nourrissait le désir de " praesertim
duci Wilhelmo, excelso animo principi, nunc regiam, nunc imperialem, nunc
electoraleni dignitatem ambienti, tandem optatam viam inveniret et aperiret •.
Hub. Leodius, p. 89.
342 NOUVEAU CONSEIL DE RÉGENCE. 1524.
pereur et des Ordres '. " Ce qui serait traité à la cour de France dans
le cas où l'ambassade s'y rendrait se devine aisément lorsqu'on est
au courant des pensées et des vœux secrets des princes «, écrivait
Charles de Bodmann. - La paix, dont ils ont déjà stipulé les condi-
tions, n'aurait très-certainement d'autre résultat que d'assurer au
roi de France, au cœur même de l'Empire, des alliés déclarés, tout
prêts à se tourner contre l'Empereur à un moment donné*. »
Charles-Ouint remercia vivement son frère d'avoir empêché
cette ambassade. Elle n'eût pas été à son honneur, écrivait-il, mais
au contraire ei\t beaucoup servi la gloire de François I". Du reste,
selon lui, elle était d'autant moins nécessaire que le Pape mettait
en ce moment tout en œuvre pour obtenir la paix, ou du moins
l'armistice, et que les intérêts de la concorde européenne lui avaient
été remis. Le Pape, pour négocier les conditions de paix, venait
d'envoyer l'archevêque de Capoue, en qualité de nonce, à Fran-
çois I", à Henri VIII et à l'Empereur ^
Les « intrigues françaises >' échouèrent cette fois encore, grâce à
l'énergie de l'archiduc.
Ses efforts pour le maintien du Conseil de régence eurent aussi
quelques bons effets, en ce sens qu'après de longs pourparlers, les
Ordres se décidèrent à « prolonger son existence de deux années
encore, à la condition que tous les membres actuellement en fonc-
tion seraient désormais tenus et requis de rendre compte de leur
administration ". Si l'archiduc et le chargé de pouvoirs de l'Empereur
n'acceptaient point cette décision et ce contrôle, - les électeurs,
princes et autres Ordres «, portait la déclaration du 12 mars, « se
croiraient autorisés, après avoir si longtemps délibéré sur cette
affaire, à signifier au Conseil sou congé* ". Le nouveau pouvoir
devait être convoqué à Spire , Francfort ou toute autre ville, à
' Rapport de llannart, Lanz, t. I, p. 125. Chmel, ErJierzog Ferdinand's Instruction
für Carl von Burgund, Herrn zu Bredam, du 13 juin 1524, p. 104. • Hec Icf^atio sola
suffecisset interrumpere felicem cursum rerum majestatis suae. • l.e roi de France
faisait - miras practicas inter ipsius imperii principes et principalia meinbra...»
• Non cessât dies et noctes non solum in Germania, sed etiam in plerisque aliis
regnis et locis practicare, sperans insidiis assequi quod jampridem armis obti-
nere nequivit. > P. 107.
' Voy. plus liaut, p. 162, note 5. Bodmann vante l'énergie de l'archiduc et son
infatigable activité dans les affaires, bien qu'il eût à peine vingt et un ans (il
était lié le 10 mars 150.3). L'ambassadeur vénitien Contarini écrit en 1525 à propos
de Ferdinand : • È di natura che tende al colerico; pèro è acutissimo, pronto,
ardentissimo di stato, e di signoregiare ; ragiona volentieri e vuole intendere
ogni cosa. « Albeui, t. Il, p. 63.
2 Lettre du 26 mai 1524. Buchholz, t. II, p. 51. Sur les efforts de l'Empereur
ponr faire aboutir les négociations de paix, voy. le rapport de son ambassadeur
Gérard de Plème, 20 août 1524, Lanz, Correspondenz, t. I, p. 143-144.
* ' Samedi après Lœlare (12 mars), Frankfurter Reichstagsaclen, t. XXXIX, p. 284.
NOUVEAU CONSEIL DE RÉGENCE. 1524. 343
l'époque de la Pentecôte, et l'on s'occuperait alors de le constituer
sur des bases meilleures. " Parmi les améliorations proposées par la
commission nommée à cet effet par les Ordres, se trouvait en premier
lieu stipulée la clause que le nouveau pouvoir laisserait aux Ordres,
grands et petits, la plénitude de leurs droits réf^aliens, privilèges,
usages, traditions et juridictions, et que nulle équivoque ni confu-
sion ne serait tolérée sous ce rapport '. »
" A ce sujet les querelles recommencent de plus belle », écrit un
témoin oculaire*, ' et il ne faudrait pas beaucoup s'étonner s'il était
vrai, comme on en fait courir le bruit, que le lieutenant impérial et
le chargé de pouvoirs de l'Empereur ne fussent en fort mauvaise intel-
ligence. L'archiduc parle d'Hannart en termes amers et violents. »
Il en était effectivement ainsi.
" Tous les membres de la Diète », mandait Ferdinand ;i l'Empereur,
« ne souhaitent que l'abolition du Conseil de régence, et ce but,
ils le poursuivent par des ruses, des artifices inimaginables. Or, s'ils
parvenaient à leurs fins, l'autorité et la considération de Votre
Majesté seraient ruinées, une rébellion ouverte éclaterait infaillible-
ment dans l'Empire, et un grand nombre de vos sujets se tourne-
raient vers la France. " Hannart, ajoutait Ferdinand, n'avait pas été
adroit dans ses négociations. Il avait donné de grandes espérances
aux électeurs de Trêves et du Palatinat, ainsi qu'au landgrave de
Hesse, leur assurant que le Conseil de régence allait être supprimé.
De plus, il avait révélé à l'électeur de Trêves les instructions secrètes
qu'il tenait de l'Empereur. " Tout ce que j'avais tenté, tout ce que je
m'étais efforcé de. faire réussir, tant pour le maintien du respect dû
à Votre Majesté que pour le salut et la paix de cette nation, a été
(bien que je n'en eusse conféré qu'avec quelques-uns de mes plus
intimes conseillers) communiqué à diverses reprises à nos adversaires.
Ce fait m'a extrêmement troublé; cependant j'ai dissimulé mon déplai-
sir; mais une telle découverte m'a mis dans une perplexité plus grande
encore que la conduite déraisonnable d'Hannart. C'est à peine si
Hannart souffre qu'on ait pour moi les égards dus à mon rang; son
attitude est plutôt celle d'un soldat vantard que celle d'un grave ambas-
sadeur. Je supporterais facilement ce manque de tact s'il pouvait en
résulter quelque profit pour les intérêts de Votre Majesté, mais il
s'en faut de beaucoup que nous puissions l'espérer, et je ne veux pas
entrer à ce propos dans de trop longs détails, de peur de peiner Votre
Majesté. Je ne citerai qu'un seul fait : Hannart s'est laissé si inconsi-
• Reichslagsacten, t. XXXIX. p. 280.
* * Charles de Bodinauu, 19 mars 1524. Voy. plus haut, p. 162, note 5.
344 DÉLIBÉRATIONS DE LA DIKTE DE NUREMBERG. 1524.
dérément entraîner au parti des villes, qu'il a fait espérer et peut-être
promis plusieurs choses qui jamais ne pourront être accordées, du
moins tant que les affaires de Votre Majesté seront en bon point '. "
Les États avaient consenti au maintien du Conseil de régence
pour deux ans encore; restait maintenant à trouver les sommes
nécessaires h son entretien. L'impôt de douane, dont il avait été
question, fut « lamentablement rejeté, surtout par la faute des
villes, mais aussi par suite de l'opposition de quelques princes et
conseillers de princes, et cela, à dire le vrai, au détriment des vrais
intérêts de l'Empire ". Ferdinand proposa alors que les Ordres, taxés
d'après les anciens registres de la matricule, fussent obligés à fournir
la somme voulue; mais ce plan fut repoussé, ainsi que la proposition,
apporice également par Ferdinand, de faire supportera l'Empereur
la moitié des frais à condition que l'autre moitié serait couverte par
les États. Ceux-ci déclarèrent le 18 mars que " pour des motifs très-
plausibles et à cause de leurs très-lourdes charges, il leur était impos-
sible de rien faire pour le Conseil de régence ' . Puisqu'il dépendait
de l'Empereur, il était juste que l'Empereur fit à lui seul tous les frais
de son entretien-. Ce ne fut qu'à la condition que le nouveau Conseil
serait réformé comme on le souhaitait, et qu'aucun membre du Con-
seil actuel ne serait réélu, qu'à la fin les électeurs et les princes con-
sentirent à payer la moitié de la somme requise.
Mais à ce moment ^ les délégués des villes recommencèrent leurs
récriminations -.Au début de la Diète, ils avaient présenté une
adresse portant « qu'ils avaient reçu de ceux qui les avaient envoyés
l'ordre exprès de ne prendre part à aucune délibération avant
qu'on eiit fait droit à leurs griefs touchant le siège et la voix ». En
conséquence ils ne s'étaient décidés à assister aux séances des Etats
que sous la réserve qu'ils ne signeraient rien tant que " leurs maîtres
et amis ne seraient point traités comme les autres corps de l'État
et n'auraient pas obtenu les prérogatives auxquelles ils avaient
droit ^ ». Le 2 avril, il leur fut répondu que jusqu'à ce que l'Em-
pereur vînt en personne en Allemagne et piU conférer sur ce sujet
avec les Ordres , deux délégués seraient admis au Conseil de la
' BucHHOLTz, t. I!, p. 45-46, 52. L"arcliiduc, au rapport d'Iiamann de Ilolzhausen
(5 mars 1524), avait secrèleinent sollicité l'appui des villes, afin que, dans le cas
où les membres du Conseil de réf;ence seraient révoqués, le conseil lui-même,
en tant qu'institution, fi'it maintenu; l'Empire, selon lui, serait exposé par sa
perte à de grandes calamités, et la p.iix et la justice seraient en grand péril.
Frankfurter fteichslagsaclen, t. LX, fol. 16.
* * Vendredi avant les Rameaux (18 mars 1524), Franl-furtcr Reichstagsacten,
t. XXXIX, p. 289.
* * « Der Stell Handlung gegen Kurjürslcn und Fürsten und anderen, Reickslend belan-
gend Stimm, Session und Rcichsstandl dersclbigen. » Reichstagsacten. t. XXXIX, p. 239-259.
KTAT DE L'ALLEMAGNE. 152i. 345
Diète, et pourraient disposer d'une voix, mais que leur vote n'aurait
lieu qu'après celui des comtes et seifjneurs, et à la condilion expresse
que, comme les autres Ordres, ils s'cn(}a{',eraient à ne rien rapporter
au dehors de ce qui se passait aux assemblées. Celte concession « ne
fut nullement du p,oiU des députés urbains -. Ils répondirent que la
plus grande partie des leurs avaient déjà quitté Nuremberg, et qu'il
leur était impossible de donner les mains à la proposition qui leur
était faite : de retour chez eux, ils « soumettraient la question à leurs
maîtres' ».Ouantà consentir à contribuer en quoi que ce soit à l'entre-
tien du Conseil de régence, ils déclaraient en être -■■ bien éloignés* ».
D'aucun côté n'arrivaient les sommes indispensables au fonctionne-
ment du Conseil, qui venait d'être transférée Esslingen, et dès 1524
semblait bien près d'être dissous '.
Pour les monopoles, rien d'essentiel ne fut décidé. On se borna
à renouveler les anciennes défenses, avec injonction de les prendre
cette fois en sérieuse considération et de les observer de la manière
« la plus pratique, la plus raisonnable, la plus conforme au droit ».
Les discussions sur les sociétés commerciales eurent aussi très-
peu de résultat, bien que pour cette fois les délégués des villes se
fussent déclarées « prêts, avec le concours des autres Ordres -, à abolir
les « grandes compagnies* ■^.
Les discussions dont le Conseil de régence avait été l'objet
avaient duré si longtemps et avaient été tellement orageuses, que
pour toute autre question « il restait fort peu de temps ". Selon
l'usage, fout fut « relégué sur le grand banc », c'est-à-dire à la pro-
chaine Diète. Quant à la résistance si nécessaire qu'il s'agissait d'op-
poser à l'invasion turque, on décida d'employer aux nécessités de la
guerre la moitié des sommes consenties à Worms pour l'expédition
romaine. « IVlais on s'apercevra bien vite, et dans un temps pro-
chain », prédisait un témoin de tous ces débats, « que ce plan, non
plus que les autres, n'amènera aucun résultat appréciable ^ »
Tout semblait concourir à la ruine de l'Empire.
Ferdinand écrivait à son frère, en lui exposant le lamentable état
de l'Allemagne *, que les fonctions dont il était investi rapportaient
' * Reichstagsacten, t. XXXIX, fol. 297-298. Voy. HÖFLEP., Deutsches Sta/Ilewesen, p. 222.
^ ' Clément Kndres, le 5 avril 1524, Trierischen Sacken und Brief sdiaftcn, fol. 75.
' Voy. BucHHOLTz, t. II, p. 68-71.
* * Clément Eiidres, voy. note 2. Hamann de Holzhausen, 12 février 1524, dans
les Reichstagsacten, t. LX, fol. 10. Seule, Augsbourg protesta contre cette proposi-
tion. Le 28 janvier, écrivait Holzhausen, les déléa^ués des villes se sont montrés
disposés à abolir les monopoles, parce que l'article principal de la proposition
portait : • que d'eux était venu tout le mauvais vouloir des princes, comtes et
chevaliers contre les cités. »
' ' Clément Endres, 13 mai 1524, Trierischen Sachen und Briefschaften, fol. 79.
* Chmel, Ferdinands Instruction für Carl von Burgund, 13 juin 1524, p. 101-122.
346 ÉTAT DE L'ALLEMAGNE. 1524.
à l'Empereur plus d'humiliation que d'avantages; ce n'était, disait-il,
qu'un vain titre, sans nulle efficacité, sans prestige ; dans les réu-
nions de la Diète, le lieutenant impérial avait à peine autant d'in-
fluence que les délégués des princes; au Conseil de régence, son
action était à chaque instant gênée par la nécessité de se soumettre
aux décisions de ces derniers. Les intérêts de l'Empereur et de la
maison d'Autriche seraient bien mieux servis s'il ne paraissait pas
à la Diète en qualité de lieutenant impérial, mais simplement comme
archiduc d'Autriche. Tout était trouble et confusion; les États
étaient sourdement travaillés par le roi de France, et l'on n'avait
que trop clairement compris pendant la Diète combien ils prenaient
peu à cœur les intérêts de l'Empire. Xi le Conseil de régence, ni la
Chambre impériale n'avaient obtenu les subsides nécessaires à leur
entretien, et si l'Empereur, à ses propres frais, ne se décidait aies
fournir, et n'acquérait ainsi le droit d'élire dans ce tribunal suprême,
ainsi qu'au Conseil, des hommes capables, on verrait bientôt surgir,
ou un vicariat d'Empire, comme le demandait ardemment l'Électeur
palatin, ou un pouvoir entièrement dépendant des États. Enfin, à
la suite de la prodigieuse agitation qui régnait dans le pays, il était
fort à craindre que les électeurs, ou même le peuple, n'exigeassent
l'élection d'un nouveau souverain, car dans le peuple, il fallait
bien que l'Empereur en fût averti, se fortifiait de plus en plus la
conviction que l'usage de laisser élire les souverains allemands par
quelques princes venais devait être aboli, et que, surtout dans la
question de l'élection, les princes ecclésiastiques devaient être élimi-
nés. Si l'on continuait à céder toujours, il était à craindre qu'un chef
habile, s'appuyaut sur la volonté populaire, ne s'emparât de la cou-
ronne, et ne fiU soutenu dans son entreprise par les intrigues et les
armées de la France. Si l'Empereur voulait prévenir la ruine immi-
nente de la nation, il lui fallait se décider à donner un chef à l'Em-
pire. Selon la promesse que, de son propre mouvement, il avait faite
avant son départ pour l'Espagne, il devait sans tarder et avant qu'il
fut trop tard favoriser l'élection de l'archiduc. Si l'on n'élisait promp-
tement un roi romain, il était à prévoir que la nation allemande,
au milieu des perpétuels conflits créés à propos de la couronne
(qu'on pouvait toujours se flatter d'obtenir avec l'appui de la France),
et surtout à cause de l'anarchie religieuse, finirait par périr de ses
propres mains'.
Cette anarchie ne s'était que trop fait pressentir pendant la Diète
de Nuremberg.
' ■ ...tiinendum sit, ne ipsa natio, quam Exteri non possunt oppriniere viri-
bus suis, sil)i ipsi sit plus quam intestinum nialum paritura, nec secus, ac si
quisque silii manum consciret. » Chmel, Ferdimmd's Instruction, p. 107.
DÉLIBÉRATIONS RELIGIEUSES A LA DIKTE DE NUREMBERG. 1521. 3i7
II
Le cardinal Laurent Campeggio, délégué aux K(ats par Clé-
ment VU, était chargé par le Pape d'organiser en Allemagne la
guerre de résistance contre les Turcs, et d'y pacifier les troubles
religieux. Il devait aussi s'enquérir des griefs formulés par les Ordres
contre le Saint-Siège '.
Ce n'élait pas la première fois que Campeggio remplissait en Alle-
magne la mission de nonce. Lors de sa première délégation, sous
Maximilien, il avait été accueilli par le respect universel. Mais mainte-
nant, disait-il, il lui semblait faire la découverte < d'une Allemagne
nouvelle «. A Augsbourg, lorsque, suivant l'ancien usage, il voulut
donner sa bénédiction au peuple, il fut hué par la foule. Un pam-
phlet le dépeignit sous les traits d'un animal étrange et féroce*
envoyé de Rome pour ruiner le pays. La veille de son entrée à
Nuremberg, le conseil le fit avertir qu'il ferait sagement de renon-
cer à donner « sa béuédiclion et sa croix ", vu l'état actuel des
esprits. On craignait qu'il ne fi\t insulté par la populace.
Campeggio ne put s'empêcher, en pleine séance de la Diète, de
témoigner sa surprise de ce que tant de princes et autres Ordres
aient toléré la diffusion des nouvelles doctrines, et souffert que
l'antique foi de leurs ancêtres fi\t mise en péril par les écrits de
quelques novateurs. N'élait-il pas évident que l'insoumission et la
révolte des sujets contre toute autorité seraient l'infaillible con-
séquence des principes qu'on s'efforçait d'établir? Le légat se pré-
sentait muni des pleins pouvoirs du Pape; il se proposait d'ap-
profondir soigneusement les questions, et, secondé par les
Ordres , il espérait remédier au mal. 11 n'était pas venu pour se
servir « de l'épée et du feu ", comme on l'en accusait faussement.
Le désir de Sa Sainteté, conforme d'ailleurs au propre sentiment et
au caractère du légat, était, au contraire, de faire prévaloir des
mesures modérées, et de ramener les apostats et les égarés par des
exhortations bienveillantes et paternelles.
A cela les Ordres répondirent " que la diffusion des nouvelles
' * Beglaubigungsschreiben für den Legaten vom 1 Februar 1524, Frankfurter Reichstag-
tacten, t. XXXIX, p. 319''-324. " Nos certe •, assura le Pape aux États, in omnibus
quaepernos, Deointerveniente, fieri poterunt, neque aniore, neque studio, neque
liberaiitate deerimus. • Voy. les dépêches du Pape à Campeggio, 14 avril 1524,
Balan, p. 326-329.
* Voy. Uhlhorn, p. 58-59.
348 DÉLIBÉRATIONS RELIGIEUSES A LA DIÈTE DE NUREMBERG. 1524.
doctrines déplaisait aux princes et aux autorités tout autant qu'au
nonce, et qu'ils comprenaient fort bien les inconvénients et les
difficultés qui en devaient résulter; qu'ils étaient prêts à conférer
avec le légat sur toutes les questions en litige, et qu'il pourrait libre-
ment exposer ses vues au sein de la Diète ; mais qu'ensuite ' les
Etats demanderaient à connaître les instructions qu'il avait reçues
touchant le cahier de doléances envoyé à Rome l'année précé-
dente .
Ce cahier, rédigé en 1523 à Nuremberg, avait été, avant même
d'être expédié en Italie, imprimé à plusieurs reprises en Allemagne.
Le Pape, assura Campeggio, n'en avait pas eu officiellement
connaissance. Trois exemplaires en avaient été adressés à des
personnes privées. Le Saint- Père avait parcouru l'un deux, mais
jamais il n'avait pu se persuader qu'un écrit u d'une si prodigieuse
inconvenance ait pu être rédigé par les États d'Allemagne; il l'avait
plutôt regardé comme l'œuvre de quelques particuliers qui, dans
leur aversion pour le Siège apostolique, l'avaient livré à l'impres-
sion-. Le nonce déclara n'avoir reçu aucune instruction se rappor
tant à ce mémoire, mais en revanche il dit avoir plein pouvoir pour
traiter avec les États « des griefs de la nation ». A son avis, les
Allemands feraient bien de suivre l'exemple des Espagnols; ceux-ci
avaient envoyé une ambassade à Home pour y traiter de leurs inté-
rêts; ils avaient été entendus et exaucés en tout ce qui était légi-
tim.e et possible. Le nonce - ne doutait pas =' que la nation allemande
ne piU à son tour obtenir tout ce qui pourrait s'accorder raisonna-
blement. Mais il était inadmissible que des discussions de cette nature
fussent abandonnées à l'appréciation du peuple et reproduites
par la presse; ce n'était que par la paix religieuse que l'Allemagne
pourrait retrouver l'ordre et la tranquillité, et se mettre en état de
se défendre à l'extérieur, en repoussant énergiquement les Turcs.
Le refoulement des Turcs était, comme les Ordres le disaient
avec raison, une question vitale pour la chrétienté tout entière, et
pour atteindre ce but, la concorde entre les puissances chrétiennes
était de nécessité urgente. Aussi le Pape faisait-il tous ses efforts
pour amener une entente entre Tl^mpire, l'Angleterre et la France,
et c'était la même préoccupation qui avait décidé l'envoi d'un légat
en Allemagne « pour la conclusion de la paix avec les États •. Clé-
ment était décidé à faire en ce sens tout ce qui serait en son pou-
voir. Que s'il n'était pas écouté, le Pape n'aurait plus alors qu'à
prendre patience et à s'abandonner à Dieu '.
Les Ordres laïques remirent alors au légat un nouveau ■ cahier
' * Voy. Frankfurter Reiditngsactcn, t. XXXIX, p. 325-330.
»F.LlBÉliATIONS RKI.IGFEUSES A LA DIKTK DE NUREMBERG. 152f. 3Î9
de doléances ». Celle lois encore ces doléances n'avaient trait
aucun do^jme, non plus qua la constitution de TEglise'. Il y était
dit expressément que « ni les membres du clcr{jé, qui se reconnais-
saient liés envers le Saint-Père par leur serment, ni les princes et
autres Ordres n'avaient l'intention de se soustraire en quoi que ce
soit à l'autorité du Pape »; mais ce qui avait dégénéré en coutumes
répréhensibles, en usaj^es arbitraires, devait être réformé, d'au-
tant plus que la nation allemande traversait des temps si diffi-
ciles et voyait grandir de si tristes discordes que, d'après l'avis des
meilleurs, si jamais il avait été jugé nécessaire de venir en aide à la
société en péril, c'était à présent. Avant tout, il fallait corriger ces
nombreux abus qui, personne ne pouvait le nier, étaient venus, ' soit
des prodigalités exorbitantes des papes, soit des exigences exces-
sives de la curie romaine ■■■ .
Voici les griefs les plus justement fondés des États : Un grand
nombre de prêtres, chargés de l'administration des diocèses,
n'avaient pas reçu la consécration épiscopale; des évêques élus à
Rome avaient été dispensés de la résidence. Rome faisait un devoir
aux évêques allemands de visiter tous les deux ans les tombeaux des
saints apôtres, et rachetait cette obligation à prix d'argent.
Les Etats reprochaient surtout au Saint-Père l'autorisation donnée
par lui à l'archiduc Ferdinand d'affecter à la guerre contre les Turcs
le tiers des revenus ecclésiastiques. Cette autorisation, au dire des
Ordres temporels, était absolument opposée au droit commun, aux
conciles, aux libertés d'une grande et noble nation; elle avait été
édictéeet publiée sans délibération préalable, sans enquête; les pro-
priétés immobilières de l'Eglise, ayant été données par les empe-
reurs, rois, princes temporels et ecclésiastiques et autres fidèles
au nom et pour la gloire de Dieu, étaient inaliénables. Sans le con-
sentement de ceux qui les avaient consacrées aux besoins du clergé,
on ne devait ni ne pouvait y toucher. Les églises avaient été com-
plètement ruinées par une telle mesure, et se voyaient maintenant
hors d'état de payer l'impôt d'Empire. " Si les propriétés immo-
bilières de l'Église étaient dilapidées de cette façon, il ne fallait
plus compter sur les contributions fournies par les abbayes, col-
légiales et couvents. Aussi les États avaient-ils résolu de ne plus
tolérer à l'avenir un pareil abus de pouvoir, qu'il fût autorisé par
Ferdinand ou par des bulles arbitrairement publiées par le Sainl-
Siége, car des actes aussi injustes les déliaient de toute soumis-
sion. »
Bien peu de temps après, ceux qui formulaient ces plaintes
' Aussi peu qu'auparavant. Voy. plus haut, p. 288.
350 DÉLIBÉRATIONS RELIGIEUSES A LA DIÈTE DE NUREMBERG. 1524.
s'adjugeaient sans cérémonie ni scrupule le droit et la permission de
confisquer à leur profit les biens des églises et des couvents.
« Le chapitre des griefs est infini -, écrivait Charles de Bodmann,
u et ces griefs sont souvent bien fondés; mais quant aux torts des
Ordres eux-mêmes envers l'Église, quant aux emplois ecclésias-
tiques confiés à des personnes incompétentes ou incapables, quant à
l'immixtion illégale des princes dans des questions purement spiri-
tuelles et à tant d'autres abus, les Ordres temporels n'en font aucune
mention. Si seulement ils n'avaient pas la prétention de trancher de
la même façon en matière de foi! S'ils renonçaient à rendre leurs
légistes romains ou leurs conseillers juges et arbitres des points de
doctrine controversés! Mais beaucoup n'aspirent qu'à déterminer de
leur propre autorité ce qui doit être cru ou rejeté, et n'agissent que
dans ce but, surtout les conseils des villes, qui brûlent de mettre
la main sur les biens de TEglise, et d'abolir toute juridiction ecclé-
siastique. "
La justesse de ces observations n'avait été que trop clairement dé-
montrée pendant la Dièle de Nuremberg.
Les électeurs et princes se montraient assez disposés à se con-
former aux ordres sévères de l'Empereur touchant les nouvelles
doctrines, et à obéir à l'édit de Worms. Mais les délégués des villes
étaient " d'un tout autre avis ". Lors de leur voyage en Espagne, en
présence de l'Empereur, ces mêmes délégués avaient nié toute com-
plicité avec les luthériens; les assurances qu'ils avaient données à
Charles-Ouint à ce propos avaient beaucoup contribué à décider
l'Empereur à repousser la douane de frontière, tant réclamée par
les autres Ordres. Mais siîrs mainlenant que cet impôt serait rejeté,
les députés des villes, presque tous docteurs en droit romain, ne crai-
gnaient plus de laisser voir leurs véritables sentiments. 11 leur était
impossible, dirent-ils, de consentir à ce qu'exigeaient les électeurs
et les princes. De telles mesures exciteraient infailliblement des trou-
bles, des séditions, des meurtres, en un mot des calamités effroyables.
Ce qu'il y avait de mieux à faire pour remédier au mal présent,
c'était de convoquer < une assemblée chrétienne, composée de
prêtres et de laïques, qui, en attendant la convocation d'un concile
libre et général, statuerait sur toutes les questions controversées >■.
La convocation d'une semblable assemblée était tout à fait urgente;
elle seule pouvait ramener la paix parmi les chrétiens; elle était le
meilleur moyen de venir à bout des résistances populaires, et de
procurer la concorde générale. L'édit de Worms devait être mo-
difié en ce sens que " lorsqu'un chrétien enseignerait une doctrine
ens'appuyant sur un texte de la sainte Écriture, il faudrait le laisser
faire, à moins qu'un autre, établissant son opinion sur les mêmes
PROJET D'UNE ASSEMBLÉE RELIGIEUSE A SPIRE. 1524. :}51
livres sacrés, ne parvint à le réfuter et à le vaincre ! One si le premier
opinant refusait de se laisser persuader, alors il faudrait le punir,
selon qu'il l'aurait mérité '. >
De pareilles propositions semblaient aux autres Ordres, non-seu-
lement les ecclesiasticjucs, mais les séculiers, « absolument extrava-
gantes ». Mais on était impatient de voir la Diète se conclure. Aussi
en toute hâte, le IH avril, le procès-verbal fut-il dressé. Il " tenait
compte, à la vérité, des vœux exprimés par les villes > , mais au fond
cette concession n'avait d'autre but que de les empêcher de proles-
ter, comme elles avaient menacé de le faire *, et par conséquent de
prolonger la Diète.
Or ce procès-verbal renfermait des contradictions insolubles'.
Les États s'y reconnaissaient obligés d'obéir à l'édit de Worms, et
promettaient de l'observer toutes les fois que cela leur serait pos-
sible. Us se déclaraient résolus à maintenir et à protéger la foi de
l'Église universelle. Quant aux imprimés, ils promettaient de se
conformer aux décisions précédemment prises ^ Ils réclamaient la
réunion d'un concile général sur le sol allemand, et exprimaient
au légat toute leur reconnaissance pour l'appui qu'il avait promis
de leur prêter auprès du Saint-Siège. iMais ils n'étaient pas d'avis
d'attendre que le concile eût prononcé sur les points de foi con-
troversés. Ils entendaient décider par eux-mêmes, et régler la
manière dont, jusqu'à plus ample examen, il conviendrait d'agir
touchant ces matières. Par l'entremise de conseillers instruits, expé-
rimentés et intelligents, les Ordres, telle était leur conclusion, dres-
seraient la liste des nouvelles doctrines luthériennes, signaleraient
les questions en litige, et exposeraient le tout en présence d'une
assemblée générale de la nation allemande devant se réunir à Spire
le 11 novembre. Tous les Ordres y comparaîtraient en personne, ou
se feraient représenter par des « chargés de pouvoir compétents et
éclairés »; alors on pourrait agir et conclure d'une façon vraiment
utile. Entre temps, le saint Évangile et la parole de Dieu seraient
prêches d'après ' le sens littéral et véritable», et selon l'interprétation
des docteurs approuvés par l'Eglise universelle. On ne souffrirait pas
qu'à l'avenir il servit de prétexte à des émeutes ou à des scandales*.
• Erklärung der Slüdleboten vom (jeudi après Misericordias Domini. 14 April, Frank-
furter Reichslagsaclen, t. XXXIX, p. 375-376.
- ' Rapport de Clément Endres le 13 mai 1524, Tricrisclun Sachen und Drießcha/l en,
fol. 79.
' Voy. l'instruction papale adressée aux nonces résidant à la cour impériale,
fin d'avril 1524, et le bref adressé à l'archiduc Ferdinand daté^ u ii mai, bal.w,
p. 339-348.
* Voy. plus haut, p. 289-290.
^ \'eue Sammlung der Reichsabschiede, t. II, p. 258.
352 COLÈRE DE LUTHER EN APPRENANT LES CONCLUSIONS DE LA DIÈTE.
Ce procès-verbal, qu'on prit soin de répandre dans tout l'Empire
comme s'il eût été édicté au nom de l'Empereur, n'était évidemment
pas fait pour remédier aux maux et périls de la situation.
Luther entra à son sujet dans une violente colère. Il le fit réim-
primer avec l'édit de Worms, accompagnant ces deux pièces d'une
introduction et d'un épilogue où il attaquait l'Empereur et les princes
dans un langage encore plus passionné et plus amer que celui dont
il avait coutume de se servir. « Nous avons honte de l'avouer ",
s'écrie-t-il, « l'Empereur et les princes mentent effrontément, et
nous sommes encore plus honteux de devoir dire qu'ils se contre-
disent eux-mêmes, et donnent des ordres qui sont opposés les uns
aux autres, comme tu vas le voir, car ils disent qu'on doit agir
envers moi en se réglant d'après l'édit de Worms, et qu'on est tenu
d'exécuter rigoureusement cet édit; puis, aussitôt après, survient un
commandement contraire, portant qu'à la prochaine Diète, à Spire,
on commencera par examiner et discuter ce qu'il y a de bon ou de
mauvais dans ma doctrine. Je suis donc en même temps condamné,
et renvoyé à un nouveau jugement, et les Allemands me traitent et
me poursuivent comme un homme jugé, tout en attendant la sen-
tence qui leur doit apprendre en quoi je suis condamnable! Une
telle décision n'est-elle pas l'œuvre de princes ivres ou fous? Ainsi
donc nous devons rester Allemands, et en même temps martyrs et
ânes du Pape! tel est notre devoir; même, comme dit Salomon, si
on nous pile comme du gruau dans un mortier, nous ne devons
point tenter de nous débarrasser de l'ineptie romaine! » « Dieu,
comme je le vois, ne m'a pas accordé la grâce d'avoir affaire à
des êtres doués de raison; les stupides bestiaux allemands de-
vaient me tuer, m'assassiner; tel élait le sort que je méritais; il
était écrit que je serai déchiré par ces loups et ces porcs! » « Prin-
ces, vous vous exposez à de grands malheurs! Vous attirez sur vous
la colère divine! Vous n'échapperez pas à Dieu, si vous continuez à
agir ainsi! Que voulez-vous, chers seigneurs? Dieu, étant trop sage
pour vous, s'est hâté de vous rendre fous. C'est un Dieu très-puis-
sant, et il aura bientôt fait de vous confondre ! Redoutez donc un
peu sa sagesse, de crainte que dans son déplaisir, il n'ait de telle
sorte disposé les pensées de votre cœur que vous ne puissiez plus
à l'avenir qu accroilre et accumuler vos fautes. Il a coutume d'en
agir ainsi avec les grands, comme il le fait chanter et répéter par
tout l'univers. » (Ps. xxxiii, 10.) " Dieu a mis à néant les projets
des princes ". dit le psaume, et le même verset porte encore : « 11
a précipité les puissants du trône. » (Luc, i, 52.) Ceci vous re-
garde, chers seigneurs, c'est à votre tour, maintenant; tâchez de
I/AÜCIIIDLC FKRniNANf) SUR L'ÉTAT RELIGIEUX DE L'ALLEMAGNE. 1524. 353
comprendre. " Luther conseille au peuple de refuser tout secours
pour la fjuerre contre les Turcs : - .le prie tous les cliers chrétiens
qui pourraient s'imaginer être agréables à Dieu en servant des
princes si méprisables et si aveuglés (que Dieu, sans aucun doute,
nous a envoyés pour nous chAlier) de ne pas se laisser entraîner â
donner quoi que ce soit pour la campagne turque, car les Turcs
sont dix fois pins iulelligents, plus sages et plus religieux que nos
princes. » Il prétend voir un blasphème, un outrage â la divine
majesté dans la coutume qu'avait l'Empereur, en sa qualité de tuteur
temporel de l'Eglise, et selon un usage séculaire, de s'intituler le
« suprême défenseur de la foi chrétienne » . Il était « honteux, incon-
venant ■ à Charles-Quint de se parer d'un pareil fifre, lui qui n'était
-' qu'un sac â ver«, qu'un misérable mortel, incertain d'avoir encore
quelques instants à vivre ». <« Que Dieu nous vienne en aide, le monde
est réellement insensé! Le roi d'Angleterre, lui aussi, se donne pour
le protecteur de la foi et de l'Église du Christ; les Hongrois se
vantent d'être les soutiens de Dieu et chantent dans leur litanie :
.' Daigne nous exaucer, nous, tes défenseurs! >• Je me plains de ces
choses du fond de mon âme à tous les pieux chrétiens, afin qu'avec
moi ils prennent en pitié de tels fous, de tels insensés, de tels imbé-
ciles, qui délirent et extravaguent à plaisir. On aimerait mieux mourir
dix fois que d'écouter leurs blasphèmes! iMais ceci n'arrive que pour
les punir; ils ont persécuté la parole de Dieu (c'est-à-dire le nouvel
Évangile de Luther), et Dieu les livre à un aveuglement manifeste.
Que Dieu nous en débarrasse et nous donne, par sa grâce, de meil-
leurs gouvernants! Amen '. -j
« Celui qui use d'un pareil langage et représente l'Empereur et
les princes comme des aveugles, des entêtés, des fous qui délirent
et extravaguent ", disait un contemporain fermement attaché à
l'antique foi, peut-il nier qu'il n'excite le peuple à la rébellion, et
ne le soulève contre toute autorité laïque ou ecclésiastique-? "
III
Comme il fallait s'y attendre, le Pape et le légat s'empres-
sèrent d'interdire l'assemblée de Spire, oii les laïques prétendaient
décider en dernier ressort sur les questions de foi dans une com-
• Ztcei kaiserliche uneinige und iciederw artige Gebote, Lulhern betreffend, mit Luther' s
Vor-und Xachrede, nebst Randbemerhungcn, Sämmll. Werke, t. X\IV,p. 211-213, 236-237.
^ Glos und Comment., Dl- ]\I'.
II. 23
354 f/ARClIIDUC FERDINAND SUR L'ETAT RELIGIEUX DE L'ALLEMAGNE. 1524.
plète indépendance du Saint-Siège. Avec eux, Tarchiduc Ferdinand
ne pouvait assez s'émerveiller de la présomption des Etats, « osant
s'ériger en censeurs et en juges de l'Église universelle et des
conciles ».
La situation religieuse avait bien empiré depuis le départ de
i Empereur, écrivait Ferdinand à son frère, et déjà la société était
profondément ébranlée par l'anarchie religieuse. Les sectaires, tout
en ayant sans cesse à la bouche un Evangile de paix, n'étaient
occupés qu'à semer de tous côtés la discorde. Par des pamphlets,
toujours écrits en langue vulgaire, non-seulement on excitait le
jjeuple à la haine contre le Pape et les évoques, qu'on dépeignait
comme des serviteurs de Satan, mais encore on s'efforçait d'anéan-
tir dans les consciences tout respect pour les sacrements et pour
l'enseignement de l'Église; dans maint ouvrage, on allait jusqu'à
nier la divinité du Christ. Sous prétexte d'Évangile, des vols étaient
publiquement commis; les révoltes, les rixes entre citoyens deve-
naient de plus en plus fréquentes ; ces faits, dont Ferdinand était
tous les jours témoin, le remplissaient d'angoisse pour les destinées
de la société civile, toujours si étroitement associées à celles de
rÉglise; la religion menaçait d'entraîner l'Empire dans sa chute, et
Ferdinand conjurait l'Empereur, comme il en avait déjà supplié
le Pape, de laisser tomber toutes les querelles privées, et de se
hâter de venir eu aide à l'universelle détresse des chrétiens, en
s'occupant activement de la réforme si nécessaire du clergé. L'Empe-
reur devait songer avant tout à ce qu'il devait à Dieu, de qui il tenait
la couronne impériale et tant de beaux ruyaumes; à ce qu'il devait
à l'Église, dont il était le tuteur suprême; enfin aux intérêts de la
nation allemande, où le cancer dévorant de l'hérésie avait paru en
premier lieu. Ouant à ce qui concernait cette assemblée générale
des États décidée à Nuremberg et convoquée à Spire', Charles avait
le strict devoir de s'y opposer énergiquement, puisqu'elle préten-
dait se prononcer non-seulement sur les intérêts politiques, mais sur
la question luthérienne, et par conséquent s'immiscer dans les choses
de la foi; or il était souverainement inconvenant aux Ordres tempo-
rels de vouloir réformer les Pères de l'Église et les conciles; la vérité
évangélique n'était pas l'exclusive propriété de la nation allemande,
elle était le bien commun du monde entier; par conséquent elle
devait être défendue dans un concile général, et non devant les
États de l'Empire d'Allemagne. L'Empereur devait garantir aux
' »...etiarasi nos manibus et pedibus Iiunc conventum libeiiter impedivisse-
inus parum utilem et fortassis majoris perturbationis fore causam praevidentes,
taineii non poliiimus ullis ralionibus id assequi. .
UNIO.N DK r.ATISBONNE. 1524. 355
Ktats la prompte convocation de ce concile, et s'employer à cet
effet aupr«s du Saint-Père '.
L'opinion de P'erdinand sur l'assemblée de Spire correspondait
de tout point aux propres sentiments de l'Empereur; aussi fit-il
immédialcment publier un édit qui l'interdisait formellement (juil-
let l.')2i). I/Empereur exprimait en même temps tout son mécon-
tentement de ce que les Ordres, en leur propre nom, eussent conféré
avec le léfjat touchant la onvocation du futur concile, comme si
cette question n'intéressait pas en premier lieu le Pape et l'Empereur
romain. Il allait s'efforcer d'obtenir du Saint-Père la prompte réu-
nion du concile, auquel lui-même avait l'intention de prendre part.
En attendant, les Ordres devaient, s'ils ne voulaient se rendre cou-
pables du crime de lèse-majesté et encourir par conséquent la peine
du ban, observer exactement l'édit de Worms, et fuir toute nou-
veauté religieuse -.
IV
Avant la publication de ce second édit, et grâce aux instances et
aux démarches actives du légat Campeggio, une entente avait eu lieu
à Ratisbonne entre l'archiduc Ferdinand, les ducs Guillaume et Louis
de Bavière, et douze évoques de TAllemagnedu Sud '. Ces princes et
' ChMEL, Firdinand's Instruction fur Cari von Burgund an den Kaiser , p. 140-142.
- Rescrit du 15 juillet 1524 au Conseil d'tssliafjen, Frankfurter Reichstugsacten,
t. XL, fol. 44-47. Voy. la reproduction quelque peu inexacte de ce rescrit
dans Walsch, t. XV. 2705-2709. Voy. Raijna'd ad annum 1524, n"' 12-22. Les
conseillers de Xurenilier(j, Jérôme Ebner et Gaspard Xiitzel, envoyèrent le
20 septembre une copie de ce rescrit à l'électeur de Saxe Frédéric. Celui-ci leur
répondit (.3 ortobrej qu'un délégué du Conseil de régence lui avait envoyé
d'Eslinjen, il y avait de cela quatre jours, un rescrit tout semblable. « mais
que le passa;^e ayant trait au crime de lèse-majesté et au châtiment du ban
avec privation et suppression de tous privilèges et libertés, etc., y avait été
omis ". Walsch, t. XV, p. 2709-2711. Le Conseil de régence s'était donc permis
d'altérer à su guise un rescrit impérial. Plus tard, Frédéric s'excusa auprès de
l'Empereur de n'avoir pas tenu compte de ses ordres, en lui assurant qu'il
n'avait pris aucune part aux décisions de la Diète de Nuremberg concernant
la religion, et s'était borné àprotesterpar l'organe de ses délégués. Voy. H.iBER-
Li\, t. X, p. 623.
^ Du côté des catholiques, on célébra comme un triomphe l'accord que le
légat Campeggio était arrivé à conclure entre ces princes, malgré la rivalité et
les nombreuses querelles qui divisaient alors les maisons de Wittelsbach et
d'Autriche. La cour de Bavière avait déjà proposé une ligue semblable, dès
les premiers mois de 1523 (Jörg, p. 320j. L'affirmation si souvent répétée que le
zèle des ducs de Bavière pour le maintien de l'ancienne foi n'avait eu pour mobile
que les Jjrillantes promesses du Pape, est erronée. Jusqu'au 5 mirs 1522
l'édit de Worms n'aviit pas été exécuté en Bavière; miis ce jour-là les ducs
23.
356 UNION DE R ATI S BONNE. 1524.
prélats avaient juré de faire exécuter Tédit de Worms dans leurs États,
autant que cela serait en leur pouvoir et selon rengagement qu'ils
en avaient pris à la Diète de Nuremberg. Ils avaient aussi promis de
firent publier un édit sévère contre les luthériens. Pour motiver leurs rigueurs,
ils s'efforçaient de démontrer à leurs sujets que de l'Évangile de Luther
on ne pouvait attendre que le bouleversement de toutes les lois divines et
humaines, et qu'il pouvait causer une irréparable et grave confusion dans les
choses de la foi. La correspondance des ducs avec le docteur Jean Eck, leur
ambassadeur accrédité à Rome, prouve sans réplique que les offres du Souve-
rain PoiiJife n'eurent lieu qu'après que le Pape leur eut témoigné la satisfaction
que leur conduite lui causait, et avoir reçu d'eux plusieurs de leurs sup-
pliques. (Voy. la dépêche du duc Louis à son frère le duc Guillaume, 6 novembre
1522, dans .louG, p. 323.) Le docteur Eik obtint l'année suivante les brefs du
Pape qu'avait sollicités la Bavière (des 1" et 12 juin 1523). Entre autres avan-
tages, le Pape abandonnait aux ducs la cinquième partie des revenus ecclésias-
tiques, à condition que cet argent serait affecté à la guerre contre les infidèles .
" contra perfidos orthodoxae fidei hostes », ce sont les propres termes du bref.
" Les dépêches du docteur Eck, dit ilegel p. 375), démontrent avec évidence que
ces paroles désignent les Turcs, et non les luthériens. ■> liegel ajoute dans un
louable esprit d'impartialité ; " Ce ne sont donc pas des avantages demandés et
obtenus postérieurement qui ont pu décider les princes bavarois aux rigou-
reuses mesures qu'ils crurent devoir adopter pour combattre la doctrine luthé-
rienne et ses partisans; il faut nous eu tenir iimplement aux motifs exposés
dans leur ordonnance : les ducs déclarent que de la doctrine luthérienne ne
peuvent sortir que le bouleversement de l'ordre établi et l'anarchie religieuse. <
Eck, dans le voya e qu'il fit à Piome au printemps de 1523, avait reçu les graves
plaintes des ducs sur l'apathie des évêques ba\arois qui ne prenaient aucune
mesure pour empê;her la nouvelle doctrine de pénétrer dans le pays. Lorsqu'on
leur amenait des prêtres accusés de l'avoir prêchée puijiiqutment afin qu'ils
sévissent contre eux, les é>éques se montraient totalement indifférents, et
l'étaient également lorsqu'il s'agissait de réprimer l'inconduite et les scandales
de leur clergé. Le pape Adrien autorisa une commission composée de six
abbés bavarois et de trois doyens à dégrader les prêtres convaincus d'hérésie,
et à les livrer au bras séculier, si les évêques n'avaient déjà fait leur devoir
dans un délai fixé (12 juin 1523). En même temps, Adrien faisait de libérales
donations à l'Université d'Ingoistadt, et surtout à la faculté de théologie,
afin de la mettre en état de rétribuer des hommes éclairés et savants, exercés
à la controverse. Il donnait aussi aux dtics le droit de proposer pour un cano-
nicat, ù chacun des chapitres des principales églises de Bavière, un des pro-
fesseurs de théologie dingolstadt. L'instruction lemise par le duc Guillaume
au docteur Eck portait que l'erreur luthérienne, qui allait toujours gran-
diss ;nt, ne pourrait être extirpée saus grand labeur et fatigue, et avant tout
par la grâce du Tout-Puissant, et que les théologiens, docteurs dans les
sciences sacrées, devaient travailler à la détruire. >• Mais dans notre Uni-
versité d'Ingoistadt, disait le duc, nous n'avons plus à présent que deux
théologiens. On y enseigne surtout le grec, l'hébreu et la poésie. A cause
du mouvement luthérien qui trouble les esprits, les étudiants ecclésiastiques
et laïques sont bien plus attirés vers la poé^ie que vers l'étude de la sainte
Écriture. Aussi la fausse doctri:;e gague-t-elle tous les jours du terrain. «
Le duc deujandait que quatre théologiens fussent adjoints aux deux profes-
seurs déjà en fonction pour l'enseignement public de la philosophie et de la
sainte Écriture. (Joug, p. 323-325.) Le gouverneur, les autorités et conseillers
du duché de Wurtemi)erg s'expriment à peu près dans les mêmes termes
dans un rescrit adressé à l'archiduc Ferdinand {2 juin 1524). Ils se plaignent
surtout de l'extrême indulgence des évêques pour les prêtres convaincus
d'hérésie. Ce rescrit demandait encore que tous les prêtres hérétiques fussent
privés de leurs bénéfices, et proscrits, et que leurs emplois et prébendes fussent
UNION DE RAT IS BOX NE. J524. 357
s'opposer dans rinférieur de leurs domaines à toute innovation reli-
p;icusc. Nul chanf^emenf ne serait toléré dans le culte; les religieuses
et les moines sortis de leurs couvents, les prêtres a|)os(ats mariés
seraient punis selon toute la rigueur des lois ecclésiastiques, les pré-
ceptes du jeune strictement maintenus, les écrits des sectaires et tous
les livres blessant le respect dû à la sainte i'oi catholique, inter-
dits. Les étudiants de Wittemberg, placés sous la juridiction des
princes souverains, seraient obligés de retourner dans leurs pays
respectifs, sous peine de perdre leurs bénéfices ou leurs biens.
Quiconque, dans les États de l'un des princes, aurait élé proscrit
pour cause d'hérésie, ne pourrait trouver asile dans aucun autre
territoire. Par cette convention, en tout conforme à leurs devoirs
envers l'Kglise et l'Empire, les princes ecclésiastiques et temporels
s'engageaient à maintenir dans toute son intégrité l'unité de la foi
dans la nation allemande, et à assurer la paix dans leurs propres
États. >< Et si l'un ou plusieurs d'entre nous >, déclaraient-ils, « à
cause d'un dessein si chrétien, éprouvait quelque contradiction ou
quelque désobéissance et révolte de la part de ses sujets, nous nous
engageons à lui apporter aide et conseil. - Toutefois les princes se
réservaient le droit de contracter d'autres alliances en dehors de
leur association particulière.
Mais en s'unissant de la sorte, ils ne se proposaient pas seulement
de protéger la foi dans leurs territoires, ils avaient surtout l'inten-
tion de travailler à la « véritable réforme de l'Église ». Déjà,
lors de la Diète de Nuremberg, un légat du Pape avait rédigé un
projet touchant l'abolition des plus graves abus et la restauration de
l'antique discipline ecclésiastique; ce projet avait été discuté pendant
seize jours consécutifs, et avait enfin été adopté comme devant
à l'avenir avoir force de loi pour le clergé. Voici quels en étaient
les points essentiels : " Aucun prêtre ne serait consacré avant
d'avoir subi un examen sévère, ni avant que son instruction et sa
vie privée aient témoigné suffisamment de ses titres à la prêtrise.
Les clercs seraient tenus de mener une vie conforme à leur état,
de se vêtir d'une façon « honorable », d'éviter les auberges, les
théâtres, les banquets, de renoncer à tout commerce, de ne jamais
refuser pour un motif d'intérêt les sacrements ou la sépulture chré-
donnés « à de bons chrétiens, craignant Dieu •. Archives de Lucerne, Convolut :
IVûnembcrg, Kirchcnsachcn. Sur l'indifférence des évêques pour les questions
intéressant la foi, voy. plus haut, p. 218. « L'épiscopat allemand, surtout les
évêques issus de familles nobles, princières, ou élus par l'arbitraire des
grands, joua un rôle si pitoyable dans la grande révolution du peuple alle-
mand, qu'on se demande continuellement en lisant l'histoire de ces temps
troublés : Mais où donc étaieut, en ce temps-là, les évêques d'Allemagne ? •
HÖFLER, âdrien Vi, p. 302.
358 SCANDALES ET ABUS DANS LE CLERGE.
tienne, de ne point exiger de rétribution pour la confession. Nul
bénéfice, nulle charge ecclésiastique ne pourrait plus être achetée
sans l'auiorisation de Tévéque compétent, nulle indulgence publiée
sans son assentiment. Le nombre des jours fériés serait réduit; la
peine du ban et de l'interdit plus rarement prononcée; la loi du
jeûne ne serait plus imposée que comme devoir d'obéissance
envers T Église, et sa transgression n'entraînerait plus de rigoureux
châtiments. Les évêques seraient obligés à la visite annuelle de leurs
diocèses, et il leur serait enjoint de réunir tous les trois ans des
conciles provinciaux; ils s'entendraient à l'avenir avec les princes
temporels, les seigneurs et les autorités pour la mise eu pratique des
divers points de réforme. L'autorité temporelle ferait comparaître
devant les tribunaux ecclésiastiques, pour y être entendu, tout chrétien
accusé d'hérésie, mais aucune sévère répression ne serait exercée '. "
Ces décisions ne contenaient rien de nouveau. Dans leur ensemble,
elles étaient entièrement conformes aux anciennes ordonnances des
conciles et des synodes. Campeggio, à la diète de Nuremberg, avait
déjà fait remarquer " qu'il n'était point nécessaire de promulguer
de nouvelles lois pour la réforme du clergé, et qu'il ne s'agissait
f|tie de faire observer les anciennes -.
Mais, à vrai dire, l'exacte observance de la discipline était chose
bien rare.
" Bien avant que les sectes nouvelles levassent la tête =>, rapporte
Charles de Bodmann, écrivain toujours si digne de foi (27 juil-
let 1524), c< des ac!es très-répréhensibles se produisaient dans le
clergé régulier et séculier. Les scandales, les crimes, n'y étaient que
trop fréquents; rien n'a plus contribué à propager l'hérésie que les
fautes des clercs \ Mais depuis la prédication de ce que Luther
appelle rÉvanp,ile, les dérèglements ecclésiastiques, et particulière-
ment le concubinage, ont augmenté d'une façon déplorable ^ Le
' ConsCiltiiio ad removendos abusus et ordinatio ad ritam cleri reformandam. Ratisbona",
édita anno 1524, dans Le Plat, t. H, p. 226. - Ein kurzer Ausszug einer Be/ormalion
wie es hinfürler die Priester halten sollen zu Regeiispurgk nechsier l'ersammlimg betracht,
berathschlagt und bechlossen im Jar 1524. » Exemplaire unique. Voy. Riffel, t. IL
p. 341, 344. IliTTRiCH, Hist. Jahrbuch der Görresgesellschaß, t. V, p. 380.
^ Voy. Chmel. Ferdinand's Instruction, p. 111 ; voy. aussi la Considtatio de articula
re/ormatoriis, rédigé plus tard par l'ordre de Ferdinand, dans Gaep.tner, Cor2).
juris eccles. cathol., t. 11, p. 275.
^ Dans un mémoire rerais par les Dominicains aux ducs de Bavière et intitulé :
SCANDALES KT A P. Il S DANS I.K TLERGÉ. 359
nouveau clerj^é esl bien loin de ressembler à Timcien, sous le rap-
port (les md'urs, comme sous celui de l'iuslruction. On ne penl
s'expliquer l'insouciante négligence de tant d'cvéques qui, en dépit
des faits <jirils ont tous les "jours sous les yeux, continuent à mener
une vie fastueuse, restent plongés dans la mollesse et le bien-être,
et s'attirent fréquemment le reproche d'être moins préoccupés du
soin de paître leurs troupeaux (jue de celui de les écorcher. Ils sont
probablement d'autant plus désireux dcjouir de leurs richesses qu'ils
se sentent plus menacés de les perdre '. >
Sous le rapport du bien vivre, le luxe avait encore augmenté dans
plus d'un palais épiscopal depuis les paroles prononcées en plein
synode par Christophe de Stadion, évéque d'Augsbourg : « A la
table de ceux qui accaparent maintenant les dignités épiscopales et
les hautes charges de l'Kglise », avait dit ce prélat, « on voit circuler
les mets les plus délicats, les plus raffinés; les vins qu'ils font venir
à grands frais des pays éloignés coulent à flots dans les festins; ou
les diversifie savamment, pour mieux flatter le palais blasé. Des
serviteurs nombreux se tiennent derrière le siège des hauts digni-
taires de l'Église, tous grands amateurs de bonne chère; quelques-
uns portent les plats, d'autres dégustent les vins, d'autres encore
font brûler des parfums ou agitent les éventails. Je ne puis m'em-
pécher de verser des larmes à la pensée de pareils abus. Les prélats
ne vivent que pour flatter leurs corps; ils fuient la solitude, la dévo-
tion, l'humilité; ils se plaisent parmi les entretiens des femmes, se
mêlent de commerce, recherchent les procès et les profits ^. » On lit
au sujet d'une fête de tir à l'arquebuse donnée à Heidelberg par
quelques princes ecclésiastiques et laïques : " Le luxe le plus extra-
vagant y fut déployé par quelques évéques, au grand scandale
du peuple. Les prélats dansèrent, et se livrèrent en public à une
joie indécente. Presque tous étaient des seigneurs de haute nais-
sance, que l'affliction du peuple au sujet des hérésies touchait fort
peu, et qui ne songeaient guère au péril de l'Église; et cependant,
certes, ce péril était grand M »
Consiliiim quomodo Twcis sil resisiinJum, on voit que le COncubiiiaffC étail alors
considéré comme le vice principal du cler^jé. • Pro ampliando fiscum Christi.
Tertio : quod omnes roncii'.jinarii publici multentur et expellantur, rpù sunt
Turci iiitesiiiii et demereiilur quod Meus permiltit talem pia^jam saper christiani-
tatem. « 3Ione, Anzeiijcr für hiinde der deutsehen Vorzeit, 1839, p. 295.
• Voy. plus haut, p. (il, 64, 218-2(9.
^ Au synode de 1517. Steimr, Acta selecta eccl. Augustanœ {Au{;. Vind. 1785),
p. 68.
* Curieuse Nachrichten, p. 71. Sur cette fête du tir à l'arbalète, voy. Haberlin,
t. X, p. G20-621. Entre les princes du Palatinat, de la Bavière, etr , et les
évéques de Freisinjy, Ratisbonue, Strasbourg, etc., il fut convenu que tous les
ans un des membres de l'association donnerait la fête à l'époque qui lui convien-
360 RESPONSABILITÉ DES PRINCES DANS LA DÉMORALISATION DU CLERGÉ.
C'est à ce ,ojrave moment qu'on put se rendre compte des funestes
conséquences qu'avait eues pour l'Église l'usage de confier les plus
hautes dignités ecclésiastiques aux fils cadels des maisons princières
et des grandes familles de la noblesse, et d'abandonner aux princes
la nomination à la plupart des sièges épiscopaux et archiépiscopaux >.
Vis-à-vis de l'Église, les princes suivaient cette même politique
d'égoisme, d'ambition cupide, rapace, qui en avait fait les pires
ennemis de l'Empire. Cette déplorable politique fut pour l'Église la
source des plus amères épreuves; elle engendra des maux et des
abus sans nombre dans le domaine religieux.
u Et cependant les princes cherchent sans cesse querelle à l'Église »,
poursuit Charles de Bodmaun; « ils accablent le clergé de reproches,
oubliant c|u'eux-mêmes, et par tous les moyens possibles, ont établi
dans les emplois les plus élevés la plus grande, quoique assurément
la plus mauvaise partie des prélats et des hauts dignitaires. Ils n'ont
pas honte d'outrager l'Église, après lui avoir eux-mêmes donné le
baiser de Judas. »
Ils ne voyaient dans le funeste usage des commendes « que
l'exercice très-légitime du pouvoir souverain ». Les docteurs en
droit romain l'avaient prôné les premiers. Non-seulement on accor-
dait à d'anciens serviteurs de princes le privilège de gérer, leur vie
durant, des éghses et des abbayes en leur remettant ce qu'on appe-
lait les lettres de pain; non-seulement on tolérait que ces personnages
apportassent dans les monastères des mœurs étrangement dissolues
qui discréditaient les couvents auprès du peuple, mais des chasseurs,
des fauconniers, des valets et autre semblable engeance, devaient,
selon les lois imaginées par les princes, être entretenus pendant
les saisons de chasses par les églises et les monastères : « Alors de
lamentables scandales se produisaient; dans les collégiales et les
abbayes régnaient l'impudicité, la débauche, car les gens de cette
espèce ne se font pas faute de s'abandonner à une licence grossière.
Ne sont-ils pas serviteurs de princes? Aussi ne songent-ils qu'à se
gorger de mangeaille, à s'enivrer le jour et la nuit; ils vont jusqu'à
faire pénétrer des femmes dans les couvents, et l'on ne parvient pas
à rassasier la compagnie -. '^ « Ils mènent une vie scandaleuse dans
drait le mieux, et qu'il serait tenu d'y inviter tous les autres; pour que la chose
«se passât gaiement -, il devait donner une somme de 50 florins afin qu'il y
eût vingt-huit tireurs, au moins. Celui dont c'était le tour d'inviter les autres
s'engageait en outre à fournir vinp,t-huit chevaux qui presque tous devaient
(^tre montés par des tireurs. Il devait nourrir bêtes et gens aussi longtemps
que durerait la fête. Pourtant le règlement portait que les repas ne devaient
pas avoir plus de huit services, etc. ReiS-ICh, Journal für Bayern, t. I, p. 467.
1 Voy. notre premier volume, p. 576-579.
- Clag eines ein/eilig Klosterbruders. Bl. *.
RESPONSABILITÉ DES PHINCES DANS r,A DÉMORALISATION DU CLERGÉ. 3G1
les abbayes », lif-on dans une adresse des Klafs bavarois à leurs
ducs, adresse on sont rapportées les justes plaintes du pays sur les
chasseurs, fauconniers et leur suite; « non-seulement il Taut leur
donner à man^yer et à boire jour et nuit, mais encore leurservir tout
ce qu il y a de meilleur, à eux et à tous ceux qu'ils amènent avec eux,
sans aucune nécessité. Parfois, il est vrai, les princes publient des
édits interdisant ces excès, mais de si faibles mesures n'obtiennent
que fort peu de résultats '. "
Le droit de spoliation, qui s'exerçait à la mort des prieurs et des
curés, était également regardé parles princes comme .. un très-légi-
time exercice du pouvoir souverain », et souvent leurs intendants se
conduisaient alors avec une telle brutalité, ■ que cela était vraiment
scandaleux et lamentable à voir ■■. On lit dans un écrit du temps
qui mentionne ces abus comme étant de notoriété publique : « Dès
qu'un curé est sur son lit de mort, les avocats faméliques, les valets
de la justice laïque envahissent sa maison; ce sont les chasseurs
d'arî>ent, les pêcheurs de biens d'Église! Ils s'établissent sur le bien
du curé, et vivent de ses revenus, dévorant tout ce qui se trouve
dans sa maison, en usant comme si c'était leur propriété légitime;
et lorsque arrive enfin la mort du pasteur, il ne reste plus même de
quoi payer ses dettes -, '= « Nous avons de trop justes plaintes à for-
muler », écrivent un peu plus tard plusieurs clercs du diocèse de
Passau; < dès qu'un curé vient à mourir, souvent même avant son
décès, la cure est envahie par les huissiers des tribunaux laïques, et
les jours se passent eu excès de raangeaille, en banquets; il semble
que ce soit la fête patronale, et l'héritage du défunt se trouve telle-
ment diminué par ces bombances, que souvent c'est à peine si l'ordi-
naire peut obtenir la portion de canonicat qui lui revient, et que les
créanciers ne parviennent pas à se faire payer. De plus, ces gens de
justice ont l'effronterie de montrer ouvertement leur allégresse aux
pauvres curés sur le point de mourir; ils ne leur cachent point
qu'ils se flattent de mener bientôt chez lui un joyeux train. La
' Voy. les documents fournis par Sugexheim, p. 264-266. Plus tard les choses
n'allèrent pas en saméliorant. Sugenheira a publié un mémoire inédit du nonce
du Pape (1519), où il est dit à propos du clergé bavarois : « Veuatores monas-
teria et parochias, ibidem ad lüitum victitando. praeter motum fréquentant
ac molestant, in quibiis etiam imperiose versantur, et quae volunl potins immo-
derate extorquent quam pétant. Oua^ .es personarum regularium non solum
bonis, sed etiam instiluto et profession: pluriraum obest, maxime quod per eosdcm
venatores etiam mtilieres riliquamlo introducuntur . •
* Clag eines einfeliig A'iosicrbrudcrs, Bl. 4''. Une bulle du pape Sixte IV adressée à
l'évêque de Passau (1477) dit à propos des ^ advocati, precones et alii officiales
seculares ' : ^ Vacantes praeterea ecclesias et illarum domus ac bona sub gra-
vissimis et inutilibus expensis in crapulis et commessationibus aliisque scanda-
losis actibus custodire contendunt... » Mon. Boica, 31'', p. 5S8.
362 CEORCKS ME SAXE SUR L'ÉTAT MOHAi. DU CLERGÉ.
conséquence de tout cela, c'est que le peuple perd tout respect,
toute obéissance envers le clergé. >- Les États de Bavière font
entendre à plusieurs reprises les mêmes plaintes : < S'il arrive qu'un
curé ou autre ecclésiastique ait quelque chose à laisser après lui, les
autorités laïques accaparent aussitôt son héritage, et les créanciers,
les héritiers réclament vainement ce qui leur est dû. Pour toute
réponse à leurs réclamations, on leur assigne des délais sans fin, et
pour raisons, des frais de justice onéreux. La cause est si longtemps
en suspens que bien souvent, avant qu'elle soit jugée, l'héritage s'en
est allé en fumée '. «
^ En somme ", comme le disent fort bien les Plaintes d'un simple
moine, « les laïques, princes et nobles veulent être les maîtres dans
l'Eglise, disposer des meilleurs emplois, et remplir peu ou point
les obligations que le devoir de leur charge leur impose. Ils ne
songent qu'à établir des clercs qui leur soient dévoués dans les
charges dont ils disposent, pour se faire ensuite payer ce bon
office. Ils troublent l'ordre et la paix des cloîtres et des abbayes,
et mènent une vie de débauches, dont les biens d'Église font tous
les frais; puis ils se posent en censeurs intègres et s'écrient hypocri-
tement : « O la corruption du clergé! » O pharisiens, sans doute
Dieu se sert de vous pour châtier sévèrement son peuple ! •■■
Cette conduite ^ pharisaïque ' des princes laïques, personne ne
l'a mieux caractérisée que l'un des plus nobles d'entre eux, le duc
Georges de Saxe. Voici comment il s'exprime dans une instruction
rédigée pour ses chargés d'affaires, et écrite de sa propre main :
« On nous parle beaucoup des nombreux abus qui existent; mais les
plus regrettables, ceux dont le monde enlier est maintenant et sur-
tout scandalisé, on les passe sous silence ; or ceux-là viennent de
nous. L'origine de l'hérésie que Dieu a permise parmi nous, c'est
très-évidemment la manière défectueuse dont les prélats sont
élus, car Dieu a dit : Celui qui n'entre pas dans la bergerie par la
porte, celui-là n'est pas le vrai pasteur. Malheureusement, et ce
n'est pas actuellement le moindre scandale de la Chrétienté, nous
autres Ordres laïques, grands et petits, nous ne faisons aucune
attention à cette divine parole. Nous briguons pour nos enfants,
nos frères et nos amis les dignités épiscopales et les honneurs de
l'Église, et sans nous préoccuper de la porte, nous ne pensons qu'à
la manière d'y faire pénétrer les nôtres; que ce soit par le seuil ou
par le toit, peu nous importe. Cette manière d'agir nous est deve-
1 Voy. SuGENHEiM, p. 266-271. Dans le même ouvrage on trouvera un grand
nombre de documents relatifs à cet abus, que Jes synodes combattaient en
vain.
KOlUiES DE SAXE S i; i; I.F.TAT M O li A L I) (I Cf, KR GE. 36H
ic si nalurclle, qu'il semble (jue nous voulions .iller bien vite eu
. nier par ce chemin; il s'ensuit que les brebis suivent les pasteurs,
et encourent avec eux les diätimenls de Dieu, comme malheureu-
sement nous ne le voyons que trop. >
" Secondement, nous autres princes laïques, auxquels Dieu a remis
la puissance (et Dieu veuille qu'il n'en soit pas ainsi parmi les princes
ecclésiastiques!), voici comment nous agissons : Comme nous avons
entre nos mains les biens des couvents et des abbayes, la cupidilé
nous tourmente au sujet de ces mêmes biens, de sorte que trop
souvent nous sommes beaucoup plus préoccupés de savoir à qui
appartient telle ou telle abbaye, pour nous eHorcer de l'accaparer et
pour être en état de maintenir notre rang, que de nous informer si
l'on y mène une vie chrétienne, si la règle y est observée. L'ambition
qui nous dévore, si elle a grossi les revenus des gouvernants, a nui
grandement, pendant ces temps de désordre, à plus d'une commu-
nauté. Dans ces questions nous avons entièrement perdu de vue la
charité envers Dieu et envers le prochain, et nous ne nous sommes
pas demandé si notre conduite n'entrainait pas nos frères dans un
crime damnable; nous n'avons eu souci que des moyens de sou-
tenir notre train fastueux. ■' Georges ajoutait que ceux qui se
plaignaient le plus du clergé ne parlaient jamais des abus bien
autrement graves dont ils étaient eux-mêmes les auteurs. « Autrefois
une coutume salutaire et louable voulait que parmi nous ceux qui
manifestement avaient forfait à Dieu et à l'honneur, ne fussent plus
soufferts ni tolérés dans la société des gentilshommes qui se piquaient
d'être honnêtes; chacun les évitait, comme on fuit les sources
empoisonnées. Les usuriers, les adultères, les déserteurs, les traî-
tres, les parjures, tous les gens souillés de vices notoires étaient
exclus de notre compagnie. Maintenant cette honnête manière
d'agir est abandonnée, ce qui n'est pas une des moindres causes des
scandales qui se produisent. " ^^ Pourquoi ne porte-t-on pas plainte
contre les moines et les religieuses qui ont déserté leur couvent?
N'ont-ils pas failli à l'honneur, oublié le serment qu'ils avaient prêté
devant Dieu et devant les hommes? Par conséquent ne sont-ils pas
parjures? ne doivent-ils pas être traités comme tels? > " Tous les
jours », poursuit le duc, < des épitres calomniatrices et des livres
pernicieux se répandent, et prônent l'Évangile luthérien; les chrétiens
restés fermement attachés à l'Église chrétienne sont honnis. Les
prédicants ne cessent d'exhorter les moines et les religieuses à aban-
donner leurs monastères; s'ils ne le font, ils les menacent des peines
éternelles; s'ils renoncent à leurs vœux, ils leur promettent le bon-
heur et les plaisirs de la chair. Puis, aussitôt que les moines les ont
écoutés, on, les entretient, on les aide dans les principautés envi-
364 GEORGES DE SAXE SUR L'ETAT MORAL DU CLERGE.
Tonnantes; on les récompense comme s'ils avaient fait une belle et
loyale action; ceux (lui les ont engagés à quitter leur genre de vie
ne rougissent pas de s'en vanter, bien que la loi de notre pays punisse
de mort les religieux infidèles à leurs vœux. El ce qui est plus triste
encore, celui qu'on ne parvient pas à tirer de son couvent au moyeu
de prédications ou de lectures, on l'y décide par des promes.ses
d'argent, et lorsque ce moyen même échoue, on le soumet à de tels
traitements, à de si révoltantes injustices, qu'il est enfin contraint de
céder; alors ces mêmes seigneurs qui, par la ruse ou la force, l'ont
ainsi forcé d'apostasier, jouissent de ses biens comme s'ils étaient
leur légitime héritage. D'où il ressort clairement qu'ils metlent
bien au-dessus du bonheur de voir Dieu bien servi, la satisfaction de
jouir des richesses de ce monde. Nous signalons ces faits, et nul ne
les pourra nier. Quant aux offenses faites au Dieu tout-puissant dans
le Très-Saint Sacrement de l'autel, quant à ce qui concerne les saints
de Dieu, ce qui se passe au milieu de nous paraîtrait affreux, quand
bien même les Turcs ou les païens en seraient les auteurs. »
" Nous ne voulons pas dire par là «, continue Georges, « que les
abus manifestement contraires à la loi de Dieu ne doivent pas être
réformés. Si quelqu'un, par suite de l'avarice des prélats et contrai-
rement au commandement de la charité chrétienne, a été injuste-
ment chargé; s'il arrive qu'un chrétien persiste dans d'étranges et
superstitieuses illusions au sujet de la messe ou des sacrements; si
un clerc n'a pas eu une intention droite en entrant dans l'état ecclé-
siastique, partout, en un mot, où l'erreur a pu se glisser, il faut
aviser à la réforme, et c'est l'œuvre des missionnaires ordonnés
et envoyés à cet effet par les premiers pasteurs, afin que le peuple
ne soit pas détourné de l'unité de rÉglise chrétienne. One si, par
ignorance, une pauvre âme a été entraînée dans l'hérésie, il faut
s'efforcer, par de sages moyens, par un meilleur enseignement, de
la ramener à la saine doctrine. Voilà la conduite louable, loyale
et salutaire qu'on devait tenir; et avant tout il faudrait songera
instruire le peuple, .Mais s'il est advenu qu'un prêtre se soit montré
cupide, indigne de ses fonctions, prévaricateur, il ne faut pas réprou-
ver à cause de lui toutes les autorités instituées par Dieu, encore
moins les remplacer par des coquins défroqués. Si un prêtre a péché
en célébrant la sainte messe, toutes les messes ne sont pas pour cela
dignes de mépris. Si quelqu'un, dans son ignorance, a cru qu'au
moment de l'offertoire Notre-Seigneur allait de nouveau mourir et
être crucifié sur l'autel, il faut lui expliquer que c'est mystiquement
que le sacrifice du Christ doit être entendu, comme l'Église chré-
tienne l'a toujours enseigné. Parce qu'un doigt est malade, il
ne faut pas châtier tout le corps, mais prendre bien garde que le
GEORGES DE SAXE SUR l/ÉTAT MORAL DU f.LERGÉ. 365
mal ae vienne à envahir toute la main. De même si, dans un cloître,
il s'est trouvé un ou deux moines indifjnes de leur saint état, il ne
s'ensuit pas qu'on doive chasser lou^ les relijjieux. Si ces choses et
d'autres encore étaient mieux comprises, ou pourrait espérer le
retour à Dieu de plus d'une àme. «
« Mais il n'est jamais question de réforme; on ne parle que du
renversement total de lout ce qui existe; les princes, les comtes, les
autorités des villes peuvent blasphémer impunément le Saint Sacre-
ment, le fouler aux pieds, détruire les abbayes, prendre et dévorer
le fruit des aumônes, ciiasser du couvent les vierges consacrées à
Dieu ou les en arracher de force. Toute obéissance est anéantie, de
sorte qu'il est à craindre que le sort de l'empire grec ne soit réservé
à l'empire allemand. Luther et sou Évangile ont si bien fait, qu'il est
rare que, dans une maison, on rencontre entre les membres d'une
même famille quelque conformité de sentiment. De plus, Luther a
rejeté tout droit écrit, et soutient que la loi est dans la conscience,
et non dans les codes. On peut donc aisément en conclure que, s'il en
est ainsi, il n'y a point de droit du tout. Aussi tout homme accusé de
quelque méfait s'absout devant sa conscience et crie à l'injustice
s'il est poursuivi. Kn détruisant l'Église, son unité, sa hiérarchie, on
a donné à l'individu la liberté de se faire une morale à lui, et per-
sonne n'a plus confiance qu'en son propre Jugement. Ainsi les esprits
sont divisés, et il y a plus de sectes et d'hérésies que la foi chré-
tienne n'a d'articles'. '
' Actenstüche aus dem Dresdener Staaisarckir, dans IIÖfler, Dcnhwûrdigkeilen der
Chariias l'irlheimer, LVIII-LXXIV', que lIoHer ratiye avec raison - parmi les sources
les plus impuiiantes de l'histoire de la réforme -. Voy. aussi l'instruction du
duc Georges pour Hans de Schönberg. CVII-CXII.
CHAPITRE IX
TROUBLE CROISSANT DANS LA VIE RELIGIEUSE ET SOCIALE.
Cependant les nouvelles doctrines se propageaient de tous côtés
dans les villes et dans les campagnes, et la destruction de 1'« abomi-
nation diabolique du papisme ■ était regardée par tous les nouveaux
croyants comme rigoureusement exigée par Dieu même.
Dans Télectorat de Saxe, le " gouvernement du diable , pour
employer l'expression ordinaire des luthériens, perdait tous les
jours du terrain. Le duc de Poméranie avait adhéré au « pur Évan-
gile ». Devenu« un vase d'élection 'î, il avait aboli la « menteuse
superstition de la messe -, et s'était emparé des biens de l'Église;
« pour en faire un usage chrétien ». Une révolution énergique eti
radicale se préparait, en Prusse, dans les Etats de l'Ordre Teufoniqu
dont la transformation en principauté temporelle avait été ardemmei:
poursuivie par Luther. Dès 1523, il y avait envoyé l'un de ses dis-
ciples, afin que ce pays, lui aussi, pût « rompre avec la domin; -
tion de Satan ». Dans la Hesse, le laudgrave Philippe agissait c
converti enthousiaste. Daus le Palatinat, l'électeur Louis faisai
annoncer par .lean Schwebel « la parole de Dieu, épurée, rapporte
au texte littéral de la Bible ••. Le duc Louis de Deux-Ponts, aidé de
ce même prédicant, organisait d'après les nouveaux principes la
doctrine et le culte, et chassait du pays les prêtres qui persistaient
à célébrer la messe '.
Mais c'était surtout dans les villes d'Empire que le nouvel Évan-
gile rencontrait de nombreux et puissants protecteurs. Les con-
seils, depuis longtemps engagés dans d'inextricables et fréquents
démêlés avec les évêqueset les communautés religieuses, soit à pro-
pos des privilèges et libertés de ceux-ci, soit au sujet des conflits et
• Pour plus de détails sur la diffusion de la nouvelle docîrine, voy. le troisième
volume de cet ouvrage.
I.K NOUVEL EV^^N(;l^l• dans LKS VII.LKS libres, irm. 367
;«ussi des abus de la justice ecclésiastique et laïque, voyaient avec la
plus vive satisfaclion « qu'enfin l'ou Cümnicucait à savoir ce qu'il
fallait penser du clergé, à comprendre qu'en toutes choses il devait
obéissance au pouvoir lem|)orel, à se dire (jue les biens qu'il possé-
dait et dont il jouissait conirairement a toute équilé, devaient être
i*emis en de meilleures mains ". Sans élre aucunement inquiétés, sou-
vent même appelés par les conseils des villes, les prédicanfs avaient
libre accès dans les cités; la plupart étaient d'anciens religieux; ne
mettant pas le moindre ménagement dans leurs procédés, ils débla-
téraient contre « le culte idoiàtrique de la messe ", les prêtres,
" vraies idoles ointes, les biens injustement acquis des ecclésias-
tiques, le jeune, la confession, les pratiques de pénitence, etc. «. Ils
élevaient si haut ^ la liberté évangélique -, que sous l'impulsion de
leur parole, la foule, ainsi que cela s'était déjà vu à Erfurt et à
Wittemberg en 1522, se croyait parfois autorisée aux actes de violence
les plus iniques. Au reste, les prédicauts, loin de s'accorder, étaient
animés les uns envers lesautres de dispositions • agressives, haineuses,
qui faisaient le plus grand tort à la cause de l'Évangile épuré • .
Pour remédier à ces graves inconvénients, les délégués des villes
réunirent à Spire les États des cités (juillet 1524). Comme à ce
moment l'édil impérial interdisant l'assemblée de Spire n'avait pas
encore été publié, on eût pu s'attendre à ce que les villes, au lieu de
prendre l'initiative, s'abstiendraient d'anticiper sur les décisions de
cette espèce de concile laïque, qui devait si prochainement s' réunir.
Au lieu de cela, elles-mêmes, de leur propre autorité, s'arrogèrent le
pouvoir de décider en matière de foi, et rédigèrent à Spire une
déclaration qui, dans la suite, devait avoir les plus g:raves consé-
quences pour l'organisation du nouveau système religieux.
' Le saint Évangile et la parole de Dieu ', dit le procès-verbal des
États de Spire (18 juillet), s'étant répandus dans les villes libres
de l'Empire pour le salut des âmes et le progrès de la charité fra-
ternelle ' , un fâcheux désaccord s'était mis dans les esprits par la
faute de prédicants ignorants, et ce malentendu pouvant porter un
grave préjudice à la foi du peuple fidèle, il était urgent que chaque
ville prit à cœur la situation actuelle. Toute cité avait le devoir,
autant que la chose lui serait possible, de se renseigner auprès de ses
prêtres et prédicants, et de faire en sorte qu'à l'avenir le saint
Évangile seul, dans toute son intégrité et pureté, conforme en
tout aux saints livres apostoliques et bibliques ', fût prêché et expli-
qué; toute doctrine jugée susceptible d'exciter les émeutes et les
querelles devait être rigoureusement interdite.
tt nou plus - d'après l'interprétation des docteurs approuvés par l'Église
universelle '■■ , comme portait encore le recez de Nuremberg.
368 LE NOUVEL ÉVANGILE DANS LES VILLES LIBRES. 15-24.
Aux autorités des villes appartenait désormais le devoir d'appré-
cier eu quoi consistait le pur Évangile et ce qui lui était
opposé.
Si quelque cité venait à être inquiétée pour avoir refusé d'obéir à
redit de Worms et se voyait menacée pour ce fait de quelque grave
châtiment, on délibérerait aussitôt dans une réunion nouvelle sur
la manière - de lui procurer aide et conseil =■. A la future assemblée
de Spire, une confession de foi serait présentée par les villes. Si
elle ne concordait point avec les sentiments des différents Ordres',
on s'efforcerait de la leur faire adopter. Si, malgré toutes les expli-
cations données, les Ordres persislaieut à la rejeter, les délégués
urbains, après avoir réfléchi miireraent, auraient recours à la protes-
tation, ou à tout autre moyen jugé nécessaire par eus*.
Par de pareils moyens, il n'était guère possible d'arriver à la • cor-
diale entente chrétienne que les villes avaient semblé attendre,
lors de la Diète de Nuremberg, de la future assemblée religieuse de
Spire.
Les villes songeaient dès lors à .s'assurer l'appui de l'étranger. « On
m'a affirmé ■•, écrivait l'archiduc Ferdinand à l'Empereur, - qu'à
Spire les villes avaient reçu en audience des délégués de Suisse et de
Bohème, où elles avaient dès longtemps envoyé des députations. On
dit qu'elles se proposent de se créer des alliances à l'étranger pour
le cas où l'on prétendrait leur faire violence au sujet delà doctrine
de Luther, qu'elles ont coutume d'appeler évangélique ^ ;>
Pour définir exactement les principaux caractères de l'« Évangile
littéral, >' on organisa dans plusieurs villes des conférences ou dis-
putes religieuses, auxquelles assistaient généralement quelques
membres des conseils. Quelquefois, comme par exemple à Con-
stance, il était permis aux opinants de citer, à l'appui de leurs asser-
tions, des textes hébreux ou grecs ; or les conseillers ne comprenaient
souvent ni le grec ni l'hébreu, mais cela ne les empêchait nullement
de décider en dernier ressort. Un mémoire, adressé au Conseil de
régence par les échevins de Constance, pourra nous donner une
idée des choses singulières qui se passaient quelquefois en de sem-
blables occasions. Les conseillers de Constance portent plainte
contre le Frère Antoine, lecteur des Dominicains, qui, aies entendre,
« a prêché contrairement à la sainte Écriture et aux injonctions
du conseil : . Le conseil avait enjoint aux prédicants de l'avertir
' La question « du siège et de la voix • est traitée sommairement dans le
recez de la Diète.
* Abschid aller Frey- und Reichsleu gemeinen Slelttags Monlagnach Margarelha (Juli 18)
anno 1524 in der Sladt Speyer gehallen. Voy. Der erbern Frein und Reichsten Abschide
der jare 1523-1542. Archives de Francfort.
^ Voy. BüCHOLTZ, t. II, p. 68.
LE NOUVEL ÉVANGILE DANS LES VILLES DE L'EMIMHE. 152i. 369
(oiitcs les fois que quelque doctrine opposée à ce qui avait été
décidé en matière de foi aurait été préchée dans la ville. Or trois
d'entre eux présentaient une accusation contre Frère Antoine, et voici
les reproches qui lui étaient adressés : Le moine avait cilé plusieurs
livres, saints et bibliques à son sens, mais qui n'avaient point été
déclarés authentiques par le conseil, par exemple le troisième et le
quatrième livre d'Esdras, de TEcclésiaste, les livres de la Sagesse,
des Macchabées, et quelques autres livres suspects. Frère Antoine
avait osé dire qu'ils ne contenaient point de fables, mais faisaient
partie intégrale de la sainte Écriture. " De plus, il avait soutenu,
et cela presque journellement, qu'on ne devait ni injurier ni honnir
le Pape ou les évèques. » Or le conseil de Constance avait récem-
ment exhorté tous les vrais prédicants, pasteurs et chargés d'âmes,
« non-seulement à montrer avec le plus de zèle possible aux fidèles
les bons pâturages en s'appuyant sur la « pure parole de Dieu »,
mais encore à leur apprendre à fuir le loup ». Les prédicants étaient
donc tenus de dénoncer et de décrier hautement le Pape, ses
apôtres et ses maximes, par lesquels les peuples avaient été séduits,
et ne devaient pas craindre de les appeler hautement « voleurs,
homicides et antechrists ", comme la sainte Écriture leur en donnait
Texemple, afin de rendre le clergé méprisable et haïssable aux bre-
bis. Voici ce que l'un des trois nouveaux apôtres d'un Évangile de
charité prêchait en juin 1524 : « Nos princes sont de plus grands
tyrans que Néron, Dèce et Dioclétien ne l'ont jamais été. C'est
maintenant aux chevaliers et aux nobles qu'il appartient de protéger
la foi, car les princes ne sont que des tyrans forcenés et des buveurs
de sang'. »
Avant tout, pour rétablissement « de l'Évangile pur et littéral «,
il était nécessaire de changer la constitution de l'Église, d'abolir la
juridiction des évèques et de la transporter à l'autorité laïque. Au
siècle précédent, les juristes romains avaient déjà préconisé ces
' réformes- ». « Une fois affranchis de l'autorité ecclésiastique ",les
magistrats des cités, aussi bien que les princes, rêvaient l'établisse-
ment d'une Église locale, par laquelle leur pouvoir serait affermi,
' Voy. les rescrits de juillet et d'août 1524, dans Chmel, Aaenstückc, p. 262-
267, 275-279. L'archevêque de Constance, Hugues, écrivait au lieutenant
d'Empire et au Conseil de régence (26 juillet 1524) que les disputes sur les
questions religieuses, qui avaient lieu en beaucoup de localités, avaient produit
jusque-là peu d'apaisement dans les esprits; qu'elles avaient singulièrement
excité les gens du peuple, déjà disposés au mécontentement depuis quelque temps,
et les avaient poussés à la révolte, comme les faits ne l'avaient que trop prouvé.
Traiter les questions de foi et les trancher devant des laïques, n'était, de l'avis
de l'évéque, • ni convenable, ni admissible ». D'ailleurs, de tels procédés étaient
contraires aux décisions de Worms et de Nuremberg. Voy. Chmel, p. 274.
- Voy. notre premier volume, p. 473-474.
IL 24
370 LF, NOUVEL ÉVANGILE A NUREMBERG. 1524.
qui leur laisserait la liberté de disposer des biens de TÉglise,
d'exercer le droit d'élire ou de déposer « les prédicants de la doc-
trine ' , et surtout leur permettrait de ne plus traiter les prêtres
que comme ■< les très-humbles serviteurs de l'État «. « Quant à la
religion, > avouait Mélanchthon, ^ les villes libres s'en soucient fort
peu; elles ne songent qu'à secouer le joug des évoques, afin de
régner sans partage '. »
II
Nuremberg se distingua par <• une haine singulièrement violente y-
contre la papauté et le clergé. Les nouveaux croyants disaient avec
orgueil : ' Nuremberg brille comme une perle choisie dans la cou-
ronne tressée par les cités à l'Évangile. »
Trois hommes contribuèrent surtout à encourager la révolution
religieuse : les deux trésoriers de la ville, Jérôme Ebner et Gaspard
Niitzel, aux mains desquels était remise toute l'administration de
la ville, et Lazare Spengler, « qui par son rang social ", dit Camera-
rius dans sa lie de Mélanchihon, « n'était qu'un simple greffier,
mais qui en réalité était l'inspirateur de toutes les décisions du.
conseil ". Uni à Spengler et à d'autres prédicants, l'agitateur popu-
laire André Oslander tenait la bourgeoisie dans une crainte conti-
nuelle, car il avait tout pouvoir sur les masses. « Un greffier bouffi
d'orgueil, sans aucune honorabilité, un prêtre fastueux, sans nulle
expérience ', disait amèrement Pirkheimer en parlant de Spengler
et d'Osiander, « gouvernent selon leur caprice la noble cité de tNurem-
berg , et réforment toutes choses d'après leur science prétendue;
leur volonté est la règle de ce (ju'il faut croire et de ce qu'il faut
faire. ' " Je voudrais que vous fussiez à même de juger la conduite
de cet homme «, écrit-il à un ami en parlant de Spengler; - vous ne
pourriez assez vous étonner qu'eu un même personnage les actes et
les paroles puissent à tel point se contredire ^ » La " troupe évan-
gélique », en peu de temps fortement grossie, finit par montrer si
peu de dignité et de mesure que Hans Sachs, bien que partisan de
Luther, ne pouvait s'empêcher de lui adresser les plus amers repro-
' "Maxime oderunt illam doniinationem(les évêques, dont la juridiction était
en question) civitates imperii. De doctrina religionis nihil laboranl; tantum de
regno et libertate sunt solliciti. » Lettre à Luther : Corp. Reform., t. II, p. 328,
et t. II, p. 336. — Voy. Pastor, p. 40.
^ Voy. Binder, p. 107-109 et p. 222, note 32.
LE NOUVEL EVANGILE A MIIlEMBERO. l.>2i. 371
ches (1524). « Vous criez beaucoup, mais vous agissez peu «, leur
disait-il. " Si vous étiez évangélicpies, comme vous vous vantez de
l'être, vous feriez les œuvres de rÉvaugile. Il n'est que trop juste de
le dire, si les luthériens avaient une conduite honorable, exempte de
tout scandale, leur doctrine serait autrement considérée; ceux qui
vous appellent maintenant hérétiques feraient votre éloge; ceux qui
maintenant vous méprisent se laisseraient instruire. Mais vos excès
de table, voire vacarme, vos insultes contre les prêtres, vos que-
relles, vos sarcasmes, vos dédains, votre conduite dissolue, ont porté
un grave préjudice â la doctrine évangélique. Ceci n'est malheureu-
sement que trop évident '. ■»
Les chaires dont disposaient les prédicants retentissaient de dis-
cours calomniateurs, méprisants, de propos grossiers ou séditieux.
Pirkheimer écrivait à Mélanchthon, parlant ■ de cette belle et digne
cité de Nuremberg où jadis la religion chrétienne avait été si en
honneur- » : - Xon-seulement notre ville fourmille d'hommes qui
osent entreprendre de convertir les autres et ne se corrigent en rien
eux-mêmes, mais encore elle regorge de femmes oisives, bavardes,
curieuses, indiscrètes, aimant à gouverner toutes choses, excepté
leur propre ménage. Si lu étais ici, si tu étais témoin de tant et de
si lamentables défections, calomnies, illusions, mensonges, tu pour-
rais à peine t'erapécher de verser des larmes^! « « Les prédicants ne
se contentent pas de tonner contre tout ce qui a été vénéré jus-
qu'ici, ils n'outragent pas seulement ceux qui refusent d'abjurer la
foi de l'Eglise, ils s'écrient : Il faut les convertir à tout prix, et
s'ils s'y refusent, il faut les chasser par la violence! Entre eux, ils
ne parviennsut même pas à s'entendre. - ■-- Je ne sais comment on
prêche -, dit Charité Pirkheimer dans une de ses lettres, - mais
j'enlends dire de tous côtés que beaucoup d'hommes estimables de
notre ville sont presque désespérés, et ne veulent plus aller â aucun
sermon. Ils disent que les prédicants ne font que les troubler, qu'ils
' Ein Gespräch eines ecangelischen Christen mit einem lutherischen (Nuremberj^, 1524J,
Bl. 4^. — Voy. DÖLLINGER, Reformation, t. I. p. 172-173. — RaSS, Convertiten, t. I,
p. 48. on faisait de tous côtés la même expérience. » Je crains fort », disait dans
un de ses sermons Jean de Staupitz, l'ancien provincial de Luther (1523j, « que
l'on ne trouve en ceux qui se vantent le plus d'être évaugéliques plutôt des
hérétiques que des chrétiens. Manger du chapon en carême, faire ripaille le jour
et la nuit, est-ce donc là ce qu'ils appellent la liberté chrétienne ■.■' Où voit-on
que le Christ et les apôtres nous aient donné un tel exemple '.' C'est vraiment
imiter le diable et non le Christ que d'agir de la sorte. Beaucoup abandonnent
leurs couvents, disant que sous le froc ils ne peuvent vivre selon l'Évangile.
S'ils ont reçu les Ordies mineurs, ils se hâtent de s'en débarrasser; ils retournent
dans le monde, mangent et boivent le jour et la nuit. • Kolde, Augusiiner-
Congregation, p. 343-344.
- V^oy. BiNUER, p. lOJ.
PlRkHEIMEIH Op., p. 374.
24.
372 OPPRESSION DES C AT H O LIO U li S . 1524-1525
ne savent plus ce qu'ils doivent croire, et donneraient beaucoup
pour ne les avoFr jamais entendus '. ■-■
Le parti qui dominait au conseil pensait tout différemment sur
le compte des prédicants. Les conseillers les plus influents écrivaient
à l'Empereur que rien de séditieux n'était toléré dans la cité. Aux
États des villes réunies à Ulm sur la proposition de Nuremberg, un
certain nombre de députés expédièrent un message à Charles-Ouint,
pour l'assurer qu'à >'uremberg' les prédicateurs étaient rigoureuse-
ment obligés à ne prêcher « que la pure et littérale parole de Dieu,
d'après l'Écriture, et telle que l'approuvait la sainte Église chrétienne,
conformément à l'édit de Worms - ■ .
Et cependant des agressions directes contre le culte de l'Église et
les droits des établissements religieux avaient depuis longtemps été
inaugurées à Nuremberg comme ailleurs. Quelques mois plus tard,
sur l'ordre du conseil, avait lieu, dans une salle de l'hôtel de ville, une
conférence religieuse qui dura plusieurs jours, et après laquelle,
avec un sans gène auquel on commençait à s'habituer, on décida
l'abolition de l'ancien culte. A dater de ce jour, on marcha à grands
pas dans la voie de l'arbitraire. De par l'ordre et l'autorité laïques
le nouvel Évangile fut établi ^ dans la ville et dans les cinquante ou
soixante localités soumises à la juridiction de Nin-emberg.
A partir de ce moment, il ne fut plus question de tolérance envers
l'ancienne Église, et l'on ne montra plus aucun égard envers les
' Voy. HÖFLER, Denhicûrdigkcileii der Charilas Pirl.heïmer, p. 130.
- o Abschid aller erbaren Fretj-und ReichsUtl gemaincn Stetllags auf Aflermontag mich
XHcolai (13 décembre) 1524, in der Stadt Um gehauen, • Vov. Der erbern Freien-und
Retchslelt Abschide der jare 1523-1542. Archives de Francfort. « L'Empereur »,
étaiL-il dit dans le recez, " avait interdit l'assemblée qu'on s'était proposé de
réunir à Spire. Il avait publié un édit qui menaçait de peines sévères ceux qui
adopteraient les doctrines de Luther. Aussi, sur la proposition de Nuremberg,
les États des villes s'étaient réunis, et il avait été décide que sans apporter nul
délai à l'affaire, on aviserait aux voies et moyens de satisfaire aux ordres de
l'Empereur. » Dans le messaffe envoyé à l'Empereur, il était dit que l'édit de
Worms était impossible à exécuter, à cause des dispositions populaires, car les
peuples se montraient si avides de la pure parole de Dieu, qu'ils se déclaraient
prêts à sacrifier pour elle leurs corps et leurs vies. Les délégués des villes
étaient donc convenus entre eux (juillet 1524) de laisser prêcher en toute
liberté l'Évangile pur et simple , conforme en tout aux écrits bibliques et
apostoliques. (Voy. plus haut, p. 367.) Le conseil de Francfort avait écrit à Ulm le
29 novembre 1524 (mardi après saiute Catherine) qu'il lui était impossible d'en-
voyer à la Diète ses délégués, et se proposait, autant que la chose se pourrait,
de se montrer obéissant envers l'édit impérial. Esslingen écrivit à Ulm le 20 dé-
cembre (mardi avant saint Thomas, apôtre) qu'il ne pouvait souscrire à l'adresse
qu'une partie des députés urbains avaient rédigée pour être envoyée à l'Empe-
reur, et qu'il avait l'intention de se montrer obéissant envers l'édit impérial.
Gemund (en Souabe) s'exprime de même (22 décembre, jeudi d'apiès saint
Thomas, apôtre), 1524. Archives de Francfort, convolut : Rcichssachcn a. 1524.
^ Voy. Roth, Reformation in Xiirnberg, p. 194.
MEMOIliES Di; CIIAIHTK l'ii: Iv II K IM K H. 373
calholiques demeurés fidèles. C'est ce que va nous démontrer This-
loire du couvent de Sainte-Claire. L'abbesse des relijjieuses, Charilé
Pirkiieinier, nous a laissé dans ses Mémoires le saisissant récit des
événements dont elle et ses S(rurs avaient été les victimes '.
Avant la prédication du nouvel Évangile, Charité avait été univer-
sellement célébrée par les hommes les plus éminenls de son temps.
Tous l'avaient considérée comme une des plus nobles personnalités
de son sexe; à .\urember{j, au témoignage de Christophe Scheurl,
« tous ceux que distinguaient leur rang ou leur savoir étaient dans
l'admiration de ses hautes capacités, de son instruction étendue, de
l'élévation de ses sentiments, de la pureté de ses mœurs -. Ouant
au genre de vie des Sœurs, de l'aveu même du conseil, on n'y avait
jamais rien trouvé à redire; nul abus, nul scandale n'avait jamais
été signalé dans la maison. On vantait au contraire sa parfaite dis-
cipline, et sa bonne renommée était partout solidement établie. Si
donc, même contre Charité et ses compagnes, issues pour la plupart
des premières familles de la ville, on osait se porter aux actes de
violence les plus audacieux, il est facile de se représenter à quels
procédés iniques les puissants, les tyrans de conscience, avaient
recours quand il s'agissait de persécuter et d'opprimer le reste des
catholiques.
L'histoire du couvent de Sainte-Claire caractérise dans une cer-
taine mesure ce temps « si lamentablement destitué de paix divine et
humaine '-, comme le disait très-justement l'archiduc Ferdinand*.
« Une foule de personnages de tout rang ", dit Charité dans ses
Mémoires (1524), « venaient touslesjours visiter les amies qu'ils avaient
chez nous; ils endoctrinaient les Sœurs, leur exposaient les nou-
velles doctrines, et leur argumentation n'avait point de fin. Ils s'effor-
çaient de nous prouver que l'état religieux était damnable, perni-
cieux; qu'il était impossible d'y faire son salut, et que toutes nous
appartenions au diable. Beaucoup voulaient contraindre leurs filles,
sœurs ou cousines à sortir du cloître, et les engageaient à changer
d'état, à grand renfort de paroles, de menaces et aussi de belles pro-
messes. "
1 Höüer a eu le mérite de publier le premier ces Mémoir-s. Mieux qu'aucuu
autre témoignage, les Mémoires et lettres de l'abbesse vont nous montrer le
triste usage qu'on faisait alors de la « parole divine ■ et de la ■ liberté évan-
gélique • pour l'oppression de toute liberté de conscience. Le seizième siècle
ne nous fournit peut-être pas un seul document qui les vaille; ils nous offrent
un exemple vraiment admirable de fidélité héroïque, de piété pure, de con-
stance chrétienne et sublime parmi d'indicibles angoisses et persécutions,
au milieu des tristes exemples de l'apostasie générale. Binder, dans sa belle
biographie de Charilé Pirkheimer, a su mettre le récit de l'abbesse dans un
admirable relief.
* Chmel, Ferdinands Instruction fur Karl von Durgund, p. 1 îO-142.
374 MÉMOIRES DE CHARITÉ PIRKHEÎMER.
Mais comme aucune des Sœurs ne voulut jamais entendre parler
d'une telle désertion, les nouveaux croyants attribuèrent leur « obsti-
nation " aux Pères Carmes, directeurs des religieuses de Sainte-
Claire, et déclarèrent qu'aussi longtemps qu'on ne les éloignerait
pas de la maison, il ne fallait pas songer à ■-■■ convertir > les Sœurs.
Au sein du conseil, les ennemis du couvent exprimèrent donc le
désir de voir la direction spirituelle des Sœurs retirée aux Carmes,
et donnée aux nouveaux prédicants.
i: J'exposai l'état de la question à la communauté «, rapporte
Charité, " réclamant en cette circonstance l'avis et le conseil de mes
Sœurs. Alors, considérant ce qui leur adviendrait si la communauté
sortait du gouvernement régulier des Pères pour être placé sous la
domination de prêtres dissolus et de moines apostats, elles décla-
rèrent unanimement qu'elles ne leur obéiraient point, et s'écrièrent
d'une seule voix qu'il ne fallait pas attendre pour agir qu'on vint
nous enlever les Pères, car ensuite, malgré toutes nos récrimina-
tions, il ne nous serait plus possible de remettre les choses dans
leur premier état; qu'il fallait commencer par adresser une sup-
plique au conseil, par faire appel à sa loyauté, en lui représentant
le tort qui serait fait à nos âmes par une telle mesure, témoignant
une pleine confiance en sou équité, et le suppliant de considérer
l'injustice qu'on voulait commettre à notre égard. Je me rendis à
l'avis des Sœurs, et rédigeai une supplique qu'elles approuvèrent
toutes, sans aucune exception. -
Dans cette admirable « supplique > , les Sœurs rappelaient au con-
seil, en termes émouvants, qu'elles avaient toujours été exemptes de
reproche dans leurs rapports avec l'autorité; que, -- dans toutes les
choses justes et acceptables =, elles s'étaient constamment efforcées
de lui complaire, et qu'on ne pouvait formuler aucun blâme sur leur
genre de vie. ^ Il ne serait donc pas juste », ajoutaient-elles, ^- de
contraindre notre conscience et de nous empêcher de suivre les règles
de notre institut. « « Quelques-uns s'imaginent que nos Pères nous
interdisent la lecture du saint Évangile et autres livres bibliques.
Un tel soupçon n'est point fondé et leur l^it injure. Nous pouvons
affirmer en toute sincérité que parmi nous l'Ancien et le Nouveau
Testament, en langues allemande et latine, sont d'une pratique et
d'un usage quotidiens, et que nous nous efforçons de tout notre
cœur de les entendre dans leur sens exact et littéral. Et non-seule-
ment nous lisons la Bible, mais nous ne refusons pas d'examiner ce
qui nous vient entre les mains, à l'exception des libelles et pam-
phlets qui répugnent à notre conscience, et ne nous semblent pas
conformes à la simplicité chrétienne. Nous espérons que Dieu, écou-
lant la fervente prière de nos cœurs, ne nous refusera pas et ne
MÉMOIRES \)\-. rjfARITK P F R K II F IMK F^ 375
nous cachcr.'i point son saint cl véritable Espril, afin que nons puis-
sions comprendre la parole de Dieu selon son adorable sens, non-
seulement selon la lettre, mais selon l'esprit. '
D'autres reproches ayant trait à leur genre de vie étaient éjjale-
mcnt injustes : « On nous accuse de nous confier en nos propres
œuvres et de n'attendre notre salut que de leur secours; cepen-
dant nous affirmons ici que, {yràce à Dieu, nous sommes bien
loin d'i{ynorer, mal{yré tout ce qu'on en peut dire, que par les
œuvres seules nul homme, comme le dit saint Paul, ne saurait être
justifie, puisqu'on ne peut l'ôlre que par la foi en Notre-Seigneur
Jésus-Christ, d'autant que le Sauveur Jésus nous a lui-même enseijjné
que lorsque nous avons lait tout ce qui est eu notre pouvoir, nous
devons néanmoins nous considérer comme des serviteurs inutiles.
Mais d'autre part nous sommes très-persuadées qu'une foi pure et
véritable ne peut exister sans les bonnes œuvres, de même qu'un bon
arbre doit nécessairement porter de bons fruits. > Nous croyons
que Dieu récompensera chaque homme selon ses mérites, et que,
lorsque nous paraîtrons devant le tribunal du Christ, chacun y sera
accueilli selon ses œuvres, bonnes ou mauvaises. Nous savons encore
que ce n'est point à nos propres efforts que nous devons attribuer nos
bonnes actions, et lorsqu'un acte louable s'opère par notre entremise,
nous n'ignorons pas que le mérite ne peut nous en être attribué, car
tout bien procède uniquement de Dieu. C'est donc sans aucun fonde-
ment qu'on nous accuse de nous complaire dans nos bonnes œuvres;
toute notre gloire ne réside que dans le Christ crucifié et humilié,
qui nous a ordonné de prendre sa croix et de le suivre. Aussi nous
regardons-nous comme obligées, ainsi qu'on nous y invite,- de
dompter en nous le vieil Adam et de soumettre le corps à l'esprit
parla mortification; et pour ce faire, nous trouvons plus de facilités
et de motifs dans la vie religieuse que dans le monde. »
Toutes étaient résolues à demeurer au couvent, dans la vocation à
laquelle Dieu les avait appelées; ce n'était pas pour y mener une vie
commode, et le conseil lui-même savait fort bien, par l'examen de
leurs comptes annuels, quelle vie de pauvreté et de privations était
la leur, puisqu'elles avaient à peine de quoi vivre. Elles ne ressen-
taient aucun mépris pour l'état du mariage; mais quant à elles,
elles étaient décidées à servir Dieu dans la virginité, « et nul homme
de bon sens ne pouvait leur en dénier le droit -. Elles ne retenaient
personne de force; elles ne jugeraient point celles qui désireraient
retourner dans le monde; < mais si nous voulons la liberté pour
chacun, nous souhaitons, nous aussi, être traitées avec justice, et
jouir delà liberté, non-seulement selon le corps, mais selon l'esprit ».
Aussi se refusaient-elles à laisser pénétrer chez elles des directeurs
376 MÉMOIRES DE CHARITÉ PIRKHEIMER.
spirituels étrangers, sachant bien qu'une telle mesure serait infail-
liblement la ruine de leur communauté. Le conseil, en un temps si
périlleux, devait craindre de donner lieu au scanrlale ou à d'injustes
procédés. Elles le suppliaient donc d'avoir pitié d'elles, car la chose
n'importait pas seulement à leur bien temporel, mais au salut de
leurs âmes.
A la requête de ses compagnes, Charité adressa aussi un mémoire
étendu à son beau-frère le conseiller Martin Geuder, le priant
d'user en faveur de Sainte-Claire de l'influence dont il jouissait
au conseil. Depuis quatre siècles, lui écrivait-elle, les Carmes diri-
geaient la conscience des Sœurs, et jamais on n'avait eu le moindre
reproche à leur adresser. Les deux Pères qui exerçaient le saint
ministère à Sainte-Claire et remplissaient les fonctions de prédi-
cateur et de confesseur, ne recevaient du couvent, depuis quarante
ans, comme le conseil le savait fort bien, que le vêtement et la table.
De quel droit les éloignait-on pour imposer aux Sœurs d'autres
guides spirituels? « Je ne sache point >>, disait Charité, « que
jamais serviteur ou mendiant ait été contraint de se confesser
là où son maître l'exigeait! Nous serions les plus misérables des
créatures s'il nous fallait nous confesser à des personnes qui ne
croient plus eu la confession, et si nous étions réduites à recevoir
le Très-Saint Sacrement des mains de gens qui en font un tel abus
que c'est chose abominable à entendre! Comment nous résoudre
à obéir à ceux qui n'obéissent plus ni au Pape, ni à l'évêque, ni
à l'Empereur, ni à la sainte Eglise, à ceux qui ont aboli le beau
culte chrétien et l'ont changé au gré de leurs cervelles! Si je devais
passer par une pareille épreuve, je lui préférerais de beaucoup la
mort! »
Charité affirme de nouveau dans cette lettre que toute la com-
munauté lit quotidiennement la Bible : " Par la grâce de Dieu, ni le
saint Évangile, ni les Épitres de saint Paul ne nous font défaut.
Pour moi, je préfère les voir pratiqués dans le détail de la vie et
par des actes, que sans cesse sur les lèvres et jamais dans les
œuvres. »
« Mais ils prétendent qu'on nous explique et qu'on nous prêche
l'Évangile d'une manière puérile et tout humaine. Je réponds : Nous
resterons attachées au texte du saint Évangile, et nous ne nous en
laisserons séparer ni vivantes ni mortes! Mais si nous admettions des
gloses, je recevrais pour ma part avec beaucoup plus de confiance la
glose et la doctrine des chers saints, confirmées et approuvées par
la sainte Église, que la glose d'un esprit étranger, que la sainte
Église réprouve et condamne, que nous proposent des gens qui,
après tout, ne sont que des hommes, et dont la vie évangélique offre
M EMOI II RS DV. CHARITK I' 1 1; K II i: IM I- H. 377
fort peu de ressemblance avec les œuvres et les vertus des chers
saiats dont ils ont rejeté Tintercession '. •
« JNc te repens point •), écrivait la Sœur FélicKé Grundherr à son
père, conseiller de la ville, « de m'avoir encouragée dans le bon
dessein que j'avais formé de me consacrer à Dieu. J'espère que ce
sera pour tni dans réternité une gloire et une joie singulières, oui,
plus que si tu m'avais fait épouser rEmperciir romain, dont je
n'échangerais point le palais contre ma cellule! < Avec l'aide de
Dieu, personne ne j)ourra me faire sortir de mon petit' couvent,
aussi longtemps <juc je vivrai! .le dirai plus : bien qu'on outrage
d'une si abominable manière l'état que j'ai embrassé, mon avis est
que si j'avais encore ma libre volonté, je m'offrirais de nouveau
volontairement à Dieu pour le servir dans la vie religieuse; qu'on
chante et rabâche tout ce qu'on voudra, je veux, et j'en implore la
grâce, vivre et mourir dans l'état religieux, et y attendre mon Juge,
en la miséricorde duquel j'ai mis mon unique espérance. J'ai la con-
fiance que lu ne te laisseras pas séduire, et que tu conserveras ton
ancien et vaillant cœur de chrétien, car il me semble que je ne pour-
rais éprouver de plus grande douleur en ce monde que de te voir
aposfasier. En vérité, cela me briserait le cœur! ■ < Il me semble ,
écrit-elle un autre jour, « que si je recevais l'assurance qu'on nous
laissât, à nous et à nos vénérés Pères, la liberté de suivre nos anciens
et saints usages, nous permettant de servir Dieu en paix, je ne
pourrais éprouver de plus grande joie ici-bas^! -
Mais '• nulle voix parlant au nom de la liberté et de la justice chré-
tienne >' n'avait alors chance d'être entendue. Une députation envoyée
parle conseil viola la clôture des S(Purs et entreprit de les convaincre
que « la ville ayant reçu le bienfait de l'Évangile " , elles devaient
désirer participer à cette lumière, et consentir à recevoir '^ un saint
prédicateur de la pure parole de Dieu ". La nouvelle loi de l'Évangile
devait être partout introduite. Et comme toutes les Sœurs, invo-
quant leurs convictions religieuses et leur conscience, continuaient à
résister aux promesses comme aux menaces, leurs directeurs spiri-
tuels leur furent retirés, par Tordre du conseil. Une religieuse de
soixante-dix ans mourut sans avoir la consolation de recevoir le saint
Viatique; malgré ses touchantes instances, on ne laissa pénétrer
auprès d'elle aucun prêtre catholique.
>( C'est vraiment chose triste et lamentable % disent les Sœurs
dans une nouvelle supplique adressée au conseil, < que, dans un
temps où la liberté évangélique est proclamée en tout lieu avec tant
' HÖFLER, DenhwürdigkeiUn der C/iarilas Pirhheimcr, p. 5-19.
^ LOCHM-R, Brkfe der Félicitas Grundiurr, dans les Hisior.-poli(.,B\., p. 44, 442-455.
— Voy. Binder, p. 118-120.
378 MEMOIRES DE CHARITE PIRKHEIMER.
de fracas, on prétende tenir nos consciences captives! ' Comment,
en ces temps de discorde et de trouble, lorsque tant de nouveautés
et de changements se produisaient tous les jours, et que les doctrines
les plus contradictoires étaient tantôt adoptées et tantôt rejetées,
pouvait-on leur faire un crime de persévérer dans leur foi, dans les
saintes traditions de l'Église, en attendant que celle-ci se soit pro-
noncée, et qu'elle ait fixé ce qui était encore douteux? Mais le cura-
teur du couvent, le trésorier Nützel, ne voulut voir que de l'obsti-
nation, de l'orgueil et de la superstition dans la noble fermeté des
Sœurs. Il annonça à l'abbesse que, sur l'ordre du conseil, deux
prédicants viendraient prêcher au couvent, et il accompagna cette
nouvelle de la remarque suivante : « Notre Seigneur Dieu se plait
souvent à nous préparer des verges salutaires; il entend châtier
par là notre attachement obstiné à la superstition. « Il reprocha
même aux religieuses « d'attirer sur la ville l'émeute, l'effusion du
sang, le meurtre et toutes sortes de calamités ' ';.
« N'est-il pas étrange «, écrivait Clara Pirkheimer, sœur de
Charité, à son frère Willibad-, - qu'ils veuillent absolument nous
contraindre à adopter une foi qui n'est pas dans notre cœur pour
nous soumettre à ce qui leur plait? Car, dans leur pensée, rien
n'est chrétien que ce qu'ils ont eux-mêmes établi; l'Église, c'est
eux; cependant je crains fort que le Saint-Esprit ne règne pas con-
tinuellement ni certainement dans cette Église, comme les faits ne
me le font que trop craindre! ' « On voit assez ", écrit Charité,
« quel profit, quel honneur ont suivi pour tant d'hommes et de
femmes leur triste apostasie! Nous le saurons en détail avec le
temps; ces pauvres âmes, tentées jusqu'au désespoir, viendront un
jour nous confier avec beaucoup de lamentalions et de larmes
qu'on les a trompées, qu'on n'a pas eu en vue le salut de leur
âme, mais uniquement leur avoir. Maintenant elles ne sont même
pas en sécurité pour leur corps et leur vie, car on dit que la détresse
des religieuses et des moines apostats est affreuse! » " Nous savons
assez que beaucoup de prédicants ne nous tiennent pas même pour
chrétiennes; sous prétexte de zèle évangélique, ils nous décrient
publiquement dans leurs chaires, contrairement à la charité frater-
nelle. Ouelques-uns disent qu'ils n'auront point de repos jusqu'à ce
que leurs prédications aient forcé les religieuses et les moines à
quitter la ville; ils disent qu'à la place de notre couvent, on établira
un jeu de boules, et souvent ils nous en ont menacées. »
« Mais à quelle doctrine faut-il s'attacher », demande-t-elle,
' IIÖFLER, Denkwürdigkeiten der Charitas Pirhheimer, p. 33-69.
- Binder, p. 145.
MEMOlfiKS DE ClfARITK P I R K II E IM K H . 379
" puisque les prédicants se contredisent, et que chacun assure être
seul eu possession de la vérité? On me rapporte que ceux de Stras-
bourg, Bucer, Capilo et autres affirment maintenant que Jésus-
Christ n'est pas Dieu, mais seulement un homme juste, et que c'est
pour cela qu'on l'a appelé Fils de Dieu. D'autres se font rebaptiser,
et si nous devions tous les croire, nous aurions tant de choses à
faire qu'il nous serait impossible de nous y reconnaître! On nous
dit : Suivez ceux qui vous enseignent la vérité! Mais comment faire,
puisque tous veulent avoir raison, et que chacun affirme être seul
dans le vrai? On m'a rapporté que Carlstadl ne s'est pas encore
rétracté; Luther prétend qu'il ne l'a jamais bien compris, et ils se
sont renvoyé l'un à l'autre les plus grossières injures; chacun veut
contraindre son frère à croire et à agir selon sa propre conviction,
et s'il ne le persuade pas, viennent les colères, les iajures, les mépris,
les rancunes! Est-ce là vraiment la voie évangélique? J'en appelle à
Dieu! » " Chacun explique la sainte Écriture à sa guise, et ne veut
rien céder à son frère, de sorte que la dispute ne finit plus. "
Xiitzel lui avait beaucoup vanté Zwingle : c= Mais si je l'eusse suivi -,
dit-elle, oii en serais-je actuellement par rapport aux sacrements?
Et cependant tous se croient en possession de la parole de Dieu et
du pur Évangile '.
Afin de procurer aux Sœurs le bienfait de cette ' pure parole de
Dieu V, le conseil leur envoya trois prédicants, parmi lesquels était
Oslander. Ordre fut donné aux Sœurs d'assister au prêche -. - A partir
de ce Jour -, écrit Charité, • il y a eu chez nous grand concours
de monde, des cris, du tumulte dans notre église. On nous menace,
si l'on apprend que nous n'écoutons pas le prêche, de nous mettre
sur les bras certains personnages, qui, mêlés à l'auditoire, sauront
bien nous y obliger. Ces gens sont chargés de nous observer, de
s'assurer que nous sommes toutes là, que nous nous tenons conve-
nablement et n'avons pas de coton dans les oreilles. D'autres, plus
audacieux, conseillent de briser la porte de l'église et de la rempla-
cer par une grille, afin que tout le monde puisse voir de la rue
comment nous nous comportons pendant le prêche. - « On ne sau-
rait imaginer », écrit -elle en parlant de ces prédications, - le peu
1 Denhtrürdigheitcn, p. 148, 161-163.
-A Strasbourg aussi, «ne " dépiUation de bourgeois ^ réclama l'abolitioa
de la tyrannie impie des religieuses, et demanda qu'elles fussent contraintes
à adopter - la parole de Dieu '■, les prêtres qui s'obstinaient à repousser l'Évan-
gile devaient être obligés à assister à des conférences publiques dans les-
quelles on leur ferait comprendre leur conduite païenne et autiévaugélique.
Les = idoles ' devaient être -balayées • de la cathédrale et autres églises; les
grandes sonneries interdites, les jours de fête abolis, etc. B.\.lm. Capito uni Buizer,
p. 310-311.
380 MÉMOIRES I»E CHARITÉ PIRK liE IM ER.
de respect avec lequel les prédicants accommodent à leur fantaisie la
sainte Écriture et lui donnent une signification étrangère; avec
quelle brutalité ils repoussent les préceptes de TEglise, avec quel
mépris ils rejettent la sainte messe et toutes les cérémonies du
cuite, et comme ils outragent et calomnient les Ordres religieux,
n'épargnant ni le Pape, ni l'Empereur, qu'ils appellent publique-
ment tyrans, démons, antechrists. Blessant la charité fraternelle, ils
nous attaquent grossièrement devant tout le monde; les plus grands
péchés qu'ils peuvent imaginer, ils nous les reprochent en pleine
chaire, afin d'exciter les gens contre nous. Ils exhortent leurs audi-
teurs à nous exterminer, nous autres gens impies, à tout briser
dans nos couvents et à nous en arracher de force; car, à les entendre,
nous sommes dans un état de damnation, nous sommes hérétiques,
superstitieuses, blasphématrices, et nous appartiendrons éternelle-
ment au diable '! "
« Les prédicants ", écrivait Pirkheimer à Mélanchthou, '< crient,
jurent, écument de colère et excitent le monde entier contre
ces pauvres religieuses. Ils ne se gênent pas pour dire : Puisque
les paroles ne servent de rien, il fout que la force fasse son office!
En vérité, c'est miracle que le couvent n'ait pas été depuis long-
temps pillé et détruit, tant cette haine fatale est entretenue à des-
sein-. 1
'< Nous sortions à peine d'un carême passé dans l'angoisse et la
douleur >>, poursuit Charité dans ses Mémoires, .-. qu'aussitôt après
Pâques, nous vîmes les choses empirer de beaucoup. Le vendredi de
Pâques, tous les prêtres furent mandés à l'hôtel de ville. Là, défense
expresse leur fut faite de dire à l'avenir la messe latine, les docteurs
ayant déclaré que la messe était nue superstition, un outrage fait à
Dieu, et qu'il était impossible de la tolérer plus longtemps, surtout
à cause du canon. Il fut aussi interdit à tous les prêtres libres et
aumôniers de couvent (les prêtres de paroisse exceptés) d'entendre
à l'avenir les confessions et d'administrer les sacrements. A partir
de ce jour, nous avons eu la douleur de n'avoir plus la messe dans
notre église. "
« Tous les jours, on menaçait de nous chasser de notre maison,
ou de violer la clôture, ou de mettre le feu au couvent. Quelques
misérables avaient même l'audace de rôder autour de la maison,
faisant entendre des menaces grossières contre notre vœu de chas-
teté, et répétant que cette même nuit ils entreraient chez nous,
de sorte que nous étions dans des transes horribles et dans une
1 UÖFLF.R, Denkicürdigleilen, p. 63, 69-70, 113, 146-148, 161-163. Voy. 122, 131.
^ l'IRKEIMEUI Op.. p. 374.
MEMO/HKS Di; CIIAIUTK P I fi K II KIME I!. 381
dé(res5;c inexprimable; la peur nous empêchait de fermer les yeux,
car il y avait du trouble dans la ville, et tous les jours on s'atten-
dait à une émeule; le peuple, disail-on, voulait en finir avec les
prêtres et les relifjicuses. Ou nous mettait bien au-dessous des
pauvres femmes qui vivent derrière les murs ', et l'on prêchait publi-
quement que nous valions moins qu'elles. » « Telles furent nos joies
pascales entre Pâques et la Penlecôte; aussi u'avions-noiis plus de
moelle dans les os, et cela n'était pas merveille. Aous osions à peine
réciter l'office divin et sonner la cloche du cha'ur, car dès qu'on se
rappelait noire existence, les injures, les reproches s'élevaient de
plus belle; on déblatérait contre nous dans les chaires, on jetait des
pierres dans notre cha'ur, on brisait nos vitraux, on chantait des
chansons ignobles dans notre cimetière. »
Le conseil ne fit rien pour protéger les patientes; au contraire,
il leur fit dire que si l'émeute éclatait, leur obstination eu serait
cause. « La parole de Dieu pure et sans alliage », écrivait-il aux
S(rurs, « a prouvé avec la dernière évidence que la secte péche-
resse, c'est-à-dire la fraction séparée vouée à l'état religieux, est
dans un état maudit, rejeté de Dieu, criminel, et qu'en y demeu-
rant, on pèche contre les commandements de Dieu et contre le saint
Évangile. Le peuple est parfaitement éclairé sous ce rapport et
sous beaucoup d'autres, et c'est pourquoi son indignation est si
grande contre les prêtres. H est décidé à ne plus tolérer ni cloître,
ni vœux, et cela non-seulement à Nuremberg, mais ailleurs"^. »
Osiander ayant excité quelques mégères contre les Sœurs, ces
femmes vinrent au couvent harceler, injurier les religieuses, et leur
tenir des propos odieux et meuacants : « Les femmes sont venues ici
hier », écrit Charité à Willibald; « elles ont été tellement méchantes
et aigres, que je me disais tout le temps : N'y eût-il d'antre peine
dans l'enfer que d'habiter avec de pareilles créatures, c'en serait
assez pour garder une âme du péché que l'horreur d'un tel châti-
ment! Sans les femmes et les prédicants, notre sort serait tolérable,
car on nous prêche de telles abominations qu'un cœur de vierge se
sent prêt à souffrir volontairement la mort plutôt que de prêter
l'oreille à de semblables discours M »
Ce qui restait d'honnêtes gens dans le conseil, Martin Geuder,
Jacques Muffel, Léonard (Grundherr, Jérôme Holzschuher, Chris-
tophe Fürer, étaient révoltés de la conduite grossière des pré-
dicants et des procédés tyranniques de leurs collègues; mais ils
n'avaient plus aucune influence : - Tout s'opère maintenant par la
' Les filles publiques.
- Üenkirürdigkclteit. p. 83-93.
^ Binder, p. 150.
382 MEMOIRES DE CHARITE PIIIKHEIMER.
violence -, mandaient-ils à Charité. -■• On n'a égard ni à la justice,
ni aux convenances ; on ne redoute ni Pape, ni Empereur, ni même
Dieu, si ce n'est en parole. On ne connaît plus que ce raisonnement :
Nous voulons que la chose soit ainsi, et elle se fera, elle, et non pas
une autre. »
-i En vertu d'une décision du conseil , poursuit Charité, " permission
fut donnée à chacun d'aller visiter les amies ou parentes qu'il avait
dans le couvent aussi souvent que l'envie lui en prendrait. On était
déjà entré dans cette voie à Sainte-Catherine. Il y avait beaucoup
d'allées et venues depuis le matin jusqu'à la nuit au couvent, de sorte
que le prédicant luthérien de l'hôpifal eut un jour toute liberté pour
changer d'habits avec un bon camarade et venir ensuite plaisanter
avec les jeunes Sœurs d'une manière impie, s'efforçant d'obtenir de
l'une d'elles une promesse de mariage. Lorsqu'il fut une fois hors du
cloitre, il dit beaucoup de mensonges et de choses indignes sur
nos pauvres Sœurs, qui jamais n'avaient songé à rien de pareil. »
Peu de temps après, une décision du conseil laissa à la libre appré-
ciation des parents la question de savoir s'ils devaient retirer leurs
filles du cloitre « de gré ou de force ■. De toute nécessité, les
parents devaient sauver la « liberté évangélifjue " de leurs enfants.
" Par tous les expédients et moyens possibles >■, déclarait l'ami de
Luther, l'ancien provincial des Augustins , Venceslas Link, depuis
1524 prédicant du nouvel hôpital de Nuremberg, « on devait mettre
les religieuses dans la véritable voie du salut, même contrairement
à leur volonté. Songe-t-on à demander à ceux qui sont sur le point
de se noyer ou de périr dans un incendie s'ils veulent ou non être
sauvés? v Les religieuses ne pouvaient invoquer leurs vœux, puisque
les vœux n'étaient que pure invention humaine -.
La veille de la fête du Saint Sacrement (1525), les femmes des
conseillers Tetzel, Niitzel et Ebner annoncèrent à Charité qu'elles
viendraient ce jour-là même reprendre leurs filles; elles les avertis-
saient en même temps qu'elles amèneraient avec elles ' d'autres per-
sonnes », faisant ainsi entendre à l'abbesse que " la force serait de
leur côté = ,
" Lorsque j'appelai les pauvres enfants >■, écrit Charité, « et que
je leur appris que leurs mères allaient venir les chercher à l'heure
même, elles tombèrent toutes trois à genoux, criant, pleurant,
gémissant d'une si lamentable manière que Dieu, dans son paradis,
dut certainement en avoir pitié! ■>■>
La Sœur Marguerite Tetzel était au couvent depuis neuf ans; Ca-
therine Ebner et Clara Niitzel avaient pris le voile il y avait six ans.
:< Pendant ce temps, le bruit de ce qui allait se passer s'était
répandu dans la ville. Le peuple s'attroupa; il semblait que quelque
MEMOmiiS |»i; CIIAIHTK l'I I! k II KIM i; 11. 383
pauvre condamné allait être mené au supplice; toute la rue et le
cimetière étaient encombrés de monde, de sorte (|ue les mères, avec
leurs voitures, eurent [jrand'peiue à j)éuélrcr jusqu'au cimetière.
La présence de tant de monde les embarrassa; elles auraient voulu
que nous leur permissions d'entrer par la porle de derrière, celle
qui donne sur le Jardin; elles m'envoyèrent donc deux personnajjcs
que le conseil, sur ma demande, avait dési[;nés |)our me servir de
témoins, Sebald Pfinzinj; et André Imhol'. Mais je refusai d'accéder à
leur prière, car je ne voulais pas que la chose se fit en cachette, et je
leur dis : Si les mères croient l'aire une bonne action, elles n'ont pas
à rougir de leur conduite; je ne leur rendrai leurs filles qu'au lieu
même où elles me les ont amenées, c'est-à-dire à la porte de la cha-
pelle. Les mères voulurent ensuite que je donnasse aux enfants l'ordre
de quitter la maison; je n'y consentis pas davantage, et leur dis que
ce soin les regardait. Aucune des enfants ne voulut dépasser le seuil
de la chapelle. Les messieurs s'écrièrent alors qu'il serait prudent
de finir prompt émeut cette affaire, car la foule s'amassait toujours
davantage, et une émeute était à craindre. Je dis alors aux mes-
sieurs : « Eh bien, entrez, parlez-leur vous-mêmes, afin qu'elles
agissent de bon cœur, car pour moi, je ne peux et ne veux les con-
traindre à un acte qui répugne à leur conscience et à leur âme. » Les
deux messieurs entrèrent donc à l'intérieur du couvent, et je leur
dis: « Voici mes pauvres orphelines; je les recommande au souverain
Pasteur, qui les a rachetées de son précieux sang ! n A ce moment,
les méchantes femmes entrèrent à l'intérieur comme des louves fu-
rieuses; la Fritz ïetzler avec une de ses filles, la Jérôme Ebner, la
Fïirer, la JXiilzler avec son frère Léonard Held qui remplissait le rôle
de tuteur, et aussi le jeune fils de Sébald Pfinziug. Les mères, usant
alors de douces paroles, engagèrent leurs enfants à sortir du couvent;
si elles ne voulaient pas le faire de bon cœur, elles les menaçaient
de les emmener malgré elles. Les valeureuses chevalières du Christ
se défendirent autant qu'elles purent par leurs paroles et leurs
actes, avec beaucoup de larmes, de cris, de prières, de supplica-
tions. Mais dans le cœur de leurs mères, il y avait moins de miséri-
corde que dans l'enfer. Elles répétaient qu'elles étaient venues pour
délivrer les âmes de leurs filles, qui étaient dans la gueule de Satan,
Les Sœ'urs protestaient, disant qu'elles ne quitteraient pas le pieux
et saint couvent, et qu'au jour du jugement, leurs mères auraient à
répondre de leurs âmes devant un Juge sévère. Catherine Ebner disait
à sa mère : « Tu es la mère de ma chair, mais non de mon esprit ;
tune m'as pas donné mon àme; c'est pourquoi je ne suis pas obligée
de t'obéir en des choses contraires à ma conscience! - De ce discours
et de beaucoup d'autres semblables, les mères se moquèrent haute-
384 MEMOIRES HE CHARITÉ PIRKHEIMER.
ment; m;iis Catherine les reprit avec tant de courage et de fermeté,
appuyant toutes ses paroles sur la sainte Écriture, qu'elle les confondit
entièrement; elle ne craignit point de leur répéter qu'elles péchaient
contre le saint Évangile. Les hommes restés au dehors avouaient
que de toute leur vie ils n'avaient rien entendu de semblable. Cathe-
rine parla presque une heure entière sans s'arrêter, et cependant
elle ne prononça aucune parole inutile et s'exprima avec tant de
bon sens et de force, que chacune de ses paroles aurait soutenu
le poids d'une livre! Les femmes menaçaient leurs filles de les faire
enleverpar des gens assez forts pour en venir à bout; elles les conju-
raient de sortir de bonne grâce; sans cela, disaient-elles, on se ver-
rait obligé de leur lier les mains et les pieds, et de les porter au
dehors comme des chiens. '^ '= Les conseillers impatientés disaient
que, s'ils avaient pu prévoir une telle scène, ils ne seraient pas venus
pour trente florins, et qu'ils ne s'exposeraient plus de leur vie à une
pareille aventure. " Les mères supplièrent alors l'abbesse de délier les
Sœurs de l'obéissance qu'elles lui devaient. Charité leur dit : " Chères
enfants, vous savez les engagements que vous avez pris envers Dieu;
il n'est pas en mon pouvoir de les annuler; je ne veux me mêler en
rien des choses de votre conscience; je me borne à vous recommander
à Dieu; il saura bien juger votre cause lorsque son heure sera venue.
Mais quant à l'obéissance que vous m'avez rendue jusqu'ici, je vous
en délie autant que je le puis et que je le dois, comme je l'ai déjà
fait aujourd'hui, étant encore seule avec vous. - ^^ Ce discours plut
aux séculiers », rapporte Charité; ils dirent que j'avais fait ce qui
était en moi, et qu'ils n'en demandaient pas davantage; quant aux
vœux des Sœurs, il ne fallait pas s'en préoccuper, parce que le temps
des vœux était passé. » D'ailleurs, elles n'avaient pas le droit d'en
faire, si ce n'est au baptême. Les trois enfants s'écrièrent alors d'une
seule voix : « Nous ne voulons pas être déliées de nos vœux! Ce que
nous avons promis à Dieu, nous le tiendrons, avec le secours de sa
grâce! » Marguerite Tetzler me dit alors : « O douce Mère, ne nous
repoussez pas loin de vous! "Je lui répondis : « Chère enfant, vous
voyez assez que je ne puis vous venir en aide, car la violence qu'on
me fait est grande, et s'il arrivait malheur au couvent, vous seriez la
première à eu être affligée. J'espère que rien ne sera capable de nous
séparer, et que nous serons de nouveau réunies et resterons éter-
nellement ensemble, auprès de Jésus, notre bon Pasteur! '• Catherine
Ebner s'écria alors : '• Ouanî à moi, je ne céderai pas! personne ne
pourra me contraindre à m'en aller! Et si l'on m'arrache d'ici de
force, du moins n'aurais-je jamais consenti librement à ce qu'on
exige de moi! J'en appelle à Dieu dans le ciel, et à toute la terre! »
« A peine eut-elle prononcé ces mois, que Léonard Held la prit
ME.MOIflES |»K CIIAi'.ITF I' 1 1! K II i; I M K i;. 385
par le bras, e( commença â la lirer en avant et à rcntrainer. Je m'en-
luis avec les Sd'urs, ne pouvant supporter un pareil spectacle. Quel-
ques Sd'urs resièreni devant la porte de la chapelle. Là elles enten-
dirent de grandes disputes; on poussait, on traînait les enfants qui
pleuraient et jetaient de grands cris. (Quatre hommes se mirent
après chacune d'elles; deux les tiraient par devant, deux les pous-
saient par derrière, si bien que la petite Kbner et la petite Tetzel
tombèrent Tune sur l'autre sur le sol; le pied de la pauvre petite
Tetzel fut presque écrasé. La Ebner menaça sa fille de lui faire dé-
gringoler tout du long les degrés de la chaire, si elle ne voulait pas
venir de bon cœur avec elle. A peine les avait-elle descendus, que sa
mère voulut la jeter la face contre terre sur le sol, afin, disait-elle,
qu'elle piU bien rebondir. Ce furent des cris, des lamentations, des
larmes infinies avant qu'on pût arracher le saint habit aux enfants
et leur mettre les vêtements du monde. Cependant les mères leur
permirent d'emporter avec elles leur habit religieux.
« Lorsqu'on voulut les mettre en voiture, devant la chapelle, la
grande lamentation recommença de plus belle. Les pauvres enfants
en appelaient à haute voix aux assistants, se plaignant de la violence
et de l'injustice qui leur étaient faites, et répétant qu'on les arra-
chait de force du couvent. Claire Niitzler, priant à haute voix, disait :
>' 0 douce Mère de Dieu, tu vois que ceci est contre ma volonté! ;
Comme on les emmenait, des centaines de vauriens coururent der-
rière les voitures de bagages. Nos enfants ne cessaient de crier et
de pleurer. La Ebner frappa alors sa Catherine sur la bouche, et le
sang coula de la blessure tout le long du chemin. Enfin toutes les
voilures étant arrivées pour les conduire chez leurs pères, il s'éleva
une nouvelle clameur et des sanglots déchirants, de sorte que les
assistants avaient grande compassion des enfants. Des lansquenets,
chargés de les escorter, disaient que s'ils n'avaient pas craint une
émeute et la police de la ville qui était venue aussi prêter main-forte,
ils auraient joué de l'épée et protégé nos pauvres filles K »
Voici comment Müllner, l'historien officiel de Nuremberg, instruit
la postérité des incidents de cette journée : « Quelques religieuses
de la ville, les filles de .lérôme Ebner, de Gaspard Nützel et de Fré-
déric Tetzel, s'étant dégoûtées de l'état religieux, ont quitté l'habit
de leur Ordre, abandonné le couvent de Sainte-Claire, et sont retour-
nées chez leurs parents *. "
' Denhwürdi(/I,eite)i, p. 97-107.
2Vuy. UÖFLER, Denkwürdigkeiten, p. 107. Sur .Miiiiaer et l'infidélité de ses récits,
VOy. Dr. Lochneu, dans les Hislor.-polil. BlüUeni, t. LXXIV, p. 841-865, 901-924.
• Le temoignaije de îMilllner », conclut Lochner, - n'a aucune valeur pour l'his-
toire de la Réforme; d'une partialité voulue, il va jusqu'à taire et dénaturer les
faits, de sorte qu'il est impossible d'arriver par lui à la juste appréciation des
II. 25
380 LUTHER RECONNAIT LE DROIT DAPPRECIER LÀ DOCTRINE.
III
« Quelle nouvelle foi faut-il adopter? > deraaadaieut avec Charité
Pirkheimer tous les catholiques demeurés fidèles à T Église quand
on les pressait d'adhérer à 1" Évangile . « Les nouveaux docteurs se
contredisent l'un l'autre sur les dogmes les plus essentiels de la foi
chrétienne, et chacun appuie ses opinions sur des textes de la sainte
Écriture qu'il accommode à sa guise. Et comment pourrait-il en
être autrement, si, comme Luther l'affirme, lout chrétien doit for-
mer sa croyance sur la Bible, et si les décisions en matière de foi
sont abandonnées à la libre appréciation des communautés'?
Luther avait en effet déclaré, dans une instruction publiée en 1523,
que toute assemblée chrétienne, ou communauté, a le droit et le
pouvoir de décider sur la doctrine et d'élire ou de déposer ses pas-
teurs. ' Partout où le pur Évangile (c'est-à-dire sa doctrine) est
prêché, se forme aussitôt la communauté chrétienne, quel que soit
le petit nombre de croyants ou leur imperfection. Partout, au con-
traire, où l'Évangile n'a pas été introduit, il n'y a que des païens,
quel que soit le nombre, la sainteté ou la pureté de vie des habitants. »
■; 11 s'ensuit donc irréfutablement que les évèques, les recteurs, les
prieurs, ou autres, ne sont plus chrétiens depuis longtemps, et ne
sauraient constituer des communautés chrétiennes, bien qu'ils pré-
tendent en avoir seuls le droit ; donc les actes ou décisions de tels
personnages doivent être considérés comme païens, et purement
humains. ^
i. Toute communauté », dit-il plus loin, « a le droit de prononcer
sur la doctrine, et d'élire ou de déposer ses docteurs et pasteurs. »^
H ne fallait nullement se préoccuper des lois humaines, du droit,
événements de son époque. Lochuer juge avec beaucoup d'impartialité les
mesures violentes du conseil de Nuremljerg. Soden, Beiträge zur Geschidue der
lifformaiion , p. 206, parle d'un ton dégai^jé des procédés employés envers les trois
religieuses. Binder, p. 223, note 45. David Strauss, dans sa biographie de Ilutten,
f li, p. 349, parlant des faits révoltants que nous venons de rapporter, est d'avis
que des procédés semblables étaient indispensables à l'établissement du nouvel
Évangile : ^ Ilufler croit-il donc », s'écrie-t-il, ^ qu'au temps du premier établisse-
ment du christianisme des actes de violence absolument semljlables n'aient pas
é:é commis ? ' Assurément les tyrans de la foi à Nuremberg, dans leur œuvre
de destruction, n'allèrent pas aussi loin que Sickingen, le chevalier révolution-
naire, et voici cependant ce que dit Strauss ^t. II, p. 237), à propos de l'attentat
de Trêves : « Sickingen, opéra sa retraite en bon ordre; pendanc cette retraite,
des églises et des couvents furent complètement rases par l'incendie. ^
' Glos und Comment stir les L\X\ Arlicleln und Ketzereien der Lutherischen Bl F-.
I
LUTHER RECONNAIT I,K DROIT DAPPRÉCFER f.A DOCTRINE. 387
de la tradition, de l'usage, de la coutume, « qu'ils aient été établis
par un pape ou par un empereur, par des princes ou par des évé-
ques, le monde entier ou la moitié du monde lesedt-il adoptés depuis
un an ou depuis mille ans. C'est une loi humaine qui prétend qu'il
n'appartient qu'aux seuls évéques, docteurs et conciles d'apprécier
la doctrine, car le Christ a déclaré tout le contraire. 11 a dépossédé
les évéques, les savants, les conciles, du droit et du pouvoir de dé-
cider en matière de foi, et il les a remis à tous les chrétiens, le jour
où il a dit : Mes brebis connaissent ma voix; mes brebis ne suivent
pas le mercenaire, elles s'enfuient loin de lui, parce qu'elles ne con-
naissent pas la voix du mercenaire. Item, tous sans exception sont
des voleurs et des homicides, voilà pourquoi les brebis n'entendent
point leur voix! " ' Tu vois ici clairement à qui appartient le droit
de décider sur la doctrine. Les évéques, le Pape, les docteurs et le
premier venu peuvent enseigner, mais les brebis ont seules le droit
de certifier que leur voix est bien la voix du Christ. Que veulent
donc dire ces atomes qui rabâchent sans cesse : Concile! con-
cile! Rapportons-nous-en aux docteurs, aux évéques, à celui-ci,
à celui-là! Il faut respecter les usages, la tradition! " Crois-tu donc
que la parole de Dieu soit esclave de ta tradition, de tes coutumes,
de tes évéques? Jamais! Laissons donc les évéques et les conciles
décider et rabâcher tout ce qui leur plaira! Là où la parole de Dieu
nous guide, tenons-nous-y, au lieu de nous en rapporter à ce qu'ils
disent, et sans remarquer si leurs discours sont bons ou mauvais; ce
sont eux qui doivent nous céder, c'est à eux de nous obéir! « " Tous
les évéques, recleurs, prieurs. Universités qui ont usurpé sans pudeur
le droit des brebis, ne sont autre chose que des homicides, des lar-
rons, des loups et des renégats! ' Dans sa prodigieuse logique,
Luther conclut des paroles du Christ : « Gardez-vous des faux pro-
phètes ", qu'il ne peut y avoir de faux prophètes parmi les audi-
teurs de la parole, et qu'il ne s'en rencontre que parmi les docteurs.
Aussi tout docteur est-il obligé de se soumettre, lui et sa doctrine,
aujugement de ses auditeurs: < Nulle doctrine, sous aucun prétexte,
ne peut être établie avant d'avoir été examinée et adoptée par la
communauté. Et non-seulement les auditeurs ont le pouvoir et le
droit d'apprécier l'orthodoxie de ce qui leur est enseigné, mais en-
core ils y sont strictement obligés, sous peine de perdre leur âme,
et d'eucourir la disgrâce de la divine Majesté. »
" Il nous est donc facile de comprendre la conduite antichrétienne
que les tyrans ont tenue envers nous en nous dépouillant d'un tel
droit, d'un tel devoir, pour l'accaparer à leur profit. Aussi ont-ils
largement mérité qu'on les expulse de la chrétienté, qu'on les
traque comme des loups, des larrons et des homicides, eux qui,
388 LUTHER DONNE A TOUT CHRETIEN LE DROIT D'ENSEIGNER L'EVANGILE.
malgré la parole et le commandement exprès de Dieu, nous ont
imposé leurs dogmes et ont prétendu régner sur nous. »
« Concluons donc, maintenant : Une communauté chrétienne qui
a reçu l'Évangile a non-seulement le droit et le pouvoir, mais est
strictement obligée, sous peine de salut, sous peine de manquer à
l'obligation que nous avons tous contractée envers le Christ au jour
de notre baptême, de se soustraire à l'autorité desdits évêques,
abbés ou recteurs; car il est évident que tous ces personnages ensei-
gneni et régnent malgré Dieu et sa parole. Oue ceci soit dit une
bonne fois, solidement établi, et qu'on se persuade bien que le droit
divin elle salut de notre âme exigent absolument que nous fuyions
et abolissions les ordres ou juridictions de tous les évêques, abbés,
monastère*, etc. ')
" Mais parce qu'une communauté chrétienne ne doit ni ne peut
subsister sans la parole de Dieu, ce qui vient d'être expliqué prouve
surabondamment qu'il faut la pourvoir de docteurs et de prédi-
cants, afin que le ministère de la parole y soit exercé; et comme,
dans les funestes temps ou nous vivons, les évêques et leurs faux
assistants spirituels ne sont ni ne consentent à être ces docteurs et
n'en veulent ni donner ni tolérer, que Dieu ne doit p is être tenté,
et que nous ne pouvons nous attendre à ce que de nouveaux apôtres
nous tombent du ciel, il faut nous en tenir à l'Écriture, et élire entre
nous, puis établir, ceux d'entre nous qui seront trouvés aptes au minis-
tère, ceux dont Dieu a éclairé l'intelligence et qu'il a ornés de ses
dons. Tout chrétien sait ce qu'il faut savoir; tout chrétien a reçu l'onc-
tion sacerdotale; non-seulement tout homme a le droit et le pouvoir
d'annoncer la parole de Dieu, mais il y est obligé, sous peine de
perdre son âme et d'offenser gravement le Seigneur. « " Quand un
chré'.ien se trouve absolument isolé dans un pays (c'est-à-dire lors-
qu'il n'y rencontre point de luthériens), il n'a besoin d'autre élection
que son nom de chrétien; il est appelé de Dieu, sacré intérieurement
par Dieu même, et la charité fraternelle l'obligea prêcher l'Évangile
aux païens ou aux chrétiens égarés, bien que personne ne l'y ait
convié. Si au contraire il y a des chrétiens dans le lieu qu'il habite,
ayant par conséquent même pouvoir, même droit que lui, il ne doit
pas prendre sur lui d'exercer le saint ministère, mais attendre qu'il
soit choisi et élu, afin d'enseigner et de prêcher la parole au nom et
sur le commandement de ses frères. »Mais bientôt Luther se ravise :
" Telle est cependant la puissance du chrétien », dit-il, « que, même
au milieu de ses frères et sans y avoir été appelé par les hommes, il
peut et doit se mettre eu avant et enseigner, aussitôt qu'il apprend
que la communauté dont il est membre n'a point de docteur. >'
MÜNZ ER SUU t/RVA\Gr[,E DE MJTHER. 380
<,)uaut aux évoques et autres supérieurs spirituels assis sur la chaire
du déiDOU, ce sont des loups, et il leur convient aussi peu d'annoncer
la |)arole et d'exercer la charge pastorale (ju'aux Turcs et aux .Inils.
Qu'ils aillent donc paitre les ânes et les chiens! Ce sont des ivrans et
des misérables, qui ont agi envers nous en apôtres du diable qu'ils
sont '. >'
Conformément an principe de Luther « que tout auditeur a le
droit de décider sur la vraie doctrine, et que chacun a le devoir de
se mettre en avant et d'enseigner i, Thomas Münzer (comme le firen:
après lui beaucoup d'autres prédicants), après avoir- pendant quelque
temps écoulé avec loi et attention le nouvel évangéliste de Wittem-
berg », déclara que sa doctrine était défectueuse, et que c'était lui,
Miinzer, qui avait été ciioisi par Dieu pour annoncer la saine doctrine,
qui dillérait essentiellement de celle de Luther.
Miinzer, après avoir quitté Zwickau-, s'était reudu en Bohême
pour y servir « la cause de l'Évangile » et « faire retentir sur les
trompettes éclatantes un nouveau cantique ». « En Bohème -, écri-
vait-il, " Dieu allait accomplir en faveur des élus des choses merveil-
leuses. Là serait fondée la véritable Église, et le peuple de Bohème
était destiné à devenir la lumière des nations. » Comme Luther,
Miinzer se donnait pour l'envoyé du ciel; il était prêt à sacrifier sa vie
pour prouver l'authenticité de sa mission; le Seigneur « aiguisait sa
faucille, et lui n'aurait qu'à récolter les épis miirs de la moisson' -.
Mais les Bohèmes ayant refusé de confirmer cette divine mission
et l'ayant chassé de leur pays, il se rendit à Nordhausen, puis à
Alstedt, petite ville isolée de l'électorat de Saxe. La communauté
d'Alstedt l'élut pour son pasteur; Miinzer s'y établit, et y épousa
une religieuse.
Uni à d'autres prédicants, et sans se soucier aucunement de
Luther, il commença par organiser un nouveau culte, rejeta le bap-
tême des enfants*, la présence réelle, et ne tarda pas à prêcher un
Évangile entièrement différent de celui de Luther \ Luther, selon
• Sûmmenll Werke, t. XXH, p. 140-151.
- Voy. plus haut, p. 223.
' Seidemann, Thomas Mû.izer, p. 122-124. — Voy. aussi 19-20. « Ma doctrine vieut
d'en haut. Dieu même me l'a communiquée, comme je suis prêt à le prouver
par tous les livres de la Bible. » Lettre de Miinzer, le mercredi après saint .\ndré
(2 décembre) 1523. — Voy. l'on dem getichten Glauben, Blatt B-.
* Tous les maux de la chrétienté - venaient d'une fausse doctrine sur le ï ap-
lême, et d'une foi inventée à plaisir... « « Le véritable baptême n'a pas été com-
pris, et les enfants ont été introduits dans le christianisme d'une manière gros-
sière et digne des singes. ■> Mlnzer, Protestation, BI. C-. k^. B.
° » Grâce à moi, la prédication évangélique de la doctrine chrétienne sera de
beaucoup améliorée. Protestation Blatt., C-.
r.90 MUNZER SUR L'EVANGILE DE LUTHER.
Miinzer, avait égaré la chrétienté. « Tu n'es qu'un grossier archi-
diable «, lui écrivait-il; » croyant comprendre le texte d'isaie, et sans
la moindre intelligence des choses divines, tu as fait de Dieu le prin-
cipe du mal. N'est-ce pas là la preuve manifeste des effroyables
châtiments de Dieu sur toi? Cependant tu es encore aveugle, et, tout
aveugle que tu es, tu prétends être le guide de l'univers, et tu t'ir-
rites lorsque Dieu révèle au monde que tu n'es qu'un pauvre pécheur,
une misérable vipère, malgré toute ta dégoûtante humilité. Ton
esprit extravagant, fantasque, a établi, par ton saint Augustin, une
doctrine inique et hardie sur le libre arbitre, au grand déshonneur
de l'humanité. >' « Luther ii, dit ailleurs Münzer, - est un réformateur
inintelligent, un homme efféminé, qui met des coussins sous la
chair délicate des pécheurs; il élève trop la foi et rabaisse trop les
œuvres. Sa prédication sur la foi inerte a fait plus de tort à l'Évan-
gile que toutes les doctrines papistes. >; " On dépasse singulière-
ment le but en soutenant que la foi justifie seule, sans le secours
des œuvres. C'est là un discours impudent, car, s'il en était ainsi, la
foi ne vaudrait pas une obole, pas même un moucheron! » Ceux
qui se disent évangélistes portent la foi aux nues; et là-dessus la
nature présomptueuse de s'écrier : S'il ne s'agit que de croire, oh!
comme lu y parviendras vite! Elle dit encore : Tu es né de parents
chrétiens, tu n'as jamais cessé d'espérer en Dieu, tu resteras ferme
dans ta foi! Oui, assurément, tu es un vrai chrétien! Oh: comme je
puis obtenir le ciel à bon marché! Honte aux prêtres! Ah! les mau-
dits, comme ils m'ont rendu la chose aigre! Nos gens pensent alors
parvenir au salut tout en menant une vie criminelle; ils ne lisent et
n'entendent plus rien de tout ce qui n été enseigné sur la foi et les
œuvres, et se croient bons évangélistes, grâce à quelques paroles
sonores. C'est là une énorme, une lourde, une grossière erreur, et
c'est à cause d'elle que beaucoup mènent une vie honteuse. Luther
sert de manteau à leur ignominie, car on aime à entendre prêcher
un Christ doux comme le miel, qui a tout expié pour nous et qui
donne tout pour rien. ^ " Nos docteurs d'aujourd'hui ont toujours
la sainte Écriture à la bouche; ils écrivent et lèchent toutes sortes
de livres; plus ils vont, plus ils répètent : « Crois, crois! ' Et
cependant ils nient l'avènement de la foi, ils raillent l'esprit de
Dieu, et, en fin de compte, ils ne croient à rien du tout, comme tu
peux t'en apercevoir! Ceux qui prêchent cette foi unique ne sont
que des pourceaux! Christ a dit et répété : Mes brebis entendent
ma voix, et elles ne suivent pas la voix du mercenaire. Or Luther
est un mercenaire; il dévaste et rend inculte le sentier de la vie
éternelle; il y fait croître les épines et les chardons, et rabâche sans
cesse : Crois, crois! tiens toi ferme, ferme; que ta foi soit si forte,
NOUVEL RYAN G II, F. Dt: THOMAS M UNZE R. 391
si forte, qu'avec elle tu puisses enfoncer des pieux dans la terre! ^
Dans la P'mi.ssc Foi de mosquée, Miinzer se plaint encore (jue Luther,
« le noir marmouset venimeux >', et les nouveaux évangélistes ses
disciples, aient empoisonné le lémoignajje écrit du Saint- Ksprit.
u Les luthériens ne souffrent pas la plus légère contradiction, ils
préfèrent envoyer tous leurs adversaires au diable. Leur doctrine
ne veut à aucun prix en venir aux actes, car elle n'aspire qu'à la
liberté de la chair. Les évangélistes sont des esclaves de leur ventre;
comme ils enseignent tout ce qu'ils veulent, ils ont trouvé bon de
prêcher aussi le ventre! « ' Les prêtres épousent de vieilles femmes
avec de grandes fortunes, car ils ont peur de finir par être sans
pain. Oui, en vérité, ce sont de beaux évangélistes! Ils ont vérita-
blement une ferme, ferme foi! Il serait bien loti, celui qui se con-
fierait à leur masque hypocrite et à tout ce que rabâche leur idole
de moine ! Ils fout sonner leur fameuse foi si haut que cela n'est
pas croyable ! Il faut n'avoir ni bon sens ni intelligence pour ensei-
gner ce qu'ils nous racontent! Ils calomnient tout ce qu'ils ne
veulent pas admettre, et se refusent à entendre et à voir. « « Oh!
chers maîtres, ne soyez pas tellement fiers de votre foi idiote! Ne
donnez pas, à cause d'elle, tout le monde au diable, excepté vous,
comme vous avez coutume de le faire! On va tous les jours en plus
grandes troupes à Satan, grâce à vous autres! Vos évangélistes
rapaces et usuriers déshonorent leur nom par leurs actes! Cepen-
dant, à leur avis, personne n'est chrétien s'il n'adopte leur doctrine
sur la foi'. "
Mais si Münzer jugeait ainsi le dogme fondamental des luthériens,
il était entièrement d'accord avec Luther pour rejeter l'autorité de
l'Église. Il niait que la révélation piU venir du dehors : " L'homme
ne reçoit la révélation ni par l'Église, ni par la prédication, encore
moins par la parole morte de la Bible-, mais uniquement par l'Es-
pril-Saint, qui parie directement à chacun de nous. Seule, la parole
vivante et directe de Dieu peut donner la foi. Il faut l'écouter dans
le sanctuaire intime de son âme, et s'efforcer de l'annoncer aux
autres au moment même où elle se fait entendre. Tremblant, boule-
versé à la vue de ses iniquités et de son incrédulité, l'homme reçoit
les communications de Dieu, les visions célestes. Il doit les attendre
• Bl. »:-. D. i:. Il appelait Luther ■ archipaïen, archicoquin, docteur Men-
songe, la femme impudique de Babyione, le pape de Wittemberg, dragon, Ija-
silic ', etc. Strobel, p. 1>8-197. Seidemann, p. 47.
* • Quand bien même tu aurais avalé je ne sais combien de Bibles, cela ne
t'aiderait en rien, tu n'auras la foi que si Dieu te la donne et te l'enseigne
lui-même. » Protestatio,,, Bl. B-.
392 NOUVEL EVANGILE DE THOMAS MUNZER.
dans une profonde componction de coeur', puis demander des signes
à Dieu, afin de pouvoir bien s'assurer que sa ioi est véritable. Celui
qui réclame hardiment et énergiquement de tels signes, fût-ce
même avec impatience et colère, sera exaucé par le Seigneur. Dieu
se plaira à apaiser sa soif et s'entretiendra familièrement avec lui,
comme autrefois avec Abraham et .lacob. »
= De tels enseignements plaisaient extrêmement au peuple », rap-
porte un chroniqueur contemporain. « 11 lui était agréable de s'ima-
giner parler à Dieu de si près et recevoir de lui directement des
signes, car la nature humaine est curieuse; elle aime les choses
extraordinaires et mystiques. L'homme du peuple, en sa vanité,
était flatté de se croire plus saint, plus instruit que tous les
savants -. »
Münzer donnait sa doctrine pour le « véritable Évangile », pour
la < pure parole de Dieu » ; il la croyait destinée à fonder la « véri-
table Eglise des élus « et à renouveler la face de la terre. Mais
pour la propager, il était indispensable d'entrer franchement en
lutte et de se servir du glaive. Dans ses sermons et ses écrits, il
s'efforce, en paroles ardentes, de décider l'électeur Frédéric et le
duc Jean de Saxe à prendre l'initiative de la guerre sainte : « Princes
bien-aimés >;, leur dit-il dans un sermon prêché en leur présence
au château d'Alstedt, « entendez votre sentence de la bouche même
de Dieu, et ne vous laissez plus séduire par vos prêtres hypocrites;
qu'une patience et une bonté illusoires ne vous arrêtent point, car
la pierre qui s'est détachée d'elle-même de la montagne est devenue
redoutable, et les pauvres laïques et paysans ont une vue plus pé-
nétrante que la vôtre. Oui, Dieu soit loué, le peuple est devenu si
fort que, si vous autres seigneurs ou princes voisins vouliez le per-
sécuter à cause de l'Évangile, il vous renverserait immédiatement,
j'en ai la ferme conviction, tant la pierre est devenue énorme. Le
monde, tout inintelligent qu'il est, s'en épouvante depuis longtemps;
il en est venu à bout lorsqu'elle était encore petite, mais que fera-t-il
maintenant qu'elle peut l'écraser? Pour vous, chers princes, mar-
chez hardiment sur la pierre angulaire, à l'exemple de saint Pierre;
cherchez loyalement et uniquement la justice de Dieu, embrassez
vaillamment la cause de T Évangile, et Dieu sera à vos côtés, n'en
doutez point. Si vous pouviez comprendre la détresse de la chré-
' " Attendre les visions et les recevoir avec une coraponction profonde,
c'est ajîir dans un esprit vraiment apostolique, patriarcal et prophétique. Aussi
n'est-il pas étonnant que le Frère Gros-Porc et le Frère Douce-Vie aient rejeté
de pareils moyens. •> Mudegunçj des atidon Unterschieds Danidïs, Bl. B'-'' et C.
- Voy. Si\oiii:L, p. 165-167, 188-197. Se rapprochant des doctrines panthéistes,
MüDzer émet cet axiome : « l.a foi n'est autre chose que le Verbe fait chair en
nous, que le Christ né eu nous. »
NOUVEL ÉVANGILE DE THOMAS MUNZER. 3ît.'i
lieuté, si vous faisiez réHexion sur ses maux, vos cœurs brûleraient
du même zèle que celui dont fut embrasé jadis le roi .léhu. « Les
princes devaient chasser par l'épée « tous les ennemis de l'Evan-
gile », s'ils voulaient être non des démons, mais des serviteurs de
Dieu. Le Christ n'avait-il pas dit en propres termes : • Saisissez-vous
de mes ennemis, et égor<jez-les devant mes yeux "? - Et pourquoi
cette rigueur? me diras-tu. Ah! parce que ces méchants ont cor-
rompu le royaume du Christ et pensent encore excuser leur malice
en la cachant sous le masque de la loi chrétienne, scandalisant le
monde entier parleur détestable hypocrisie. « Ceux qui s'opposent
à la révélation divine seront massacrés sans miséricorde; c'est ainsi
qu'Ézéchias, Josias, Cyrus, Daniel et Élie mirent autrefois à mort
les prêtres de Baal. Sans cette extermination nécessaire, l'Église
chrélienne ne pourra jamais être ramenée à sa pureté primitive. Il
faut arracher l'ivraie du champ du Seigneur au temps de la moisson,
afin que le beau froment doré pousse des racines profondes et puisse
pros|)érer. Or les anges qui aiguisent leurs faucilles pour ce travail
béni sont les vrais serviteurs de Dieu, et ils accomplissent le désir de
la divine Sagesse. « Tous les papistes devaient donc périr : = Dieu a
dit : Vous serez sans miséricorde pour les adorateurs d'idoles, vous
briserez leurs autels, vous mettrez en poudre leurs images et vous
les brûlerez, si vous voulez que mon courroux ne s'élève point contre
vous. Les impies n'ont pas le droit de vivre. » " Pour vous ne re-
doutez rien, car celui-là veut régner seul, auquel toute puissance a
été donnée au ciel et sur la terre '. »
Tandis que Münzer exhortait ainsi les princes " à ces grandes et
divines choses ", il organisait publiquement à Alstedt une ligue dont
les membres s'engageaient par serment à soutenir et à favoriser
l'établissement du nouveau royaume de Dieu. Dans ce royaume,
d'après la propre déclaration de Miinzer, les chrétiens seraient
tous égaux entre eux, les biens de la terre seraient communs; on les
partagerait entre tous, selon les nécessités et besoins de chacun.
Tous les chrétiens devaient en faire partie. Les princes, comtes ou
seigneurs, qui refuseraient d'y entrer après avoir été avertis de réflé-
chir mûrement à la résolution qu'il convenait de prendre, auraient
la tête tranchée ou seraient pendus -. -i
Münzer recruta un nombre considérable d'adeptes, épris de sa
doctrine mystique et comnviniste à la fois. On accourait en foule à
ses sermons. -^ D'Eislebeu, de Mansfeld, de Sangerhausen, de
Frankenhausen, de Ouerfurt, de Halle, d' Aschersleben et d'ail-
■ Jluslegung des andern Unterschieds Danielis, Bl. (,*, li^.
^ Münzers Bekenntnuss, Bl. A--'.
394 MOUVEMENT EVANGELIOUE EN TIJURINGE ET EN SAXE.
leurs, le peuple affluait. ; Le pauvre peuple affamé =■, écrivait
Mimzer, « réclame la vérité avec taut d'ardeur que les rues sont
remplies de gens venus de toutes parts pour l'entendre. >■ L'audace
du prophèle croissait avec son auditoire : < Je poursuivrai mes enne-
mis '■, disait-il, jetant un défi au conseil de Sangerhausen; « je ne
m'arrêterai que lorsqu'ils ne seront plus qu'opprobre et péché; je
les foulerai sous mes pieds, tout grands pitres qu'ils sont. Vous
calomniez ma doctrine, vous me traitez d'hérétique, vous défendez
aux gens de venir à moi, vous osez les menacer du cachot? Eh bien,
je vous en donne ma foi, si vous ne changez de conduite, je ne
retiendrai plus la fureur de ceux qui brûlent de vous châtier! Il vous
fauT choisir entre deux chemins : adoptez l'Évangile, ou reconnaissez
que vous êtes païens : il n'y a pas à sortir de cette alternative, le
vous cite devant le tribunal de l'univers! Vous n'êtes que des frelons
qui souillez le saint chrême de l'Esprit-Saint. Xe résistez pas davan-
tage à l'Esprit qui veut vous éclairer! Amen '. »
A l'instigation de Miinzer, une chapelle de pèlerinage, située
près d'Alstedt, fut pillée et incendiée. L'agitation populaire devint
telle que le conseil d'Alstedt supplia l'électeur de Saxe et son conseil
d'empêcher Miinzer de prêcher. Il lui représentait que, si l'on n'agis-
sait promptement, tout serait à craindre, que le peuple, comme il
menaçait de le faire, s'allierait aux bandes des paysans révoltés, et
que des malheurs inouïs jusque-là pourraient en résulter. - Alors
viendront le pillage, l'incendie ■•, disaient-ils, « carie peuple se pas-
sionne pour ce nouveau prophète -. »
Contraint de quitter Alstedt, Münzer se rendit à Mulhausen. Là,
il recommença à soulever les masses, les pressant d'agir énergique-
ment, car un " serviteur de Dieu, rempli de la grâce du Seigneur,
€t marchant dans l'esprit d'Élie -, allait précipiter les impies de leur
siège; les pauvres et les simples allaient être exaltés. Dieu méprisait
les grands; il les avait donnés au monde dans sa colère, il allait les
faire disparaître de la terre < dans l'angoisse et l'amertume '.
" Chers compagnons «, disail-il à ses auditeurs en empruntant les
paroles d'Ézéchiel,-' élargissons le trou, afin que tout le monde puisse
voir et saisir quels sont ces grands pitres qui ont fait de Dieu leur
marionnette! :■ Un autre jour, c'est .lérémie qu'il imite : - Sois attentif
à la vérité de ma parole; je l'ai mise en ta bouche, afin que lu déra-
cines, que tu brises, que tu dépeuples, que tu disperses, puis qu'en-
suite tu rebâtisses et tu replantes. Un mur de fer s'élèvera contre
' Seidema:';.\, Thomas Münzer, p. 135-136.
' Seideman.n, p. 40.
NOUVEL F.VANCILE F» E <: A 11 L S T A I) T. 395
les rois, les princes, les prêtres! Ils lutteront, mais la victoire du
SeijjQeur sur les tyrans et sur les impies sera admirable. Miinzer
traçait aux paysans la voie à suivre: •- Les saints travailleurs qui se
nourrissent d'aliments amers doivent emplir la {^orge des tyrans
maudits '. "
A Mulliausen, il trouvait •< un champ ridiemcnt préparé ". Là, dès
les premiers mois de 1023, le ^ mouvement évan^élique avait ■< touché
les âmes » par Tentremise d'un ancien moine cistercien, Henri Pfeif-
fer. Dans les rues, puis en chaire, Pfeiffer s'était élevé contre les
évéques, les prêtres et les moines. Au pied de sa chaire, les auditeurs
cultivés se mêlaient à une nombreuse populace accourue de la ville et
du dehors. Le peuple aimait sa parole, riche en invectives, et si
quelques membres du conseil y trouvaient quelquefois à reprendre,
d'autres assuraient que ces questions n'étaient point du ressort de
l'autorité civile. Au bout de quelques jours, une émeute éclata; les
couvents, les presbytères furent pillés. On comprit alors que les
prédications de Pfeiffer pourraient bien intéresser le conseil, car
les bourgeois et beaucoup de gens du dehors appartenant à son
parti coururent avec leurs meilleures armes sur la place de l'hùtel
de ville, parlant d'égorger les magistrats. Le < mouvement évangé-
lique '■ se termina en 1523 par la complète victoire du peuple sur le
conseil. Les vainqueurs présentèrent aux conseillers leurs conditions
de paix, et ceux-ci furent contraints de promettre « de ne plus s'op-
poser à l'avenir à la libre diffusion de l'Évangile^ ".
Pfeiffer, « cet homme consumé du zèle de la liberté >-, ne tarda
pas à devenir célèbre. Langensalza lui envoya une délégation d'ou-
vriers le priant de venir annoncer la parole de Dieu dans la ville.
Là, des ouvriers, des femmes d'ouvriers disaient ouvertement qu'il
fallait partager avec les riches. Douze exaltés y avaient formé une
secte particulière; bientôt trois cent cinquante hommes, et au delà,
se constituèrent en « association fraternelle . La cheville ouvrière de
cette association était un savetier nommé Melchior Wigand, qui
autrefois avait fait la guerre, et depuis avait été le héros de plus d'une
équipée ^
Une ;' vie évangélique entièrement nouvelle et libre " fut aussi
inaugurée à Orlamunde. Carlstadt, à qui la prédication et l'enseigne-
ment avaient été interdits à ^Viltemberg, s'était rendu dans cette
ville pour s'y créer un centre d'activité. - Vous me liez les pieds et
les mains -, avait-il écrit à la communauté de Wittemberg en se
' Ausgedrûkte Euthlössung des falschen Glaubens. Frontispice, et El. C"-
* Mühlauser Chronik, p. 365-373.
' Seideman.v, Beitrüge, 14, p. 513.
336 NOUVEL EVANGILE DE CARLSTADT.
plaignant amèrement de Luther; " vous me frappez ensuite, car
n'est-ce pas me lier et me Trapper que de diriger contre moi seul
tant d'écrits, et par les prédications, les actes, faire en sorte que
mes livres m'aient été renvoyés de l'imprimerie, avec défense
d'écrire et de prêcher à l'avenir '? » Élu pasteur par la communauté
d'Orlamunde, il commença, assisté de nombreux disciples, par
briser tes images et supprimer toutes les anciennes formes du culte.
I! licencia les écoles, abolit la messe, la confession, le jeûne et les
jours de fête, et décida que sa communauté recevrait à l'avenir la
sainte Cène sous les deux espèces, " non plus agenouillée, mais
assise ». Ses doctrines étaient strictement conformes à celles de
Luther quant à la libre interprétation de l'Écriture et au sacer-
doce universel. ' Pressé par l'intime témoignage de son âme ",
s'appuyaut sur des textes indubitables ", il émit le principe que
dans la communion le fidèle ne reçoit pas la chair et ie sang de Jésus-
Christ, mais simplement du pain et du vin, en mémoire de sa passion.
« Soutenir la présence réelle », disait-il un jour pour justifier cette
nouvelle négation, « c'est contredire clairement la doctrine du sacer-
doce universel, car il parait impossible d'admettre que tous les chré-
tiens, hommes et femmes, aient également le pouvoir de consacrer. »
' S'il en était ainsi, tout chrétien serait mis au même rang que le
Christ et, comme lui, pourrait s'intituler médiateur de la nouvelle
alliance. « Aussi, pour mettre dans un jour plus évident la doctrine du
sacerdoce universel et de la parfaite égalité de tous les chrétiens,
Carlstadt renonça au titre « antichrétien » de docteur, et ne se fit
plus appeler que « Frère André » ou simplement < mon cher frère «.
Il quitta l'habit ecclésiastique pour revêtir un sarrau gris et un cha-
peau de feutre. Il avait conclu de l'examen de quelques textes bibli-
ques " que les péchés ne déplaisent point à Dieu >', parce que « les
péchés ont été créés, et que toute créature est bonne «. Parleurs
œuvres coupables, les pécheurs, eux aussi, accomplissaient à leur ma-
nière la volonté de Dieu, car une feuille ne remue point sans l'ordre
du Seigneur. < L'homme ne peut penser ni vouloir, il ne peut bouger
bras ni jambes sans la permission divine. Donc nous ne saurions
avoir une mauvaise pensée, vouloir ou commettre le mal sans que
Dieu ne l'ait décidé et voulu. En Dieu même, il existe une double
volonté : l'une fatale, pleine de colère, et se rapportant aux choses
' ErbkaM, p. 218-219. — Voy. Seidemamn, Thomas Mûnzer, p.34-.''5, OÙ sont aussi
rapportées des pLiintes analogues de Münzer. Un livre de Carlstadt, dont plu-
sieurs feuilles avaient déjà été imprimées, fut, .sur la demande de l'I niversité
de Wittemberg, interdit par la justice électorale. Corp. Beform., t. I, p. 570-572.
" La nature absolue de Luther « ,dit le protestant Lang, -ne pouvait tolérer que
nul se crût le droit d'adopter un chemin à part. » M. Luther, ein religiöses Charac-
terbild, 1870, p. 133.
NOUVEL ÉVANGILK DK CAKLSTADT. 397
(le la leiTc; l'autre (oulc miséricorflieiise, élernelle et immuable. »
Comme les disciples de Mïinzer qui, à Alsledt et ailleurs, se van-
taient d'être les « purs et véritables évaugélistes », les chrétiens
d'Orlamiinde se regardaient comme les seuls vrais croyants, ^ les seuls
fidèles inlerprèles de la pure doctrine ». D'ailleurs, Carlstadt soute-
nait. Bible en main, que ni lui ni les siens n'étaient obligés de montrer
la moindre déférence à LuUier, " le nouveau pape de VViftemberg ■■ ,
« l'ecclésiaste vorace à la vie aniichrcticunc '. Pourquoi = , disait-il,
« serions-nous condamnés à ne parler et à n'agir que lorsque nos
voisins, les débauchés de VVittemberg, auraient daigné nous le per-
mettre? Toute communauté, qu'elle soit grande ou pelile, doit
savoir juger toute seule si elle est dans le vrai et dans la justice; elle
n'a à répondre de ses actes devant qui que ce soit. » 11 ne fallait pas
se préoccuper davantage de la résistance des catholiques, car c'étaient
« des chrétiens idolâtres et deux fois païens ». « Il faut leur retirer
tout ce qui peut leur nuire et l'arracher de leurs mains, sans se sou-
cier s'ils pleurent, crient ou jurent. » « Le temps viendra où ils
nous remercieront, ceux qui nous maudissent et nous injurient main-
tenant. '• '- Là où le règne des chrétiens est établi, les fidèles ne
doivent avoir égard à aucune autorité, m.iis abattre et renverser en
toute liberté, sans même que les prédications les y invitent, tout ce
qui s'oppose à Dieu. Or les scandales sont nombreux, et les plus
criants sont : la messe, les images, et cette chair d'idole que man-
gent les prêtres '. >
Carlsfadt s'érigeait aussi en réformateur à propos d'autres ques-
tions, ébranlant jusqu'en ses fondements la morale chrétienne et la
vie sociale. 11 était pour la pluralité des femmes. « D'après le conseil
de Carlstadt >-, écrit Luther au chancelier Brück (janvier 1524), « un
des nôtres a demandé l'autorisation de prendre une seconde femme. '
En principe, Luther disait ne point rejeter le double mariage, car
selon lui cet acte ne contredisait point les textes de la sainte Écri-
ture; néanmoins il eût été scandalisé de voir la polygamie s'im-
planter parmi les chrétiens, « qui doivent savoir s'abstenir de choses
même permises^ >•. Dans ses prédications publiques sur le premier
' Voy. Erbkam, p. ■2M--27'.i. — .Iager, p. 407-416.
- Voici ce curieux passajje : « Viro, qui secuiidam uxorem concilio Carlstadii
petit, sic respondeat priiiceps : Oportere ipsum marilum sua propria cmscienlia esse
firmum ac cerlum per verbuin Dei, sibi hœcUcere. Eos erfjo requiret, qui verbo Dei eum
tutuin reddant : si is Carlstadius, vel alius fuerit, nihil ad principem. • " Ego
Sane fateor, me non passe prohibere, si quis plures velil uxores ducere, iiec répugnât sacris
scripiuris, verum tarnen apud Christianas id exempli iiollein primo introduci,
apud quos decetetiamea intermittere, quae licita sunt, pro vitando scandalo et
pro honestate vilae, quam ubique Paulus exijjit. ' Il donne au chancelier le con-
seil suivant : -^ Verum, sinitote ire, quo it, forte eliam adhuc circumcidentur
Orlamuudse, et toti Mosaici futuri sunt. > Voy. de Wette, t. II, p. 259.
398 LUTHER ET CARLSTADT.
livre de Moïse, il avait enseigné - qu'il n'est pas défendu à un homme
d'avoir plus d'une femme, et qu'il ne se sent pas le droit de condamner
un tel acte, bien qu'il ne veuille j)as non plus le conseiller ' > .
Les efforts de Luther pour arriver à une : entente chrétienne
entre lui et Carlstadt échouèrent totalement. A l'auberge de VOurs
noir,k Iéna,les deux anciens amis, en présence de nombreux témoins,
échangèrent des paroles malsonna utes. ils se traitèrent réciproque-
ment de menteurs, et s'accusèrent l'un l'autre de vaine gloire el
d'ambition. Luther interprétait mal l'Évangile, disait Carlstadt; il se
contredisait perpétuellement; à la fin d'un écrit, il disait précisé-
ment le contraire de ce qu'il avait avancé au début. Carlstadt offrait
de leprouverdans une dispute publique, à Wittemberg ou à Erfurt -.
Il termina Tune des conférences par cette imprécation : « Si ce que
Luther affirme est vrai, que le diable mette mon corps en pièces
sous vos yeux! » Luther donna à son adversaire un florin d'or en
signe de la pleine liberté qu'il lui reconnaissait d'écrire contre lui
tant qu'il voudrait, ajoutant que pour sa part il ne refusait point la
lutte. Les évangélistes d'Orlamunde, disciples de Carlstadt, écrivirent
alors à Luther pour lui reprocher de les avoir injuriés et calomniés
sans les avoir ni entendus ni réfutés; une pareille conduite montrait
bien qu'il n'était pas membre du Christ. Pour eux, revêtus de la force
divine, ils se disaient prêts à rendre compte de leur foi et des actes
de leur foi devant le monde entier. Pourquoi Luther n'était-il pas
• Sammll. Werke, t. XXXJII, p. 322-324. — Voy. ma brochure ; Un second mot à
mes critiques. Mélanchlhoo allait encore plus loin que Lutber Appelé à donner
son opinion sur le mariage de Henri V'Ill, il encourage ouvertement le Roi à la
polygamie. « Tutisbimum esse régi, si ducat secundam uxorem, priore non
abjecta, quia certum est, polygamiam non esse prohthitam jure divino. <• De bigamia
reyis Angliie, dans le Corp. Reform., t. Il, p. 526. Une relation de l'époque nous
montre de quelles conséquences avait été pour la vie conjugale la « prédication
évangélique » . Un prétlicant de Lucques n'avait pas moins de trois femmes
vivantes à la fois. La première épousée menait une vie désordonnée. — Voy.
BURKHA.RDT, Luther' S Briefueclisel, 87; de VVette, t. lll, p. 22.
- C'est ce qu'affirme Reinhard. (Voy. la note suivante.; — Voy. aussi Llther,
Sammtl. Werke, t. XXIX, p. 166-167. Le docteur Gérard Westerburg, de Cologne,
sollicitait aussi auprès du duc Jean de Saxe la permission pour Carlstadt de dis-
puter publiquement avec Luther, .. afin que la vérité et le mensonge fussent
mis au jour, et pour que le docteur Carlstadt filt confondu s'il avait tort, ou
réhabilité aux yeux de tous, s'il était dans le vrai -. « Votre Grâce », écrivait-il
au duc le 26 novembre 1524, - fera mieux dans ces sortes d'affaires d'entendre
les personnes, d'étudier les questions, que d'avoir aussitôt recours aux pro-
scriptions. " Il avertit le prince d'être bien attentif aux choses qui regardent Dieu,
afin de ne pas attirer sur lui la colère divine au moment même où, par l'épée
et l'autorité temporelle, il croirait avoir le mieux mérité de lui. - Chassé du
pays comme disciple de Carlstadt, Westerburg s'offrit à rendre compte de sa
foi devant tous. » — Voy. Cor.nÉliuS, Geschichte des Mûnslerichen Aufruhres., t. I,
p. 248-249.
LUTHER FT CARLSTADT. 399
venu les troiivei*? S'ils étaieQl dans Terrenr, pourquoi ne s'eff orrait-il
pas de les instruire avec bonté, au lieu de les injurier ou de les
menacer du ban? Au reçu de cette lettre, Luther partit. Mais les coq-
f'érences n'eurent aucun bon résultai. Un cordonnier, très-versé
dans rÉcrilure, prouva par des textes de l'Ancien Testament que
Luther était dans l'erreur. Sur l'exclamation de celui-ci : « Mais
c'est là me condamner! »le cordonnier riposta : Si tu veux être
condamné, soit, je te tiens j)our condamné, toi ei tous ceux qui
parleront ou prêcheront contre Dieu et la vérité de Dieu. » « Je
dus m'estimer fort heureux », rapporte Luther, < de n'avoir pas été
lapidé ou couvert d'ordures, car quelques-uns me donnèrent au
départ cette bénédiction finale : « Va-t'en, au nom de tous les
diables, et puisses-tu te casser le cou avant d'avoir quitté notre
ville ' ! »
L'électeur Frédéric ordonna à Carlstadt de quitter Orlamunde.
H prit congé de ses ouailles en deux lettres adressées, l'une aux
hommes, l'autre aux femmes de sa communauté. Ces deux lettres
sont signées : André Bodensteiu, chassé par Martin Luther, sans avoir
été entendu ni réfuté. A ses amis de Saxe, il écrivit qu'au bruit que
faisait Luther, à la rage qu'il laissait percer, on pouvait assez recon-
naître l'effrayant châtiment de Dieu sur ceux qui ne recevaient point
sa grâce. Luther était un homme emporté, sans aucun jugement,
" un âne cornu », sur lequel s'exerçait visiblement le courroux du
Seigneur.
Proscrit, Carlstadt se rendit à Strasbourg, puis à Bàle. In grand
nombre de prédicauts, parmi lesquels Zwingle et OEcolampade, se
rattachèrent à sa doctrine de l'Eucharistie-. Vers la tin de 1524, il
' De Wette, t. Il, p 579. — Voy. les œuvres de Martin Reinhard, prédicant
de léna et ami de Carlstadt. U'ess sich /)■" Carhtndl mii D' Luther bnedl zu Jena et
Die Handlung D^ Luther's mil dem liaih und Gemeine der Stadt Orlamunde, dans Walch,
t. XV, p. 2422-2435.
- rette doctrine avait déjà été précliée parle hussite Martin Mauska : « Quod
in sacramento altaris non sit verum corpus Cliristi et ejus sanyuis, sed solum
panis.qui est signum, solum cumsumitur. corporis et sanguinis Christi. ■ Lorenz
V. Brezowa, dans Höfler, Geschichtschreider, t. I, p. 451. La doctrine de Carlstadt
trouva en Saxe comme à Wittemberg et dans tout le sud de l'Allemayne de
nombreux partisans. Voy. les documents cités par Hagen, t. UI, p. 103-105. Le
traité d'OEcolampade sur la Cène produisit le plus j^raud effet. Érasme, au grand
déplaisir de son ami Ulrich Zazius, s'exprima sur le même sujet d'une manière
vague et embarrassée. « Si seulement », disait Zazius, « j'avais autant de ca-
pacité que j'ai de courage, je me jetterais dans la mêiée! si les Pères des pre-
miers siècles n'avaient pas combattu les hérésies plus énergiquement que nous
ne le faisons, que serait devenue l'Église? OEcolampade est l'un des hommes
les plus dangereux qui existent. La froideur d'Érasme me blesse; lui qui n'a
rien à craindre n'emploie ni sa foi ni son génie à réfuter les hérétiques ! .Malheu-
reux temps que les nôtres ! Non-seulement le pauvre peuple, mais les plus
savants des honinn s sont entraînés dans l'erreur, et personne ne cioit plus à
la révélation du christ! - Voy. Stinzting, Ulrich Zazius, p. 272.
400 . LUTHER KT DARLSTADT
vint à Rothenbüurg et y prêcha, au (Jrand applaudissement du
peuple, sur l'abolition de toutes les charges populaires. Valentin
Ickelshamer, maître à TÉcole latine de Rothenbourg qui avait
jadis étudié à Wittemberg, écrivit pour le défendre une longue
apologie, où il se plaignait à tous les chrétiens « de la grande injus-
tice et tyrannie exercée contre André Bodenstein de Carlstadt par
Luther de Wittemberg ». - Je connais à fond ta conduite », disait-il
s'adressant à Luther; - j'ai étudié quelque temps à Wittemberg. .le
ne veux rien dire ici de ton petit doigt couvert de bagues qui
scandalisait beaucoup d'entre nous, ni du bel appartement situé
près de la rivière, où l'on buvait et faisait si bonne chère avec les ■
doctoribns et les seigneurs; et pourlant ces régals me déplaisaient
fort, et je m'en plaignais souvent à mes compagnons! J'étais scanda-
lisé de voir que sans te préoccuper de tant d'intérêts importants, tu
restais assis près de ta bière. A propos de ces petits reproches que je
te faisais, le commis d'un marchand de Leipzig me parla un jour
franchement de toi chez Pirkheimer, à Nuremberg. Il faisait peu de
cas de (a sainteté; tu jouais bien du violon, disait-il, tu portais des
chemises enrubannées, mais c'était là tout ce qu'on pouvait dire à
ta louange. Moi, rempli alors d'amour pour toi, je le traitais de fou;
je ne savais pas, en ce temps là, que la modération que tu montrais
n'était que l'avant-coureur de ta rage. » " A cette époque, ce qui
me déplaisait encore en toi, c'était de le voir excuser la vie folle et
impie qu'on menait à Witteaiberg, et de t'entendre dire que nous
ne pouvions être des anges; si je m'étais laissé faire, vous m'auriez alors
imposé je ne sais quelle absurde glose sur ce texte de saint Matthieu :
Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Comme tu le vantes d'être seul
en possession de la vraie doctrine de la foi et de la charité, tu cries
bien haut que l'on ne reprend en vous que l'imperfection de votre
vie. Non, non, nous ne jugeons pas les pécheurs comme vous avez
coutume de le faire; mais nous soutenons que là où l'on n'aperçoit
point les fruits de la foi dans le Christ, cette foi n'a jamais été ni
bien enseignée ni bien reçue, et nous répétons à propos de vous le
proverbe que Rome doit trouver vrai depuis longtemps : Plus on
s'approche de Wittemberg, pires sont les chrétiens '. »
Luther défendit contre Carlstadt, Thomas Münzer et plusieurs
autres adversaires l'orthodoxie de sa doctrine dans le traité intitulé:
Réfutation des prophètes célestes. Des imaç/es et du sacrement.
Déterminé à ruiner le nouvel Évangile par une interprétation astu-
cieuse de la sainte Écriture, Satan, selon Luther, « avait fait choix
de Carlstadt, apostat du royaume du Christ et naufragé de la foi ".
1 Voy. Jager, p. 447, 483, 488.
LUTH Ell CO NT a K LL LI BUK AliBlTIiE. 401
C;irlsfa(lt se posait en docteur sans avoir reçu aucune mission divine;
s'il en é(ai( autrement, que ne prouvail-il par des " signes divins •
l'appel inlérieur qu'il disait avoir reçu de Dieui' < Dieu ne détruit
pas un ordre ancien pour en établir un nouveau sans opérer aupa-
ravant de for! grands miracles. C'est |)our(juoi, avant d'ajouter foi
au témoignage de celui (pii se dit appelé à prêcher par son sentiment
intérieur, et tonne en public contre l'ordre établi, il faut examiner
par quels signes ce nouvel apôtre prouve sa mission. » Luther n'appli-
quait point ce raisonnement à lui-même, ni à la guerre qu'il avait
déclarée à l'antique organisation de l'Église.
Carlstadt se plaignait bien à tort d'avoir été banni de la Saxe.
« S'il est une chose à regretter, c'est qu'il ait eu ailaire à des princes
trop faibles. En d'autres pays, s'il fût venu troubler les gens avec de
pareilles impertinences, on aurait très-bien pu faire danser sa tête
el celle de ses confrères sur une fraîche lame d'acier, et le châti-
ment eût encore été doux! Les princes de Saxe n'ont-ils pas été
patients avec cette cervelle à l'envers? En vérité, ils ne l'ont été que
trop; s'ils avalent été plus prompts à se servir du glaive, le peuple
des rives de la Saale serait aujourd'hui plus calme, plus retenu, et
l'Esprit de Dieu n'eût pas été emprisonné. >
Quant aux images, Luther avait toujours reconnu à l'autorité tem-
porelle le droit de les détruire; mais Carlstadt, avec une fureur sans
pareille, les avait abattues, sans même demander l'assentiment du
pouvoir. Le peuple, excité par lui, était devenu mutin, orgueilleux,
rebelle. Celte rage contre les images n'était, examinée à la lumière
de Dieu, (ju'uue (l'uvre mosaïste, accomplie sans loi ni amour; et
pourtant, les briseurs d'images avaient depuis cette belle équipée un
orgueil insupportable. Ils se croyaient très-avant dans les bonnes
grâces de Dieu pour avoir mis bas quelques tableaux. JN'ôtait-ce
pas là revenir au mérite des bonnes (euvres et au libre arbitre?
Luther, â ce moment même, venait de se laisser emporter à de
tels excès de langage à propos de la d.)clrine de la non-liberté de
l'homme que, dans son traité sur le Serf arbitre, adressé à Érasme,
il n'avait pas reculé devant des propositions absolument fatalistes :
-• Dieu est nécessairement un Dieu d'après la volonté duquel tout
doit s'accomplir, .\ussi les païens attribuaient-ils à leurs divinités, à
leur Jupiter, une volonté qu'ils appelaient Fatum, disant qu'aucune
prudence humaine ne pouvait soustraire l'homme aux décisions, à
la volonté éternelle de cette puissance mystérieuse. Or ces deux
choses, la toute-puissance de Dieu et sa prescience éternelle,
suppriment radicalement et nécessairement le libre arbitre, et la
raison elle-même se voit forcée de reconnaître qu'il n'y a de libre
11. 26
402 LUTHER SUR L'OBSERVATION DU DIMANCHE.
volonté ni en Dieu, ni en nous. Luther admet cependant dans
l'homme la kitte du bon et du mauvais principe : « La volonté de
l'homme s explique-t-il, " tient le juste milieu entre celle de Dieu
et celle de Satan. Elle se laisse conduire, pousser et diriger comme
un cheval ou tout autre animal. Si Dieu s'en empare et la dirige,
elle va où et comme Dieu veut; mais elle n'est ni libre ni maîtresse
de décider vers qui elle veut courir, à qui elle veut appartenir; deux
forces opposées se la disputent, et luttent tour à tour pour l'obte-
nir. ■■' Luther établit aussi une distinction entre la volonté » cachée "
de Dieu et sa volonté ostensible, apparente : « Dieu fait annoncer
à tous sa loi cl ?a grâce, mais c'est sa volonté secrète qui décide
le comment, le combien de ceux qui devront y avoir part'. '
« Si en s'appuyant sur des textes de Moïse •, dit Luther dans le
même traité, « on permet au peuple de briser les images, on doit
donc aussi lui permettre de se jeter, pour les massacrer, sur les
adultères, les homicides, les rebelles, car Dieu a également ordonné
au peuple d'Israël de les exterminer. « ^ Personne, évangéliquement
parlant, n'est obligé de briser les images, tout est abandonné à la
liberté de chacun, et il n'y a point de péché à les conserver. ■ " Pla-
çons-nous au véritable point de vue; ces docteurs do péché et ces
prophètes mosaïstes ne doivent pas nous troubler avec leur Moïse;
qu'ils le laissent en paix! Nous ne voulons ni voir ni entendre .Moïse!
<Jue dites-vous de cela, chères âmes de Rothenbourg"? ^
" Moïse n'a é(é danné qu'au peuple juif r>^ dit-il ailleurs; - les
païens ni les chrétiens n'ont rien à voir dans sa législalion. 11 est
vrai que nous gardons et enseignons les dix commandements, mais
seulement parce que la loi naturelle n'est nulle part mieux expli-
quée, ni mise dans un plus bel ordre. Cependant je voudrais que,
dans les questions temporelles, on empruntât davantage à Moïse; la
loi du divorce, le jubilé, l'année de franchise donneraient au monde
une impulsion meilleure; nos prêts à intérêts, nos lois sur le com-
merce et sur le mariage en seraient heureusement modifiés. »
.< Ouant à la célébration du dimanche, personne n'y est obligé.
Observer le sabbat ou le dimanche n'est point du tout obligatoire.
La loi de Moise ne saurait nous l'imposer ; c'est la nature, par sa lassi-
tude, qui nous indique et nous apprend qu'il est nécessaire, à de
certains intervalles, d'accorder un peu de relâche à notre corps,
car il faut laisser aux hommes et aux bêtes la temps de respirer;
• De serio arhilrio. Op. latin., t. VII, p. 113. — Voy. Vokreiter, p. 414-415. A
propos des passages que nous venons de citer, Dollinger remarque (AVr-
chengeschiclitc, 2'', p. 422) que ces maximes semblent plutôt empruntées au Coran
qu'à l'Évangile.
I.UTIIEK SUR LOBSiP. NATION DU DIMANTIIE. iOH
rimi(|ue (oridemcnt du «;abbaf de Moïse, c'est donc une iMisoii toute
|)liyi-i(|ne, tout extérieure, el le Christ a eu les mêmes motits pour
la contirnier. Or, dès qu'il ne s'agit plus que du repos du corps, il est
évident que celui ([m n'est pas l'atijvué peut sans aucun péché violer
la loi du sabbat, et faire choix d'un autre jour pour obéir â la récla-
mation de la nature. Une autre raison de garder le dimanche, c'est le
devoir d'entendre la parole de Dieu', » Le dimanche, selon Luther,
n'est donc qu'une loi purement extérieure, et par conséquent de peu
d'importance. >< Dieu =, dit-il dans son grand catéchisme, « s'est ré-
servé le septième jour, comme nous le lisons dans la Bible. Il nous a
ordonné de garder ce jour et de le tenir pour saint entre tous,
mais ce n'est qu'aux seuls .luifs qu'a été imposée cette loi tout exté-
rieure. Dieu voulait que ce jour-là ils se reposassent des œuvres ser-
viles, et que les hommes el les animaux eussent un peu de repos, de
peur qu'un travail incessant ne vint à les épuiser. Mais ce comman-
dement ne s'adresse qu'aux intelligences grossières; il ne nous
concerne en rien, nous autres chrétiens, puisqu'il se rapporte à une
nécessité toute physique. Comme une foule de prescriptions de
l'Ancien Testament, il a trait à des mœurs, à des personnes, à des
temps et des lieux fort différents des nôtres. Depuis le Christ, tout
cela est abandonné à notre liberté. Mais pour bien faire comprendre
aux simples ce que Dieu demande de nous par ce commandement,
sachez que nous ne considérons pas l'observance des jours fériés
comme d'obligation pour les chrétiens instruits et intelligents; ceux-
ci, encore une fois, n'en ont aucun besoin; nous gardons le di-
manche à cause de certaines nécessités physiques, en vue des gens du
peuple, des serviteurs et des servantes qui, travaillant toute la se-
maine, ont besoin d'un jour de répit; nou^ le maintenons surtout
parce que, ce jour-là, on pourra se réunir pour assister au service
divin. Notre sabbat n'est plus obligatoire, ni attaché à un moment
précis, comme chez les Juifs; seulement, comme de toute antiquité
le dimanche a été désigné pour le jour du repos, nous trouvons bon
de le conservera " » 11 importe peu ", dit-il ailleurs en expliquant le
troisième commandement, ^- que nous observions ou non le sabbat; les
consciences sont libres. Celui qui veut ne pas y avoir égard peut con-
ti uuer à travailler, nous ne le blâmerons pas, et nous ne le renierons
pas pour cela. Cette question est laissée à notre libre appréciation'. '
Cette opinion de Luther et de ses disciples devait avoir les plus
graves conséquences. Déclarer que Dieu ne fait pas aux chrétiens
une stricte obligation d'observer le dimanche, c'était ôter à l'homme
' Sämmtl. Werke, t. XXIX, p. 136, 143, Uu, 157. 167, 173-174.
- Sämmtl. Werke, t. XXI, p. 48. i
3 ï. XXXVI, p. 93.
26.
404 LUTHER ET L'OBSERVATION DU DIMANCHE.
du peuple le seul motif qui le lui rendait sacré. Et d'ailleurs
pourquoi chacun ne se serait-il pas rangé, sinon parmi les savants,
du moins parmi les chrétiens « intelligents » que Luther déclarait
affranchis de la loi? La profanation du dimanche, qui devint tous
les ans plus générale en Allemagne et dont les contemporains se
plaignent si amèrement, devait être la conséquence naturelle d'un
pareil enseignement.
Réfutant la doctrine de Carlstadt sur l'Eucharistie, Luther avoue
les difficultés infinies engendrées par le principe de la libre inter-
prétation de l'Écriture (que lui-même avait établi). « On verra
bientôt », dit-il, dans un douloureux pressentiment, '- ceux qui
prétendent mesurer et régenter l'Écriture au moyen d'une raison
sophistiquée et de subtilités raffinées, en venir à nier la divinité
du Christ. » « Tu assisteras dans peu de temps à des prodiges; fu
verras comme la raison deviendra sage, surtout parmi le peuple igno-
rant! On secouera la tête, on dira : C'est vrai, la divinité et l'huma-
nité sont deux choses infiniment distinctes ! il y a entre elles un abîme
immense, comme celui qui sépare ce qui est éternel de ce qui est
du temps; comment donc l'un peut-il être l'autre, ou comment quel-
qu'un a-t-il jamais pu dire que l'homme était Dieu? " " Déjà -, ajou-
tait-il, " le Christ devient un pur symbole moral; il est descendu de
son trône de législateur et de maître, et si l'on fait un pas de plus
dans cette voie, aucun dogme ne restera debout. '
Aussi recommandait-il de la manière la plus pressante à ses dis-
ciples de se garder des faux prophètes et de leur doctrine, « quand
bien même le monde entier abandonnerait notre croyance en l'Eucha-
ristie ■ . Comment ferons-nous donc quand il s'agira de la doctrine
de l'Évangile, qui est d'une bien autre importance? (Le mot Évangile,
dans la bouche de Luther, signifie toujours la doctrine de la jus-
tification parla loi seule et delà non-liberté de la volonté humaine.)
rse voyez-vous pas tout le monde l'abandonner, la combattre? Com-
bien étes-vous qui lui restiez véritablement attachés? Ce n'est pas
merveille que beaucoup embrassent l'erreur, c'est merveille que
quelques-uns restent fidèles. Les partisans des faux prophètes ne
peuvent se plaindre de n'avoir pas été avertis, conseillés. Ne
savent-ils pas comment j'ai jugé leur esprit? ]N'ai-je pas dit qu'ils
agissaient sous l'inspiration du démon? Cependant à quoi cela a-t-il
servi? Us se sont encore plus obstinés; ils se sont secrètement con-
certés; ils ont usé de ruse envers moi; ils ont oublié jusqu'à la charité
qu'ils nous doivent. Pourquoi nous ont-ils combattus avectant d'achar-
nement, dans leur trou et derrière notre dos, écrivant contre nous
dans les divers territoires allemands, et n'égorgeant que ceux de
Wihemberg dans leur abattoir public, c'est-à-dire dans leurs chaires?
OPINIONS DKISTES. 105
Et fout cela sans vouloir jamais nous cxpliciuer en quoi nous
sommes dans l'erreur! Ce que Witfemberça fait, il faut le détruire,
sans cela tout ira de mal en pis, ils ne connaissent que cet argu-
ment! Et c'est en se couvrant de la protection de notre prince, c'esi
en notre propre nom et place qu'ils agissent ainsi • ! >
Ce que Lulher avait prévu, qu'il s'élèverait bientôt des incrédules
allant jusqu'à nier la divinité du Christ, se vérifiail à la lettre à
Nuremberg. A cette date, nous voyons le conseil intenter un procès
à trois peintres de la cité, Georges Penz et les deux frères Sebald et
Barthélemi Hehaim, communément appelés les ;; peintres impies
Cités devant le tribunal à cause de leurs opinions déistes, ils exposè-
rent leur manière de voir avec une pleine franchise. Aux questions qui
lui lurent adressées, Georges Penz répondit qu'à la vérité il croyait
vaguement à l'existence d'un Dieu, mais qu'il ne savait pas quelle
idée se faire au juste de lui; quant à Jésus-Christ, il n'y croyait
point; il lui était impossible d'ajouter foi à la sainte Écriture; il
n'admettaif ni le baptême, ni l'Eucharistie, et ne reconnaissait d'autre
autorité temporelle que celle de Dieu. Barthélemi Behaim déclara
à son tour rejeter le témoignage de la Bible. Il avait suivi pendant
deux ans le prêche du luthérien Oslander, mais, il ne savait com-
ment expliquer la chose, ce que disaient les prédicants avait bien
un sens devant les hommes, et pourtant au fond il n'y avait là que
vain babil; aussi ne voyait-on aucun fruit de conversion sortir de
tant de sermons. 11 resterait dans ses incertitudes; le mensonge l'y
contraignait jusqu'à l'avéneraent de la vérité. Son frère Sebald s'ex-
prima à peu près dans le même sens. Jusqu'à présent il n'avait su
quel parti prendre relativement à la Cène; il était résolu à patienter
jusqu'à ce que Dieu lui en donnât l'intelligence. Lui aussi avait en-
tendu beaucoup de prédications, mais il ignorait, comme son frère,
le moyen d'eu tirer quelque amélioration spirituelle. Gui '^^ir-
sperger, interrogé sur ses relations avec les frères Behaim, dcclaia
qu'ils avaient un fort mauvais renom sous le rapport religieux, et
passaient pour être ensorcelés. L'im d'eux, Barthel, avait déclaré ne
point connaître le Christ et ne savoir rien de lui; quand il en enten-
dait parler, il prétendait avoir la même impression que lorsqu'on lui
contait l'histoire du duc Ernest, enlevé sur le haut d'une montagne.
Sebald était non moins obstiné, non moins sous l'influence du dé-
mon. Il était fâcheux que des âmes chrétiennes fussent obligées
d'avoir des rapports avec de pareils personnages ; ils avaient telle-
ment détourné leurs femmes de la vérité, qu'elles n'étaient plus siires
' Sümmtl. Il'erle, t. XXIX, p. I/O, 216, 260, 266. — Voy. Riffel, p. 402-406.
406 LES A ^ ABAPTIST ES.
de rien en matière de foi. Les deux frères faisaient usage du petit
livre de Miinzer et de Carlstadt. Les « peintres impies " furent bannis
de la ville « à cause de leurs opinions païennes et pour avoir parlé
avec grand dédain et mépris de tous les prédicants, ainsi que de
leurs supérieurs temporels ' . Comme motif principal de leur ex-
pulsion, on allégua « qu'il fallait éviter avec soin que le contact avec
de telles gens n'engendrât une foule d'erreurs et d'opinions extra-
vagantes parmi les cit03"ens de la cité et du dehors; si l'on n'arrê-
tait les progrès du mal, il faudrait bientôt prendre des mesures pour
que la parole ne fût plus distribuée à toute la congrégation réunie;
prendre à part, instruire en particulier chaque égaré, ce qui serait
imposer un lourd fardeau non-seulement aux prédicants, mais encore
à messieurs du conseil' > .
Mais de quel droit, demandaient les chrétiens éclairés restés fidèles
à l'Église, « refusait-on à Carlstadt ou à d'autres la liberté de re-
pousser le baptême, la Cène et le culte luthérien"? IN'avait-on pas
permis à Luther de rejeter cinq sacrements? ^'avait-il pas travaillé
à renverser l'édifice tant de fois séculaire de l'antique Église? Si
Luther, conformément au principe reconnu de la libre interpréta-
tion de l'Écriture, tenait telle ou telle opinion pour vraiment évau-
gélique, s'il osait représenter tout sentiment contraire au sien comme
abominable, scélérat, satanique, pourquoi Carlstadt, Mïiuzer et les
autres, quels que fussent leurs noms, ne pouvaient-ils à leur tour
tenir d'autres axiomes pour seuls justes, seuls révélés par l'Esprit de
Dieu? pourquoi n'avaient-ils pas la même liberté que Luther et la
communauté de Wittemberg? « « Une complète anarchie religieuse,
ajoutaient les catholiques, sera le fruit de cette liberté chrétienne tant
prônée par Luther : l'interprétation libre de la Bible - claire et intel-
ligible à tous ", comme il le prétendait, le principe que tout chrétien
a le droit de juger ses pasteurs, parce qu'il est intérieurement en-
seigné par Dieu même, étaient deux dogmes tout aussi subversifs-. '
IV
i- La sainte Écriture a été donnée à chacun pour vérifier et affer-
mir sa croyance. Elle est pour le chrétien l'unique source de la foi. >
Ce principe, les disciples de Mïmzer et de Carlstadt, et toutes les
' Protorole de l'audience, dans Jörg, p. 731-733 (voy. 668), et Baadeu, Beitrüge
zur Kunstgeschichte Xiimbergs, ^, t. II, p. 74-77, VOV. p. 53-54.
- Voy. Glos und Comment. B!.,B-D^ E. F*. Contra M. Lutherum, fol. 9.
LES ANABAPTISTES. 407
sectes qiroii .1 coutume de (lésia',ner sous le nom d' = anabaptistes %
commuaient à le considérer comme la plus léjjitime réclamatiou de
la liberté chrétienne. Ces sectes différaient (jranderaent entre elles
sur maints points de doctrine ou de culte, mais toutes se ratta-
chaient à la croyance commune que le baptême des enfants de-
vait être aboli, parce qu'il n'en était question dans aucun texte de
la Bible : " Celui qui croil sera baptisé ', avait dit le Sauveur. Ces
paroles prouvaient indubilablemeut que la ■• pratique de la foi "
devait précéder le baptême.
Mais la difficulté de s'entendre sur cette ■' pratique de la foi -, qui
était en même temps indispensable à la véritable intelligence de la
Bible, amenait d'interminables discussions. Si Luther avait avancé
« que chacun était intérieurement enseigné par Dieu même ", beau-
coup, allant plus loin, soutenaient maintenant qu'il était impossible
de se croire en possession de la loi véritable avant d'avoir reçu au
dedans la preuve surnaturelle de cet enseignement divin.
Bien avant le procès intenté aux ' peintres impies i, un maître
d'école de Nuremberg, .lean Denk, avait déclaré, en présence du
conseil, < qu'avec saint Pierre, il tenait l'Écriture pour une lumière
qui brille dans l'obscurité; mais que pour lui, l'obscurité était si
profonde qu'il lui était impossible de comprendre les livres saints dans
leur ensemble ». " Si donc je ne la comprends pas ", disait-il,
i- comment pourrais-je y puiser la foi? Si je n'attends que Dieu me la
révèle, ma foi ne sera que l'œuvre de mon esprit. Oui, celui qui ne
veut pas attendre la révélation du Seigneur et ose prévenir un
moment qui n'appartient qu'à l'Ksprit de Dieu et au Christ, celui-là
fait très-certainement du mystère de Dieu renfermé d;ins l'Écriture
une abomination h>)rrible aux yeux du Seigneur, car il prétend
tirer la grâce divine de la corruption humaine. Aussi saint Pierre
dit-il encore que nous ne saurions interpréter l'Écriture, parce qu'il
n'appartient qu'au Saint-Esprit de nous en donner l'intelligence,
lui qui le premier en a instruit les apôtres. Or cette révélation de
l'Iispril, chacun doit commencer par s'assurer qu'il l'a réellement
reçue, et dans le cas contraire, sa foi est fausse ou de nulle va-
leur'. »
D'autres, comme Thomas MLinzer et les prophètes de Zwickau,
se disaient = confirmés, affermis » par l'Esprit, par la < parole inté-
rieure " et la " révélation de Dieu ", et posséder le véritable sens de
l'Écriture; ils annonçaient, en se fondant sur les lumières reçues,
un nouveau royaume de Dieu, une complète réorg^anisation de la
société, de la religion et de l'État.
' JÖRG, p. 664-665.
408 ANARCHIE RELIGIEUSE.
Comme à Zwickau, à Alstedt el en beaucoup de localilés de Saxe
et de Thuringe, la doctrine de l'avènement du règne de Dieu fondée
sur Tinterprétation « divine et intérieure de la sainte Écriture ^
trouvait en Suisse d'innombrables adhérents. A Zurich, où Ulrich
Zwingle avait annoncé le nouvel '^ Évangile - tantôt en se rattachant
à Luther et tantôt en le contredisant, on vit bientôt se former un
groupe de nouveaux apôtres, partisans de l'explication littérale de la
Bible, et désignant le « soi-disant réformateur ^^ de Wittembergsous
le nom de « dragon infernal '•. Selon eux, l'enseignement de Luther
était faux, inepte. Luther avait commis un crime en livrant la sainte
parole de Dieu à l'appréciation de l'autorité temporelle. « Vous
n'avez pas le droit ", disait en argumentant contre Zwingle une des
voix les plus autorisées de la nouvelle secte, ^ de remettre le juge-
ment aux mains du consed de la ville, puisque le jugement est déjà
rendu, et que l'Esprit de Dieu a prononcé. =i « C'est avec raison que
nous refusons d'entendre les prédicants -, disaient-ils, se joignant
aux anabaptistes pour combattre les zwingliens, « car dans la doc-
trine qu'ils nous ont jadis enseignée, ils ont puisé prétexte à des
émeutes, à des scandales; ils agissent et vivent contrairement aux
maximes qu'ils ont préchées; ils s'efforcent, sous des dehors de piété,
de mettre au service de leurs idées le glaive du pouvoir tem-
porel, au lieu de ne faire usage que des armes spirituelles. Et pour-
tant les vrais prédicants évangélistes se sont depuis longtemps
prononcés contre une pareille manière d'agir, et l'ont appelée
tyrannique'. - Les nouveaux sectaires prétendaient fonder une
Église où les élus seuls (c'est-à-dire leurs partisans) auraient accès,
tandis que tous les autres hommes ne devraient plus être considérés
que comme des impies dignes de châtiment. Entre les élus régnerait
une égalité parfaite, et tous les biens seraient communs.
« Ces principes flattaient singulièrement les oreilles de l'homme
du peuple » ; aussi accourait-on de tous côtés pour écouter les nou-
veaux apôtres; tailleurs, cordonniers, pelletiers avaient des visions,
prêchaient et enseignaient ce royaume de Dieu, où il n'y aurait
aucune différence entre les hommes, où fortunes et propriétés se-
raient communes, où les couvents et les châteaux seraient rasés, et
ceux qui résisteraient à la parole de Dieu, mis à mort^
A dater de 1524, ces apôtres de la révolution sociale se répan-
dirent dans le sud-ouest de l'Allemagne et en Suisse. A Saint-Gall,
au rapport d'un témoin oculaire, les prédicants anabaptistes étaient
' BULLINGER, Der liiedeitatifor Ursprung, Fürgang, etc. Zurich, 1560). Bl. 250.
Voy. Cor>NELlLS, Geschichte des Mûnslcrischen Au/ruhrs, t. II, p. 8-30; voy. aussi le
t. m de cet ouvrage.
- * Lettre de Clément Endres, 13 mai 1524. Voy. plus haut, p. 345, note 5.
ANARTIIIE FELiniEUSE. 40»
-i nombreux, que de fous côtés, les dimanches et jours de fête, ou
voyait, sur les promenades, les bour{jeois se grouper autour
d'eux. ~- Ici, ici! ■' disait un paysan à son voisin, « c'est ici qu'est
enseigné le véritable Kvangile! Vois donc comme les anciens prèlres
nous avaient menti! Comme ils nous avaient mal instruits! On de-
vrait assommer tous ces coquins! »
Le président des cantons catholiques déclarait dès 1524 à la
diète helvétique que, excité par les nouveautés religieuses, le peuple
devenait séditieux; qu'il refusait de payer les impôts, les dîmes, et de
s'acquitter des corvées; qu'il réclamait la communauté des biens, et
montrait pour Tantorilé un tel mépris que la ruine de la patrie était
imminente ^
Trop souvent les élus, éclairés sur le sens de l'Évangile par des
visions et des ravissements , se livraient aux actes les plus effroyables.
Le chroniqueur de Berne, Anshelm, raconte qu'à Saint-Gall,en 1)25,
« pour accomplir la volonté du Père céleste », eu présence des
parents du jeune homme, un frère trancha la tête de son frère, et
qu'à Esslingen, dans une réunion fraternelle > , un homme foula
sa femme sous ses pieds; ces deux malheureux croyaient fermement
accomplir la volonté de Dieu. Jusque sur l'échafaud, le fratricide
assura n'avoir tué son frère que par l'ordre du Seigneur. La vo-
lonté de Dieu excusait et couvrait toutes sortes de crimes. « Je ne
commets point de péché '•, disait un prédicant, - c'est Dieu le Père
qui les commet par moi; Dieu est venu en personne dans mon âme. »
' Quelques-uns, gens cependant très-versés dans l'Ecriture », rap-
porte Anshelm, « sont si épris des ravissements, qu'ils ne veulent
plus lire une seule syllabe et refusent de prêter l'oreille à la parole
humaine, tant ils se disent consolés au dedans par la céleste voix du
Père. « Les magistrats de Saint-Gall, par des édits publiés à diverses
reprises, se virent obligés de défendre « qu'à l'avenir personne eût
l'audace de se dire inspiré par Dieu le Père, et ne se permit de parler
ou d'agir en son uom .
Après les effrayantes et funestes conséquences des visions et des
ravissements, vinrent les bizarres conclusions tirées du texte de l'E-
criture par les nouveaux sectaires. Ils prenaient au pied de la lettre
une opinion de Lui her, et s'imaginaient que pour interpréter exacte-
ment la Bible, il fallait adopter le sens littéral qui s'offrait d'abord à
la pensée. A Saint-Gall, ou voyait les gens sortir par les portes de la
ville daus les quatre directions du globe pour aller annoncer le
royaume de Dieu aux nations; la Bible n'avait-elle pas dit : « Allez,
instruisez toutes les nations, et prêchez-leur l'Évangile »? Douze
' Relation de Sicher, dans Baumanx, Acten, 286-987. — Zimmermann, t. II, 22. 87.
410 ANARCHIE ÜELICIEUSE.
cents anabaptistes se réunirent un jour à Appenzel, et là, attendireni
patiemment que les aliments leur fussent envoyés par le Père céleste.
C'est qu'ils avaient lu dans l'Évangile : " >'e vous inquiétez point de
ce que vous mangerez. ■> La faim ne tarda pas à les décider à retour-
ner chez eux. Sans bâton, sans souliers, sans bourse ni argent, des
bandes errantes parcouraient les routes et prêchaient sur le toit des
maisons, car l'Évangile avait dit : .^ Ce qu'on vous a dit à l'oreille,
criez-le sur les toits. » Beaucoup abandonnaient femmes et enfants
pour se joindre aux frères, et mendiaient sur les chemins, car ce
n'était pas en vain que le Sauveur avait dit qu'à cause de lui, on
devait abandonner son père, sa mère et tout ce qu'on possédait.
D'autres briîlaient la Bible, conformément à ce verset : « La lettre
tue, mais l'esprit vivifie. - " La nouvelle secte des anabaptistes ■•,
dit Sébastien Franck dans sa Chronique, - a eu pour origine l'inter-
prétation littérale des Écritures; beaucoup de ceux qui s'unissaient
aux frères avaient bonne intention, ils cherchaient Dieu avec zèle et
droiture, et prétendaient ne se diriger que d'après l'Écriture, qu'ils
prenaient au pied de la lettre '. «
Le docteur Balthasar Hubmaier était un des hommes les plus actifs
et les plus influents de la secte nouvelle 'K ■• C'était un savant singu-
lièrement versé dans l'Écriture qui laissait à chacun le soin d'y
puiser sa foi. « En son livre des Dix-huit discours traitant à fond
des conditions d'une vie vraiment chrétienne, Hubmaier, comme Lu-
ther, avait posé ce principe, que tout chrétien baptisé doit trouver
par lui-même dans la Bible l'assurance que son pasteur désaltère
et nourrit son âme selon la vérité. Sur la frontière suisse, dans
la seigneurie d'Haneustein, il avait fait de la petite ville de
' Voy. Anshelm, l. VI, p. 268; Ar;x, t. II, p. 503-509. — Bcllinger, B. 12, p. 19,
22. — Kessler, Sabba-.a, t. I, p. 258-305. — Franck, Clironica. t. III, p. 193-199.
— Voy JÖRG, p. 662-663, 669-670. — A Auftsbourf?, dès 1524, les anabaptistes
prêchaient. — Voy. L'hlhorx, p. 62. Un chaudronnier de Xuremberjj conduisit
au cimetière de Saint-Jean sa femme, dont la grossesse était fort avancée, et là,
il la mit iiarbarement à mort, dans son désir, avoua-t-il, de lui procurer le
bonheur du bapiéme de sang. — Voy. Eyf, Drei Jahre aus dem Leben einer deutschen
Reiclisladt, dans la Zeitsctirifl für dculsclie CuUwgeschichle, 1873, p. 203-230. NOUS
lisons dans une autre chronique du temps au sujet du Tyrol : Les sectes
luthériennes y ont fait de tels progrès depuis les derniers vingt-quatre ans. que
l'autorité a dû intervenir, particulièrement à propos des anabaptistes. Quelques
fanatiques ont en beaucoup d'endroits tellement séduit le peuple ignorant par
leur doctrine hérétique, qu'eu peu de semaines un nombre considérable
d'hommes et de femmes ont vendu leurs biens, leurs attelages, pour en faire de
l'argent, et être admis avec femme et enfants dans la société nouvelle. Pour por-
ter à ce mal un remède opportun, l'autorité a fait exécuter trois hommes à
Inspriick. L'un d'eux avait attiré environ quatre cents personnes à cette dam-
nable hérésie. ^ — Greuteu, p. 31.
- Sur Hubmaier, voy. Schreiber, Tasclienbuch für Geschichte und Alterthum Süd-
deuSchland, années 1 et 2, Fribourg, (839, 1840. Stem, Zwölf, Artikel, p. 57.
ANARCHIE RELIGIEUSE. il»
Waldsliul le centre de son action pastorale. Là, il avait recruté parmi
le peuple et les corporations ouvrières un grand nombre de parti-
sans, persuadés que ce nouveau pasteur leur offrait « un aliment e!
un breuvage |)arfailement sains '. Il attacha tellcmenl sa commu-
nauté à ses doctrines, qu'il fut bientôt en état de dicter ses volontés
aux magistrats et aux nobles'. L'ancienne religion fut abolie,
l'ornementation des églises, les autels, les tableaux, tout fut ren-
versé et brisé au milieu d'un grand tumulte; les prêtres furent
chassés. Les disciples d'Hubmaier affirmaient avec orgueil que leur
maitre avait été envoyé de Dieu par une disposition toute spéciale
de la Providence envers eux, et le nouveau conseil de la ville s'ima-
ginait n'avoir en rien mérité les reproches de son légitime seigneur,
l'archiduc Ferdinand, en permettant que la parole de Dieu fût
annoncée eu toute liberté dans leur ville. Mais le ;J octobre 1-524,
les conseillers de Fribourg en Brisgan écrivirent aux nouveaux con-
vertis de Waldshut : « Votre prétention de n'avoir fait autre chose
([ue favoriser l'extension de la parole de Dieu ne pourra pas vous
être d'une grande utilité auprès de Sa Grâce ni ailleurs. Chacun
comprendra bien vite que vous vous êtes laissé entraîner et con-
duire par votre prêtre, et que vous vous êtes révoltés contre l'auto-
rité, jusqu'à vous abandonner à la damnable hérésie des hussites.
Vous avez écouté et gardé Hubmaier, malgré tous les ordres et aver-
tissements qu'on a pu vous donner. Si maintenant vous voulez
soutenir que vous avez bien fait en agissant ainsi. Sa Grâce, son
conseil et ses sujets devront en conclure que vous les tenez pour des
oppresseurs de la parole divine. Renoncez donc à tout cela, ne
ripostez pas, n'écrivez rien, car vous êtes dans votre tort. Songez
bien que s'il en allait ainsi, dans les questions qui iiitéressent notre
sainte religion, et que nous devions ajouter foi à la parole du pre-
mier moine défroqué ou prêtre qui se présente pour nous expliquer
la sainte Écriture d'après sa pensée, et si nous lui laissions le droit
d'anéantir les conclusions et ordonnances des anciens et sacrés con-
ciles, tous les jours nous pourrions nous remettre entre les mains
d'un nouveau maître, et finirions par ne plus savoir ce que c'est
qu'une solide conviction religieuse. Pesez bien toutes ces choses,
et soyez désormais fidèles aux anciennes institutions de l'Eglise ^
Les progrès de l'anarchie religieuse étaient une rude épreuve
pour Luther.
Plein de confiance eu lui-même, avec un sentiment nonpareil de
' Voy. la déclaration des habitants de Waldshiit à la délégation des princes,
et leur lettre au conseiller du tribunal d'Inspriick. 16 décembre 1524, ScHREiBEa,
Bauernkrieg, t. I, p. 70.
- Schreiber, BauemLricg, t. I, p. 100-101.
412 ANARCHIE RELIGIEUSE.
triomphe, il avait annoncé à mainte reprise qu'il avait reçu son Évan-
gile du ciel même; que personne, pas même les anges, n'avait le droit
de le juger; que sa bouche était la bouche même du Christ, et que
celui qui n'adoptait point sa doctrine ne pouvait espérer le salut'.
Maintenant, parmi ceux qui, à son exemple, avaient abandonné
l'Église, il voyait de tous côtés surgir de nouveaux apôtres, en
possession d'un Évangile différent. Ces hommes s'opposaient à lui,
le réfutaient, affirmaient avoir reçu une mission bien au-dessus delà
sienne. Dès le commencement de 1525, les choses avaient été si loin,
que dans son découragement, Luther laissait échapper cet aveu:
« Tel docteur rejette le baptême; tel autre veut qu'un troisième
monde soit placé entre celui-ci et le jugement dernier; quelques-uns
enseignent que le Christ n'est pas Dieu; l'un dit ceci, l'autre cela, et
il y a autant de secles et de Credo que de tètes. Point de rustre si
grossier qui ne s'imagine avoir reçu une révélation du Saint-Esprit
et ne s'érige en prophète ^ dès qu'il a rêvé ou imaginé quelque
choses ')
Cet élat d'anarchie religieuse, qui s'étendait maintenant à une
grande partie de l'Empire, avait été dès longtemps prédit par les
esprits réfléchis, attentifs au mouvement que Luther avait provoqué.
L'Allemagne, avaient-ils dit, deviendra une seconde Bohème, car
c'étaient bien les doctrines de Jean Huss que Luther avait propagées
en Allemagne*.
Il avait autrefois déclaré n'avoir rien de commun avec Jean Huss
(1519), affirmant que jamais il ne légitimerait un schisme, et que
les hussites avaient été criminels de rompre l'unité de l'Église
romaine ^ Mais peu de temps après, il était arrivé à la persuasion
qu'il était lui-même hussite, et que son enseignement était le même
que celui du réformateur de Bohème. Avant lui, Huss avait prêché la
vérité évangélique, mais elle avait été condamnée au concile de
Constance, où la doctrine du « dragon infernal « avait été substi-
tuée à l'Évangile littéral. A l'exemple de Huss eî des hussites, Luther
' Voy. plus haut, p 28, 213, 236-237.
- Lettre aux chrétiens d'Anvers, commencement de 1525, dans de Wette, t. III,
p. 61.
^ Voy. plus haut sur ce sujet les jugements portés par Emser, Murner,
Aléandre, Usingen et le duc George de Saxe, p. 109-112, 131-13i, 157, 200, 217,
227-228.
* Voy. plus haut, p. 85-86.
^ Voy. plus haut, p. 87-88
A \ A R <; II I K I? E M 0 I F, U SE. 4 > :5
avait rejeté l'autorité du siège apostolique, les couciles généraux,
et beaucoup d'autres dogmes fondamentaux de l'Église. Comme
les < frères de lîohéme >, il avait vu dans la sainte Kcriture Tunique
source de la foi; comme eux, il avait aboli toute différence entre
les prêtres et les laïques, et enseigné le sacerdoce universel, appe-
lant le Pape Antéchrist, et l'antique Église, avec sa constitution, ses
lois, ses institutions, ses droits, ses usages, une ■•<■ invention de
l'enfer' ". Aussi ce qu'on avait vu se produire en lîohéme, c'est-à-
dire " cette effroyable licence religieuse » dont des témoins ocu-
laires ont rapporté les excès, allait-il nécessairement se reproduire
en Allemagne. Comme Luther le constatait (l.>2.jj, il y avait mainte-
nant presque autant de sectes et de Credo que de têtes. C'est ainsi
qu'en 1502 lioliuslav Hassenstein avait écrit de Bohême qu'en ce pays
les sectes étaient innombrables; qu'on y rencontrait des wicléfites,
des Picards, des contempteurs de la divinité de Jésus-Christ, des
sectaires niant l'enfer, l'immortalité de* l'âme, ou persuadés que
toutes les religions étaient également bonnes; vieillards, adoles-
cents, hommes et femmes se croyaient appelés à expliquer la sainte
Écriture, et se disputaient sur des points de foi-.
Dès qu'on eut détruit l'obéissance envers l'autorité de l'Eglise,
d'abord en Bohème, puis en Allemagne, rien n'eut plus un ferme
équilibre dans la pensée ni dans le cœur du peuple.
Et sur le terrain social, d'abord en Bohême, puis eu Allemagne,
tout chancela, tout fut ébranlé par la propagation des principes de
Jean Huss.
' Le premier, Wiclef avait appelé le Pape l'Antéchrist. II avait dit à plusieurs
reprises en parlant du Pape : ^ ...homo peccati Antichristus insignis loquitur,
quodsit summus Chiisli vicarius. » Nul iiomme sur la terre ne désignait plus
clairement l'Antéchrist, le lieutenant de Satan, que le Pape : « ...ut sit vicarius
principalis Satanœ et pra^cipuus Antichristus '. etc. Dans ses prédications,
Wiclef, sans autre commentaire, disait Anlechrist pour Pape. — Voy. Leculer,
t. I, p. 583-584, 601, note 3. Les rapports entre les doctrines de Wiclef, de .Jean
Husi et de Luther sont symliolisés dans un cantional hussite de la ville de Pra-
gue. En haut se tient Viclef, qui bat le briquet ; au-dessous, liuss, qui allume les
charbons; bien plus bas encore, Luther, qui agite une torche enflammée. — Voy.
Leculer, t. II, p. '2Sô, note 2.
-Voy. notre premier vol., p. 582.
LIVRE 111
LA REVOLUTION SOCIALE
v'^
LIVRE III
LA RÉVOLUTION SOCIALE
CHAPITRE PREMIER
INFLUENCE DES DOCTRINES DE JEAN HUSS EN ALLEMAGNE. — PRÉLUDES
DE LA RÉVOLUTION SOCLALE.
" C'est à Jean Huss et à ses disciples ", dit un contemporalu de la
révolution sociale du seizième siècle, " qu'il faut rattacher presque
toutes ces funestes doctrines sur l'autorité spirituelle et temporelle,
sur la propriété, sur les droits, qui engendrent maintenant parmi
nous, comme autrefois en Bohème, l'insubordination, l'émeute, le
pillage, l'incendie et le meurtre. C'est à elles qu'il faut s'en prendre
du grave ébranlement social qui nous épouvante à cette heure.
Depuis longtemps déjà, le poison de ces faux principes se répand
de Bohème en Allemagne, et partout où il s'insinue, on le voit pro-
duire les mêmes calamités'. »
Jean Huss avait porté une grave atteinte à l'autorité ecclésiastique
et séculière en enseignant qu'aussitôt qu'un homme se rendait cou-
pable de péché mortel, il devenait par cela même incapable d'exercer
les fonctions dont il avait été investi, parce que « Dieu retirait
aussitôt sa divine sanction à son autorité et à sa charge ». Évèque
ou souverain temporel perdait tout droit à l'obéissance de ses sujets,
dès qu'il devenait prévaricateur. En ces sortes d'occasions, c'était
aux ' vrais croyants » qu'il appartenait de décider.
Jean Huss avait en outre déclaré la guerre à tout ordre social eu
' Cinilra M, Lutherum et Lulheranisini faulores, foL 14.
II. 27
418 PRINCIPES SOCIALISTES DES HUSSITES ET LEURS RÉSULTATS.
avançant que ceux qui régissent leurs propriétés ou qui en usent
contrairement à la loi de Dieu, n'ont aucun titre légitime à ces
mêmes propriétés, qui ne sont plus qu'un larcin entre leurs mains
souillées et impies. Par ces doctrines, il avait surtout visé les pro-
priétés ecclésiastiques, disant que, puisque mauvais usage en avait
été fait, elles devaient nécessairement retourner aux laïques. La
propriété ecclésiastique, affirmait-il, conduisait fatalement à l'asser-
vissement des paysans et à la ruine de la noblesse, qui, réduite à la
misère, se voyait alors obligée « de voler, de dépouiller et d'opprimer
ses subordonnés ' . Les biens de l'Église, selon lui, ceux mêmes qui
provenaient de donations, devaient être restitués à leurs anciens et
légitimes propriétaires, aux seigneurs temporels, dont les ancêtres,
égarés par une libéralité inconsidérée, pour la perte des âmes et
contre tous les préceptes delà sainte Écriture, avaient doté les clercs
de richesses superflues. C'est par de telles assertions que Jean Huss
avait su s'attacher une grande partie de la noblesse. Il avait égale-
ment séduit les gens du peuple, en leur répétant que les possessions
ecclésiastiques étaient le >< bien des pauvres ', que le peuple avait le
droit de s'en emparer pour subvenir à ses besoins; qu'en résumé, la
pauvreté n'était que tolérée par Dieu, que les riches en étaient les
auteurs, et que seuls les vrais croyants » avaient le droit de pos-
séder'.
La guerre hussite se chargea promptement d'apprendre au monde,
et cela d'une effroyable manière, les résultats qu'on pouvait attendre
de ces notions dangereuses qui, renversant toutes les bases de la
propriété et du droit, flattaient les plus mauvais instincts de la classe
pauvre. Pendant les longues années d'une révolution sanglante,
la Bohême tout entière ne fut plus qu'un vaste incendie. Les
ouvriers, les paysans, les prolétaires des villes et des campagnes,
ravis de voir enfin se lever le jour de la vengeance envoyé par Dieu
' Voy. dans le travail de Zöllner sur les origines de la guerre des paysans le
chapitre intitulé : Das sociale Element in der husitischen Bewegung, p. 20-65. —
Voy. dans le liuikolik de Mayence (1873, p. 92-108) l'article intitulé : Johannes Hus
und die böhmische Commune, lluss empruntait la plupart de ses principes aux écrits
de Wiclef. Celui-ci avait enseigné que les seigneurs laïques étaient non-seulement
autorisés, mais obligés de s'emparer des biens des ecclésiastiques, de supprimer
les couvents, de confisquer les revenus de^ monastères, si l'Église, après avoir
été avertie, persévérait dans ses errements. Leur devoir était de retirer les
charges aux prêtres « qui s'étaient écartés de la religion du Christ " . Dans
r -étatfuturévangélique • tel que Wiclef l'avait conçu, les particuliers ne devaient
plus avoir le droit de posséder, et tous les biens devaient être mis en commun.
- ...Tune necessitaretur respublica redire ad politiamevangelicam, habens omnia
in communi. . wiclef prétendait ramener l'Église à l'institution première du Chri>t,
d'après l'Évangile; dans ce dessein il disait n'avoir pas seulement contre lui
r.4ntechrist, c'est-à-dire le Pape et ses disciples, mais encore le diable et ses
anges. — Voy. Lechler, t I, p. 597-598, 600-601.
PRINCIPES SOCIALISTES DES IILSSITES ET LEURS RESULTATS. 41»
m(^me et se renouveler la lutte « du peuple élu de Dieu contre les
Pliilistins ", form(''rent de redoutables armées. « Maudit soif le fidèle
dont le glaive ne s'est pas encore plongé dans le .sang des ennemis
du Christ! » dit la loi taborite; < il faut que nos mains aient été puri-
fiées et sanctifiées par ce sang! ^ " Nous sommes décidés à pour-
suivre les impies ", déclarent Ziska et ses partisans dans un de
leurs manifestes (1423); « nous les flagellerons, nous les assom-
merons, décapiterons, pendrons, noierons, brûlerons, nous leur
ferons subir tous les supplices réservés aux pervers d'après la loi de
Dieu. Nous poursuivrons tous les coupables sans exception, .sans
pitié pour le rang ou le sexe '. » Un certain nombre de nobles,
poussés par l'espoir de profiter de la confiscation des biens du
clergé, se mirent à la tête des insurgés. « Efforçons-nous d'attirer
la bourgeoisie dans notre parti i, disaient quelques barons qui
s'étaient faits, parmi le peuple, les apôtres de la doctrine hussite;
< de quelque manière que tournent les choses, nous ne pouvons
manquer de gagner à l'entreprise, car nous aurons à nous partager
soit les biens du clergé, soit les biens de la bourgeoisie. Si le roi
donne les mains à la sécularisation, la noblesse sera la première à en
profiter. S'il refuse de l'autoriser, la guerre civile éclatera, et nous
fournira plus d'une bonne occasion d'arrondir nos domaines *. ■
Sickingen et Hütten devaient, un siècle plus tard, chercher à réa-
liser en Allemagne des projets analogues.
Se fondant sur la « mission spéciale » qu'elles prétendaient avoir
reçue de Dieu, les « saintes armées » hussites pillaient et dévastaient
couvents, bibliothèques, archives, détruisaient d'innombrables chefs-
d'œuvre, et massacraient moines et prêtres. « Avant la guerre ", dit
Sigismond Meisterlin dans sa Chronique, « la Bohême avait des
églises et des temples admirables, qui s'élevaient vers le ciel, et dont
les vastes et larges voûtes étaient la joie des yeux. Les autels de ces
temples étaient merveilleusement hauts; ils renfermaient de pré-
cieuses reliques, enchâssées dans l'or et l'argent. Les ornements des
prêtres étaient couverts de riches pierreries et de perles fines, les
murs des saints édifices étaient magnifiquement décorés ; les fenêtres,
hautes et claires, étaient ornées de précieuses verrières, chefs-
d'œuvre exquis et délicats. » « Mais l'or et l'argent des sacristies, les
reliques dont les clercs avaient la garde, tout cela a été pillé par
' V^oy. Bezold, Zur Geschichte des Husitenthums, p. 17-19. Les taborites s'intitu-
laient « les zélateurs de la loi de Dieu > . — Voy. Höfler, Geschichtschreiber der
Husitischen Bewegung, t. I, p. .388. « Se legis Dei zelatores appellantes. » —
Voy. Lechler, 1. 1, p. 471. Les hussites désignaient comme le but de leur révolte
« la mise en pratique de la loi de Dieu dans toutes les saintes vérités démontrées
par la sainte Écriture -. — Voy. Höfler, Geschichtschreiber, t. I, p. 425.
- Voy. HÖFLER, t. II, p. 347.
27.
420 PRINCIPES SOCIALISTES DES HUSSITES ET LEURS RESULTATS.
ce peuple de Gomorrhe, qui s'est arrogé le droit d'en disposer. De
vastes abbayes, de splendides églises ont été dévastées, et ceux qui
mettaient la main sur ces trésors se disaient autorisés à les garder
pour eux. Les lois de l'Eglise ne comptaient plus pour rien, et la
terre de Bohême put, en ce temps-là, se glorifier d'un plus grand
nombre de martyrs que tout autre pays, tant il y eut alors de chré-
tiens massacrés pour la foi. Tels furent les crimes impunément
commis par ces misérables fils de Satan '. »
Les femmes surtout se montrèrent féroces et avides. Presque tous
les habitants de Komotau périrent par le feu et l'épée. Partout » la
propriété des infidèles retournait aux mains des croyants ». Exer-
çant en tous lieux leur fureur sauvage, les hussites se vantaient néan-
moins de " l'extrême indulgence dont ils usaient envers les ennemis
de la foi, les oppresseurs de l'innocence, les transgresseurs criminels
et endurcis de la loi de Dieu* ».
Dans une adresse au conseil de Prague, une fraction du parti hus-
site propose l'adoption de douze articles principaux. Ces articles
réclament l'abolition de tous les droits « contraires aux commande-
ments de Dieu. L'abrogation du droit existant était le premier pas à
faire vers le but qu'on voulait d'abord atteindre : le libre usage des
eaux, forêts et pâturages pour tous. Dans l'administration de la jus-
tice, tout devait être basé sur le droit divin. Les corvées et les dîmes
seraient supprimées, toute distinction entre les classes abolie, toute
subordination détruite. Les hommes étant frères, nul d'entre eux
ne devait être soumis à qui que ce fiit. » D'autres voulaient la com-
plète communauté ûes biens : personne ne devait plus posséder
une propriété particulière. Celui qui gardait un bien pour lui tout
seul était en état de péché mortel. Les fils de Dieu s'apprêtaient
< à poser le pied sur la nuque des rois », et tous les royaumes qui
sont sous le ciel allaient leur être livrés. La souveraineté appartenait
au « peuple », aux « élus »; les villes, les villages, les bourgs allaient
être livrés au pillage et à l'incendie*.
' Chroniken der deutschen Städte, t. III, p. 176-177.
- Voy. ZÖLLNER, p. 39-48.
* Voy. ces passages dans Hofler, Geschitschreiber, t. I, p. 385, et t. II, p. 435. —
Voy. Lechler, t. II, p. 471-472. — Bœhm, p. 76. — Bezold, Zur Geschichte Husiten-
thums, p. 43-45, 50. " L'idéal social et politique de l'insurrection de Bobêine »,
dit Bezold (p. 54), » les efforts des meneurs pour organiser puissamment tout
l'ensemble de la vie humaine dapiès certaines théories, élèvent le mouvement
hussite à la hauteur d'une véritable révolution, et nous autorisent à l'assi-
miler aux plus grands ébranlements politiques de la vie des peuples modernes.
Les hussites veulent l'égalité dans les ressorts les plus divers de l'ordre
social, dans les questions de propriété comme dans la répartition des biens
plus élevés de l'humanité. Ils réclament la suppression de toute distinction
sociale, entre les prêtres et les laïques comme entre les seigneurs et le peuple;
PRINCIPES SOCIALISTES DES IIUSSITES ET LE[;RS RESULTATS. iH
« Pendant les longues et cruelles années de cette guerre funeste,
terres et gens furent ruinés; la Bohême, autrefois si prospère', fut
transformée en terre de désoialion et d'horreur. - La bourgeoisie
tomba dans la plus profonde misère; le prolétariat prit des propor-
tions effrayantes; les paysans furent assujettis au plus oppressif ser-
vage. Pour les séduire et les décidera prendre les armes, on leur avait
prodigué de brillantes promesses. On leur avait assuré que les dimes,
les corvées des seigneurs temporels et spirituels allaient être suppri-
mées, quMls auraient tous également droit à la pêche, à la chasse,
aux pâturages; que les biens « du clergé, du roi et des seigneurs » leur
seraient abandonnés. Aussi, exaltés, affolés par de telles perspectives,
s'étaient-ils montrés les plus audacieux d'entre les ' soldats de Dieu »
de l'armée taborite. " Mais leurs prétendus libérateurs se chan-
gèrent promptement en maîtres et en « tyrans ", et les traitèrent
comme de vils esclaves ^ »
Dans le domaine religieux, l'hérésie de Bohême engendra la tyran-
nique et pitoyable Église d'État des utraquistes'; dans l'ordre social
et politique, elle ruina la prospérité nationale et mit le peuple sous le
joug écrasant des oligarchiques, rendus plus arrogants que jamais
par la victoire.
<• Le royaume de Bohême, autrefois si florissant », avouait en pré-
sence de l'inexprimable détresse du pays l'utraquiste Laurent de
Brezova, < est donné en spectacle à tous les peuples, et semble
destiné à leur servir d'exemple. ' « La Bohême est devenue la risée
des nations ! " s'écrie douloureusement un Tchèque catholique con-
temporain*. On reconnaissait, mais trop tard, la sagesse de l'Uni-
l'abolition de tous les privilèges accordés jusque-là à la naissance, à l'éduca-
tion, à la fortune. Leurs plans renferment de vagues conceptions de la sou-
veraineté du peuple, de l'émancipation des femmes, et visent à la suppression
de toutes les barrières établies par les lois et la morale. -
' Voy. ce qu'un Silésien du seizième siècle écrivait sur l'antique période de
la gloire de la Bohême, dans IJofler, Geschicktechreiber, t. III, introduction,
p. 44-45.
- Pour plus de détail sur ce point, voy. Bezold, p. 55-63, voy. p. 75-94.
" La population des campa[;nes, loin d'avoir vu s'améliorer son sort, était
réduite à une détresse qui rappelle la triste période de la guerre de Trente ans;
ce lamentable état de clioses paralysa nécessairement chez les paysans toute
force de réaction contre l'asservissement complet qui n'était que trop à
prévoir. ^ « Ce funeste revers de médaille du taboritisme n'a pas, jusqu'à
présent, été mis dans un relief suffisant, même par des historiens comme
Palacky et Zöllner. » " A la fin de la guerre, un grand nombre de villages
avaient complètement disparu; le peuple des campagnes, ruiné moralement
et matériellement, était tout prêt pour le servage. - • La noblesse mit le
pied sur la nuque des paysans, et bientôt ceux-ci tombèrent dans le plus dur
servage. »
* Bezold, p. 94. « La Bohème fut dévastée et épuisée non-seulement matériel-
lement, mais moralement. »
* Voy. Bezold, p. 104.
422 INFLUENCE DU RADICALISME HUSSITE EN ALLEMAGNE.
versité de Paris, qui, appelée à apprécier la doctrine de Jean Huss,
avait prédit que cette hérésie pernicieuse, féconde eu lamentables
crimes, ne pourrait qu'entraîner les peuples à Tinsouraission, à la
révolte, et finirait par attirer sur le pays assez malheureux pour
l'accueillir la malédiction de Cham. Dès 1424, le cardinal légat
Branda avait exprimé les mêmes appréhensions. La répression des
hussites, selon lui, n'intéressait pas seulement la foi et l'ÉgUse :
l'équilibre de la société en dépendait '. " La plus grande partie
des hérétiques ', écrit-il, ' veut la communauté des biens, et
soutient qu'on ne doit aux autorités ni dime, ni tribut, ni obéis-
sance. Or, par ces principes, toute civilisation est détruite; les
lettres, les arts, les sciences, en un mot toute culture intellectuelle
est ruinée. Les hussites regardent comme non avenus les droits
divins et humains, et ne songent qu'à s'en débarrasser par la vio-
lence. Les choses iront si loin, que ni rois, ni princes dans leurs
royaumes ou principautés, ni bourgeois dans leurs villes, ni parti-
culiers dans leurs propres maisons ne seront plus en sécurité, car
cette abominable secte ne s'en prend pas seulement à la foi, à
l'Église; dirigée par Satan, elle déclare la guerre à l'humanité tout
entière, dont elle attaque et renverse tous les droits ^ «
II
L'influence du radicalisme hussile dans les pays avoisinants ne
tarda pas à se faire sentir en Allemagne de la plus effroyable
manière ». « Les Bohèmes inspiraient un effroi général >, rap-
portent les documents désignés sous le nom de Chronique de hlin-
(jetnherg. u Tous les gens de bien craignaient que l'iniquité et la
détresse hussites ne vinssent à gagner les autres pays, accablant à la
fois les bons, les justes et les riches. Quant aux paresseux, aux gens
dissolus, ennemis de tout travail, et en même temps mutins, voluptueux
et farouches, ils trouvaient l'idée et l'occasion bonnes. Beaucoup,
dans les divers territoires allemands, gens tout aussi vils et dépravés
que les Bohèmes, prônaient la secte et les abominations hussites dès
qu'on paraissait tolérer quelque peu leurs discours; lorsqu'au con-
' " Conservacio societalis humane. »
* Voy Bezold, p. 51-53. Le conseil de Constance écrivait en 1416 à propos
d«s dangereuses conséquences politiques des doctrines de Jean Huss : « Me-
îuendum est, ne eveniat irrecuperabilis ïactura, qua una cum recta fide et ipsum
regnum periclitetur, et cum spiritualibus temporalia una parili ruina involvan-
tur. •
INFLUENCE DU RADITALISME IMSSITE EN ALLEMAGNE 423
traire ils croyaient comprendre que la conscience publique les repous-
sai!, ils cacliaienf avec soin leurs sentiments, évitant de les exprimer
devant les bons et les sages. Donc les Holiùmes comptaient en Alle-
magne un grand nombre de partisans secrets, surtout parmi le bas
peuple. Comme à cette cpo(iueles esprits étaient trés-excités contre les
prêtres, le peuple prêtait volontiers l'oreille aux partisans des lius-
sites, parce qu'ils avaient toujours le clergé à la bouche et répétaient
sans cesse que le riche devait partager son bien avec ses frères'.
De bonne heure, les hussites recueillirent de nombreuses adhé-
sions en Silésie, en Saxe et en Franconie*. Des aventuriers, de
farouches lansquenets, habitués au vol et au brigandage, et ayant
pour la plupart servi dans les armées hussites, propageaient le
« poison de Bohème » dès leur retour en Allemagne. Les plus zélés
apôtres des principes socialistes parmi les classes pauvres des villes
et des campagnes furent ces gueux, ces scélérats, ces misé-
rables bandes de soldats bohèmes qui, dans la seconde moitié du
quinzième siècle, avaient trouvé du service dans presque toutes les
guerres, et maintenant, devenus soudain les « défenseurs du droit
divin », volaient et assassinaient impunément quiconque s'opposait
à eux ^
La première insurrection de paysans éclata dans les environs
de Worms, où peu de temps auparavant le prêtre saxon .lean
Drandorl avait expié sur le bûcher ses prédications hérétiques
(1431)*. Environ trois mille paysans armés de piques, d'arbalètes,
revêtus de cuirasses et bannières déployées, se présentèrent aux
portes de Worms, demandant qu'on leur livrât tous les Juifs de
la ville dont l'usure, disaient-ils, les réduisait à la dernière misère.
Bientôt l'émeute prit une telle extension que les habitants de
Worms exprimèrent la crainte aux états des villes libres réunis à
Ulm, que l'Empire et la chrétienté n'eussent plus à redouter des
paysans allemands que des hussites. C'était précisément de cette
manière que l'hérésie s'était déclarée en Bohême, s'attaquant
d'abord aux autorités ecclésiastiques et séculières, aux clercs et
aux notables, c'est-à-dire au gouvernement aristocratique. Les
états devaient de toute nécessité prendre des mesures énergiques
contre ces rebelles ^ La nouvelle du progrès des doctrines hussites
' Die klingenberger Chronik, publiée par lleDiie de Sargans (1861), p. 198. — Bezold,
Die ' armen Leute « , p. 16-17.
* Voy. ces documents dans Zöllner, p. 72-75. — Lechler, t. II, p. 485-489. —
BœHM, p. 106-112.
^ Voy. Palacky, Gesch. ron Böhmen, 4", p. 504.
* Voy. K RUMMEL, dans les Theol. Studien und Kritiken, LXII% p. 133-144.
^ Pour plus de détails, voy. Bezold, Der rheinische Bauernaufstand, p. 129-
149.
i24 INFLUENCE DU RADICALISME HUSSITE EN ALLEMAGNE.
parmi les ' pauvres gens d'Allemagne parvint jusqu'à Rome '.
Les ligues formées par les princes, seigneurs, chevaliers et villes
avaient appris aux paysans la marche qu'ils devaient suivre. Pour
s'entendre, il fallait d'abord se réunir en grandes troupes, convenir
d'un plan de campagne, puis faire choix d'une bannière, afin de bien
désigner la classe à laquelle on appartenait et le but qu'on se propo-
sait d'atteindre par l'association des forces. Les paysans prirent pour
signe de ralliement le gros soulier lacé- qu'ils portaient d'ordinaire;
ils l'attachèrent à leurs piques ou le peignirent sur leurs étendards.
C'est depuis ce temps que toutes les émeutes des campagnes ont été
désignées sous le nom de Bundschuh^.
Les révoltés allemands, comme les taborites de Bohême, élirent
des nobles pour chefs, « gentilshommes ruinés, écrasés de dettes ",
qui espéraient gagner quelque chose au tumulte et, comme on dit,
pêcher en eau trouble. Assez fréquemment ces " enfants perdus "
se chargeaient de soulever les campagnes. C'est ainsi qu'Anselme
de Massmünster, gentilhomme alsacien, déploya, en 1486, l'éten-
tard de la révolte; il avait pris un varlet de [Zäsingen pour aide de
camp. En peu de temps, deux mille révoltés s'étaient joints à lui;
« tous avaient juré haine au monde entier* ».
' Notre triomphe se chargera de vous apprendre ce qu'on peut
gagner au Bundschuh , disait un jour un paysan àTrithème. « Nous
voulons nous affranchir, comme les Suisses, du joug qui pèse sur
nous, et, dans les questions spirituelles, partager l'autorité avec les
clercs, comme les hussites\ "
En Carinthie (1470), les paysans révoltés manifestaient les mêmes
désirs. Les insurgés voulaient voir - la noblesse humiliée, les prêtres
assujettis à leur domination ' , et réclamaient le droit d'élire ou de
déposer, selon leur volonté et bon plaisir, les curés et les clercs®.
Les exigences et réclamations de Hans Böhm ', le joueur de corne-
muse de Niklashausen, allaient encore beaucoup plus loin. Böhm
fut, sur le sol allemand, le premier apôtre de l'état de nature social
et individuel.
S'appuyant sur la -■ sublime mission « qu'il disait avoir reçue de
' Voy. BœHM, p. 109-110.
ä Sur le dicton populaire " Et caetera Bundsclnili >, voy. Liebp.echt dans la
Germania de Pfeifl'er, t. V, p. 482, et dans la Zeitschrift für deutsche Kulturgeschichte ,
1872, p. 354. Voy. plus Laut, p. 171, note 1.
- Voy. Bœhm, p. 109-110.
* Voy. Ocns, Gesch. von Basel, t. IV, p. 176.
* * Codex des Klosters Camp am A'iederrhein, p. 71.
* Unrest est surtout à consulter pour tout ce qui concerne celte insurrection,
p. 631-642. — Voy. Chmel , Monum. Habib. , t. I, 2, p. 866-882.
^ Voy. sur Böhm B.\r..iCK, p. 6-97. Ullmann, t. I. p. 421. Zollneu, p. 76-79.
BOBHM, p. 120-126.
INFLUENCE DU H A I) I f A M S M E II U S S I T E EN ALLEMAGNE. 425
Dieu, Böhm prêchait aux foules, avides de l'entendre, se plaisant,
disait-il, à les réjouir en leur offrant la parole du Seif^oeur defjajjee
de tout alliage. 11 disait que le royaume de Dieu était j)roclie, et que
désormais il n'y aurait plus ni pape, ni empereur, ni autorité quel-
conque; toute différence entre les classes allait être supprimée.
L'égalité fraternelle régnerait entre tous. Les princes ecclésiastiques
et laïques av;iieut accumulé tant de trésors! s'ils étaient partagés,
tout le monde aurait suffisamment de quoi vivre, et c'est ce résultat
qu'il s'agissait d'atteindre. Les dîmes, taxes et douanes allaient être
abolies. La chasse, la pêche, les prairies .«serviraient aux besoins illi-
mités de chacun; on verrait bientôt les princes et les seigneurs
forcés de gagner quotidiennement leur vie. Le temps approchait où
les prêtres allaient être mis à mort; une forte récompense serait
alors décernée à celui qui aurait eu la gloire d'en massacrer trente.
L'égalité fraternelle, la suppression des corvées, l'abolition de
toute autorité, voilà ce que le peuple appelait le véritable Évan-
gile , et celui qui le lui annonçait était à ses yeux un homme de
Dieu ayant, comme le Christ, pitié des foules. « Donc le peuple
surexcité se leva bientôt en masse ' , écrit Sébastien Brant; de
tous les points de l'Allemagne, il accourait vers son joueur de cor-
nemuse. Le « saint jeune homme r, comme il l'appelait, eut bientôt
tant d'auditeurs venus de Bavière, de Souabe, d'Alsace, du Rheingau,
de Wettéravie, de Hesse, de Saxe et de Misnie, qu'à certains
jours plus de trente mille hommes campaient dans le petit village de
]NikIashausen et dans les environs. ^ Les compagnons ouvriers «,
rapporte le chroniqueur Conrad Stolle, < quittaient à la hâte leurs
ateliers; les valets des métairies voisines abandonnaient la charrue,
les fîlles de ferme accouraient tenant encore eu main leur faucille,
tous sans même avoir pris congé de leurs maîtres et seigneurs, et
dans les mêmes habits qu'ils portaient au moment où l'irrésistible
envie d'aller à Mcklashausen s'était emparée d'eux. La plupart
n'avaient pas de quoi manger; mais ceux chez qui ils arrivaient se
chargeaient de les héberger; entre eux, ils se donnaient les noms de
frères et de sœurs. Ces pauvres exaltés faisaient porter devant eux
des bannières, et maichaienî au chant de cantiques inspirés par la
chimère qui îcs avait entraînés.
Mais le joueur de cornemuse ayant un jour engagé les milliers
d'auditeurs qui se pressaient autour de lui à laisser femmes et enfants
au logis et à revenir à une date indiquée avec des armes, on mit
la main sur lui; il lut conduit à Wurzbourg. . Le jour où Hans
Böhm fut pris •■•■ , raconte StoUe, " on le trouva assis dans une taverne,
préchant tout nu à son auditoire. « Quelque temps après, une
horde d'environ dix mille fanatiques résolut d'aller le délivrer, et
426 INFLUENCE DU RADICALISME HUSSITE EN ALLEMAGNE.
quatre gentilshommes, vassaux cleTévêquede Wurzbourg, s'offrirent
à les commander. Mais à l'aspect des canons de la forteresse, épou-
vantés par la cavalerie envoyée pour les mettre à la raison, ces
pauvres gens se dispersèrent. Hans Böhm fut brûlé vif; les nobles
qui s'étaient mis à leur télé ne durent leur salut qu'à la fuite.
Hans Böhm n'avait été que l'instrument d'une vaste conspiration
ourdie par un hussite caché au fond d'une caverne, dans les envi-
rons de Niklashausen, le curé du village et un ex-Franciscain. De
jeunes seigueurs lui avaient appris son rôle, ainsi qu'il l'avoua
durant son interrogatoire. Le chevalier Conrad de ïhunfeld déclara
également avoir cherché à soulever le peuple contre l'évèque de
Wurzbourg^ son légitime seigneur. Le comte Jean de Wertheim
lui-même fut soupçonné d'avoir encouragé le mouvement \
On parvint à l'étouffer, mais non pas à effacer des esprits les
séduisants espoirs que le joueur de cornemuse avait fait naitre.
Rentrés chez eux, les paysans propagèrent ses doctrines, surtout
en Souabe.
Parmi les écrits chargés de les répandre, il faut citer en premier
lieu la Réforme de l'empereur Sigismond. Ce livre, composé en 1438
par un prêtre séculier, parut pour la première fois en 1476,
l'année même où les discours du joueur de cornemuse faisaient une
si profonde impression sur les masses. Il fut plusieurs fois réédité
entre 1480 et 1497^
< L'obéissance est morte >:, lisons-nous dès les premières pages
de l'ouvrage; " la justice souffre violence, plus rien n'est en sa place,
aussi Dieu nous retire-t-il sa grâce, et cela est juste. » " Les chefs
spirituels et temporels laissent dépérir ce que Dieu leur avait confié.
C'est pourquoi tout doit être réorganisé, et à cette réorganisation,
les petits surtout sont appelés à participer. Ceux qui s'opposent le
plus à la loi de Dieu sont les savants, les sages selon le monde et
les puissants du siècle; mais les petits crient vers Dieu, le suppliant
de les secourir et de les remettre dans la voie de l'équité. » « Le droit
canon est malade, l'Empire et tout ce qui lui appartient défend et
soutient l'iniquité, il faut donc le renverser par la force. Quand les
1 Barack, p. 101.
- Stolle, p. 134. — Voy. Barack, p. 85-97.
' Sur les diverses éditions de cet écrit, voy. Bœ:hm, p. 6-18. - La réforme de
l'empereur Sigismond est le premier écrit révolutionnaire qui ait été publié
en allemand. Si l'on a appelé une certaine chronique tchèque rimée du qua-
torzième siècle la « trompette de la guerre hussite, - notre Réforme pour-
rait à bon droit s'intituler la - trompette de la guerre des paysans, ^ car
l'histoire de ses divers manuscrits et éditions démontre que ce ne fut que long-
temps après avoir été composée qu'elle vint à se répandre et à avoir de l'action.
C'est précisément en 1520 qu'elle eut le plus d'influence. » — Bezold, Die u armen
Leute ., p. 26-27.
INFLUENrE DU li A D I f: A II S M E IIUSSITE EN AI.I-EMAGNE. '«27
grands sommeillent, les petits oui le devoir de rester éveillés, afin
(jue le plan de Dieu puisse se poursuivre. >: « Les humbles seront
élevés, les puissants abaissés, le Christ lui-même Ta dit dans IKvan-
ftile, et les apôtres l'ont répété après lui dans leurs épitres'. >i
Les petits et les humbles sont appelés à fonder le régne de la
liberté et de l'égalité sur la terre : " N'est-ce pas une chose inouïe
que, dans la sainte chrétienté, il faille rapprendre aux chrétiens que
riiomme qui a l'audace de dire à son frère : « Tu m'appartiens «,
commet un crime abominable? Songez-y bien, Noire-Seigneur Dieu,
par ses plaies, par sa mort subie volontairement pour nos péchés,
a payé notre rançon et nous a délivrés de toutes les chaînes qui nous
retenaient captifs, en sorte que désormais personne n'a plus le droit
de s'élever au-dessus de ses frères. Nous sommes tous également
affranchis et libres, les nobles comme les roturiers, les riches comme
les pauvres, les grands comme les petits. Celui qui croit et qui est
baptisé est membre du Christ Jésus. Oue chacun sache bien que
celui qui ose revendiquer un droit de propriété sur les chrétiens ses
frères n'est déjà plus chrétien, s'oppose au Christ, et pèche contre
tous les commandements de Dieu. " Si un noble contredit cette
vérité, il faut le supprimer; si une abbaye la nie, il faut la détruire
de fond en comble, et ce sera faire une œuvre pie. Nous ne devons
plus tolérer que personne, prêtre ou laïque, s'élève au-dessus des
autres. Laissez-nous le soin de nos intérêts, laissez-nous jouir de
notre pleine liberté. Tous ceux qui appartiennent à Dieu s'en réjoui-
ront; mais tolérer l'état de choses actuel, ne pas chercher à porter
remède à un mal qu'on pourrait facilement guérir, c'est courir à
l'enfer avec les méchants, sans que rien puisse en délivrer, car ce
péché surpasse tous les autres en malice; c'est le péché par excel-
lence. »
La liberté chrétienne exigeait encore la suppression des corvées,
du ban et autres tyrannies : " On interdit les forêts aux paysans, on
les taxe, on leur enlève le droit de pâture. Pour eux, point de misé-
ricorde; on les écrase d'amendes, et cependant on vit de leur tra-
vail, car sans eux qui pourrait subsister? C'est le laboureur qui
nourrit les bêtes des bois, les oiseaux de l'air.. On ne doit pas mettre
l'interdit sur les forêts ou sur les champs. De même, ou leur ôte les
rivières, et cependant elles suivent librement leur cours, portant
leurs bienfaits dans tous les pays. On eu est venu à un tel point,
que, si l'on pouvait mettre en contrainte la nature entière, on le ferait.
Ce que Dieu a ordonné, nous nous apercevons qu'on n'en tient
aucun compte; au contraire, on le contredit. Les animaux privés de
' Dans BoEHM, p. 161 , 1 70, 225, 237.
428 INFLUENCE DU RADICALISME HUSSITE EN ALLEMAGNE.
raison devraient protester contre nous, et nous crier : Pieux et
braves chrétiens, après tant d'avertissements, prenez donc à cœur
toutes ces criantes iniquités! Il n'eu est vraiment que temps, con-
vertissez-vouSj de peur que Dieu n'exerce sur vous sa sévère justice! '
L'homme de petites ressources était opprimé aussi bien dans les
villes que dans les campagnes. L'enchérissement et les compagnies
commerciales devaient être supprimés, ainsi que les corporations :
i autrement chacun se plaint d'être lésé; tout le monde l'est dans
les villes; aussi seigneurs et paysans, tous ont les villes en hor-
reur. Si tout était mis en commun, les seigneurs seraient bien obli-
gés de se résigner à n'être pas plus que les autres. Il faut empê-
cher que personne exerce plus d'un métier, d'une industrie. Le prix
des denrées, les salaires des paysans et des ouvriers doivent être
fixés par des experts jurés , choisis par les ouvriers K -.^
Dans les questions religieuses, « le spirituel doit être nettement
séparé du temporel -. Pour arriver à ce but, il faut avant tout con-
fisquer les biens du clergé; un traitement fixe sera ensuite attribué
à chaque clerc. Ainsi, par exemple, un curé « touchera par an quatre-
vingts florins du Rhin, et cette somme suffira à rétribuer tous ses
services; il ne lui reviendra en sus ni taxes, ni dimes. Il sera défendu
à tout prêtre d'avoir plus d'un bénéfice, à quelque rang qu'il appar-
tienne ^ '
Si quelqu'un ose s'opposer à ces nouveaux règlements, fût-il sou-
verain spirituel ou temporel, « son corps sera recommandé à tous ,
c'est-à-dire livré en pâture aux oiseaux du ciel; - son bien sera saisi
et confisqué, car Dieu n'a que faire de rebelles >;. Les clercs réfrac-
taires, évêques, docteurs ou prêtres, perdront leurs charges et leurs
bénéfices. ' Si les couvents refusent d'obéir, ils seront détruits de
fond en comble, parce que Dieu exige des siens une loyale obéis-
sance, et que celui qui ruine une propriété injustement acquise est
agréable à Dieu. " Pour établir cette loi nouvelle, tous sont invités
à s'employer et à se servir du glaive; < Dieu n'abandonnera pas les
siens. Si l'on met la main à l'œuvre avec entrain, crois-moi, tout
marchera de soi-même. Que tout le monde se rassure! Nous savons
que tout réussira avec l'aide et la force de Dieu, pourvu que nous
restions fidèles au Seigneur et ayons égard à sa loi. "
« Quand notre liberté sera reconnue par le monde entier, les
grands chefs perdront soudain leur pouvoir. Car, remarque-le bien,
qui voudrait agir contre soi-même? qui pourrait préférer la servi-
tude à la liberté? Or le Christ Jésus, dans sa sollicitude paternelle,
' BœHM, p. 216-220, 221-228, 235. — Voy. p. 170.
^ BœHM, p. 231, 172-195.
PRÉLUDES I)F, LA l'.ÉVOLUTION SOCIALE. 42'J
a mis celle liberlé i\ la porlée de loiile rhumanité. La vie élernelle
s'offre à nous ; celui qui ne veul pas recevoir notre doclrine n'est
déjà plus chrétien; qu'il le sache bien, renier est ouvert devant ses
pas. Donc, nobles chrétiens, chrétiens libres, à l'œuvre, si nous
tenons à mériter un jour la paix éternelle ' ! »
De fréquentes émeutes de « pauvres gens >, ayant toutes pour
prétexte l'obtention de réformes tantôt modérées, lanlôl exorbi-
tantes, se produisirent de tous côtés dans les dix dernières années
du quinzième siècle.
En 1486, une insurrection éclate en Bavière; " un certain maître
Mathieu Korsang, d'Aup,sb<)urp;, la prêche et l'excite* ».
En 149t et 1492, les vassaux de l'abbaye de Kempten arborent le
Bundsc/nihct choisissent pour capitaine Georges Hugo d'Unterasried,
que le prince abbé appelait à bon droit « le nouveau Jean Huss^ ».
En 149.3, des tenanciers de l'évéque de Strasbourg forment un
complot pendant la nuit dans le lieu secret de leurs assemblées, la
Hungersberg, au nord-ouest de Schelesfadt, entre Andlau et Ville.
Ce Bundschu/i recruta beaucoup de partisans dans les villes d'Alsace.
Un grand nombre de déclassés, de gens sans aveu, s'engageaient par
des serments secrets à poursuivre certains buts : c A l'avenir , lit-
on dans les articles de leur association, « le peuple ne payera d'impôt
que lorsque cela lui conviendra. Chaque commune aura son tribunal
particulier, les .Juifs seront dépouillés et expulsés du pays, les
prêtres n'auront plus droit qu'à un seul bénéfice. L'année jubilaire
sera proclamée, elle annulera toutes les dettes; les douanes et autres
impôts seront supprimés. -' Mais le complot fut découvert à temps;
ceux qui y avaient pris part, et sur lesquels on put mettre la main,
furent très-rigoureusement punis. Les deux principaux meneurs
furent écar télés à Bâle *.
Néanmoins ce Bundschuh eut de redoutables suites, comme les
condamnés l'avaient annoncé avant de subir le dernier supplice.
<' On s'aperçut bien vite, aux soulèvements toujours renaissants
qui éclataient dans le pays, que le poison de Bohême avait fait
dans l'esprit populaire de terribles ravages. Les riches, ceux qui
avaient de gros revenus, étaient dans l'effroi, car il était évi-
dent que, si les rebelles venaient à triompher, ils commenceraient
' BOEHM, p. 169, 206, 247.
- HORMAYER, Taschenbuch, 1834, p. 147.
^ Haggenmullf.r, Gesch. von Kempten, t. I, p. 415. — ZIMMERMANN, t. I, p. 290-302.
Les tenanciers de l'abbaye de Kempten eurent surtout à souffrir.
* Berler Chronik dans le Code historique de la ville de Strasbourg, t. I, p. 104. —
Voy. Zimmermann, t. I, p. 141-145. Sur une conspiration de cinq cents tenanciers
de l'abbaye d'Ochsenhausen de 1497 à 1502, voy. Stalin, t. I\ , p. 94.
430 PRÉLUDES DE LA REVOLUTION SOCIALE.
par renverser toute autorité, refuseraient de payer l'impôt ou la
dime, réclameraient une liberté sans limites, et surtout l'égalité des
biens '. "
i< Pour nous affranchir ' , disaient les articles d'un Bundschuh sou-
levé dans l'évéché de Spire (1502), " nous nous sommes réunis, réso-
lus de conquérir notre liberté par les armes. » Nous abolirons et
détruirons toute autorité, souveraineté, domination quelconque;
nous marcherons contre les puissants, bannière déployée, et tous
ceux qui ne voudront pas nous rendre hommage seront massacrés. »
Les conjurés ne reconnaissaient pour chef et pour maître que le roi
des Romains. Ils se proposaient de confisquer et de partager les
biens du clergé et de la noblesse; dîmes, douanes, taxes et impôts
allaient être abolis. « L'eau, les forêts, les prairies, le pâturage,
les landes, le gibier, les oiseaux, la chasse et la pêche, tout allait
être laissé à la libre disposition de chacune «
En peu de temps, les révoltés étaient au nombre de sept mille;
quatre mille femmes environ, < gagnées, elles aussi, à la cause de la
liberté », s'étaient jointes à eux. 11 fut convenu qu'à la Saint-Georges,
on se réunirait en armes devant les murs de Bruchsal. Mais cette
conspiration fut découverte avant que d'éclater; tous ceux qui, de leur
plein consentement, en avaient fait partie et dont on put s'emparer,
périrent de la main du bourreau ^ Beaucoup se sauvèrent en Suisse,
dans la forêt Noire, dans le Brisgau ou dans le Wurtemberg.
Parmi ces fugitifs se trouvait un des chefs les plus ardents de
la conspiration, Jost Fritz, chef et séducteur du peuple, révolu-
tionnaire exalté. « Son langage était doux et mielleux; il savait
bien où le soulier blesse le pauvre homme, et la dure condition oii
le réduisaient les Juifs et autres usuriers, avocats, coupeurs de
bourses, princes, nobles, seigneurs ecclésiastiques, etc. « < Il ne
réclamait pas seulement la répression des abus, il voulait une révolu-
tion radicale, et, soutenu par les gens du peuple et tous les amis du
désordre, rêvait de devenir lui-même grand, puissant et riche \ r.
' Glos und Commenl auf L XXX Arlicheln, Bl. D-.
- Ils se disaient l'un S l'autre ;
Il nous faut un mot de guerre,
Le \oici, si j'ai bien compris :
« Brave camarade, qu'en penses-tu? »
« Le pauvre hom.ne ne peut plus guérir! "
LlLIE.NKROX, t. m, p. 135.
•* Trithem, citron. Hirsaug. ad a. 1502. — MO\E, Badisches Archiv , t. If, p. 168-169.
— Franc/uris Beichscorresponderiz, t. H, p. 666-669. — Geissel a fort bien traité
ce sujet, voy. Kaiserdom, p. 242-248.
' * Ce portrait juste et concis est tiré de la lettre d'un fonctionnaire public
de Brisgau, Georges Roheisen, 13 novembre 1514.
PKÉLUDES DE LA RÉVOLUTION SOCIALE- i'.U
Autrefois lansquenet, il avait pris part à des expéditions, à des
batailles; aussi avait-il, aux yeux de ses compagnons, le prestige
d'un véritable capitaine. Pendant plusieurs années, il travailla se( rè-
tement la forêt Aoire, le Brisgau, et parvint à soulever les pauvres
paysans et tous ceux qui « aiment à trouver beaucoup de nour-
riture et peu de besogne '. Comme le joueur de cornemuse, il
entrait en fureur à propos des vices sociaux trop mollement répri-
més par l'autorité et de l'exploitation des pauvres par leurs sei-
gneurs. « H avait un langage si séduisant, que chacun croyait
toucher à la félicité et devenir riche rien qu'en l'écoutant. » Les sei-
gneurs avaient fini leur temps, disait-il ; les impôts, les douanes iniques
allaient être supprimés. L'eau, les bois, les pâturages appartien-
draient désormais aux pauvres comme aux riches. On s'opposerait
à la cupidité des grands usuriers; on revendiquerait les anciens
droits, usages et coutumes dont les petits avaient été dépouillés
par la violence. Les perpétuelles guerres privées dont le peuple
était la victime le ruinaient; la paix perpétuelle allait être pro-
clamée dans toute la chrétienté, et nul ne resterait en vie qui
oserait y porter atteinte '. Celui qui avait le goût de la guerre serait
envoyé, muni d'une somme d'argent pour sa route, vers les Turcs
et les mécréants. Après l'organisation du Bundschuh et lorsque les
armées des opprimés seraient rassemblées, on avertirait l'Empereur
de ce qui se préparait, en l'invitant à prendre la direction de la
ligue. Tous ces plans étaient inspirés par Dieu même, assurait Jost
Fritz aux pauvres paysans accourus en foule pour l'entendre aux
assemblées nocturnes qu'il présidait; ils étaient équitables, conçus
d'après les préceptes de la sainte Écriture, et ne réclamaient que
des choses justes.
• On lit dans un récit rimé du Bundschack de Lelien (voy. Lilie.\kro\, t. III,
p. 137):
Il s'élfve eu ce moment une grande lamentation,
Une violente querelle dans la chrétienté.
Et surtout dans la nation allemande !
Je ne puis memp^cher de dire
Que les Juifs, les païens ou les Tartares
Etaient vraiment mieux régis que nous !
Mais personne ne regarde plus cela comme humiliant!
On vole maintenant beaucoup sur les routes,
Et cela s'appelle jeu de cavalier!
...Si chacun savait garder son rang,
Les choses iraient bien mieus chez nous !
On lit aussi dans la Réforme de l'empereur Sigismond : « Vous princes, vous sei-
gneurs, chacun selon son ränget place, je vous exhorte par le salut de l'Empire,
je supplie aussi chrétiennement toutes les villes sans exception de faire les
plus grands efforts pour éviter toute guerre et de conclure la paix. Celui qui
méprisera cette exhortation n'a pas le droit de s'appeler chrétien. Sa postérité
ne doit plus prétendre à aucun privilège ou fief de l'Empire; il sera considéré
par ses frères comme un païen et un faux chrétien. » — Boehm, p. 234.
432 PRÉLUDES DE LA REVOLUTION SOCIALE.
Les conjurés virent bientôt se joindre à eux un grand nombre de
déclassés, de mécontents, venus du Brisgau, de l'Alsace, delà Souabe'.
Un gentilhomme ruiné et même quelques prêtres lurent enveloppés
dans le complot, et le curé de Lehen, village des environs de Fribourg
devenu le centre du mouvement, déclara que Tenl reprise ^ était
divine et qu'elle avait la justice pour but «. De petits commerçants
réduits à la mendicité, des vagabonds, des colporteurs, des musiciens,
des aubergistes servaient d'intermédiaires et de complices. Les pre-
miers, à un signal donné, devaient mettre le feu à certaines localités
désignées d'avance. On comptait fermement sur l'appui des Suisses:
Ils pensaient entraîner aussi dans leur ligue
Les confédérés avec leurs farouches gars^,
dit une chanson populaire.
Enfin, en octobre 1513, tous les fils du complot étaient ourdis
dans les différents territoires. On devait commencer par un hardi
coup de main, et s'emparer de Fribourg par surprise. Mais au der-
nier moment la conjuration fut découverte. Les bourgeois de la
ville, commandés par le margrave Philippe de Bade, la réprimèrent
avec énergie'.
En même temps, en Suisse, dans les cantons de Lucerne, de
Soleure et de Berne, des insurrections éclataient. La plus considé-
rable fut celle du Wurtemberg (1514), connue sous le nom de
« révolte du pauvre Conrad* ". Elle se rattachait au Bundschuh de
Lehen; mais, tandis que le prolétariat des villes et des campagnes
avait presque exclusivement formé le premier, si bien qu'on avait
eu grand'peine à trouver de quoi acheter une bannière, c'étaient les
citadins et les paysans à leur aise qui s'étaient rais à la tête du
« pauvre Conrad > . Le grand prétexte de la révolte, c'était l'intolé-
rable tyrannie du duc Ulrich. Cet insolent despote avait ruiné le
pays, accablé le peuple d'impôts et, vivant dans la débauche et le
' La conspiration s'étendit encore plus loin : « Les paysans », mandait Tempe-
reur Maximilien le 18 novembre 1513 au conseil de Francfort, « s'assemblent
tout le long du Rhin, et forment entre eux des ligues, des complots contre le
clergé et la noblesse. » Franckfurts Reichscorrespondcnz, t. II, p. 897.
- Pampkilus Gengenbach (publié par Gœdeke, Hanovre, 1856] Lied vom Bundschuh,
p. 388-390.
^ Pour plus de détail, voy. II. ScaaEiBER, Bcr Bundschuch zu Lehen und der arme
Conrad zu Bühl, zwei Vorboten des deutschen Bauernkriegs ^Fribourg, 182^). Les actes
d'enquête sont particulièrement intéressants.
* De même qu'on dit encore aujourd'hui » le riche Kunz » (Conrad), autrefois le
contraire était usité : on disait « le pauvre Conrad • (armer Kunz). Les meneurs
du nouveau régime populaire s'attribuaient eux-mêmes te nom dans un senti-
ment d'orgueilleuse indigence. La populace soulevée ne s'appelait pas autre-
ment que « le pauvre Conrad », et l'on disait communément « être dans le
pauvre Conrad, faire partie du pauvre Conrad ». Stalin, t. IV, p. 99, note 3.
[•[{ÉLUDES DE LA RÉVOLLTION SOCIALE. f:?3
luxe le plus effréné, avait accumulé presque un million de dettes'.
Sans l'assentiment des États, Ulrich avait exigé un pfenning d'impôt
sur chaque florin de capital; de sa prop[-e autorité, il avait établi
une taxe sur l'usage quotidien de la viande, de la farine et du vin,
exigeant que les bouchers, meuniers, boulangei-s, marchands de vin,
vendissent aux anciens prix en diminuant les poids et les mesures, et
que sur les bénéfices ainsi réalisés, une forte somme lui fiU attri-
buée. Bourgeois et paysans s'étaient unis pour résistera une tyrannie
si odieuse. Un coutelier de Schorndorf avait établi dans la ville une
véritable chancellerie ; on venait s'inscrire chez lui de tous les points
du pays. Des agitateurs populaires parcouraient la contrée, soulevant
les masses. A Markgi-onigen, le cui'é de la ville prêchait en faveur du
« pauvre Conrad » et allait jusqu'à encourager ses paroissiens à
se révolter. Enfin les insurgés, s'étant mis en marche, pénéti'èi'ent
dans les villes, et s'en emparèrent. Des émeutes eurent lieu simul-
tanément à Stuttgard, à Tubingue. Le « pauvre Conrad " réclamait
en premier lieu : la suppression des nouvelles charges introduites
par le duc ; puis la liberté de la chasse, de la pèche, la libre entrée
des bois, l'affi'anchissement des taxes et des corvées. Dans les cités,
il voulait le renversement des = honorables », c'est-à-dire des nobles
et des riches boui'geois. Dans les campagnes, il réclamait sa part
dans les pi-opriétés foncières des seigneui's. Beaucoup ne s'étaient
ai'més que par crainte du servage*. C'était pour s'y soustraire.
' Une chanson du temps fail dire à Ulrich :
Je suis jeune et point vieux,
Beau et de belle tournure,
Assez grand et point nabot,
Duc et bourreau du Wurtemberg.
Kilian Leiij, Ann., dans Arétin, t. Vif, p. 633. « Le pouvoir était aux mains des
conseillers ", dit Anshelm (t. V, p. 269) - et ceux-ci, pour le malheur du jeune
et bouillant Ulrich, le dirigeaient et le conseillaient, ne cherchant dans leurs
actes que leur propre intérêt. » L'abbé d'ileilsbronn, sébald Bamberger, dit en
racontant la révolte du pauvre Conrad : « La ligue des paysans suppliait le duc
de gouverner le pays à la manière de ses ancêtres, mais elle ne fut pas exau-
cée. L'imprudent Ulrich marcha contre les révoltés. Au début, il leur tint
un langage conciliant; eux, trompés par ses douces parole-, déposèrent le^,
armes. Alors le duc, avec ses sanglants affidés (cum sanguisugis lateri ejus
adhserentibus), tomba comme un lion furieux sur les paysans. Il en fit déca-
piter quelques-uns, en proscrivit d'autres, et confisqua leurs biens. Beaucoup se
sauvèrent dans les pays voisins, échappant ainsi à son odieuse tyrannie. » —
MüCK, Heilsbronn, t. I, p. 213-214.
- Voy. LiLiENCROx, t. III, p. 140. On lit dans une relation rimée de cette émeute ;
Ils bourdonnaient par-ci par-là.
Comme si le diable était en eux !
Lorsqu'un homme de boa conseil leur représentait
Qu'ils devaient éviter tout ce tumulte.
Ils juraient de le mettre à mort,
S'il continuait un tel discours.
Alors, les bons étaient obligés de se taire...
11- 28
434 PRÉLUDES DE LA RÉVOLUTION SOCIALE.
disaient-ils, qu'ils s'étaient unis aux défenseurs du ' droit divin «,
et qu'ils avaient résolu de « prêter main-forte à la justice' «. Des
tendances communistes ne tardèrent pas à se faire jour parmi les
rebelles. Plusieurs de leurs chefs avouèrent plus tard avoir formé le
dessein de s'emparer des biens du duc, des propriétés des moines,
des prêtres et des nobles, et de massacrer tous ceux qui s'oppose-
raient à eux. Pendant l'émeute, on entendait retentir des cris mena-
çants : " (Jue les riches partagent avec nous! Le jour viendra où
nous passerons nos épées au travers du corps des puissants, et où
leurs entrailles se répandront sur le sol! Maintenant nous avons le
glaive à la main ! Oue le soleil soit notre signe de ralliement ^! '
Pendant l'automne de 1517, une vaste conspiration fut décou-
verte dans le pays de Bade. Toute la contrée située entre les
Vosges et la forêt Noire était comme enveloppée dans un réseau
d'émeutes. Un Bundschuh, qui éclata dans le territoire de Wissem-
bourg, faillit s'emparer par surprise de Wissembourg et d'Hague-
nau; les conseillers, les magistrats, la noblesse, la chevalerie devaient
être massacrés, les taxes et les dîmes, les tribunaux, tous les pou-
voirs, à l'exception de celui de l'Empereur, renversés. On ne devait
plus payer d'impôt qu'à l'Empereur et à l'Église'.
Et forcés de faire leur volonté.
Lorsqu'on demandait à l'un d'entre eux
Ce qu'ils avaient dans la pensée,
Et iiourquoi ils se rassemblaient ainsi sur les montagnes,
Us disaient ouvertement
Que c'était pour la cause de la justice
Qu'ils avaient pris les armes.
0 Marie, douce >lère de Dieu,
Peut-on appeler justice
La persécution criminelle
De tous nos frères
Et des prélats spirituels?
Dieu nous préserve de le penser !
LiLIENCRON, t. III, p. 143-147. 149.
' S.iTTLER, Gesch. U'ürlembcrgs unter den Herzogen, t. I, p. 170. Beilagen, 4", 70. —
VOy. ZÖLLNER, p. 101-102.
- Sur le ' pauvre Conrad - et ses suites, voy. Stalin, t. IV, p. 95-116, p. 98,
note 3, voyez l'indication des sources.
' Voy. "ViRCK, t. I, p. 105-106. Sur la révolte des paysans dans la Styrie, la
r.arniole, la Carinthie, entre 1545 et (516, voy. les renseignements fournis par
Ch.MEL, dans la iVoti:,enblatt, Beilage zum /irchiv fur Kunde OEslerreick. Geschichlsqucllen,
t. I, p. 111-112. — FR.iNCK, Deutsche Chronika,p. 267. Sur les Soulèvements de paysans
dans quelques localités du Tyrol, de janvier à juillet 1521, voy. IIöfler, Zur
Kritik und Quellenhunde der ersten Regierungsjahre Carl's l\ Ahlh. 2, p. 12. Le 15 mars
1521, Ulrich Gebhard de Brauneggen subit la peine capitale, pour avoir tenté
d'exciter une émeute parmi les paysans contre la noblesse. — Kirchmür,
Denkwicrdigheiten, dans les Foules rer. Auslr., t. I, p. 453
CHAPITRE II
CAUSES GÉNÉRALES DE l.A f, É VO L UT 10 .N SOCIALE.
Les émeutes si fréquentes de la fin du quinzième siècle et du
commencement du seizième viennent de nous prouver que la grande
révolution sociale de lô^ô, qui bouleversa simultanément presque
tous les territoires de l'Empire, depuis les Alpes jusqu'à la mer Bal-
tique, n'eut pas pour première origine les prédications et les écrits
des novateurs religieux.
Les paysans " mécontents, insoumis, et devenus partout d'humeur
récalcitrante ", comme le constataient en 1517 les États de Mayence,
n'eussent pas tardé à se soulever dans les villes et dans les cam-
pagnes, même si Luther et ses disciples ne fussent jamais entrés en
scène.
Mais ce fut l'état moral que les troubles religieux avaient créé ou
développé qui imprima à la révolution sociale son caractère d'uni-
versalité et de " cruauté sauvage' >•.
Dès que l'autorité traditionnelle de l'Église eut été systématique-
ment ruinée dans le peuple, la notion même de l'obéissance envers
le pouvoir (comme eu Bohème au siècle auparavant) fut profondé-
ment ébranlée dans les esprits. Des pamphlets incendiaires, inju-
rieux, fanatiques, répandus à profusion contre les supérieurs ecclé-
siastiques et laïques, en flattant les passions populaires, détruisirent
toute discipline, tout respect, et rendirent les peuples avides de
' M\URE\BRECHER, Kalliolisclie Refonnalion, t. I, p. 257, dit avec impartialité : - Ce
serait voir les choses à un point de vue apologétique peu compatible avec la
stricte vérité historique, ce serait étudier les faits sans indépendance que vou-
loir soutenir que la prédication évang^lique de Luther n'ait pas augmenté et
accéléré l'effroyable agitation qui, dès le quinzième siècle, se faisait jour de
tous côtés. Les prédicants luthériens, marchant sur les traces de leur maître,
contribuèrent plus encore que lui au développement des ferments révolution-
naires
28.
4S6 CAUSES GÉNÉRALES DE LA RÉVOLUTION SOCIALE.
posséder une liberté sans frein. En même temps, les prédicants,
comme s'ils se fussent livrés à une industrie réglée, semaient en
tous lieux le mécontentement et la discorde. Des agitateurs
innombrables «, déguisant leur dessein sous Temphase de discours
chrétiens en apparence, et prétendant s'appuyer sur la sainte Écri-
ture, prêchaient au peuple un Évangile de haine et d'envie. Chaque
année, dociles à ces funestes guides, les révoltés devenaient plus
nombreux.
Dès que prévalut l'opinion que l'Église, depuis plusieurs siècles,
avait systématiquement exploité et trompé toutes les nations chré-
tiennes, on en vint bien vite à attaquer l'autorité laïque, alors si
étroitement liée à l'organisation ecclésiastique. On ne voulut plus
voir dans les lois civiles qu'un système corrompu, fondé sur l'ex-
ploitation préméditée des classes inférieures, et leur renversement
sembla commandé par la « justice même de Dieu '•. 11 fallait à tout
prix rompre avec le passé chrétien; on garda aussi peu d'égards
envers les droits et les traditions de l'histoire dans les questions poli-
tiques et sociales que dans les questions religieuses. Un complot,
tramé au grand jour, s'attacha, au moyen du meurtre et du pillage,
" à remettre en haut tout ce qui était en bas », et ne rêva plus que
de livrer les biens de la terre et le pouvoir de ce monde à ceux qui
jusque-là avaient été considérés comme les plus faibles, et n'avaient
compté pour rien. Sans recourir à l'astrologie, on pouvait donc pré-
dire à coup sûr, avec Sébastien Brant, « que la confusion se mettrait
bientôt partout, et que l'on verrait se produire de si horribles événe-
ments que la fin du monde semblerait toute proche > . " O mon Dieu « ,
s'écrie Brant, « viens en aide à la sainte chrétienté! Et vous, prêtres,
écoutez mes avertissements, de peur que vous ne veniez à être pro-
scrits et anéantis! Que Dieu nous regarde tous dans sa miséricorde,
car je prévois que l'Empire romain sera prochainement réduit en
cendres, et que l'honneur de l'Allemagne périra misérablement. Ce-
pendant Dieu peut encore changer la face des choses, rien n'étant
difficile à sa force toute-puissante; mais comme on n'est occupé qu'à
faire le mal, comme on ne veut point rompre avec une conduite scan-
daleuse, je crains fort que notre détresse n'aille encore en crois-
sant. Sans nul doute, grands et petits, vieillards et jeunes gens, nous
sommes tous destinés à assister bientôt à d'étranges changements • ! »
' ZarnCke, Branfs Xarrenschiff^ p. 161-162. — StrOBEL, Xanenschiff, p. 34-35. Une
révolution générale et un nouveau déluge étaient annoncés pour 1524. >• Il y a
quelques années », écrivait Laurent Y riti^ [Geschichte des Bauernhrieges in Ostfranken,
p. 2-3;, " les tristes brouillards et vapeur.> qui se sont amassés du fond de l'abîme
de nos iniquités et de nos vies coupables ont engendré beaucoup de doctrines
et d'opinions erronées et scandaleuses. Les nuages s'amoncelèrent dans les
vallées, chez l'homme du peuple, et par la négligence des pasteurs, ils s'en-
CAUSES (;ÉNÉFiALES DE [.A RÉVOLUTION SOcrALE. 4S7
Tous les esprits réfléchis attribuaient le mal qui ga^ynait peu à peu
toutes les classes et fjrandissait chaque jour, au mépris de l'état dans
lequel on était né, à l'exploitation inique du prochain, à l'envie, à la
haioe, à l'Insubordination, enfin à cette passion toujours grandis-
sante pour le luxe et le plaisir qui, dans les tavernes publiques, dans
les fêtes et les banquets, déjjénérait si fréquemment en débauches
ignobles et en ivrognerie bestiale '.
L'amour du luxe, - comme un poison dévorant -, gagnait les
villes et les campagnes, les nobles, les bourgeois, les ouvriers,
les paysans. « Il est raisonnable et juste «, déclaraient, en renou-
velant les ordonnances des Diètes précédentes, les États de Nurem-
berg en 1524, - d'exiger que tout chrétien s'habille selon sa condi-
tion, qu'il ait une tenue particulière et simple, afin d'être aisément
reconnu et honoré selon son état par les étrangers. Mais de notre
temps on agit tout à l'opposé de ces sages coutumes du passé,
en sorte que beaucoup de gens de petite condition s'habillent et se
parent beaucoup plus richement que ceux qui appartiennent à une
classe plus élevée. Autrefois, en Allemagne, nos pères ne connais-
saient point le luxe extravagant qu'on voit depuis quelque temps
parmi nous. Chaque année, ce désordre augmente; on cherche à
imiter les modes des peuples étrangers; non-seulement les costumes
sont d'une excessive richesse, mais presque tous les ans il faut s'en
procurer de nouveaux, de différents. Une recherche inouïe dans le
boire et le manger va de pair avec le luxe exagéré des parures,
et ces abus causent la ruine et le mortel dommage du pays. >;
Les électeurs et princes doivent interdire aux dames de leur
cour la magnificence outrée des habits, la profusion des joyaux,
des pierreries, régler ces questions avec leurs vassaux, et veiller
sous ce rapport au maintien des lois. Quant aux bourgeois, aux
ouvriers, aux paysans, il faut de toute nécessité édicter de nou-
velles ordonnances leur imposant un costume particulier, et pour
qu'elles soient observées, autoriser tout citoyen à citer devant
un tribunal compétent celui ou celle qu'il aura trouvé en contra-
vention; l'amende payée par les violateurs de la loi sera la ré-
compense du dénonciateur. Sans cette mesure, on ne parviendra
fièrent de telle sorte qu'en l'an 1525 après la naissance de Notre-Seigneur ils
crevèrent avec un grand fracas, et renversèrent violerament les hauts et an-
ciens édifices de l'autorité, causant de plus aux hommes, aux animaux, aux
propriétés un tort affreux et irréparable. C'était bien là cet effroyable déluge
que les astrologues et les savants, habitués à étudier le firmament, avaient
autrefois prédit. Oui, c'est bien ce déluge lamentable et fatal, déluge de sang et
non déluge d'eau, qui nous avait été annoncé. • — Voy. aussi Knebel, Donau-
wörther Chronik, dans Baum\n\, Quellen, p. 249.
' Glüs und Comment, auf L XXX Ar tickein, Bl. E.
438 CAUSES GÉNÉRALES DE LA RÉVOLUTION SOCIALE,
jamais à déraciner le mal qui nous dévore, car la licence du peuple,
les blasphèmes, les imprécations augmentent en proportion du luxe.
Les coupables seront ou exécutés, ou privés d'un membre. Pour
réprimer l'ivrognerie et les excès qui l'accompagnent, on fera une
lui portant que les crimes commis en état d'ivresse seront plus
rigoureusement punis que d'autres. '^ Mais la commission des États
remarquait fort judicieusement, en terminant son rapport, « qu'une
véritable amélioration ne pourrait être obtenue des sujets qu'à la
condition que les chefs se décidassent à réformer leurs propres dérè-
glements ' ».
Or c'était précisément des chefs spirituels et temporels que venait
tout le mal. On lit dans un cahier de doléances daté de 1523: « De
tous côtés on entend dire que les princes, les seigneurs et la
noble chevalerie, pendant les Diètes, aux assemblées, au milieu de
leurs cours, ne songent qu'à se surpasser les uns les autres par
la magnificence de leurs costumes; le velours, la soie, le damas, les
perles, les plumes sont leurs parures ordinaires. Leurs festins sont
d'une splendeur inouïe; je ne veux point parler de leurs mauvaises
mœurs, ni de leur passion effrénée pour le jeu^ » Le jeu passait alors
« pour l'honorable passe-temps des nobles; ^j il était bien porté d'avoir
d'énormes dettes de jeu. Le grand maitre de l'Ordre Teutonique,
Albert de Brandebourg, perdit au jeu pendant la Diète de Nuremberg
la somme, exorbitante pour ce temps, de 600 florins d'or, et les
dettes de jeu du margrave Casimir de Brandebourg montèrent jus-
qu'à 50,000 florins ^ Les riches marchands, les grands entrepreneurs
ne restaient pas en arrière; ' au contraire, ils affichaient une prodi-
galité plus extravagante encore. On assurait que le fils et le gendre
du banquier d'Augsbourg Hochsletter avaient, en une seule nuit et
pendant un banquet, dépensé de 5,000 à 10,000 florins, et perdu au
jeu, en une seule séance, 10,000, puis 20 et 30,000 florins '. -
Les classes inférieures prenaient modèle sur les classes élevées :
« Ouvriers et paysans, valets et filles de ferme dépensent leur argent
en habits, en parures dispendieuses, et font la roue tout aussi bien
que les nobles et les grandes dames; le peu qui leur reste s'en va par
leur gosier. Les jeunes paysans surtout ne mettent point de bornes à
leur passion pour la parure et la boisson; chaque année ils devien-
nent plus fous, de sorte que le châtiment de Dieu ne peut manquer
' *^ Frank/urtir Reichstagsacten, t. XXXIX, fol. 7-18. Beschwerung die aus Costlichkait
der Klayder volgen. Diète de Worms, 1521. — HeichstagsacUn, t. XXXIV, foL 252-270.
Sur les blasphèmes et les imprécations, vo\ . fol. 274-276. — Voy. Bucholtz,
t. II, p. 41-43.
- Clag eines ei nf eltig A'iosterhruders, Bi. F.
^ Voigt.. Preus.^. Gescli., t. IX, p. 748. — Droysen, Preiiss. Politik., t. H'', p. 45G.
* Rapport de clément Sender, dans Greiff. fiem's Tagebuch., p. 95-96.
CAUSES (iÉNKRAI.tS DE LA RÉVOLUTION SOCIAI-E. 439
de les atteindre'. » « Personne », dit un rimeur de l'époque, " ne
veut rester dans sa condition ; le rustre veut égaler le noble. "
Les paysans et les villageois portaient des vêtements de soie et de ve-
lours, tout comme leurs seigneurs; ils avaient comme eux des chaînes
d'or au cou; « bienmanger, bien vider le verre, jouer beaucoup stelle
était leur grande affaire. -' Les riches paysans aiment à humilier les
gentilshommes et à leur bien prouver qu'ils ont plus d'argent qu'eux
dans leur coffre. Ils n'ont plus aucun respect pour la noblesse, et ne
veulent plus entendre parler de corvées ni dédîmes, n Plus la noblesse
allait s'appauvrissant *, plus chez les villageois enrichis grandis-
saient l'orgueil et le ridicule sentiment de leur importance. - Quand
une noce, un baptême ou une kermesse avaient lieu dans un village,
la ferme dépassait souvent de beaucoup le château en luxe de cos-
tumes et de table. On faisait bombance chez le fermier, tandis que le
pauvre gentilhomme, assis tristement chez lui, avait à peine quelque
chose à mettre sous la dent. Aussi n'était-il pas rare de le voir ven-
dre ou engager ses terres morceau par morceau, afin de pouvoir,
à l'occasion, donner, lui aussi, un festin dispendieux, et acheter
des robes et des parures à sa femme ou à sa fille. ' - .le sais des
paysans », écrivait Wimpheling, qui à la noce de leurs enfants, ou
bien pour un baptême, étalent un tel luxe, que l'on pourrait acheter
une maison, un champ et une petite vigne attenante avec ce que
la fête a coûté. » Les débauches, les excès de boisson entraî-
naient souvent les villageois dans des dettes inextricables. Tho-
mas Murner avait dit longtemps auparavant dans sa Conjuration des
fous :
lis sont assis nuit et jour à l'auberge,
Et négligent leur besogne:
Ils boivent, mangent, perdent au jeu
Plus d'argent que leur charrue n'en gagne.
Celui qui ne veut pas me croire,
Qu'il aille à l'auberge,
Qu'il regarde les comptes crayonnés sur la muraille!
Tous sont aux paysans!
Puis ils tâchent de vendre, avec force ruse.
Leurs blés, qui ne sont pas encore verts '!
« Faire bombance, s'enivrer, honnir les autorités laïques et
ecclésiastiques > , dit un auteur satirique contemporain, ■■■ voilà les
' Clag eines einfeUig Klosterbruders, Bl. ¥ .
- Voy. notre premier volume, p. 366-367 et 4ô3-4J4. — Vo) . plus haut, p. 243.
— Bensen, Banernkrieg, p. 29-31.
3 Narrenbeschicörüng, Bl. X'. Voy. les détails que nous avons donnés sur le
luxe et les excès de table des paysans dans notre premier volume, p. 300, 302.
363.
440 CAUSES GÉNÉRALES DE LA REVOLUTION SOfJALE.
grandes occupations du jeune paysan de notre temps; aussi pour-
rait-il chanter :
11 faut que je m'habille richement;
Alors, tout paysan que je suis, j'aurai l'air d'un noble!
Il faut que j'engouffre le plus de vin possible.
Que je jure, blasphème, que je mente hardiment,
Que je trompe les bourgeois sur le poids et la mesure,
Que je risque de grosses sommes au jeu,
Car c'est ainsi que va maintenant le monde!
îl faut savoir disputer sur la foi,
Être au courant de la doctrine évangélique.
Et, dans les auberges, assis près du vin et de la bière.
Injurier les prêtres à cœur joie ' î
" Dans les tavernes et les maisons de bain, les gens du peuple tran-
chent toutes les questions politiques. Ils restent attablés tout le jour,
buvant, jouant, mangeant, et voulant tout régenter. Là, le rustre, le
tailleur, le cordonnier, l'ouvrier, l'apprenli savait le dernier mot des
affaires religieuses; c'est à qui saura le mieux conseiller le Pape, les
évêques, l' Empereur et les princes ; ils blâment tout le monde ; il semble
que le fardeau des affaires publiques soit sur leurs épaules, et qu'ils
aient à veillera la sécurité publique. Il n'y a que ce qui concerne leur
commerce ou leur métier qui leur est indifférent; la femme et l'en-
fant ne le savent que trop ^! De bonne heure les jeunes apprennent
de leurs aines l'oisiveté, l'intempérance, et tous les autres vices ^ "
Mais les plaintes les plus amères sur l'abaissement des mœurs,
surtout dans la jeune génération, c'est Luther qui les fait entendre.
Il avait maintes fois exprimé le confiant espoir que sa doctrine
' A l'exemplaire des Lucubrationes theologicœ tiré de la bibliothèque franciscaine
de Fulda dont nous nous sommes servi, sont ajoutées, dans une écriture du
seizième siècle, trois feuilles renfermant les passage cités ci-dessus, ainsi que
des renseignements sur le peuple, les curés de village, etc.; nous les citons
plus bas. La dernière page finit par quelque^ phrases empruntées à l'édition alle-
mande du livre de Cochlaeus sur la guerre des paysans.
* Les politiques de cabaret avaient déjà été très-bien dépeints par Thomas
Murner dans sa Schelmenzunft, t. XXV :
Il en est qui prétendent décider
Sur tout ce qui se passe dans l'Empire, et au delà!
La situation de l'Empire romain.
Celle des pays allemands et welches
Est examinée par eux !
Que d'affaires embarrassantes 1
\\ s'agit de savoir qui a emprunté l'arjent vénitien
Et comment parvenir à le rendre,
Comment est entretenue la maison du Pape,
Et comment les Français ne savaient rien
De la ligue du roi romain, etc.
3 Glos und Comment, auf LXXX ArlicMn. Bl. G.
CAUSES GKNKRALES UE LA RÉVOI,UTION SOCIALE. 44(
exercerait la plus salutaire induence sur la vie rclif^ieuse et morale
(le tous ceux qui la recevraient avec foi et bonne volonté.
Mais quelques années plus tarrl, voici l'aveu qu'il est contraint de
[aire : « .Nos évangélistes sont sept fois pires qu'ils n'étaient autrefois.
Bien que rÉvanp,ile nous ait été annoncé et expliqué, nous volons,
menions, trompons, nous nous vautrons dans (ous les vices, nous
passons notre temps à bien boire et à bien manger. » « Je vis entre
Sodome, Gomorrhe et Babylone », écrit-il en 1523'. « Quand j'étais
jeune, je me souviens que la plupart de mes amis, même de mes amis '
riches, ne buvaient cpic de l'eau. On se nourrissait très-pauvrement
d'aliments simples et sjiins; beaucoup commençaient à peine à prendre
du vin à l'âge de trente ans. Maintenant, on habitue les enfants à boire,
et non-seulement du petit vin, du mauvais vin, mais des vins capiteux,
venus de l'étranger, des vins brûlés, distillés, qu'on prend à jeun. »
« L'ivrognerie a fondu sur nous comme un fléau >, dit-il ailleurs; « elle
a envahi toutes les conditions; on la rencontre partout, non-seulement
chez les {jens du commun, parmi le peuple grossier et sans culture
des villages et des cabarets, mais dans toutes nos villes et presque
dans toutes nos maisons, parmi la noblesse comme à la cour des
princes. Dans ma jeunesse, un gentilhomme aurait eu honte de boire
avec excès. Les digues seigneurs, les princes, cherchaient par des
réprimandes, par de sévères châtiments, à préserver leurs sujets du
fléau de rivrugnt^rie. Mais maintenant le mal est plus invétéré chez les
nobles que chez les paysans. Les choses en sont venues à un tel point
que quelquefois les princes et seigneurs gagnent ce vice en voyant
leurs jeunes fils s'y adonner; ils n'en rougissent plus, et seraient
plutôt prêts à soutenir qu'il sied à un prince, à un noble, à un bour-
geois de savoir bien boire; quiconque refuse de s'emplir avec eux
comme un pourceau, ils le méprisent. Comment porter remède à un
vice qui atteint la jeunesse elle-même, vice auquel elle se livre sans
honte et sans pudeur, qu'elle a appris de ses pères, et qui l'a entraînée
dans un genre de vie si honteux, si indigne, qu'on la voit se flétrir
dans sa première fleur, comme le blé se courbe sous la grêle et
les averses, en sorte que maintenant la plus grande partie de nos
jeunes gens, les meilleurs et les plus capables, surtout dans les
châteaux et à la cour, perdent leur santé, leur corps et leur vie
avant d'avoir atteint la plénitude de l'âge! Et comment peut-il en
être autrement, lorsque ceux qui devraient les prémunir et les
redresser leur donnent eux-mêmes un lamentable exemple^? '
Erasme, comme Luther, déplore la licence, la grossièreté, la
' Sämmtliche lUerhe, t. XXVIII, p. 420; t. XXXVI, p. 4tl, 300.
* T. VIII, p. 293-297; t. XVllI, p. 350; t. XX, p. 273.
442 CAUSES GÉNÉRALES DE f. A RÉVOLUTION SOCIALE.
démoralisation de la société depuis rintroduction du nouvel Évangile.
« Sous prétexte de liberté évangélique », écrit-il en 1523, les
uns, se livrant à une stupide débauche, satisfont leurs plus vils in-
stincts ; les autres ne rêvent que de mettre la main sur les biens
ecclésiastiques; ceux-là dépensent bravement leur avoir en ripailles
avec des filles et des dés, et se dédommagent en s'appropriant des
biens qui ne leur appartiennent pas; ceux-ci voient leurs affaires en si
pitoyable état qu'ils redoutent la paix. ; Il s'exprime plus énergi-
quemcnt encore dans sa correspondance (1524). « Une nouvelle
génération, hardie, licencieuse, impudique, s'avance vers nous %
s'écrie-t-il. Elle fait profession d'être évangélique, e( les jeunes
gens qui la composent n'ont à la bouche que ces cinq mots : Évan-
gile, parole de Dieu, foi, Christ, Esprit divin. Cependant la conduite
de beaucoup d'entre eux me fait craindre qu'ils ne soient possédés
du démon. » " Le nouvel Évangile a créé une espèce d'hommes in-
connue jusque-là : gens insolents, effrontés, hypocrites, blasphé-
mateurs, menteurs, amis des divisions, inutiles ou plutôt nuisibles à
tous, séditieux, extravagants, querelleurs, tracassiers. - t.- Autre-
fois '•, écrit-il à Mélanchthon, - l'Évangile adoucissait les mœurs des
sauvages; il rendait les voleurs bienfaisants; les turbulents, paci-
fiques; ceux qui blasphémaient auparavant ne savaient plus que
bénir. Mais les nôtres, je veux dire les disciples du nouvel Évangile,
semblent possédés du démon. Ils dérobent le bien d'autrui, ne se
plaisent qu'à exciter la sédition, et calomnient les justes eux-mêmes.
Je vois bien se former une nouvelle espèce d'hypocrites et de tyrans,
mais nulle part je n'aperçois une étincelle d'esprit évangélique. «
« Le culte public est aboli -, écrit-il ailleurs; - un grand nombre
de chrétiens ont cumplétement renoncé à la prière; la messe est
abandonnée, sans que rien de meilleur soit venu la remplacer. La
plupart du temps, les prédicants se bornent à outrager les prêtres,
et leurs sermons semblent calculés bien plutôt pour exciter les
émeutes que pour porter à la piété. La confession est supprimée;
le plus grand nombre ne se confesse même plu> à Dieu : le jeune
et les prescriptions de l'abstinence sont méprisés, l'ivrognerie les
remplace. Le culte est l'objet de grossières injures, mais sans nul
profit pour l'âme, qui, selon moi, a gagné peu de chose à tant
d'innovations. Et quelles émeutes excite de temps à autre ce peuple
évangélique! Oue de fois nous le voyons courir aux armes sous le
plus futile prétexte! A moins que ses pasteurs ne flattent ses oreilles,
il ne les écoute pas, et les prédicants peuvent s'attendre à être chassés
le jour où ils voudraient censurer, avec un peu d'indépendance, les
mœurs de leurs auditeurs. Taudis que, plongés dans l'égoïsme, les
nouveaux croyants n'obéissent ni à Dieu, ni aux évêques, ni aux
CAUSES G km; RALE S DE F, A RKVOLUTIOX SOCIALE. 41.^
princes, ni aux autorités, se livrent à Mammon, satisfont leur ventre,
se ravalent Jusqu'aux plaisirs les plus bas, ils prétendent être évan-
gélistes, ils invoquent Luther comme leur docteur et leur maitre!
Luther parle sans cesse de la foi ; mais en quoi donc la fait-il consister?
Chez la plupart de ses adeptes, je n'aperçois que les u'uvres de la chair;
quant à l'àme, il n'y en a pas trace. » Érasme va jusqu'à dire : « En
général, les évanjjéliques n'ont rien à perdre; ce sont des banquerou-
tiers, des proscrits, des moines et des prêtres défroqués; hommes
altérés de ciiangemcnl, de licence, journaliers désu'uvrés, jeunes gens
inexpérimentés, femmes frivoles, peuple mobile d'aventuriers et de
soudards, que parfois le fer rouge a marqués. " « Les nouvelles doc-
trines ", écrit-il à Luther ((.>24), ont engendré une race d'êtres
corrompus et séditieux, et je redoute une révolution sanglante \ -^
II
L'amour désordonné du bien vivre et du luxe avait favorisé
l'accroissement de l'usure dans- les cités, comme il fallait s'y attendre,
et les compagnies commerciales contribuaient surtout à la propager.
Exploitant le vice capital de l'époque, ces compagnies avaient fini
par accaparer presque exclusivement les coûteuses denrées étran-
gères, qu'elles taxaient à leur gré; en l'espace de quelques années,
elles retiraient de leurs marchandises deux fois le prix de revient, et
quelquefois même davantage. -^ L'intolérable et coupable tyrannie
des grandes compagnies », déclarait la commission chargée par les
États de ^'uremberg d'étudier à fond la question de l'usure (152.3),
« est l'unique cause des émeutes populaires qui éclatent dans quel-
ques villes, et nous devons nous attendre à de pires séditions si l'on
ne porte un prompt remède au mal. La commission, établissant ses
calculs d'après des registres fournis par les marchands eux-mêmes,
mit sous les yeux des États le tableau synoptique des marchandises
exportées chaque année et des hausses de prix qu'elles subissaient.
Le résultat de cet examen conduisit à des constatations surprenantes.
Tous les ans, de la seule ville de Lisbonne, abstraction faite du com-
merce avec Venise, trente-six mille quintaux de poivre, vingt-quatre
mille quintaux de cannelle et mille balles de safran étaient importés.
La livre de safran, qui valait deux florins et demi et six kreutzers en
1515, se payait actuellement quatre florins et demi et quinze kreutzers ;
' Voy. ces passages et d'autres sur le même sujet daus les extraits de la cor-
respondance d'Érasme, publiée par Dollinger, Reformation, t. 1, p. o-lS.
444 CAUSES GENERALES DE LA RÉVOLUTION SOCIALE.
la livre de poivre avait augmenté de quinze kreutzers. La livre de
galanga, qui valait autrefois un demi-florin (ou trente-six kreutzers),
valait à présent un florin quinze kreutzers; un quintal de sucre coû-
tant de onze à douze florins en 1516 se vendait à peu près vingt flo-
rins en 1518. Depuis 1521, les raisins de Venise, au lieu de valoir
cinq florins, en coiUaient neuf. Des enchérisseraents si exorbitants
n'empêchaient point que les marchandises ne fussent avariées'.
« Les compagnies de marchands accapareurs 'i, déclarent les
comtes, seigneurs et chevaliers dans un cahier de doléances présenté
à la Diète en 1523, « ruinent la nation et la plongent dans la
détresse. 11 est clair que, par leurs monopoles, elles ont exploité
dans des proportions inouïes les Allemands de toutes conditions.
Les associations, les conventions secrètes sur le prix de telle ou telle
denrée, la disparition des petites boutiques où l'on pouvait se pro-
curer les choses à meilleur compte, tout contribue à notre ruine. Leurs
frais défalqués, leur bénéfice légal réalisé, les grands marchands
n'ont pas honte de se livrer encore à un agiotage monstrueux, par
lequel ils nous sucent tous les ans jusqu'à la moelle; et cependant,
relativement aux autres Ordres, ils payent fort peu d'impôts, et four-
nissent de très-minces secours pour le détournement des calamités
qui menacent toujours plus la commune patrie et l'Empire romain. '^
Tout le monde se plaignait que, parle canal des compagnies, l'argent
monnayé et non monnayé, l'or et le cuivre, sortissent de l'Empire,
« de sorte qu'on en était extrêmement à court, au grand préjudice
de la nation, et cela au moment oîi il eût été si nécessaire de se
mettre en état de repousser le Turc et d'aviser à d'autres néces-
sités pressantes «. ^ Exploitant la triste situation actuelle ^ disait
le même cahier de doléances, « les compagnies se rendent tribu-
taires presque tous les Allemands, chacun en particulier. ) De
mémoire d'homme, jamais on ne vit pareille exploitation; il est
manifeste qu'en l'espace d'une seule année les supercheries, les cal-
culs secrets, les habiles tours de passe-passe des compagnies nous
ont fait plus de tort que tous les voleurs de grand'route mis ensemble
n'auraient pu nous en faire en dix ans; et cependant les marchands
ne souffrent pas qu'on les traite de larrons, ils se font appeler les
' honorables ". A plusieurs reprises, les États avaient publié des
ordonnances contre les monopoles, l'agiotage, les enchérissements
des compagnies; mais celles-ci n'en subsistaient pas moins, et par-
venaient à échapper à tout contrôle; « ce qui s'explique aisément ",
continue le livre de doléances, " car les compagnies avancent de
1 * Die Gutachten und Tabellen, archives de Francfort, Reichstag saclcn, t. XXXVIII,
p. 241-271. Les renseignemenls fournis par Ranke (t. Il, p. 43-4ij ne concordent
pas sur bien des points avec ces documents.
CAUSES GÉNÉRALES DE I.A RÉVOLUTION SOCIALK. H5
fortes sommes à certains princes et grands seigneurs, tout en exi-
geant d'eux un profit usuraire considérable; elles ont l'art d'inté-
resser d'autres princes dans leurs traMcs, de leur faire partager
leurs profils et leurs perles; ceux qu'elles ne peuvent entraîner
reçoivent de gros, de hardis présents, eux ou leurs conseillers. De
plus, ils contractent des alliances, des amitiés utiles par suite de
mariages avantageux, desorle que tous ou la plus grande partie des
princes sont intéressés à leurs succès, et conduits à tolérer ou à
défendre leurs effroyables et vils méfaits, comme nous n'en avons
que trop de preuves '. i
Oue le mal provint des villes plus que de partout ailleurs, c'était
l'opinion générale. Dès 1521, plus d'un mécontent disait tout haut
que ce n'était pas seulement le clergé qu'il fallait débarrasser
de richesses injustement acquises; qu'il serait bon d'en alléger
aussi les marchands usuriers devenus démesurément rlche>; qu'il
fallait restreindre le luxe des villes, interdire l'importation des
marchandises étrangères, les compagnies de commerce, le trafic
avec les pays étrangers, et poursuivre les princes aussi bien
que les usuriers, c parce qu'ils se cachaient sons le même man-
teati, - ■■' .
Pour extirper le mal jusque dans sa racine, Luther, dans son
Traité sur le négoce et l'usure (1524), demandait " que le commerce
étranger important, de Calcutta, des Indes et d'ailleurs, de précieux
tissus de soie et d'or ", et ^ ces épices qui ne servent qu'aux satis-
factions du luxe et ne sont nullement utiles à la santé », fût rigou-
1 Cahier de doléances cité plus haut, p. 242, note l. Il avait été motivé par
une circulaire du Couseil adre>sée aux nobles rassemblés à Schweinfurt le
jour d'après la présentation de Notre-Dame (2i novembre] 1522. Archives de Franc-
fort./?eicÄs<a(/s«c/e«, t. XXXVI, fol. 90. — Voy. L'LMA.w, p. 327-.328. « Les membres
de la noblesse qui auraient à se plaindre », disait la circulaire, ^ apporteront
leurs griefs devant le Conseil de régence ou la Chambre impériale. " Les
villes », assuraient les comtes, seigneurs et chevaliers dans leur cahier de
doléances, • consentiraient volontiers à porter plainte contre les compagnies
qui accaparent et font hausser les prix, car tous leurs bourgeois ont beau-
coup à en souffrir. ^ Ceci était surtout vrai pour Francfort. Le Conseil de
régence demanda aux échevins de ladite ville de leur remettre en secret un
mémoire détaillé au sujet - des grandes compagnies, monopolistes, accapa-
reurs et agioteurs faisant un tort considérable à la nation =. Répondant
aux plaintes qui lui furent adressées, le Conseil émit l'opinion que les compa-
gnies, reliées intre elles par des contrats commerciaux, ne servaient que les
intérêts de quelques particuliers, qu'elles étaient funestes au bien public, et
qu'elles devaient être abolies, et leurs chefs punis. Défense devrait du moins
être faite aux compagnies d'acheter d'un seul coup et pour une même somme
une seule marchandi>e, et de trafiquer avec de l'argent étranger au lieu de
se servir de celui quelles avaient eu réserve. On trouvera la circulaire du
Conseil de régence [7 septembre 1521, et la réponse du Conseil de Francfort
dans les archives de Francfort, Kaisemchreibcn, t. Vlil, n»* 16 et 17.
- Glos und Commenl. auf LXXX Arlicheln. Bl. G-.
446 CAUSES GÉNÉRALES DE LA RÉVOLUTION SOCIALE.
reusement interdit. « Additionne n, disait-il à son lecteur, " les sommes
ravies à l'Allemagne en une seule foire de Francfort, sans nécessité
aucune, et tu pourras à peine comprendre comment on peut encore
trouver un liard dans notre pays! Francfort est le trou d'or et
d'argent par lequel s'écoule hors de chez nous tout ce qui s'épa-
nouit, tout ce qui germe, tout ce qui se monnaye et se frappe!
Si le trou était bouché, on n'entendrait pas tant de lamenta-
tions, on ne répéterait pas de tous côtés qu'il n'y a que dettes et
point d'argent; les contrées et les villes ne seraient pas accablées de
taxes, ni rongées par l'usure. ^ Luther dépeint sous de vives cou-
leurs « l'astuce, l'avarice, l'égoisme cupide et la déloyauté des
marchands >'. Les hausseurs de prix, les accapareurs, les monopo-
listes n'étaient, selon lui, que des voleurs, des brigands, des usu-
riers publics : Ils ne sont pas dignes de s'appeler hommes et de
vivre parmi leurs semblables; ils ne méritent même pas qu'on les
instruise et qu'on les avertisse, car leur envie, leur avarice sont si
impudentes et si viles qu'ils vont jusqu'à être bien aises de la dé-
tresse d'autrui, et à se réjouir de dominer seuls le marché. L'autorité
ferait fort bien de confisquer les biens de tels personnages, et de les
expulser du pays. « Maintenant ils inventent de déposer le poivre,
le gingembre et le safran dans des caves ou des celliers humides,
afin d'augmenter le poids de leur marchandise. Ils renferment les
étoffes de laine, les fourrures, la martre, la zibeline dans des caves
sombres; ou bien c'est à certains produits de mercerie qu'ils enlèvent
l'air; chaque marchandise, comme on sait, demande des conditions
particulières d'atmosphère. De toute espèce de produits, ils savent
ainsi tirer un profit malhonnête; on trompe sur l'aunage, sur la
quantité, sur la mesure, sur le poid*. On donne à telle denrée une
couleur qu'elle n'a point naturellement, ou bien on glisse la plus
belle marchandise dessous et dessus, puis on cache ce qui est avarié
au milieu, et ces tromperies n'ont point de fin. Aussi un marchand
ne se fie-t-il plus à un autre, car il sait à quoi s'en tenir, il voit, il
comprend ce qui se passe! «
" Les marchands se plaignent amèrement des nobles et des che-
valiers brigands; ils font sonner bien haut les grands périls aux-
quels ils s'exposent; à les entendre, il n'est pas rare qu'on les
jette en prison, qu'on les maltraite; ils sont pillés, rançonnés,
disent-ils. Mais ils trompent et volent dans une telle proportion,
ils se livrent, même entre eux, à de telles escroqueries qu'il n'est
pas surprenant que Dieu ruine souvent leurs desseins, permette
que leur fortune injustement acquise soit tout à coup anéantie,
et qu'eux-mêmes soient maltraités ou mis au cachot. Dieu se
doit à lui-même de maintenir le droit, lui qui est appelé le juste
CAUSES GÉNÉRALES DE t,A l'.EVOLUTlON SOCIALE. 447
Juge, y- En parlant ainsi, je n'entends pas exenser les voleurs de
grand chemin ou les coupe-jarrets, je n'ai pas l'intention de jus-
tifier leur brigandage; mais les princes ne veillant pas à la sécurité
des routes et ne prenant aucune mesure pour défendre leurs sujets
contre les exactions scandaleuses des marchands, Dieu se sert des
reitrcset des brigands |)our châtier les compagnies, et les che-
valiers deviennent ses mauvais anges; c'est ainsi qu'il éprouva
jadis l'Egypte, soit par des démons, soit par les ennemis du dehors,
car le Seigneur fla^'elle un scélérat au moyen d'un autre, 'loute-
tois, au dire de Luther, les chevaliers brigands étaient bien moins
coupables que les marchands, - car ceux-ci pillaient quotidienne-
ment tous les hommes, au lieu qu'un noble ne rançonnait qu'une
ou deux fois par an une ou deux personnes seulement >■.
u Avant tout, les princes et seigneurs, s'ils veulent s'acquitter en
conscience des devoirs de leur état, doivent supprimer et punir les
monopoles, c'est-à-dire les achats qui n'ont d'autre but que l'iutcrct
d'un particulier. Ces achats ne doivent plus être tolérés, ni dans les
campagnes, ni dans les villes '• ; les compagoies ; sont des gouffres
de rapacité et d'impostures; on n'y saurait rien acheter en sécurité
de conscience ■ . - Elles accaparent toutes les marchandises, puis en
font l'usage qui leur plait, haussant et baissant les prix à leur fantaisie,
et ruinant ainsi tous les petits marchands, comme le brochet dévore
le fretin des rivières. Elles veulent régner sur toutes les créaiures
de Dieu, il semble qu'elles soient affranchies des précepte> de
la foi et de la charité. » Aussi - tout le monde est-il dévoré ■■.
Tout l'argent du pays aboutit à leur réservoir. Comment serait-il
légitime, co.iimeut serait-il selon la justi e et selon Dieu qu'un
homme, en si peu de temps, pût devenir assez riche pour être en
état, quand il lui plait, de débouter par une surenchère les rois et
l'Empereur? Outre cela, ils se sont arrangés pour que tout le monde,
excepté eux, soit exposé à la ruine; on gagne une année, puis on
perd tout l'année suivante; eux, au contraire, ne cessent d'accu-
muler des bénéfices; s'ils perdent quelque chose, ils se hâtent de
réparer l'accident par des enchérissemenis plus exagérés que jamais;
il n'est donc pas surprenant que la fortune du monde entier aille
s'engloutir chez eux. >:
" Les rois et princes devraient être attentifs à ces choses, et par une
juste rigueur mettre fin à de tels abus; mais on prétend au con-
traire qu'ils s'y mêlent, qu'ils en profitent, et qu'on peut dire à l'Al-
lemagne ce qu'Isaie disait à son peuple : < Tes princes sont devenus
les compagnons des voleurs '. >; < ils attachent à la potence des lar-
' Cochlœus tire de ces passages et d'autres analogues la conclusion suivante :
448 CAUSES GÉNÉRALES DE LA REVOLUTION SOCIALF.
rons coupables d'avoir dérobé un florin ou un demi-florin, et pac-
tisent avec ceux qui pillent le monde entier, et sont pires coquins que
tous les autres, donnant ainsi raison au proverbe qui assure que ce
sont toujours les grands voleurs qui font pendre les petits. Caton
ne disait-il pas jadis à Rome : " Les petits voleurs sont dans les cachots
et dans les fers, tandis que les voleurs publics vivent dans l'or et
dans la soie. Quel sera le jugement final de Dieu? Ezéchiel va nous
l'apprendre: < Le Seigneur », dit-il, - fera fondre comme le plomb et
l'airain les princes et les marchands ■■; les uns suivront les autres,
comme dans une ville incendiée une maison communique le feu à
la maison voisine, de sorte qu'il n'en restera bientôt plus sur la
terre, et je crains fort que ce châtiment de Dieu ne soit déjà à notre
porte '. »
Ainsi parlait Luther peu de mois avant l'explosion de la révolu-
tion sociale.
Les compagnies d'eochérisseurs et d'accapareurs causaient en
outre la dépréciation des produits de la terre, seule espérance
du « pauvre homme ". Elles développaient les besoins maté-
riels, et se livraient à de savantes combinaisons d'agiotage,
taudis que l'argent diminuait de valeur d'année en année, et
que les salaires, loin de s'élever, tendaient plutôt à descendre.
La puissance toujours croissante du capital augmentait encore
la détresse des petits fabricants; autrefois ils avaient pu se suf-
fire au moyen d'un humble négoce; maintenant, depuis que les
grands marchands leur avaient enlevé ^ avec leur industrie, le
moyen de gagner leur vie, ils se voyaient privés de toute res-
source; l'ouvrier et le petit marchand, forcés d'emprunter au
riche, '- étaient odieusement pressurés par les intérêts usuraires
qu'on exigeait d'eux, et leur sort éîai^ vraiment lamentable' >■.
Cependant ceux qui l'exploitaient ne voulaient pas être rendus
responsables de leur détresse, et rejetaient toute la faute sur les
" clercs ».
- Eo tendebat popularis aurae captator et seditionum iiiachiiiator nequissiinus,
quo plebeiu eftenam in principts, propter mercalorum gravamina, tanquara in
socios furum et iucroruin iniquorum participes concitarel. ■> De actis et scriptis
Luiheri, p. 100. Reaucoup de partisans de Luther pensaient et parlaient comme
lui : " Si nous considérons les rois, les princes et les seigneurs ■, écrit Speratus
en 1523, « nous ne voyons dans la plupart d'entre eux que de vrais enfants, des
êtres hypocrites et efféminés -, etc. — Voy. Hagen, Literarische Verhiillni-se, t. II,
p. 326. — âeitsserungen über die Fürsten, de Wenzel Link, p. 324-325.
1 Sammll. Werke, t. XXII, p. 199-226. — Voy. les passages cités, p. 201, 21S-216,
218,222, 225.
-Voy. la lettre de la ligue souabe, 18 décembre 1525, dans Jörg, p. 115,
116.
^ Clag eines einf eilig Klosterbruders. El. D.
CAUSES GÉNÉKALES DK LA RÉVOLUTION SOCIALE, 14)
Od lit dans des rimes populaires de ce temps :
Ils incitent tous les torts sur le dos des clercs,
Mais moi, je jure sur ni.i foi
Que tout le mal vient des marchands,
Et avant tout des compagnies,
Sachez-le bien, bonnes gens!
L'un accapare tous les vins;
L'autre s'empare du poivre;
Le troisième se charge du saindoux
JN'accusfz pas seulement les |)rêtres,
Faites-y allenlion, vous, gens libres!
Ils n'ont plus l'ombre de conscience;
Par leurs mesures, leur monnaie, leur balance, leurs poids,
Leur déloyai'lé, leur imi)OSiure,
Toutes les marchandises sont falsifiées.
Sachez-le bien, gens libres!
Ce dont le pauvre homme a besoin,
11 lui faut aller le chercher chez le marchand.
L'acheter au prix du marchand, au gré du marchand.
Sans cela il lui arriverait malheur!
Sachez-le bien, bonnes gens'!
Mais « ce que les jjrands marchands faisaient en grand, les petits
rimitaient selon leurs ressources, et le monde entier était dans
' Ein Bcsonet in Laudibus wieder die falschen Evangelischen. Voy, Stolle, p. 33G. i.e
poète rejette avec partialité tous les torts sur les marchands luthériens.
Un Dies est lœliliœ contre les faux èvangélislcs.
Le tenus est si favorable
A tous nos bons luthériens
Qu'ils remplissent leur ventre,
Leurs caves et leur co!îre,
Gnlce à l'usure, à l'agiotage et à la ruse.
Nulle part on ne trouve à se nourrir,
Car ils ont tout en main,
Tout s'engouffre dans leurs sacs
Us amènent renchérissement
Ici e( en tous lieux.
Luther est arrivé au bon moment pour eux,
Avec ses beaux contes,
Qui insultent tout ce qui est saint
Et bouleversent toutes choses!
Aussi maintenant personne ne croit
Que ce qui flatte son corps.
Comprenez -moi bien :
Il n'y a plus ni honneur ni vertu,
Ooinma du temps de nos pères!
On ne rougit plus de rien !
Stolle, p. 339. Le grand marchand et banquier d'Augsbourg, Hochstetter, qui
avait plongé d'innombrables personnes dans la misère par sa banqueroute frau-
duleuse de 800,000 florins, n'était pas luthérien. Il se donnait pour un ' chrétien
modèle >, et trompait ainsi ses clients, parmi lesquels se trouvaient beaucoup
de pauvres servantes et de valets de ferme. — Voy. notre premier volume,
p. 385-387.
11. 29
450 CAUSES GÉNÉRALES DE LA REVOLUTION SOCIALE.
la désolation ». Plus d'une satire de l'époque s'est faite l'écho des
plaintes populaires. Colporteurs, boulangers, jiubergistes, ! ouchers
rivalisaient les uns avec les autres dans l'art de duper le chaland.
■^ On ferait un bien gros livre ' , dit un pamphlet contemporain, « si
l'on voulait énumérer tant et de si grandes fourberies. Chacun surfait,
aujourd'hui; il n'y a plus ni fidélité ni foi; on trompe sur le manger,
sur le boire, sur les choses indispensables à la vie. Les aubergistes falsi-
fient le vin avec toutes sortes de produits artificiels; le pain est petit,
la mesure mélangée; l'ouvrier fait de la mauvaise marchandise; le
boucher fournit de la viande de mauvaise qualité; le boulanger livre
du pain malsain ; le cultivateur ne vaut pas mieux, ce qu'il conduit
au marché est avarié, que ce soit du blé, de l'avoine ou de l'orge. >^
- Le bois qui est au-dessus de sa charrette parait superbe, mais à
l'intérieur, il est tordu, il est pourri, il est trop court ; le foin et la
paille semblent magnifiques au premier abord; ouvrez les bottes,
tout est humide et moussu. » '^ On trompe jusque sur les fruits
et les œufs '.
Autrefois, lorsque les règlements corporatifs étaient eu vigueur,
l'ouvrage livré par l'ouvrier était bien fait; maintenant que personne
ne se souciait plus de ces règlements, - rien de ce qui sortait des mains
de l'artisan n'était soigné «. Le compagnon, même quand il ignorait
son métier et n'avait pas encore fait son chef-d'œuvre, passait
maitre. Des apprentis qui n'étaient que des gamins et n'avaient pas
même achevé leur temps étaient ' salués du nv)m de patrons >. On
travaillait " pour le malheur des gens =, à la hâte, sans soin, sans
conscience; les acheteurs, de leur côté, ne regardaient qu'an bon mar-
ché et non à la qualité. " Les prix fixes, maintenus scrupuleusement,
lorsque les règlements des corporations étaient observés, étaient par-
tout mis en oubli. » Les anciennes conventions sont mises en oubli,
cela fait un beau marché! Si le marchand dit en toute sincérité sou
prix de revient, et déclare ne pouvoir livrer à meilleur compte, il ne
voit plus un seul acheteur se présenter dans sa boutique; on ne sunge
plus guère, en traitant avec lui, aux ordonnances de iXuremberg! Par
tant de désastreuses innovations, le vrai commerce et l'industrie sont
entièrement ruinés; on ne trouve que bien rarement des ouvriers et
des marchands satisfaits, mais les acheteurs contents sont encore beau-
coup plus rares, et la faute en est aux uns comme aux autres-. >
' Voy. BvLR, p. 123. — Hagen, t. II, p. 323. — Voy. notre premier vol., p. 383.
- Clag eines einfeltig Klosterbruders^ Bl. D'. — Voy. M. Allihn, Socialdanokralisches
um der deutschen Vergangenheit, dans le Grenzboien des 11 et 18 avril 1873. Eu 1525, les
insurgés de Francfort-sur-le-Meiu stipulent dans leurs articles que ^ personne
ne sera reçu comme corapagnon qu'il n'ait auparavant bien appris son métier
et n'en ait donné des preuves de sa main . Aufruhr/mch der Reichsstadt Francfuri,
p. 12.
CAUSES f;ÉN|!:RALF.S nE LA RÉVOLUTION SOCIALE. 451
A tant de mniix venaient encore s'ajoufer les malheurs particulier«*
de cette époque désastreuse.
Le matérialisme gagnait chaque jour du terrain; plus grandissait la
soif d'acquérir, plus les hautes études perdaient de leur prestij^e, et
plus la jeuuesse se tournait vers le commerce et les industries lucra-
tives. « De nos jours on ne veut plus apprendre que ce qui peut rap-
porter beaucoup d'ar^ijent; les maisons de commerce, les échoppes,
les tavernes se multi|)licnl, non-seulement dans les villes, mais jusque
dans les villages. Le monde se montre bien ingrat envers le saint
Evangile (pie Dieu, de notre temps, a si clairement manifesté à son
peuple ' », écrivait en i')'2i un partisan des nouvelles doctrines.
On voyait dés lors dominer parmi ceux qui se vantaient d'être
évangélistes cette tendance dont devait s'effrayer plus tard Martin
Bucer : « Tous courent à l'envi aux industries, aux emplois qui
demandent le moins de travail et rapportent le plus d'argent. On ne
songe plus au prochain ni à la probité, si exposée dans les occu-
pations du négoce; les sciences et les arts sont ravalés au-dessous
des métiers les plus vils. Les plus belles intelligences, les gens
auxquels la libéralité d'en haut a fait part des capacités les plus
excellentes, s'adonnent au commerce qui aujourd'hui fait courir
de tels périls à la probité, qu'un honnête homme ne devrait rien
craindre davantage que de s'y engager. ' < La plupart de ceux qui se
vantent d'être évangélistes », avouait Wolfgang Capito, élèvent
leurs enfants dans des habitudes de luxe, et leur inspirent l'amour
du gain -. Le même reproche aurait pu s'adresser aux catholiques.
En peu d'années notre situation est devenue si lamentable », écrit
en 1523 l'auteur de la Cnmplaintc d'un simple moine, « que les mères
chréiiennes ne peuvent plus envoyer leurs enfants dans les Univer-
sités. Les études sont tombées dans le dernier mépris. Les fils de
famille se font marchands; les pauvres, singulièrement délaissés,
grossissent le nombre des petits artisans; à peine s'ils savent leur
état. Les colporteurs, revendeurs, porleballes pullulent. ' « Les
cités regorgent de fripiers, de marchands ambulants paresseux,
dépravés ^ » " Dans les hameaux, dans les villages, toutes sortes de
boutiquiers, d'industriels, d'artisans, de brasseurs, de cabaretiers
viennent s'établir, au grand préjudice du commerce des villes*. «
" Les cultivateurs veulent maintenant devenir artisans, et les ouvriers
sont en trop grand nombre; aussi livrent-ils les choses à vil prix;
dans les villages, on ne voit qu'ouvriers, que débitants, que gens
' cité dans le Glos und Comment, Bl. K-.
- Voy. ces citations dans DöLLrxGra, t. I, p. 435-437.
3 Voy. Anshelm, t. VI, p. 91-92.
' Voy. les doléances des villes dans Jörg, p. 310.
29.
452 CAUSES GÉNÉRALES DE LA RÉVOLUTION SOCIALE.
vantant et offrant leurs marchandises. » L'abandon des vieilles
ordonnances était désastreux pour les cités; le paysan n'était plus
obligée d'aller chercher à la ville tout ce dont il avait besoin; il trou-
vai! plus commode d'acheter aux colporteurs, ou bien lui-même,
abandonnant le soin de ses champs, devenait débitant. L'ouvrier des
villes, au lieu de se complaire à perfectionner sa besogne, sacrifiait
la main-d'œuvre à l'intérêt de la vente; que son industrie fût consi-
dérable ou restreinte, ■■■ il voulait devenir marchand », et comme ses
ressources ne le lui permettaient pas, il s'endettait, et finissait par
la banqueroute '.
Dix ans auparavant seulement, les artistes, les ouvriers, les arti-
sans de tous genres avaient bénéficié de cette ardeur pour l'archi-
tecture qui alors s'était emparée de toutes les classes, de cet
intérêt passionné pour l'art qui avait élevé tant d'églises, tant
d'édifices admirables. « Alors les tableaux, les sculptures sur bois,
les ciselures d'or et d'argent, l'orfèvrerie d'église, les précieux
ornements qui servent au culte, étaient offerts à Dieu par les riches
et par les humbles, par les corporations, les confréries, les pieux
chrétiens de toutes conditions. "Maintenant tout cela était changé.
« On n'élevait, on n'ornait plus ni églises ni couvents. Au lieu de
construire, on détruisait, de sorte que bien des mains restaient
oisives, j^ L'incertitude des événements, leur soudaineté, l'anxiété
constante où l'on vivait, l'émeute tous les jours redoutée, rendaient
les riches prudents et craintifs. Rarement ils faisaient bâtir; l'ouvrier
recevait fort peu de commandes; « le bourgeois laissait son argent dans
le sac > . •' Beaucoup d'ouvriers, autrefois actifs, flânaient dans les rues,
ou colportaient des écrits de controverse, des pamphlets, des libelles,
des caricatures. Les ouvrages d'art n'étaient presque plus appréciés *. n
Hans Holbein le jeune, un des plus grands artistes de tous les
temps, se vit contraint pour gagner sa vie de faire un métier de
barbouilleur; il peignit un jour pour deux florins un panneau d'ar-
moiries^ « L'art de la peinture «, écrit tristement Albert Dürer à
Wilibald Pirkheimer, ■ est très-méprisé de nos jours. On l'accuse de
servir et de propager l'idolâtrie. " « Cependant la vue d'un tableau
' Voy. Allihn, p. 103, 110.
- Glos und Comment. Bl. k'.
2 WoLTMANN, 1. 1, p. 341. Dès Ic Commencement du mouvement « évangélique •,
Holbein dut interrompre les peintures murales qu'il avait commencées pour
l'hôtel de ville de Bâle; le manque de travail le contraignit enfin à s'expatrier
en Angleterre. Le fait suivant caractérise bien l'état de l'an à ce moment : En
janvier 1526, les peintres de Bâle adressent une supplique au conseil de la ville
pour qu'il leur soit permis, afin de pouvoir nourrir femmes et enfants, d'avoir
le privilège exclusif de peindre les manques du carnaval. Les peintres supplient
les conseillers de ne pas leur enlever ce mince profit en confiant des travaux de
ce genre à des manœuvres. — Woltmann, t. I, p. 340.
CAUSES GÉNÉRALES DE LA RÉVOLUTIOX SOCIALE. Î53
OU d'un dessin porle aussi peu le chrétien à la superstition que i'épée
au côté de l'honnùfc homme ne le pousse au meurtre. Kn vérité, il
faudrait être bien stupide pour avoir la j)ensée d'adorer un tableau
de bois ou une statue de pierre! » Mais pour qu'une œuvre d'art,
au lieu de scandaliser, pi\t aider au progrès moral, Dürer vou-
lait, naturellemeni, qu'elle fiU « honnête' ». Les caricatures d'une
grossièreté révoltante, les images grotesques qui, depuis le commen-
cement des troubles religieux, trouvaient en Allemagne un débit si
extraordinaire et que, de VVittemberg, Lucas Cranach commençait à
répandre de tous côtés*, loin de rendre le peuple meilleur, contri-
buaient à l'avilir.
III
Le luxe universel, l'envahissement du capital, l'exploitation de la
classe laborieuse par 1'' agiotage », renchérissement et la falsi-
fication savamment calculés des produits de première nécessité,
l'oppression des petits métiers et des petits marchands par le haut
commerce, le dépérissement des corporations, les occasions de
profit devenues plus rares, telles étaient les principales causes de
l'amer dissentiment qui grandissait à vue d'œil dans les cités entre
riches et pauvres. La population ouvrière se voyait menacée de
mourir de faim; le nombre des prolétaires allait toujours croissant,
et les dépossédés sentaient d'autant plus cruellement leur détresse et
s'en irritaient d'autant plus, que les riches avaient l'imprudence
d'étaler à leurs yeux un faste plus extravagant. En bien des villes,
on accusait le clergé de ne rien changer à son luxe, à sa vie mon-
daine, malgré la misère des temps. A une époque où les évoques
eux-mêmes, en de certaines occasions, « dansaient et se divertis-
saient en public ' », on s'explique aisément l'aversion foute naturelle
du peuple i)Our des mœurs « si peu ecclésiastiques et si peu chré-
tiennes». Dans de telles circonstances, les séduisantes promesses des
agitateurs révolutionnaires flattaient singulièrement les oreilles des
prolétaires. Les âmes seraient mieux gouvernées, disaient-ils, si messei-
gneurs les prélats avaient de moindres fortunes, un genre de vie moins
fastueux, et si l'on partageait les biens du clergé entre les pauvres K
' ThalSING, Dûier's Briefe und Tagebücher, p. 55.
* Un grand nombre de ces caricatures se voient encore dans l'ancien cloître
des Augustins à Witlemberg. Leur grossièreté est vraiment révoltante. Schu-
chard en a décrit plusieurs [i. Il, p. 240-24/1.
^ Voy. plus haut, p. 3i9.
■* Voy. Gloi und Comment. Bl. G-.
454 CAUSES GÉNÉRALES DE LA REVOLUTION SOCIALE.
Les « honorables » de la classe riche qui, à cette époque, avaient
en main dans la plupart des cités le gouvernement et le pouvoir,
étaient aussi sous le coup de la haine et du ressentiment populaires.
On leur reprochait de détourner les deniers pubhcs à leur profit
par toutes sortes d'exactions, de ruses, de corruptions, d'actes arbi-
traires. Aussi étaient-ils l'objet d'une véritable haine. Plus d'un
membre du conseil était soupçonné de participer aux agiotages des
grands accapareurs, et d'exploiter honteusement la classe laborieuse '.
^ Sigismond Meisterlin, dans la Chronique de Xuremhcrg, rédigée sur l'ordre du
-conseil, a très-bien analysé les divers éléraenls de révolte qui, de son teuipi déjà,
fermentaient dans les villes. D'abord ; ■■ les fainéants, les badauds qui, ayant
bonne nourriture chez leurs pères et mères, n'avaient d'autre occupation que
de flâner sur le marché, tranchaient toutes les questions et ne cessaient de
réclamer la réoiganisation sociale et l'abandon des lois anciennes. « Voici ce que
cette sorte de gens prêchait au peuple : « Nos conseillers sont contre vous! loin
d'être votre appui, ils vous oppriment avec barbarie. Hélas ! il e^t maintenant
permis aux puissants d'exercer leur fureur envers les pauvres, et ceux-ci n'ont
d'autre ressource que de se taire et de gémir. Les mains qui détiennent le
pouvoir, qui dirigent les affaires du peuple et du pays, sont impuissantes. Les
richards se sont unis, ils se sont établis au-dessus des paysan., et de la nation, et
nous devons leur payer tribut. Auprès d'eux vous êtes tous en disgrâce, vous êtes
méprisés, vous n'avez aucun pouvoir, et vous leur devez obéissance. A vous la
misère, le mépris, et malgré tout cela soyez joyeux et taisez-vous! Tous les
emplois sont exploités, non protégés. Nous avons des écorcheurs et non des
protecteurs. Regardez leurs maisons, ce ne sont pas des maisons bourgeoises,
mais des châteaux, des donjons hauts et redoutables. Loin de veiller sur le
trésor public, ils le dilapident. Ne serions-nous pas plus heureux suus la loi d'un
cruel tyran que sous leur domination, forcés que nous sommes de payer tant
d'impôts, de taxes, de dures redevan-es! oh! dignes Allemands, combien de
temps supporterez-vous un sort semblable? réveillez- vous donc! Si vous le
voulez, la victoire est à vous! Vous êtes des hommes d'énergie, vos mœurs sont
honnêtes et pures. En quoi donc êtes-vous moins habiles que vos maîtres? La
fortune sei a de votre côté. » Dans les maisons com muues des corporations venaient
s inscrire parmi les conjurés - des malfaiteurs, des ivrognes, des joueurs, gens
dissolus, avides de l'argent d'autrui et dissipateur.-, de leur propre bien, des
fainéants et beaucoup de ces personnages qui déjeunent tous les jours à l'au-
berge, se disant bonsoir quand le veilleur annonce le jour, et commençant à
trouver le vin bon quand minuit sonne. Ceux-lâ ne visent qu'au renversement
complet de tout ce qui existe, convoitent l'or, les maisons, les vêtements des
riches, demandent l'abolition des dettes sans condition, convoitent les florins
juifs, crient à la suppression des impôts et réclament la liberté absolue. »
La bande révolutionnaire est encore composée d'autres éléments, gens turbu-
lents, extravagants, canaille perverse, garçons d'auberge, cabareliers, balan-
ceurs de poteuce, coquins de toute sorte. On y trouve aussi cette classe
d'apprentis qui fêtent le vin le vendredi, vont au bain le lundi, et le mardi à la
soupe du matin; enfin des malfaiteurs de tous genres, assassins, traîtres,
voleurs, parjures et autres. = Chroniken der deuCschen Studie, t. III, p. 131-143.
Ce que dit ici .Meisterlin se rapporte, il est vrai, à des événements anté-
rieurs; mais il est clair qu'il a tiré ce tableau de sa propre mémoire, et
parle en se souvenant de ce dont lui-même a été témoiu, comme Bezold, dans
son livre des Pauvres Gens, p. 15, le fait remarquer avec raison. Voy. notre
1"^ vol., p. 196, où il est parlé de ce prolétariat des villes, dont Martin Schöngauer
nous a pour ainsi dire laissé le portrait. Dès le commencement du seizième
siècle, des émeutes et des séditions avaient éclaté en beaucoup de villes; l'émeute
de Cologne , en 1513, avait appris au prolétariat à connaître sa puissance. Il
CAUSES V;ÉNÉRAI,ES DE I,A HÉVOI.UTION SOCIALE. «55
Depuis l'explosion des troubles relif^ieux, les « honorables " se trou-
vèrent iréqucmmeDl en lutte avec toute une nrmée de conspirateurs
qui, poursuivant à la laveur de la doctrine luthérienne un idéal
commun, .ippuyaient leurs réclamations sur IKvangile, et ref^ardaient
toute opposition à leurs intrij^ues révolutionnaires comme attenta-
toire à la « liberté évangélique ».
L'union du peuple avec le prolétariat contre les « honorables "
assura presque toujours la victoire aux masses pendant la révolution
sociale. Presque partout, les « honorables ' durent céder au terro-
risme populaire.
Le premier signal du mouvement socialiste partit de Forscheira,
en Franconie. Le peuple s'empara des clefs de la ville (26 mai 1524),
mit le cou'ieil sous son obéissance, souleva les paysans des alentours,
puis, d'accord avec eux, dressa un certain nombre d'articles qui
réglaient à leur profit toutes les questions de dimes, et réclamaient
la liberté de l;i péclie et de la chase.
Au même moment, la population de la forêt Noire signifiait à
l'abbé de îSaint-Blaise son refus de lui obéir désormais, et déclarait
qu'ell ; se regardait comme affranchie de toute corvée ou redevance.
« Nous précédons nos frères de Waldshut », disaient les révoltés, " ce
sont eux qui nous envoient. » Dans les environs de Nuremberg, les
gens des campagnes s'aifroupaient, et s'entretenaient ensemble des
moyens de secouer le joug des seigneurs laïques, afin de n'être plus
obligés de payer taxes, rentes, intérêts ou redevances. « Bour-
geois et paysans doivent s'unir, sans cela rien ne réussira >,
disaient les têtes chaudes de la ville, impatientes de renverser le
conseil. Les gens du peuple, excités par les meneurs, parlaient de
partager avec les riches, parce que le temps de la liberté et de la
fraternité chrétiennes était arrivé, et que les fortunes devaient
être nivelées. Ces tendances communistes, comme le montre bien
le procès des <; peintres impies », s'étaient propagées jusque dans
ne se contenta pas de se joindre au comité révolutionnaire formé par les cor-
porations, il en composa un lui-même, réclama les clefs de la ville, celles de
l'hôiel de ville, de la cave du conseil et du iiureau des impôts, et saccagea
les maisons des conseillers Les émeutiers firent périr sur l'échafaud les deux
bourgmestres de la ville et plusieurs membres du conseil. Leur triomphe mit
ec émoi tous les gouvernants et magistrats de l'Allemagne. Pour plus de détails
voy. Eckert/., p. 197-245. Le prolétariat joua aussi un rôle important d.tns
l'émeute dErfurt (1509). Voy. Buukhvrdt, Das tolle lahr zu Erfurt, p. 3î5, 372,
sur les troubles d'Ulm en 1513. — Voy. l'article de Pressel dans la Zeitschrift fur
die Gesch. des Oberrheins, t. XXXVII, p. 211-218. A Hall, les ouvriers des corpora-
tions s'insurgèrent contre le gouverneur de la ville, un parvenu nommé Hermann
Büschler. Ils allèrent jusqu'à proférer cette menace : • Bientôt nous jouerons
aux boules avec des tètes sur la place du marché ! - — Voy. Stalin, t. IV, p. 94.
La même année il y eut des insurrections à Schweinfurt. — Voy. Liliencron,
Volkslieder, t. III, p. 120.
45G CAUSES GÉNÉRALES DE LA RÉVOLUTION SOCIALE.
les cercles cultivés de la ville. Les <• peintres impies », eux aussi,
rejetaient toute autorité temporelle et réclamaient le partage des
biens. A les entendre, tout bourgeois était né pour commander,
juger et punir '.
IV
Au reste, les agitateurs révolutionnaires avaient peu de peine à
soulever les paysans, cardans les campagnes on était presque aussi
révolté que daus les villes contre Tordre social existant, et les pré-
textes aux plaintes ne manquaient guère.
Bien avant l'introduction du droit romain, beaucoup de petits sou-
verains et de seigneurs fonciers, spirituels et temporels, travaillaient
à établir petit à petit le servage parmi les nombreux paysans libres
de leurs possessions, et cherchaient sans cesse de nouveaux pré-
textes pour augmenter toujours les dîmes et les corvées. Plus le
droit chrétien germanique était opprimé par le droit romain, plus
la situation du ' pauvre homme - empirait. Avec ses anciens
droits, il avait perdu son antique liberté. Les juristes appliquant à
TAllemagne les lois d'un état païen basé sur Tesclavage, avaient
fourni à leurs protecteurs des moyens < légaux » pour dompter une
paysannerie récalcitrante, et Tempécher d' « empiéter >;. Us avaient
appris aux seigneurs l'art de confisquer les biens communaux, de
lever de nouveaux impôts, d'exiger des redevances et des corvées
nouvelles; ils avaient restreint les droits des villageois au communal
de i.ois, de champs et de pâturage, et avaient été jusqu'à leur retirer
leur droit d'usage, déjà extrêmement circon-crit. Enfin le communal
des forêts fut mis « au ban » par les cruelles lois de chasse nouvelle-
ment établies. La chasse fut complètement interdite au paysan. De
plus, la défense d'abattre le trop nombreux gibier réservé pour les
chasses seigneuriales, même lorsque ce gibier ravageait les terres des
cultivateurs, faisait un tort incalculable à l'agriculture. Plus deve-
naient exorbitantes les sommes nécessitées par le renouvellement des
engins de guerre et les soldes des gens de guerre, qui remplaçaient
peu à peu l'ancienne servitude féodale, plus les gouvernants et les
potentats menaient une vie fastueuse et prodigue, et plus aussi le
peuple des campagnes était accablé d'impôts et de vexations toujours
' Voy. JÖRG, p. 142. Lettre de l'abbé Jean de Saint-Biaise du 30 mai 1524, dans
Schreiber, Bauernkrieg, t. 1, p. 1-2, Glos wtd Comment. Bl. K. — Zim.mermaivn, t. II,
p. 80. — Bi.iDER, Beiträge, t. II, p. 75-7". — Voy. plus haut, p. 405-406.
I
CAUSKS GliNÉRALES DK LA KKVOLUTION SOCIALE. 4j7
plus accablantes. Ea l.'>02, les Klecteurs eux-mêmes avouaient que
le pauvre homme était surchaific de servitudes, de tailles, d'impôts,
et qu'il élait opprimé par les tribunaux ecclésiastiques et laïques
d'une manière exorbitante et absolument inique. .Mais parmi tant de
calamités, le plus grand malheur des paysans, c'ét;iit de n'avoir
presque plus rien à voir dans leurs propres affaires. Autrefois ils
avaient eux-mêmes géré leurs intérêts, pris part aux assises popu-
laires, aux assemblées des communes, des districts maintenant le
Code romain allait jusqu'à les dépouiller de leur droit traditionnel,
des us et coutumes si nombreux auxquels ils étaient attachés de
cœur. ' L'ancien, le simple droit » était proscrit, étouffé par le
« droit étranjjer '-. Aussi le peuple ref^ardait-il les avocats, « ces
plieurs de droit, ces coupeurs de bourse, ces sangsues », comme ses
pires ennemis; il les détestait plus que les chevaliers brigands; il les
maudissait plus encore que les guerres privées qui dévastaient son
champ et incendiaient sa demeure. Et pourtant le vol à main armée,
les maux engendrés par les guerres privées s'étaient multipliés à
mesure qu'avait empiré l'administration de la justice, et les lans-
quenets qui parcouraient les plaines en bandes vagabondes augmen-
taient la détresse du pauvre paysan, que nul ne protégeait plus '.
Telles sont les causes principales des si nombreuses insurrections
de la fin du quinzième siècle et du commencement du seizième.
« Comment n'y aurait-il point d'émeutes? ■■ lisons-nous dans une
chronique du temps (1524). >' Tandis que les riches seigneurs et les
' Voy. notre l"" vol., p. 454, 465-477. — Voy. aussi Glas, und Comment. Bl. K. Le
chanoine de Zurich, Félix Hemmerlin, dans son dialogue, qui est plein de partia-
lité pour la noblesse, fait dire à un jjentilhomine que le proverbe a raison qui
assure que «rustica gens optima tiens ». - Il serait bon •, dit-ii, ^ qu'à certains
intervalles, environ tous les cinquante ans, on détruisit le l)ieu et la maison des
paysans, afin d'empôcher les branches orf^ueilleuses de pousser de trop fiers
rameaux. « Quand il rapporte les plaintes des paysans sur les déprédations hon-
teuses de la noblesse et sur les infamies des juristes, il cite leurs paroles en
latin. Indigné des actes de violence des princes et seigneurs, le paysan souhaitait
qu'il n'y eiUplus de chevaux ni de mulets; qu'il n'y eût sur la terre que des bes-
tiaux el des bétes de labour. = Cela suffirait bien pour l'agriculture, disnient-ils, et
la paix du monde y gagnerait. ' — Voy. Bezold, i-'<e « armen Leuten, p. 11-18. Wim-
pheling, dans la dédicace de son Überblicks über die Mainzer Gesch. à l'archevêque
Albert (1515), est d'avis que l'arcbevêqu.^ devrait veiller « ut cum incole tum
advene tuto per terras nostras ambulent nec innocentissimi quique a sicariis
equitibus contra ratiouem et omnem legem inhumanissime depredentur et
cum forte qui se ad defendendum parant, jaculis confodiantur, uti cuidam pres-
tanii viro ex Marchia illustrissimi patris tui vel ad Cesarem vel ad summum
pontificem equitaturo miserabiliter accidit. Et hi tameu latrones pauperculum
ac stolidum pro exiguo furto, quo rapina ipsorum longe immanior est, ad
laqueum nonnumquam judicare soient. Uiinara germanici proceres et équités
haue infamem labern, quam de ipsis etiam. Suitenses et ore et impressionibus
predicant,a se tandem abdicarent : sicut in toto Francie regno terras esse tutis-
simas viatoresque securissimos, ex pio Guilhelmo Argentinensi episcopo... in
patria mea nuper his auribusaudivi.« Bibliothèque duchâteaud'Aschaffenbourg.
i58
CAUSES GÉNÉRALES DE LA RÉVOLUTION SOCIALE.
paysans enrichis vivent dans le bien-être, se délectent, se noient
dans les plaisirs, le pauvre homme est plongé dans la détresse par
les mauvaises récoltes, renchérissemenî, les reitres, les chevaliers
brigands, les avocats et autres misérables. L'émeute est facilement
soulevée, les séditieux et les agitateurs sont avidement écoutés parmi
cette population misérable qui, ne distinguant plus ce qui est légi-
time de ce qui est coupable, est si naturellement tentée de secouer le
joug, de se débarrasser de toute autorité, de toute charge, et se dit
avec raison qu'il serait bien juste de lui faire payer de moindres
redevances qu'à ses pères. Voilà comment l'insurrection éclate eu
beaucoup d'endroits, et elle deviendra encore bien autrement fré-
quente, si Dieu n'a pitié de nous '. »
En l'espace de quelques mois l'insurrection était partout.'
A partir du mois de juillet 1524, la révolution sociale « se pro-
pagea comme un incendie, de ville en ville, de village en village ».
D'abord circonscrite sur la lisière de la Suisse, de la forêt Noire
au lac de Constance, elle se propagea rapidement dans tout le ter-
ritoire situé entre le Danube, le Lech et le lac de Constance; de
là, elle se répandit en Alsace, dans le Palatinat, le Rheingau, la Fran-
conie. la Thuringe, la Hesse, la Saxe et le duché de Brunswick. Au
sud, elle atteijjnit le Tyrol, l'archevêché de Salzbourg, les duchés de
Styrie, de Carinthie et de Carniole. La Bavière seule resta paisible,
et les révolutionnaires n'y purent avoir d'influence, car le pouvoir
était entre des mains énergiques et sages.
Il vint un moment où l'on put croire que, clans les pays allemands,
« tout ce qui jadis avait été en haut venait de couler à fond, et qu'il
n'y avait plus aucun moyen d'échapper à la domination de la popu-
lace* ».
' Vermanunj an crisllich Oherkeil und alle Cristen in gemein. Sans indication de lieu.
1524.
^ * Écrivait Clément Endres, le 18 avril 1525, Trierische Sachen und Briefschaften,
loi. 89.
CHAPITRE 111
CAllACTÈRES GI-N'ÉHAUX DE LA RÉVOLUTION SOCIALE.
La révolution qui venait d'éclater renfermait les éléments les plus
disparates et lormiilait les prél entions les plus variées.
« Un (jrand nombre d'insurgés ';, écrit un contemporain, « se bor-
naient à revendiquer le droit communal, le rétablissement de leur
antique système judiciaire, la remise en vigueur de leurs anciens
usages, rallégemenl des charges et des corvées; d'autres refu-
saient nettement toute servitude et entendaient commander à leur
tour. Quelques-uns ne voulaient obéir ni aux princes ecclésias-
liques, ni aux seigneurs temporels, et disaient ne dépendre que de
l'Empereur. Mais la grande majorité des révoltés et des incendiaires
voulait, avant tout, partager avec les riches argent, propriétés,
privilèges, champs, forets et pâturages, car, disaient-ils, d'après la
sainte Écriture, les biens de la terre appartiennent à tous, et il ne
doit point y avoir de distinction entre les hommes. De par le droit
divin, nous sommes tous égaux devant Dieu. " Sur ce point, les
déclassés, les dépossédés des campagnes étaient entièremeut d'accord
avec les insurgés des villes. Les nombreux agitateurs qui s'offraient
pour les diriger, prêtres apostats, moines échappés de leurs cou-
vents, nobles dissolus, avocats et greffiers sans ressource, soudards,
compagnons ouvriers, aubergistes ruinés et autres gens déclassés,
n'étaient occupés qu'à mettre le feu aux poudres et à exciter toutes
les convoitises'. Éberlin de GQnzbourg résumait dans ces courtes
paroles le but avoué de la révolte : ' La richesse pour les pauvres, la
domination pour les sujets, l'égalité pour tous*. "
' Contra M. Lulherum et Luiheranismifaulores, fol. 15.
- Voy. U[GGE\BACH, p. 243. « Et cependant », disait Eberlin, > rég.ilité est une ir-
réalisable utopie. Car même si l'on mettait en commun tous les biens de la terre,
les yens dissolus, les joueurs, les débauchés ne laisseraient pas longtemps la
chose en même état, ils dissiperaient leur part, et réclameraient ensuite un nou-
veau partage. Or les autres ne voudraient pas y consentir, et se verraient bien
460 TENDANCES COMMUNISTES DE LA REVOLUTION SOCIALE.
Les interrogatoires des chefs d'insurgés après leur défaite, inter-
rogatoires dont un grand nombre nous ont été conservés, prouvent
clairement que, par le renversement de tout droit, de tout ordre so-
cial, les rebelles espéraient obtenir l'égalité et la fraternité parfaites.
Thomas Münzer avouait sans détour que lui et ses compagnons
n'avaient entrepris la guerre que dans le dessein - de mettre en
commun tous les biens de la terre ' ". Jean Laue, l'ex-grand maître
de l'Ordre Teutonique, prêchait publiquement à Mulhausen « qu'il
fallait sortir des coffres l'argent, cette idole des riches bourgeois,
parce que tous les biens étaient communs^ - .
En Alsace, le révolutionnaire WoIfGerstenwell avouait que le prin-
cipal motif de son entreprise et de celle de ses compagnons, c'était
le partage des biens; dès leur entrée à Saverne, ils s'étaient proposé
de mettre la main sur les propriétés des riches. C'était au tour de
ceux-ci à souffrir la misère tandis que les pauvres jouiraient de la
fortune. De plus, ils voulaient renverser toute autorité et devenir
les maîtres. Les chefs des paysans révoltés de Rappoltswiller firent
les mêmes aveux ^
Simon de Weiersheim et ses compagnons confessèrent en présence
de sept témoins que non-seulement leur intention avait été « de
partager entre eux tous les biens communaux et d'établir l'égalité de
biens entre riches et pauvres ), mais qu'ils avaient juré d'exterminer
et de proscrire les seigneurs, les nobles et les prêtres, et de se par-
tager leurs biens. « Étant pauvre ", disait ouvertement Georges
Voltz, " je me promis de devenir riche par ce moyen*. "
vite exposés à être dépouillés, à perdre la vie et les biens comme ceux dont ils
auraient auparavant partayé les dépouilles, de sorte que ces avides tyrans, après
s'être jelés d'abord sur les seigneurs, ne tarderaient pas à se dévorer ensuite
les uns les autres. "
' Voy. plus haut, p. 393.
' Voy. Seidemann, Beiträge, t. XI, p. 382, et Mûhlhauser Chronik., p. 393.
^ Voy. Schreiber, Bauernkrieg, t. Il, p. 195-196. — Jörg, p. 293. Dans une chan-
son populaire du temps, on lit :
La bande des ruitres est tout enflée d'orgueil,
Les psysans veulent s'unir, se liguer,
Oui, pour aller en enfer!
I!s prétendent ^tre les seuls maîtres,
lis veulent partager tous les biens.
LlLIENCRON, t. III, p. 497.
* Voy. JÖRO, p. 292. — Schreiber, Bauernkrieg, t. II, p. 197-198. — « On trouTC
toute une série de ces aveux dans les archives de Strasbourg», dit l'édi-
teur. A propos de l'émeute du Tyrol, l'archiduc Ferdinand écrivait le 22 mai
1525 « que ces séditions et révoltes ne provenaient que de quelques individus, gens ayant •
peu ou rien à perdre •. Dans la « Défense et articles de protestation de la ville de
Botzen > où la cité cherche à se disculper d'avoir laissé piller la maison des
chevaliers de l'Ordre Teutonique, on lit « quau moment de l'émeute, la ville
était pleine d'étrangers, d'hommes et de femmes, qui espéraient voir durer le
pillage et avaient même apporté des sacs avec eux dans l'espoir d'avoir du bon
butin à y mettre ». — Voy. Grelter, p. 41.
TENDANCES COMMUNISTES DE LA RÉVOLUTION SOCIALE. 461
Ce furent ces mêmes convoitises, ces mêmes aspirations commu-
nistes qui, dans rcvêclic de Bambergs, armèrent le prolétariat des
villes, dont un barbier avait pris le commandoinent. La populace
disait hautement qu'il fallait assommer les « honorables > , les nobles,
les moines et les prêtres. Le barbier Hans Harllieb ' de la rue
longue », le plus ardent de tous, prétendait tout réformer « d'après
l'Kvangile », et comme il le disait, « tout niveler' ».
Aux environs de Wurzbourg, les paysans déclaraient nettement
« que les hommes étant tous frères, ils entendaient que la chose fût
reconnue dans la pratique », et que le riche partageât avec le
pauvre, surtout ceux qui avaient acquis leur fortune dans les affaires
du commerce, ou qui se l'étaient procurée aux dépens du pauvre
homme ^ A Rothenbourg sur la Tauber, les émeutiers faisaient con-
sister la « doctrine de l'amour fraternel chrétien » dans le partage
des biens, l'abolition de toute autorité et souveraineté, et dans l'éga-
lité parfaite des fortunes, l'out chrétien devait être disposé à prêter;
mais bien loin de songer à réclamer le remboursement d'une dette,
il devait attendre que le remboursement se fit de lui-même'.
Des aveux des chefs révolutionnaires de l'Algau, il ressort qu'ils
avaient résolu de massacrer tous les chefs ecclésiastiques et tempo-
rels. Les paysans insurgés de Franconie entrèrent en campagne avec
l'idée arrf'-tée d'extirper entièrement la race des princes et des
nobles, et de brûler tous les châteaux*.
Les plus modérés voulaient que chacun étant désormais dûment
instruit du nouvel Évangile, l'année jubilaire ordonnée par Moise fût
rétablie, toutes les dettes annulées, et que les biens aliénés par suite
d'obligations précédemment contractées revinssent à leurs premiers
propriétaires. Ils réclamaient en outre la complète indépendance des
colons fermiers.
Or si l'on eût donné droit à de pareilles réclamations, l'existence
même de la bourgeoisie eût été en question.
Luther s'était montré favorable au rétablissement de l'année jubi-
laire ^ Aussi à Eisenach, le prédicant Strauss la déclarait-il d'insti-
tution divine, disant qu'indubitablement tous les chrétiens y étaient
obligés. Selon lui, on n'était pas forcé de payerles impôts, mêmelorsque
l'autorité commandait. La tyrannie régnait partout, mais le temps de
' Voy. JÖRG, p. 293-294.
* Laurent Fries, Bauernkrieg, p. 299. A Munster, en Westphalie, les paysans
disaient hautement qu'ils ne souffriraient pas que les riches aient plus de
2,000 florins de fortune par individu. A Cologne, « ils menaçaient de faire une
descente chez les riches bourgeois •. — Cornelius, Münsicrischen Aufruhr, t. L p. 9.
' Voy. Bensen, p. 78.
* Voy. JÖRG, p. 295, 298.
* Voy. plus haut, p. 404.
462 CHEFS REVOLUTIONNAIRES.
la vengeance était proche. Le pauvre était contraint de payer la
dime lorsque sa femme et ses enfants souffraient de la faim et de la
misère. Plus d'une pauvre femme enceinte, à force de trembler pour
son mari, se voyait privée de l'espoir d'être mère, parce que le
pauvre travailleur ne parvenant point à payer ses dettes ä la suite
d'une mauvaise récolte ou de tout autre désastre, avait été jeté en
prison, et tellement tourmenté que cela criait vengeance au ciel.
" Et très-certainement, cette vengeance sera prompte % ajoutait
Strauss; « mais les gros bonnets ne pensent guère à cela! la parole
et la loi de Dieu les laissent fort indifférents; ils croient faire bien
assez en employant une partie de l'argent qu'ils ont extorqué à leurs
pauvres sujets au culte des idoles, aux joujoux d'église! Les moines
les engagent à faire ainsi pénitence, et en profitent pour se remplir
le ventre! Ils se persuadent qu'ainsi ils iront tous ensemble au ciel,
dût le diable les y porter '. « Le prédicaut Mantel disait en pleine
chaire aux paysans du Wurtemberg : « O mes chers frères, ô pauvres
chrétiens pieux, si les années jubilaires arrivaient, quel bon temps
commencerait pour vous ^! "
Du reste, ces désirs de destruction radicale, ces appétits de vol et
de pillage s'expliquent amplement lorsqu'on étudie le caractère de
la plupart des chefs révolutionnaires.
Les révoltés de l'Odenwald étaient sous la conduite d'un auber-
giste dépravé, Georges Metzler, qui avait passé la plus grande partie
de sa vie dans le jeu et la débauche, et voyait dans l'émeute un
moyen d'échapper aux châtiments qu'il avait justement mérités. Les
insurgés d'OEliringeu agissaient sous l'impulsion du boucher Nicolas
Salb, qui, dévoré d'ambition, espérait devenir quelque chose dans la
tourmente. A la tête des bandes du Neckar, Jacques Rohrbach, être
farouche, redouté dans tous les environs depuis qu'il avait assassiné
les maires de Böckingen, = ne désirait autre chose que la liberté de
ne pas payer ses dettes^ >. « Moi, je n'ai qu'une devise ", répétait-il
souvent : ^ Brûler, saccagera » Dans l'évêché de Wurzbourg, c'était
aussi parmi les mauvais sujets à qui leur vie désordonnée avait fait
perdre l'estime et la confiance de tous que le peuple allait chercher
ses guides. Son principal oracle était Hans Bermeter, « h;ibile joueur
de fifre et de violon, qui s'exprimait avec une certaine éloquence, mais
dont la conduite avait toujours été dissolue; sa tenue était débraillée,
et beaucoup refusaient de frayer avec lui, parce qu'il avait été mis
' Voy. la brochure publipe par lui en 1524 : Das Wucher zu nehmen und geben
unserem christlichen Glauben entgegen ist. Bl. C'*. — Voy. IIagen, t. 11, p. 322. — WlSKE-
MA>\, p. 96.
- Sattler, IVürlemberg. Gesch. unter den Herzogen, t. II, p. 105.
3 Voy. Bensen, p. 108, 116, 120.
•* * D'après un renseignement fourni par Senckenberg, .icta et Pacta, fol. 507.
CHEFS REVOLUTIONNAIRES. 463
jadis au cachot pour cause de vol. Dès qu il avisait dans un quartier
isolé de la ville, dans quelque ruelle ou maison l)or{;ue, un individu
de son espèce, ami du désordre, mauvais drôle, ayant comme lui
dépensé ce qui lui appartenait et convoilant pour ceflo raison le bien
d'autrui, c'est à celui-là qu'il s'associait. " « 11 injuriait l'autorité,
portait aux nues la liberté, et enseijjnait à ses auditeurs le moyen de
se débarrasser promptement de toutes les charges et d'arriver à la
richesse'. " Le che!" des rebelles de lîainber(j, Ulrich de Peignitz,
: était toujours pris de vin >'. Ses mœurs étaient corrompues; « il
était de ceux qui ne sont misérables que pour avoir dissipé tout
ce qui leur appartient «. Le second chef de bande de Bamberg
" était connu de tous pour un voleur. Il s'immisçait dans toutes les
querelles; son pauvre vieux père était mal nourri et sans le sou. ■ Le
troisième >- avait bien excité cent émeutes dans le cours de son exis-
tence, et ne voulait, disait-il, reconnaître d'autre maître que Dieu. Il
avait commis plus d'un larcin, plus d'un meurtre, et ne songeait qu'à
boire ^ » Au camp des paysans de Bayreuth, près de Gesess, les révoltés
obéissaient à Ilaus Lorenz, ivrogne par état, qui présidait leur con-
seil de guerre « et disait s'êlre voué à la cause de l'Evangile et de la
justice ' . Ils reconnaissaient aussi pour chef un gentilhomme ruiné,
devant lequel ils portaient la bannière, et qui était connu dans tout le
pays pour un assassin et unbrijjand de grand chemina Dans le haut
Algau, Conrad Wirt avait, de son propre aveu, commis trente
vols -, et de par ordonnance de justice n'avait plus le droit de porter
des armes ^ A Langensalza, le savetier Melchior Wigand, chef des
révoltés, avait été autrefois soldat, et depuis avait mené une vie
d'aventures et de désordre. -- C'est moi qui ai mis tout en branle! >^
s'ccria-t-il au moment où le toscin se faisait entendre et où le peuple
s'attroupait. « J'ai eu bien de la peine à y parvenir, car dans un tel
jeu il y va de la tète! Les bandes de paysans qui s'unirent à la
populace de Langensalza pour détruire les couvents et les châteaux
étaient conduites par Albert .Menge, qui, selon les besoins de sa
cause, se donnait tour à tour pour un médecin français, un barbier
ou un tondeur de drap^ .
Le prolétariat des villes, les paysans, les nobles s'étaient simulta-
nément soulevés contre tout l'ordre existant, et c'est ce dangereux
accord qui rendit la révolution si terrible.
Elle recruta aussi de chauds apôtres parmi le bas clergé. Le
' Laurent Fries, Bauenihrieg , p. 61-63.
- Voy. JÖRG, p. 202.
' Voy. JÖRG, p. 204.
^ Voy. J<iRG, p. 206-207.
' Pour plus de détails, voy. Seidem\>x, Beiträge, t. X[, p. 513-527.
464 CHEFS REVOLUTIONNAIRES.
« pauvre homme du sacerdoce " espérait, tout aussi bien que celui
du peuple, tirer bon parti de Témeute. Depuis longtemps déjà il
regardait d'un œil d'envie les riches abbayes et les couvents, et
nourrissait un secret ressentiment contre les seigneurs ' haute-
ment nés » qui gouvernaient les évèchés et les chapitres, possé-
daient de si gros revenus et souvent de si nombreux bénéfices.
« 11 comparait leur sort au sien; en dehors de la dime et d'un
casuel très-incertain, il n'avait rien, et comme à la suite des inno-
vations religieuses, ces dîmes et ces casuels étaient de plus en plus
maigres, la pénurie du curé, du pauvre vicaire de village, devenait
tous les jours plus grande. Beaucoup se faisaient évangélistes
faute d'avoir de quoi manger; d'autres se laissaient tenter par
l'espoir de faire bombance, de ravager les couvents, les châteaux,
et de rapporter chez eux un bon butin évangélique. Mais on n'a
jamais ouï dire que leur conduite ait été dans la suite véritablement
évangélique! '
Le prêtre de village était mécontent,
Il n'avait guère de quoi mordre!
La misère était tout son horizon.
Aussi, lorsque arriva la guerre,
11 saisit ses armes, son armure,
Et résolut de défendre l'Éviingile
Et de soulever pour la foi le monde entier!
Mais au fond il ne désirait que prendre femme
Et s'affranchir de toute loi '.
« Les suborneurs de paysans, ces prêtres qui commandent les
bandes révoltées ", écrivait l'humaniste Beatus Rhenanus à un ami,
« mériteraient d'être proscrits dans des lies lointaines et désertes, car
ils ne respirent qu'émeute, pillage, haine de l'autorité ^ »
Mais les principes révolutionnaires trouvaient surfout d'ardents
apôtres parmi les « prêtres évangéliques » des campagnes. Beau-
coup, il est vrai, avaient suivi malgré eux les hordes insurgées; mais
beaucoup aussi, de leur propre mouvement, se faisaient aumô-
niers militaires, conseillers, chanceliers, capitaines des rebelles.
D'autres prêchaient ouvertement la révolte aux paysans de leurs
villages. Dès qu'ils avaient quitté l'Église, ils commençaient par abolir
1 * Tiré de la source citée plus haut, p. 440, note 1.
^ A. HOKkwnz, ßealus Rhenanus, ein bibliographischer Versuch, dans les Sitzungshe-
richten der Wiener Académie Philos, hislor. Classe (1872), t. LXX, p. 255. Au début, Rhe-
nanus s'était déclaré pour Luther, dont il attendait la réforme intérieure de l'Église
(p. 224-233). Après les horreurs de la guerre des paysans, il revint à la foi catho-
lique. Dans une lettre au caidinal Bernard de Trente, il gémit de voir « la paix
de l'Église presque entièrement ruinée par les querelles impies de certaines
gens ' (p. 233-237J.
CHKtS REVOLUTIONNAIRES. 465
la messe et prendre femme. C'élail la, infailliblement, le premier
i'ruil de leur apostasie; ensuite ils venaient se joindre aux révoltés.
Dans le seul petit domaine du pi'ince-abbé de Kempten, nous voyons
neuf prêtres prendre part à l'émeute ou accusés de l'avoir soulevée;
plus nombreux encore sont les curés révolutionnaires du Tjrol. Dans
les principautés du mar^jravc Casimir de Brandebourjj, les prêtres
« ont la main dans toutes les insurrections -i. Ce sont des prêtres,
armés de toutes pièces, qui marchent avec les révoltés contre Tévêque
d'Augsbourg lorsque celui-ci se décide â venir en personne inviter
les paysans de Kaufbeuern et de Füssen à rentrer dans l'ordre. Dans
les environs d'Eichstädt, plusieurs prêtres apostats sont à la tête des
paysans', dont l'armée se compose en grande partie de gens sans
aveu, de filous, de domestiques honteusement chassés par leurs
maîtres, de joueurs, de paysans sans feu ni lieu, de bourgeois dé-
pravés, de vagabonds, d'étameurs ambulants, de goujats, de déser-
teurs, de soudards, de musiciens et de tondeurs de haies *.
' Pour plus de détails sur l'attitude du bas clergé pendant la révolte des pay-
sans, voy. JoKG, p. 191-200. Le chevalier Georges de Werdenstein dit dans sa
Chronique sur la guerre des paysans : ^ Quelques prédicants se sont mis en avant dans
de semblables émeutes; c'étaient des moines échappés de leurs couvents, des
prêtres apostats, dépravés, nayaiit plus rien à perdre, et qui, pour essayer de
se relever, avaient embrassé le luthéranisme ou adhéré à des doctrines bizarres.
Dans presque tous leurs sermons ils excitaient le peuple contre les autorités;
enfin la chose alla si loin que les paysans chassèrent leurs anciens prêtres, pieux
et bons, et prirent ces misérables pour leurs pasteurs et prédicants. Bientôt ils
refusèrent de payer aux seigneurs redevances, dîmes ou impôts; ils devinrent
séditieux, ils s'emparèrent des châteaux, des couvents pour les piller ou les
brûler; ils ont indignement persécuté le clergé et les autorités; dans cet
intervalle beaucoup de doctrines singulières s'introduisirent dans les villes et
les villages, et les luthériens commencèrent à faire de grands changements
dans la religion, niant que la mes^se fiU un sacrifice, enseignant le peuple
touchant la foi comme si auparavant on n'en avait jamais eu! Loin de nous une
pareille pensée! Jadis on vivait plus chrétiennement, plus fraternellement et
cordialement que de notre temps. Les prédicants avaient l'Évangile sur les
lèvres, mais ils ne s'en servaient que pour couvrir leur perversité. Beaucoup
parlaient de l'Esprit de Dieu, mais peu priaient d'après son inspiration. Ils ont
réhabilité la chair : voilà leur œuvre; mais quant à la dévotion, à la discipline,
à la chasteté et aux autres vertus, ils les ont balayées et les ont remplacées
par l'envie, le scandale, les vices de tous genres. Ils se sont arrogé le droit
d'abolir les usages de l'Église, comme si jamais ces usages avaient fait quelque
tort aux hommes ! A Dieu ne plaise ! D'autres comme Carlstadt en Souabe.
Zwingle à Zurich, OEcolampade à Bàle, etc., ont blasphémé le Très-Saint Sacre-
ment de l'autel, ne voulant voir en l'Eucharistie qu'un pain ordinaire; sur
cette question les luthériens et eux ont éuiis quantité d'opinions contradic-
toires; maintenant l'un disait ceci, demain l'autre disait cela, et ainsi ils ont
répandu poison sur poison. Dieu veuille les convertir! • — Voy. Bacmxxn,
Quellen, p. 479-480.
' .IÖHG, p. 222.
30
466 L'ARMEE REVOLUTIONNAIRE-
II
Tel était en général le personnel de ce qu'on a appelé T" armée
des paysans ". Mais on y rencontrait aussi, dit un écrivain con-
temporain, « beaucoup de braves villageois à leur aise. Si tu me
demandes comment cela se pouvait faire, je vais te l'expliquer : Les
vauriens d'un village, ceux qui n'avaient rien à risquer, commençaient
par s'attrouper, sonnaient le tocsin, et ne tardaient pas à incendier,
à piller; l'effroi se répandait alors parmi les paysans des alentours.
D'aucun côté ils ne pouvaient espérer du secours, car dans les villes
il en allait de même; là aussi les méchants garnements jetaient
l'épouvante parmi les bourgeois. Mais l'insurrection avait un
caractère plus effrayant dans les villages, oii beaucoup de gens
dépravés des villes avaient réussi à exaspérer les ressentiments des
paysans. La bande perverse et dissolue en venait donc à contraindre
les bons et ceux qui avaient quelque avoir, menaçant de tout incen-
dier si l'on refusait de se joindre à elle, et même d'assommer tout
récalcitrant. Ils mettaient un poteau devant la demeure de celui qui
leur fermait sa porte, et c'était une manière de les désigner à la ven-
geance des leurs; ils couraient ensuite dans les maisons voisines et
s'emparaient des armes et des piques. La jeunesse surtout se livrait
avec fougue à toutes sortes d'excès. A la fin, les bien intentionnés
étaient obligés de céder, de sorte que l'armée grossissait de jour en
jour'. ')
C'est par ces " moyens d'intimidation, ces pillages, ces incen-
dies ", que les chefs de la révolte contraignaient à les suivre ceux
mêmes qui détestaient le plus leur entreprise. Nous lisons dans une
relation écrite à Constance : « Les paysans s'assemblent dans les
campagnes. Bien que leur entreprise répugne aux bons, et qu'ils
déplorent ce qui se passe, les jeunes gars et ceux qui n'ont plus
rien à perdre font tant et si bien que les honnêtes gens, même les
meilleurs, sont contraints de suivre l'élan donné; sans cela les révol-
tés mettent un poteau devant leurs maisons, et leur déclarent que
s'ils s'abstiennent et refusent de payer une sorte de rançon, ils les
feront assommer, ou bien que le premier insurgé qui les rencontrera
leur passera sa pique au travers du corps, sans que le meurtrier soit
exposé pour cette action au moindre châtiment ^ " L'auteur de la
' * SeNCKENBERG, Acta und Pacta, fol. 506.
* SCHULTHEISS, Constanzer Colleclaneen, dans Baumann, Quellen, p. 519.
L'ARMEL KKVOr^UTIONXAIRE. 467
Chronique de Biberack dit aussi : - Dès qu'un paysan refuse de faire
partie de la < Fraternité , les rebelles plantent un poteau devant sa
maison, et cela signifie qu'ils se disposent à piller tout ce que possède
son propriétaire, à moins que celui-ci ne consente à payer une bonne
somme'. ' « Une horde s'entendait avec l'autre «, écrit un chroni-
queur de Weissenhorn; celui qui refusait de suivre les insurgés
était menacé d'incendie, de pillage, et d'être exclu de la commune*. '
Une chronique de Kempten rapporte les mêmes faits: « Celui qui ne
voulait pas prendre part à l'insurrection, on l'y coniraignait. (Uiel-
ques-uns, pour obtenir la permission de rester chez eux, devaient
payer rançon, sans cela les insurgés mettaient le poteau devant sa
porte ^ •• Le chef des bandes du haut Algau, Knopf von Luibas, au-
trefois domestique chez un blanchisseur de Kempten, avoua dans son
interrogatoire que ses compagnons et lui avaient décrété que qui-
conque refuserait de se joindre à la Fraternité et de venir en aide à
la cause populaire serait dépouillé de ses biens, mis à mort, et que sa
femme et ses enfants seraient chassés du pays*. L'abbé de Kempten
écrivait : - Ils ont entraîné les paisibles sujets et les serviteurs de
l'abbaye, qui volontiers seraient restés fidèles à leur honneur, à leur
devoir et à leur serment. Ils les ont contraints de faire partie de leur
maudite Fraternité; ceux qui refusaient d'obéir, ils les ont menacés
d'incendie et de pillage, parlant de mettre un poteau devant leur
maison, de les retrancher de la commune ou de les en chasser comme
de vils malfaiteurs \ - " Les maîtres, bien malgré eux, laissaient à
leurs fidèles serviteurs, qu'ils se voyaient incapables de protéger plus
longtemps, la liberté de se joindre aux émeutiers, de peur que ceux-
ci ne réaUsassent envers eux leurs féroces menaces ^
Un autre châtiment imposé aux récalcitrants, c'était le - ban
laïque -. " Si vous voulez entrer dans notre union et confrérie chré-
tienne ', écrivaient les - chefs et conseillers ; des hordes de la forêt
Noire aux habitants de Villingen, ! la volonté de Dieu, qui nous
ordonne de pratiquer le commandement de l'amour fraternel, sera
accomplie en ce qui vous concerne; mais si vous vous opposez à
nous, nous vous condamnerons au ban laïque, en vertu de la pré-
sente lettre. " Frappé par la sentence du ban laïque, le paysan était
considéré comme mort, comme ne faisant plus partie de la com-
mune : « Personne ne doit avoir de relations avec lui. Défense de
- Pflummern, Annales Bibtracenses, dans B.V.UMANX, Quellen^ p. 305.
- Thomanx, ll'eissenhorner Historie, dans BvlMANN, Quellen, p. 63.
' Flaschutz, Chronik des Sti/les Kempten, dans BauMANN, Quellen, p. 379.
*Voy. JÖRG, p. 219.
^ Voy. JÖRG, p. 218.
^ Voy. l'exemple du village de Sontbeim, cité par Be.nsex, p. 121.
30.
468 L'ÉVANGILE DE LA REVOLUTION SOCIALE.
lui apporter aucun aliment, blé, boisson, bois, viande, sel, etc.
Défense aussi de l'approcher, de lui acheter ou de lui vendre quelque
chose; les marchés, les lorèts, les pâturages, les rivières lui sont
interdits. Celui qui par faiblesse tolérerait quelque contravention aux
présentes lois serait à son tour condamné au ban, et puni des mêmes
châtiments, ainsi que sa femme et ses enfants. Comme toutes les tra-
hisons, tyrannies, iniquités nous sont venues des châteaux, des cou-
vents et des abbayes, à dater de celte heure, on leur dit anathème. «
Dans la vallée et le village de Kirchzarten, ce même avertissement fut
publié. On y avait ajouté ces paroles : ■■■ L'union chrétienne vous
exhorte en toute charité fraternelle à prêter main-forte au droit
divin et à adhérer au saint Évangile. JNous réclamons une réponse à
bref délai; ceci est notre première sommation : Évangile, Évangile,
Évangile! » Leschel^ et conseillers des ' saintes hordes évangéliques
de la forêt Noire et du Brisgau " envoyaient aux habitants de Fri-
bourg cet avertissement : « Nous avons le très-grand désir de vous
compter aussi parmi nos frères; nous espérons que vous nous aiderez
à propager la parole de Dieu et le saint Évangile, auquel personne n'a
le droit de résister. Dès votre adhésion donnée, nous vivrons en frères
avec vous. Dans le cas contraire, nous marcherons contre vous avec
nos parents et amis, et nous envahirons votre cité. " Quelques émeu-
tiers proposèrent de mettre le feu à un coin ou aux quatre coins de
la ville. « Les insurgés », écrivaient les conseillers de Fribourg, « ont
pillé et saccagé plusieurs couvents et châteaux, dont quelques-uns ont
été complètement détruits par l'incendie. Le clergé et la noblesse sont
lamentablement dépouillés. Les paysans ont si bien fait, par leurs
sanglantes menaces, qu'ils ont forcé les villes à prêter hommage à
leur " Fraternité », et contraint tout le Brisgau d'en faire partie. »
Pour les émeutiers, ils ne cessaient de répéter que le seul mobile de
leurs actes, c'était « l'amour iTaternel, l'établissement de la paix
perpétuelle d'après la parole du Dieu tout-puissant, et le maintien du
droit divin ". " La seule charité les pressait de communiquer à leurs
frères la parole de Dieu et le saint Evangile'. »
III
« A entendre les révoltés », écrivait Clément Endrès, " ils n'agissent
que pour la défense du saint Évangile. Les nobles perdus de dettes,
' Voy. Schreiber, Bauernkrieg, t. II, p. 88-89, 101, 187, 219, et t. III, p. 57, 200.
Des paysans, pour - avoir voulu obéir à leurs seigneurs, furent rançonnés
ou assommés ». — Voy. les aveux de Pierre Ganzenberg dans Schreiber, t. I,
p. 173,
L'ÉVANGILE DE LA RKVOLUTION SOCIALE. 469
les paysans, la iiopuiacc n'oni que ces mots à la bouche. En Suisse,
dans roberland, la lorét IXoire, la Souabe, lu Fraiiconic, il n'est
question que d'Évan[;ilo. Ce mot sacré excuse et couvre tout, émeutes,
attentats de tout genre '. " Nous lisons dans les chansons populaires
du temps :
lis se vantent, ils se glorifient
De la sainte parole de Dieu.
Ils pensent ainsi lleurir leur cause,
Mais ils ne fondent (|ue l'assassinat!
Une autre chanson fait dire aux prolétaires :
Le saint Iivangile nous est enfin annoncé,
A nous autres pauvres gens!
Il nous délivrera généreusement
De tout ce qui nous opprimait.
Il apprend au riche et au pauvre à s'entr'aimer
El h partager ce (|u'ils ont;
Aussi le mettrons-nous en pratique
Avec une bonne volonté joyeuse !
Nous chasserons tous ceux
Qui voudraient s'y opposer.
Nous aussi, nous porterons des robes rouges,
Sans nous inquiéter de savoir
Si la loi le permet ou non!
La " parole de Dieu », le droit divin contenu dans le saint
Évangile et opposé aux lois existantes, tels furent, en Allemagne
comme en Bohême, les formules générales, les mots de guerre de la
révolution sociale, surtout depuis les prédications des prêtres apo-
stats-.
' * Triereschen Sachen und Briefschaften, fol. 89.
*.lörg dit très-bien à propos de ce mot de » droit divin » qui égara alors
toutes les têtes : «Cette parole, pour pouvoir devenir l'âme du terrorisme révo-
lutionnaire, devait exprimer une idée vague, et être susceptible d'être inter-
prétée dans des sens différents, soit pour le bien, soit pour le mal. » Chacun
devait pouvoir y sous-entendre son idée préférée; les uns, complètement
séduits, allaient devenir, grâce à elle, des fanatiques de bonne foi; les autres, y
puiser des motifs de poursuivre leurs efforts intéressés, dissimulés sous de
beaux prétextes; les troisièmes, troublés, déroutés par elle, allaient être jetés
presque malgré eux dans le tourbillon; enfin elle allait rendre impuissants tous
les efforts de résistame des quatrièmes, leur fermant la bouche et les livrant
sans défense à la haine d'une populace en délire : « Agricolas libertatis falsse
spécula illectabat, classicum canentibus illis, qui numinis cœlestis adulterato
verbo, simplicitati hominum imponebant », dit Theobald Billikanus. Voy. Döl-
LiNGER, ftéformation, 1. 1, p. 149, note. « Le pauvre peuple », écrivait le duc Georges
de Saxe à propos de la révolte des paysans, « a été conduit à la haine et à la
résistance envers les autorités par ses mauvais conseillers. Ce qui l'a aussi égaré,
c'est le désir de la liberté. Ils ont dit aux gens du peuple, aux pauvres igno-
rants, qu'ils faisaient bien de mettre à mort tous les princes Les paysans sont
470 LES DOUZE ARTICLES PRINCIPAUX DES INSURGÉS. 1525.
Les « douze équitables articles > présentés par les paysans et vas-
saux des souverains spirituels et temporels, rédigés dans la haute
Souabe et propagés ensuite dans tout l'Empire, se fondaient tous
sur l'Évangile, sur la - parole de Dieu' ' .
Nous lisons dans l'avertissement qui les précède : ^- Des écrits
impies et criminels ont attribué au saint Évangile la responsabilité
de l'insurrection qui éclate. Mais sachez que l'Évangile n'engendre
que l'amour, que la paix, que la patience; les paysans ne sont point
des révoltés ; leurs articles ne réclament qu'une chose : le droit de
faire prêcher l'Évangile littéral et d'y conformer leur vie. Nous pre-
nons pour notre loi suprême et fondamentale le sens littéral de
l'Evangile, nous et tous ceux que nous avons chargés de définir le
« droit divin » contenu dans le saint livre. »
Le premier article revendiquait pour chaque commune le droit et
le pouvoir d'élire son pasteur, ou de le déposer dans le cas où il
deviendrait infidèle à son mandat. Le pasteur élu ne devait prêcher
que l'Évangile tout pur, sans mélange de doctrine ou de prescrip-
tions humaines, et sans y rien ajouter qui fut de l'invention des
hommes. Il ne devait enseigner que la vraie foi.
Dans les articles concernant le droit civil, les paysans posaient
les réclamations suivantes, uniquement fondées, disaient-ils, sur le
c droit divin " :
L'Ancien Testament avait établi les dîmes, mais le -Nouveau affran-
chissait le chrétien de toute obligation semblable. Cependant les
paysans consentaient à payer encore la dime du blé, qui servirait
désormais à l'entretien du curé élu par la communauté, au soulage-
ment des nécessiteux et à la diminution des charges. Mais toute
devenus envieux, ils ont refusé de se soumettre à la noblesse, et se sont laissé
mener par des misérables, des fous, des envieux, des moiues échappés de leurs
couvents, des prêtres apostats. Aussi ont-ils été réduits à endurer des traite-
ments qui leur étaient absolument inconnus dans le passé, ce que nous pou-
vons attester, ayant sur ces questions de sûrs renseignements. Ces mauvais
conseillers sont donc responsables des maux que le peuple a soufferts dans son
corps, son honneur et ses biens, et aussi de tout le tort fait à son âme. Tout le
malest venu du jugement privé et de l'abandon de l'unité chrétienne, et parce que chacun a
voulu expliquer l'Evangile à sa /a7itaisie, refusant de sen remettre au sentiment et
à la loi de l'Église chrétienne. » Instruction de Georges dans Höfler, DenJcwùrdig-
keiten der Charitas Pirkheimer , LXXIII.
' Sur la question si controversée des origines et des auteurs des douze articles,
voy. le travail de Stern [Die zwölf Artikel der Bauern, etc.). Stern pense que le
prédicant de Waldshut, Balthasar Hubmaier, en est l'auteur. Voy. aussi le tra-
vail de 'RaMmaiWi (Uie oberschicàhischen Bauern, etc.,. Voy. Stern dans les Forschungen
zur deutschen Geschichte, t. XII, p. 477-513. Il est d'avis qu'une complète certitude
sur cette question n'est pas encore possible. ■ Il reste sur ce point des obscu-
rités que je ne puis dissiper », dit-il. Dans l'appendice, p. 513-519, Stern a
donné le fac-similé du plus ancien exemplaire connu des douze articles. — Voy.
de plus complètes indications sur l'origine des articles, dans B.vumax.v, Acten,
p. 285-287, note.
LES DOUZE ARTICLES PRINCIPAUV DES INSURGES. 1525. 47!
taxe sur le bétail était abolie, < Dieu ayant donné à l'homme la libre
propriété de tous les animaux '.
Jusque-là, ils avaient été traités comme des serfs, - ce qui constitue
un véritable crime, si l'on considère que Jésus-Christ nous a tous
rachetés et délivrés par son précieux sang, les pâtres aussi bien que
les puissants, sans excepter personne. D'où il suit, de par l'Écri-
ture, que nous sommes tous libres; or nous déclarons vouloir rester
tels. » Les paysans consentaient néanmoins à reconnaître le pouvoir
établi par Dieu « dans toutes les choses chréliennes et équitables ".
L'usage jusque-là suivi interdisait au pauvre homme le droit de
chasser le gibier à plume ou à poil et de pécher le poisson des
rivières; non-seulement cette défense blessait la charité fraternelle
d'une manière révoltante; elle ne provenait que d'égoisme et était
absolument opposée à la loi divine. La maintenir, c'était se mettre
en contradiction flagrante avec la parole de Dieu, qui, dès l'origine
du monde, avait donné aux hommes toute autorité sur les bêtes des
champs, les oiseaux de l'air et les poissons de la mer.
Tous les biens forestiers que les clercs et les laïques s'étaient appro-
priés par d'autres moyens que par un légitime achat, devaient, sans
qu'il fiU nécessaire d'indemniser aucunement leur soi-disant pro-
priétaire, être réunis aux biens communaux, et chacun pourrait
désormais y prendre ce qui serait nécessaire à ses besoins particu-
liers, soit pour le chauffage, soit pour la bâtisse.
Les corvées exigées par les seigneurs ne pourraient plus être aug-
mentées; les redevances seraient ramenées à une mesure tolérable,
d'après l'avis de gens loyaux; les lois pénales ne seraient imposées
que conformément aux anciennes coutumes écrites du pays; l'impôt
sur le bétail, prélevé en cas de décès, serait aboli.
Les prairies et les champs qui n'avaient pas été acquis légale-
ment reviendraient tous au communal.
Parmi ces réclamations relatives au temporel, beaucoup étaient
justes et raisonnables. 11 est évident que les articles avaient été rédi-
gés dans un sage esprit de modération.
Mais cependant la tendance communiste y perce à maint endroit.
Ainsi, d'après les anciennes constitutions des villages et des dis-
tricts, ceux-là seuls avaient droit de participer aux biens commu-
naux qui étaient véritablement établis » dans le pays et y avaient
" leur foyer ••, leur ménage; les manants ■■, ceux qui n'étaient que
tolérés dans le territoire de la commune, indigents, ouvriers, jour-
naliers, gens entièrement destitués de toute propriété, n'avaient
rien à y prétendre'. Si donc, comme les articles le demandaient,
' Voy. notre premier volume, p. 276-277.
474 PROJET D'UNE RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ET SOCIALE. 1525.
Mais ce n'était pas seulement le droit romain qui allait perdre
toute autorité : la législation existante était en même temps abolie.
« Il serait à souhaiter », disait la Réforme, « que le droit civil, en usage
jusqu'ici, fût supprimé, et que le droit divin et naturel fiU établi à
sa place, de manière que le pauvre ait autant d'accès devant la
justice que le plus grand et riche seigneur. » La Chambre impériale
était constituée puissance législative souveraine. Elle devait être
composée de seize membres, parmi lesquels deux seraient élus parles
princes, deux par les comtes et seigneurs, deux par la chevalerie,
trois par les villes libres, trois par les villes princières, quatre par
les communes. Quatre cours souveraines relèveraient de la Chambre
impériale : ces cours auraient sous leur juridiction quatre tribunaux
territoriaux, ayant à leur tour au-dessous d'eux quatre tribunaux
libres. Les assesseurs de ces derniers seraient choisis dans tous les
rangs sociaux; viendraient ensuite les tribunaux des villes et des
villages; chaque tribunal pourrait interjeter appel à la cour supé-
rieure la plus voisine.
Les impôts indirects auparavant exigés par les princes, les sei-
gneurs et les villes, douanes, impôts, redevances, tout cela était
supprimé, aboli, à l'exception de ce qui serait reconnu d'urgente
nécessité. La même mesure était prise pour les impôts directs;
un seul serait exigible tous les dix ans : l'impôt réclamé par l'Em-
pereur. De plus, le parcours de toutes les routes de l'Empire serait
affranchi de toute taxe, et personne ne serait plus obligé de payer
de frais d'escorte. Si dans les Élats princiers, dans les domaines
seigneuriaux, quelque fort avait été fait à un sujet; si, par exemple,
on avait ravagé sa terre ou pris injustement son bien, les princes
et seigneurs répareraient le dommage et restitueraient ce qui avait
été pris. Désormais, chacun aurait le droit d'exploiter les mines
d'or, d'argent, de vif-argent, de cuivre, de plomb ou de tout autre
métal sans exception. L'or, l'argent, le plomb, le cuivre, trouvés et
livrés en bonnes conditions, seraient vendus d'après un taux fixé
par la Chambre impériale. Ou s'efforcerait d'établir dans tout
l'Empire l'unité de monnaie; vingt ou vingt et un monnayeurs
suffiraient amplement aux besoins de l'Empire. Les monnayeurs
assermentés fondraient et marqueraient au même coin les mon-
naies d'or et d'argent; la moindre infidélité de leur part serait
punie par le bûcher. De cette manière le pauvre homme ne serait
plus dupé.
On aviserait à remédier au grand tort fait aux pauvres dans les
questions d'achat et de vente, et l'on s'efforcerait de n'avoir plus
dans l'Empire " qu'une mesure, une aune, un tonneau, un poids, une
largeur d'étoffe, etc. ».
PROJET D'UXE UI^TUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ET SOCIALE. 1525. 475
Les grandes compagnies commerciales, qui opprimaient pauvres
et riches et fixaient arbitrairement les prix, seraient supprimées. Il
ne serait plus permis dorénavant ni à une société ni à un individu
d'avoir plus de dix mille florins de capital actif. Celui qui engage-
rait au delà de cette somme dans son commerce serait condamné à
restituer le capital et la moitié du surplus à la Chambre impériale.
Le marchand dont la fortune dépasserait dix mille florins serait
contraint d'avancer, de prêter et d'aider -' évangéliquement » les
marchands moins aisés que lui. Il déposerait l'argent au conseil de
la ville à raison de i pour 100, et le conseil pourrait ainsi prêter
à 5 pour 100 à de pauvres bourgeois qui, grâce à ce secours, remet-
traient leurs affaires à flot. Tout agiotage serait interdit sous les
peines les plus sévères. On restreindrait le commerce des « gros
bonnets » ; on imposerait des limites à leurs transactions, de ma-
nière que les petits marchands, eux aussi, pussent vivre. Défense
était faite aux colporteurs des villes de débiter plus d'une marchan-
dise. Tous les marchands recevraient un règlement nouveau, fixant
les conditions dans lesquelles les marchandises devaient être livrées,
afin que le chaland puisse se guider d'après ce règlement, et que
l'intérêt commun fiU sauvegardé. La Réforme demandait en outre
que les ligues et alliances des princes et des seigneurs entre eux
fussent abolies, et que la protection et le sauf-conduit impérial
assurassent désormais la sécurité des routes, sans qu'il fût besoin de
frais d'escorte ou de contribution quelconque. Les lois se rappor-
tant à cet objet étaient annulées, et ne pourraient être rétablies
sans entraîner pour les princes la perte de leurs droits régaliens et
de leurs privilèges. Les sujets de l'Empire, et même les étrangers
venus d'autres royaumes, pourraient désormais voyager en sûreté
et librement à cheval, en voiture, sur l'eau ou à pied, sans être
obligés à aucuns frais d'escorte, corvée ou redevance quelconque
de leurs corps ou de leurs biens; le pauvre homme et l'intérêt
général trouveraient leur avantage dans cette mesure'.
Frédéric Weygand, sommelier de Miltenberg, sur le Mein, avait
aussi élaboré un grand nombre de propositions de ce genre. Il
y avait joint l'indication des moyens à prendre pour fonder soli-
1 I Welcher Gestalt ain Ordnung Reformation zu Nutz und Frommen und lUohlfahrt aller
Christenbrüder zu begreyfen und aufzurichten sei. ^ — Voy- OEchslf, p. 283-292. — WiL-
CHjiER et BODENT, p. 302-312. — Bensen, p. 551-558. Dans le rapport d'une com-
mission nommée parles paysans et décidant, pour le milieu de mai, la réunion
des frères aux environs d'Ileilbronn, on lit : La loi est divisée en douze articles,
et chacun deux est expliqué en quatre points particuliers; on les trouve à
Francfort; les apporter ou les renvoyer à Wendel Hipler, secrétaire du camp. •
Document communiqué par Schlüssel dans sa traduction de l'ouvrage latin de
Gnodalius. — Voy. Stalin, t. IV, p, 298.
476 NOUVELLE CONSTITUTION FONDEE SUR LA " PAROLE DE DIEU ..
dement le nouveau système et assurer le succès de la guerre entre-
prise pour la réforme évangélique. « Le jour où l'on agira d'après
la justice et la parole de Dieu », disait-il, » personne ne pourra
résister. »
Pour arriver à ce but, il fallait avant tout que les princes ecclé-
siastiques et leurs sujets adoptassent les douze articles et consen-
tissent à entrer dans la ligue des bourgeois et des paysans. " Aus-
sitôt que cette fusion serait accomplie «, les princes temporels, ainsi
que les comtes et les chevaliers, viendraient se joindre à l'associa-
tion des frères, et de concert avec eux travailleraient à la " réforme «.
Toutes les villes d'Empire y entreraient ensuite, et Weygand pensait
qu'elles ne se feraient pas beaucoup prier. Des personnages savants,
loyaux, pieux et éclairés seraient chargés d'examiner les divers
articles de la Réformaiion, et de constater leur entière conformité
au droit divin et au droit naturel.
« Le prince ou le seigneur qui n'observerait pas les articles, men-
tant ainsi à ses lettres et à son sceau, serait sans aucun doute mas-
sacré par son propre peuple; pendant ce temps-là, les frères unis
resteraient en paix et en repos. C'est ainsi que l'on pourrait sûre-
ment compter sur le triomphe de la bonne cause '. »
La Constitution nationale de Michel Geismayer renfermait des
réclamations socialistes d'une bien autre portée que la Réforme
des paysans de Franconie. Geismayer, s'inspirant des principes
hussites, commençait par demander que les persécuteurs impies de
l'éternelle parole de Dieu, qui dans l'avenir pouvaient encore médi-
ter l'oppression du pauvre homme et la détresse publique, fussent
« supprimés ». En d'autres termes, une guerre d'extermination
était déclarée à tous ceux qui refuseraient de se conformer aux lois
nouvelles.
La « pure parole de Dieu » devait être prêchée en tous lieux, inté-
gralement et fidèlement; toute sophistique, toute avocasserie allaient
prendre fin, et les livres qui les prônaient seraient brûlés. Dans la
ville désignée pour devenir le siège du gouvernement national, une
Université serait établie. On y enseignerait exclusivement la parole
de Dieu. Trois savants, élus parmi les docteurs de cette Université,
gens experts dans la sainte Écriture (par laquelle la justice de Dieu
peut seule être expliquée), seraient appelés à siéger au Conseil de
régence, et à décider et administrer toutes choses d'après la loi
divine, gouvernant le peuple chrétien selon l'équité.
' Dans OEcHSLE, p. 156-162. La lettre de Weygand à Wendel Hipler, où il fait
allusion à des plans analof^ues envoyés précédemment, est datée de Miltenberg,
jeudi après Caritaie (18 mai 1525). — Voy. Stalin, t. IV, p. 297, note 3.
NOUVELLE CONSTITUTION FONDEE SUl'. l.X - l'AKOLE DE DIEU •. 477
La nouvelle « constitution clirclienne, chargée de régler les
intérêts de tous et fondée uniquement sur la sainle parole de Dieu •■ ,
réclamait et exigeait l'adoption des mesures suivantes dans le domaine
ecclésiastique : Eu premier lieu, la destruction de toutes les images,
statues et oratoires des champs; l'aboliliou de la messe, « qui est
une abomination devant Dieu et est entièrement contraire au chris-
tianisme » ; la confiscation des calices et de Torlevrerie d'église et
de couvents, qui serviront à l'avenir aux besoins usuels; la trans-
formation de Ions les monastères et maisons des chevaliers de
Sainl-.lean en hôpitaux et établissements de providence, enfin l'in-
stallation dans chaque paroisse d'un pasteur annonçant la parole de
Dieu d'après la doctrine de saint Paul. Le traitement de ce pasteur
serait prélevé sur les dimes, dont le surplus serait distribué aux
pauvres.
Il serait pourvu non-seulement à l'alimentation des indigents,
mais à leur habillement et à lous leurs autres besoins. A cet effet,
chacun, en dehors de la dime, payerait exactement la contribution
nécessaire, « et si cette contribution était insuffisante, la somme
voulue serait prélevée sur le revenu «.
Dans les questions temporelles, la Constitution chrétienne réclame la
complète liberté et égalité des hommes : - Tous les privilèges seront
abolis, parce qu'ils sont contraires à la parole de Dieu et à la justice,
et que personne n'a le droit de jouir d'un avantage refusé à un
autre. Les murs d'enceinte, les châteaux forts et les forteresses seront
rasés. Désormais, il n'y aura plus de villes, mais seulement des vil-
lages; il ne doit exister aucune différence entre les hommes, car
personne ne doit être ni plus élevé ni plus à son aise que ses frères;
c'est l'inégalité des fortunes et des conditions qui a engendré les
discordes, les troubles, l'ambition et l'émeute. -^
Quant aux impôts, -' les états de chaque pays délibéreraient sur
l'opportunité, ou de les abolir immédiatement, ou d'établir l'année
jubilaire, conformément à la loi de Dieu, ou de les prélever pendant
une année encore, dans l'intérêt des nécessités pressantes de la
nation ». Toutes les douanes seraient abolies, mais un nouvel
impôt de frontière serait exigé : " Ce qui entre dans le pays ne
paye rien, ce qui en sort est imposé. » Les fonderies et les mines
appartenant aux nobles, aux marchands étrangers et aux compa-
gnies seraient confisquées, leurs propriétaires ayant jusqu'ici abusé
de leurs droits pour pratiquer l'usure. Un intendant nommé à cet
effet ferait exploiter les mines de manière à servir les intérêts de
tous. Une monnaie de bon aloi, mais assez lourde, serait frappée,
les anciennes seraient proscrites; aucune monnaie étrangère n'aurait
cours.
478 NOUVELLE CONSTITUTION FONDEE SUR LA « PAROLE DE DIEU ^.
Dorénavant, personne n'aurait le droit de faire le commerce; de
cette manière, nul ne serait tenté de charger sa conscience du
péché d'usure. Mais pour que cette mesure ne soulevât pas de récla-
mations, que le bon ordre fiU maintenu, qu'à l'avenir personne ne
fût trompé et surfait, et qu'on piU se procurer toutes choses à un
prix juste et avantageux, une ville spéciale serait désignée (par
exemple, Trieste, à cause du bon marché de ses produits et de sa
position centrale); là, tous les métiers seraient exercés, tous les
produits apportés des divers territoires du pays. « Les étoffes de
soie, les chaussures, etc., y seraient confectionnées sous la sur-
veillance d'un fonctionnaire spécial. En de certaines localités, des
boutiques garnies de toute espèce de produits seraient ouvertes,
mais il serait sévèrement défendu au marchand de tirer aucun béné-
fice de la vente. Tout serait livré d'après l'exact prix de revient; de
cette manière, toute fraude et falsification serait évitée, on pour-
rait se procurer toute chose à un prix modéré, et l'argent resterait
dans le pays et viendrait en aide à l'homme du peuple. On assure-
rait un traitement fixe au fonctionnaire préposé au commerce et à
ses employés. '
Tous ces intérêts, ainsi que l'élevage des bestiaux, l'agriculture,
l'exploitation minière, l'entretien des voies d'eau et de terre et la
défense du pays, seraient réglés par un gouvernement central élu
par le peuple, et siégeant à Brixen, où l'Université serait aussi
établie.
Le peuple serait chargé de l'administration de la justice. Chaque
commune élirait tous les ans un juge et huit jurés, chargés d'expé-
dier toutes les affaires : la justice serait rendue tous les lundis. Aucun
procès ne pourrait être ajourné au delà de quinze jours : les juges,
les jurés, les scribes, les avocats, les gens de justice, les huissiers
ne pourraient rien accepter de personne; ils recevraient des appoin-
tements fixes, à charge pour eux d'être présents tous les lundis au
tribunal'.
La suppression de toute distinction sociale, 1'-- égalité parfaite «
telle que l'entendait Michel Geismayer, puis l'établissement dans
tout l'Empire d'une république présidée par un chef portant le
titre d'empereur, tels étaient aussi les vœux formulés par une pro-
clamation anonyme intitulée : Adresse des frères de l' Oberland à l'assem-
blée générale des paysans allemands. C'est l'un des plus fougueux fac-
turas révolutionnaires qu'ait jamais produits l'Allemagne. Prétendant
s'autoriser de la parole de Dieu, ce violent libelle n'hésite pas à
I
' Das ist die Landesordnung, so Michel Gaismaier gemacht hat im 1526, Jar, Januar. —
BuCHHOiTZ, Urkundenband, p. 651-655.
i
AI'I'KL AU MASSACHE DKS FltlNCKS ET SEIGNEURS. 1525. 479
conseiller au peuple le massacre de tous les princes et seigneurs,
au nom ' de la sainte parole de Dieu ".
« Ces princes, ces seigneurs qui, pour leur propre avantage,
imaginent et inventent tous les jours de nouvelles vexations, se sont
témérairement proposé de tromper Dieu, leur maître. Où sont-ils,
ces loups armés, ces tyrans pervers qui établissent charge sur
charge , oppriment les pauvres gens , réclament aujourd'hui une
corvée volontaire, et la changent l'année suivante eu obligation per-
manente, car telle est l'origine de la i)lupart de leurs droits tra-
ditionnels! Dans quel code ont-ils lu (|ue Dieu, leur maitre, leur
ait jamais donné une puissance si grande que nous autres, pauvres
gens, devions être contraints de cultiver leurs terres, et encore
lorsque le temps est beau, tandis que lorsqu'il pleut, il faut que les
malheureux laissent tomber dans leurs propres champs leur sanglante
sueur! Dieu, dans sa justice, ne tolérera pas longtemps cette effroyable
captivité babylonnienne; il ne peut exiger que nous autres misé-
rables nous soyons contraints de moissonner et de faucher les
prairies de nos maîtres, de labourer leurs champs, d'y semer le lin,
de le dréger, de l'arracher de nouveau, de le charrier, de le laver,
de le séparer, de le filer. Miséricorde ! qui donc a jamais ouï parler
d'une pareille servitude? Ils taxent et usent la moelle de nos os, et
nous devons encore payer la dîme! Où sont-ils, ces beaux jouteurs,
ces habiles coureurs, ces joueurs, ces banquiers, plus repus que des
chiens vomissants? Pour entretenir leurs plaisirs, nous sommes for-
cés de leur payer l'impôt, la dîme et les redevances, et le pauvre
n'en doit pas moins trouver à la maison le pain, le sel et la graisse,
et nourrir sa femme et ses pauvres petits enfants qui ne sont pa.?
encore élevés. Où sont-ils, les autres voleurs avec leur commerce
et leurs douanes? Maudits soient leurs infamies et leurs brigandages
autorisés ! Où sont-ils, les tyrans et les scélérats qui s'approprient
les dîmes, les taxes, l'argent donné à grand'peine par le pauvre,
puis gaspillent et dépensent d'une manière infâme et criminelle ce
qui devait entrer dans la bourse commune pour l'intérêt de tous?
Et néanmoins personne ne rechigne, personne ne les traite comme
des scélérats qu'ils sont, personne ne songe à les mettre au cachot,
à les décapiter, à les écarteler, pour qu'il leur soit fait moins de
lîiiséricorde qu'à des chiens enragés! Si Dieu leur a donné un tel
pouvoir, qu'ils montrent donc leurs titres! Où l'ont-ils lu, ce com-
mandement de Dieu? Oui, leur autorité vient de lui, mais en ce
sens qu'ils sont les suppôts du diable et qu'ils ont Satan pour capi-
taine, car ils sont véritablement les ennemis jurés de leur propre
pays. Et ceux qui ont des serfs, qu'ils approchent! Maudite soit leur
478 NOUVELLE CONSTITUTION FONDEE SUR LA " PAROLE DE DIEU -.
Dorénavant, personne n'aurait le droit de faire le commerce; de
cette manière, nul ne serait tenté de charger sa conscience du
péché d'usure. Mais pour que cette mesure ne soulevât pas de récla-
mations, que le bon ordre fiU maintenu, qu'à l'avenir personne ne
fût trompé et surfait, et qu'on piU se procurer toutes choses à un
prix juste et avantageux, une ville spéciale serait désignée (par
exemple, Trieste, à cause du bon marché de ses produits et de sa
position centrale); là, tous les métiers seraient exercés, tous les
produits apportés des divers territoires du pays. « Les étoffes de
soie, les chaussures, etc., y seraient confectionnées sous la sur-
veillance d'un fonctionnaire spécial. En de certaines localités, des
boutiques garnies de toute espèce de produits seraient ouvertes,
mais il serait sévèrement défendu au marchand de tirer aucun béné-
fice de la vente. Tout serait livré d'après l'exact prix de revient; de
cette manière, toute fraude et falsification serait évitée, on pour-
rait se procurer toute chose à un prix modéré, et l'argent resterait
dans le pays et viendrait en aide à l'homme du peuple. On assure-
rait un traitement fixe au fonctionnaire préposé au commerce et à
ses employés. »
Tous ces intérêts, ainsi que l'élevage des bestiaux, l'agriculture,
l'exploitation minière, l'entretien des voies d'eau et de terre et la
défense du pays, seraient réglés par un gouvernement central élu
par le peuple, et siégeant à Brixen, où l'Université serait aussi
établie.
Le peuple serait chargé de l'administration de la justice. Chaque
commune élirait tous les ans un juge et huit jurés, chargés d'expé-
dier toutes les affaires : la justice serait rendue tous les lundis. Aucun
procès ne pourrait être ajourné au delà de quinze jours : les juges,
les jurés, les scribes, les avocats, les gens de justice, les huissiers
ne pourraient rien accepter de personne; ils recevraient des appoin-
tements fixes, à charge pour eux d'être présents tous les lundis au
tribunal".
La suppression de toute distinction sociale, l'" égalité parfaite »
telle que l'entendait Michel Geismayer, puis l'établissement dans
tout l'Empire d'une république présidée par un chef portant le
titre d'empereur, tels étaient aussi les voeux formulés par une pro-
clamation anonyme intitulée : Adresse des frères de l'Oberland à l'assem-
blée générale des paijsans allemands. C'est l'un des plus fougueux fac-
tums révolutionnaires qu'ait jamais produits l'Allemagne. Prétendant
s'autoriser de la parole de Dieu, ce violent libelle n'hésite pas à
' Das ist die Landesordnung, so Michel Gaismaier gemacht hat im 1526, Jar, Januar . —
BUCHHOLTZ, Urkundenhand, p. 651-655.
AI'I'KL All MASSACRE DKS l'IilNCKS ET SEIGNELKS. 1525. 479
conseiller au peuple le massacre de tous les princes et seigneurs,
au nom ' de la sainte parole de Üicu ».
« Ces princes, ces seigneurs qui, pour leur propre avantage,
imaginent et inventent tous les jours de nouvelles vexations, se sont
témérairement proposé de tromper Dieu, leur maître. Où sont-ils,
ces loups armés, ces tyrans pervers qui établissent charge sur
charge, oppriment les pauvres gens, réclament aujourd'hui une
corvée volontaire, et la changent Tannée suivante eu obligation per-
manente, car telle est l'origine de la plupart de leurs droits tra-
ditionnels! Dans quel code ont-ils lu que Dieu, leur maître, leur
ait jamais donné une puissance si grande que nous autres, pauvres
gens, devions être contraints de cultiver leurs terres, et encore
lorsque le temps est beau, tandis que lorsqu'il pleut, il faut que les
malheureux laissent tomber dans leurs propres champs leur sanglante
sueur ! Dieu, dans sa justice, ne tolérera pas longtemps cette effroyable
captivité babylonnienne; il ne peut exiger que nous autres misé-
rables nous soyons contraints de moissonner et de faucher les
prairies de nos maîtres, de labourer leurs champs, d'y semer le lin,
de le dréger, de l'arracher de nouveau, de le charrier, de le laver,
de le séparer, de le filer. Miséricorde ! qui donc a jamais ouï parler
d'une pareille servitude? Ils taxent et usent la moelle de nos os, et
nous devons encore payer la dime! Où sont-ils, ces beaux jouteurs,
ces habiles coureurs, ces joueurs, ces banquiers, plus repus que des
chiens vomissants? Pour entretenir leurs plaisirs, nous sommes for-
cés de leur pa>er l'impôt, la dime et les redevances, et le pauvre
n'en doit pas moins trouver à la maison le pain, le sel et la graisse,
et nourrir sa femme et ses pauvres petits enfants qui ne sont pas
encore élevés. Où sont-ils, les autres voleurs avec leur commerce
et leurs douanes? Maudits soient leurs infamies et leurs brigandages
autorisés! Où sont-ils, les tyrans et les scélérats qui s'approprient
les dimes, les taxes, l'argent donné à grand'peine par le pauvre,
puis gaspillent et dépensent d'une manière infâme et criminelle ce
qui devait entrer dans la bourse commune pour l'intérêt de tous?
Et néanmoins personne ne rechigne, personne ne les traite comme
des scélérats qu'ils sont, personne ne songe aies mettre au cachot,
à les décapiter, à les écarteler, pour qu'il leur soit fait moins de
miséricorde qu'à des chiens enragés! Si Dieu leur a donné un tel
pouvoir, qu'ils montrent donc leurs titres! Où l'ont-ils lu, ce com-
mandement de Dieu? Oui, leur autorité vient de lui, mais en ce
sens qu'ils sont les suppôts du diable et qu'ils ont Satan pour capi-
taine, car ils sont véritablement les ennemis jurés de leur propre
pays. Et ceux qui ont des serfs, qu'ils approchent! Maudite soit leur
480 APPEL AU MASSACRE DES PRINCES ET SEIGNEURS. 1525.
conduite impie et païenne! Quel martyre ils nous font subir, à nous
autres pauvres gens! Nos âmes sont les serfs du prêtre, et nos corps
les serfs du pouvoir séculier! »
Mais ' le temps des tyrans était passé, et le jour du salut arrivé. "
(Luc, XIX.) « Allons, Dieu le veut! sonnons le tocsin! Préci-
piter de leur siège les Moab, les Acliab, les Agag, les Phalaris, les
Néron, c'est la joie suprême de Dieu! Ceux-là, TÉcriture ne les
appelle pas serviteurs de Dieu, mais loups, serpents, dragons! Qui
sait si le pitoyable cri des moissonneurs, la supplication des pauvres
ne sont pas arrivés jusqu'aux oreilles du Dieu des armées? Qui sait
s'il ne les a pas écoutés dans sa miséricorde, et si le jour du massacre
ne va pas luire pour les bestiaux engraissés qui ont noyé leur cœur
dans la volupté au temps même de la détresse du peuple? " (Jacques, v.)
« Mais comme tout pays ou commune a le droit de déposer un
souverain inique, je vais citer ici treize maximes de la justice divine,
que les portes de l'enfer et tous les suppôts de Satan ne pourront
jamais venir à bout de renverser. Celui qui en a envie peut y frotter
sa bosse, je suis tout prêt à soutenir avec lui la dispute; mais qu'il
fasse attention à ce que la langue ne lui fourche pas, comme aux
papistes! »
« S'ils disent : L'Empereur seul a le droit de déposer vos maîtres,
ce pouvoir n'appartient pas aux sujets, ne les écoutez pas, ce sont
là des canards bleus! Et que diriez- vous donc, si je vous révélais que
nous pourrions fort bien supprimer l'Empereur lui-même? A-t-on
oublié que plus d'une fois rois et empereurs ont été chassés par leurs
sujets? »
Pour justifier la révolte, l'auteur invoque l'exemple d'Élie et de
Moïse, qui soulevèrent, eux aussi, contre Pharaon la révolte d'un
autre « pauvre Conrad ». Il en appelle même au Christ. « Ne vous
lais.sez pas égarer ', dit-il, lorsque vous entendrez invoquer la
tradition par-ci, la vieille coutume par-là. Qu'on ne me parle plus
de coutume, à moins qu'elle ne soit conforme à la justice ! Com-
mettre pendant mille ans une iniquité ne constituera jamais un
droit! »
Tout pouvoir héréditaire est funeste à l'intérêt général. Le gou-
vernement doit être élu par le peuple, et seulement pour un espace
de temps déterminé.
" Lorsqu'on parcourt l'Écriture, et qu'on sonde les choses avec
une sérieuse attention, on voit clairement les misères sans nombre,
les maux hideux, engendrés par le pouvoir personnel et héréditaire.
Que ne pourrions-nous pas dire des actes arbitraires du passé!
Mais quels crimes pourraient jamais dépasser l'horreur de ce qui se
voit en notre temps, où la cupidité et le luxe des princes con-
\i'i'i;i. All MAssAcci: i)i;.s I'iuncks kt si:r(.\f:i:r>s. 152.:;. 48i
tredisent si hardiment la pure parole de Dieu cl la tiennent opprinnée
au moyen des cachots, des supplices et de cent autres traitements
tyranniques? Oh! que d'odieux abus de pouvoir commis envers les
sujets par la royauté iiérédilaire, impie et «'riminelle! Tant (jue les
Homains ont gardé le gouvernement républicain, par conseils et
corporations, ds ont vu leur puissance s'étendre journellement,
jusqu'à soumettre le monde entier. Mais dès qu'ils se sont laissé
chatouiller par le désir d'abandonner le gouvernement populaire
pour mettre à leur tète des rois élus, aussitôt commença leur déca-
dence, par suite de Tégoisle cupidité, du faste et de l'orgueil du
souverain élu. " - Depuis le premier empereur Jules César jusqu'au
grand Charlemague, on compte soixante-seize empereurs romains,
sur lesquels trente-quatre ont été lamentablement massacrés, tous
à cause de leur tyrannie; quelques-uns noyés, d'autres décapités,
dautres brûlés. " < En résumé, dès que le peuple romain eut
renoncé à gouverner par lui-même pour se mettre sous le joug d'un
empereur, ce fut le commencement de sa misère, ju^iqu'à ce qu'enfin
il fut réduit au servage, lui qui autrefois avait dominé le monde. Si
je parle ici des Homains, voici quel est mon motif : c'est que nos
grands seigneurs se vantent ordinairement de tirer leurs droits et
traditions de Rome. Oui, ils se font gloire de revenir à l'antique
tradition païenne, el ils ne songent pas que nous descendons tous
de Dieu, et que personne, quelle que soit son origine, n'est
plus ancien qu'un autre d'une minute, qu'il soit roi ou berger. •
L'auteur du libelle allègue ici l'histoire des Hébreux pour établir
que les souverains et le principe de l'hérédité font généralement
tomber les peuples dans l'idolâtrie : « Tant que les enfants de
l'alliance, tant que le peuple de Dieu eut un gouvernement démo-
cratique et point de rois, Dieu demeura avec eux et mit sa com-
plaisance en eux; ils étaient dignement gouvernés et vivaient heu-
reux. Mais lorsque la convoitise païenne les eut séduits et tentés
au point de leur faire désirer d'être régis par un roi tout-puissant,
lorsqu'ils eurent demandé au prophète Samuel de choisir pour eux
un souverain de la part du Seigneur, il est dit clairement dans le
second chapitre de Samuel que Dieu s'en montra fort irrité et
leur fit annoncer par son prophète que de grandes calamités allaient
fondre sur eux, et que la misère, le servage et raille autres maux
seraient la conséquence du pouvoir héréditaire. >
Dans un chapitre spécial intitulé : Exhortation consolante à nos
frères chrétiens , l'auteur donne aux insurgés des conseils pratiques.
Ils sont invités à faire tous leurs efforts pour maintenir parmi eux
le bon ordre; surtout ils doivent faire choix de bons guides. ' Sur
six hommes, un caporal doit être élu; dix caporaux nomment un
II. 31
482 APPEL AU MASSACRE DES PRINCES ET SEIGNEURS. 1525.
centurion; dix centurions, un capitaine; dix capitaines élisent enfin
un général en chef, un prince ". Mais les chefs doivent être choi-
sis parmi le peuple; il faut éliminer tous les nobles, « car il ne con-
vient pas que le poil du loup se mêle à la laine de la brebis; jamais
dans la nature on n'a vu le vautour s'unir à la colombe ». Les chefs
doivent se réunir souvent, « rien n'étant plus propre que les assem-
blées à fortifier et à maintenir l'entente et l'union cordiales des
armées populaires ». Personne, fût-il pressé par le besoin, ne doit
souiller ses mains d'un bien étranger. - Cependant si quelqu'un
voulait courir quelque aventure avec vous et s'obstinait dans cette pen-
sée, il faudrait laisser la volonté de Dieu s'accomplir, et permettre
le désordre à qui ne voudrait pas se laisser persuader. » Les frères ne
doivent pas douter du succès de leur cause, l'exemple de la Suisse
leur dit assez la puissance d'une persévérance courageuse. - Et sans
que je rappelle ici l'histoire ancienne, que de hauts faits héroïques
a souvent accomplis la pauvre petite troupe de nos voisins! Que de
fois les seigneurs, tout en dégustant leur vin, les ont battus dans leur
pensée orgueilleuse, riant de ce que trois pauvres Suisses osassent leur
résister, et de ce que des bergers et des sacristains pensassent les
vaincre! Cependant la plupart de ces fanfarons prirent la fuite à
l'approche des Suisses révoltés, si bien que rois, empereurs, princes,
tous sont devenus la risée du monde, malgré leur pouvoir, leur
armée si forte et si bien ('quipée! » » Sans aucun doute, tout cela
est arrivé par la permission et la volonté du Dieu tout-puissant.
Comment sans cela la confédération serait-elle née de l'initiative
de trois paysans? Et cette confédération s'augmente encore tous
les jours et ne laissera pas de relâche aux puissants, car Tor-
gueilleux pouvoir personnel ne veut pas se repentir, de sorte que
nous verrons peut être s'accomplir la prophétie qui assure qu'à
Schwanenberg', en Franconie, une vache promènera ses regards
sur la campagne et beuglera si fort qu'on l'entendra jusqu'en
Suisse. En vérité, la plaisanterie n'est pas si invraisemblable! On
connaît le dicton populaire : '• Qui protège la Suisse? L'Esprit du
Seigneur M »
Les révoltés devaient bien se garder de prêter l'oreille à aucune
proposition de paix ou paroles d'accommodement : « Songez-y bien,
mes frères bien-aimés, vous avez rempli de tant d'amertume, de tant
1 Schwanenberg près d'Ipliosen, dans i'évêché de VVürzbour,'^.
- La {gravure sur bois du froniispice reproduit ce dicton. Il représente une
roue, au-dessous de laquelle se lisent les vers suivants :
A'oici le temps et l'heure de la roue de la fortune!
Dites, paysans, bons chrétiens, romanistes, so,jhistes.
Qui a donné bon succès à la Suisse? L'esprit du Seigneur !
\l'l'i;i. AI: MASSACKK iJIiS PllINCES ET SEIGNEURS. 1525. 483
de fiel le cœur de vos maîtres qu'il est impossible que maintenant ils
se laissent attendrir, il ne faut pas y songer. Les seigneurs ne souf-
frenl pascju'oii les irrite; ils veulent être les niaitres, ils veulent même
iMre des idoles. Un proplièle a prédit à leur sujet qu'ils s'élèveraient
contre le Seigneur et contre son Christ (psaume ii). » « Les révoltés,
en consentant à parlementer avec les seigneurs, seraient sûrs d'attirer
sur eux calamité sur calamité; à la tin, une mort horrible serait leur
partage. " » En ce temps-là, malheur à vos enfants! Comment auriez-
vous le cœur de leur léguer un si effroyable héritage? Maintenant
vous faites corvée avec le lioyau, la charrue, les chevaux; mais
plus lard vos enfants devraient s atteler eux-mêmes à la herse. Si
jusqu'à présent il vous a été permis d'entourer vos champs de haies
pour les proléger des bètes fauves, vous devriez alors les laissera
leur merci. Si jusqu'ici l'on s'est contenté de vous crever les yeux,
alors ou vous ferait passer par les piques. Si vous avez payé
jusqu'à ce jour l'impôt de la ■< meilleure tête ", si vous avez été serfs,
once temps-la vous seriez de vrais esclaves et vous n'auriez plus rien
à vous, ni dans vos corps ni dans vos biens; ou vous vendrait à la
mode turque, comme le bétail, comme les chevaux et les bœufs.
Et si, vous voyant ainsi traités, vous faisiez la moue, loin d'avoir
égard à votre douleur, ou vous torturerait, on vous jugerait, on
vous emprisonnerait, et le courir sus et la malédiction ne finiraient
que lorsque les valets de tyrans vous auraient conduits dans le donjon
le plus proche pour vous y faire subir martyre sur martyre; les
uns seraient battus de verges, les autres auraient les joues brii-
lées, les doigts coupés, la langue arrachée; ils seraient écartelés,
décapités! "
Aussi l'auteur espère-t-il que les révoltés fermeront l'oreille à
toute proposition de paix, et, terminant son libelle, il jette encore
un dernier et insultant défi aux princes et aux seigneurs : « Allons,
remuez- vous! En fin de compte, il faut que vous dégringoliez! il ne
vous sert de rien de me regarder de travers '! »
' Le tilre porte : ^n die Versammlung gemaijncr Pauerschaft, so in hochdeutscher Mation
und ait auderer Ort, mil empöncnrj und uffrur entstanden, etc. ; ob ir empörunq billicher
oder unbilliger gestall geschrheu, und was sie der Oberkait schuldig ode>- wchl schuldig
SL-ind, etc., gegründet aus der h. Göttlichen geschrifl, von Oberlendischen m'lbrüdern guter
waynung umgangen und beschrieben, quatre feuilles iii-quarto, sans indication de lieu
et d'année et sans nom d'auteur. Strubel [Beiträge, t. II, p. 45i présume d'après
les caraclères qu'elles ont été imprimées à Nuremberg. — Zimmermann, t. II,
p. 115, pense que si elles ne sont pas de Miinzer, elles proviennent à coup sur
du cercle de ses disciples. Janke (Studien und Skizzen, p. siOj avait déjà fait
observer avec raison (|u'elles ne pouvaient être de .Vunzer, puisque lauteur
anonyme invoque l'autorité de Luther pour lequel Münzer professait le plus
profond mépris. Personnellement, Luther, lui non plus, n'a rien eu à voir
dans cette proclamation.
31.
484 LA RÉVOLUTION SOCIALE, VRAIE GUERRE DE RELIGION.
IV
Ces désirs de tout détruire, ces tendances en partie socialistes, en
partie communistes, n'empêchaient point la révolution d'avoir avant
tout le caractère d'une guerre de religion.
" J'apprends ', écrivait le conseiller et trésorier de Nuremberg
Gaspard Nïitzel, - que les paysans se rassemblent en grandes troupes
et, tous les jours plus nombreux, sont résolus de soutenir par le
glaive le saint Evangile et la parole de Dieu, « « La volonté divine »,
continue-t-il, « pousse les esprits à agir; il faut qu'elle s'accomplisse,
sans égard pour les fausses cérémonies inventées par les hommes. '-
" On ne peut nier l'action de Dieu, en voyant ce peuple de cinquante
mille hommes grossir encore tous les jours, attirer à lui les cités
elles-mêmes, et ne se proposer qu'un seul but, l'extirpafion des sectes
et l'établissement vraiment chrétien de l'Évangile. >; Ce peuple - ad-
mirable >' avait dès longtemps manifesté l'ardeur de sou zèle par le
pillage et l'incendie de beaucoup d'abbayes et couvents des envi-
rons, mais ces faits ne déconcertaient en rien le trésorier Niitzel,
C'est que ni lui ni nue foule de bourgeois, propriétaires comme lui,
n'avaient encore clairement compris que le prolétariat révolté, tout
en ayant sans cesse à la bouche les mois d' Évangile >' et de « charité
fraternelle », ne songeait en réalité qu'au partage des biens. Niitzel re-
gardait la guerre faite à la propriété et aux droits de l'Eglise comme
une bénédiction du Seigneur : ' Je ne puis m'empécher de croire »,
dit-il à propos des révoltés, ' que Dieu nous regarde vraiment avec
une particulière miséricorde; tous les jours il nous envoie, comme
une rosée bienfaisante, sa grâce et sa paix '.
« Les insurges ne dissimulent aucunement », lisons-nous dans une
lettre datée du 7 avril 1525, « que leur but est d'exterminer tout
prêtre qui refuse d'abandonner l'Église; qu'ils veulent détruire les
cloîtres et les évêchés, et ruiner complètement la foi catholique en
Allemagne. De là vient que tant de princes, nobles et autorités des
villes, favorables aux doctrines de Luther et des autres docteurs
d'hérésie, ne se sont pas encore mis en demeure de leur résister, et
leur ont même fréquemment prêté leur appui; tant qu'ils se sont
' Dans HÖFLER, Denhicûrdigleiten der Charitas Pirkheimer, p. 42, 57-58. De Sem-
blables manières de voir semblent justifier les soupçons des princes voisins, qui
assuraient que Nuremberg était d'intelligence avec les paysans révoltés de
Franconie. — Voy. sur ce point Jörg, p. 150-155.
I.A IIKVOI.UTION SOrrAI:!;, VltAIK (.IKKI'.K DE KKLIGION. 485
bornés à décrier le clergé, à piller et détruire les couvents et les
maisons religieuses, ils ont fout approuvé; mais la question a changé
de face depuis que les insurgés parlent d'abolir toute autorité et de
dépouiller ceux qui possèdent '. « « Tant qu'on a pu croire », écri-
vait le prédicant luthérien Flérold, < qu'il ne s'agissait que de moines
et de clercs, on a tranquillement laissé faire; on voyait même avec
une certaine joie les prêtres boire le coup d'honneur, et l'on espé-
rait se chauffer bientôt à leur feu. Mais ce coup d'honneur n'a
pas été seulement pour le clergé, comme l'avaient pensé ceux qui
d'abord avaient applaudi à la bagarre, et les étincelles du feu ont
volé si loin qu'en peu de temps non-seulement les cloîtres et les
maisons religieuses ont été détruits, les biens ecclésiastiques con-
fisqués, les moines et les vierges chassés de leurs asiles, mais que les
châteaux et les villes appartenant aux autorités temporelles ont été
à leur tour assaillis, et que les insurgés ont parlé de supprimer la
noblesse et de se débarrasser de toute autorité ^ " ' Au début, nous
regardions faire », avouait le comte luthérien Guillaume de Hen-
neberg, « nous n'étions même pas fâchés de voir l'orage crever
sur la tête des clercs et des moines. Hélas! nous ne nous doutions
guère que la grêle était bien près de tomber sur nous M >
Aussi regarda-t-on alors comme un très-grand bonheur pour le
clergé que les insurgés se fussent si vite tournés vers la noblesse;
' sans cela les seigneurs se fussent bornés à regarder à travers
leurs doigts, et eussent très-froidement assisté à l'entière destruc-
tion du clergé. Mais ce fut bientôt à eux de se mettre en branle,
car les paysans forcenés saccagèrent plus de deux cents châteaux et
couvents ^. »
La sauvage furie qui se déchaîna alors contre tous les monuments
et symboles de l'antique foi, les profanations horribles, inouïes
jusque-là, commises pendant la guerre, prouvent assez que la révo-
lution était avant tout une guerre de religion. Les odieux sacri-
lèges commis par les insurgés n'étaient, d'ailleurs, que la con-
' * Tricrischen Sachen und Bris'fschafUn, p. 91.
ä Chronik von Schicübifch-HiiU., p. 82-83.
^ Lettre au duc Albert de Prusse du 2 février 1526, Anzeiger für Kunde der deuts-
chen lorzeii,t. VII, p. 113-117. Le chroniqueur de Ratisboune, Léonard VVidinann,
écrit en 1525 au sujet des paysans : - Ils se montrèrent d'une telle férocité
qu'il semblait que le Turc fût dans le pays; ils furent cruels, grossiers, impi-
toyables. Tant que l'orage ne tomba que sur les prêtres et les couvents, on
laissa faire, iout le monde riait; mais aussitôt que les révoltés commencèrent à
bi iMer les châteaux, à chasser les nobles, chacun se réveilla. ■> Chroniken der deut-
schen Studie, t. XV, p. 61.
* Knebel, Donauwörther Chronik, dans B.iUMANX, Quellen, p. 270. — Vov. aussi
l'opiuion pleine de bon sens de l'ambassadeur de Venise, Tiepolo, dans Alberc,
Rclazioni, ser. 1, t. I, p. 121-122.
486 LA RÉVOLUTION SOCLALE, VRAIE GUERRE DE RELIGION
séquence bien naturelle de la haine systématiquement excitée parmi
le peuple par tant de prédications, d'agents secrets, de pamphlets,
de libelles incendiaires. On n'avait cessé de répéter aux « pauvres
gens 55 que l'imposture et les artifices diaboliques du clergé avaient,
depuis des siècles, dépouillé leurs ancêtres et eux delà vraie foi chré-
tienne et du saint Évangile; que, contrairement à toute justice, on
leur avait tait supporter des charges temporelles écrasantes; qu'ils
avaient payé des dîmes, des impôts, malgré le commandement exprès
de Dieu; on leur. avait affirmé qu'ils avaient été perfidement con-
duits à un état voisin de l'esclavage, et qu'il était de leur devoir
de refuser de payer les taxes, de détruire les couvents, les mai-
sons des clercs, d'égorger les moines, les religieuses, les prêtres,
qui tous n'étaient que les serviteurs du démon'. Aussi, comme
cela n'était que trop facile à prévoir, le peuple finit-il par se per-
suader « que c'était servir Dieu que renverser et saccager les églises
et les monastères, et qu'outrager, humilier tous les membres du
clergé, c'était faire œuvre pie^ ». " Les fourberies des prêtres >,
avait dit en pleine chaire le prédicant Éberliu de Günzbourg (1521),
« ne cesseront que lorsque les paysans se décideront enfin à noyer
et à pendre les bons avec les méchants; alors leur imposture recevra
vraiment son salaire 3. »
« C'est Luther qui a sonné le premier le tocsin >-, lisons-nous dans
un écrit polémiste du temps; il ne peut détourner de lui la respon-
sabilité de la révolte. 11 a écrit, il est vrai, que le peuple ne devait
employer la violence que lorsque l'autorité l'y conviait, et pendant la
sanglante lutte, il a flétri l'insurrection avec un extrême emporte-
ment. Mais le peuple ne sait point faire tant de distinctions; il n'a
retenu dans les écrits et prédications de Luther que ce qui servait
sa passion. Or tu as déclaré dans tes livres », dit l'auteur s'adres-
sant à Luther, « qu'il était légitime de s'insurger contre le Pape et
les cardinaux, et qu'il fallait tremper ses mains dans le sang des
clercs. Tu as appelé les évêques qui ne voulaient pas adopter ta
doctrine, des prêtres d'idoles, des serviteurs de Satan; tu as dit
qu'une violente émeute, qui les déracinerait de ce monde parla force,
serait la juste punition de leurs crimes, et que, ce cas échéant, il ne
faudrait que rire. Tu as appelé enfants de Dieu, véritables chré-
tiens, ceux qui se disposaient à saccager les évêchés et à renverser la
I Voy. plus baut, p. 180-202.
* • ...prrsuasionem liabeni se Dei negolium a^ere in templis, coenobiis, mona-
steriis diriu ndis, spoliandisque et misère affligendis sacerdotibus. » Ferdinand à
Clément vii, 20 mai 1525, communiqué par Chmel dans les Sitzungsberichten der
Wiener Académie, t. II, p. 28-34.
' XI 1/ Bundsgnoss.
lA RÉVOLUTION SrtClAl.i:, VI', ME (MERliE IH: IJElKilON. 487
dominalioD des évèjjiies; tu ;is ajoiifc que celui qui prêtait obéis-
sance aux évoques était le valet du diable; tu as appelé les cloîtres
des cavernes d'assassins, et lu as poussé le peuple à les détruire '. '
Luiher ne pouvait le nier.
Il ne pouvait pas davantage se laver du grave reproche que lui
faisait plus loin le même auteur. « Non-seulement dans tes écrits de
controverse ", lui disait-il, « mais dans tes livres de doctrine, tu as
parlé de la nécessité de raser les couvents. »
Dans ses sermons, que tant d'éditions avaient propagés, Luther, en
efïel, avait dil : < La destruction des abbayes et couvents est la
première, la plus utile des rélormcs. Les couvents no servent de
rien à la chrétienté, on peut parfaitement s'en passer. Or ce qui
n'est ni nécessaire, ni louable, ce qui fait un mal inexprimable et
ne peut être réformé, le mieux est de le détruire de fond en comble. »
« Le piaulement qui se pratique dans les abbayes et les couvents
n'est qu'une pure moquerie de Dieu, c'est tenter Dieu que de vou-
loir le continuer. Il serait grand temps de diminuer enfin ces blas-
phèmes, ces scandales, et d'abattre ces " maisons de raillerie •',
comme parle Arnos au chapitre vu. » < La doctrine des bonnes
œuvres est si pernicieuse et si funeste, que si l'on rasait toutes les
églises et abbayes, et si l'incendie les réduisait en cendres, le mal
serait moins grand, même si l'incendiaire avait agi par pure ma-
lice, que si une seule âme était entraînée dans une semblable
erreur. Car Dieu n'a point fait de loi au sujet des églises, il n'a
parlé que des âmes, et ce sont les âmes qui sont ses vrais et légi-
times temples. " ; Pour détruire cette superstition, il serait bon
qu'on renveisàt une bonne fois toutes les églises du monde entier
et qu'on ne prêchât plus que dans les maisons ordinaires, ou sous
la voiUe du ciel. C'est là qu'on devrait se réunir pour prier, baptiser
et célébrer le culte, » « Comprends-tu, maintenant, pourquoi le ton-
nerre frappe plus fréquemment les églises que tout autre édifice?
C'est que Dieu les a dans une horreur singulière, c'est que nul repaire
d'assassins, nulle maison de filles publiques n'est témoin de plus de
péchés, de blasphèmes, de meurtres d'âmes et de crimes mons-
trueux. Là où l'Évangile pur « (c'es(-à-dire la doctrine de Luther)
" n'est pas prêché, l'entremetteur de filles est un moins grand cri-
minel que le prédicateur papiste, car une maison de perdition fait
moins de mal qu'une église. Et quand bien même cet entremetteur
mettrait à mal tous les jours neuf vierges, neuf pieuses femmes ma-
riées ou neuf religieuses, ce qui est cependant chose effroyable et
horrible à imaginer, il ferait un moins grave péché et serait cause
' Contra M. Lulherum, fol. 19.
488 REPRESSION DE LA REVOLUTION.
de moins de mal que le prédicateur papiste. > ^ Si le clergé ue suit
pas la voie que je lui trace, je souhaite >•■, avait encore dit Luther,
a non-seulement que ma doctrine amène l'entière destruction des
couvents et des abbayes, mais que de mes propres yeux je puisse
un jour les voir réduits en un monceau de cendres'. -^
K La population des villes et des villages, affolée, exaspérée,
furieuse », écrit du Uheingau un écrivain contemporain, " était
fort à son aise pour se livrer au pillage, à l'incendie; elle pou-
vait à son gié détruire, profaner, outrager tout ce qu'il y a de
plus sacré au monde et commettre les actes les plus atroces, car,
depuis longtemps déjà, il n'y avait plus aucune espèce d'autorité en
Allemagne. Et voilà le principal motif des troubles religieux : tous
étaient découragés, divisés, nul ne se fiait à son voisin. Les uns
voyaient avec plaisir la ruine du clergé et ne regardaient les prêtres
que comme les serviteurs de Baal; les autres convoitaient en secret
les biens ecclésiastiques, et se disaient que, si le jeu réussissait, ils
en retireraient sans doute un bun profit; beaucoup étaient si épou-
vantés qu'ils ne savaient que résoudre; beaucoup sentaient leur coeur
défaillir, ne sachant que trop qu'ils avaient poussé à bout la patience
du pauvre homme, et que le châtiment de Dieu allait les atteindre-.
« Les seigneurs, même les jeunes -', dit Anshelm dans sa Chro-
nique, i< étaient devenus de vrais lièvres. » « Lorsque les paysans,
ayant formé leurs bandes, s'aperçurent que ces nobles vantards,
qui dans leurs discours semblaient toujours prêts à les dévorer,
avaient d'eux une si épouvantable peur qu'ils ne songeaient qu'à
prendre la fuite et à demander grâce et merci, lorsqu'ils virent que
les jeunes gens eux-mêmes, ces avaleurs de sabres qui, à les entendre,
n'eussent fait qu'une bouchée de dix paysans, n'osaient pas seule-
ment les regarder en face, ils s'enhardirent, l'orgueil leur monta à
la tête, la joie les rendit fous; ils commencèrent à ravager les cam-
pagnes, à saccager villages, châteaux, villes, couvents, abbayes, à
1 Sümmtl. Werke, t. Vil, p. J21, 131, 222-223, 330. — Les prêtres et les moines
sont certainement, à moins d'un miracle spécial de Dieu et par le seul fait de
leur état, des chrétiens déchus, des apostats ; il nest pire engeance sur terre. Les
Turcs, eux aussi, sont les ennemis du Christ, mais sous deux rapports ils sont
meilleurs que ceux-ci... ■> Sermon pour le jour de l'an de 1524, t. XVI, p. 33.
- Voy. plus haut, p. 464, note 1.
HKPKKSSION DE I,A HKVOLUTION. 4Sf)
attaquer, dérober, bouleverser, piller, briller: à vider les caves et à
commettre toutes les dévasiafions imaginables. On tremblait que
rieu u'échappât à leur rajje'. » ' Les priuccs et seijjneurs «, lisons-
nous dans la Chronique de Hall, ont eu au débul un jyrand effroi; ils
ne savaient que faire, ni (juel était le dessein de Dieu sur eux. Ce fut
en vérité une guerre étrange, effroyable-! » ' Les féroces insurgés
avaient partout la liante main sur les princes et les seigneurs. »
« Hélas! où en sommes-nous réduits? " écrivait le duc Georges de
Saxe au landgrave Philippe de Hesse; « beaucoup d'entre nous ont
trouvé intolérable d'obéir au Pape et à l'Empereur; nous avons
secoué le joug de Taulorilé temporelle ou ecclésiastique, tant nous
nous trouvions habiles et nous sentions capables de tout gouverner
nous-mêmes; et voilà que Dieu a permis qu'à présent nous soyons
régis par des moines défro(|ués et des paysans en délireM ' » Le
châtiment de Dieu s'est abattu sur nous », dit le duc à un autre
endroit; « nous avons méprisé le Pape et l'Empereur, et mainte-
nant des rustres nous font la loi. Si Dieu n'avait suscité parmi
nous quelques cœurs intrépides et loyaux, mettant leur con-
fiance eu Dieu bien plus qu'en leur propre industrie, les hordes
populaires n'auraient pu être mises à la raison par le petit nombre
de nos soldats*. »
On n'avait en effet à opposer aux insurgés qu'une très-petite
armée.
Les pouvoirs dirigeants étaient désunis et en ■'■ plein désarroi ".
Les lois de l'Empire étaient tombées en désuétude; les classes riches,
lâches et insouciantes, pactisaient avec la révolution.
Lci Conseil de régence était resté longtemps le spectateur inactif
des agissements révolutionnaires, et avait cru ensuite pouvoir tout
apaiser en offrant son intervention et sa médiation; mais, à la pre-
mière approche des paysans, les membres du Conseil s'étaient enfuis
d'Esslingen à Geislingen.
La ligue souabe fut dans l'Empire menacé la seule force vivante,
énergique. C'est elle, presque exclusivement, qui fît échouer les plans
du parti de la destruction et de l'anarchie \ L'Empereur en était
lui-même membre, mais seulement pour les pays de l'Autriche supé-
' Anshelm, t. VI, p. 269, 283-285.
- Uerolt, p. 106.
^ Lettre du jeudi après Quasi modo geniii 27 avril) 1525, dans Rojimel, t. If,
p. 8i.
* Instruction de Georges, novembre 1525, dans Höfler, Denkwürdigkeiten der
Charilaa Pirkeimer, LXX-LXXII.
5 Ce que devint avec le temps la ligue formée en 1522 pour les onze années
qui allaient suivre, suffit pour prouver le relâchement de tous les ressorts
sociaux comme de tout ordre légal à cette époque. — Voy. Jörg, p. 39-40.
490 RÉPRESSION DE LA RÉVOLUTION.
rieure, de la Souabe, du haut Rhin, du Tyrol et du duché de Wur-
temberg, pays restés sous la tutelle de l'Autriche. Les autres membres
de la ligue étaient : l'électeur de Mayence, les évêques de Wurz-
bourg, d'Eichsladt et d'Augsbourg, les ducs de Bavière, le land-
grave de Hesse, plusieurs prélats, comtes, seigneurs, chevaliers, et
diliérentes villes libres de Souabe et de Franconie.
Les ducs de Bavière y avaient la prépondérance, à cause des talents
exceptionnels de leur chancelier Léonard d'Eck, conseiller de la
ligue. Quelque funeste qu'ait été plus tard le rôle d'Eck', il faut
savoir reconnaître les grands services qu'il a rendus à son pays pen-
dant la révolution sociale. Il n'est que juste d'affirmer que sa fer-
meté, son coup d'œil juste et hardi ont sauvé l'Allemagne. C'est
grâce à son énergie que la Bavière put rester en dehors des troubles
et des orages religieux, des horreurs de la guerre civile et de la
sauvage fureur des anarchistes. C'est à lui que l'Allemagne a dû les
armements si opportuns de la ligue souabe. ;< .le sais bien •, écrivait-
il au duc Guillaume, « que les lettres que j'ai adressées à plusieurs
reprires à Votre Grâce, et où je lui révélais hi pusillanimité déplo-
rable des princes et des chefs, ont été raillées de bien des gens
qui peut-être verraient sans déplaisir une catastrophe, gens
moins tentés de se battre qu'amoureux de leur repos. » « On
se plait », dit-il encore, " à exagérer la puissance, les forces, les
ressources des paysans révoltés; mais fussent-ils aussi nombreux
qu'on le préfend, Votre Grâce ne peut nier que le Turc étant à nos
portes, il ne faille se défendre à tout prix, mourir ou être expulsé!
Le premier signal de notre défaite et de notre ruine totale serait
notre timidité. Les émeutiers ne rêvent que d'humilier les princes
et de se débarrasser de toute autorité. » Animé d'un infatigable zèle,
Eck pressait les armements, et ne cessait d'insister sur la nécessité
de réunir les subsides indispensables à la dé ense du pays. « Le bon
succès de la guerre », écrivait-il, « est attaché à notre persévé-
rance; surtout il est important de ne pas débuter par un revers.
Tout dépendra de nos commencements, et d'une résistance oppor-
tune. » « Je dis et j'écris nuit et jour que Votre Grâce doit se mon-
trer vigilante. Si la ligue souabe n'a pas inainlenani les yeux ouverts,
et si elle n'est sous les armes, c'en est fait de l'Empire romain de
nation germanique ^ »
Ce n'étaient pas seulement les révoltés, c'étaient surtout les
princes qui faisaient courir à l'Empire les plus graves dangers. Plu-
sieurs d'entre eux, nouveaux croyants ou catholiques, ne se souciant
' On trouvera d'amples détails sur la politique peu loyale d'Eck envers
l'Empire et l'Empereur à dater de 1526 dans le troisième volume de cet ouvrage.
2 Voy. JÖRG, p. 335-339, 348, 402.
RKPRESSION DE I.A REVOLUTION. 491
que de l'augmenlalion de leur pouvoir par ragrandisscment de leurs
terrifoircs, giietlaieiif la ruine de leurs voisins dans l'espoir d'en
tirer bon parti. Si la li(;ue souabe n'ciU Tourni un point de rallie-
ment ferme et stable, il eiU été presque impossible de décider les
princes à une action commune; les territoires allemands eussent été
livrés sans délense à l'anarchie, et la ruine totale de l'Allemagne
eiU été consommée.
CHAPITRE IV
LA RÉVOLUTION SOCIALE.
La haute Souiibe, dans toute retendue des pays frontières de la
Suisse et du Tyrol, fut le premier et principal foyer de l'insurrec-
tion. Elle éclata en premier lieu dans le comté de Liipfen, fief que le
comte Sigismond de Lüpfen tenait de l'Empire.
Le 2'ô juin 1524, les paysans de Stiihliûgen s'étant rassemblés se
rendirent en armes devant le château du comte, « qui les avait acca-
blés de corvées et de vexations sans nombre au sujet des chasses '-
t Ils étaient bien décidés, lui déclarèrent-ils, à ne plus se soumettre
aux anciennes corvées et servitudes; ils prétendaient chasser dans les
endroits jusque-là réservés à leur seigneur, abattre le gibier dans les
forêts, pêcher dans les rivières et en avoir la libre jouissance. Ils ne
payeraient à l'avenir ni redevances, ni dîmes. Ils ne souffriraient
plus qu'on traînât dans les cachots ceux d'entre eux qui s'étaient
attiré quelque punition'. » Hans Müller de Bulgenbach, démagogue
hardi et résolu, s'était mis à leur tête. « Il ne manquait pas d'élo-
quence ".rapporte à son sujet le chroniqueur André Lettsch; " il
avait de l'esprit; un orateur de sa force ne se rencontre pas souvent.
Ce Hans était redouté de tout le monde; je l'ai beaucoup connu; il
était de moyenne taille; il avait fait autrefois la guerre en France*. "
Le soulèvement des paysans de Stühlingen fut promptement suivi
• Lettre du comte Sigismond de Lupfen datée du 25 août 1524, dans Schreiber.
Bauernkrieg, t. 1, p. 15-18. Le prétexte de lémeute fut vraisemblablement
l'obligation d'un travail excessif imposée aux paysans durant le temps de
leur propre moisson. l'iUinger Chronik, dans Mo.ne, Qurllensammlung, t. II, p. 90,
note 2. — L'émeute éclata la veille au soir de la Saint-lean, 23 juin. — Voy.
la lettre de l'arcliiduc Ferdinand, du U juillet 1324, dans Schreiber, t. I,
p. 3. Au début, les paysans déclarèrent que leurs réclamations n'avaient
rien à faire avec 1' - Évangile ». — Voy. Stern, Zwölf Artikel, p. 101-102. —
Stalin, t. IV, p. 258, note 3.
-Mo\E, t. II, p. 46.
I. A RÉVOLUTION SOCr A I.E. 4 93
d'une insurrection dans le Klettj^auet dans fout le Hegau; .lost Fritz,
qui s'était déjà fait remarquer lors des preniii'rcs émeutes des cam-
pagnes', y avait soulevé les |)opuIations. Il affectait de laisser croître
sa longue barbe grise, et répétait à tous qu'il ne mourrait pas
avant d'avoir assisté au Iriomplie du Ihmdschuh^ •.-. .
En Thurgovie /juin I.j21i, l'émcule fut sauvage. Environ cinq mille
paysans assaillirent à l'improviste la Chartreuse d'iltiogen, près de
Frauenfeld, la pillèrent, y mirent le feu et saccagèrent les maisons
des prêtres non résidents'. « lisse sont conduits d'une telle ma-
nière ', rapporte le conseil de Fribourg en Bri.«gau (4 août 1524),
« que cela dépasse l'imagination. On dit que l'un d'enire eux s'est
emparé du Saint Sacrement et l'a foulé aux pieds, en disant : C'est
toi qui es la source de toutes les hérésies! Tels sont les admirables
fruits de la doctrine de Luther*.
Tous les efforts tentés pour apaiser la sédition échouèrent =. Les
paysans de Stühlingen et les vassaux de l'abbaye de Saint- Biaise,
au nombre de douze cents, commandés par Hans Müller et pré-
cédés d'un drapeau noir, rouge el blanc, marchèrent sur Walds-
liut, où ils arrivèrent le 24 août, jour de la fêle patronale. Les
habitants pactisèrent avec eux. On se promit des deux côtés protec-
tion, aide et secours ^ et les révoltés formèrent entre eux une
« Fraternité évangélique - , jurant de secouer le joug des sei-
gneurs et de ne reconnaître désormais d'autre maître que l'Empe-
' Voy. plus haut. p. 42S.
- Dans MONE. t. H. p. 17. — Voy. Mone, Badisches Archiv., t. II, p. 166.
" Lettre de Gui Suter (19juillet 1524) dans Schreibe«, t. I, p. i-5. On trouvera
dans l'ouvrage de Schreiber d'amples détails sur lorigine de l'émeute, dont
très-certainement les religieux et les prêtres d'Ittingen ne furent en rien res-
ponsables.
^ Dans Schreiber, t. 1, p. 9.
* Voy. les lettres de l'archiduc Ferdinand des 3 et 6 août 1524 dans Schreiber,
t. I, p. 7-8, 10-11. Dès le 3 aoiU l'archiduc affirme que les troubles de la forêt
Noire ' se rattachent à la question luihérienne ». Zurich invita solennellement
les paysans à donner à leur révolte un caniclère religieux. — Voy. Stern,
Zwölf Artikel, p. 102-103. et Göul.Gcl. Anzeigen, 1871, p. 1748. Au début, les paysans
du Klettgau, sujets du comte Rodolphe de Sulz, furent plutôt opposés que favo-
rables à l'émeute de leurs voisins, et déclarèrent que. quant à eux, ils n'avaient
pas à se plaindre du comte. Voy. les procès-verbaux du conseil de la ville
de Zurich (novembre 1524) dans Schreiber, t. I, p. 115-117. .Mais dès le 23 jan-
vier 1525, ils découvrirent tout à coup qu'ils étaient à un tel point lésés et si
accablés d'impôts qu'il leur était impossible de supporter plus longtemps
leur situation. Si nous patientions plus longtemps ', disaient-ils, - nous et
nos pauvres petits enfants devrions prendre avant peu le bâton de mendiant. ^
— Voy. Schreiber, t. II, p. 4.
0 Andreas Letlsch, dans .MoNE, Quellensammlung, t. II, p. 46 : « Ceux de Waldshut
se sont joints aux insurgés de Stüiilingen et à quelques paysans de la furet
Noire; ils ont cherché près d'eux secours, conseil et appui pour leurs plans
séditieux. • Rapport des commissaires autrichiens à la Diète de la ligue, assem-
blée à Ulm le 28 octobre 1524, dans Klupfel, t. II, p. 282.
494 LA RÉVOLUTION SOCIALE.
reur; à celui-là, ils conseataient à payer tribut, « mais à coadi-
tion de n'y être pas coutraiats «. Ils s'apprêtaient à détruire « les
châteaux, les couvents, et en général tout ce qui avait quelque attache
au clergé' ».
' Villinger Chronik, dans MoNE, t. II, p. 90. — Pour apaiser l'émeute de Stiili-
lingen, on voulut essayer de l'intervention de Schaffhouse. Le comte Sigismond
de Lüpfen et les délégués des paysans conférèrent enbcmble le 10 septembre, et
signèrent un traité de paix qui nous a été conservé, et va nous permetlre d'appré-
cier la situation des paysans à cette époque; nous verrons combien elle était pré-
férable à celle qu'ils euren l plus tard, surtout vers la fin du seizième siècle. Voici
les principaux articles de ce traite : Tout paysan ayant un attelage à lui ou possé-
dant de un à trois chevaux ou bœufs doit corvée de son corps et de son attelage
A\iTAUX.sepijour%, soit pour la culture, soit pour la moisson; celui qui n'a ni atte-
lage ni bœufs doit corvée de son corps pendant sc/;</oa;s. Les paysans abaltront
et transportt^ront le bois nécessaire pour la bâtiïse et le chauffage du château. Ils
pourront partager entre eux ce travail, t'endanl le temps de la corvée, ils seront
entretenus aux frais du seigneur; "il sera convenablement pourvu à leur entre-
tien. Us seront libres les jours fériés, .'i l'heure convenable. En dehors de leurs
sept jours de corvée, les tenanciers devront aider tous les ans pendant deux
jours à l'époque des chasses » ; on ne leur imposera pas l'obligation de garder
les chiens. Celui qui a cheval et charrette doit une fois par an conàuive et livrer
la venaison au château. Une fois par un aussi, il conduira le blé de la dirae au
marché de Schaffhouse, et pour son trajet recevra des vivres et du fourrage.
Quant à la défense d'abattre les bêtes fauves, les loups et les ours font excep-
tion; mais le paysan qui aura tué un ours devra apporter au seigneur la tète
et une patte de la bêle. Les paysans pourront détruire les sangliers qui dété-
riorent leurs champs, à condition d'envoyer la hure au seigneur. Us pourront
poursuivre les bétes fauves avec des chiens pour empêcher que leurs terres
ne soient ravagées; ils n'abattront pas le gros gibier, sous peine d'amende. Ils
auront permission de prendre les oiseaux avec des gluaux; celui ayant obtenu
droit de chasse peut, selon l'ancien usage, chasser aussi les blaireaux, les
renards, les lièvres et les coqs de bruyère. Aucun colon établi dans la sei-
gneurie n'a le droit de pêcher ; cependant si une femme qui a une bonne
espérance avait envie d'un plat de poisson, le bailli pourra permettre à son
mari de pê her Tous les ans les sujets devront payer l'impôt d'automne. Le
village de Wytzen payera pour cela annuellement comme impôt quatre florins
et demi. L'avoine du fourrage, l'avoine folle et l'orge pour les veaux devront
comme autrefois être livrées. Si un colon n'a point laissé de bétail après sa mort,
on ne demandera à ses héritiers que la moitié de l'impôt de la meilleure tête,
faute de quoi, d'après l'usage reçu dans le pays, les héritiers payeront l'impôt
tout entier. Les agents seigneuriaux devront se montrer miséricordieux envers
les colons; personne ne devra être mis en prison, excepté pour cause de malé-
fices, " quand il aura prêté caution; s'il n'a pas prêté caution, il devra, le troi-
sième jour seulement, comparaître devant le tribunal. D'après ce contrat,
les tribunaux populaires restent dans leur ancien état. - Les ju,;es ", y est-il
dit, - même si le jugement qu'ils ont renJu déplaisait à l'autorité, ne seront pas
conduits devant la cour souveraine, ni tourmentés, ni punis » ; si le sujet se
trouve lésé par la sentence, il pourra en appeler du tribunal du comté à la cour
souveraine la plus proche. Dans les audiences de police correctionnelle, chacun
restera libre, d'après l'ancien usage, d'ac user qui bon lui semblera. Pour les
exécutions, les seigneurs auront le droit de réquisitionner un homme par
maison; en cas d'urgente nécessité, les seigneurs peuvent réclamer tous les
hommes de sa terre, jeun'^s et vieux. Schreibek, t. I, p. 41-50. — Les paysans
de Stuhlingen ne semblent pas avoir été réduits à une condition bien dure,
puisque, durant leurs pourparlers avec le comte, ils dépensèrent pour leur
nourriture environ trois mille florins. Ils se sont punis eux-mêmes ", lisons-
KMEUTliS HANS L\ KORKT N O I li E. 49:.
Le mouvement révolufioniiaire pril, à parlir de ce moment, un
caraclère religieux ii)ar(|ué. Celui qui se préxenfail j)0ur Taire par-
lie de la « Kralernik; évaugi licjue » devait toules les seuiaiues don-
ner une cotisation d'un demi-baizen. Cet argent servait à payer les
émissaires qui allaient recruter des frères - en Souabe, dans les
pays du Uliin, en Franconie, en Saxe, en Misnie. Des agilaleurs
populaires travaillaient depuis longtemps Teveche de Bamberg, per-
suadant aux paysans que la loi de Dieu défendait de payer la dime'.
Hans Müller avait été élu chei" de la « grande Fraternité clirélienne
de la lorêt Noire ». Revêtu d'un manteau rouge et coiilé d'un béret à
plumes de même couleur, il allait de village en village, précédé d'un
héraut à cheval, qui menaçait de " ban laicjue' « tous ceux qui refu-
saient d'entrer dans la " Fraternité . Il se faisait précéder d'un char
orné de feuillage et de rubans portant l'étendard de la révolte, gage
de la future délivrance du peuple. Avec lui, le prédicant Balthasar
Hubmaier était un des chefs les plus fougueux de l'insurreciion. « Bal-
thasar méprisait souverainement papes, empereurs et rois », et de-
mandait " qui les avait priés de régner '. Il enseignait que le peuple
avait le droit d'élire et de déposer l'autorité, et n'était obligé à aucune
dime, redevance, taille, impcM d'héritage, etc. L'eau, le poisson, la
foret, le champ, la vigne, la prairie, le gibier, les oiseaux apparte-
naient à tous. Il insultait dans ses discours tous les " éperons jaunes »,
il ne les appelait que « les grands benêts », et composait des chan-
sons satiriques sur les conseillers de l'Empereur. Comme il devait
plus tard le confesser lui-même, " il avait fait à Waldshut des prédi-
cations séditieuses qui avaient troublé la paix, offensé Dieu, la jus-
tice et la conscience, et avaient été cause de plus d'une rixe san-
glante ». Son but, comme celui de ses partisans, n'était pas seulement
de rejeter toute autorité, mais surtout d'en créer et d'en élire une
nouvelle parmi les frères'. " Vraiment, lorsqu'on y réfléchit », dit
André Letsch, « on reconnaît que ce susdit docteur Balthasar a été
le véritable instigateur de la guerre des paysans, et que c'est à lui
qu'il convient d'attribuer les lamentables événements et les désastres
qui suivirent*. »
nous dans un rapport rédigé par deux délégués du comte, ils se sont cliargés
d'un plus lourd f.irdeau de corvées qu'auparavant - Schreiber, t. I, p. 55. Les
paysans avaient donné plein pouvoir à leurs délégués de conclure le traité; mais
lorsque ceux-ci le leur apportèrent, ils refusèrent de le signer, le trouvüut trop
onéreux.
' Voy. le mandement de l'évéque de Bamberg (5 août 1524), dans Höelek,
Fränkische Studien, t. VIII, p. 269, n» 159.
- Voy. plus haut, p. 4G5.
^ Voy ces documents dans Sterx, Zwölf Artikel, p. 68-70.
* Mo.NE, t. II, p. 46.
496 AI.LIAXCE DCLUICH DE WURTEMBERG AVEC LES PAYSANS. 1524.
Thomas Mïmzer' qui, depuis rautoniue de 1524, s'était établi au
bourg de Griessen, dans le Klettgau, était intimement lié à Hubmaier.
« A cette époque >, écrit Henri Bullinger, « il poursuivait avec
ardeur sa campagne révolutionnaire dans les localités voisines, y
répandant la semence empoisonnée de celte révolte qui sitôt
après devait germer dans les cœurs ^ " Münzer avoua plus tard que
dans le Klettgau, le Hegau, et aux environs de Bâle, il avait donné
quelques axiomes sur le gouvernement comme tirés de l'Évan-
gile, bien qu'ils fussent de son invention. Dans ces contrées,
il n'avait pas directement soulevé l'émeute, car la population
s'était insurgée d'elle-même; '- il s'était borné à y étudier de près
l'état des choses, mettant à profit les exemples que lui offraient
d'autres régions, et se proposant de servir ainsi ses propres inté-
rêts^ :. 11 prêchait aux paysans " le saint Évangile du royaume de
mille ans », qui devait triompher avant peu, affranchir la chré-
tienté des tyrans, et former un peuple de frères. " Le puissant
cédera au petit et s'humiliera devant lui -, répétait-il. Oh! comme
il serait utile que les pauvres paysans méprisés sussent bien cela! ■
Après avoir pendant huit semaines consécutives joué dans le
Rlettgau et le Hegau le rôle de prophète du radicalisme politique et
religieux, MQnzer était revenu en Thuringe; mais il resta toujours
en relations suivies avec les révoltés du Sud, - excitant, encoura-
geant » par ses messages les esprits turbulents, et soulevant les
populations contre leurs maîtres et autorités. Ses émissaires répan-
daient parmi le peuple des - tablettes « où étaient indiquées '• les
dimensions des balles qu'on fondait à Mulhausen, et qui devaient
bientôt servir les ressentiments des paysans. 11 fortifiait et consolait
ainsi les mécontents \ ••
■' D'un tout autre rang social que .lost Fritz, Hans Müller, Hubmaier
et Münzer, Ulrich de Wurtemberg, <; le prince déchu >;, - duc et bour-
reau du Wurtemberg -, était un des agitateurs populaires les plus
ardents. Ulrich avait jadis provoqué, par son despotisme cruel, la
révolte du « pauvre Conrad « ; mais depuis que la sentence du ban
avait été prononcée contre lui, il affectait d'être l'ami des paysans,
et signait ordinairement les lettres qu'il leur adressait : - Ulrich le
paysan*. - S'appuyant sur la populace qu'il flattait, il espérait, avec
1 Voy. Stern, Zicölf Artikel, p. 111-113. — Bensen, p. 85.
- BüLLiNGEU, Der Wiedertäufern Ursprung, B1-.
2 Mûnzer's Bekentnuss, El. A'.
* Voy. Zimmermann, t. II, p. 86, 113-115. — Stern, 35-37. — Seidema.n.\, Thomas
Münzer, p. 53, 152.
* . Uotz Bur. •
ALLIA NOK D'LLniCH DE VVLI! IFMBKIU; AVKC LES PAYSANS. 1J2{. 497
son aide, reconquérir son duché '. c II lui était complètement indif-
férent », disait-il, •<■ d'y rentrer par la botte ou par le soulier ",
c'est-à-dire à l'aide du /{und^r/iu/i ou de l'éperon du chevalier.
Une fois remis en possession de ses terres et de ses (jens, il se pro-
posait de décharger si charitablement les riches, les prêtres et les
moines du fardeau des richesses que, comme les apôtres, ils fussent
libres de parcourir le monde en portant le sac du mendiant sur le
dos. Quant aux riches marchands, « ces exploiteurs du peuple »,
il avait l'intention de si bien les rançonner que l'effroi et la douleur
« leur fissent jaillir le sanjj- des yeux '. " Mais il se proposait d'aban-
donner une bonne partie du butin à ceux qui l'auraient fidèlement
aidé au temps de son exil. Ceux-là parta{;eraient sa bonne fortune,
et, sous la loi du nouvel Évangile, ils jouiraient tous ensemble dune
existence bien préférable à celle du passé"-. '■
Depuis 1.323, Ulrich avait adhéré au " nouvel Évangile >; il était
plein de zèle pour sa diffusion. S'il souhaitait reprendre possession
du Wurtemberg, c'était surtout, écrivait-il, parce que les sujets de
l'Autriche, sous la tutelle de laquelle était placé le Wurtemberg,
souffraient violence « quanta l'unique consolation de la conscience,
la sainte parole de Dieu », et qu'il les voulait secourir. Si l'on refu-
sait de l'aider, il se croirait autorisé par la nécessité, comme il le
déclarait dès le mois de janvier 1524 aux Ordres réunis à Wurtem-
berg, à user de tous les moyens, pourvu qu'ils fussent honorables
et humains, pour rentrer en possession de son duché, et il se verrait
contraint de s'aider et de se défendre '. Le Wurtemberg lui devrait
l'introduction de la doctrine luthérienne \
En juin 1-524, avant qu'aucune insurrection de paysans eût encore
éclaté, Ulrich avait demandé au roi de France, au service et à la solde
de qui il était alors, un secours d'argent considérable pour recruter
des soldats contre l' « ennemi universel îj, l'Empereur, et pour être en
état de se déclarer contre lui au moment opportun. Son château de
HohentNviel, acheté avec les deniers français, avait été muni de vivres
et d'abondantes munitions. Il y faisait fondre de grandes arquebuses
et, depuis le mois de septembre, ne cessait d'entretenir des relations
secrètes avec les paysans du Hegau, du comté de Stühhngen et de la
' Voy. plus haut, p. 259-260, 331.
- C'est uu agent de l'archevêque Richard de Trêves qui rapporte ces paroles
d'Ulrich. Lettre * de 1525, sans date et sans signature. Trierischen Sachen und
Briefschaften, fol. sgi^-QO. — Vov. la lettre de Gui Suter du 3 décembre 1524 dans
Beger, p. 591.
* Voy. Stalin, t. IV, p. 234, 261. Après qu'Ulrich eut adhéré à 1' « Évangile •,
Zwingle disait à son sujet : ^ Ego ab eo homine aliquando vehementer abhorrui,
verum siexSaulo Paulus factus est, non aliter amplecti possem hominera, quam
fratres PauUim quam resipuisset. - — Zuinolu Op. VII, p. 360.
^ Voy. Begeu, p. 581.
n. 32
498 ALLIANCE D'ULRICH DE WURTEMBERG AVEC LES PAYSANS. 1524.
forêt Noire. Il les pressait tous de faire cause commune avec lui,
de le servir, promettant de les conseiller, de les défendre et de
les seconder. Ses reilres faisaient de continuels voyages dans le
Hegau. A la fête patronale de Hilzingen, village situé à Touest de
Holientwiel, les paysans du Hegau, auxciuels s'étaient joiuts ceux
du Klettgau, ayant formé une vaste conjuration, Ulrich essaya de les
gagner à ses vues. Ses émissaires allèrent dire aux paysans « que le
duc avait de l'argent, grâce auquel on pourrait tout de suite com-
mencer le jeu ». Le conseil de Fribourg en Brisgau écrivait le 7 sep-
tembre : " Ulrich organise un Bundschuh. Ceux de Bâle lui ont prêté
deux mille florins sur Mömpelgard. - Capito, prédicant de Strabourg,
s'occupait activement, avec Egenolf Roder de Diersbourp; et d'autres
luthériens considérés, des moyens de trouver de l'argent pour Ulrich,
qu'il s'agissait d'aider à recouvrer ses États'.
Nombre de chevaliers bannis, réfugiés en Suisse depuis la dissolu-
tion de l'armée de Sickingen, avaient rejoint Ulrich. Dépossédés,
« sans feu ni lieu », ils étaient avides d'émeutes et de bouleverse-
ments, et partisans de tous ceux qui y poussaient, ils affectaient de
prendre chaudement à cœur les intérêts des paysans qu'ils avaient
autrefois ruinés par leurs guerres privées et leurs guets-apens^. Le
plus intime compagnon d'Ulrich, le sanguinaire Hans Thomas
d'Absberg^ plusieurs bannis ayant autrefois fait partie de la ligue
1 Voy. ses lettres dans Schreiber, t. I, p. 78, 82, 86, 105. — Chmel, Aciensiûcke,
t. II, p. 250. — Klupfel, t. II, p. 280. — Voy. St.ilix, t. IV, p. 260, note 2. Ulrich
entra aussi en relation avec la noblesse du Hegau, mais ces relations n'eurent
point de suite. — Voy. Beger, p. 581-582.
- Une chanson du temps fait dire aux gentilshommes déchus • (voy. plus
haut, p. 438, note l):
Nous sommes de l'ordre des chevaliers,
>lais maintenant, devenus pauvres,
Nous prétendons nous relever,
NOUS voulons retourner près de nos femmes et de nos enfants.
Loin desquels on nous a proscrits
Nous voulons recouvrer nos chiUeaux,
Le peuple nous aidera,
Et nous tomberons comme des loups
Sur les hordes des prêtres!
Nous les chasserons tous,
Nous les mettrons tous à mort,
Et nous boirons leur vin.
La parole divine ne dit-elle pas
Que nous devons nous conduire en chrétiens,
Et vivre comme des frères?
5 Voy. Baader, Th. d'Asberg, p. 150, 157, 161). Les rançons extorquées par Hans
Thomas à ses victimes furent à diverses reprises déposées à Mömpelgard, chez
un fidèle serviteur d'Ulrich, pour être ensuite restituées à Thomas. Le bandit lui-
même demeurait souvent des semaines entières chez Ulrich. Il coupa les doigts à
un chapelain de l'archiduc Ferdinand, et outre cela le mutila de la manière la
plus atroce. Lorsque Ferdinand apporta ces faits à la connaissance du conseil de
.Nuremberg, il lui fut répondu (février 1525) que l'archiduc n'avait qu'à agir
|{F^;V()l,rK KN SOUAHE. 1525. 499
de Siclvm{jeü, Hartnmlli, de Cronberg, Sciiwicker de Sickin^jen,
excitaient les Bohèmes à eavahir la Bavière et à porter jusqu'en ce
pays riucendie et la révolfe'. .le.in de Fuclisteiii, lon{',(enips chance-
lier de l'Électeur palatin et membre du Conseil de ré{jence, aventu-
rier hardi, aussi rusé que libertin*, était le plus adroit chargé d'af-
faires d'Ulrich. Kn Janvier 152.), il l'avait envoyé en ambassade se-
crète auprès de François i", dont il s'agissait d'obtenir de nouveaux
secours d'argent. Ulricli faisait savoir au Roi par l'entremise de
Fuchstein « que la chance lui souriait, qu'il était en état de réunir
une vaillante troupe de fantassins et de cavaliers, parmi lesfjuels se
trouvaient en grand nombre des sujets des princes autrichiens, ces
ennemis du i.oi et les siens; qu'il ne lui manquait plus qu'une petite
somme d'argent, et qu'il le suppliait de lui avancer quinze mille
couronnes ' .
Le moment de commencer les hostilités était venu, et, au dire
d'Ulrich, il ne pouvait s'en présenter de plus favorable, car l'Empe-
reur, pendant l'hiver de (524-1525, se verrait forcé d'employer ses
principales et meilleures forces à la campagne d'Italie. 8'appuyant sur
les secours promis par François, Ulrich avait attaché à son parti cin-
quante à soixante mille Bohèmes, parmi lesquels on s'entretenait déjà
de l'opportunité d'envahir les États de l'archiduc Ferdinand. Enfin
le duc Ulrich lui-même avait peu à peu rassemblé une trentaine de
bannières de toutes nuances. Sur ces bannières se voyaient u de
grandes croix blanches, avec devises françaises' ». Les soldats étaient
presque tous Suisses; Schweikard de Sickingen le rejoignit bientôt
avec deux cents reitres. Hans Müller lui fournit quelques centaines
de paysans; les villes de Soleure et de Bàle lui envoyèrent des armes,
et le prédicant .leau Geyling se chargea d'enflammer le courage des
troupes.
Pendant ces apprêts, de nombreux soulèvements de paysans écla-
taient au sud-ouest de la Souabe.
Dans l'Algau, pays montagneux situé entre le Lech et l'Argen, le
nouvel Évangile avait fait jusque-là peu de partisans». Mais à dater
des premiers mois de 1525, les prédicants ayant parcouru ces con-
trées, démontrant aux paysans que les autorités les avaient honteu-
auprès des états de Bohême et qu'à solliciter les princes; que c'était là le seul
moyen de venir à bout de Thomas et de ses auxiliaires, puisque les princes lui
servaient de receleurs. — Evader, p. 179-144.
' Pour plus de détails, voy. Jörg, p. 157-172. Lettre de Ferdinand du 14 mars
1525, dans Lanz, Correspondenz, t. I, p. 154.
^ Voy. plus haut, p. 255.
3 Zimmermann, t 11, p. 46.
* Ketzler, Sabbata, t. I, p. 364.
^ Voy. Zimmermann, t. II, p. 124.
32.
500 REVOLTE EN SOUAÜE. 1525.
sèment opprimés « par le servage, l'impôt d'héritage et autres char-
ges s et qu'ils devaient se réunir, jurer de prêter main-forte à l'Évan-
gile, et aider à assurer son triomphe, les paysans se soulevèrent.
» iSOus n'avons pas cru mal faire -, disaient naïvement les vassaux
de l'abbaye de Roth dans une adresse à leur prince-abbé (14 février
1525). Des clercs, des savants sont venus chez nous, et nous ont
parlé. Nous les avons écoutés longtemps, et ils nous ont appris que
nous autres, pauvres gens, nous avions été partout écrasés. Ils nous
ont informés que, non pas dans un seul endroit, mais dans un grand
nombre de domaines, les pauvres se révoltaient. » < Les gens très-
savants que personne ne peut contredire nous ont enseigné que le
Seigneur Dieu avait fait des lois, et comment il les avait faites; ils
nous ont dit que ces lois étaient seules véritables, et que l'étude du
saint Évangile prouvait clairement qu'un homme n'est pas au-dessus
d'un autre. « « Outre cela, nous entendions répéter que les sages de
la ville étaient du même avis, et approuvaient les discours de ceux
qui étaient venus vers nous '. ^ Le même jour, les paysans du haut
Algau déclaraient s'affranchir de toute corvée, dîmes, impôts, etc.,
refuser toute obéissance à leurs seigneurs et ne plus reconnaître de
maîtres -.
L'émeute de l'Algau avait été soulevée par les paysans de Kempten,
depuis longtemps en lutte presque continuelle avec ieur prince-abbé
à propos de vraies ou de prétendues vexations. A les entendre,
Sébastien de Breitenstein, leur seigneur, ne tenait aucun compte des
anciennes conventions ^ Le ferblantier Knopf de Luibas, comme il
l'avoua lui-même plus tard, entraîna tous les mécontents; puis lui
et ses partisans gagnèrent à leur parti les sujets de l'évéque d'Augs-
bourg, du comte de Montfort, du sénéchal de Waldbourg et de toute
la noblesse avoisinante. Les paysans de Kempten, qui, le 21 janvier
15:25, avaient pris la résolution de porter devant les tribunaux leurs
différends avec le prince-abbé, changeaient maintenant d'avis, et se
déclaraient résolus à trancher la querelle avec l'épée. ' Ils étaient assez
forts ", disaient-ils, - pour se passer delà justice*. •-■ Le 24 février, tout
l'Algau était sous les armes - pour le maintien de l'Évangile et pour
le droit divin ». Leprédicant Hans Ul d'Oberdorf avait persuadé aux
' Voy. JÖRG, p. 139. — Rohling, p. 128.
- Chronique de Werdenstein, dans Bai mann, Quellen, p. 486.
' Voy. les griefs des vassaux de l'abbaye et la réponse du prince-abbé du
9-14 janvier 1525. — Voy. le protocole des états tenus à Obergiinzbourg, dans
Baumann, Acte», p. 51-84. — Voy. aussi les plaintes du prince-abbé, après l'apai-
sement de l'émeute, et la réponse que lui firent ses sujets, p. 32:}-342.
^ Pour plus de détails, voy. Baumann, OherschcHhische Bauern, p. 3-7. — Voy.
aussi les aveux de Knopf, dans Baumann, Acten, p. 378-387. En terminant ses
déclarations, il avoue qu'il a été le promoteur et le provocateur de toutes les
entreprises révolutionnaires de l'Algau '.
KÉVOLTE EN" SOUABE. 15-25. 001
insiirfjcs « que le duc de Saxe, avec une armée de soixante mille
hommes, s'apprêtait à venir défendre avec eux rKvanjjilc ' '•.
En même temps que les monlajjnards de rAlp,au, les paysans du
lac de Constance, de la vallée de Schiisseu, et la population de
Baltringen, au-dessus d'Llm, sur le Ried, se soulevaient à leur tour,
excités par un certain TIurlerna{',en, « marchand perdu de mœurs •.
Une armée d'environ dix-huit mille hommes se trouva bientôt ras-
semblée, et ne tarda pas à nouer d'intimes relations avec le prédi-
cant de Memmingen, Christophe Schappeler, le plus foufyueux apjita-
teur de la haute Souabe. Schappeler avait dit un jour en chaire que
les laïques des deux sexes étaient maintenant beaucoup plus instruits
que les misérables prêtres impies, ces « mouches sordides », qui, par
intérêt personnel, avaient tenu la vérité si lonfjtemps captive. Les
laïques, bien mieux que les clercs, étaient en état d'annoncer la
parole de Dieu; mais jusqu'à présent tout ce qui s'était passé n'était
qu'un jeu. Le règne de la justice ne pouvait s'établir sans être pré-
cédé d'angoisse et de douleur. S'appuyant sur la Bible, il avait
démontré à son auditoire que les diraes étaient annulées par le Nou-
veau Testament, et que les seigneurs péchaient grièvement en exigeant
des redevances et des taxes "^ Son disciple le plus influent, le pelle-
tier Sébastien Lotzer, prêchait le communisme apostolique : < Au
temps des apôtres, lorsque les Juifs se convertirent à la foi », disait-
il, u toutes choses étaient communes entre les frères; tous alors
étaient bons chrétiens; nous ferions bien d'imiter cet exemple. »
" Nous ne réclamons le bien de personne », disait-il encore; et néan-
moins les bourgeois propriétaires avaient de fort bonnes raisons de
craindre que le prolétariat soulevé « ne pillât et n'incendiât les de-
meures des riches, et ne s'emparât de leurs biens* ».
Le pelletier Lotzer et le chef des révoltés de Baltringen, maréchal
ferrant de son état, ayant réuni leurs bandes à Memmingen (7 mars
1525), formèrent entre les habitants de l'Algau, des bords du lac de
Constance et de Baltringen une association puissante qui prit le nom
d' « Union chrétienne ». Elle prétendait n'avoir d'autre but que
l'exaltation de l'Évangile et le maintien du droit divin. Il était dit
dans les articles de l'Union : « Les curés et vicaires qui oseront s'op-
poser à l'Évangile recevront leur congé » (c'est-à-dire, seront chas-
• Chronigue de IV erdenstein, dans Bauaiann, Quellen, p. 488. II ressort clairement
de quelques autres relations du temps que les révoltés avaient compté sur l'appui
de Frédéric de Saxe. — Voy. OEchsle, p. 160.
^ Voy. Ar\, t. II, p. 192. — Baumwn, Aden, p. 1-2. — Quelques-uns de ceux
qui, à Memmingen, refusèrent de payer la dime, déclarèrent au conseil qu'ils
avaient tous entendu dire que nulle part la sainte Écriture ne faisait un de-
voir aux chrétiens de payer la dîme ». — Voy. Rohling, p. 107.
^ Voy. Rohling, p. 117-125. — Baumann, Ohershwabische Bauern, p. 23-24.
502 RÉVOLTE EN SOUABE. 1525.
ses du pays); on disposera de leurs cures. Les vassaux des princes et
des seigneurs entreront dans l'Union, ou seront obligés de quitter le
pays, avec femmes et enfants. Les ouvriers et les soldats, en ce
moment absents, ne devront s'opposer en rien à l'Union, mais au
contraire l'avertir de tout péril pouvant la menacer et, en cas de
danger, se hâter de retourner dans leur patrie pour contribuer à
son salut. Les dîmes, rentes et redevances ne seront pas payées
jusqu'à la future réorganisation de la constitution. L'Union chré-
tienne déclarait à la ligue souabe qu'elle n'avait d'autre but que
l'établissement du droit divin, qu'elle était décidée à se soumettre à
tout ce qu'il réclamait, et ne reconnaissait d'autre juge dans sa
cause que la seule parole de Dieu '-. Le conseil de la ligue ; ap-
préhendait fort '■ que l'Union chrétienne n'eût des intelligences
secrètes avec Ulrich de Wurtemberg'.
Pendant ce temps, à la tête de ses compagnies, Ulrich s'était mis
en campagne pour reconquérir son domaine. Après la victoire, il se
proposait d'envahir la Bavière et de la mettre à feu et à sang, pour
se venger des ducs bavarois qui, jadis, avaient pris une part active à
son bannissement -. Ses soldats étaient mal équipés, il avait une
artillerie insuffisante; mais il espérait que le conseil de régence au-
trichien, faible et peu sympathique à la nation, ne ferait pas grande
résistance, et que la population viendrait au-devant de lui avec em-
pressement, dès qu'il aurait mis le pied sur le sol du Wu^temberg^
« Il s'empare de tous les vivres «, écrit à son sujet le 28 février le
conseil de Villingen à celui de Fribourg; « il ne donne rien à per-
sonne. Au village de Denkingen, il est entré à l'improviste dans
l'église; lui et ses soldats ont pillé tout ce qui s'y trouvait. Nous
savons de source certaine qu'il n'a pas plus de cent chevaux et de
dix mille Suisses. Ses gens sont indisciplinés, dissolus, mal équipés ;
peu ont des fusils, et beaucoup n'ont point d'armes du tout. " Le
2 mars, le conseil de Villingen écrit encore que quelques bandes
de Suisses et de paysans commencent à abandonner le duc : " Ses
hommes s'égrènent par cinq, six, dix, quinze, vingt. Hans Müller,
le chef des paysans de Stühlingen, a déjà opéré sa retraite, entrai-
' Balmaxn, Oberschtcàbische Bauern, p. 25-38. — Cornelius, Zur Geschichte de
Bauernkriegs, p. 41-44.
- Voy. ces relations dans Vogt, Bayerns Slimmung und Stellung^ p. 41-48.
^ Un document impariial, une lettre du chevalier Sébastien Schilling au duc
Guilldumede Bavière.prouveclairemenlqu'llrich pouvait compter sur l'appui des
paysans. ^ Les gens des campagnes - , écrit Schilling le 25 février 1525, « ne s'op-
poseront point au duc ülii( h, car ils aiment mieux avoir un maître que vingt-
quatre; OH leur a jiTomis beaucoup de fareurs et de privilèges, mais on a peu tenu. En
résumé, les paysans sont très-peu dispi^sés à accorder aux conseillers de la
Régence autrichienne leur confiance et leur foi. -—Voy. Jörg, p. 4l3. — Vogt,
p. 40-41.
IXSUCCKS D'ULRICH. 1525. 503
nant à sa suite cent cinqii.inte hommes de pied. Ils donnent pour
raison de leur défection que le duc ['Iricli, après leur avoir beau-
coup promis, ne leur donne point d'argent et n'en a pas davantage'. "
Cependant Ulrich avait réussi à surprendre quelques villes et
s'avançait vers Stuttgard; mais bientôt une nouvelle falale à ses
intérêts vint arrêter tous ses projets. Son protecteur et bienfaiteur,
François I", venait d'être vaincu et fait prisonnier par les Impériaux
à la balaiile de Pavie(2i février i:)2.>)-. Le 10 février, François écri-
vait encore à Ulrich qu'il espérait avoir bientôt u de bonnes nouvelles
à lui mander », et voilà qu'il se voyait lui-même réduit à la plus triste
extrémité. La diète suisse, dès qu'elle eut appris l'événement, se
hâta de rappeler ses hommes d'armes, leur enjoignant d'obéir sans
délai, sous peine de ban ou de rigoureux châtiments; mais avant
même d'être informés de cet ordre, plusieurs milliers de Suisses
s'étaient débandés, mécontents de n'avoir pas reçu leur paye jusque-
là, et se conduisant, selon l'expression d'Ulrich, « comme de misé-
rables parjures et des déserteurs infâmes -. Cet exemple influença
le reste de l'armée; tous les jours, les rangs s'éclaircissaient, si bien
que le duc se vit enfin contraini de chercher son salut dans la fuite \
Le 17 mars, il était de retour à Ilohentwiel. « Qae toute l'affaire
aille aux cinq cents diables! => disait-il. La ligue souabe, commandée
par le sénéchal Georges de Waldbourg, avait eu vraiment peu de
peine à mettre à la raison ce fou dangereux, et sa retraite lui fut
très-avantageuse, car elle eut ainsi la main libre, et put concentrer
toutes ses forces contre les paysans de la haute Souabe. « Mais la
révolte d'Ulrich avait coûté la vie à des centaines de pauvres gens,
et ses secrètes intelligences avec la plus vile populace laissaient
encore redouter bien des maux\ »
" .le ne cacherai pas à Votre Grâce », écrivait d'Ulm à l'évêque de
Wurzbourg le docteur Nicolas Geys, conseiller du prélat, « que,
bien que le duc de Wurtemberg, ses lansquenets et ses Suisses se
soient retirés, les uns en Suisse, les autres à Hohentwiel, les paysans
' Voy. Schreiber, t. II, p. 15-16.
- Le 10 mars 1525, l'archiduc Ferdinand écrivait au sénéchal Georfjes - qu'il se
confiait en Dieu, et que, puisqu'il avait vain u les principaux appuis du due, les
Français et les Suisses, et que lt;s intri,;ues du roi de France, si nuisibles à lui et
à la maison d'Autriche, venaient d'être déjouées, la victoire sur de moindres en-
nemis serait sans doute la conséquence d'un si heureux début. « — Baumann,
Acteti, p. 149-150.
^ Ulrich, ' au désespoir et versant des larmes, promit aux soldats qu'ils pour-
raient retenir en caution les terres qu'ils allaient conquérir. Tout fut inu-
tile. " — Ketzler, Sabbata, t. I, p. 365.
* Voy. Stalin, t. IV, p. 263-268. Rapport d'un agent de l'archevêque Richard
de Trêves; voy. plus haut, p. 495.
504 REVOLTE EN SOUABE. 1525.
de Souabe ne se calment point; ils sont toujours en nombre, ils
vont même se fortifiant tous les jours. Depuis Augsbourg, entre les
montagnes et le Danube, jusqu'à Ulm, et de là entre lesdites mon-
tagnes et la principauté du Wurtemberg jusqu'au lac de Constance,
les paysans et vassaux sont tous exaspérés contre leurs seigneurs.
On prétend que le Wurtemberg va se soulever à son tour. Les
bourgeois d'Augsbourg sortent de la ville, tambours et clairons en
tête, pour se joindre aux paysans. Il y a là un conseiller qui, sou-
tenu par certains riches bourgeois, ne se donne pas peu de mal.
Nous avons reçu la nouvelle que les paysans du Ries se soulèvent.
Ils se sont réunis sur une montagne, et l'on dit que ceux de Bade
doivent avant peu les rejoindre. D'ici jusqu'à Ulm, on entend mau-
dire les moines et les prêtres comme autrefois on maudissait les
Juifs. Ce qu'il en adviendra, je ne saurais le dire à Votre Grâce. Les
événements sont pénibles et rapides, et la ligue semble encore im-
puissante '. "
Depuis l'organisation del' « Union chrétienne», les révoltés souabes
étaient devenus de plus en plus mutins et hâbleurs. Les " douze ar-
ticles >: propagés par les paysans de la haute Souabe avaient été
reçus avec empressement par ceux du sud de l'Allemagne. Imprimés,
distribués dans tous les territoires comme le véritable Évangile po-
pulaire -, ils avaient pénétré jusqu'en Livonie et en Esthouie. La
gravure du frontispice représentait une bande d'insurgés armés de
piques, commandés par un chevalier coiffé d'un haut chapeau à
panache, portant une bannière où était peint un agneau pascal, et
monté sur un cheval de bataille.
Le parti modéré des paysans ne tarda pas à être débordé par le
parti radical, et bientôt de nombreuses voix s'écrièrent : « Il nous
faut un empereur! >; Sur les rives du Danube, dans le Burgau, Lei-
pheim était le centre du mouvement. En 1524, on ne sait quels
rustres ignorants, prêtres ou simples chrétiens, s'étaient mis à
exercer dans la cité les fonctions de pasteurs. Le curé de Leipheim,
Hans Wehe, avait pris l'initiative de la destruction des images. « Il
souhailait fort voir la messe abolie; s'il n'eiU craint de pécher contre
la charité fraternelle, il eut voulu massacrer autant d'hommes qu'il
avait dit de messes en sa vie. " On assurait qu'il encourageait
les paysans à bannir toute crainte; combattant pour le saint Évan-
gile, ils pouvaient être certains que rien ne pourrait leur nuire,
et qu'ils resteraient invulnérables au milieu des balles et des piques*.
' Voy. Laurent Fries, p. 7-8.
- Voy, ces passages dans Badmann, Quellen, p. 59-60, 252. A Leipheina, les femmes
surtout étaient ardentes; c'étaient elles qui entraînaient leurs maris à taré-
FORFAITS DES REBELLES. (525. 505
Le 19 mars, sept mille révoltés or^,anis,'iient clans la vallée de Mindel
et de Kamlacli les trop célèbres « bandes rouges r,. Le 26, les habi-
tants de TAlgau et de Bail ringen commençaient à piller et à dé-
truire églises, couvents et châteaux.
Quelques emprunts laits aux récifs du temps pourront nous
donner une idée de la fÎTOcilé brutale de ces hordes dévastatrices.
Nous lisons sur le pillage du couvent et de l'église collégiale de
Kempten : '^ Les tenanciers de l'abbaye et les paysans de l'Algau se
rendirent en tumulte au monastère, et s'emparèrent de tout ce qui
s'y trouvait. Ils se gorgèrent de viande et se soûlèrent au delà de
toute mesure, sans remords, sans nulle crainte de Dieu. Ensuite
ils commencèrent le pillage de la sainte maison; ils saccagèrent
tout, et ne laissèrent pas un seul clou dans les murailles. Tout ce
qui décorait l'égUsc l'ut brisé, les autels, los tableaux mis en pièces.
Ils firent main basse sur les tentures de carême, les ornements des
prêtres, les missels, les livres d'heures. Ils brisèrent ou emportè-
rent les calices, et tout ce qui sert au culte. Ils assommèrent les bes-
tiaux, les moutons, pour suffire à leurs ripailles. Ils firent vendre
le blé à la ville, brisèrent ou emportèrent tous les meubles sans
exception, brisèrent les verrières de l'église, se conduisant outre cela
comme des brutes et comme des impies. Le vendredi saint (14 avril),
en ce jour sacré entre tous, il semblait que le diable se fût com-
plètement emparé d'eux; ils démolirent la chapelle du Saint-Rosaire
avec sa voiîte, jetèrent bas les tableaux, et abattirent la tête de la
statue de Notre-Dame. Beaucoup de gens désœuvrés de Kempten
étaient accourus au couvent, bien qu'on le leur eût défendu, et y
faisaient peut-être plus de mal encore que les paysans'. <= Ces fu-
rieux brisèrent la tête de toutes les statues de notre Rédempteur
et de sa Mère bénie; l'Enfant Jésus, que la Madone tenait entre ses
bras, fut brisé en deux morceaux; les statues des chers saints furent
mises en pièces, lancées violemment sur le sol, profanées et jetées
au loin. Ils ont été assez impies pour répandre par terre l'eau baptis-
male; ils ont brisé la cuve des fonts et en ont emporté les débris.
Le tabernacle, dont l'ornementation avait coûté si cher, a été dé-
monté, brisé. Le Saint Sacrement a été retiré du saint ciboire, et
ces sacrilèges l'eussent jeté à terre, si un prêtre ne se fût trouvé là
pour s'y opposer ^ »
volte. — Voy. Seidemann, TAornas Münzer, p. 101, note 2. [Le conseil de 31em-
mingen ordonna de jeter en prison toutes les paysannes convaincues d'avoir
parlé de poison ou d'incendie. Voy. B.iuJi\>'N, .^cten, p. îs.
1 Chronik dis Sti/tes Kempten, dans Bauman.X, Quellen, p. 382-383.
- Rapport du prince-abbé de Kempten, dans Baumann, Acten, p. 331-332.
506 UNIOIV DES VILLES AVEC LES PAYSANS. f525.
A Saiut-Blaise, où les insurgés de la forêt Noire commirent des
actes analogues, et plus abominables encore, le Saint Sacrement fut
également l'objet d'odieuses profanations. « L'autel du Saint Sacre-
ment », rapporte la chronique de l'abbaye, » contenait beaucoup
de reliques renfermées dans des châsses richement ciselées, ornées de
sculptures, d'ivoire et de pierres précieuses. Tout fut brisé : ils arra-
chèrent les pierres précieuses et foulèrent les reliques aux pieds; ils
allèrent jusqu'à fouiller dans les fondements de l'église et à profaner
les tombes pour y trouver quelque chose à voler. L'autel du Saint
Sacrement, richement sculpté, orné de nobles et précieux ouvrages
d'art, fut mis en pièces; le tabernacle fut forcé et brisé. L'un de ces
misérables saisit les saintes espèces en disant " qu'il voulait une
fois dans sa vie manger Dieu de tout son appélit ». Tous étaient
ivres à ne pas se tenir debout, et d'une façon si ignoble, qu'ils finis-
saient par s'étendre çà et là dans des coins, comme des brutes'. ■
« Les paysans du Ries >■, écrit un témoin oculaire, « ont pillé
les cellules du couvent d'Anhausen. Ils ont indignement torturé le
bétail, pour ne rien dire de plus fort : un porc a été coupé en
deux; une vache a eu le dos charcuté. Ils ont répandu sur le sol les
saintes espèces, emporté les ostensoirs, arraché de l'autel la statue
de Notre-Dame, dont ils avaient brisé les bras, les pieds, tous les
membres; ils ont aussi jeté bas les têtes des statues des saints. Ils
disaient : « Nous n'avons plus besoin d'église ! » Près de deux cents
fourgons ont emporté tout le butin hors du couvent^ »
« Les paysans ", dit un autre récit, « étaient en pleine liesse,
heureux de faire les maitres, et se complaisant dans leurs excès. Ils
se croyaient devenus nobles, et ne voulaient plus porter de blouse
ni de culotte de coutil. Ils s'habillaient de blanc, se faisaient tailler
des culottes, des habits à la mode, garnis de bleu, et portaient de
grands chapeaux ornés de plumes. Ils pensaient ainsi s'anoblir et
se rendre plus imposants. » Ils étaient fort consolés par l'attitude
des bourgeois de Nördlingen qui promettaient de leur prêter assis-
tance; car beaucoup d'ouvriers de Nördlingen étaient de leur parti,
et leur avaient fait dire qu'ils laisseraient pour eux la porte ouverte
et leur fourniraient des armes ^ »
' Mo\E, Quellensammlung, t. II, p. 62 Cl 48.
2 Voy. ce récit dans ,Iöi\g, p. 254. Sur les atrocités commises dans l'évêché
d'Augsbourg, voy. Steichkle, dans les Beilrâ^en zur Geschichte des Bistliums Augshurq,
t. I, p. 57-63. — c ivuric vero monachi sumus », écrivait l'aiibé Jérôme d'Elchia-
gen à l'évêque Christophe d'Augsboiirg le 22 avril (samedi de Pâques) 1525, dans
la relation qu'il lui adresse du pillage de l'abbaye. • quia in paupertate vivimus.
Dormito ego et aliqui alii in straminibus et raerito, quia paupertate oppressi. •
P. 60-61.
3 Donmmorlher Chronik, dans Bauman.N, Quellen, p. 2.55-257 « Pendant la dévas-
UNION DES Vir.r.ES AVEC LES PAYSANS. 1025. 507
De Memminp,en, de Kepfen, de Kaiifbeuern, d'Fsny, de Leutkîrch,
de Biberach, d'Ulm, la populace des villes, qui avait arraché le
pouvoir des mains des « honorables », envoyait journellemenl
aux paysans des munitions et des vivres. Knopf de Luibas déclara
dans son interrogatoire < que les communes de Memmingen et de
Kempten avaient encouragé les révoltés dans leurs mauvais des-
seins, et leur avaient, pour ainsi dire, conseillé linsurrection ».
Kempten avait autorisé le pillage de l'abbaye. Tout le butin avait
été dirigé sur la ville; tout avait été mis à prix, puis acheté par les
bourgeois et toutes sortes de personnes'. A Memmingen, la po-
pulation insurgée criait : « Détruisons les maisons des riches et des
prêtres*! »
Des lansquenets débandés venaient en masse rejoindre les re-
belles ^ D'autres, entrés au service de la ligue souabe, refusaient
nettement de marcher contre les paysans. '• Xous avons ici environ
quarante mille hommes ■, écrivait Léonard d'Eck le 12 mars aux
ducs de Bavière, « mais ils ne veulent pas bouger. - Un jour, ainsi
qu'un témoin oculaire en fait foi, près de quinze cents hommes
de l'armée alliée désertèrent pour n'avoir pas à combattre leurs
frères '.
Les pourparlers engagés pendant un certain temps entre les révol-
tés et la ligue souabe ne furent sincères ni d'un côté ni de l'autre.
La ligue, en les prolongeant, n'avait d'autre but que d'arrêter les
progrès des paysans jusqu'au moment où son général en chef, le
sénéchal Georges de NValbourg, aurait rassemblé et organisé une
armée capable de les mettre en déroute'; les paysans, de leur
côté, prenaient secrètement, à Memmingen, l'engagement de ne
point faire de quartier aux chefs de la ligue, de détruire les cou-
vents, les abbayes, de chasser la petite noblesse, et de vivre ensuite
tation du inouaslère d'Aiihausen , raconte Knebel, - ces coquins passaient une
aube sur leurs habits, puis un ornement de prêtre, et commençaient à se moquer
de la sainte messe et de ht dignité sacerdotale; mais un reître qui était au mar-
grave Casimir ayant mi,N, lui aussi, par raillerie sacrilège, des habits de prêtre,
une pique le transperça tout à coup, et la pique et lui sont restés l'un dans l'autre
jusqu'au troisième jour, de sorte que le châtiment de Dieu a été visible. -
' Dans JÖRG. p. 1.37. Sur la complicité de.N populations des villes, voy. aussi les
passages cités par B\lmann, Quellen, p. 64, 305, 308, 362, 379-380.
* Rohling, p. 150.
^ Voy. .löRG, p. 241. — " Parmi eux, il y avait des capitaines et de bons sol-
dats; beaucoup venaient d'Italie et y avaient longtemps fait la guerre. » — Biu-
M\N.\, Quellen, p. 456, 565, 671. Les paysans d'Alsace ■= avaient près de 1,500 lans-
quenets et Suisses bannis dans leur armée -. — B.mm.wn, /icien, p. 306.
*.IÖRG, p. 241. — BviMANN, Quellen, p. 727-728, 618. — Voy. aussi la lettre citée
plus haut de l'archiduc Ferdinand, p. 484, note 2.
" Voy la lettre d'Eck, chancelier de Bavière, dans .Iörg, p. 407, et la lettre de
l'abbé Ger\vick de Weingarten, dans St.\li\, t. IV, p. 270.
508 TRAITE DE WEINGARTEN. IÖ25.
à leur guise, dans les propriétés de ceux qu'ils auraient dépouillés'.
A partir des derniers jours de mars, l'émeute se propagea avec
une effrayante rapidité dans la plus grande partie de la haute Alle-
magne. La révolte éclatait partout à la fois, comme si elle eût été
préparée de longue main. On prétend que dans la seule Souabe,
l'armée des rebelles comptait plus de trois cent mille soldats.
Le 4 avril, le sénéchal Georges battit environ quatre mille paysans
près de Leipheim ^ 11 s'empara de la ville, la rançonna, et fît déca-
piter le prédicant Wehe et huit chefs de paysans; il se dirigea
ensuite vers la Souabe, mit en fuite, prés de Wurzach, le gros de la
horde de Baltringen, et le jour suivant offrit la bataille à une armée
de quatorze à seize mille hommes, tous paysans de TAlgau et des
bords du lac de Constance. Déjà l'action était engagée, lorsque les
révoltés demandèrent à parlementer. Ils conclurent avec la ligue un
traité que signèrent leurs chefs, portant que les bandes réunies de
l'Algau et de Constance renonceraient à leur « fraternité », qu'elles
livreraient les articles de leur union, et s'engageraient à ne jamais
recommencer la guerre; qu'elles retourneraient dans leur pays,
restitueraient ce qui avait été pris et dérobé, et payeraient aux sei-
gneurs les dîmes, les impôts, les redevancesjusqu'à ce qu'une cour sou-
veraine, ou simplement le droit commun, eût fait droit à leurs récla-
mations, lis promettaient d'écarter à l'avenir tout mauvais vouloir.
Quant au choix des tribunaux qui devaient garantir l'exécution du
traité, il fut convenu que seigneurs et paysans désigneraient deux ou
trois cités'. Nulle part il n'était question du châtiment des rebelles.
Le sénéchal ne consentit à conclure un traité si visiblement à leur
avantage que parce que son armée, la seule dont la ligue souabe
pût disposer en ce moment, avait une infanterie trop faible pour
pouvoir résister aux paysans, dont les forces étaient de beaucoup
supérieures. En outre, il était convaincu que, dans le cas d'un
échec, la plupart des villes ouvriraient leurs portes aux insurgés ^
car les princes et seigneurs tenaient pour certain que les cités étaient
les vrais foyers de l'insurrection*. Néanmoins quelques princes
' Voy. ,1ÖRG, p. 137. — Bauma\n, Oberschrcahische Dauern, p. 53-79, 102. — Aveux
de Knopf, dans Baumann, Acte/i, p. 379, question 8.
- Voy. dans Bacmaw, Acten, p. 181-184, les détails donnés sur les forces et les
chefs de bandes de i.eipheim
^ Dans Walchner et Bodent, p. 260-268.
* Voy la lettre du tabellion de Ravensbourg (3 mai 1525) dans Bau«an\, Acten,
p. 265. " A mon avis » , dit-il, « une des raisons de la conclusion de ce traité, c'est
que les populations des villes étaient extrêmement bien disposées pour les pay-
sans, et jusque-là avaient été à grand'peine empêchées de renverser les auto-
rités et de rejoindre les hordes. » — Voy. Jörg, p. 134, 457.
* Voy. la lettre du margrave Casimir du 9 avril 1525, dans Jörg, p. 135, note 7.
Kirvor/rE ixr tyiuh-. 1525. 5o«.>
de la ligue murmurèrent contre le sénéchal, le blûmant de ce qu'il
se finit trop aux paysans, et disant qu'il eiU dû commencer par
exij^er d'eux non-seulement la remise de leurs bannières, mais celle
de leurs armes. « Dès que le sénéchal aura le dos tourné », disaient-
ils, il est clair que les paysans oublieront leurs promesses et se
révolteront de nouveau. » « La {juerre est loin d'être terminée «,
écrivait le chancelier Eck le 26 avril; « j'ai peur qu'elle ne fasse au
contraire que commencer. » En elTet, dès les premiers jours de mai,
aussitôt après la retraite de Georj^es, les paysans de l'Aljjau tinrent
conseil à Eglofs, déchirèrent le traité qu'ils venaient de signer, et
firent partager leur résolution aux bandes de Constance. Les insur-
gés ne se souvenaient plus de leur promesse, donnée cependant
sous le seing et le sceau de leurs chefs. Dans une nouvelle réunion
tenue à Kempten, ils déclarèrent qu'ils ne se regardaient liés par
aucun contrat et ne reconnaissaient aucune autorité. L'Algau s'en-
gagea à lournir > un homme sur deux ». Peu à peu, les insurgés
formèrent une armée si redoutable, qu'on put craindre un moment
de les voir réussir dans le dessein qu'ils annonçaient d'aller porter
la révolte et la guerre jusqu'au cœur de la Bavière '.
En vain le sénéchal pressait-il le lieutenant impérial, l'archiduc
Ferdinand, d'accourir en Souabe, de tout tenter pour apaiser
l'émeule : Ferdinand était « hors d'état de venir à son secours »,
car dans ses propres États, en Tyrol, en Slyrie, eu Carinthie, le
peuple s'était soulevé. En Tyrol, il avait été « assailli par ses
propres sujets >. <■■ Les tristes nouvelles se succèdent si rapide-
ment », écrivait-il au sénéchal, « les paysans sont de tous cotés si
menaçants que nous n'avons pas un seul jour de sécurité; nous
nous attendons tous les jours à être surpris à Insprlick. »
L'insurrection avait absolument le même caractère dans les pays
héréditaires d'Autriche que dans le reste de l'Allemagne. Ceux qui
n'avaient rien à perdre et ne pouvaient que gagner à la bagarre, met-
taient l'émeute en branle, et réclamaient l'égalité en toutes choses,
parce que tous les hommes étaient frères en Jésus-Christ, comme
l'Évangile le démontrait. L'unique et quotidienne occupation des
prêtres et des nobles avait été le vol et le brigandage ^ Voici com-
ment Georges Kirchmair raconte en ses Mémoires le début de la
• Pour plus de détails, voy. Jorg, p. 460-475. — Voy. Moxe, Quellensammlung,
t. II, p. 132, note.
- * Tiré d'une lettre d'un conseiller de la cour dinspruck du 14 juin 1524.
dans les Trierischen Sachen und Brief schaßcii, fol. 92. — Voy. l'aiertissenieiit de Fer-
dinand à la population d'Etschthal, daté du 22 mai 1525. — Bucholtz, t. VIII.
p. 334.
510 BÉVOLTE DU TYROL. 1525-
révolte : ' Une insurrectioa horrible, féroce, effroyable, s'est pro-
duite dans nos pays parmi les paysans; j'en ai été témoin, j'en ai vu
les effets prodigieux. Voici comment la chose commença : une
troupe de braillards dépravés résolurent de soustraire à une sentence
bien méritée un « réfractaire " condamné'. Après qu'un certain mer-
credi ils eurent accompli cet acte séditieux, les paysans commen-
cèrent à affluer de tous les points de la contrée; il en venait des
montagnes, il en venait des vallées. Vieillards, jeunes gens, tous
accouraient, beaucoup ne sachant pas même de quoi il était question.
Donc, lorsque dans la plaine de Mühland, sur les bords de l'Eisack,
la grande horde fut rassemblée, ils convinrent tous ensemble de se
délivrer du joug qui les oppressait. Un gentilhomme nommé Sigis-
mond Brandisir, intendant de Rodenegg, entreprit de les dissuader
de leur mauvais dessein, et leur représenta tout le danger, l'humi-
liation, la ruine, les travaux, les châtiments que leur attirerait leur
rébellion. Bien qu'il en eût obtenu la promesse de ne pas commen-
cer les hostilités et d'apporter leurs griefs devant leurs princes légi-
times, qui en ce moment étaient à luspriick, ils ne tinrent pas pa-
role et, se mettant en marche, commencèrent par s'emparer de
Brixen la nuit de la Pentecôte. Là, ils pillèrent et dépouillèrent,
malgré Dieu et le bon droit, prêtres, chapelains, chanoines. Ensuite
ils se rendirent au château de l'évêque, chassèrent le conseil et les
serviteurs du prélat au milieu d'un grand tumulte, et se livrèrent à
des actes si atroces que cela ne se peut décrire. Les habitants de
Brixen oublièrent aussi prompferaent leur devoir envers l'évêque
Sébastien que les paysans de Neustift leurs obligations envers leur
seigneur, le prévôt Augustin. En résumé, aucun d'eux n'avait plus
aucune souvenance du devoir, de la loyauté, de la foi jurée. Les
paysans et les habitants de Brixen ne faisaient plus qu'un; les uns
et les autres avaient leurs chefs. Tous, au nombre d'environ cinq
mille hommes, marchèrent sur l'abbaye de Aeustift et, sans avoir
donné aucun avertissement ni prétexte, assaillirent le monastère le
vendredi 12 mai 1525. On pourrait emplir un gros livre du récit des
attentats effroyables auxquels ils se livrèrent. Le prévôt Augustin,
prêtre vénérable, fut chassé, poursuivi, et les prêtres tellement
abreuvés d'outrages, d'ignominies et de mauvais traitements, que cha-
cun d'eux en avait honte pour son caractère et son habit de prêtre.
Les paysans firent pour plus de vingt-cinq mille florins de dégâts,
détruisirent les bâtiments, s'emparèrent de l'argent, de l'orfèvrerie,
des meubles, papiers, livres. Nul ne saurait dire les débauches, blas-
' On appelait réfractaires ceux qui notifiaient à leur seigneur ou au tribunal
leur refus d'obéissance, tt prenaient en main leur propre cause.
KKVOLTK MAI, S A CK. 1.020. 511
phèmes, prolanation.s donl ce couvent fui le lliéàlre. Il eiii fini
par (ilre la proie de l'incendie si Dieti ne VcM prolé^jé. • I.e samedi
t'A mai, les révollés élurent pour chef .Michel (ieismayr ', fils d'un
écuyer de Sterzing, homme pervers, séditieux, dépravé, mais habile
et ruse. .Mors commença dans tout le pays la persécution du clergé.
Il n'était si pauvre prêtre dans la contrée qui ne dût perdre loul
son avoir. Les révoltés assaillirent ensuite les demeures de beau-
coup de nobles qu'ils pillèrent; personne n'était à l'abri de leurs
attaques. L'archiduc Ferdinand lui-même et sa noble épouse n'étaient
en sécurité nulle part, car dans tout le pays, au fond de la vallée,
au bord de l'Adige, il y avait dans les villes et chez les paysans une
telle excitation, qu'aucun honnête homme n'osait plus se montrer
dans les rues. Le vol, le pillage étaient devenus crimes si ordinaires
que des gens connus pour honnêtes se laissaient tenter comme les
autres; plus tard ils s'en sont bien repentis! Et à vrai dire, aucun
d'eux n'en est devenu plus riche ^! >
' Il nous vient du Tyrol et de la Styrie des gens qui se proposent
d'attiser chez nous la révolte «, écrivait un chargé d'affaires de l'ar-
chevêque de Trêves. » Tous ont fait partie des bandes de l'.Xlgau et
de l'Alsace, et veulent, comme j'en ai de stires nouvelles, faire alliance
avec les nôtres. Ils s'en prennent à toutes les autorités, à tous ceux
qui possèdent; il n'est bruit ici que de vols et d'incendies. Que
Votre Grâce ne se laisse pas égarer par les articles que les révoltés lui
présenteront, car en vérité il s'agit de bien autre chose! Les Alsa-
ciens mettent tout en rumeur, de quelque côté qu'on se tourne'.
En Alsace, l'émeute, - comme un incendie de forêt -, se propa-
geait de ville en ville, de village en village. - On ne voit chez
nous qu'insurrection ' , écrit le 30 avril Wollgang Capito, prédicant
de Strasbourg; « partout les bandes font alliance les unes avec les
autres. Plusieurs villes et beaucoup de châteaux sont aux mains des
insurgés. Les papistes sont dans une inexprimable angoisse; les
riches tremblent pour leurs trésors, et nous-mêmes, dans notre
ville fortifiée, nous ne sommes pas exempts d'inquiétude; mais, forts
dans le Seigneur, nous n'en poursuivons pas moins notre mission,
qui est de prêcher librement la parole, et il n'y a plus ici que peu
de vestiges du culte de l'Antéchrist*. » L'épouvante générale servit
' Geismayr avait été jadis au service de l'évêque Sébastien de Brixen coriiine
employé de la douane. C'était un deinafjogue hardi et résolu qui voulait renver-
ser tout l'ordre ecdésiastique en même temps que l'état politique et social. —
Voy. plus haut son plan de constitution, p. 474.
2 Fontes rer. Ausir. script., t. I, p. 470-472, 475. — Voy. WOLF, t. I, p. 39-50.
^ * Dans la lettre citée plus haut, p. 495, note 2.
* Dans Baum, p. 313-314. Pour plus de détails sur l'insurrection d'Alsace,
512 RÉVOLTE D'ALSACE. 1525.
de prétexte aux nouveaux croyants de Strasbourg pour provoquer
un brisement d'images ". Les paysans insurgés se donnaient pour si
experts dans la science du « véritable Évangile », qu'au rapport de
Capito, ils sommèrent les abbés et les prêtres de se rendre dans leur
camp, pour avoir avec eux une dispute publique sur des questions
théologiques, menaçant d'envahir tous les couvents qui refuseraient
d'envoyer leurs représentants. Strasbourg, en 1524, avait eu la fai-
blesse d'accorder droit de cité à plusieurs bourgeois et paysans
chassés des principautés voisines pour y avoir excité des troubles.
Aussi la ville se voyait-elle actuellement gravement menacée. Le
bruit courait que le conseil avait fait emprisonner seize bourgeois
' soupçonnés d'avoir voulu faire pénétrer les hordes insurgées dans
la cité, pour piller ensuite avec eux clercs et laïques^ ». Saverne, ré-
sidence de l'évéque de Strasbourg, ville munie de bons ouvrages de
fortification, ouvrit ses portes aux révoltés et prêta serment « à
l'Union chrétienne ». Ce n'étaient partout qu'incendies, vols, pro-
fanations d'églises, criminelle destruction des plus nobles ouvrages
d'art. Dans l'abbaye princière de Maurusmiinster, près de Sa-
verne, les émeutiers, après avoir tout saccagé, mirent le feu à la
bibliothèque. Pour pénétrer dans la maison des chevaliers de Saint-
Jean, il fallait marcher ' jusqu'aux genoux dans les débris de livres
et de papiers ». Dans le camp des paysans, tout reluisait de ca-
lices, patènes, orfèvreries d'église d'or et d'argent, ornements
d'autel de tous genres \ A Wissembourg, l'un des bourgmestres
et plusieurs conseillers étaient du parti des révoltés *, dont le
plus grand nombre appartenait aux corporations de vignerons.
L'abbaye fut pillée, l'église de Saint-Étienne assaillie; des voitures
remplies de livres, de registres de dîmes, amenées sur la place
du marché, et leur contenu livré aux flammes. Dans un récit de ces
dévastations, écrit par le chapitre de l'abbaye, on se plaint plus
amèrement encore des bourgmestres et des conseillers que des
paysans. « Les paysans », y est-il dit, « n'ont demandé le sang
d'aucun prêtre, au lieu que ceux de Wissembourg se sont montrés
d'un tout autre avis, comme ils le savent mieux que personne ^ ■'
voy. ViRCK, t. I, p. 107-194. — Hartfelder, Slmssburg wahrend des Bauernkriegs,
p. 225.
• L'archiduc Ferdinand écrivait le 20 mai 1525 au pape Clément VII : « ...quae
apud Argentinam acta sint, pudet referre; nusquam locorum magis est spreta
religio quam illic. • Communiqué par Chmel, dans les Sitzungsberichten der lUiene:
.académie der Wissenschaften, t. II, p. 28-34. — BaLAN, p. 457.
-Lettre du 27 avril 1525, dans Schreiber, Bauernkrieg, t. II, p. 63. — BaumaN.\,
Quellen, p. 786. — Uxrtfelver, Strassbtirg tcuhreiid des Bauernkriegs, p. 245.
^ Voy. Zimmermann, t. II, p, 575-576.
■* Voy. BOELL, p. 27, 46.
' BOELL, p. 15-16, 23, 60, 67, 71.
UKVOLTE D'ALSACE. 1525. 513
A Schclestadt, le conseil eut toutes les peines du monde à empêcher
la populace (le piller les couvents '. Au dire d'un chef de paysans,
le coinfe Louis de llanau-Lichlenberj;, dans l'espoir de tirer bon
paru de l'émeute, fournissait les insurjjés de poudre, de plomb et
de vivres ^ < Au nom du -Sauveur Jésus-Christ », les chefs insurgés
d'Alsace exigeaient que chaque ville, hameau ou village envoyât
un homme sur quatre rejoindre la horde. Dès que le tocsin sonnait
dans quelque bourgade, les cloches des paroisses environnantes de-
vaient s'ébranler \ Dans leurs articles publiquement répandus, les
révoltés alsaciens allaient bien au delà des réclamations « des douze
principaux articles des paysans de Souabe ». Ils refusaient de payer
petites et grandes dimes, redevances ou tailles quelconques, récla-
maient l'enlière liberté des rivières et des forêts, et déclaraient ne
reconnaître d'autre prince et seigneur que celui qui leur convien-
drait. ;< Grâce à l'Evangile », disaient ceux d'Obernai, - tout sera
changé; celui qui est maintenant bourgmestre ne sera plus rien;
celui qui est maître de corporation sera à peine un balayeur. Un
Jettera par la fenêtre les seigneurs de la Régence, et nous serons
les mai très ^. »
' Les paysans d'Alsace sont ivres de pillage et d'incendie », rap-
porte un chargé d'affaires de l'archevêque de Trêves; " mais parmi
la population des villes qui demande à partager avec les riches, il y
a encore bien plus d'excitation que parmi les gens des campagnes.
Là, les mécontents s'écrient d'une seule voix : Non-seulement nous
voulons nous emparer des couvents et des châteaux, mais dans les
villes aussi nous voulons châtier, piller, être les maîtres! Ils sont
d'intelligence avec plusieurs bandes venues de Lorraine, et avec les
grandes hordes de la forêt Noire. Ces dernières se sont rendues
maîtresses de presque tout le Brisgau, et parlent de contraindre
Fribourg à leur ouvrir ses portes ^ >
Depuis le printemps de 1525, Fribourg était dans le plus extrême
péril, " et ne savait comment échapper aux paysans ». Dans la ville
même, par les secrètes intrigues d'un boucher séditieux, la popu-
lace avait noué des 'elations avec les hordes insurgées °. " Tout
chez nous est dans l'emoi et le trouble », écrivait Ulrich Zasius à son
ami Amerbach; < à toute heure du jour, nous nous attendons à une
catastrophe. Luther, l'ennemi détestable de toute paix, le plus dan-
gereux de tous les hommes, a plongé l'Allemagne dans un tel délire
' Voy. Schreiber, Bauernkrieg, t. II, p. 61-63.
- Hartfelder, Scrassburg während des Bauernkriegs, p. 277.
^ Circulaire du 29 avril 1525, daus Schreiber, t. II, p. 70.
•• Gyss, Hisl. de la ville (i'Oienia/ : Strasbourg, 1886\ t. I, p. 353.
5 Voy. plus haut, p. 495, note 2.
« Voy. Martin SuUer's Urfehde, 8 mars 1525, dans SCHREIBER, t. II, p. 23.
II. 33
514 LUTHER SUR LES ARTICLES DES PAYSANS. 1525.
qu'on doit appeler repos et sécurité Tespérauce de n'être pas as-
sommé. Je pourrais en écrire beaucoup sur ce sujet, mais la douleur
m'ote la plume de la main'. « Le 21 mai, douze mille paysans mar-
chèrent sur la ville, interceptèrent les eaux des puits et des moulins,
surprirent la garnison du château fort, et, maîtres de cette position,
entourèrent la cité de coulevrines. Beaucoup de maisons s'écrou-
lèrent, le faite de la tour de la cathédrale s'abattit. Le 24 mai, Fri-
bourg capitulait, et concluait un traité avec les révoltés par lequel
elle s'engageait a à adopter le saint Evangile de la divine vérité, à
prêier main-forte à la justice de Dieu, et à faire justice aux réclama-
tions des pauvres =. Par rapport aux couvents et aux abbayes, le con-
seil dut promettre < qu'avec les paysans, leurs amis et bons frères ", il
s'emploierait « à les humiUer, à les abolir, et partagerait ensuite le
butin avec les émeutiers, comme tant de villes et de pays l'avaient
déjà fait . En punition de l'assistance prêtée aux prêtres et aux
nobles, la ville fut condamnée à payer trois mille florins d'amende ^
« Ce traité », écrit Zasius, " renferme une clause à la fois révol-
tante et grotesque, chose assez naturelle, étant donné les auteurs de
l'écrit; il porte que l'Évangile sera « protégé - ! Il semble, en vérité,
que les chrétiens ne l'aient pas maintenu et professé pendant tous
les siècles précédents^! >'
II
Luther, que Zasius regardait comme le véritable père de la révo-
lution, avait, à la fin d'avril 1525, publié une sorte de manifeste
où il repoussait toute responsabilité dans les malheurs pubhcs : ses
ennemis seuls, les prophètes homicides, avaient, disait-il, entraîné
le peuple à la sédition.
Il ne comprenait que trop le tort fait à son parti par les insurgés
incendiaires et pillards qui invoquaient en tous lieux l'Évangile, et
prétendaient combattre pour sa cause; il redoutait l'abolition de
toute autorité, de tout ordre social, le bouleversement et la ruine
irrémédiable de l'Allemagne, < si l'insurrection continuait, et pre-
nait la haute main ».
Il avait donc le sérieux bon vouloir d'apaiser la révolution et de
rétablir la paix; mais il faut convenir que la manière dont il s'y prit
1 Zasii Epist.. p. 97. — Voy. Stintzi\G, p. 263-267. — Hartfelder, Bauernkrieg,
p. 326-330.
* Dans Schreiber, t. H, p. 131-133.
' Vôy. la note 1.
r.IITIIEli SIIi; r.KS articles des I-AYSANS. 1525. 515
pour obtenir ce rcsiillal, ('l.iir moins f;ii(e |)oiir c.ilmer les esprits que
pour jefer encore de riiiiile sur le feu.
Son ccrif est intitulé : /C.r/iortation u lu jifii.c, à propos fies douze
articles des paysans de Souahe ' .
i l>es paysans de .Souabe ', dif-il en coiiirnençant. « ont rédifjé
douze articles réclamant l'abolition des intolérables abus dont ils
.sont victimes par la faute des autorités, lis se fondent sur des textes
de rÉcriInre, et ils ont fait imprimer leurs articles. .l'ai vu avec
satisfaction que, dans le douzième, ils se déclarent prêts à accepter
les observations qu'on pourrait leur faire, là on elles seraient justes,
et se montrent fout disposés à se laisser instruire, pourvu qu'on leur
découvre leur erreur en s'appuyant sur l'Écriture; car il est juste et
légitime que la conscience de chacun soit dirigée dans le sens précis
de la parole divine. « Or les paysans ayant prononcé le nom de
Luther, et l'ayant mis au nombre - de ceux qui maintiennent ici-bas
l'autorité de la sainte Kcriture ••, il se faisait un devoir de charité
chrétienne de les instruire comme ils le demandaient.
La première partie de VExhortation s'adresse aux princes, la
seconde aux paysans.
Luther commence par expliquer, comme il l'avait déjà fait aupa-
ravant % les signes nombreux et effroyables qui ont paru récem-
ment au ciel et sur la terre, et annoncent une catastrophe en même
temps qu'une heureuse révolution à l'Allemagne '. - Ces signes vous
regardent ', dit-il s'adressant aux princes et aux seigneurs; - ils
ne vous présagent rien de bon; rien d'heureux ne saurait vous
arriver. Vous seuls méritez nos remerciments pour l'émeute et les
troubles actuels; vous en êtes responsables, princes et seigneurs, et
vous surtout, évêques aveugles, prêtres et moines insensés, qui au-
jourd'hui encore demeurez dans l'endurcissement, et ne cessez de
vous opposer avec fureur au saint Évangile ■ (c'est-à-dire à l'Évangile
de Luther); « et cependant vous savez qu'il a raison et ne peut être
réfuté ! Comment avez-vous gouverné jusqu'ici? Vous ne savez que
' Sammil. U'erl.e, t. XXIV, p. 257-286. I.fs paysans lui avaient envoyé les douze
articles. Son nom était inscrit en tète de la liste des " docteurs éminents
appelés à définir le droit divin '.
- Voy. plus haut, p. 296.
^ >Iclanchthon parle aussi des ■ portenla ' dans une lettre à Camerarius du
16 avril 1525, et snus l'impression nouvelle de la guerre des paysans, explique
le moine-veau autrement que Luther ne l'avait d'abord fait (voy. plus haut,
p. 297j. ~ Christus homicidam ab initio fuisse Satanam dixit, nec est quod pute-
mus nunc aliud agere, quam ut faces iniiciat, et incendium excitet quoquomodo.
Hue spectabant portenta, quae nata sunt tam multa proximo anno; vitulo-
monachus certe depravationem Lutheranae doctrinae in carnales et perniciosas
opiniones significabat. Arcus nocte a me visus in nubibus in Loseri domo signi-
ficabat haud dubie populärem motum. > — Corp. Reform,, t. I, p. 738.
33.
516 LUTHER SUR LES ARTICLES DES PAYSANS. 1525.
pressurer, que dépouiller vos sujets pour soutenir votre faste et votre
orgueil, de sorte qu'il devient impossible au pauvre homme de vous
tolérer plus longtemps. Le glaive est sur votre gorge, et cependant
vous pensez encore être si solides en selle qu'il soit impossible de vous
renverser. Mais, par une si aveugle sécurité, par une audace si obs-
tinée, vous ne réussirez qu'à vous casser le cou plus sûrement, pre-
nez-y garde! C'est ce que vous cherchez, semble-t-il; vous voulez
absolument périr, nulle remontrance, nul avertissement ne vous
sert! Aussi Dieu dispose-t-il les choses de manière qu'on ne puisse,
ni ne veuille, ni ne doive tolérer plus longtemps votre tyrannie; il
faut que vous changiez, il faut que vous cédiez à la parole de Dieu "
(c'est-à-dire à la doctrine de Luther). ^ Si vous ne le faites volon-
tairement et amiablement, vous vous y verrez bientôt forcés. Si les
paysans sont aujourd'hui vaincus, demain d'autres seront triom-
phants; si vous les mettez en déroute, ils n'en seront pas moins
vainqueurs, car Dieu en suscitera d'autres, parce qu'il a résolu de
vous humilier et de vous punir. Ce ne sont pas les paysans, chers
seigneurs, qui s'élèvent contre vous, c'est Dieu même; Dieu eu per-
soune s'apprête à corriger votre perversité. Quelques-uns d'entre
vous ont dit qu'ils exposeraient volontiers leurs terres et leurs gens
pour anéantir la doctrine de Luther. IMais que diriez-vous si vous
aviez été vos propres prophètes, et si vos terres et vos biens étaient
en effet compromis"? -
Les princes devaient se montrer indulgents envers les paysans :
1 une charrette de foin cède le chemin à un ivrogne; combien plus
devez-vous renoncer à votre violence, à votre opiniâtre tyrannie,
et traiter avec ménagement les pauvres paysans égarés! N'entamez
point la querelle avec eux, car vous ne savez pas quelle en serait
l'issue. »
Quant aux douze articles des révoltés, « quelques-uns ', dit
Luther, « sont si équitables, si légitimes, qu'ils ont l'approbation
de Dieu et du monde entier, et témoignent de la vérité de ce verset
de David : « Dieu a déversé son mépris sur les princes. » Le premier,
celui qui regarde la prédication de l'Évangile et le droit d'élire
les pasteurs, ne peut, sans injustice évidente, être contesté. Bien
que l'intérêt personnel s'y glisse, puisqu'il y est question d'entre-
tenir le curé avec des revenus qui n'appartiennent pas aux paysans,
cependant il faut convenir qu'on ne saurait leur refuser la libre pré-
dication de l'Evangile; contre une pareille réclamation, l'autorité ne
peut et ne doit rien entreprendre.
. Les autres articles dénoncent de si criants abus, comme par
exemple la mortaille, les dimes continuellement augmentées, qu'ils
sont très-certainement légitimes et justes, car les princes et sei-
À
F, UT II ER SUR I-ES ARTICLKS I) K S l'AVSANS. 152.>. 517
gneurs n'ont pas CMé constitués pour exploiter les sujets selon leur
inti'iTf ou leur caprice, mais unicpieinent pour prcnrlre à cœur l'in-
tértU e( l'avaufa^je des subordonnés; oui, il est Impossible de tolérer
plus lonjjfemps les extorsions des puissants. Lorsque le champ du
pauvre homme rapporte autant de florins que d'épis, (juel profit en
relirc-t-il, puis(jue les princes réclament toujours davant^i{jc, mènent
une vie de plus en plus fastueuse, et {jaspillent le bien du pauvre
pour les satisl'aclions de leur bien-être, pour leurs babils somp-
tueux, leurs iesliiis, leurs excès de table, leurs constructions inutiles,
et qu'ils usent de l'argent acquis par la sueur du paysan comme si
c'était de la paille? » Le luxe des seigneurs doit être réprimé, et
leur prodigalité restreinte; il est juste que le pauvre homme ait, lui
aussi, son bénéfice. Les articles des paysans peuvent instruire leurs
maîtres, car les injustices qui les oppriment y sont très-nettement
exposées. »
Dans la seconde partie de l'ouvrage, celle qu'il adresse aux paysans,
qu'il appelle « ses cliers seigneurs et frères >, Luther répète en-
core : « Je reconnais, et il n'est malheureusement que trop certain,
que les princes et seigneurs ont cherché à entraver la prédication de
l'Evangile, el accablé si despotiquement leurs sujets qu'ils ont mé-
rité d'être traités en ennemis et précipités de leurs sièges par la
colère de Dieu; car ils ont gravement péché contre le Seigneur et
contre leurs frères, et u'onl aucune excuse.
Un tel langage ne pouvait qu'exciter les passions populaires, qu'at-
tiser l'effroyable brasier de l'insurrection; il ne pouvait contribuer
au rétablissement de la concorde.
C'était en vain que Luther, s'adressant aux paysans incendiaires
et pillards, leur répétait : « Quand même l'autorité serait tyrannique
et injuste, cela n'excuserait aucunement l'émeute et la révolte, car
châtier l'iniquité n'appartient pas à tous; l'aulorifé seule a le droit
de punir; elle a le glaive en main, comme disent Paul et Pierre;
c'est à elle que Dieu a confié le châtiment du méchant. A celui qui
te prend ton manteau, laisse-lui aussi ta robe, et celui qui te donne
un soufflet, tends-lui encore l'autre joue, dit l'Évangile. Entendez-
vous, communautés chrétiennes? Comment votre conduite s'accorde-
t-elle avec ce précepte '? »
' ^ Liïtlier, dans la chaleur de sa dispute avec Caristadt et Münzer -^ dit le
protestant Charles Ha;çen (Deutsche Geschichte, t. II, p. 182-184 , abandonna beau-
coup de ses premiers el libéraux principes, et présenta ses principales doctrines
sous une forme si ûpie, si absolue, qu'il était impossible à tout homme de bon
sens de s'en accommoder. 11 traitait la raison de gourgandine du diable, disant
qu'une opinion est réfutable dans la mesure eîacte où elle s'accorde avec elle.
Non-seulement, disait-il, il avait encouragé la sédition, mais il n'avait pas hésité
à inviter le peuple allemand à se baigner dans le sang des papistes, parce que
518 LUTHER SUR LES ARTICLES DES PAYSANS. 1525.
Abusés par de faux prophètes, les rebelles ne pouvaient plus se
glorifier du nom de chrétien, ni se vanter de suivre la loi du Christ.
« Admettons que votre cause soit ce que vous dites, c'est-à-dire bonne
et juste : en devenant vos propres juges, eu vous révoltant contre
la tyrannie et la violence, vous faites, il est vrai, ce que Dieu ne
vous défend pas absolument de faire, mais vous vous rendez indignes
de votre titre de chrétien; le nom de chrétien, vous dis-je, renon-
cez-y, et n'en faites pas le honteux manteau de votre violence, de
votre conduite antichrétienne et séditieuse! "
' Non que je prétende justifier ou défendre l'autorité dans l'into-
lérable préjudice qu'elle vous cause; les princes commettent envers
vous des injustices criantes, je le reconnais; mais s ajoutait Luther,
« du moment que les paysans prennent sur eux de venger eux-mêmes
leur querelle, l'iiutorité doit être avertie qu'elle n'a plus à faire à
des chrétiens, mais à des païens; et les paysans, de leur côté, doi-
vent avouer qu'ils ne combattent pas en chrétiens, mais en païens.
Changez votre dénomination, dites que vous êtes de ceux qui
luttent pour s'affranchir d'un joug inique, et que vous suivez l'im-
pulsion naturelle; mais laissez là votre titre de chrétien. Que si vous
y tenez, je ne puis envisager la chose autrement qu'elle ne m'ap-
parait; je ne puis vous cacher que je vous tiens pour des ennemis,
qui étouffez mon Évangile et y mettez obstacle; car je vois bien que
le diable, qui jusqu'à présent n'a pu me perdre par le Pape, cherche
maintenant à me dévorer et à m'anéantir par les prophètes homi-
ceux-là font une chose agréable à Dieu qui iinéantissent et démolissent les
églises et les couvents! ce fut après avoir été abandonné par les prophètes de
Zwickau, Carlstadt, Münzer et les anabaptistes qu'il posa pour la première
fois ses célèbres axiomes sur l'autorité; et pourtant, à ce uiéuie moment, il
appelle les princes « des gredins, des misérables, qui renient Dieu, et sont
dignes du mépris du peuple; des fous en délire et sans cervelle, dont on ne
voulait ni ne pouvait plus tolérer la tyrannie et le despotisme -. Il ne faut
pas s'étonner si les lecteurs de semblables invectives les recueillaient précieu-
sement, et les préféraient aux doctrines sur l'obéissance passive, dont ils
mettaient fort en doute l'orthodoxie. Outre que nul homme raisonnable ne
peut admettre une semblable obligation, et qu'elle est en contradiction fla-
grante avec les principes fondamentaux du droit allemand, lequel envisage
*^orame un contrat les rapports entre prince et peuple, et déclare que le
prince ne peut le violer sans cesser d'avoir droit à la soumission des sujets,
il était aisé d'apporter des textes bibliques détruisant la nécessité prétendue
d'une obéissance si servile. — La singulière façon dont Luther invitait à
la paix princes et paysans fut imitée par les prédicanis. Bucer disait en
pleine chaire, à Strasbourg, que les évêques et les princes avaient opprimé
le pauvre homme au delà de toute mesure. - .Jusqu'ici ils l'ont écorché jus-
qu'à l'os, mais maintenant ils se mettent à sucer la moelle de l'os. Écoute
bien ma comparaison : Si tu ordonnes au loup de garder les brebis, ou bien à
ton chat de soigner le lôti, tu peux aisément t'imaginer la manière dont tu
seras obéi. C'est ainsi que le pauvre homme a été protégé par ses maîtres. '
Bucer ajoutait : « cependant, gardez-vous de toute émeute! - Lettre du 9 juillet
1526, dans Jörg, p. 286, note.
LUTIIF.Ii SUR LES AHTICr.ES DES PAYSANS. I52r>. 51»
cides et les amis du désordre que vous souffrez parmi vous. Eh bien
done, (jiie Salan me dévore, s'il le veut, mais son ventre en deviendra
bien étroit, je l'eu avertis! ■
Les articles dont quelques-uns, au dire de Luther, étaient si légi-
times, si équitables , sont l'objet d'un jn^jernent tout différent
dans la seconde partie du livre. L'emploi que les paysans veulent
faire des revenus ecclésiastiques y est appelé '• vol, escroquerie ;
la pensée de supprimer le servage « est, selon Luther, directe-
ment opposée à rÉvaugile, et outre cela, inique ■■. Les autorités
et les paysans agissent les uns et les autres contre Dieu, et sont
également sous le coup de sa colère. - Or, les deux camps en
présence étant également dans leur tort, et vous, paysans, vous
arrogeant le droit de vous rendre justice ä vous-mêmes, vous pé-
rirez les uns et les autres; Dieu fustigera un coquin par un autre
coquin. »
Voici quel était son conseil : les princes devaient renoncer à leur
tyrannie, à leur oppression, afin que - le pauvre homme put, lui
aussi, avoir de l'air et de l'espace ". Les paysans, de leur côté, de-
vaient abandonner ^ ceux de leurs articles qui montraient trop
d'exigences et visaien! trop haut «. Une commission composée de
nobles et de magistrats devait travailler à conclure un accommode-
ment pacifique. Aux paysans, Luther prédisait que, quand bien même
ils commenceraient par remporter de grands avantages, ils étaient
destinés à s'entre-dévorer plus tard comme des bêtes fauves. Aux
princes, il disait : Pour vous, mes seigneurs, vous avez contre vous
l'Écriture et l'histoire, qui vous peuvent avertir de la manière dont
finissent les tyrans. Les poètes païens nous ont aussi rapporté la
façon dont périssent les tyrans; ils meurent rarement d'une mort
sèche, et généralement on les trouve un beau matin baignés dans
leur sang. Donc, comme il est notoire que vous gouvernez despoti-
quement et férocement, que vous interdisez l'Évangile et que vous
pressurez et tyrannisez le pauvre homme, vous n'avez d'autre per-
spective et consolation que le genre de mort dont sont morts vos
pareils'. «
' Cette Exhortation à la paix Contredit étrangement un écrit postérieur de Lu-
ther dont nous pai-lerons dans la suite [Contre les troupes homicides et pillardes des
paysans), où il conseille aux princes de mettre à mort les émeutiers comme
des chiens enragés. Du côté protestant, on a cherché à expliquer cette contra-
diction en supposant que l'Exhortation à la paix avait paru à un moment où le
mouvement pouvait encore passer pour iuoffensif (Ranke, t. II, p. 221),
probablement en mars 1525 Be.nsen, p. 270 , par conséqueut avant que les
paysans aient commis leurs plus exécrables forfaits. C'est lorsque Luther
fut informé, dit Bensen, surtout des horreurs de Weinsberg (voy. plus bas,
p. 527), que son courroux s'enflamma, et qu'il composa son second écrit. Cette
supposition est sans fondement, car les émeutiers avaient déjà exercé leur
520 RÉVOLTE EN FRANCONIE.
III
C'est à une conclusion semblable, c'est au massacre général de
tous les tyrans que visaient les insurgés, surtout ceux de Franconie,
qui déclaraient hautement vouloir anéantir et broyer " le clergé,
la noblesse, en un mot toute autorité ' arrogante et fastueuse •.
L'émeute éclata en premier lieu à Hothenbourg, ville libre de
Franconie. Le 2i mars, raconte Laurent Fries, - les paysans se
rassemblèrent dans la landwehr; ils allèrent camper à Bretheim,
et invitèrent tous les colons des domaines environnants à venir
les joindre. Ils déclaraient ne plus vouloir de maître, et se disaient
affranchis des charges toujours plus nombreuses dont leurs sei-
gneurs les accablaient : dîmes, impôts, douanes, corvées, impôts
d'héritage, redevances, censives, tailles, servitudes, etc., et an-
nonçaient leur résolution bien arrêtée de marcher avant peu sur
Wurzbourg, d'en chasser les prêtres, les moines et les reli-
gieuses, et de s'emparer de leurs biens. » <; La nouvelle de leur sou-
lèvement se répandit rapidement dans les bourgades et villages
environnants, et les pauvres gens en éprouvèrent beaucoup de joie.
Plusieurs se hâtèrent de courir aux informations, demandant aux
saiivafîe fureur, même en Thuringe, avant la publication du premier écrit. Le
16 avril Mélanchthon écrivait à Camerarius : Lutlierus articules rusticorum
scripto publico imnrohabii et tamen principes ad cequitatem horiabiiur. ^ Corp.
Reform., t. I, p. 739. Du côté catholique, on a avancé que Luther, après la défaite
des paysans, s'était détourné d eux. et n'avait publié son second écrit que parce
qu'il sentait bien que leur cause était perdue. Cette supposition n'est pas plus
exacte que la première. Dès le 4 mai, au fort de la révolte, Luther ordonnait à
.Jean Rühel, conseiller de Mansfeld, de ne pas chercher à attendrir le comte Albert,
qui s'apprêtait à châtier énergiquement les révoltés. Le comte devait se servir
du gl^ivCi et les traiter comme des meurtriers et des parjures, " tant qu'une
veine palpiterait dans son corps -. De Wette, t. II, p. 653. Dès S!)n premier
manifeste, Luther juge sévèrement l'insurrection. Bien que cet écrit semble peu
propre à pacifier les esprits, on ne peut nier qu'en présence des effroyables
ravages de la révolution, il n'ait sincèrement désiié amener entre les partis un
accommodement pacifique. La preuve en est qu'il prit soin de répandre une
seconde édition des articles du traité de Weingarten (voy. plus haut, p. 506),
dans l'espérance « que Dieu donnerait peut-être sa grâce à l'Allemagne, et que
les paysans, renonçant à leurs sanglantes et damnables entreprises, se laisse-
raient persuader de conclure la paix -. C'était avec joie, disait-il dans la préface,
qu'il avait lu le traité de Weingarten; il le regardait comme une preuve de la
grande miséricnr.lc de Dieu, dans les temps sauvages et barbares où l'on vi-
vait. ■> Sämmil. U'crkf, i. i.xY, p. 2. L'attitude de Luther, pendant la guerre des
paysans, ne saurait donc être suupç .nnée de duplicité; mais en ses deux mani-
festes, comme à son ordinaire, il se laisse guider par la passion. Dans le pre-
mier, il dépasse la mesure en s'emportant contre les princes et surtout contre le
clergé; dans le second, il accable injustement les paysans.
RÉVOLT K EN FRANCOME. &21
révoltés les motifs de leur soulèvemenl, leurs plans, leurs inlen-
tioris. lîevenus chez eux, ces jjens portèrenl aux nues Tcnl reprise
des insurgés, grossirent les (aits, et préfèrent au mouvement une
importance qu'il n'avait pas. Sur quoi l'humeur ardente, inquiète,
turbulente de la population s'enflamma de telle sorte <iu'en beau-
couj) de localités des souièvemenls eurent lieu. Le dimanche de
Lœlare (26 mars), les paysans d'OberschipF, dans l'Odenwald, se ras-
semblèrent, attachèrent un soulier sur une perche, et marchèrent
au son du tambour sur l nlerschipf. Les villageois du territoire de
la ville vinreul au-devant d'eux, portant un crucifix, et tous ensemble
allèrent à rauberjvc prendre le vin sacré de l'alliance. Là, les nou-
veaux amis firent bombauce et se soûlèrent à cœur joie. »
Comme l'émeute menaçait de gagner l'évéché de Wurzbourg,
l'évéque Conrad de Thiingen assembla " ses nobles conseillers »,
pour conférer avec eux sur les mesures à prendre. Quelques-uns
furent d'avis de ne pas perdre de temps, d'agir avec une grande
vigueur, et de profiter du moment où il était encore possible de se
rendre maître de l'insurrection; il fallait, disaient-ils, confisquer les
biens des rebelles, proscrire leurs femmes et leurs enfants, et brû-
ler quelques villages, afin qu'ils comprissent tout de suite qu'on était
bien décidé à leur résister. Sans nul doute, avertis de cette manière,
beaucoup, au lieu de courir à l'émeute, resteraient à la maison, et
ceux qui étaient partis se hâteraient d'y revenir. La horde diminue-
rait journellement, et malgré bien des ressentiments secrets, on
pourrait espérer venir à bout des rebelles. Mais d'autres membres
du conseil épiscopal rejetèrent ce plan, disant que la révolte n'écla-
tait pas seulement dans l'évéché de \Vurzbourg, mais dans ceux de
Mayence, de Bamberg, dans le Falatiuat, dans le marg^raviat de Bade;
personne, parmi les princes et électeurs de ces pays, ne prenait le
parti d'une répression énergique; si doue leur seigneur l'évéque pré-
tendait résister de front à l'émeute et donnait le premier le signal de
la répression, il s'attirerait les reproches motivés non-seulement
des paysans, mais des princes. Puis, l'évéque avait bien peu de
monde à sa disposition; si la fortune le trahissait, si les paysans
étaient vainqueurs, quelle force n'acquerraient-ils pas! quelle arro-
gance serait la leur! Et d'autre part, à quelles pertes, à quelle ruine
l'évéché et la chevalerie ne se verraient-ils pas exposés! Pour tous
ces motifs, il semblait préférable de patienter encore, jusqu'à ce
qu'on sût le parti que prendraient les princes voisins, aux portes
desquels le feu était également. En attendant, il fallait réunir les
états du pays, et délibérer sur ce qu'il convenait de faire. L'évéque
se rangea à ce dernier avis. "
Voyant donc », continue Fries, ' que l'autorité se bornait à
522 INSURRECTION A ROTHENBOURG SUR LA TAUBER. I52Ö.
regarder faire, et les laissait libres d'agir à leur fantaisie et de
se réunir les uns aux autres, les paysans accoururent de toutes parts,
et la horde devint tous les jours plus redoutable. L'audace des ré-
voltés allait aussi en augmentant. Dès qu'ils avaient établi leur camp
dans un endroit, les couvents étaient envahis, les presbytères pillés,
les coffres et les caves vidés, et l'on faisait ripaille avec tout ce
qu'on trouvait à boire ou à manger. Cette nouvelle manière de
comprendre la fraternité plaisait extrêmement aux paysans, car
pour la pratiquer il ne s'agissait que de bien se soûler, de manger,
de boire et de ne plus payer d'impôt. On a rarement vu une réunion
de gens plus grossiers, plus goulus, plus ivrognes. S'ils n'avaient
commis plus d'un assassinat et mis le feu aux châteaux, je me de-
manderais si leur conduite ne doit pas plus justement s'appeler
farce de carnaval que guerre; les paysans, comme chacun sait,
sont portés à faire du tapage, à se livrer à la licence et à la folie
pendant les jours du carnaval. C'était bien plutôt une échauf-
fourée de rustres, une bataille d'ivrognes, qu'une guerre propre-
ment dite. Pour abréger, personne ne sut se défendre. Les paysans
apportaient avec eux leur capital. Ce qu'ils trouvaient en plus était
bénéfice net^ '
Rothenbourg était le foyer de l'émeiile; de nombreux prédicants,
missionnaires ambulants ou résidant dans la ville, y prêchaient
la " liberté évangélique • . Un paysan des bords du Ries parlait « en
maint endroit, mais principalement dans la plaine où était établi
le tir à l'arquebuse, et le peuple se pressait autour de lui ". - D'autres
orateurs prêchaient sur la place du marché, dans les rues, dans les
cimetières, faisant part à leurs auditeurs de ce qu'ils avaient trouve
dans leurs livres concernant les idées nouvelles. « « Tout ce qui, dans
leurs discours, accusait les autorités était avidement recueilli par la
foule. Les ouvriers interrompaient de temps en temps l'orateur pour
faire valoir leurs griefs personnels, avec grande abondance de paroles
et force imprécations séditieuses. Tout cela se passait au grand jour,
personne ne songeait à s'y opposer-. " Parmi les prêtres apostats,
le Carme aveugle Hans Schmid, surnommé " le renard ;, et le pré-
dicant de la chapelle Sainte-Marie, Jean Deuschlin, le même qui
avait poussé le peuple à assaillir la synagog:ue et à tomber sur les
Juifs, se faisaient surtout remarquer. Ces deux exaltés attaquaient
avec violence les pouvoirs spirituels et temporels, et soutenaient
que personne n'était obligé de payer au clergé une redevance quel-
1 Laurent Fries, 9-10, 22-23, 30. — Voy. 64-65.
^ Thomas Zweifel, dans B\uma.n.\, QueÙen aus Rotenburg, p. 11-12.
INSURRECTION A R OT II K N I! 0 T R f; SFR LA TAURKR. 1525. 523
conque. < Aussi le peuple rlaii-il de plus en plus irrité contre l'au-
lorilc, et (joiUail-il de plus <'ii plus les sermons de Deusclilin. Les
bourgeois se rassemblaient dans la maison de ce dernier. » Carlstadt,
chassé de Saxe et de retour à Iiothcnbour^j, était, avec ces deux
hommes, « la cheville ouvrière cl le principal moteur de la révo-
lution ». La doctrine de la charité [raleruelle et évaugélique, (jui
prescrit la communauté de biens et condamne tout pouvoir humain,
« séduisait extrêmement l'Iiomme du peuple des villes et des cam-
pagnes ' . Il voulait (pi'à l'avenir nul ne piU posséder une fortune
plus élevée que celle de ses frères, et qu'on fût obligé de prêter à
(pii était dans le besoin, sans que personne pût jamais exiger le
remboursement de ce qu'il avait avancé. Peu à peu, comme cela
s'était déjà vu ailleurs, un parti puissant, composé de prolétaires,
de bourgeois ruinés, de petits hobereaux des environs et d'" intri-
gants de villages > , se forma dans la ville. Tous prétendaient n'avoir
en vue que l'établissement de l'Évangile et l'abolition de ce (jui était
contraire au texte littéral de la parole de Dieu, car < toute plante
que le Père céleste n'avait pas plantée devait être déracinée . Beau-
coup de bourgeois pactisaient ouvertement avec les paysans révoltés,
et promettaient de les faire pénétrer dans la ville, pour piller et
massacrer avec eux les conseillers et les riches.
Etienne de Mcnziujjen, autrefois au service d'Ulrich de Wurtem-
berg, jeune noble plein de capacité et d'énergie, était l'un des chefs
du mouvement. Il avait le don de la parole, mais son caractère était
« double et faux' ». C'est à son instigation que, vers la fin de mars
1525, l'ancien gouvernement de la ville fut renversé, et bientôt
après le culte catholique aboli. « Le 24 mars », dit une relation du
temps, on a brisé dans le cimetière la tête et les bras du grand
crucifix. Le vendredi saint, tous les offices ont été supprimés. .lean
Deuschlin seul a prêché; il a accablé d'injures l'Empereur, les rois,
les princes et les seigneurs, les accusant de mettre obstacle à la pa-
role de Dieu. Le moine aveugle a parlé ensuite. Il a dit que le Saint
Sacrement était une idolâtrie. Le saint jour de Pâques, on n'a ni
chanté ni prêché à l'église; le lendemain, Carlstadt a parlé contre
le Sacrement-. Ouelques jours auparavant, il avait invité le peuple
à briser les images; le lundi de Pâques, quelques meuniers et gar
çons meuniers se réunirent dans la vallée de la Tauber, proche de
la ville, entrèrent en tumulte dans la belle église de Notre-Dame,
à Kobenzell, brisèrent les verrières, profanèrent les autels et com-
mirent d'ignobles sacrilèges. Les missels, les tableaux, œuvres en
' Sur Menzinjîen. voy la chronique de Zweifel. Voy. aussi ses aveux dans Bau-
MArSN, Quellen aus Rotevhwij, p. 542-545.
- Voy. BaüMann, Quellen aus Rotenburg, p. 596-598
524 EMEUTE A BAMBERG. 1525.
partie de Michel Wohlg^emuth, le maître d'Albert Dürer, les images
saintes en bois sculpté, tout fut jeté dans le fleuve. Le jour suivant,
18 avril, de nouveaux attentats furent commis dans la cathédrale.
Tandis que Carlstadt tonnait contre le Saint Sacrement, quelques
hommes du peuple coururent à l'autel pour briser les images. « Ce
que les pieux chrétiens d'autrefois avaient tant vénéré, ils l'ont bru-
talement jeté hors de l'église. Ouelques-uns ayant voulu s'opposer
à ces profanations, les couteaux brillèrent. Le jeudi d'après Pâques,
des femmes armées de fourches et de piques couraient débraillées
et furieuses sur le port, faisant grande rumeur, et disant qu'elles
allaient envahir et piller toutes les maisons de prêtres. Les in-
surgés commirent des actes sauvages : l'un d'eux, nommé Lau-
rent Knobloch, ami de Menzingen et élu chef des insurgés, fut
mis en pièces par ses compagnons au moment où il allait com-
mettre un viol sur une jeune fille. Les émeutiers se jetèrent les uns
aux autres ses membres mutilés; enfin ils lui tranchèrent la tête et
la scièrent en deux'. »
IV
A Bamberg comme à Rothenbourg, ce fut un prédicant du nouvel
Evangile, un certain Schwanhäuser, qui contribua le plus à déchaîner
le peuple contre les prêtres : < Nos pères spirituels, nos docteurs
très-saints et très-éclairés, > disait-il à son auditoire, '= persuadent au
pauvre peuple, malgré le témoignage exprès de toute l'Écriture, que
la volonté de l'homine est libre, qu'il peut comme il lui plaît faire le
bien ou le mal, et que son salut est entre ses mains. O malheur, ô co-
lère, ô châtiment de Dieu sur nous! Ouels peuvent être les fruits d'une
telle doctrine? Elle ne saurait former que des hypocrites, des cagots,
des iaux dieux, qui iront ensuite frapper à la porte du paradis avec
leurs bonnes œuvres ! ; « Nos guides aveugles nous disent, nous prê-
chent que la Passion de Jésus-Christ eût suffi pour racheter plusieurs
mondes, et d'autre part ils enseignent qu'elle ne suffit pas au salut
d'une seule àme, et qu'il faut que l'homme mette encore ses œuvres
dans la balance. Us ne rejettent pas la grâce, mais ils y ajoutent
les œuvres. O Dieu du ciel, quel blasphème est ceci! Que fait cette
paille dans le noble froment, que fait cette eau dans le vin, la scorie
' Voy. Baumann, Quellen aus Rolenhurg, p. 599-602. — Voy. Bensen, p. 63-1 Oi —
HÖFLER, Fränkische Studien, t. YIII, p. 269, n« 161.
EMEUTE A BAMBEliG. ISJ.i. 525
SOUS l'arficnl, nos actes sonilh's et impurs à côté de la sainte {jrûce
de Dieu/ Cela ne s'appeile-t-il pas restreindre et oiilra^jer la grâce?
N'est-ce pas là ignorer le prix de la F'assion et du sang de Jésus-
Christ, l'insiiller, le blasphémer":' Ouelqu'uu Irouve-t-il que j'ai tort?
ou'il me dise, alors, ce qu'il entend par injure et blasphème! Nul
ne ravage plus la vigne du Seigneur que ceux qui devraient la
cultiver avec le plus d'amour. Ils ont chassé le Christ de sa vigne
pour se substituer à lui; ils disent qu'ils soûl les lieutenants de
Jésus-Christ, tandis que les véritables apôtres du Seigneur sont
persécutés par eux. ' - Mais le Christ se lèvera, il viendra les juger,
et il leur dira : C'est vous qui avez ravagé ma vigne, et la dépouille
des pauvres est dans votre maison! Du temps des apôtres, le règne
de l'Antéchrist avait déjà commencé, mais maintenant sa domi-
nation es!: toute-puissante. Les papes, les cardinaux et les évèques
persécutent la parole de Dieu; voilà pourquoi je les tiens pour de
vrais Auteclirists, et pourquoi le Sauveur les nomme voleurs et ho-
micides. On laisse les pauvres sans abri, sans feu, sans aliments, et
l'on construit aux saints, qui sont morts depuis longtemps, de
vastes maisons de pierre; ou leur apporte de l'or, de l'argent, des
pierres précieuses et jusqu'à des animaux et des charrettes de vi-
vres. Nous dépouillous les vivants pour ensevelir nos morts. Si nous
étions vraiment chrétiens, nous vendrions les ostensoirs, les calices,
les ornements d'église; à l'exemple des douze apôtres, nous gagne-
rions notre vie par le travail de nos mains, comme nous pourrions,
ei les pauvres seraient secourus'. ■
Des discours de ce genre obtenaient naturellement l'approbation
d'un grand nombre. Le 11 avril iö2ö, les plu? remuants sou-
lèvent l'émeute : ils sonnent le toscin, élisent des chefs, prennent
possession des portes de la ville, contraignent les paisibles bour-
geois, les nobles, les prêtres, à se charger du service de la cité, à
faire les corvées, à garder les portes. Leurs émissaires se répandent
dans les environs, et somment les villageois de se joindre à eux.
Dès le lendemain, plusieurs milliers d'émeuîiers sont déjà réunis.
Lorsque l'évèque Weigand de Redwitz refuse, comme ils le de-
mandent, de sanctionner la confiscation des biens du clergé et de
la noblesse, " s'excusant sur ce qu'il ne lui est pas permis d'agir
ainsi avant qu'un jugement préalable ait été rendu >), les rebelles
courent à sou citâteau et le saccagent. Deux jours durant, le peuple
pille, à la ville et à la campagne, les maisons de la plupart des cha-
noines et des prêtres séculiers. Seule, la cathédrale, défendue par
de braves bourgeois, est épargnée. Le ij avril, un accord est conclu.
' Dans Heller, p. 165, 173-175. 135, 190-193.
526 ÉMEUTES DANS LODENWALD. 1525.
L'évêque, assisté de sou chapitre, est reconnu pour le seul seigneur
du pays. On nomme une « commission nationale « chargée d'exa-
miner et d'abolir tous les abus; on décide que jusqu'à la fin de
l'enquête, tout payement d'impôt ou de dime sera suspendu. La
paix est publiquement proclamée, ce qui n'empêche pas l'émeute
de continuer sans interruption dans l'évêché. Plus de soixante-dix
châteaux et beaucoup de couvents sont pillés et saccagés. Dans la
ville se rassemblent des milliers de vauriens accourus des envi-
rons, " de sorte que personne n'est plus en sécurité de son corps
ou de ses biens les jours où cette populace s'enivre dans les caves
des prêtres, comme cela arrive continuellement -. A Bamberg,
la conduite des émeuliers < est si grossière et si sauvage que
non-seulement les vieux et respectables bourgeois en sont con-
sternés, mais ceux-là mêmes qui au début avaient applaudi à la
révolte ' ".
Si les insurgés n'avaient tenu aucun compte du traité conclu avec
l'évêque le 15 avril, c'est qu'ils avaient reçu de bonnes nouvelles,
leur annonçant les victoires successivement remportées par les leurs
dans l'Odenwald, la vallée du Neckar, et dans tout l'évêché de Wurz-
bourg.
Dans l'Odenwald et les pays qui l'avoisinent, les paysans s'étaient
soulevés à la voix de Georges Metzler, aubergiste perdu de mœurs,
et de l'ancien chancelier du Hohenlohe, \Vendel Hipler, surnommé
Fischbach, démagogue adroit et rompu aux affaires. " J'ai taillé de
l'ouvrage à ton maître ■■, disait-il le 23 mars à un serviteur du
comte de Hohenlohe, un jour qu'il buvait avec ce dernier dans une
auberge de Weinsberg; < je veux que cette année il ait de la
besogne! A OEringen et dans les alentours, il y aura certainement
bientôt quelques prairies à acheter à bon compte! » Révolutionnaire
exalté, il servait sans cesse, par ses paroles et par sa plume, '■ la
<;ause du peuple ••. Il avait organisé des sociétés secrètes dans tous
les environs, de sorte qu'en peu de temps, il avait en main, en sa
qualité de chancelier et de premier secrétaire des rebelles, tous les
• Pour plus de détails, voy. Bense.x, p. 376-384. La liste des châteaux détruits,
,p. 5Ü4-565. Städter tend Bauernkrieg im ehemaligen Fürstenthum Bamberg, dans les
Mistor. polit. Blättern, p. 95-817.
ÉMEUTES DANS I/O IJ F. N W A L I). 1 .j2:>. 627
fils de la révolte. « Hipler est un esprit ai[',uisé, un homme adroit
et entendu ", disait de lui sou ami Götz de IJcrlichin|;en; ' il est
rare d'eu rencontrer (jui le vaillenl dans les conseils '. >■
A l'appel de Melzler, les paysans accouraient de toutes parts.
Ils venaient en troupes bruyantes, semblables aux abeilles quand
elles essaiment. » Celui (jui relusait de les suivre était menacé de
perdre les biens et la vie ", et de laire ainsi l'expérience de ce qu'il
eu coiUait de retuser d'être un " frère clirélien «. Hlu général en
chef, Metzler donna rendez-vous à ses troupes, encore grossies par
des renforts venus des territoires de Mayence, de Wurzbourg et des
Étals de l'Ordre leutonique, à l'abbaye de Cileaux, située près de
Schöntlial, à quatre lieues d'OEringen. Là, tous les bourgeois et
paysans qui ne s'étaient pas encore déclarés devaient se présenter à
la ' sainte armée > , animés des sentiments de la plus pure charité
fraternelle, - offrir leur assistance aux frères, et promettre de con-
tribuer au triomphe de la parole de Dieu et de la doctrine de saint
P.iul s les troupes de Metzler s'intitulaient T" armée évangé-
lique ' ; les insurgés déclaraient n'avoir d'autre but que le main-
tien et la protection de la parole de Dieu^ Du 4 au 10 avril, ils
campèrent à Schöntlial, et s'y conduisirent « comme des bêtes fé-
roces ». Ils profanèrent les autels, volèrent les vases sacrés, qu'ils
se partagèrent ensuite, détruisirent les plus admirables chefs -
d'ceuvre, et brûlèrent tout un village, à l'exception de quelques
maisons.
Pendant ces Jours d'horreur, Götz de Berlichingen, -< le chevalier
audacieux et vaillant -, vint, accompagné d'autres ;î frères chrétiens ' ,
rejoindre les paysans ^ - Il se faisait fort ", disait-il, « de mettre la
noblesse du coté des révoltés, les nobles étant aussi bien que les
paysans opprimés par les princes*. » De même qu'autrefois, dans
une de ses expéditions de rapine, il avait salué du nom de - chers
compagnons • une bande de loups fondant sur un troupeau de mou-
tons, il voyait maintenant dans les paysans incendiaires et pillards
de « chers frères chrétiens -, dont il pourrait heureusement se servir
contre les princes et les seigneurs ecclésiastiques tant détestés de lui.
Il espérait, par son influence et la part personnelle qu'il comptait
prendre à la révolte, réprimer à temps la fureur des bandes in-
surgées, et les empêcher de s'en prendre aux biens des nobles.
A Schönthal, il convint avec les paysans « que dès qu'il les verrait
' l'our plus de détails sur Uipler, voy. Blhleu, p. 155-159.
■^ Voy. Bexsen, p. 107-119.
3 Voy. sur lui notre premier volume, p. 538-541, 548.
* Tiré des aveux de Dyonisius Schmid, ancien maire de Schwabacb, dans
Stalin, t. IV, p. 296, note 3.
52S SUCCÈS DE L'ARMÉE ÉVANGÉLIOUE. 1525.
arriver à Gundeisheim, daus les environs de son château de Horn-
berg, il viendrait les rejoindre' -.
A Schönthal, des hordes venues des bords de la Tauber et unies
aux lansquenets de la bande noire, commandés par Florian de
(^eyer, rejoignirent F" armée évangélique !. Vinrent ensuite les
bandes du comté de Hohenlohe et du territoire de la ville libre
d'Heilbronn, commandées par le sauvage et incendiaire Jacques
Rohrbach, de Bockingen. Jacques, comme Metzler, était depuis
longtemps le « frère « de Wendel Hipler, et de moitié dans tous ses
complots. Intimidés par ses menaces, les habitants des localités en-
vironnantes venaient en foule se joindre à l'Union chrétienne. « Si
vous tardez encore -, leur avait-il écrit, it si vous refusez de prêter
main-forte à l'Évangile, je saurai bien vous contraindre à l'obéissance;
je pillerai, je brûlerai tout ce qui vous appartient! ■ ■■■ C'est ainsi »,
rapporte Sébastien Franck, -< que plus d'un honnête homme s'était
vu forcé de suivre les révoltés. » Jacques faisait jurer à ses troupes
de l'aider à proscrire moines et prêtres. Après leur expulsion, on se
partagerait leurs dépouilles. Le prédicant de l'armée exhortait
avec lui les paysans à défendre de cette manière la « liberté évan-
gélique ^ » .
Pendant qu'à Schönthal les insurgés se livraient « à des excès, à
des débauches qu'eussent désavoués des Turcs », arriva soudain la
nouvelle que les ■■' frères chrétiens » des environs de Mergentheim
avaient pénétré dans la ville grâce à la complicité des bourgeois,
et qu'ils avaient pillé les maisons des chevaliers de Saint-Jean \
« Ce fut une liesse nonpareille. Les insurgés, voyant la fortune
leur sourire de tous côtés, se flattaient d'être avant peu les seuls
maîtres du pays. -^
L't armée unie de TOdenwald et de la vallée du Neckar ", forte
d'environ huit à dix mille hommes et commandée par Metzler,
rebroussa vers le sud le 10 avril, et le jour suivant, à Neuenstein
et à ^Valdenbourgj ^ rangea au devoir chrétien les comtes Albert
et Georges de Hohenlohe. Albert avait proposé aux paysans de s'en
remettre à l'arbitrage d'un tribuual souverain, impartial, chargé
d'apprécier tous leurs griet^; mais il lui fut répondu que la ■ sainte
' Aveux de Dyonisiiis Schmid, voy. note 4 de la page précédente. Le 19 avril
1525, le grand prévôt du Wurtemberg Frédéric de Freiberg écrivait de Schorn-
dorf au Conseil de régence autrichien que Götz de Berlichingen était le véri-
table général en chef des paysans, bien qu'on ne le reconnût pas officiellement
pour tel. — Voy. Stalin, t. iV, p. 297.
- Voy. Zimmermann, t. II, p. 271-277. — Bensex, 119-222.
3 Sur le pillage de .Mergentheim et du château voisin de Neuhauss, apparte-
nant à l'Ordre Teutonique, voy. OEchsle, p. 138-141.
lOFlFAITS m; WEfNSBERG. 152.'^. 529
armée ne reconnaissait raiiiorité ni de l'Empereur ni des Ordres,
et ne se }yuidair (jue d'après ses propres décisions. Si les comtes
refusaient de faire droit à leurs réclamations, leurs propriétés se-
raient saccadées; ils durent jurer, à p,enoux, fidélité à l'Union, et
s'engapjCr à observer les douze articles. -^ Frère Albert et vous,
frère Georges », leur dit l'un des révoltés, ' approchez, jurez de
rester parmi nous comme de bons frères, et de ne rien entreprendre
contre nous, car désormais vous ne serez plus jamais les maîtres;
c'est nous qui sommes à présent seijjneurs de Ilohcnlohe'. " Après
qu'à rinstip;ation de Jacques Rohrbach le couvent de femmes de
Lichlimstern eut été pillé, les hordes marchèrent sur Löwenstein, et
contraignirent les comtes Louis et Frédéric à entrer dans la ' fra-
ternité ». I»evétus d'habits de paysan, tenant à la main des bâtons
blancs, ceux-ci se virent forcés de suivre l'armée et durent subir
les plus grossiers traitements. Le 1 î avril, les insurgés s'emparèrent
de la petite ville de Xeckarsulm, appartenant à l'Ordre Teutonique;
« tout ce qui était bien d'église fut saccagé i. L'armée se porta
ensuite sur W'einsberg.
A Weinsberg, petite ville du Wurtemberg, le comte Louis Hel-
freich d'Helfenstein, grand prévôt, commandait une petite garni-
son d'environ soixante-dix a quatre-vingts cavaliers. A la nouvelle de
l'approche des rebelles, il se hâta d'envoyer demander assistance au
Conseil de régence autrichien, qui siégeait alors à Stuttgard: mais il
n'en obtint aucun secours. ' Les bourgeois », écrivait le comte, < bien
qu'ils m'aient juré fidélité à la vie et à la mort, donnent lieu à des soup-
çons qui semblent bien fondés; leur irrésolution fait tout craindre.
Les enfants perdus de Weinsberg pactisent avec les paysans, leur
enseignent les moyens les plus faciles d'assaillir le château, et leur
promettent aide et secours au moment décisif, » Le 10 avril, îe
matin de Pâques, le comte fut averti que les paysans avaient quitté
leur camp dès la pointe du jour, parlant d'aller quérir leurs œufs
de Pâques à Weiusberg. Il renforça alors sa petite armée, et
disposa tout pour la défense des portes et des abords de la ville.
Ayant rassemblé ses reitres, ses cavaliers et les bourgeois de la cité
sur la place du marché, il s'efforça de leur inspirer courage et
confiance. 11 avait laissé sa femme et son enfant au château, leur
dit-il; il allait se mettre â leur tète, décidé à se défendre avec eux
jusqu'à la mort. Il leur assura que ce jour-là même il attendait de
sûrs renforts. Accompagné de beaucoup de ses cavaliers, il se reu-
' Herolt, p. 91 . " Doue les deux comtes restèrent avec les paysans, et cepen-
dant ils avaient de bons châteaux forts! Mais notre Seigneur Dieu leur avait
ùié tout courage. » Voy. oEciislk, p. 95-108.
". 34
530 FORFAITS DE WEINSBERG. 1525.
dit à l'église, assista à la messe et reçut la sainte communion. Mais
l'office divin n'était pas encore terminé qu'on vint lui annoncer que
six à huit mille paysans étaient ameutés devant les murs de la ville,
et demandaient à ce que le " château et la cité fussent livrés à la sainte
armée de l'Union > . Une « vieille sorcière », ^ la Hofmann noire de
Böckingen », avait prononcé des sortilèges sur l'armée des révoltés,
et prétendait l'avoir rendue invulnérable. Les bandes de Florian
Geyer escaladèrent le château ' comme des chats », et l'eurent
bientôt mis à sac. Aidés des bourgeois qui leur avaient ouvert les
portes, ils furent promptement maîtres de la ville : chevaliers et
cavaliers se défendirent héroïquement jusque devant la porte de
l'église, mais enfin il fallut céder au nombre. •■ Tout ce qui portait
bottes et éperons » fut condamné à périr, et les prêtres furent
passés au fil de l'épée. « Les paysans, ivres et fous, se disputaient,
parmi les cris et les rixes, les ostensoirs, les calices, les vases
d'argent, les vêtements sacerdotaux, et autres objets précieux. »
' Il semblait que l'eufer eût déchaîné ses pires bandes; des atro-
cités vraiment sauvages furent commises. » Jacques Rohrbach, qui
s'était chargé de la surveillance des prisonniers, résolut de mettre
l'occasion à profit pour « inspirer une salutaire terreur à la no-
blesse ». Lui et ses compagnons décidèrent qu'ils ne feraient grâce
à aucun seigneur, noble ou cavalier, et les passeraient sans excep-
tion au fil de l'épée, déclarant en même temps que tout paysan
qui oserait prendre le parti d'un noble serait immédiatement mas-
sacré. Le comte d'Helfenstein fut condamné à être -< passé par les
piques - au son des tambours, avec vingt-quaire de ses gentils-
hommes et quelques-uns de ses plus fidèles serviteurs'. On con-
duisit les condamnés dans une prairie située devant la porte basse
de la ville; là, on leur signifia leur sentence. La comtesse d'Hel-
fenstein, fille naturelle de l'empereur Maximilien, se jeta alors aux
genoux de Rohrbach, tenant entre ses bras son fils âgé de deux
ans; elle le conjurait en pleurant de lui accorder la grâce de son
mari; mais Rohrbach la repoussa durement, et un paysan blessa
" le petit seigneur d'un coup de son épée ». Le comte, pour sauver
sa propre vie, lui ayant offert une rançon de trente mille florins,
Rohrbach lui dit : « Quand bien même tu nous donnerais deux
tonnes d'or, il faut mourir! » L'ancien joueur de fifre du comte,
Melchior Nonnenmacher, se tenait devant lui, soufflant joyeusement
dans son instrument : « Je t'ai si souvent fait de la musique lorsque
tu étais à table », lui disait-il, « n'est-il pas juste que je te régale
' Il ressort des aveux de Pierre Dohaim, fait prisonnier à Ulm en IÖ25, qu'à
peine la dixième partie de larmce des paysans fut informée du meurtre
du comte. OEchsle, p. 107.
FORIAITS DE VV E I N S B F, P. G . ir,2r,. 531
aujourd'hui, au niomenr où tu vas exécuter ta dernière danse? n
Il lui ôta de la tète son chapeau à plumes, et s'en coiffa, disant :
< Tu l'as porté assez lonp,femps, je veux être scif^neur à mon tour! »
A peine le comte avaitij f;iit trois pas sur le chemin du supplice
qu'il tomba mort sur le sol, percé de cent coups de pique. La
Hofmann plongfea alors un couteau dans ses entrailles, et cira
ses souliers avec la {jr;iisse qui en tombait. Jacques Wirt endossa e
pourpoint de damas de la victime; en cet cquipi{]?e, il se présenta
devant la comtesse et lui dit : « Femme, comment me trouves=-tu
ainsi? • On fit main basse sur les joyaux de la veuve, on la dé-
pouilla même d'une partie de ses vêtements, puis on la fit monter
avec ses femmes sur un tombereau de fumier qui devait la conduire
à Heilbronn. La populace de Weinsberg l'accompagnait en l'abreu-
vant d'outrages. « Tu es venue parmi nous en carrosse doré n, lui
criait-on, « et tu t'en vas dans une charrette de fumier! " D'un cou-
rage tranquille, l'infortunée, songeant sans doute à la semaine
sainte qui venait de s'écouler, répondit avec calme : ■ .l'ai commis
beaucoup de péchés! Le Christ, le Sauveur sans tache, est entré à
.lérusalem le jour des Hameaux parmi l'allégresse du peuple; bientôt
après il a été crucifié, non pour ses péchés, mais pour les nôtres!
Qu'il me console ' ! >
Les autres gentilshommes* périrent de la même façon que le
comte; on éleva les jeunes pages au bout des piques; puis on les
acheva.
Le bruit des atrocités commises à Weinsberg se répandit rapide-
ment dans toute l'Allemagne <<■ comme un râle d'agonie », excitant
partout un profond sentiment de honte, un ardent désir de ven-
geance. ' Chacun ", dit un chrouiqueur, « méditait au fond de son âme
la grande iniquité, l'inhumaine barbarie des paysans évangéliques.
Comment gouverneraient-ils, si le jeu continuait à leur réussir? Les
paysans ne s'étaient-ils pas conduits en véritables Turcs? N'était-
ce pas ainsi qu'agissaient les infidèles, lorsqu'ils étaient victorieux
et répandaient lamentablement le sang chrétien, aussi bien celui
des vieillards que celui des jeunes gens^? «
Au conseil de guerre des paysans, où se discutaient les plans
' La comtesse se réfu;];ia plus tard chez son frère l'archevêque Georges de
Liège, puis chez sa deuii-sœur Marguerite, gouvernante des Pays-Bas, où elle
mourut en 1037. ilENNr, Hisl. du regne de Charles V en Belgique, t. IV, p. 80.
- Pour les listes des vie times, et tous les documents concernant les événements
de Weinsberg, voy. Stalin, t. IV. p. 286, note 1-3.
^ Tkoman's ll'eissenhorner Hislorii-, dans BauMANN, Quellen :ur Gesch. des Bauernkriege
in Obcrschicaben, p. 90. — ^ L'ancien proverbe populaire qui affirme » que la
hache n'est jamais plus tranchante que loriqu'uii paysan dévient seigneur et
maître », ne ment point ", dit llaarer dans Göbcl, p. 115).
34.
532 RÉVOLTE DHEILBRONN. 1525.
des saintes armées, Florian de Geyer proposa de brûler et de raser
tous les châteaux forts, un noble, pas plus qu'un paysan, ne devant
avoir plus d'une porte à sa demeure. Les couvents, disaient ses
compagnons, devaient aussi être détruits et les moines contraints de
labourer et de défricher le sol, comme de simples cultivateurs. Ces
résolutions furent adoptées à l'unanimité, et il fut convenu qu'on
allait commencer par obliger Heilbronn à entrer dans la Frater-
nité chrétienne >•. Ensuite on pénétrerait par le territoire de Mayence
dans l'évêché de Wurzbourg, où l'émeute se montrait déjà toute-puis-
sante. Le 17 avril, Götz de Berlichingen' fut élu général. Avant de
quitter Weinsberg, 1' armée évangélique - reçut des comtes de
Hohenlohe deux coulevrines et un demi-quintal de poudre, avec
l'assurance que " les seigneurs ne souffriraient pas que leurs sujets
fissent aucune résistance aux révoltés* >•.
Heilbronn fut prise « à aussi peu de frais que Weinsberg ».
Depuis la révolte de la haute Souabe, une ■' Fraternité > s'y était
formée. Elle tenait ses assemblées secrètes chez un boulanger-caba-
retier; dans la ville et dans les villages environnants, tout depuis
longtemps se préparait en secret pour un " soulèvement chrétien. >
On avait soumis les douze articles à l'appréciation des paysans. Un
des meneurs, les pressant de se déclarer, leur disait : ■ Allons, cou-
rage! vous êtes des hommes libres! Oui vous oblige à payer les
tailles, les redevances, les dîmes? A l'œuvre donc! La corporation
des vignerons ne vous abandonnera pas! - " Frères >;, s'était écrié
un soldat qui avait autrefois servi sous Sickingen lors de la cam-
pagne de Trêves, que le Bundschuh se lève enfin! » Jacques Rohr-
bachétaitle plus violent agitateur d'Heilbroun. ^ Mes amis -, disait-
il aux conjurés attablés avec lui le 1" avril dans la maison du bou-
langer autour de la friture et du vin blanc, « c'est maintenant que
nous allons commencer une vie chrétienne! c'est maintenant que la
horde des paysans va se signaler! • ■■ Nous commencerons par punir
les prêtres », disait un autre, ' puis nous passerons aux seigneurs;
nous prononcerons la sentence de tous ceux qui nous ont affamés;
que le châtiment de Dieu les atteigne! Leurs maisons vont devenir
les nôtres! ■ A l'assemblée de Flein, où les ' frères - d' Heilbronn et
huit cents paysans se trouvaient réunis, on adopta, sur la proposi-
tion de P.ohrbach, la résolution suivante : Comme celui qui pos-
sède plus que son frère est strictement obligé de l'aider et de le se-
courir, il faut mettre la main sur les propriétés des chevaliers de
Saint-Jean, et partager entre les bourgeois tout ce qui s'y trouvera
1 Voy. Stalix, t. IV, p. -296, note 3.
- Dans OEOHSLE, p. 109-110,
I.AHMKi; ÉVANfJÉI.IQUI': A IIEILBROW. 1525. 533
Les champs seront réparfis enlre les pauvres; les moines et les religieux
seront chassés. » Vers le milieu d'avril, presque toute la corporatiou
des vignerons d'Hcilbronii riait en bonne intelligence avec les cmeu-
tiers, et, dans la ville même, un p;irli puissant s'étail déclaré contre
le conseil. Ce parti se composait d'ouvriers à leur aise, de bourgeois
ayant autrefois servi, et de nombreux prolétaires, dont un inven-
taire tombé plus tard entre les mains des princes va nous permettre
d'apprécier les ressources : l'un d'entre eux ■ ne possède rien qu'un
bois de lit, un traversin et deux oreillers, sur lesquels sont couchés
ses six enfants » ; un autre « n'a qu'une table, un petit lit et quatre
enfants ; un troisième <^ a pour tout bien, lui et ses quatre enfants,
un vieux lit, une cruche et une cuirasse . Tous étaient d'avis qu'il
fallait sans délai défendre l'Evangile, soutenir la cause de Dieu, et
" passer les riches au crible . Le boulanger Hans Müller, surnommé
Flux, qui avait visité les paysans dans leur camp, vint redire aux
amis d'Heilbronn : - îSos frères se mettent en marche avec une
armée si considérable que les ennemis ne pourront jamais en ve-
nir à bout. Ils m'ont fait part de lous leurs plans; ils marche-
ront devant eux aussi loin que le monde est grand. Je les ai vus à
l'œuvre à Lichlenstern, où ils ont détruit et brisé tout ce qui se
trouvait ! A nous de tomber sur les nonnes et les moines! à nous de
châtier les affameurs qui les soutiennent! à nous de faire jouer le
glaive ! »
Le conseil d'Heilbronn, " divisé contre lui-même, privé de chef ",
ne résista pas longtemps. Le dimanche de Pâques, 16 avril, la
révolte éclata sur la place du marché. Ceux qui tenaient pour
les paysans envoyèrent des messagers à Georges Metzler et à
Jacques Rohrbach, les invitant « à se rendre promptement à Heil-
bronn, parce qu'il serait très- facile d'y pénétrer -. Si les conseillers
refusaient d'ouvrir les portes, on ferait sauter leurs tètes par-
dessus les murs ". Lue bande d'insurgés se rua sur l'hôtel de ville,
criant : -. A mort les scélérats qui sont là dedans! ' Ce ne fut qu'à
grand'peine que le prédicant de Saint-Nicolas, le docteur Lach-
raann, ami de Mélanchthon, parvint à les calmer. Lorsque la nou-
velle de l'attentat de VVeinsberg se répandit dans la ville, « les
conseillers tombèrent dans le trouble et le désespoir ». Aussitôt
après le forfait, quelques bourgeois qui y avaient pris part ou
avaient été de connivence avec les révoltés revinrent à Heilbronn.
Parmi eux se trouvait Christian Weyermann, t dont la pique,
encore dégouttante de sang, gardait des débris de cheveux et de
chair humaine -. En franchissant la porte d'Heilbronn, il s'était
écrié : - C'est maintenant que la danse va commencer pour de
534 L'ARMÉE EVANGÉLIQUE A HEILBRONN. 1525.
bon ! Tous les gens à éperons seront massacrés ! « Luz Taschen-
macher, dont la pîque était encore ensanglantée, portait l'habit de
gala du comte d'Helfenstein. Hans Waldner était coiffé de son béret
et avait son épée au côté; avec eux était aussi le « porcher de Kres-
bach », un misérable qui avait été des plus ardents au pillage du
château, et avait demandé à grands cris la mort du comte.
La « Fraternité " fut d'avis de . faire passer par les piques » tous
les grands seigneurs d'Heilbronn : u Nous allons nous faire justice!
maintenant cela va marcher! notre fortune commence! les coquins
nous ont assez longtemps trompés, leur affaire est claire! nous ne
ferons aucun mal aux pauvres, nous n'en voulons qu'aux riches. On
coupera les mains de tous ceux qui ont prêté serment contre nous! »
L'armée de l'I nion se présenta le mardi de Pâques devant la ville,
« demandant â danser à la kermesse d'Heilbronn ». Georges Metzler
fit savoir au conseil que lui et ses frères étaient venus pour châtier leurs
ennemis les prêtres. Le devoir de la ville était d'accueillir les frères
chrétiens, et les bourgeois devaient partager avec eux. Si la Fraternité
était repoussée, elle était résolue à mettre en haut ceux qui étaient
au dernier rang; mais si on lui donnait entrée de bonne amitié, les
chefs se prêteraient volontiers à un accommodement. Le conseil
entama les négociations; mais tandis qu'elles se poursuivaient, les
paysans pénétrèrent dans la ville, soit que les portes leur eussent été
ouvertes par ordre du conseil, soit que les bourgeois révolutionnaires
eussent pris l'initiative. Dès lors, les insurgés furent maîtres et sei-
gneurs de la cité. Rohrbach et ses affidés expliquèrent à la popula-
tion, assemblée sur la place du marché, « qu'ils ne voulaient rien entre-
prendre contre l'autorité de l'Empereur, et que, dociles à la doctrine
de saint Paul, ils avaient pris les armes pour protéger l'Evangile. >•
Cette « protection de l'Évangile » commença immédiatement par
le pillage de la maison de Saint-Jean. Les lettres, comptes, papiers
des chevaliers furent déchirés, éparpillés, jetés dans le ruisseau. Les
femmes et les enfants allaient et venaient, transportant du vin, de
l'avoine, du linge, de l'argenterie, des objets de ménage de tous
genres. Rohrbach établit un marché dans le château, et fît savoir à
toute la ville que le butin allait être mis à l'enchère. A la caisse du
blé des commendes, on voyait des bourgeois mesurer le froment et
l'avoine avec le bâton de justice et les balances municipales; les
femmes portaient des soutanes et des aubes de chœur, et s'étaient
fait des tabliers avec le linge d'église. Nous séjournerons quelque
temps ici », disaient-elles; quant aux bourgeois, ils peuvent aller
habiter nos villages! » Ou contraignit les chevaliers de Saint-Jean
de s'asseoir tête nue à la table des paysans. >' Aujourd'hui, mon petit
seigneur », disait un paysan à un chevalier, < nous sommes grands
L'ARMÉE ÉVAN(;ÉLIQUE A IIKILBRONN. 1525. 535
maîtres! » Et ce disant, il lui porta un si rude coup qu'il le fit tomber
à la renverse. Tout l'arfjent comptant qui se put trouver fut saisi et
partiijjé. Le couvent de Sainte-Claire dut payer une rançon de
5,000 florins; cehii dos Carmélites, situé à quelque distance de la
ville, eu oflrit 3,000 et, mal{;ré des promesses formelles, fut très-
endommafjé. Partout les paysans faisaient de riches captures ; aussi
cussenl-ils bien voulu voir se prolonjjer indéfiniment la < fraternité
évan{;élique >. Leur principal chef, Georges .Metzler, reçut pour sa
part 13,000 florins. Rohrbach déposa chez une veuve une somme de
soixante et onze florins, un rouleau de doubles ducats, des pierres pré-
cieuses enchâssées d.ms l'or, de superbes hanaps en arjjenf, et divers
autres bijoux de[»raude valeur. On vit un bourgeois d'Heilbronn por-
tant sur son dos un sac contenant 1,400 florins, partager la somme
avec quatre cmeutiers. Ces - féroces sangliers « pénétraient aussi
chez les prêtres qui étaient nombreux dans la ville, et s'emparaient
de l'argenterie, des gobelets d'argent et du vin qu'ils trouvaient.
Le conseil avait 'sacrifié le clergé à sa propre sûreté. Il ■ jura
d'observer localement les douze articles présentés par les paysans,
et fit savoir à (ous les habitants d'Heilbronn que chacun était libre
de se joindre aux rebelles, et que le^ citoyens qui voudraient suivre
les révoltés pourraient, plus tard, quand il leur plairait, rentrer
dans la ville sans crainte d'être inquiétés, parce qu'il ne serait fait
aucun tort à leurs droits de bourgeoisie, à leur réputation, ni à
leurs biens ' v .
' On lit dans une chanson populaire du temps :
( HeilbroM.n, tu as été coupable.
Tu n"a> pas bien réfl'^chi,
Tu expieras ta faute,
Car lu as causé la ruine de bien des gens!
A cause de loi, plus d'un coeur loyal
A été livré au d-sespoir,
Et beaucoup ont perdu la vie
Par suite de ton crime!
Tu as fait alliance avec les paysans,
Et tu n'y étais pas forcée,
Toi qui as de si profonds fossés,
I>e si bonnes murailles!
Alors les pauvres braves gens ont eu peur,
Car dans leurs campagnes.
Leurs vülag-rs, leurs bourgs découverts,
Ils n'avaient aucun secours à espérer!
Et à la fin
^'eut-on que je dise la vérité ?
Dans plus d'une ville
Le mal n'e-t pas venu
Des seigneurs ni du conseil.
Il est venu des vauriens
Qu iont dirigé tout le jeu,
Et qui, n'ayant rien à perdre,
Ont voulu gagner beaucoup.
LiLlE.NKRON, t. III, p. an, 451.
536 L'ARMÉE ÉVANGELIOUE A HEILBRONN. 15i5.
Aussitôt que le conseil de Wimpfen eut apprit qu'Heilbronn
avait ouvert ses portes aux insurgés, il leur envoya des délégués, et
conclut avec eux un traité de paix, aux dépens du clergé. La ville
s'engageait à livrer une certaine somme d'argent et à fournir
les paysans de vin et de blé prélevés sur les biens d'Église. Liberté
était laissée aux bourgeois de se joindre aux révoltés et d'adop-
ter leurs articles ; les meneurs révolutionnaires de la ville ob-
tinrent, pour eux et les leurs, une lettre de protection les met-
tant entièrement à l'abri, et laissant à leur libre disposition tous
les biens ecclésiastiques. Redoutant les représailles de la ligue souabe,
qui avait droit de juridiction sur Heilbronn, les paysans convin-
rent de ne pas arborer de bannière aux couleurs et armes de la
ville. Hans Flux, qui avait servi d'intermédiaire entre les conseillers
et les rebelles, leva donc l' < étendard libre d'Heilbronn. 11 exhortait
en ces fermes les habitants de la cité : « Chrétiens mes frères, mar-
chez hardiment sous cette bannière, venez prompt ement au secours
de l'Evangile! A tous sera donné un égal butin, même ration de blé,
de vin, même solde! Le riche sera tenu en même estime que le pau-
vre! " Le conseil consentit à fournir les révoltés de piques, de cui-
rasses, de poudre et de pièces d'artillerie. « Aussitôt que vous dési-
rerez nous revoir, faites-le-nous savoir au plus vite >, dit Flux à
l'un des bourgmestres au moment de quitter Heilbronn; à quoi
celui-ci répondit en tremblant : « Merci, cher Hans, et bonne
chance! '' Un bourgeois d'Heilbronn fut élu premier maître de
quartier au conseil de guerre des paysans. L n autre avouait haute-
ment le but qu'on se proposait : « Tomber sur les cités, égorger
tous nos ennemis, nous en donner à cœur joie! » Une troupe
de femmes suivait l'armée, portant comme les hommes armes et
cuirasses, et faisant cortège à cette même " Hofmann noire »
qui, à Weinsberg, avait plongé son couteau dans le corps du comte
d'Helfeinstein et avait proféré des imprécations sur Heilbronn et
surtout sur les conseillers, " ces scélérats et ces coquins ". Si l'on
avait suivi les conseils de cette mégère, la ville entière eiU été
détruite. Elle eut voulu « déchiqueter toutes les robes des nobles
dames pour les voir aller par les rues comme des oies plumées ".
Exhortant les troupes au pillage, elle leur répétait « qu'il ne
fallait pas laisser pierre sur pierre à Heilbronn, et que la ville
allait être transformée en village, parce que tout devait être ni-
velé ' » .
' Sur ces événements, voy. la relation de Jacques Sturm dans Schreicer,
t. II, p. 66. — Jager, Geschichte von Heilbronn, t. Il, p. 35-SO. — Zimbiermann. l. II,
p. 4i39-490. La Hofmann est l'une des personnalités les plus repoussantes de la
révolution sociale. Elle fit preuve ..une telle férocité que, parmi les femmes
KM EUT K. s DANS l,E \V lî lî T K M B E P, G . l.>2:i. 537
Le 22 avril, l'arinrc de l'Union quilta k- caini) d'Heilbronn pour
opérer sa Jonclioa avec plusieurs autres bandes qui, pendant ce
lemps, commandées le plus souvent par Florian de (ieyer, avaient
soumis à la « Fraternité n les contrées du Neckar, du Kocher et du
.laxt, soit par la force, soit du libre consentement des populations.
Une partie de ces bordes assaillit et pilla Scbeuerberfj, château
appartenant aux chevaliers de Sainf-.Iean et situé sur la montajyne qui
surmonte .\eckarsulm, et liorncck, donjon de Dietrich de Cleen,
grand maître de l'Ordre l'eutonique. Les révoltés pénétrèrent en-
suite au cœur du Wurtemberg.
Là, plusieiu's hordes s'étaient déjà l'ormées • pour ie soutien du
droit et de la justice, pour la cause du saint Évangile et de la parole
de Dieu = , L'une d'elles était entrée le 25 avril à Stuttgard, d'où le
Çonseilde régence autrichien s'était hâté de s'enfuir. D'autres avaient
soumis prescpic toutes les villes de la lorét Noire wurtembourgeoise.
Dans la ville libre de Hall, les paysannes, accourues des environs,
choisissaient d'avance les maisons qu'elles se promettaient d'habi-
ter. " Avant peu % disaient-elles aux bourgeoises de la ville, •= nous
aussi nous serons de grandes dames! ■ Néanmoins la ville essaya de
résister; mais ses paysans Iraternisèrenl avec les bandes de la sei-
gneurie de Limpurg, qui avaient leur quartier général à Gaildorf,
et qui, brûlant et pillant sur leur passage, jetaient l'épouvante
parmi tous ceux qui avaient encore quelque chose à perdre. Ces
hordes s'intitulaient 1' « Union générale », et prétendaient ne s'être
associées que par un motif fraternel de charité chrétienne, pour
établir le saint Evangile et pi)ur extirper les abus >. La rage de
destruction des insurgés se donna surtout carrière au couvent de
Lorch, auquel ils mirent le feu le 12 mai; ils n'épargnèrent même
pas les tombes des empereurs de la maison de Hohenstaufen. Le
capitaine d'une compagnie formée dans les villages du territoire
de Gmünd marcha avec trois cents hommes contre le château impé-
rial de Hoheustaulen, le pilla et y mit le feu. Partout vainqueurs,
hussites qui, au quinzième siècle, se firent remarquer par leur cruauté, leur
féroce soif de vengeance, on trouverait difficilement son égale. Auxiliatrice
et conseillère de Jacques ({ohrbacli, elle ne respirait qu'incendie, pillage,
meurtre. Elle marchait ù la téta des hordes armées dont, elle enflammait le cou-
rage : « Dieu était pour les paysans, ils devaient marcher joyeusement, hardi-
ment ! ^ Elle avait prononce sur eux des sortilèges; aucune pique, hallebarde ou
balle ne pouvait leur nuire. Zimmermann, t. II, p. 490, célèbre la • Hof-
mann >, et l'appelle la Jeanne d'Arc de la guerre des paysans! « Triste opprimée,
femme héroïque sortie des huiles du Neckar, être fatal, à l'âme énergique et
sauvage, cœur passionné, aimant et haïssant avec la même vigueur, avec ton
Dieu U vcui! sur les lèvres et ton âme éprise de vengeance, de guerre et de li-
berté, comme tu vivrais dans la légende et dans l'histoire, comme la musique
et l'éloquence l'auraient glorifiée, si ta cause avait triomphé, ou si du moins
tu n'avais pas pris naissance dans la hutte du paysan i .
538 EMEUTES DAMS LE WURTEMBERG. 1Ô25.
les paysans se persuadaient que Dieu était avec eux et prenait lui-
même leur défense. Les conseillers de Gmünd furent invités à plu-
sieurs reprises à se joindre à la « Fraternité ». Si vous hésitez »,
leur écrivaient avec menace les bandes de Gaildorf, « de par la justice
divine et le courage que Dieu nous a mis au cœur en nous révélant
sa sainte parole, nous marcherons contre vous, et ne vous regarde-
rons plus que comme des impies et des ennemis de Dieu. «
Mais les paysans du Wurtemberg dissuadèrent les incendiaires de
Gaildorf de pénétrer plus avant dans le pays. ^- lis se sentaient en
état V, disaienl-ils, - de purifier eux-mêmes les couvents et les coffres-
ibrts du duché. »
« Voilà déjà le septième jour que je marche avec les paysans ',
disait le général de la horde de Stuttgard à un enseigne qui lui ame-
nait un renfort de deux cents hommes; 'j'ai cru d'abord qu'ils ne
se proposaient que le règne de TÉvangile, mais je vois bien à présent
que la plupart d'entre eux ne songent qu'au vol et au pillage, ^i
Le duc Ulrich, qui avait conclu depuis longtemps une aUiance
en règle avec les insurgés du Hegau et de la forêt A'oire, et qui,
d'Hohentwiel, leur avait envoyé toute son artillerie, ne se trouvait
pas en personne parmi les bandes dévastatrices de Wurtemberg;
mais son conseiller et chargé d'affairef, Fuchs de Fuchstein, mar-
chait avec le quartier général et rendait compte au duc de tous les
mouvements de l'armée. Lorsque les révoltés se furent emparés de
Sulz, ville appartenant au comte de Geraldseck, Ulrich, alors à
llothweil, où il s'était établi avec sa cavalerie, fit dire à Fuchstein
« qu'il devait s'efforcer de soustraire la ville à la domination du
comte, car autrement les hordes n'agiraient pas fraternellement
envers lui >•. - Lorsque vous êtes sur le point de livrer bataille -,
disait Ulrich aux paysans, « faites toujours votre possible pour
que les choses se passent rondement et que l'assaut soit donné
avec entrain et vigueur, car cela est très-important. Si nous agissons
avec énergie, nous ne pouvons douter qu'avec l'aide du Seigneur la
victoire ne soit nôtre '. Dieu est pour nous! »
' ZiMME[iM\NN, t. II, p. 337-385 — Wagner, p. 233-244. — Stalin, t. IV, p. 288-
295. Parlant de son alliance avec les paysans, Ulrich écrivait le 29 avril 1525 à
schaffhouse : ■ Comme Dieu et la nature nous permettent d'adopter et de cher-
cher tous les secours possibles pour recouvrer notre bien, nous nous sommes mis
d'intelligence avec l'assemblée des paysans, maintenant réunie dans le Hegau et
la forêt \oire, et nous avons reçu d'eux l'assurance qu'ils nous aideraient à
recouvrer notre terre et nos gens avec toutes nos propriétés, nous permet-
tant ainsi de rentrer dans notre droit.» — Schreiber, Bauernkrieg, t. II. p. 69.
Sur le séjour d'Ulrich à Rothweil, voyez la Chronique de Villinger, dans Mo>e,
Quellensammlung, t. II, p. 85. Voyez la lettre d'Ulrich à Fuchstein du 7 mai
1525 dans OEschle, p. 349. . Beaucoup disaient , écrit le chroniqueur de Berne
Anshelm, t. VI, p. 287, >. que Dieu avait permis que le duc ne fiU pas choisi
GÖTZ DE BERLICHINfJEN, GÉNÉRAL i;\ CHEF DES REBKI.LES. 5:i9
" Lc Saint-Esprit se déclare pour le peuple, Dieu le veut, tout
doit nous réussir! » (elle «'lait aussi la eonviclion des liorrles incen-
diaires qui s'étaient rassemblées dans le mar{;raviat de Bade, et se
ruaient sur les couvents et les châteaux. « Ton bien est mon bien,
mon bien est ton bien «, disait un prolétaire à un comte, : car nous
sommes tous frères, tons é{;aux dans le Clirisf ' ! » Durlach pactisa
avec les insurgés et laissa pénétrer environ trois mille hommes dans
ses murs. Bientôt, aux paysans badois vinrent s'unir les hordes de
l'évéchcde Spire venues du Brulirain; elles au.ssi s'élaient assemblées
pour prêter assislance à la jusiice de Dieu; elles s'étaient emparées
de Bruchsal et y avaieni installé un nouveau pouvoir (23 avril). Il
avait été décidé qu'a l'avenir, deux de leurs chefs, Frédéric Wurm
et Jean de Hall, refîneraient sur le pays, dirigeraient et conduiraient
tout au nom des paysans. Les ^ hordes unies des pays de Bade et
du Bruhraiu « dévastèrent toutes les abbayes et châteaux des en-
virons. < En somme, les paysans sentaient leur cœur bondir d'allé-
gresse à la vue des ruines qu'ils avaient amoncelées. >' Des pour-
parlers de paix enlamés par l'évèque Georges de Spire et le
margrave Philippe de Bade, et basés sur les réclamations des ré-
voltés, n'eurent aucun résultat; les voies de fait, les pillages conti-
nuèrent de plus belle. Dans le Palatinat, où l'émeute s'était égale-
ment soulevée presque partout, les énergiques efforts du comte
palatin Louis pour aj)aiser la révolte et mettre fin aux dévastations
n'eurent aucun effet durable^.
VI
Après la prise d'FIeilbronn, les hordes des émeutiers de Franconie,
dispersées de côté et d'autre, se réunirent à Gundelsheim, où les
chefs tinrent conseil. Wendel Hipler, chancelier et premier secré-
taire des rebelles, proposa de solder les lansquenets qui se trou-
vaient en grand nombre dans les environs, et de les employer à l'in-
struction militaire des paysans, afin qu'on put s'appuyer sur un noyau
de troupes expérimentées. Mais les paysans repoussèrent ce plan,
par les paysans pour général en clief, parce que son conseil et son habileté
auraient plongé tout l'Empire dans la détresse, ou bien qu'il eût tout conquis
pour lui-niéine, étant donné les forces dont il disposait et la faible résistance
qui lui était faite. »
' Voy. ZiMMEivMWN, t- II, p. 584-58G.
^ Battcinkrieg am Oberrheim, dans Mo.NE, Quellensammlung, t. II, p. 18-31. — Haarer.
p. 27-34, 36, 50-59. — Voyez IUrtfeldf.r, Bauernkrieg, p. 198. — GEISSEL, p. 275-
297.
540 GÖTZ DE BERLICUINGEX, GENERAL EN CHEF DES REBELLES.
n'étant nullement disposés à partager avec d'autres le fruit de leurs
rapines. En revanche, ils adoptèrent le second projet de Hipler, et
élirent pour leur général en chef Götz de Berlichingen. Götz, depuis
longtemps leur ami ', se présenta donc au camp de Gundelsheim et
fut reçu solennellement dans la Fraternité. On lit dans une cir-
culaire datée du 21 avril lô2ô : « Moi, Georges^ .Metzler de Ballen-
berg, général, et les autres chefs des hordes chrétiennes, nous fai-
sons savoir à tous que nous avons reçu dans notre association et
Fraternité le très-loyal chevalier Götz de Berlichingen ^ - Le plan
des révoltés était de soumettre d'abord les territoires de Mayence et
de Wurzbourg, puis de se porter vers Trêves et Cologne.
Le 30 avril, l'armée des rebelles, commandée par Götz de Berlichin-
gen et Georges Metzler, parut devant Amorbach, abbaye bénédictine.
Les deux chefs déclarèrent à l'abbé et aux conventuels, • avec force
menaces et graves paroles ", qu'ils étaient venus en qualité de frères
chrétiens pour réformer le couvent, et que les religieux devaient
« leur remettre de bon cœur tout l'argent comptant, les ouvrages
d'orfèvrerie, les joyaux, enfin tout ce qu'ils possédaient, sous peine
de perdre la vie ». Pendant qu'on parlementait, la ■• horde frater-
nelle ') pénétra dans l'abbaye, pilla et détruisit tous les objets de
prix qu'ils y trouvèrent : vêtements, vases sacrés, missels précieux
recouverts d'or et d'argent, vins et céréales, bestiaux et meubles;
l'autel fut profané, le magnifique orgue de l'église brisé. « Et
tout cela -, dit une relation du temps, « les chefs, et surtout
Götz, eussent pu aisément l'empêcher; mais leur propre intérêt les
égara; ils crurent que là où était la guerre, le pillage devait jouer le
premier rôle. » Götz eut sa part du butin. Un lot de joyaux valant cent
cinquante florins lui fut assigné; la riche crosse de l'abbé en faisait
partie, et sa « digne épouse » en arracha aussitôt les perles et les pier-
reries pour se faire un collier. « Outre cela, les paysans abandonnèrent
au chevalier-brigand une somme de cinquante florins. L'abbé, dé-
pouillé de son habit religieux, revêtu d'une blouse de laine que quel-
qu'un lui avait prêtée par compassion, dut assister au banquet. " On
ne but guère que dans les calices, dont seize avaient été dérobés
à l'abbaye. Comme l'abbé ne parvenait pas à dissimuler sa douleur,
Götz lui dit avec ironie : >< Soyez donc de bonne humeur! ne prenez
pas la chose si à cœur, ne vous affligez pas tant 1 j'ai été moi-même
trois fois ruiné, et pourtant je suis encore ici! L'habitude vous
manque! » « Un pauvre paysan apporta trois hanaps, dont l'un
d'or massif et les deux autres d'argent doré. Il les avait, dit-il,
' Voy. plus haut, p. 525.
- Dans OECHSLE, p. 342.
INSUKRECTION A K R A N C K) IM -S (! i;-L E-.M K I N. 5il
Irouvés dans le clocher, sous les ardoises, où le sacristain les avait
c;ichés. Les chefs s'eu saisirent, et fircnl fo(iciU;r rie verjjes le sa-
cristain '. >'
Ü'Amorbach, (iötz et .Meizler, en leur qualité de premiers chefs du
conseil cl delà conin)unaulc deGundelsIieiin > , firent publier un ordre
sévère enjoi[;naut de détruire cntiérenieni et de raser -^ sans nid délai
le château d'Horncck, ancienne résidence du {jrand maître de l'Ordre
Teutoniquc. A AmorJjach, les chefs décidèrent aussi le massacre de
tous les princes, seijyneurs et nobles; cependant ils s'enp,ageaient
à ne point in((uiéler les {gentilshommes qui viendraient de leur plein
gré leur jurer foi et homma[ie^
Bientôt on apprit à Francfort-sur-le-Mein que l'armée évangélique
marchait sur la ville, et se proposait d'exterminer les chevaliers de
l'Ordre Teu Ionique et les Juifs'.
VII
A Francfort aussi, pendant ces fêtes de Pâques que les paysans
célébraient de tous côtés, cette année-là, par des émeutes et des pil-
lages '■, une émeute avait éclaté. Le docteur Gérard Westerbourg,
de Cologne, beau-frère de Carlstadt \ partageant toutes ses vues,
en avait été le véritable instigateur. Il se donnait pour ^ un homme
de Dieu »; il avait fondé '• une Fraternité évangélique ", et dans sa
maison, ordinairement pendant la nuit, faisait de fréquentes con-
' Tiré du cahier des doléances de Mayence, dans OEciisle, p. 350-352, Zimmer-
mann, t. Il, p. 504-506.
^ Berlichingi;n-K()Ss.\h. Gesch. des Ritters Götz ton Berlichingcn -Leipzlff, 186l'i.
p. -230. — Voy. Wegele, p. 15!)-I64, où il est ainplemeiit prouvé que Götz n'était
pas aussi innocent qu'il s'est représenté dans ses mémoires. Voyez l'article de
A. Baumgartner sur G(ilz, dans les Stimmen aus Maria-Laach. 1879, p. 298-315.
^ Aveux de Dyonisius Schmid, dans OLcusli:, p. 372.
* Sur l'insurrection de Francfort, voyez pour plus de détails Ki\iEr.K. Frank/ui-
icr Bürgerzwiste und Zustande, p. 137-203, et Steitz, Gerhard lieslerburg, 70-102. Le
premier de ces historiens envisage les événements plutôt au point de vue poli-
tique, le second se place surtout au point de \ue relifjieux t-t social, a I'o!]-
vrage de Kriegk comparez les articles d'Otto dans les Histor. pol. Bl., p. 74, 32t!-
332. Sur la rédaction îles articles de Francfort par Westerburfj, voy. le .Journal
de Königstein, n» 86, p- 2-20. et les Annales de Fichard, dans Fichard' s Frankfur-
ter Arcliir. für ältere deutsche Lilteralur und Gesch. (Francfort, 1811), p. 16. Quant à
l'origine des articles, comme Otto l'avait déjà remarqué, les recherches n'ont
pas encore donné de résultat certain. — Voy. Stern, Die Artikel der Frankfurter
vom April 1525, dans les Forschungen zur deutschen Gesch., t. I.V, p. 631-641, et
Stiucker, dans les Mitlhcilungen des Vereins für Frankfurts Gesch. und Allerthumskundc,
t. IV, p. 195.
ä Voy. K RAFFT, flricfc Und Documente, p. 85.
542 INSURRECTION A F R ANC FO RT-S U R-L E-M E I N-
férences aux factieux. Avant l'explosion du complot, le 17 avril,
il avait rédigé des articles, qui avaient été envoyés en manuscrit
de Francfort à Mayence, puis portés à Cologne pour y être im-
primés, et enfin répandus par beaucoup d'exemplaires, dans le but
avoué d'exciter une émeute, s'il se pouvait, simultanée dans ces
deux villes. Ces articles étaient à peu près semblables à ceux des
autres révoltés; ils commençaient par rejeter l'autorité ecclésiastique
et temporelle; puis ils s'élevaient contre les taxes excessives, l'usure
juive, les concussions et déloyautés des avocats, et, comme les autres,
se fondaient sur l'Evangile. Dans l'envoi au conseil qui les précède,
on lit : " Bien que le Dieu tout-puissant ait communiqué à tant
d'âmes l'Esprit de vérité et le véritable sens de son saint Évangile,
qui illumine les cœurs dans la foi, cependant les clercs ont continné,
sans aucun motif, à opprimer le saint Évangile ; le diable, dont ils
sont les serviteurs, a tout fait pour égarer le peuple; ses calomnies,
ses injures, colportées par ses agents, ont partout répandu le men-
songe, et répété que la parole de Dieu engendre l'émeute. Or, comme
il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, il est urgent que nous
adoptions entre frères certaines lois ayant en vue la gloire de Dieu,
l'honneur de >'otre-Seigneur Jésus-Christ, et le triomphe de l'amour
et de lu concorde fraternelle. Il faut que nous nous réformions nous-
mêmes, afin que des étrangers n'aient point à nous réformer'. »
Déjà, pendant un office du carême, le bruit avait couru dans
l'église qu'avant la fin de la messe " on verrait dans la ville quelque
chose de nouveau, parce qu'une vaste conspiration e! émeute se tra-
mait, et que nobles et roturiers en faisaient partie ». Le 17 avril, les
habitants des principaux faubourgs s'unirent, et quelques jours
après, la ville était au pouvoir des insurgés. < L'honorable conseil ",
dit la Chronique de la ville, « était semblable à un orphelin surpris,
trahi, abandonné et désarmé, et comme ceux qui ne sont plus en sé-
curité de leurs corps, de leur vie, de leur honneur et de leurs biens*. »
Les chefs des insurgés qui avaient formé un comité révolutionnaire
composé de soixante et onze membres étaient : le tailleur JNico-
las Wild, surnommé ' le Guerrier ", parce qu'il avait servi quelque
temps; puis l'ami de Westerbourg, Hans Hamerschraidt de Siegen,
" chef hardi des cordonniers et des apprentis cordonniers^ ». Le
conseil ayant demandé que quatre de ses membres fussent adjoints
' Voy. Steitz, p. 75.
^ Aufiùhrbuchj p. 7.
S Voy. Kriegk, p. 509, note !09. • Duo ex infima plèbe, alter si:tor, alter sar-
tor, seditionis fuere capita, » lisons-nous dans une relation de l'émeute com-
muniquée par Faust. Fischard dit aussi dans ses Annules: « Duces illiusscdilionis,
quorum praecipui eraut Nicolaus Wild, sartor, vir temerarius et inter milites
aliquot annis versalus, unde vulgo dicebatur a!io cogncraine N. Krieger, alter
INSURRECTIONS I>ANS I ES KV^XIIKS liE MA^ENrF ET UV. TRftVES. 5Vi
au comilo, les révoltés ré|)ontlirenl ([»'ils n'avaicnl .uiciin besoin
fie conseillers; qu'ils étaient à eux-mêmes leurs conseillers, leurs
bourgmestres, leur pape et leur empereur. Les villages environ-
nants pactisèrent avec les rebelles, et vinrent appr)rlcr leurs récla-
mations au conseil.
Dans une adresse présentée le 22 avril au conseil par le comité
révolutionnaire après la remise des articles, nous lisons : u si nous
devions nous en rapporter aux anciens contrats et aux lois hu-
maines, comme cela s'est pratiqué jusqu'à présent, il nous faudrait
abandonner la parole de Dieu et renoncer à l'amour fraternel; or
nous sommes chrétiens, et il ne peut nous convenir en aucune ma-
nière de nous laisser plus longtemps opprimer par des maximes
païennes, opposées à rKvangile. Nous aimerions mieux perdre
nos biens et nos vies que de tolérer que la crainte des homme«, les
institutions humaines ou les privilèges portassent plus longtemps
atteinte à la parole de Dieu. Cependant si par mégarde il s'était
glissé dans un ou plusieurs de nos articles quelque réclamation con-
traire à l'Kvangile ou blessant la charité fraternelle, et si ce fait
nous était démontré par des textes précis, tirés de la sainte Ecri-
ture, nous consentirions aussitôt, pour la gloire de cette divine pa-
role, en toute cordialité et bonne volonté, à nous laisser corriger,
et nous aurions égard à la remontrance qui nous seniit adressée.
Mais ce fait ne s'élant pas encore produit, nous déclarons ne pas
vouloir nous laisser égarer <à l'avenir par les lois humaines, résolus
que nous sommes à persévérer dans l'observance de la parole de
Dieu et dans la pratique de la charité chrétienne'.
Les insurgés ne cessèrent de menacer et d'intimider qu'après
avoir obtenu du conseil et du clergé la sanction de tout ce qu'ils
réclamaient. « Le conseil ", lisons-nous dans un acte municipal offi-
ciel, « ne sachant comment se comporter dans des circonstances
si difficiles, se résigne, en présence de l'injuste violence qui lui
est faite, à adopter, comme on le lui demande, les articles pro-
posés. » Les conseillers jurèrent donc d'observer les articles, au
nombre de quarante-cinq; puis les bourgeois, levant la main, re-
nouvelèrent leur serment. La révolution paraissait apaisée et la
tranquillité rétablie.
IMais on s'aperçut bientôt de l'importance qu'avait l'habile res-
triction placée à la fin des articles. Les insurgés, eu effet, s'étaient
réservé le droit, si le besoin s'en faisait sentir, d'y ajouter les récla-
.loaiines Ilamerschmilt a Sigen, siilor, ambo vicini el veteres amici. - Aufruhrlmch,
t. VIII, note 1. Voy. Cochl-EUS, De actis et scn'ptis Luiluri, p. 115.
' Au/iuhibtick, p. 45-46. — Voy. Steitz, Gerhard Wcslcrburg, p. 8"2.
544 INSURRECTIONS DANS LES EVÉCHES DE MAYENCE ET DE TRÊVES.
mations « qui, après un raiîr examen, sembleraient légitimes et vrai-
ment conformes à la volonté divine . Aussi le comité révolution-
naire, au lieu de se dissoudre, forma-t-il avec les plus radicaux de
ses membres un comité plus restreint qui, sous la présidence
d'Hans Hammersclimidt, apportait tous les jours de nouvelles de-
mandes au conseil, ajoutant continuellement à ce qui avait été
adopté, " imaginant, forgeant sans cesse de nouveaux articles, et
s'efforçant de rendre les anneaux de la chaîne toujours plus longs
et pUis solides >■.
Dans les villes et villages, de Mayence à Coblent?, les paysans et
les bourgeois se soulevaient. A Mayence, le 25 avril, les insurgés
s'emparèrent des portes de la ville, et se saisirent de Tartillerie.
Le coadjuteur de Tarchevéque, Guillaume, évèque de Strasbourg, et
le chapitre, parlemenièrent avec eux, et consentirent à adopter les
articles*. Les chefs de la révolte distribuèrent dans tout le Bhein-
gau « des symboles d'alliance, des invitations à l'émeute, des as-
surances de mutuel secours^ ». Tout le pays était travaillé par
des agents révolutionnaires éloquents et habiles, probablement
envoyés par Luther; ils représentaient tous les jours aux gens
du peuple que si, imitant l'exemple donné par tant de sujets des
princes de l'Église, ils savaient se débarrasser du gouvernement
des clercs et voulaient enfin être libres, ils n'avaient point de
temps à ])erdre, et devaient profiter d'un moment où ils pou-
vaient compter rur la sûre protection de princes puissants et
de seigneurs dévoués ^ Le Rheingau ne tarda donc pas à lever
aussi l'étendard de la révolte; le coadjuteur et le chapitre furent
sommés d'adopter les articles". Aux environs de Trêves, dans les
territoires de Sarrebourg et de Blies -Castel, des insurrections
' Voy. Hennés, Albrechl von Brandeuburii, p. 212-216. — May, t. I, p. 665-669.
- Voy. BODMANN, Rheingauischc AUerlhiimer , p. 416, note 6.
^ Aus den Manualactcn des rhcingauischen Statthalters Vltsthum Heinrich Brömser, dnns
BODMANN, p. 419, note 4. — Voy. Falk, Luther und der Bauernaufruhr im liheingav,
dans le Katholik, 1877, p. lOi-108.
■* L'un de ces articles portait : » .\ucun Juif n'habitera ou ne séjournera à l'ave-
nir dans le Rheinfïau, àcause du dommage que les Juifs font au pauvre homme.
SCHIJNK, Beitrage zur Mainzer Geschichte^ t. 1, p. 181, 201. Un article présenté par
les paysans du Sundgau et de l'Alsace demande aussi que « tous les Juifs soient
chassés du pays, que les autorités ne leur concèdent ni droit de bourgeoisie ni
droit de colon, et qu'elles ne leur accordent ni protecliou ni asile ». La chevalerie
du Rheingau déclarait relativement à cet arti; le « qu'en ce qui la concernait, elle
l'acceptait entièrement ». — Schreiber, Bauemlricj, t. III, p. 20, 31. Les paysans
des environs d'Isenheira voulaient qu'on leur livrât îous les biens des Juifs et des
prêtres, pour qu'ils en fassent tel emploi qu'il leur plairait. A Rergheim, lesémeu-
tiers mirent en pièces tous les livres juifs et saccagèrent les synagogues. Hart-
FELDEK, Bauernkrieg, p. 27, 83. Les bourgeois de Mayence se bornaient à demander
que le commerce, les ventes et les achats de vêtements, d'argenterie, de vaisselle
d'étain, d'objets neufs ou vieux, sans en rien excepter, leur fussent interdits.
FHANCFOirr-SUR-LE-MKIN MKNACKE. J5i5 515
t'clnlèrent eu mémo (enips. Wesel et lioppard fureiil sur le point
de p;icliser avec les rebelles. La nouvelle de ra|)|)roche des paysans
ineendiaires jetait les populations dans réponvanle. « F.n l'espace
de (juelques jours >•, écrit l'arclievcVjue liicliard de Trêves le
17 avril, < beaucouj) de hameaux et de villages des bords du Rhin
ont été criminellcnieni incendiés, soif tolalemeni, soit en |)arlie,
et Ton prétend que des niendianls, des {jeiis sans aveu, ont élé
chargés de la beso{;ue '. '•
L' « année unie de l'CJdeuwald ;' s'ellorçail, au moyen de ses
émissaires, de contraindre les populations des diverses régions de
l'archevêché de .Mayence à embrasser la < sainte cause de l'Évangile » .
Francfort aussi, disaient les chefs, devait être obligée à se convertir.
Sous la conduite de GiUz de Berlicliingen et de (ieorges >îelzler,
l'armée des rebelles résolut de marcher sur cette ville. A celte nou-
velle, le conseil de Francfort se iiàia de demander aux corporations
s'il pouvait compter sur elles en une nécessité si pressante. Oiielques-
unes répondirent < qu'elles exposeraient volontiers leurs corps et
leurs biens pour le service de l'honorable conseil et de la commune,
et qu'elles avaient bonne souvenance de ce qu'elles avaient jadis pro-
mis et juré, mais que, dans la crainte d'attirer de grandes calami»és
sur Francfort, elles ne s'engageaient nullement à prendre la défense
des clercs et des .luifs ». D'autres déclarèrent que, si les paysans se
présentaient, elles étaient décidées à ne plus obéir qu'au comité révo-
lutionnaire. " il y avait dans les corporations ><, dit Konigstein,
qu'ilsii'exerçassent plus le mélier de changeur, qu'ils s'abstinssent de toute espèce
de commerce jusqu'.^ la procluiine foire, etc., etc., Sciunk, t. HI, p. 69 19 avril).
.\ Francfort, la populace fut sur le point de se ruer sur les Juifs, qui ne durent
leur salut qu'à rinterveuiiou de quelques liourjjeois courageux. Dans leurs
articles, les Francforlois demandaient • que rinloléraljle usure par laquelle les
.luifs oppriment le pauvre homme leur fi*!! absolument interdite, et qu'à 1 avenir
il leur fi\i défendu soit d'acheter, soit de vendre, f.e conseil répondit ù ces récla-
mations que, de son côté, il était résolu à ne plus tolérer linique usure juive, dont,
au reste, il n'avait pas élé suffisamment informé: mais qu'il serait difficile de
défendre aux .luifs de vendre ou d'acheter à l'intérieur de la ville. - Kirchnep.,
Geschichte von Franc/uri, t. Il, p. 513-521. Dans une lettre de .Mutian à Frédéric de
Saxe '25 avril 15J5', il dit que les entretiens qu'il a eus avec les hommes les plus
éclairés de son temps l'ont convaincu que les villes libres, par de secrètes ma-
chinations et sous le couvert de l'Évangile, excitaient en sous-main les paysans
à la révolte, encourageaient les intrigues de meneurs turbulents, soutenus par
les .luifs, rêvaient la ruine des maisons princières, de la haute noblesse, du gou-
verneur, des évéques et des princes spirituels, et songeaient à donner à l'État la
forme républicaine. Ce témoignage est curieux. — Tentzelii Rel. epp. Miuiani,
p. 75. En ce qui concerne les plans des villes libres, il ne manque pas de vrai-
semblance; mais par rapport aux Juifs, aucun fait ne le confirme. En tout cas, on
ne peut conclure des paroles de Mutian que les Juifs aient jamais formé quelque
alliance avec les paysans. — Voy. \. Stekn, De Juden im grossen deutschen Bauern-
krieg 1525, dans le Jüdischen Zeitschrift für Wissenschaft und Leben (Breslau, 1S70',
8" année, 57-72.
' Kraus, Deiiräge, 16-17.
11. 35
5i6 TRAITÉ CONCLU PAR LE COADJUTEUR AVEC LES REBELLES. 1525.
« bon nombre dé misérables qui se réjouissaient de conduire à l'abat-
toir les prêtres, les Juifs et les chevaliers de Saint-.lean, et donnaient
à entendre qu'ils n'observeraient les articles qu'autant qu'ils les
trouveraient ä leur gré. • La maison du grand maître de l'Ordre Teu-
tonique fut menacée de pillage; les compagnons s'emparèrent de
plusieurs propriétés foncières appartenant à la ville; ils allaient de
maison eu maison, cherchant à exciter l'émeute. Un membre du
comité révolutionnaire courut sonner le tocsin, voulant, disait-il,
mettre sur pied la populace, surprendre les conseillers et traiter avec
euK à sa guise. Le vieux bourgmestre, assailli dans sa maison, dut
payer une rançon de cent florins; entre le parti radical et le parti
modéré, les choses en vinrent bientôt à une lutte ouverte'.
Heureusement, l' armée de l'Union changea lout à coup son
plan de campagne. Ce revirement subit lut pour Francfort comme
un sauvetage opéré au moment du plus extrême péril ".
L'armée, après avoir contraint les neuf villes de l'archevêché de
Mayence situées dans l'Odemvald et sur le Rhin à faire partie de
r Ci Union ", rebroussa chemin, et vint assiéger dans son château
le coadjuteur de l'archevêque d'Aschaffenbourg. La bourgeoisie
seconda les insurgés de tout sou pouvoir. ■- Nous avions solennel-
lement promis au coadjuteur Guillaume, lorsque nous fûmes infor-
més de la venue des paysans, d'exposer notre corps et nos biens pour
Sa Grâce '■ , avouait plus tard le conseil, '^ et le coadjuteur avait accepté
tous les articles que nous lui avions présentés, nous donnant eu outre
beaucoup de gracieuses assurances. Mais nous avons pitoyablement
oublié nos serments. » Le coadjuteur ayant manifesté l'inteulion de
s'embarquer pour Steinheim avec sa suite et toute la chancellerie,
les bourgeois s'ameutèrent, coururent aux armes, s'emparèrent des
portes de la ville, élevèrent des barricades avec des charrettes, des
tonneaux, des arquebuses, laissèrent pénétrer dans la ville deux cents
paysans de Spessart et, secondés par eux, tinrent durant trois jours
le coadjuteur prisonnier dans son château, jusqu'à ce qu'enfin il eût
consenti à parlementer avec l'Union et à accepter les articles. En-
suite ils proposèrent aux paysans de Spessart d'assaillir les maisons
des clercs, promettant de les y aider, d'emporter tout le vin qu'on
pourrait y trouver, et de le boire avec eux. Ils poussèrent aussi à
la révolte les villageois des environs, et en envoyèrent un grand
nombre seconder les bourgeois qui déjà marchaient sur Wurzbourg ^
' Pour plus de détails, voy. Kriegk, p, 168-178.
* l'eischreibuiig von Montag nach unsers Herrn Frojileichnamslag (19 juin) 1525, dans
M.\.Y. Beilauen und Urkunden, p. 145-150. — Voy. la lettre de l'évêque (^iuiliaume à
l'archevêque Richard de Trêves, vendredi après Misericordiœ (5. mai; 1525, dans
Kraus, p. 30-31.
EM K UTK DANS f, F. V I- C H K [iE \V t: i; Z C 0 U li G. 1525. 5i7
Non-sculcmcnl le coadjiilcur, .ipprouvé pur le chapitre, adopta les
douze articles dans le traité qu'il conclut le 7 mai avec les insurgés,
mais il eut encore la faihicsse cracceplei' luiil ar-liclcs sup|)léineri-
laircs, calculés pour (■Iciidre l'insurreclion à tout le |)ays. Les villes
et villages y étaient sommés de i-aliticr le traité, de promettre et
de jurer de le niainlenir, et en consé(|uence de se montrer obéis-
sants envers les cliel's élus par l'Union. Les communes qui relu-
seraieut de se soumettre pouvaient s'attendre à être assaillies. Elles
devaient s'engager, en cas de nécessité, â aider et à protéger les
Irères chrétiens, c. et à mettre à leur disposition les fusils et pièces
d'artillerie -. Tous les nobles devaient, dans le courant du mois, se
présenter devant les chefs de l'Cuion et se faire recevoir dans
la Fraternité. S'ils s'y refusaient, on devait les y contraindre. Le
cler};é de l'archevêché devait fournir, dans un délai de (juinze jours,
une somme de (juinze mille florins. « Tous les couvents seraient
ouverts », et le prêtre ou le religieux qui continuerait à porter un
habit particulier serait exclu de la ^< concorde et union frater-
nelle . Le coadjuteur souscrivit à tout, et promit en outre de se
soumettre à ce qui serait adopté et ordonné dans la suite par des
personnes équitables, éclairées, compétentes et propres à bien
juger des véi-itables intérêts du pays. Le conseiller du coadju-
teur, Max Stumpf, qui eut à cette négociation la part la plus im-
portante, alla jusqu'à promettre aux rebelles de marcher avec eux
sur Wurzbourg ',
Le comte Georges de Wertheim ne montra pas plus de courage.
Il vint en personne au quartier général de l'armée de l'union, à Mil-
tenberg, où avait été signé ce traité. Il prêta serment de fidélité aux
chefs des insurgés en leur donnant la main, promit de les aider de
sa personne et de ses biens, leur envoya tout de suite des vivres et,
comme l'armée se disposait à quitter Miltenberg, se mit en devoir
de la suivre avec son artillerie et d'abondantes munitions-. Il in-
cendia et saccagea deux villages des environs, l'abbaye de Bronn-
bach, le monastère des Carmes à Grünau, près de Wertheim, et
le cloitre bénédictin de Holzkirchen, entre Weriheim et Wurz-
bourg ^ Aussi l'évêque de Wurzbourg se plaignait-il plus tard
amèrement du comte Georges. Il avait, disait-il, lâchement aban-
donné son seigneur au moment de sa plus extrême détresse. Non-
seulement, après en avoir été requis, il avait refusé de lui envoyer
• Voy. Zimmermann, t. II. p. 5Î9-521. — Hennés, p. 205-207.
- Voy. Zimmermann, t. II. p. 521.
' S'il faut en croire le Livre brun des archives de de Wertheim, docu-
ment qui du reste n'est nullement défavorable au comte. Communiqué par
A. Raufmann, dans les Freiburgr^ Diöeeian Archiv., t. II, p. 50.
35.
548 ÉMEUTE DANS L'ÉVÈCHÉ DE VVUIiZBOURG. 1525.
des troupes et de prêler son artillerie, mais il avait été jusqu'à se
joindre aux ennemis, à faire cause commune avec eux; il leur avait
fourni d'importants subsides, des arquebuses, de la poudre, com-
battant dans leurs rangs, et portant ainsi un nofable dommage à
son légitime seigneur. A la tète de sa petite armée, il avait assailli
avec les rebelles le château fort de Wurzbourg, agissant non pas
en vassal, mais en révolté'. Götz de Berlichingen, également vassal
de l'évêque, ne tarda pas à lui signifier aussi son refus de le recon-
naître à l'avenir pour son seigneur. Lui. Georges Metzler, et 1' .- ar-
mée générale de l'Union de la vallée du Neckar et de TOdemvald »,
sommèrent l'évêque d'adopter les douze articles, « et toutes les ré-
formes qui seraient plus tard imposées aux Ordres et autorités. Toutes
les lois allaient être modifiées, amplifiées, améliorées ; d'autres se-
raient promulguées; l'évêque devrait consentir à tout. Jusque-là
- le saint Évangile et la parole de Dieu n'ayant été ni annoncés ni
expliqués suffisamment, les paysans avaient été non-seulement
trains, mais grandement et indiciblement opprimés » ; ils avaient
été accablés de si rudes fardeaux < qu'il était impossible à des cœurs
chrétiens de les endurer davantage ». L'Union accordait quatre jours
à l'évêque pour envoyer ses pleins pouvoirs et conclure un traité.
S'il dépassait ce terme, elle le prévenait qu'elle se verrait con-
trainte de protéger par les armes ses frères chrétiens, répandus dans
tout le pays^ Du reste, les sujets de l'évêque invitaient eux-mêmes
les pa^sans de l'Odenwald et de la Franconie à assaillir Wurzbourg ^
Tout le pays était en pleine insurrection.
^c Les événements vont si vite chez nous et sont si gros de périls >-,
écrivait le 16 avril le chancelier de l'évêque à un de ses parents rési-
dant à Constance, - que tout le monde supporte la vie à regret,
qu'il soit maître ou serviteur. Sept villes et neuf bailliages, dans
l'espace de trois jours, ont abandonné Sa Grâce, et Wurzbourg se
montre si mal disposée pour elle, que personne ne saurait dire si Sa
Grâce est encore en vie! " - On n'entend retentir que ce cri : A mort!
à mort! Aussi beaucoup de chanoines ont-ils quitté la ville; quelques-
uns se sont réfugiés à Mayence, d'autres au château de Wurzbourg,
d'autres dans quelque sûr abri. Je ne voudrais pas pour cent florins
' * Handlung zwischen U'ürzburg und H'erthcim zu Heidelberg, vom Montag nach Inroca-
vit iö27. h'lngeiniyiksn" ^. l'nterlassener Assiilenz des Grafen Jörg und Hilf gegen ll'ürz-
burq in der Bauerschcn Aufruhr. Dans la Gemeinschaft. Fürstl. Löicensteinischen Archiv,
zu U'eriheim. Pftirrsachen, n« 1. Le coiute f^eorf^es chercha dans la suite à se justi-
fier et à prouver • que sa conduite avait été celle d'un gentilhomme loyal eL
pieux ». — Voy. aussi la Zimmeritchen Chronik, t. III, p. 59.
* Daté d'Amorbach, 4 mai 1525. Yoy. Laurent Fries, p. 191-194. — Voy.
l'excellente réponse de l'archevêque, qui s'était réfugié à Heidelberg, p. 199-200.
^ « Comme j'ai pu m'en assurer par mainte lettre », dit Laurent Fuies, p. 174.
ROTIIENBOUIU; FAIT ALLIANCE AVEC LES PAYSANS. 1525. 540
passer les f(Mes de P;U|ues ici,, car la population, adonnée à l'ivro-
{Vncrie, est brutale cl féroce dès qu'elle est excitée. Les paysaus de
Franconie ont enlevé à mon {yracieux sei(ïneur beaucoup de couvents
et (jnelciiies cliAteaux, villes, bour{',s et villages, dont une partie a été
incendiée. " « 11 nous faut supporter d'inexprimables an{;oisses et
travaux; moi et quatorze autres secrétaires, nous siégeons au con-
seil jour et nuit; il laut sans cesse écrire, inventer des expédients.
Mon gracieux seigneur et moi n'avons certainement pas dormi
seize heures en Tespace de huit jours. ^ Tandis qu'il écrit, la nou-
velle lui arrive que deux villes et trois bailliages viennent encore de
se rendre aux insurjjes. « Toute cette population est perverse,
dépravée plus qu'on ne peut dire % ra|)porte-l-il; « lorsque par
hasard nos cavaliers mettent la main sur un rebelle, il se laisse
égorger sans nulle résistance, comme un poulet; ce peuple est
méchant et lâche. Au reste, à mon avis, ce qui nous arrive a été
envoyé par Dieu pour le châtiment des clercs et des séculiers". »
Tandis que l'armée évangéliquc d'une part et l'armée de Fran-
conie de l'autre se dirigeaient vers Wurzbourg-, et que, par tontes
les routes, s'approchaient de la ville des milliers de ' nettoyeurs de
coffres et de videurs de bourses- », lesquels se livraient en chemin à
d'horribles dévastations, les frères chrétiens faisaient à Rothenbourg
" une bonne affaire ».
Les chefs de IT'nion avaient écrit au conseil de Rothenbourg: ^ C'est
par l'ordre de Dieu que l'insurrection s'est soulevée. Voire ville,
pour l'établissement du saint Évangile, pour l'accroissement de la
justice et le maintien de la parole divine, doit se joindre à l'Cniou et
nous envoyer loiile son artillerie, avec des munitions suffisantes et
des troupes; si les bourgeois veulent être nos frères, il faut, dans
cette pressante nécessité, qu'ils abandonnent femmes et enfants,
avoir et bien, et qu'ils accourent nous rejoindre. Nous vous ordon-
nons de nous ouvrir vos portes. « Là-dessus la pire canaille de la ville
' Laurent Fries, p. 116 119. Cette lettre tomba entre les mains des paysans, et
n'y causa p:is peu d'émotion, parre quelle renfermait aussi la nouvelle que la
lifjue souabe n'avait pas l'intention d'envoyer des secouurs ù l'évèque. ^ Ema-
nant d'un con.>ei!ler très-intime de l'évèque », écrit Laurent Fries, » on ne mit
pas en doute la nouvelle, et l'on tint pour certain que la lißue ne ferait rien
pour l'évèque de Wurzbourg. Aussi les gens des campaf^nes avoisinantes com-
mencèrent-ils à hésiter. Florian Geyer avait dit ouvertement ^ que lui et ses
frères les paysans avaient arrangé les choses de manière que chaque prince
eilt la danse iparlant de l'émeute) devant sa porte, et qu'ainsi aucun ne pi\t
fournir de l'aide à l'autre ». Plus d'un honnête paysan commença donc à douter
de ce qu'il devait f.iire, voyant que l'autorité n'enverrait ni aide ni secours.
La lettre du secrétaire intime avait été imprimée, et en peu de Jours expédiée
à toutes les villes et bourgades de l'évé^hé. ■
- Voy. ŒCHSLE, p. 149.
550 ROTHENBOURG FAIT ALLIANCE AVEC LES PAYSANS. 1525.
menaça le conseil de sonner le tocsin, .de courir aux armes et d'aller
grossir Tarmee rebelle, s'il refusait de laisser entrer les frères chré-
tiens. Les lansquenets de service dans la ville déclarèrent à leur tour
qu'aussitôt l'arrivée des paysans, ils abandonneraient leur poste.
Au sein même du conseil, le parti révolutionnaire était le plus fort;
taudis que des pourparlers étaient entamés, ce parti, pactisant avec
les ouvriers révoltés, décida que tout ce qui appartenait aux prêtres
séculiers (bien que ceux-ci eussent renoncé a l'habit ecclésiastique
et consenti à faire corvée comme les autresi serait saisi; que les vivres
trouvés chez les clercs, céréales et vins, seraient immédiatement par-
tagés, de manière que chaque bourgeois pût en avoir sa part; qu'on
vendrait l'orfèvrerie d'église et les calices, et que du prix qu'on en
retirerait on payerait la solde des bourgeois. • 11 restait à peine
aux prêtres dépouillés, aux moines et aux religieuses une croûte de
pain à mettre sous la dent, et, dans la ville, jeunes et vieux se li-
vraient à la bonne chère et s'enivraient comme des brutes. Les rues
étaient jonchées de gens qui, ne pouvant plus se soutenir sur leurs
jambes, se couchaient le long des murs; on voyait parmi eux beau-
coup de jeunes enfants. » Le 14 mai, la ville conclut un traité avec
les paysans de Franconie, On lit dans les articles de ce contrat : i En
l>remier lieu, l'armée de l'Union se propose d'établir le règne de la
sainte parole de Dieu et la doctrine évangélique; dorénavant l'Évan-
gile sera prêché purement et clairement, sans aucun mélange de
doctrine ou de prescriptions humaines. Ce que le saint Évangile
approuve doit être approuvé; ce qu'il rejette, rejeté. On ne payera
à aucun seigneur ni dlme, ni redevance, ni droit régalien, ni taxe
quelconque jusqu'à ce que les très-savants docteurs de la sainte, di-
vine et véritable Écriture aient établi la réforme. Les châteaux qui
nous ont fait tant de mal, les donjons et les forteresses qui ont fait
supporter jusqu'à ce jour à l'homme du peuple de si effrayantes
charges, seront détruits ou incendiés. Cependant ce qui s'y trouve
de transportable reviendra à ceux qui voudront être nos frères, et
n'auront rien entrepris contre l'armée de l'Union. Les fusils qui
seront trouvés dans les châteaux seront remis à l'armée. Les nobles,
ecclésiastiques ou séculiers, et aussi les roturiers, seront tenus à
l'avenir d'observer les lois des paysans et des bourgeois unis; ils
partageront en tout le sort du peuple. Les nobles devront restituer
à l'Union les biens des clercs qu'ils se sont appropriés, ainsi que les
biens des seigneurs qui auraient osé s'opposer à l'armée sainte, et
cela sous peine de perdre la vie, ou de voir leurs propriétés confis-
quées. Et pour conclure : ce que la réforme et la loi nouvelle, ce que
les docteurs versés dans la sainte Écriture auront décidé, comme il a
été dit plus haut, tout prêtre, tout laïque devra désormais s'y cou-
INS UlUi KCTION F, N T MURI NOK. IS^S. 5jl
former. » Uollicnboiirjj jura d'observer fidrloincnt le Irnilé perulaiit
ceul un ans. Les meilleures pièees d'arlillcric de la ville el d'abon-
dantes muuilioiis Jureiil livrées aux émeuliers. L'ancien bour{;mcstre
Erlienlried Kum|)l, partisan des doctrines de CarIstadI, (|ui avait ac-
livemenl travaillé à réconcilier la ville avec les insur{;és, ^. souhai-
tant fort, la mise en pratique de l'Kvanftile «, se rendit bien équipé à
\\ urzbourj; dans le camp des révoltés, qui donnaient alors l'assaut à
la citadelle de la ville. W'urzbourj;, disait Kumpi, ayant été opprimé
par l'Empire à cause de la tyrannie de ses évéques, sa citadelle de-
vait être rasée '.
VIII
Pendant que ces insurrections désolaient la haute Allemagne, la
révolte éclatait en Thurinjje.
Mulhausen en était le principal foyer, 'iliomas IMiinzer et son com-
pa[',non Henri IMelfler^ y avaient soulevé l'émeute |)opulaire en
septembre L")2î. Les églises et les couvents avaient été pillés; les
tableaux, les ornements d'autel emportés, les reliques indigne-
ment profanées'. Les deux prédicants enseignaient aux personnes
de toute classe qui se pressaient autour d'eux, « que l'on n'était pas
obligé d'obéir à l'autorité, que l'on ne devait à personne dime ou
redevance quelconriue, et qu'il fallait persécuter et proscrire tous
les Ordres religieux ». « La parole du Seigneur '-, disaient-ils, < vous
est annoncée maintenant dans toute sou intégrité et pureté. Vous
avez fait disparaître les autels el les images de l'idolâtrie; mais il
' Thomas /irei/vl, dailS BvDMVNN, Quellen aus llolenburg, p. 3i6. — Voy. Bi;nse\,
p. 224-246, 261. Pendaiil l'assaut de Fraiieuberjy, où les paysans perdirent un
temps précieux et leurs meilleures forces, Sébastien de Uotenlian, au dire de
l-anrent Frics, se conduisit en liéros. « Les nobles du conseil de l'évoque tirent
tant pour donner du courage à leur maître, qu'ils lui persuadèrent de mettre
en état de défense son château de Frauenberg, ce qui arriva en effel. Mais
parmi tous les gentilshommes et serviteurs de l'évêque, ce fut le seigneur
Sebastien de Fîotenhaii, chevalier, sénéchal, qui eut le plus de part au bon
succès de l'entreprise, lu tel homme devrait être désigné à l'admiration de la
postérité, car en vérité ce chevalier, par ses actes loyaux et mâles, a bien mérité
d'être loué à jamais. - Fries donne d'amples détails sur l'activité intelligente
de Rotenh m, et dit eu concluant : ■ C'est la vérité que j'ai entendu dire, non à
une seule personne présente à la défense, mais publiquement et en particulier,
et par beaucoup, que si ce Rotenhan avec ses conseils prudents, ses discours,
ses consolations, ses mesures, ses exhortations, ses travaux, n'eiU pas été là,
Fraueuberg (sans parler de l'aide de Dieu, qui a fait là des miracles) aurait été
endommagé gravement par les paysans. ■-
- Voy. plus haut, p. 395.
3 Mühlhauser Chronik. [). 365.
552 INSURRECTION EN T H URINGE. 1525.
VOUS reste encore, si vous voulez être sauvés, à enlever les idoles des
maisons et des bahuts, à arracher des murs la belle vaisselle d'étain,
à vous emparer de l'argenterie, de Torlevrerie, de l'argent comp-
tant renfermés dans les coffres'. >' Comme Mïmzer et Pfeifler, Jean
Laue, l'ex-grand maître de l'Ordre Teutonique, se faisait remarquer
par son zèle pour la « nouvelle union chrétienne ». Il prenait tous
les jours la communion, et mettait à même dans sa poche les par-
celles de pain qu'il ne consommait point. Par son ordre, les tableaux,
les images étaient détruits et brisés; avec les tuyaux d'orgue, il faisait
fabriquer des pintes. « Les princes ", disait-il en pleine chaire, " sont
des niais, des oies, des chiens dévorants; on n'est point obligé de
leur obéir. » Lui aussi eût désiré que " les idoles des riches bourgeois
fussent enlevées des coffres, des chambres et des murs », car tous
les biens étaient communs. 11 disait que les prêtres, dans les pro-
cessions, ne portaient pas le Saint Sacrement, mais le diable. 11
proposait de renverser le conseils
■•(■ L'autorité », écrivait le 26 septembre 1524 Sittich de Ber-
lepsch, bailli de Salza, au duc Georges de Saxe, " semble agir au
hasard et perdre la boussole. Les paysans des villages environnants
se sont réunis et ont lait savoir au conseil que sa conduite antichré-
tienne n'était plus tolérable; que, s'il ne changeait, ils se verraient
forcés d'établir un autre pouvoir, parce qu'autrement ils seraient
infailliblement ruinés. Hier dimanche, vers le soir, les paysans de
Bolkstadt ont été avertis que leur village était cerné aux quatre
coins, et qu'ils devaient se tenir sur leurs gardes. Le lendemain
matin, avant le jour, ce village a été incendié; une grande quantité
de blé a été briHce. Le docteur Luther a envoyé un prédicant à
Mulhausen pour prêcher contre Münzer : Münzer et lui se traitent
réciproquement d'hérétiques et de fripons. » Berlepsch joignait à sa
lettre la copie des articles que Münzer et f^ fei ffer avaient rédigés, et
qu'ils avaient envoyés aux villages du territoire de Mulhausen et à
la population de la ville. Ces articles débutaient ainsi : « Pour la
gloire de Dieu, les communes de Mulhausen, de Saint-Nicolas, de
Saint-Georges, de Sainte-Marguerite, les tisseurs de lin de Saint-
Jacques et un grand nombre d'ouvriers , ont dressé une consti-
tution nouvelle, fondée sur la parole de Dieu. Cependant, si en
quelque chose elle était contraire à l'Évangile, ils consentiraient à la
modifier. » . Le conseil doit être complètement renouvelé. Le nouveau
pouvoir appréciera toutes les questions conformément à la justice,
et d'après les prescriptions de la Bible. Si vous prétendiez vous
' Voy. ces lettres dans Seidemann, Beiträge, t. ir, p. 378-382.
- Interrogatoire de Laue dans Seidesiann, Beiträge, t. XI, p. 382, et ses aveux,
dans la MûhUiauser Chronik, p. 393.
INSURRECTION EN T II IJ li I N G K. 1025. 553
opposera cette loi divine, nous vous demanderions de nous apprendre
ce que vous ont lait le bon Dieu, sou ImIs iinicjue .lésus-Ciirist el le
Sain(-Kspri(, |)our (jue vous relusicz de laisser ré^jner le .Seigneur
sur voire misérable sac à vers. A-l-il pu vous Jiieulir ou vous tromper,
lui qui est la justice môme? Notre sentiment et notre décision à
tous, c'est que nos actes et noire manière d'aj;ir envers la justice
divine el sa loi doivent être rélormés ou maintenus selon (ju'ils se
rapportent ou s'opposent aux commandements de Dieu. Il nous laut
donc choisir entre ce qui est agréable aux hi)mmes et contraire à
Dieu, ou entre ce <[iii est af^réable à Dieu eî contraire aux hommes.
Ür nous préférons de beaucoup avoir Dieu pour ami et les hommes
pour ennemis que Dieu pour ennemi et les hommes pour amis, car
il est terrüjlo de tomber entre les mains du Dieu vivant. Nous vous
écrivons ceci, frères chrétiens, afin que vous puissiez vous diri^jer
d'après cet avertissement '. »
Au commencement de 1525, de nouvelles destructions d'images
et de nouveaux pillages eurent lieu à IMulhausen ^. I.e provincial des
Dominicains écrivait au Conseil de régence, siégeant alors à Esslingen
(Il janvier 1525) : " J'ai beaucoup à me plaindre des attentats commis
envers mes frères de IMulhausen et de la violence qui leur a été faite.
Parce qu'ils n'ont pas voulu célébrer la messe et prêcher à la mode
luthérienne, parce qu'ils ont refusé de renier leur saint habit, leur
état et leurs vœux, on leur a enlevé tous ce qu'ils possédaient,
ostensoirs, calices, meubles d'église; le tout a été porté à l'hôtel
de ville; on leur a interdit de dire la messe; on a brisé et brûlé les
autels, tableaux et images de leur église. Les émeutiers sont venus
les assaillir chez eux avec des armes meurtrières; la populace les
suivait. Toutes leurs provisions de farine, de pain, de blé, de
viande ont été emportées ou brûlées, péle-mèle avec les images
des saints, dans le couvent même. Enfin les assaillants ont exigé
et emporté toutes les clefs; et comme nos frères persistaient à porter
l'habit de leur Ordre, on les a chassés de la ville'. » Les Carmes
déchaussés lureul traités de la même manière; pendant une semaine
enlicre ou vendit à l'enchère, dans leiu' monastère, les vêtements
sacerdotaux, el le velours, la soie, les perles qui servaient à les coa-
fectionner.
Dès (jue Mimzer fut reveau de sa tournée dans la hante Allemagne
et la Suisse, le nouveau * gouvernement chrétien " qu'avaient annoncé
les articles fut inauguré à Mulhausen (mars 1525) ^ L'ancien conseil
' Seidemann, Ueiiiäge, t. XI, p. 379-3S1.
- iluhlhnuser Chronik, p. 38^.
^ Seidkm.vnn, Beiträ;)r, t. XI, p. 385.
* Voy. Seidema.n.n, Thomas Münzer, p 48-53, 65-66.
5.')4 THOMAS IVI U N Z E R EXCITE LES HÉ VOLT ES AU MEURTRE.
fut déposé. Un conseil ' perpétuel », composé exclusivement de
partisans de Miinzer, fut élu. « On rencouire encore à Mulhausen ",
écrit Sit lieh de Berlepsch au duc Georp^es, « plus d'un d'hounéte
bour{;eois auquel cet événement cause une peine sincère; mais les
prédicants, qui sont d'habiles intrigants, ont foit cause commune
avec la populace mutinée, et ont tellement envenimé les choses que
les l)raves gens n'ont plus aucune chance d'être écoutés. » Le con-
seil perpétuel était en grande partie composé de pauvres hères
et d'aventuriers. « Les nouveaux magistrats disent à qui veut les
entendre qu'ils peuvent disposer de cinq ou six cents hommes, et
qu'ils ont reçu des forces nouvelles des paysans de la forêt Noire,
lesquels demandent aussi à faire partie de l'Union. » « Les communes
des environs sont presque toutes gagnées au parti de la révolte; les
paysans répètent que Dieu seul est leur maître, et qu'ils ne se sou-
mettront à aucun autre. »
• Nous ne voulons que le règne de Dieu, nous n'acceptons au-
cune autre autorité ", prêchait Münzer. On ne pouvait plaire à
Dieu, disait-il, si l'on ne revenait à l'état primilif et si l'on n'adoptait
la communauté des biens. Les paysans des environs de Mulhausen se
rassemblaient par milliers pour entendre cetle » heureuse annonce
du royaume de Dieu ". routes les fois que Münzer prêchait, des
chœurs déjeunes gens et déjeunes filles, disposés près de lui, chan-
taient les promesses faites par Jéhovah aux fils de .Inda : « Demain
vous vous mettrez en route, et le Seigneur sera avec vous! " Les
pauvres gens de la ville ne voulaient plus travailler; l'un d'eux avait-
il besoin de hlé ou de linge, il allait aussitôt chez un riche, et pre-
nait tout ce qu'il lui fallait; il appelait cela agir i- d'après le droit
chrétien ». Parmi les propriétés ecclésiastiques confisquées. Münzer
s'attribua le château des chevaliers de Saint-.lean, avec toutes ses
redevances : il fit fondre des arquebuses et des balles dans l'ancien
couvent des Carmes, et appela la populace aux armes. Pendant ce
temps, ses disciples allaient de tous côtés prêcher le royaume de
Dieu. En ses manifestes ardents. Münzer invitait les popula'ions
à massacrer les princes et seigneurs. « Chers frères, combien ue iemps
dormirez-vous? » écrivait-il aux mineurs du comté de ^Linsfeld. « A
l'œuvre! sus! combattez le combat du Seigneur, il en est temps!
Animez vos frères à ce saint combat; qu'ils ne se raillent point du
témoignage de Dieu; sans cela, ils périraient tous. Voici que les pays
allemands, français, welches, se sont tous soulevés ! Le Maître va jouer
son jeu, les méchants tombent! A Fulda, pendant la semaine de Pâques,
quatre abbayes ont été saccagées. Les paysans du Hegau, du Klettgau
et de la forêt Noire se sont levés, forts de plus de trois cent mille
DI^VASTATION DES COirVENTS IT HKS A » B A Y H S . Ij26 555
lioriimcs, e( l.i l);iii(lc j;r(»ssi( tous les jours! A votre tour, à
l'<ruvrc, en avant, il est lenips! <juc les scélérats soient chassés
comme des ciiieiiseura}iés. \c \ous laissez pas séduire |)ar une pitié
coupable; si même Ksaii venait à vous avec de l)onnes paroles, ne
l'écoutez pas. iNe vous arrêtez |)as à plaindre la détresse de l'impie;
cncomaj-ez à vous suivre les villages et les villes, et surtout les
ouvriers mineurs. Appelez d'autres bons camarades à la besogne, et
qu'ils s'y mettent de tout cd'ur. Il ne vous est pas permis de
dormir plus l()n{;lemps. Les pa\saus de l'EichsIeld viennent de
se divertir aux dépens de leurs sei{jncurs; ils ne leur ont point fait
de <juarlier; suivez leur exemple! En avant, en avant, en avant,
tandis que le fer est chaud! Oue le sanp,- ne se refroidisse pas sur
la lauK; de vos épées! Pink, pank sur l'enclume de .Nemi"od! Oue
tous tombent sous vos coups! Tant que les nobles seront eu vie, vous
ne serez pas affranchis de la crainte humaine; tant qu'ils régneront
sur vous, vous ne pourrez vous dire les enlants de Dieu! Sus, sus,
en marche pendant que le jour brille! Dieu vous précède, suivez-le!
Votre histoire est écrite au chapitre vingt-quatre de saint Matthieu.
JNe vous laissez pas effra\er, car Dieu est avec vous. Ce n'est pas
votre combat, mais celui du Seigneur que vous livrez; ce n'est pas
vous qui combattez, c'est Dieu. Donc, que votre attitude soit éner-
gique et mâle, et vous verrez infailliblement le secours du ciel venir
à vous! ■• -. Tandis que .losaphat prononçait ces ])arüles -, dit l'Flcri-
ture, il fut anéanti. » « Agissez de par Dieu, il vous fortifiera;
rejetez toute crainte humaine, inspirez-vous de la véritable foi!
Amen! - Cette lettre était signée : Thomas Miinzer, serviteur de
Dieu, envoyé contre les impies *.
Tandis que Miinzer poussait ainsi les populations à ce qu'il appe-
lait le > divin massacre -, Pfeiffer, son compagnon, à la tète d'une
troupe de gens du peuple accourus de tous côtés, envahissait
l'Eichsfeld. - Les révoltés ", dit une relation du temps, " ont volé,
assassiné; partout oii ils ont pénétré, ils ont incendié cloîtres et
châteaux, l'hisieurs villages ont été réduits en cendres et saccagés.
Outre cela, ils ont forcé les gens bien intentionnés à se joindre à
eux : qui s'y refusait passait par les piques*. »
' Voy. cette lettre dans Stroorl, Thomas .1 fumer, p. 93-96.
- Voy. Seidemann, Münzer. p. 75. — Strobel, p. 89-90. — Mùhlkauser Chronik,
p. 384-385. Sur les dévastations et les pillages de couvents et de châteaux dans
le comté de jMansfeid, de Stolber«j, etc., voy. Sp.4.\"ge\'berg, Mansfeldische Chronik,
p. 421. I,es cloîtres et les abbayes suivants furent détruits en Thurin.;^e par le
vandalisme des insurgés : à Allendorf. le couvent des Bénédictines; à Annerode,
le couvent des relisieuses de Cîteaux; à Beuren, un couvent du même Ordre; à
Bonnerode, le couvent des religieuses bénédictines; à Capellendorf, le couvent
5Ô6 MUTIAN SUR LE VANDALISME DES INSURGÉS. 1525.
L'émeute 5e propagea avec une effrayante rapidité dans toute la
Thuriuf,e et les pays avoisinauts. Dans les comtés de Man^^feld, de
Stolberg, de Schwarzbourp;, dans l'Eichsleld, la Hesse, le Brunswick,
la Saxe et la Misnie, les villages, les bourp,s, les villes se soulevaient
et voulaient être libres comme ceux de Mulhausen. '• !Mon seigneur
et mon roi >^ écrivait de Gotha à Frédéric de Saxe Thumaniste
Conrad Mufian (27 avril 1525), « mon âme est triste jusqu'à la
mort en voyant avec quelle brutalité, quelle perversité la sauvage
horde des paysans pille et saccage les saints temples de Dieu. Ces
des relifjieuses de Ci(eaiix; à Cronspitz, le couvent des Aufjustins; à Eisenach,
la colléjfiale des clianoiiies de Saint-Aii!T;ustin, le couvent des Bénédictines,
ceux des Dominicains et des Cisterciens; plus loin, le couvent de Franciscains,
au pied de la Wartbour;?, et près d'Eisenacli le couvent des religieux de
Citeaux de Johannisthal ; à Gerbstadt, le couvent des religieuses bénédictines;
à Gérode, un couvent du même Ordre; à Frankenhausen, le couvent des reli-
gieuses de Citeaux; à Franenbreilungen, le couvent des Augustines; à Frauen-
Priessnitz, le couvent des religieuses de (tteaux; à Frauensee, un couvent du
même Ordre; à Georgentbal, le couvent de Ciîeaux; à Georgenzeil, un couvent
du même Ordre; à Gollingen, le couvent des i.énrdictins ; à lladersleben, le
couvent des Cisterciens; à lieiligenstadt, la collégiale des chanoines de Saint-
Augustin; à llelffta, le couvent des religieuses bénédictines; à llerrenbreitungen,
le couvent des Bénédictins; à lleitstadt, le couvent des Carmes; à Holzzelle, le
couvent des religieuses bénédictines; à llombourg, près de Langensalza, le
couvent des Bénédictins ; à Ichtershausen, le couvent des religieuses de Citeaux,
à lechaburg, la collégiale des chanoines de Saint-Augustin; à léna. le couvent
des Carmes; à ivaltenborn,la collé;',iale des chanoines de Saint-Augustin ; à Kelbra,
le couvent de- religieuses de Citeaux; à Königsberg, le couveni des Augustius ; à
Kreuzhurg, le couvent des Augustins; à Mönchptiffel, le couvent des religieux
de Ciîeaux; à Mönchröden, le couvent des Béuédictins; à Munchenlohra, un
couvent de religieuses; à Mcolausried, le couvent des religieuses de Citeaux;
à Xordliausen, les couvents des Augusiins, des Dominicains et des Franciscains,
et le couvent des religieuses de Citeaux; à Oldisleben, le couvent des Bénédic-
tins; à Paulinzelle, un couvent. du même Ordre; à Pelersberg, le couvent des
religieuses de Citeaux; à Reifenstein, le couvent des cistercii ns; à Rheinhards-
btunn , le couvent des Bénédictins; à Roda, le couvent des Frémontrés; à
Rohibacb, le couvent des religieuses de Citeaux; à Rossleben, la collégiale des
chanoines de Saint-Augustin; à Saalfeld, le couvent des religieuses de Saint-
Augustin; à Schnialkalden, le couvent des Augustins et la collégiale des cha-
noines de Saint-Augustin; h Sinnershausen, le couvent des Guillaumistes; ù Sit-
tichenbach, le couvent des Cister.iens; à Teistungenbourg, le couvent des
religieuses de Citeaux; à Troststadt, le couvent des religieuses de Préraontrés;
à Veilsdorf. le couvent des Bénédictins; à Volkenroda. le couvent des Cister-
ciens; h Walheck, le couvent des Bénédictins; à Wasungen, le couvent des Guil-
laumistes: h Weissenborn, un couvent du même Ordre; à Wiederstadt, le cou-
vent des religieuses augustines; à Wiinnielburg, le couvent des Bénédictins;
à Worbis, le couvent des i eligieu.ses de citeaux; à Zella, le couvent des reli-
gieuses liénédictines, et à Zella Saint-Biaise, le couvent des Béuédictins. Beau-
coup d'autres ahbayes et couvents ne furent pas entièrement pillés, saccagés
et brûlés, mais eurent à souffrir des dommages considérables. La liste précé-
dente est extraite du travail si consciencieux d'Ilermann sur les anciennes
al)i)ayes, couvents et monastères de la Saxe, de la Thuringe et de la Thuringe
prussienne. — Voy. \3i Zritschri/t des Vereins fur thün'noische Geschichte und Aller-
thumskuiulf (léna. 1871 , t. Vlil, p. 1-176. Que ne possédons-nous sur tous les pays
allemauds des renseignements aussi exacts!
INSnUKECTlON A l, A .N G K ^ S A LZ A. 1525. 557
(jcns n'ont ni loi, ni Ircin, ni crainic de Dieu. Les relifjieuses
erranles Ibiit compassion à voir; les prtMres, sans leu ni lieu, sont
chassés de leurs saints asiles j)ar les pillards de temples. Moi-même,
misérable et nécessilcux, je me vols, dans ma vieillesse, réduit à
mendier mon |)ain '. Les émeuliers >, lisons-nous dans une
relation de 1 liurin};e, <■■ ont, dans beaucoup de localités, jeté les
saintes espèces sur le sol; puis ils les ont foulées aux pieds, et, avec
une insultante et .sacriléj^e ironie, ils ont dit : • Si tu es notre Dieu,
défends-loi! » ajoutant beaucoup d'autres paroles et actes impies,
inhumains et insensés '\ >
La fumée qui s'élevait des places incendiées témoignait de tous
côtés du zèle pour la foi des frères chrétiens, des vrais amis du
royaume de Dieu. Tout marche mal et lamentablement chez nous •,
écrit le receveur d'impôts d'Alsledt; les cloitres des environs ont
été pillés. L'autorité n'est plus écoutée, tout le monde la méprise.
C'est une véritable fatalité que, de tant de princes (jui habitent ce
pays, aucun ne soit disj)osé à tirer l'épée pour nous débarrasser de
nos ennemis. " « Comme les hordes n'ont plus de couveuts à détruire,
elles se jettent maintenant sur les châteaux. • Beaucoup de nobles,
parmi les(iuels les comtes Ernest de Hohenstein et Gauthier de
Scliwarzbourjy, se faisaient recevoir ^< frères ' dans la « sainte
Union », et entretenaient des correspondances avec' Miinzer. « lion
nombre de prédicants de l'armée =>, rapporte le receveur d'Alsledt,
« prêchent l'Evanj'ile d'après Tmlerprétatiou de Luther, et n'ont pas
un fort grand respect pour Mimzer. - « A Salza aussi, l'émeute s'est
déclarée, soulevée par une foule de scélérats dépravés qui n'ont rien
à perdre, et prêchent au peuple le vol et l'incendie pour la cause de
l'Evangile. '
La « Fraternité évangélique » organisée à Langensalza parlesave-
' Voy. ïnNzrr,, ^Icl. epp. Muiiani, p. 75-78. Mulinn, après de loîijîiies erreurs,
• épouvanté à la vue de l'abime que la soif de destruction des novateurs
ouvrait devant ses rc;;;irds », s'était de nouveau tourné vers 1 K;;lise uiére, et
« la religion de ses ancêtres ne lui avait jam;iis paru plus digne de ses res-
pects que maintenant que tout semblait s'unir pour la détruire •• Mais le sou-
venir de sa conduite passée pesait lourdement sur sa conscienre, car, lorsqu'il
jetait les yeux sur la première partie de sa vie, il était obligé de reconnaître
qu'il avait beaucoup contribué à préparer les événements actuels. Cette pensée
empoisonnait ses jours et lui enlevait la confiance et la joie avec lesquelles
ses amis catholiques entraient en lice pour la défense de l'Église. Jadis un
motif d'excessive prudence l'avait empêché d'exposer ses idées; maintenant il
se croyait, à cause de son passé, condamné au silence. Sans ressource, en
proie à la plus cruelle détresse, il mourut le 30 mars 1526, dans les senti-
ments de la plus touchante résignation chrétienne. « Ö Christ, regarde ton
serviteur avec miséricorde! Que ta volonté soit faite ! » Telles furent ses der-
nières paroles. — Kampschllte, t. II, p. 229-237.
- Voy. cette relation dans Seidemànn, Thomas Mûnzer, p. 5.
558 INSURRECTION A LANGENSALZA. 1525.
tier .Melchior Wigand reçut, vers le milieu d'avril, une importante
recrue dans la personne du prédicant Jean Teigfuss '. Comme à l'oc-
casion de la kermesse beaucoup de villageois des environs se
trouvaient dans la ville, déjà gagnée en partie à la révolte, Wigand,
le 20 avril, fit tout à coup sonner le tocsin, et la foule, promptement
rassemblée, munie de carabines et de boule-leu, se rendit bientôt
maîtresse du conseil. On commença par chasser de leurs couvents
les moines et les religieuses; on leur répéta à plusieurs reprises que
la communauté de Langensalza était décidée à ne plus tolérer de
couvents, et cependant on avouait n'avoir aucun reproche à adresser
aux religieux. Les églises et monastères furent dépouillés; on mit tout
ce qu'on y put trouver en réserve , et l'on somma les moines de
faire corvée, de fondre les balles, de garder la ville, de faire le
service militaire et de se marier. .< L'ancien culte fut aboli. Teigfuss,
prêchant sans aucune modération, conseillait ouvertement la révolte,
injuriant le pouvoir et les autorités, et poussant à la destruction de
tout ce qui était établi. ■ Le 29 avril, à la tête d'une horde considé-
rable, il marcha sur Nägelstädt. La ville fut prise et pillée, les calices,
ornements d'autel, croix, ostensoirs, orfèvrerie d'argent, enlevés
aux églises; les cloches et les fenêtres brisées, les bestiaux, les
céréales capturés. Le jour suivant, la populace de la ville s'unit à
une horde considérable de paysans, parmi lesqne^ se trouvait Albert
Menge, l'un de leurs chefs, ■- de sou métier et selon les circonstances,
médecin français, barbier ou tondeur de drap '. Le conseil et la
noblesse des environs furent contraints de recevoir le « saint Évan-
gile " et les douze articles des paysans. Ensuite les frères chrétiens
.: se levèrent n, conduits par leur chef Wigand, résolus d'aller dans
tout le pays environnant prêter main-forte à 1' -• Evangile ». ' Chers
amis ■', écrivaient-ils au conseil de Weissensee, » vous savez très
certainement que nous avons quitté Salza par la volonté de Dieu,
pour le saint Évangile, et afin de vous proposer et vous faire adopter
quelques articles fondés sur la sainte Écriture; si votre ville refusait
de nous ouvrir ses portes, la redoutable horde de Mulhausen qui
vient de détruire et d'abattre dans l'Eichsfeld les plus beaux châ-
teaux, et ils sont nombreux, accourrait, et vous ferait subir de cruels
dommages dans vos corps et dans vos biens. ■' Mais Weissensee
tint néanmoins ses portes fermées. - .Nous espérons '•, répondirent
aux insurgés le conseil et les bourgeois, ^ bien qu'il soit impossible
à l'homme de vivre sans péché, que nous nous sommes jusqu'à pré-
sent comportés en bons chrétiens. Pour le moment, nous entendons
nous en rapporter entièrement à la parole de Dieu et à notre gra-
• Voy. plus haut, p. 395.
i
KltriîllT FAIT CAUSK C.OMMUNK AVKC LES HKVOI.TÉS. 5.09
ciciix .sci[jiieiir et prince souver.iiii, le duc (icorgcs de S;ixc; nous
décl;iron.s vonloir vivre cl mourir à son service, et soiiiiiies décides
à exposer pour lui nos corps et nos biens. Kn même temps, ils
suppliaient Geor{',es de venir à leur secours, et celui-ci leur faisait
annoncer ."-a |)rocliain(,' arrivée *.
« Nous avons élé oljlijyés de mettre sur pied Ions nos hommes >•,
écrivait (Jeorjyes le 20 avi'il au land[;rave de liesse ;^ ainsi le com-
mandait la };ravilé des événements. Les paysans de TOUerland, (|ui
s'intitulent rCnion clirélicnne, se sont soulevés; les prédicants ont
prêché rKvan}',ile Inihérien d'une façon si claire que nous pouvons
recueillir â celle heure les fruils de leurs exhorlalions. Comme,
par la [jrâce de Dieu, nous avons toujours été fort ennemis de ces
sortes de nouveautés, il est â craindre que nous et les nôtres ne
soNons plus exposés que personne; néanmoins nous continuons à
èlre persuadés (pie si l'on n'avait excité les pauvres gens à oublier
leur serment et à se jelersur le bien du prochain, il n'y aurait pas
eu d'émeute *. '
Depuis lon{j(cm|)s les prédicants d'Erfurt dépassaient tous les
autres en zèle et en fanatisme, mettant tout en œuvre pour soulever
les |)()pnlalions des villes et des campagnes. " Les bêches et les
boyaux du cidlivalcur ■ , disait l'un d'eux, - doivent prolection à
l'Évangile. Dés 152.3, le sagace Usingen, témoin de ces funestes
excilaüous, avait prédit (jn'une révolte populaire en serait l'infail-
lible résultat ^ En apprenant (juc les paysans de la Souabe et de la
Franconie s'étaient soulevés, ceux du territoire d'Erfurt commen-
cèrent au i)rintemps de 1525 à se réunir. Ils résolurent de laisser
pénétrer dans la ville tous les paysans insurgés des alentours, d'élire à
' Pour plus (le détails sur les troubles de Langensalza, voy. Seidkmann, Beiträge,
t. XIV, p. 513-548.
* Voy. KoMAiEL. t. II, p. 83-8i. — Yoy. SFroKMANV, t. XI, p. 391.
* » Quid pra'itnderas, • écrivait-il au prédicant Mecliler, « cjuando de sufï{i;esto
et vernacuiis iiitimalionibus plebeui rudem ad illam idisputationem) citaveras!
Quid deiiique dum eo loci ;id populum claïuaveras, necesse esse, ut vel pastino,
sarculis et Ii{i0iiibus .«■uburbauis Evanjjeiio ronsuleretur, quando iiec tua, nec
tuopuui proficcteut verl)a! Veiniuisline rusticae insolenti*, qua jain passim
subditi in dominos suos tumultuantes et insurgunt contra fidelitatem, quam
illis promiseruut et juraverunt ? » » Nescitis, populum esse bestiam multorum
capitum, bestiam crueutam, qua- sanguinem sitit, vosne ergo rem veslramsaii-
guinariis perficietis! • — Voy. Kampschulte, t. Il, p 203-204. Les lettres
d'Eoban Ilessus à Sturz, nous montrent sous le plus triste jour l'état d'Erfurt.
Eoban constate avec douleur que les vices y croissent, que les exécutions y
sont presque quotidiennes; il raconte entre autres celle d'un père condamné
à mort pour avoir deshonoré sa propre fille. Les prisons, dit-il, sont trop
petites pour contenir les criminels. — Krause, Eobanus Hessus, t. I, p. 400-401.
560 ERFURT FAIT CAUSE COMMUNE AVEC LES RÉVOLTÉS.
la place de l'ancieu pouvoir un conseil perpétuel, et de faire rece-
voir leurs arlicles; si les membres du conseil faisaient quelque ré-
sistance, ils seraient massacrés et les maisons des riches pillées. Le
25 avril, cinq mille paysans armés paraissaient devant les portes
d'Erfurt, demandant â entrer. Le conseil leur envoya des vivres, et
promit de leur faire conuailre sa réponse le lendemain matin. Mais
les paysans refusèrent de traiter avec « des hommes sanguinaires et
impies % ne voulant, disaient-ils, avoir aflviire qu'au peuple de la
cité. Alors ceux qui dans la ville appartenaient au parti luthérien'
pactisèrent ouvertement avec les révoltés, s'assemblèreu!, et me-
nacèrent le conseil, avec force paroles injurieuses, d'ouvrir les
portes malgré lui. En vain le conseil eut-il recours aux prédicants,
espérant, par leur entremise, parvenir à maîtriser l'émeute; en
vain réclama-t-il leur appui : eux-mêmes ne savaient que résoudre.
« Puisque vous avez préparé ce qui se passe , leur dit alors avec ru-
desse le président du conseil, Frideram, .. puisque toujours vous avez
pris le parti de ces scélérats, tirez-vous maintenant d'affaire! => Seul
Eberlin cle Gïmzbourg, qui, depuis Lj24, s'était fixé à Erfurt, parvint
â force de courage et d'efforts conciliants à se faire un instant écouter
delà populace; mais s'étant ensuite rendu dans le camp des paysans,
il n'en put rien obtenir. Les insurgés ne cessaient d'insister pour que
les portes de la ville leur fussent immédiatement ouvertes, et pour
que leurs articles fussent adoptés. Pour se sauver, le conseil conclut
avec eux un lâche marché. Il leur permit d'entrer, à la condition
qu'ils respecteraient les biens des bourgeois, et il leur abandonna
tous les biens d'Église, plus le château de l'archevêque de xMayence,
c seigneur héréditaire de la ville -, la maison de douane et les
gabelles. Le 2S avril, les révoltés faisaient leur entrée à Erfurt, ayant
à leur tête le capitaine de la milice urbaine, qui les animait et les
encourageait au pillage. » Le conseil d'Erfurt >, dit une relation
contemporaine, < a ouvert ses portes toutes grandes aux hordes
féroces; il leur a permis de piller et de saccager les églises, les
couvents, les monastères, le château archiépiscopal, le tribunal, la
douane, la prison, les gabelles et enfin presque toutes les maisons
de prêtres. De plus, il s'est emparé de beaucoup d'églises, du couvent
des August ins, de celui des Carmélites, d'une bonne partie des tré-
sors de sacristie, et de tous les ornements d'église. >- Attablés à de
copieux banquets, plongés dans l'orgie, les paysans se gorgeaient
des vivres et du vin qu'ils trouvaient dans les couvents, et sac-
' Yoy. la lettre de Jean Elli[;er, témoin de ces faits, à Jean lleclit, dans Jörg,
p. 127-128. " Les niartiniens 'c'est ainsi qu'on désignait au début les luthériens)
voulaient abattre à coups de liache la porte Saint-Augustin pour laisser pénétrer
les paysans dans la ville. »
i
m; TT HKS Di; MCNZKH ATX P R I N C K S . 1 025. 061
caf];caicnf loiil cc (jik; la |)opiila(-(' flc la ville avait c'par[jné dans les
étneules ilos années |)rccédeMles '. Ils brisèrent flans les éjjlises les
tabicanx et les antels, et volcrcnl, rien <}ue dans réjjlisc collefjiale,
cent calices d'or el darjyenl. VA non-seulement le conseil donnait
a libre rotn-s à ciMlc raj;e de desiruclion et de pillafje, mais lui-
même en profilait. Il s'appropria, entre autres choses, la cliAsse
d'argent où tMaient reulermées les reliques de saint Eoban et de saint
Adelaire. 11 abandonna aux évanfjélisles les églises pillées par les
paysans, el nomma le prédicant Lange ä la chaire de la cathédrale.
i>'hnmaniste Eoban Hessus se monirait ravi de tout ce qui se passait.
" Aous avons chassé l'évéque de Mayence -, écrit-il à un ami, nous
sommes résolus à rompre pour jamais avec ce mailre impudent ou
plutôt ce tyran pervers. Tous les moines sont expulsés, les reli-
gieuses chassées, les chanoines congédiés, les temples, et même les
trésors de sacristie, pillés; on tient compte de l'intérêt public; les
douanes et les maisons de douane sont supprimées; la liberté nous
est rendue! « Mais , ajoute-t-il, - un orage, je le pressens, nous
menace encore! » Cet orage ne larda pas à se déchaîner sur les
-. honorables conseillers , d'abord si ravis de l'aide «jue les émeu-
tiers leur avaient apportée. Les paysans et la populace de la ville
se liguèrent de nouveau contre eux, et le bruit courut qu'on allait
i> faire sauterleurs tètes, parce qu'ils avaient dèslongtemjjs mérité ce
trailemeut ■ . Une seconde émeu!e renversa le conseil. Celui qui le
remplaça n'était composé que des élus du peuple : une complète anar-
chie ne tarda pas à régner dans la ville. Ce lut au tour des couvents
de religieuses à è(re pillés; le peu de prêtres qui restait encore
fut chassé, et tout homme possédant quelque bien fut menacé d'en
être dépouillé. Miinzcr ne cessait d'animer les -< frères chrétiens à
une lutte d'extermination contre les tyrans et les richards* -.
Parvenu avec ses hordes aux portes de Frankcuhausen, il écri-
vait au comte .\lbert de Mansfeld, prince cependant favorable aux
nouvelles doctrines : ^- T'imajvinais-tu donc que le Seigneur Dieu
ne saurait pas se servir de son peuple ignorant pour abolir dans
sa colère les tyrans exécrés? Ézéchiel n'avait-il pas dit que Dieu
ordonnerait à tous les oiseaux du ciel de s'engraisser de la chair
des princes, et l'Apocalypse, que les animaux sans raison s'abreu-
veraient du sang des puissants? Si tu veux reconnaître la force que
' Voy plus haut, p. 168, 215.
- Voy. l'excellente narration de ces faits dans K.vmpschllte, t. II, p. 208-214. —
Voy. RuiüSE, Eohamis Hessus, t. I, p. 401-402. — RiggenbaCU, p. 232-238. —
Zimmermann, t. II, p. 626-630. — Zimmermann appelle les événements d'Erfurl
• une iniisjnifiante échauffourée, où le sang ne coula point >.
H. 36
562 BATAILLE D F, F K A N KE MI A U S E N . 15 MAI 1525.
Dieu a donuée à son peuple, si tu veux te présenter humblement de-
vant nous et renoncer à ta foi, nous te recevrons volontiers, et nous
te tiendrons pour un de nos frères; sinon, nous ne nous soucierons
guère de ton bavardage creux et vide, et nous te combattrons,
car tu es un des pires ennemis de la fol chrétienne. " Dis-nous,
])auvre misérable sac à vers , mandait-il le même jour au comte
catholique Ernest de Mansfeld, qui t'a fait prince du peuple que
Dieu a racheté par son sang précieux. - Le comte était sommé de
se présenter immédiatement au camp des paysans et, s'il était chré-
tien, de demander pardon publiquement de la tyrannie dont il avait
usé envers ses sujets, avouant les motifs qui l'avaient porté à se con-
duire comme un infâme païen. Si tu tardes à venir et à l'acquitter
du devoir qu'on le trace, je crierai au monde entier que tous les
i'rères, pleins de joie, doivent exposer leur sang pour t'exterminer
comme un maudit, et alors tu seras poursuivi, et enfin déraciné de
la terre ! L'Éternel, le Dieu vivant, a ordonné de te précipiter de
fou siège; c'est pour cela qu'il a remis sa force entre nos mains, car
tu es inutile à la chrétienté, tu n'es que le méchant balai des ser-
viteurs de Dieu! Ton nid doit être arraché et détruit. 11 nous faut
une réponse aujourd'hui même, sinon nous irons te visiter au nom
du Dieu des armées. Dirige-toi d'après cela; pour nous, nous ferons
sans délai ce que Dieu nous commande de faire. Arrange-toi du
mieux que tu pourras; je tiendrai parole! Ces deux lettres étaient
signées : ■ Thomas Miinzer, ceint de l'épée de Gédéon'.
Münzer avait fait savoir à tous les paysans des villages environ-
nants que s'ils ne venaient pas de bon cœur rejoindre l'armée,
l'armée saurait bien les aller chercher. Aussi voyai!-on tous les
jours de longues files de paysans se diriger vers Frankenhauseu;
les femmes, les enfants pleuraient et gémissaient ou bien pous-
saient ûcti cris d'allégresse, selon que ce qui allait se passer leur
inspirait confiance ou terreur ■. L'armée des insurgés éîait forte
d'environ huit mille hommes.
Riais pendant ce temps, les princes s'étaient enfin réveillés. Le
landgrave Philippe de Hesse, après être venu facilement à bout des
révoltés campés dans les abbayes d'Hersfeld et de Fulda, avait réuni
ses troupes à celles de Georges de Saxe, de Henri de Brunswick
et de quelques autres petits princes voisins. Ayant ainsi ras-
semblé environ cinq ou six mille cavaliers, les alliés marchèrent sur
Frankenhausen >- pour y châtier les homicides, les incendiaires
' Lettres aux comtes Albert et Ernest de Mansfeld. datées de Frankenhausetn,
le vendredi apiès Jubdate (12 mai) 1525, dans Strubel, Thomas Münzer, p. 98-
102.
nATAIJ.LE DE F R A N K E N II A IJ S T: N . là MAI 1525. 563
et les blasphémateurs ' -. F.cs paysans étaient mal armés, mal
équipés; .Miiiizcr élablit sou camp sur un monliculc qu'il fit en-
tourer d'un rernparl de chariots, il s'eliorça d'enfiammer le cou-
rage des paysans et de leur inspirer la certitude de la victoire.
'< Les princes -, leur di(-il au moment de l'action, ' ruinent vos
terres et vous oppriment; ils viennent déléndre et rétablir le faux
culte des prêtres et des moines; mais Dieu a juré la perte de ces nou-
veaux (liananéens ! Ne vous laissez pas intimider parla chair et le
sang, allafjuez hardiment les ennemis! Dieu e>t pour nous, vous le
voyez, car il nous donne en ce moment un signe certain de sa pro-
tection. Cet arc-en-ciel qui se montre dans les nues signifie qu'il
vient lui-même à notre secours; ne portons-nous pas un arc-en-ciel
dans notre bannière? Or, par ce même signe, Dieu menace les
princes, ces homicides, de sa justice et de son châtiment. Soyez
donc sans crainte, et ne songez qu'à bien vous battre! Dieu ne veut
pas que vous lassiez la paix avec les impies! Alors les paysans en-
tonnèrent le cantique : Viens, Esprit-Saint! et, sûrs de vaincre,
attendirent le premier choc de l'ennemi. .Mais à peine la cavalerie
des princes alliés eut-elle brisé leurs faibles retranchements, à
peine les premiers d'entre eux furent-ils tombés, qu'ils s'enfuirent
dans un inexprimable désordre. Six raille furent impitoyablement
massacrés. De ceux qu'on fit |)risonnlers à l'intérieur de la ville,
trois cents furent décapités sur-le-champ. Nous avons conquis
Frankenhausen -, écrivait le landgrave Philippe le 16 mai au len-
demain de la bataille, i et nous avons passé au fil de l'épée tout ce
que nous y avons trouvé de rebelles; la ville a été saccagée. Ainsi
donc, avec laide de Dieu, nous avons remporté la victoire, ce dont
' • On peut à peine s'expliquer ' , remarque l'équitable Strobel (p. 105), • l'ex-
trême apathie des princes durant les premiers mois des émeutes. Pourquoi
assistèrent-ils passivement à de telles dévastations? Peut-être faut-il cher-
cher la raisjn principale de l'indifférence dont ils firent preuve (en parti-
culier l'électeur Frédéric de Saxe» dans le fait que les premières attaques des
rebelles furent dirigées sur les couvents, les prêtres, les moines et les reli-
f^ieuses, et qu'ils ne voyaient pas sans une certaine satisfaction la puissance et la
richesse du clergé attaquées. • Le 14 avril 1525, alors que depuis longtemps la
populace des villes et des campagnes avait exercé de tous côtés d'affreux
ravages, Frédéric, déjà atteint de la maladie dont il mourut, écrivait à son
frère lean, pour satisfaire aux instantes prières du duc Georges de Saxe, que
les princes feraient peut-être bien d'unir leurs forces pour arrêter la révolte.
« Il faut opposer la force à cette puissante rébellion. Peut-être a-t-on donné
sujet aux pauvres de se soulever ainsi, surtout en interdisant la parole de bien ;
peut-être les pauvres ont-ils été opprimés de beaucoup de manières par nous
autres autorités spirituelles et temporelles. Si telle est la volonté de Dieu, il
peut arriver que le pouvoir passe aux mains du peuple. Si au contraire ce n'est
pas sa divine volonté et ne doit pas revenir à sa gloire, nous verrons bientôt
les choses changer de face. » — Strorel, p. 126. L'Électeur mourut le 5 mai. en
pleine tourmente révolutionnaire. La sanglante guerre de religion qu'il avait
prédite le jour de Noél 1517 éclatait à ce moment de tous côtés.
36.
564 SUPPLICE DE MUNZER. CHATIMENT DES REBELLES.
il est juste que nous rendions grâces au Tout-Puissant, espérant
avoir agi pour sa gloire'.
Münzer, qu'on trouva caché sous un lit à Fraukenhausen, fut
amené en présence des princes, interrogé sur le motif qui l'avait
porté à égarer et à perdre un si grand nombre d'hommes, il répondit
avec hauteur : ^^ que c'était à bon droit qu'il avait conçu le dessein
de châtier les princes, puisque ceux-ci s'élaient opposés à l'Évangile
du Christ. - Au landgrave qui s'efforçait de lui prouver par des
textes de la Bible qu'on est obligé de se soumettre aux autorités
constituées par Dieu, il ne répondit rien. Lorsqu'on lui mit les
menottes, le duc Georges, l'entendant pousser un cri de douleur, lui
dit : " Tu souffres, Thomas! Mais combien les pauvres gens, mas-
sacrés par ta faute, n'ont-ils pas souffert davantage! Münzer lui
répondit avec un rire sauvage : C'est vous qui l'avez voulu!
Il fit des aveux complets; après avoir conquis tout le territoire de
Mulhausen, puis la Hesse, il s'était propose, déclara-t-il, d'établir
une complète égalité parmi les chrétiens, et d'expulser ou de mettre
à mort tous les princes on seigneurs qui refuseraient de soutenir
l'Évangile et de se joindre à l'inion >•.
Pendant sa captivité, ses dispositions changèrent complètement.
11 écrivit aux habilants de Mulhausen pour les invilcr à se soumettre
à Taulorilé, disant »en terminant sa lettre : - Avant de quitter ce
monde, et pour ôter de mon àme le lourd fardeau qui l'oppresse, je
viens vous sup])lier encore de ne plus vous révolter à l'avenir, afin
que le sang innocent soit épargné-. " - Sans y être aucunement con-
traint, poussé par le mouvement de sa propre conscience -, il ré-
tracta loutes ses erreurs, se reprochant surtout d'avoir, par ses dis-
cours incendiaires contre les pouvoirs établis, fomenté tant d'émeutes
et de séditions pernicieuses; priant qu'ayant égard au comman-
dement de Dieu, on oubliât le scandale cju'il avait causé, qu'on
obéit à l'avenir aux autorités constituées par Dieu, et qu'on lui
pardonnât l'exemple funeste qu'il avait donné «. " 11 s'accusait sur-
tout d'avoir, par ses prédications, poussé à la révolte, tenté beau-
coup d'âmes, et propagé des doctrines fausses, des hérésies, des
blasphèmes touchant le Très-Saint Sacrement du Corps de .lésus-
Christ et les lois de l'Église universelle. 11 reconnut pour véritable
tout ce que la sainte Église a toujours tenu et tient encore pour dogme
immuable, et rentra dans l'union et la paix; il déclara vouloir mourir
' Relation de la bataille de Frankenhausen par Philippe de liesse, le mardi
après Cantate (16 mai) lô25, dans Kraus, p. 42-43. Le l;tndp,rave évalue à six mille
les morts de cette journée, et à six cents le nombre des prisonniers.
- Seidemann, Thomas Münzer, p. 146.
LUTiii'ii SI' Il i,.\ iu:i'iii;.ssioN in;s i-aysans. io-'ô. 56.0
en fils obéissant e( repenlant de la sainte Éjjlise, suppliant qu'au
nom (le Dieu, on vouli^l bien prier pour son ätne el lui pardonner
(•"ralerneileineiit ses loris; il demanda aussi «pTil IVil permis à sa
femme et à ses euianis de recueillir son liéritajje'. Il se prépara
pieusement à la mori, se confessa selon le rite catholifiue et com-
munia sous une seule espèce. Avant de recevoir le coup mortel, il
reconnu! une dernière l'ois ses fautes devant tous, mais en même
temps il exhorta les princes qui l'entouraient à se montrer doux et
équitables envers leurs sujets, afin qu'à l'avenir de si iuuestes ré-
voltes pussent ôlre évitées. Il les exhorta à lire pour leur instruclion
les livres de Samuel et des H ois, el d'y méditer ce ([ui y est rapporté
sur la mort réservée aux tyrans.
Le compagnon de Miinzer, Prcif'l'er, fait prisonnier à Kisenach
avec environ cent de ses partisans, mourut aussi de la main du bour-
reau; 1 mais il Ht une mort d'endurci •■, sans préparation, sans
repentir, sans sacrements.
Cependant les princes alliés, auxquels s'était joint le nouvel élec-
teur, Jean de Saxe, s'étaient emparés de Mulliausen. Tète nue et
pieds nus, tenant à la main des bâtons blancs, les bourgeois se
présentèrent dans le camp des princes alliés et leur remirent les
clefs de la ville. .Mulhausen (les droits de l'Kmpereur et de l'Empire
réservés) dut jurer obéissance à l'Électeur, au duc (ieorges et au
land[;rave Philippe, payer quarante mille florins d'indemnité de
guerre, un tribut annuel, abattre ses donjons, ses murs et forte-
resses, restituer au clergé tout ce qui lui avait été enlevé, et dé-
dommajver la noblesse des pertes subies. Plusieurs chefs de la
révolte lurent décapités; en peu de temps, l'insurreclion était com-
plélemenl domptée dans les différents territoires des princes. A Lan-
gensalza, quarante rebelles périrent sur l'échafaud. A Erfurt, l'ancien
conseil reprit ses fonctions, et se montra sans pitié et sans misé-
ricorde pour ceux-là mêmes que, si peu de temps auparavant, il
avait traités de frères, et fait servir d'instruments à sa honteuse po-
litique.
IX
= La barbarie dont on use envers les pauvres gens ", écrivait
Luther les 23 el 30 mai à propos des représailles dont les paysans
étaient l'objet, - est chose vraiment lamentable. Mais comment
1 Bckentnus, Bl. A., 1-3.
566 LUTHER SUH LA RÉPRESSION DES PAYSANS. 1525.
faire;" II fallait être sévère, et Dieu veut qu'une crainte salutaire soit
imjjrimée aux coupables, autrement Salan ferait bien pis encore! »
u Ouelle raison anrait-ou de montrer aux paysans une si p,rande clé-
mence? S'il se trouve des innocents parmi eux, Dieu saura bien les
protéger et les sauver, comme il a fait avec Loth et .lérémie. Si Dieu
ne les sauve pas, c'est donc qu'ils sont criminels; le moindre mal
qu'ils aient pu commettre, c'es! de se taire, de laisser faire, de con-
seutir. S'ils l'ont fait par stupidité ou par peur, ils n'en sont pas moins
coupables, et ils ont mérité le châtiment de Dieu, tout comme celui
qui, par crainte des hommes, renie le Christ. Et si je me montre si
dur envers eux, c'est surtout parce qu'ils ont forcé et contraint les
peureux et les faibles à partager leur rébellion, ce qu'ils ne cessent
encore de faire tous les jours. Qu'on leur donne de la paille d'avoine
à manger, car ils n'écoutent pas la parole, ils n'ont pas l'ombre de
bon sens! Puisqu'il eu est ainsi, il faut leur faire comprendre leur
di;voir par l'arquebnse et le fouet, et certes ils l'ont bien mérité!
Prions pour eux, afin qu'ils apprennent à se soumettre; mais il n'y a
pas lieu de beaucoup les plaindre! Croyez-moi, laissez les carabines
fredonner à leurs oreilles, sans cela ils feront mille fois pis. " - Celui
qui a vu Münzer peut bien dire qu'il a vu le diable en chair et en os,
dans sa plus grande furie! 0 Seigneur Dieu, s'il règne un tel esprit
parmi les paysans, il est grand temps de les égorger comme des
chiens enragés! " Et comme à cause de semblables paroles on traitait
Luther d'hypocrite, de flatteur de princes, il témoigna qu'un tel
reproche lui plaisait fort, et qu'il s'en faisait gloire '.
Ce nouvel écrit était intitulé : Contre les hordes homicides et pillardes
des paysans, c. L'autorité chrétienne ■■, disait Luther, « doit s'effor-
cer de traiier en toute justice et loyauté avec les rebelles insensés,
bien qu'ils ne le méritent pas ; mais si les bons procédés restent insuf-
fisants, il ne faut pas hésiter à se servir de l'épée. >' S'étant montrés
déloyaux, parjures, menteurs, rebel es, scélérats, infâmes, les paysans
avaient plus d'une fois mérité la mort dans leurs corps et dans leurs
âmes. Aussi non-seulement l'autorité, mais le premier venu avait-il
le droit et le devoir de les mettre à mori, car un homme qu'on peut
convaincre du crime de rébellion est au ban de Dieu et de l'Empe-
reur, et tout chrétien peut et doit l'égorger, et fera bien de le f sire,
parce (]ue, vis-à-vis d'un rebelle, chacun est investi des pouvoirs de
juge cl de bourreau, ù Donc celui qui eu a l'occasion peut égor-
ger, exterminer soit publiquement, soit en secret, le rebelle
qu'il rencontre, et bien se persuader que rien n'est plus venimeux,
plus pernicieux, plus diabolique qu'un révolté. Il en est de lui
' De Wette, t. II, p. 606, 669-670, 671.
MAHI.\f;E DE LUTH LR. 1.025. jG7
comme fl'mi cliicn eur.ijjé : si tu ue l'abats pas, il (e luera, et tous
ceux (le Ion pays avec toi. . Tonte autorili'; qui ne châtie point
du cleiiiier supplice celui qui s'est dcclaiT contre elle est res|)Ou-
sable des meurtres qui se commettront dans l'aveuir. Il n'est pas
question ici de patience et de miséricorde! C'est maintenant le
temps du jjlaive, le temps de la colère, et non celui de la {;ràce! '
Luther avait nié jus(|ue-là qu'on piU obtenir le ciel par la prière ou
les bonnes œuvres, mais maintenant il écrit : « Nous vivons en des
temps si extraordinaires qu'un prince peut mériter le ciel en versant
le san^y, beaucoup plus aisément que d'autres en |)riant. Rien qu'en
considération des malheureux que les paysans contraignent à entrer
dans leur lip,ue diabolique, l'autorité peut en toute conscience se
servir du glaive. '^ C'est pourquoi, chers seigneurs, déchainez-vous,
.sauvez-nous, aidez-nous, ayez pitié de nous, exterminez, égorgez, et
que celui qui en a le pouvoir agisse! Si tu meurs pour avoir suivi ce
conseil, ton sort est digue d'envie, car tu ne saurais faire une mort
plus sainte '. »
« Que de malédictions n'ai-je pas attirées sur ma tête par mon petit
livre contre les paysans! • écrit Luther le 15 juin 1525 à .leau Rühel
et à deux autres de ses amis; - tous les bienfaits dont Dieu a comblé
le monde par mou entremise sont oubliés. Maintenant les seigneurs,
les prêtres, les paysans, tous à la fols sont contre moi et me mena-
cent de mort. Mais comme ses ennemis ^ sont des insensés et des
furieux -, Luther se propose de les rendre plus fous et plus furieux
encore». 11 s'était marié'-; le 17 juin, il écrivait â l'un de ses amis en
l'invitant à ses noces : Vous savez ce qui m'est arrivé? Je me suis
embarlificoté dans les nattes de ma catin! Dieu prend plaisir à émer-
veiller, à berner, à rendre fou le monde et moi! Préparez-vous, le
jour du festin, à aider ma fiancée â bien certifier que je suis un
homme'! » -■ Notre Luther •■, mande à cette date le prédicant .iuste
Jonas à Spalatin, < a pris Catherine de Bora pour femme. J'étais
présent à la fête; j'ai vu la fiancée couchée dans son lit, et, à ce
spectacle, je n'ai pu retenir mes larmes! En vérité. Dieu est admi-
rable dans ses conseils et dans ses œuvres *■ ! -
1 Siinnntl. Werke, t. XXIV, p. 288-294.
* [)E Wette, t. III, p. 1-2.
' De Wette, t. III, p. 9.
* • Lutlierus noster duxit uxorem Catharinam de Bora. Ileri adfui rei et vidi
sponsHiii in llialmno jacentem. Non potui me continere, astaiis huic spectacnlo,
qnin iiiaclirj maien. nescio quo affectu aiiimum percellente... mirabilis Dtus in
coiisiliis etoperibus suis! ■ Spalatini .-. dans Mencken, t. II. p. 645. Mélanchtiion s'ex-
prime Ktut différemment à propos de ce mariage, dans une lettre confidentielle
écrite à ( amerariiis, lettre qui témoigne de peu de respect pour Lutlier et pour
Catherine de Bora. Il accuse de tout le mal les religieuses échappées de leur
568 LUTHER CONTRE LES PAYSANS. 1525.
De même que Luther regardait son mariage comme l'œuvre de
Dieu, il considérait son livre comme inspiré par Dieu même'. Celait
de par Tordre du Seigneur, disait-il, qu'il s'opposait aux paysans,
et il ne voyait dans ceux qui le blâmaient et l'accusaient à ce sujet
que les complices des rebelles : Il faut conseiller à ceux qui criti-.
quent mon petit livre -, dit-il dans une lettre adressée au chancelier
de Mansfeld, Gaspard Müller, de tenir leur gueule fermée, et de
veiller sur eux, car cerlaineraent leur cœur est en secret révolté.
Ils sont du parti des rebelles : ceux qui les plaigneu* les justifient
et ont pitié de ceux dont Dieu n"a pas pitié, qu'il châtie et veut
perdre. Celui qui soutient ainsi les coupables, soyez sur cjue, s'il en
trouvait l'occasion et l'heure, il préparerait de nouveaux attentats,
depuis longtemps résolus au fond de sou àme. Aussi l'autorité doit-
elle se saisir de tels personnages, et veiller à ce qu'ils se taisent, et
soient bien avertis qu'il ne faut pas plaisanter en un tel sujet ^ "
couvent qui demeuraient chez Luther. » Luther», écrit-il, « est un homme ex-
trêmement ardent (àvr,p oS; [j.âXirjTa EO/j>r,ç , et les religieuses ont employé envers
lui toutes sortes de ruses, si bien qu'elles en sont venues à bout. La cohabi-
tation la efféminé et enflammé de passion, bien que ce soit un homme éner-
gique et d'un grand caractère. » - C'est ainsi qu'il est tombé dans le panneau. «
Mélanchthon espérait que le mariage améliorerait Luther et le calmerait Otî ô
ß{o; o-jTocri r;i\j:/rj-z r/y/ aOxov T^oir.Gzi). Cette lettre, copiée sur le texie original, a
été communiquée par W. Meyer. dans les Slizumjkhcricluen der Münchener Académie
der U'isienschaflen philosoph. philolog -und hislonsche Classe, 1876, p. 601-604. — Voy.
K. Germanls, lù'/urmalorenbilder iFribourg, 1883), p. 285, note 20.
■ - Dominus me subito aliaque cogitantem », écrivait-il le 20 juin 5 Venceslas
Link; « conjecit mir.? in conjugium cum Catherina Borensi moniali illa. » Le
22 juillet, il écrivait au même ami : 'Beiie vale in Domino. Je suis lié et empri-
sonné par Catherine, et je suis couché sur la funèlire litière (jeu de mot intra-
duisible : Ich liege auf der Bore [Bahre i, scilicet mortuus mundo. Salutut autem te
tuamque Catenam mea Cateiia. • Et à Spalatin ie 16 juin : '- Sic me vilem et
contemptuiii bis nuptiis feci, ut angelos ridere et omnes da>mones fleresperem.
iN'ecdnm nniiidus et sapientes agnoscunt opus Dei pium et sacrum et in me
uno faciuiit id impium et diabolicum. » — De Wette, t. III, p. 3, 10, 18.
' Luther écrivait à Amsdorf à propos de son livre : « Ego vero non tam mise-
reor nostrorum socioruin, qui me judicantessuum simul spiritum sanguinarium
et seditiosum produnt. Ouare gaudeo sic Sataiiam indignari et Idasphemare,
quoties a me langitur. Oui enim sunt nisi Satanae illse voces, quibus me et
Evangelium traducere nititur?... Erit forte tempus, ut et mihi liceat dicere :
Omnes vos scandalum patiemini in ista nocte. » « Ego sic sentio, melius esse
omnes rusticos ca-di, quam principes et magistratus. eo quod ruslici sine auclori-
tale bei gladium accipiunt. Quam nequiliiuu Satana' sequi non polest nisi mera
satanica vastitas regni Dei, et mundi principes, etsi cadunt, tamen gladium auc-
toritate Dei gerunt. Ibi utrumque regnum consistere potest, quare nulla niise-
ricordia, nulla patientia rusticis debetur, sed ira et indignatio Dei et hominum
lis, qui non acquiescunt monitis, nec oblatis conditionihus acquissimis ceduut,
.sed furore Satana? solo pergunt omnia miscere, quales sunt isti Thuringici et
Franconici. Ilos ergo juslificare, horum misereri, illis favere, est Deum negare,
blasphemare et de cœlo velle dejicere. • — De Wette, t. II, p. 671-672. Le pré-
dicant de Zwickau, Hausmann, qui, sur la demande de l'électeur de Saxe, et con-
trairement aux conseils de Luther, s'était montré clément envers les paysans,
LU TU KU (;f)NTKE I, K S PAYSANS. 1525. 569
« Oue si mon scnliinciil vous semble (rop dur, si vous le trouvez
violent, emporté, injuste, je vous répondrai (|ue j'ai le droit de parler
ainsi, car un révolté n'est pas dij^ne (|u'on parle raison avec lui; il
ne veut rien entendre. Ce n'est (pie par le poinj; qu'il faut répondre
à ces bodclies maudites, jiiscpi'à ce (jue la sueur leur sorte par le nez!
Les paysans ne veulent rien écouter, ils ne soutirent pas qu'on les
avertisse; donc il laut leur trotter les oreilles avec des pierres d'arque-
buse, et faire voler leur tète en l'air! A de tels écoliers convient une
telle férule! . Si l'on dit (ju'en cette question je manque d'luin)anité
et de miséricorde, je répondrai : Cessez vos bavardages! Il s'agit
mainten.iMl de la |)arole de Dieu, qui veut que le souverain soit honoré
cl les révoltés détruits, et Dieu est cependant tout aussi miséricor-
dieux que vous! » " C'est pourquoi mon petit livre est équitable et
restera tel, quand bien même le monde entier s'en scandaliserait.
Ce que j'ai écrit, je le répète encore : Les ])aysans obstinés, endurcis,
aveuglés, qui ne veulent pas être repris, personne ne doit en avoir
pitié; que celui qui en a l'occasion les hache, les empale, les égorge,
les assomme comme des chiens enragés, et qu'on vienne ainsi eu
aide à ceux (pji, par leurs méchants conseils, seraient ruinés, séduits
et tentés! Exterminer les insurgés, c'est travailler à la paix et à
la sécurité générales. "
Si quchjues semaines auparavant ' il avait affirmé que le joug
pesant et intolérable des princes et des seigneurs avait été la seule
cause de la révolte, il était à présent convaincu que la volonté de
Dieu s'était révélée pendant la guerre, de iaçon que les paysans en
retirassent une utile leçon; jusque-là, leur vie avait été trop douce;
n'ayant pas su apprécier les bons jours, il leur fallait maintenant ap-
prendre à bénir Dieu de leur sort; désormais quand ils auraient à
donner une vache à leur seigneur, ils s'estimeraient très-heureux de
pouvoir garder l'autre en toute sécurité, ils avaient oublié le prix
de la paix, de la tranquiUité. Ils ignoraient combien l'on doit se
trouver satisfait lorsqu'on peut manger eu paix son morceau de
pain et boire son coup de vin sans inquiétude; puisque autiefois ils
n'avaient pas su se montrer reconnaissants des bienfaits de Dieu, il
était juste qu'ils en subissent à présent la peine, afin que la déman-
geaison de l'émeute ne les reprit pas de sitôt.
Les princes et seigneurs, selon la manière dont Luther envisageait
écrivait pour se justifier : « Veuillez m'excuser auprès de Luther. On m'assure
qu'on nie représente à ses yeux comme ayant mal et injustement agi en inter-
cédant pour les pays;ins. Mais je voyais et j'entendais dire que des innocents
étaient emprisonnés, qu'on n'usait pas envers eux de mesures équitables, et que
la torture était employée », etc. — Strobel, Thomas Mànzer, p. 135.
' Voy. plus haut, p. 513.
570 VICTOIRES REMPORTEES SUR LES REBELLES. lr,25.
mainlenant la question, devaient à leur tour retirer une leçon
salutaire des événements qui venaient de se passer; à l'avenir, ils
devaient se montrer fermes et gouverner avec rigueur. - Avant
l'insurrection », disait Luther, nulle main énergique ne savait
tenir les rênes; Tordre n'était nulle part, le peuple avait perdu
tout respect, toute crainte. Tout était permis, et tout allait à la dé-
rive; cliiicun ne faisait que ce qui lui plaisait. On se refusait à
payer les dîmes; on ne se plaisait que dans les festins, les dé-
bauches, les riches habits, l'oisiveté; il semblait que tous fussent
devenus seigneurs. » De même que l'âne doit être étrillé, le peuple
doit êlre maté; Dieu le sait bien; aussi a-t-il mis entre les mains de
l'autorité, non la queue d'un renard, mais un glaive. '
A la fin de sa lettre, il répète encore : « Ce que j'enseigne et écris
restera vrai, dût le monde en crever de dépit ' ! »
" Moi, Martin Luther -, écrivait-il bien des années après, "j'ai
exterminé tous les pajsaus insurgés; j'ai moi-même ordonné leur
supplice, et tout leur sang rcîombe sur moi. Mais je le fais remonter
jusqu'à notre Seigneur Dieu, car c'est lui qui m'a ordonné de parler
comme je l'ai fait *! »
X
Antérieurement à la journée de Frankenhausen, le sénéchal Georges,
à la tête des troupes alliées de Souabe, avait remporté une brillante
victoire sur une armée de paysans de dix à ving:t mille hommes,
près de Böblingen (12 mai 1525). Ce succès décisif avait suffi pour
apaiser entièrement la révolte du Wurtemberg. Melchior Nonneu-
macher, le même qui avait joué du fifre au moment du meurtre
du comte d'Helfenstein, et .Jacques Wirt, qui avait porté le premier
coup â la vicsime et, revêtu du pourpoint de damas du comte, avait
insulté à la douleur de sa malheureuse épouse, furent faits prison-
niers; tous deux, liés à des arbres, furent lentement brûlés. Jacques
Rohrbach, pris après le combat tandis qu'il fuyait, fut chargé de
1ers et condamné au même supplice. « Les représailles ne furent
pas moins barbares que les crimes avaient été féroces. '• Le 17 mai,
le duc Antoine de Lorraine, qui considérait la guerre comme une
croisade entreprise pour la défense de l'Eglise ca(holique\ mit en
^ Ein Sendbrief von dem liarlcn Büchlein wider die Bauern. Sümmtl. (l'erke, t. XXIV,
p. 295-319.
- Samnll. Werke, t. LIX, p. 281-285.
•* HaRTFELDEU, Bauernkrieg, p. 120.
VI CTO I» ES HKMI'OHTF.ES SUR LES REBELLES. 1525. 571
déroute les rebelles d'Alsace près de Saverne. Vin(;l mille pay.sans
environ périrent en peu <lc Jours : Les villages sont déserts > ,
écrivail le niar[;rave Ernest de Bade au conseil de Bâle; < les femmes
et les enfants prennent la luite, et c'est un spectacle pitoyable '. Le
18 mai, le sénéchal (;corj;es, après (pie les |)aysans du \Vurteml)er}',
eurent renouvelé entre ses mains leur serment de fidélité, retourna
sur ses pas, pour aller venger, à VVeinsberg, les forfaits du 16 avril.
La ville fut livrée aux flammes et détruite de fond en condjle, avec
tout ce qu'elle contenait de vivres, de meubles et de bétail. Sur la
plac<' où les nobles avaient été massacrés, une chapelle fut érigée;
un service funèbre annuel y tiil fondé. On mit le feu à plusieurs
villages et hameaux des environs, oii l'insurrection menaçait encore
d'éclater.
Pendant ce temps, l'électeur palatin Louis avait peu à peu ras-
semblé à Heidelberg, où les évéques Conrad de Wurz'oourg et
Georges de Spire s'étaient réfugiés, une armée de mille cavaliers et
de trois mille hommes de pied, munie d'excellentes pièces d'artille-
rie. L'archevêque de 'l'rèves lui avait envoyé un renfort de trois
cents cavaliers et de quinze cents hommes de pied, et le landgrave
Philippe de Hesse, trois cents cavaliers de Clèves, avec leur capi-
taine. Cette armée, le 23 mai, quitta le camp d' Heidelberg et se
dirigea vers Bruchsal, où campait l'armée des insurgés du Bruhraiu,
forte d'environ sept mille hommes. A la nouvelle de l'approche des
princes, plusieurs bourgeois et conseillers de la ville demandèrent
à parlementer avec le maréchal de camp de l'Électeur. Us promirent
de se soumettre, eux et la ville, sans condition; les portes furent
ouvertes aux alliés le 25 mai : les rebelles durent livrer leurs armes
et payer une amende de quarante mille florins ; plusieurs de leurs
chels furent décapités.
Dans le margraviat de Bade, un traité de paix, conclu le 25 mai,
mit hn à l'insurrection *.
Le 28 mai eut lieu près de Fürfeld, entre Hilsbach et Neckarsulm,
la jonction des armées de Trêves et du Palatiuat avec l'armée de la
ligue souabe. Les princes avaient maintenant sous leurs ordres huit
mille hommes de pied et vingt-cinq mille cavaliers. - Princes, cava-
liers, lansquenets, tous brûlaient de mettre fin aux révoltes de
Franconie, et se sentaient remplis despoir, car ils recevaient de tous
côtés de bonnes assurances que les paysans, malgré leurs fanfaron-
nades, étaient sans ressource, perdaient courage, et de plus étaient
divisés entre eux '. >■
' Anshelm, t. VL p. 29^.
- HarTFF.LDEU, Bann-nkrieg, p. 190.
^ Relatioa du 5 juin 1526 dans les Trierischen Sachen und Biie/scha/len^ p. S2.
572 FROCLAMATION DES UEBELLtS EN FRAÎN'CONIE. 1525.
Les chefs des hordes de Wurzboiirg, voyant qu'ils ne parvenaient
pas à organiser le parlement populaire d'Heilbronu, où devait être
élaborée ' une nouvelle constitution, convoquèrent le 27 mai une
" assemblée nationale ■ à Schweinlurt. Là devaient être discutés
les moyens de défendre -- la parole de Dieu, la paix et le droit ; là
un nouveau pouvoir devait êire établi «. Cette assemblée avait élé
convoquée pour le 1" juin; les princes alliés, les comtes, les sei-
gneurs devaient, autant que possible, y paraître en personne; les
villes et villages, s'y faire représenter par deux délégués au moins.
La veille de l'appel fait à toutes les autorités, le 26 mai, les chefs des
rebelles, par une lettre signée de leur sceau et de celui de Wurz-
bourg, réclamaient solennellement, pour la défense de l'Evangile,
l'appui des électeurs, princes et autres ordres de l'Empire, et celui
de tous les bourgmestres et conseillers des villages et des com-
munes. " Comme il faut être plus obéissant à Dieu qu'aux hommes »,
disait leur proclamation, ' nous nous sommes unis fraternellement et
amicalement pour la cause du saint Évangile, et pour le maintien de
la paix et du droit. INous avons résolu de raser tous les châteaux, ces
repaires de brigands, car ils ont causé le dommage et la ruine des
marchands et du peuple. Nous poursuivrons notre œuvre avec l'aide
du Tout-Puissant; nous ferons proclamer la paix générale sur les
routes et rivières. Nous vous prions donc respectueusement et ami-
calement de nous prêter main-forte et assistance en une si chré-
tienne entreprise, et de ne vous opposer à nous ni par les actes, ni
de quelque manière que ce soit-. -^ Quelque temps auparavant, ces
mêmes chefs avaient fait savoir à tous les nobles de l'Empire que,
désormais, ils n'avaient à recevoir d'autres ordres que ceux de la
" Fraternité ". Il était interdit à tout gentilhomme de se montrer à
cheval dans les rues ou sur les routes; il devait aller à pied, se con-
tenter de la nourriture commune, et être en tout égal aux autres.
Cependant lorsqu'un noble demanderait à acheter quelque chose
avec son argent, on ne devait point s'y opposer. L'armée unie était
d'avis que les nobles devaient renoncer à leurs anciennes demeures,
et faire construire dans les villes et villages des maisons semblables
en tout à celles de leurs frères. Si quelque noble demandait a
détruire lui-même son habitation et à tirer parti, selon ses besoins,
de ce qu'elle renfermait, on pourrait le lui permettre. Mais si un
gentilhomme avait du blé en grande abondance, il devait sans
hésitei' le mettre à la disposition de l'armée de l'Union, pour servir
les intérêts et les besoins de ses frères •\
' Voy. plus haut. p. 471.
- Bense.\, p. 342-344.
^ Bensen, p. 205.
(iOTz DE in:iu, ICH iNr;F. \ abandonnk i. i:s paysans. 573
IVF.iis laiMOîj^ancc des révoltés cf des incendiaires alhiif prendre
fin. Ceux qui auparavant leur avaient prêté secours, avant que les
princes se lussenl armés et mis en campaf>ne, ou ne pouvaient
pins rien, ou désertaient, saisis d'efïroi. L'assemblée de Schwcinturt
n'eut pas lieu. Le peu d'hommes qui s'y rendirent se dispersèrent
comme de la paille an vent, dès qu'on entendit siffler les arque-
buses ' ".
Ce fut en vain que les paysans de Franconic implorèrent le secours
du duc Ulric de Wnrlendier;';, l'allié de leurs frères, lui alfirmant
" qu'ils s'apprêtaient à marcher contre la lijjue souabe avec une armée
d'environ trente mille hommes, bien résolus de défendre la parole
de Dienet la liberté chrétienne, et de mettre un terme à l'oppres-
sion dont les pauvres étaient victimes " ».
Ce lut également en pure perle (pi'ils demandèrent du secours
à Ileilbronn et à >;urembcrp;. Peu de temps auparavant, les conseil-
lers de cette dernière ville avaient sonlfert sans mot dire (pie les
paysans vinssent chercher chez eux des vivres et des munitions, et
lorsque, le M mai, les révoltés les avaient interrogés sur ce qu'ils pour-
raient attendre d'eux, lorsqu'ils se dirip,eraieut vers la Franconie
du Sud à la tète de leurs bandes, ils avaient répondu que leur fidé-
lité à la cause évan{',élique était bien connue, et que les paysans,
pourvu que la cité ne fût point inquiétée, n'avaient rien à redouter
de leur part. Mais après la victoire du sénéchal et des princes
alliés, leurs dispositions changèrent complètement, et ils firent
écrire aux paysans que la révolte " n'était pas évangélique, mais
diabolifjue ' . Ileilbronn se montra tout aussi mal disposé pour la
Fraternité chrétienne. Jusque dans le camp des révoltés régnaient
le trouble et la discorde. « Parmi les paysans >>, écrivait Erhenfried
Kumpf, « il n'y a ni paix, ni obéissance, ni union, ni fidélité, ni foi.
Tout ce qui a été garanti, juré, écrit, on n'eu tient aucun compte
dès le lendemain, et l'on agit dans un sens tout contraire^ ' Les
insurgés étaient trahis et abandonnés par leurs propres chefs. Götz
de Berlichingcn, qui, selon le traité signé au camp de Wurzbourg^
devait, avec huit mille hommes et quarante-six pièces d'artillerie,
empêcher la ligue souabe d'opérer sa jonction avec les princes et
couvrir les paysans des environs de Sulm, s'échappa secrètement, au
' Dit la relation citée page précédente.
* Dans Walciine[\ und Bodent, p. 316-317. — Voy. OEchsle, p. 190.
^ Voy. OEchsle, p. 116, 190. — Ben.sen, p. 361-362. — « C'est la vérité que les
chefs du camp d'IIeidinjjsfeld se sont emparés à Wurzbourg de beaucoup de vin
qui avait appartenu aux clercs, et l'ont dirigé sur Nuremberg; là ils l'ont vendu,
et avec l'argent ils ont acheté de la poudre. - — Laurent Fiues, p. 226.
* Bensen, p. 410, note 1.
574 VICTOIRES REMPORTEES SUR LES REBELLES EN FRANCOME. 1525.
milieu de la uuit du 29 au 30 mai, non loin d'Adolzfurt, et précisé-
ment au moment oii la sanglante bataille allait se livrer. Sa trahison
fut pour les paysans le signal de la déroute'. A Konigshofeu, où
Tarmée des princes alliés offrit la bataille aux hordes du Neckar et
de rodenwald, Georges Metzler, le général en second de V ■■ Union
chrétienne », chercha également son saint dans k fuite au moment
même où l'action allait s'engager *.
Pendant cette horrible journée, les paysans, privés de chef,
affolés par la terreur, furent traqués comme un troupeau de san-
gliers ». " La plupart jetaient leurs fusils, les autres, dans leur
épouvante et leur angoisse, ne savaient comment s'en servir; fuir
leur semblait la meilleure arme. On en fit un affreux carnage. Une
troupe de ces malheureux s'étant jetés dans un bois, pensant pou-
voir se défendre en interceptant les chemins, furent mis à mort par
les soldats. Lesunsgrimpaientsurlesarbreset étaient abattus à coups
de mousquet; les autres élaient massacrés par les piques de la cava-
lerie, ou périssaient sous les pieds des chevaux. Environ treize cents
finirent ainsi^ » ^- Le chiffre total des victimes fut de trois mille*.
Il y eut trois cents prisonniers. L'artillerie, les munitions de guerre
furent capturées. - Et les vainqueurs, pleins d'allégresse, parcouraient
le champ de bataille, au joyeux son des clairons et des trompettes. ■
Le 3 juin, Mergensteiu se rendit à grâce et à merci . Le 4, les
armées de Franconie, commandées par Florian de Geyer, furent mises
en déroute à Ingolstadt, au sud de Wurzbourg \ < Au village et
1 Voy. WEGELE,p. 159-164. —Voy. Stalin, t. IV, p. 304-305, note 3. (,e 29 mai, Goîz
rapportait à llans Reuter, maire de Bieriiigen, qui commandait avec lui l'armée
de ITiiion, qu'il avait njjtenu de Dietrich Spät, au nom de la li[;ue souabe. la
promesse que les paysans, même s'ils avaient commis des actes dhosiilité envers
la ligue, seraient recula miséricorde et merci, excepté les moteurs de l'émeute
et les meurtriers de V/einsberg. Mais comme les paysans ne voulurent point
croire Götz, il s'écria : ^ Plutôt je serai loin de vous, plus je serai satisfait,
car, de la manière dont vont les choses, je vois bien que je ne pourrais long-
temps mériter vos remerciments! Me mettre en campagne, guerroyer contre
les ennemis ne me convient pas, car bien que j'aie soutenu votre cause, je suis
engafîé, comme vous le savez, avec la ligue, et en récompense de tout le zèle
que j'ai montré pour vous, elle me ferait vite mon affaire. Donc, je vous sup-
plie de me décharger de mon fardeau. » - En dehors de cela ». poursuit Götz, -je
n'ai rien à te mander, si ce n'est que la ligue a beaucoup de cavalerie. - Dans
Berlichinc.en Rossach, p. 237. — Voy. l'article de Baumgartner sur Götz de
Berlichingen dans les Stimmen aus Maria Laach, 1879, p 31Ö-313.
' Voy. Bensen, p 424.
3 IlEROLT, p. lOy-110.
* C'est le chiffre que donne Georges de Waldbourg dans sa relation de la ba-
taille. — Voy. Be.nse.n, p. 569.
5 Florian de Geyer parvint à se frayer un passage à travers l'armée ennemie,
et se rendit dans le lerritoiie de Hall, où, le 9 juin, il succomba dans un duel
avec son beau-frère Guillaume de Grumbacb, devenu plus tard si célèbre. —
Voy. Stali.n, t. IV, p. 306.
vifridiiiKs HKMi'ORTi^i'.s siii i.rs r.i iîi;i.!,ES f:n fhancomf:. 1525. .',75
cliAleau criii{;ül.sla(l( -, r.iconlc Scliiirlliti de Hiirtenbach dans ses
Mcinoircs, < nous avons massacré (jualrc mille paysans. (^)ua(re cents
s'étaient réfugiés dans les ruines du château incendié, où ils avaient
élevé un fort rctranclieinenl ; mais nous en sommes vite venus à
bout, et, après la victoire, prcscpje tous ont péri; dans une église voi-
sine, deux cents paysans ont été brûlés vifs'. Plusieurs se sont laissé
mettre à mort sans aucune résistance, dans l'endroit même où ils
s'étaient réfugiés; ils criaient comme des porcs; quelques uns s'enfon-
çaient la tète dans le sol, s'imaginant qu'on ne les verrait point. Ceux-
ci se cachaient les yeux pour ne |)oint voir; ceux-là imploraient
la miséricorde de Dieu. On en lit un tel carnage, sans qu'ils son-
geassent à se défendre, qu'il semblait qu'une bande de loups vint
fondre sur un troupeau d'oies ou de moutons. Un cavalier en égorgea
dix et plus à la fois; ces malheureux se tenaient serrés les uns
contre les autres; pas un seul ne se défendit^ -
Le 7 juillet, Wurzbourg se rendit \
' Lebeiisbisclircihuiij des ftilters Sebastian Schertlin de linrlcubuck (Francfort, 1877i,
p. 14.
'^ riEUOLT, p. 110.
^ .. .Iiisqu'alors ■, raconte Laurent Pries (p. 329), « voici comment les choses
s'étaient passées ;\ VVurzboiirfj : Toute autorité, tout pouvoir avaient été retirés
au cleryé ; il avait dA se soumettre aux Ijourfjeois et aux paysans; non-seule-
ment il avait été ol)lif;é de s'inclincM-, de s'iiumilier, mais encore, pour n'être
pas entièrement luiné, il lui avait fallu solliciter la protection et l'appui de ceux
qui avaient en main l.i puissance. Volontiers les clercs se seraient faits bourgeois,
mais on ne voulait pas le leur permettre. Aucun deux ne pouvait fuir, et pour
pouvoir conserver quelque chose ils étaient ohligés de le cacher en 'jrand secret. •
« A présent tout était bien changé, si auparav;int les clercs, dont la vie avait été
si douce autrefois, avaient dû implorer les bourgeois, maintenant c'étaient les
bourgeois qui imploraient l'assistance des clercs. Ils les suppliaient d'intercéder
pour eux auprès de leur commun seigneur, l'évêque. Ouelques-uns, à cause de
la difficulté des temps, avaient adopté l'habit miliiaire; mais ù présent ils
reprenaient leurs habillements ordinaires. Plus d'un bourgeois qui avait coupé
ses cheveux et s'était fait faire une l)loue.e anr.iit bien vonpj maintenant retrou-
ver sa chevelure. Quelques memi)res du conseil allèrent trouver le seigneur F ucha-
riu:» de Thungenelle seigneur Michel de Saunsheim, chanoines, et les supplièrent,
ainsi que leurs confrères, d'implorer leur grâce auprès des princes, ce que firent
les deux chanoines; ils écrivirent ù l'évêque, et envoyèrent la lettre à Unter-
frauenberg, pensant que l'évêque s'y trouvait. Mais il n'était pas encore au
château. » Le bourgmestre et le conseil de la ville lui écrivirent donc eux-
mêmes (5 juin 1,525) : a Très-gracieux prince et seigneur, les dévastations
impies que nous avons sous les yeux nous cm toujours été en horreur, et sur-
tout la lamentable effusion du sang, le dommage fait aux terres et aux gens,
et particulièrement aux sujets de Votre Grâce, dont Hieu, du haut du ciel,
daigne avoir compassion! Nous avons donc, eux et nous, été trouver les
paysans révoltés et leur Fraternité, â laquelle ils ne donnent pas un autre but
que la défense de l'Évangile, bien qu'ils aient un tout autre motif. Nous avons
beaucoup examiné la question, et demandé, parlicuiiérement aux conseillers
de Votre Grâce, comment de telles rébellions pourraient le plus aisément être
apaisées. Mais tout cela n'a servi de rien auprès des paysans; ils se sont
oiistinés dans leur entreprise; ils nous ont contraints d'entrer dans leur Fra-
ternité, ce que nous avons fait pour sauver nos corps et nos vies, mais à la
576 LARMÉE DES ALLIÉS S'EMPARE DE WURZBOURG. 1525.
« Les paysans ne nous ont pas tenu parole ", écrivait de Wurz-
bourp;, le 8 juin, Gilp, Halbergà sou père, conseiller de Hall; ils nous
avaient affirmé qu'ils prendraient la citadelle s;ins notre aide, et nous
laisseraient bien tranquilles dans la cité pourvu cpie nous leur four-
nissions du pain e( du vin en échauge d'argent; mais ils n'ont exé-
cuté ni l'un ni l'autre de leurs engagements. ;; ;. Mon seigneur est
venu ici avec quatre princes. On était dans l'angoisse et la terreur;
nous fûmes reçus à merci et miséricorde. Ouelques-uns ont eu la
tête triinchée; on a exigé une amende de dix florins de plusieurs
autres, bien qu'ils protestassent de leur innocence. On a commencé
par désarmer tous les bommes. Les armes, les cuirasses, tout a été
porté au cbâteau; puis mon gracieux seigneur a exigé le serment
d'hommage. J'ous les châteaux de mon seigneur ont été saccagés,
à l'exception de deux. =' - L'armée de la ligue campe ici, et com-
mence à dévaster tout le pays; après leur départ, il ne restera pas
graud'chosel nous serons tous ruinés. Dieu sait le sort qui nous
attend! .le suis incapable de t'en écrire plus, tant la douleur m'op-
presse le cœur. ' Item •■, dit Halberg dans un feuillet qu'il ajoute
à sa lettre, plus de cent vingt châteaux ont été brûlés dans les
environs; la plupart étaient à mon gracieux seigneur; plus de qua-
ranle-neul couvents ont subi le même sort. Hem, on a enlevé à
mondit seigneur i.>rès de trois mille foudres de vin et à peu près dix
mille muids de grain. ■■
On évalue à deux cent vingt-neuf le nombre des châteaux incendiés
et à cinquante-deux le chiffre des couvents pillés, détériorés ou entiè-
rement rasés par l'iûcendie '.
" Iiem , continue Halberg, .. le secrétaire de mou gracieux seigneur
m'a dit aujourd'hui que mondit seigneur de Wurzbourg perdait en-
viron trois cent mille florins dans l'affaire, sans compter ce qu'il lui
condition qu'on nous permettrait de ne pas attaquer Frauensberß-, et de rester
paisibles et cois chez nous. On nous l'avait promis, mais on nous a manqué de
parole. Ils nous ont forcés de leur prêter main-forle et assistance, etc. » « .le
laisse au lecteur à juger », dit Fries (p. .332), « si les sentiments exprimés ici par
le bourgmestre et le conseil étaient sincères. Le mercredi 7 juin, la ville et la
population qui s'y trouvait, après beaucoup de discours, de prières, d'efforts,
d'iiltercations et de p.jurparlers, se sont rendues à miséricorde et merci. Le même
jout je me rendis à cheval à Wurzbourg, pour y voir ma di.ïne épouse et mes
amis. Dans la cour de mon château, je trouvai beaucoup de femmes et près de
soixante enfants venus du faubourg de Blaichach; ils étaient venus se réfugier
chez moi, parce que le bruit avait couru qu'on allait mettre le feu aux fau-
bourgs. »
' Tiré du p.'imphlet : Wahrhaftige Xewe Zeylwig und Aiilzal der vorbrenlen zustörten
Schlosser und Cluster zu Frankentand mit .Wunen anlzaijgl. 1225. Conrad Wimpina
affirme, lisons-nous dans Cochlaeus (öc actis et scriptis M. Lutheri, p. lli), que
rien qu'en F.-anconie (seu Francia oriental!) « devastata esse monasteria et
arces 295. •
m: MAr;(;iiAVK casimmî ii'ansi'.\(:ii-iîmi;i:i ni \t i.ks iNsnuiKS. 077
faudra encore débourser avaiil d'avoir pu chasser tout ce monde du
pa\s. Ifeni, uu fanboiir,«,, de ce côlé du Mein, a déjà été j)ill(''. .le ne
sais ce qui peul encore advenir. Kein, aujourd'hui on a fN'capilé
trente-six liommcs, cin([ bourgeois de Wurzbourjy et vingt et un
des petites villes et villages d'alentour, capitaines des compagnies
d'insurjjés. Les conseillers, les quartcniers, les membres du comité
sont en prison. Dieu seul connaît le sort qui leur est réservé'!
Soixante insurgés périrent de la main du bourreau; les bourgeois
turent condamnés à payer huit mille florins d'amende, et à l'aire
abattre les murs et la citadelle de la ville, en lace du château. Les
paysans désarmés, tenant à la main des bâtons blancs, reçurent la
permission de quitter la ville, mais beaucoup, s'étant mis en roule,
furent massacrés par les cavaliers et les soldats de l'armée alliée,
« de sorte que les vignes, les chemins, les fossés, étaient jonchés de
cadavres, et c'était chose épouvantable à voir* ;. Les pauvres gens
ont été cruellement châtiés -, écrit un chroniqueur contemporain;
- beaucoup ont été massacrés, beaucoup traînés en prison et ran-
çonnés; on leur a enlevé leurs armes; de plus, Notre-Seigneur Dieu
a permis qu'une terrible disette affligeât ce malheureux pays pendant
sept ans ^ ;'.
A Anspach-Baireuth, le margrave Casimir de Brandeboug exerça
d'atroces représailles envers les paysans.
Casimir était tout dévoué à la doctrine luthérienne. Peu de temps
avant que la révolution éclatât, il avait chargé deux prédicants
' d'implanter l'Évangile dans ses États* ". Lorsque la révolte de Fran-
conie éclata, il avait paru décidé à se défendre vaillamment, et défît
même plusieurs fois les hordes des rebelles; - mais à tout prendre,
il n'était pas fâché d'attendre, pour bien voir de quel côté tour-
nerait la chance, et pouvoir tirer le meilleur parti possible des
événements ". La ville de Kitzingen avait pris les armes ^ pour la
cause du saint Évangile -, et avait ajouté deux compagnies aux
armées de Franconie; à Neustadt sur l'Aisch, qui s'était égale-
ment associée à l'insurrection, les propriétés du margrave et les
biens d'Église avaient été pillés; dans tous les villages dépendant
d'Hoheneck, les ornements sacerdotaux, les calices, les cloches
avaient été vendus; avec l'argent qu'on en avait retiré, les rebelles
avaient acheté, à iNuremberg, des carabines et des hallebardes;
beaucoup de couvents et de châteaux avaient été livrés aux flammes;
cependant, durant tout ce temps, Casimir était resté paisiblement
' Jeudi après la Pentecôte (8 juin) 1525. Dans üEchsle, p. 427-423.
'^ Laurent Fries, p. 330-338. — Voy. Bense.n, p. 443-450.
' Herolt, p. m.
* Be.nsen, p. 394.
n. 37
578 LE MARGRAVE CASIMIR D'ANSPACH-BAIREUTH ET LES INSURGÉS.
dans son château d'Onolzbach. Ce ne fut que le 13 mai qu'il en
sortit, à la fête de sept cents cavaliers et de mille fantassins, pour
aller établir son camp à Markt Erlbach, et là, il noua d'actifs pour-
parlers avec les chefs des révoltés, qui assiégeaient alors Wurzbourg.
Le 10 mai, le comte Guillaume de Henneberg, lui-même du parti des
paysans et zélé partisan du nouvel Evangile, représenta au margrave
' qu'il serait maintenant très-facile, avec l'aide des troupes insur-
gées et du landgrave de Hesse, de transformer l'évèclié de Wurz-
bourg en principauté temporelle, et de faire d'un margrave de
Brandebourg un duc de Franconie ••. « J'ai appris aujourd'hui de
bonne source , écrit le 25 mai le chancelier Eck à son maitre le duc
Guillaume de Bavière, " que le margrave, qui s'était contenté jus-
qu'ici d'assister aux événements, espère maintenant tirer bon parti
de la détresse de Nuremberg et de la malheureuse situation des
évéques de Wurzbourg et de Bamberg. ' Des espions, envoyés par
le conseil de Nuremberg dans le camp des révoltés, rapportèrent que
les paysans étaient fort bien disposés pour Casimir, et parlaient de
porter la guerre, non dans ses États, mais à Nuremberg. Jusqu'au
17 mai, ils restèrent persuadés que le margrave recevrait les douze
articles, et deviendrait bienlôt un frère chrétien' .
Mais l'approche de l'armée palatine, sa jonction avec la ligue
souabe, et surtout la bataille de Königshofen, avaient fait prendre
un aspect tout nouveau aux événements. Casimir devint tout à coup
le violent adversaire des bourgeois et des paysans révoltés, et mar-
cha contre eux, - portant partout le meurtre et l'incendie ". Le
8 juin, à Kitziugen, il lit, en un seul jour, crever les yeux à cin-
quante-sept bourgeois; un peu plus tard, à deux frères; ces exécu-
tions étaient publiques, et se passaient au milieu des lamentations
des femmes et des enfants; un grand nombre d'insurgés eurent les
doigts coupés ^ La plupart des pauvres mutilés moururent prompte-
' Voy. JÖRG, p. 610-615. — Bensen, p. 345, 385, 401, 404. — La liste des châteaux
et des couvents détruits se trouve à la p. 566. — Voy. Baumann, Quellen aus
Rotenburg, p. 619. Castell était au nombre de ses châteaux. " Lorsqu'il fut assailli,
le comte était au château de Frauenberg. La comtesse et ses cinq enfants,
dont l'ainé n'avait que six ans, furent chassés de chez eux, et comme, par crainte
des paysans, tout le monde leur refusait un abri, ils se cachèrent pendant quatre
semaines sous le noyer de Léonard llertlin, vivant d'aumônes. La (omtesse en-
voya son petit oifant, âgé de trois mois, avec sa nourries, au château de Bren-
berg, où demeurait son père, le comte Michel. En chemin, la nourrice fut
reconnue, et un paysan se disposait déjà à écraser contre li muraille le - fils
du seigneur ', lorsque la nourrice le sauva, en jurant qu'il lui appartenait. »
— Bensen, p. 402, note.
* llolzwart, qui porte à soixante-dix le nombre de ces infortunés, rapporte :
« Plerique, antequam oculis privarentur, rogabant, uti potius vel strangularen-
tur vel decollarentur, se enim potius ojjtare mortem, quam tam miseram et
Jumine orbatam ducere vitam, sed nullus vel ad graviora vel ad leviora sup-
i;i:i)i)rnc)N de scii we inkiht i:t de liAMBERt;. ir,25. 579
ment; le peu qui survécurcnl, après (ju'on les eut dépouillés de tout
ee qu'ils possédaient, furent relé{',ués à dix milles de Kitzin^jeu; ils
s'en allaient par petits groupes, formant un spectacle digue de
pitié; ils traversaient le pays se tenant l'un l'autre par la main,
et mendiant. Un chanoine d'Auspacli écrivait d'Onolzbacli à l'un
de ses pareuls (8 mal 1525) : - Le margrave fait décapiter ou passer
au fil de l'épée les capitaines de compagnies; il confisque les biens
des absents, rançonne les habitants, et fait incendier beaucoup de
villages; cette rigoureuse répression ne cesse point. Dès qu'un
révolté se présente, Téchafaud se dresse sur la place du marché; les
supplices sont très-fréquents, ici et ailleurs; beaucoup de rebelles
ont eu les doigts coupés. On a ôté aux paysans leurs armes, muni-
tions et vivres. Des centaines de fourgons, chargés de tout ce qu'ils
avaient dérobé aux couvents, aux châteaux et aux églises, ont été
dirigés sur Onolzbach, et cela forme un gros butin, comme je l'ai
vu moi-même de mes propres yeux. ■' - Dans les tristes événements
qui se succèdent, on n'entend parler que de sanglantes rixes, de
dures calamités; le nombre des veuves et des orphelins augmente
tous les jours. Le sang innocent coule à flots, car beaucoup ont été
entraînés comme malgré eux dans la sédition, espérant toujours que
ceux qui étaient cause de tout le mal seraient prompteraent atteints
par la justice de Dieu '. ■ Pour payer la solde de ses troupes, le mar-
grave confisqua l'argent, les joyaux, les vases sacrés, les cloches des
abbayes placées sous sa juridiction ^
Le 13 juin, l'armée de Casimir vint s'unir, devant Schweinfurt \
à l'armée de la ligue souabe, commandée par le sénéchal Georges
qui, la veille, avait quitté Wurzbourg. Schweinfurt ne fit point de
résistance, et ses bourgeois s'engagèrent à payer chacun dix florins
plicia exorare polerat; ajebat enim (le margrave) illos jurasse, se ne qiiidem
aspecluros marchionem, ijjiuir se illoruin votis consulturum, ne, si quaudo se
aspiciant, perjuri fiant. » — B.vlmann, Quellen, p. 685.
- Lettre de die Joris pose Pentkecosten, (8 juin) 1525, dans OESCHLE, p. 429-431.
- UÖFLER, Friinl.ische Stw/ieii, t. VIII, p. 266, n"' 153 et 154.
* Laurent Frics rend compte comme il suit de ce qui se passa après le départ
de l'armée des alliés (p. 337) : - Quand donc les princes et les alliés furent partis
avec leurs hommes d'armes, l'évêque de Wurzbourg prit à sa solde une troupe
de lansquenets dont le capitaine se nommait Gaspard de Rotenlian. Ces lans-
quenets furent logés dans la ville et dans les maisons bourgeoises, et chargés
de réprimer toute tentative d'émeute au cas où il s'en produirait. Or, la solde
et le vin étaient bons; aussi les lansquenets chérissaient-ils leur oisiveté.
Bientôt ils commencèrent à faire du tapage et du désordre, et les bourgeois
devaient les régaler et les abreuver, sachant trop que, sans cela, ils auraient à
s'en repentir. Les soldats leur parlaient dune façon rude et grossière, ainsi
que les valets et vauriens qu'ils attiraient dans les maisons. Ils s'invitaient l'un
l'autre dans leurs logements; ils se livraient à la bonne chère, et ne payaient
37.
580 REDDITION DE S C H^V E 1 N F ü R T ET DE BAMBERG. 1525.
d'amende comme indemnité de guerre. Le comte Guillaume de Hen-
neberg, ayant romjîu avec les paysans, reçut cinq mille florins eu
dédommagement des pertes subies. Dans l'évêché de Hamberg,
" les généraux élus, lesdélég;ués des villes et des districts de révêché
de Bamberg ■■, prenaient encore le 23 mai la résolution de détruire
ou dinceudier les donjons, les places fortes • qui avaient été pour
leurs ancêtres et pour eux une cause si funeste d'oppression et
d'injustice' ". L'évêque, comme il le mandait au sénéchal, ; avait
été serré de si près et tellement maltraité par ses propres sujets, que
ni lui ni son chapitre ne savaient, tant avait été grand leur effroi,
s'ils parviendraient jamais à sauver leurs vies ". Mais l'approche de
l'armée alliée fit perdre toute assurance aux insurgés; quatre cents
d'entre eux s'enfuirent dans la direction de Nuremberg, et, le 19 juin,
le conseil et la population de Bamberg renouvelaient entre les mains
de l'évêque leur serment de fidélité. Un traité fut conclu : les vaincus
s'engageaient à restituer aux clercs leurs propriétés, à reconnaître
leurs privilèges, à rendre tous les objets précieux dérobés aux
églises, à payer les dîmes, redevances et taxes comme dans le passé,
enfin à livrer toutes leurs armes. Ouant aux griefs que la bour-
geoisie pouvait avoir contre l'évêque, elle promettait de s'en rap-
porter ä la décision du Conseil de régence ou bien au jugement
de la ligue souabe; deux chefs de rebelles furent décapités sur la
place du marché; on confisqua les biens de neuf bourgeois, com-
promis dans l'insurrection-. En l'espace de peu de jours, la révolte
était complètement apaisée.
Le 22 juin, le margrave Casimir fut autorisé par le général en
chef de la ligue à punir, décapiter, confisquer, brûler, piller, comme
il le trouverait à propos dans la ville et le territoire de Rothen-
bourg; à châtier tout rebelle selon ses méfaits, et de la manière
qui lui paraîtrait la plus équitable .
rien pour cela; et quand ils s'étaient bien grisés, ce qui était leur principale
besogne, ils juraient, blasphémaient, brisaient les portes et les fenêtres, ou
bien eux et les leurs se conduisaient d'une façon indécente et abominable avec
les femmes et les filles, n'épargnant personne, que (e filt une jeune fille, un
enfant ou une matrone. Et les bourgeois n'osaient pas se plaindre. Bien que
quelques-uns d'entre eux eussent obtenu à prix d'argent du capitaine ou
d'antres hauts personnages la permission d'être quelque temps délivrés de
leurs hôtes, ils devaient les reprendre aussitôt qu'ils cessaient de payer, et se
voyaient enfin obligés de supporter cette charge dans leur maison. Et les bour-
geois des faubourgs ne furent pas épargnés; après qu'on eut laissé quelque
temps les lansquenets dans la ville, on les cantonna dans les faubourgs. Ce fut
alors que les bourgeois de Wurzbourg virent et comprirent ce que c'est que la
guerre, et tout le malheur qu'ils avaient attiré sur leur cité. »
' Schreiben an lYuniberg. inarài après VocemjucunditatisrlZ mai) 1525, dans Höfler,
Fränkische Studien, t. VHI, p. 268, n" 15".
ä BenseN, p. 456-458, Hislor. polit. Blatter, t. LXXXV, p. 902.
SOUMISSION DF. H OT II E N ß 0 U R C 1525. 581
A Piodicnboiirc, dcpiiis la dcCailc de KiMiijjsliorcii, les paysans
t'Iaiciil loiiihcs dans le plus prolond décoiiraycmciit. Bourgmestre et
cüJiseillers avaient ressaisi le pouvoir, et le 7 juin, le conseil envoya
des délcj^ués au camp du sénéchal, à Hcidiiifysfeld. Ah! vous voilà!
vous liumilicz-vous cnîin? s'écrièrent les soldats de la li{;uc en les
apercevant. >< 11 en était vraiment temps! encore un peu, et nous al-
lions vous chercher chez vous! La ville lut condamnée i\ payer sept
florins d'amende pour chaque maison située à l'intérieur de ses murs
d'enceinte (en tout quatre mille florins), et de plus mille florin'^
pour indemnité de ouerre. Klle abandonnait à la li[}ue le châtiment
des rebelles. É tienne de Menzin^jen, jeune gentilhomme qui avait
été l'un des principaux lauicnrs de la révolte, tenta de s'évader,
mais il lut arrêté et condui: en prison. A mon aide, braves bour-
geois! criait-il tandis qu'on l'entraînait; à mon secours, Irères
chrétiens! Mais une voix lui cria de la foule : Ami, le temps de
la Fraternité est passé! ■ Tous les efforts du margrave pour ob-
tenir la nii^e en liberté de celui qui avait été autrefois son intime
ami furent inutiles. Le 28 juin, à la téfe de deux mille soldats,
Casimir fil son outrée dans la ville. Le conseil lui remit la liste des
principaux chefs de Tinsurrectiou. En tète de cette liste figuraient
les prédicants Deutschlin, le moine aveugle Carlsladt, puis Menzin-
gen et Ehrenfried Kumpf, ce dernier coupable d'avoir soutenu
Carlstadt, usurpé â Wurzbourg la charge de bourgmestre, et con-
seillé la destruction de trois châteaux; la liste se terminait parles
noms de soixante-trois bourgeois, accusés d'avoir mal parlé de l'Em-
pereur, des princes, des seigneurs du conseil, des autorités, et d'avoir
dit hautement et avec menace qu'ils aideraient les paysans â pé-
nétrer dans la ville, chasseraient les conseillers, les honorables »,
les riches b<)ur{>,eois, et partageraient le butin avec les émeutiers.
Beaucoup d'inculpés, Ehrenfried Kumpf et Carlstadt entre autres,
avaient réussi à s'évader à temps '. Le 30 juin, après que le conseil
'Le récit que nous a laissé Caiistadt de sa fuite est intéressant. ^ A Tliiin-
gerslieiin, entre Wurzliniirjj et Carlstadt, j'aperçus -■, raconte-t-il, " un groupe de
paysans; ils étaient armés d'arquebuses et d'autres armes. Je les entendis dire
que si quelqu'un du nom de Carlstadt venait ù passer avec sa femme, ils uiet-
iraient la main sur ses bagages. A Stetten, à un demi-mille de Carlstadt, un paysan
me reconnut, et me dit que Luther et moi, nous étions cause de tout le mal. .Mais
je me débarrassai de cet homme et d'autres encore avec de bonnes paroles. "
Non loin de Thiingen, quelques paysans voulurent le dévaliser, lui et sa femme :
«A Fromensbach, des voleurs faisant partie des hordes de paysans me reconnu-
rent, délibérèrent entre eux, et décidèrent, la veille de la Trinité (10 juin;, qu'ils
me lieraient àun arbre dans la forêt de Spessart. et me mettraient à mort, pour
s'emparer ensuite des effets qui nous restaient encore, à ma femme et à moi. »
Mais ce dessein fut révélé à temps à Carlstadt, et il parvint à s'évader. — Voy. l'ar-
ticle de Steitz .sur Gérard Westerbourg, p. 69-7"i. A la prière de Luther, Carlstadt
obtint la permission de rester en Saxe, à la condition qu'il rétracterait ses
582 SOUMISSION DE RO T HEN BO U R(i . 15-25.
et la population eurent renouvelé leui- serment de fidélité, dix bour-
geois furent décapités sur la place du marché. Casimir ayant fait
un dernier effort pour sauver Menzingen, Deuschlin et le moine
aveugle, le conseil déclara avec fermeté qu'il lui était impossible
de souscrire au désir du prince, parce que, s'il épargnait ces crimi-
nels, tout le monde aurait le droit de lui reprocher d'avoir commis
la veille une criante injustice envers ceux qui avaient été mis à mon.
D'ailleurs, ces trois hommes ayant été les véritables fauteurs de la
révolte, on ne pouvait leur faire grâce. Casimir fut obligé de sacri-
fier ses protégés; leurs tètes tombèrent le jour suivant; quatre
bourgeois et deux chefs de paysans eurent le même sort. Le conseil
exerça plus tard d'autres rigoureuses représailles. Un prédicant des
environs, qui avait assuré aux paysans qu'il avait le pouvoir d'enve-
lopper Rothenbourg d'un brouillard si épais que trois cents hommes
pourraient y pénétrer sans être aperçus, fut attaché au pilori, mar-
qué au fer rouge et fouetté de verges. Plusieurs rebelles eurent les
yeux crevés ou les doigts coupés. La maison du tondeur de drap
Kilian Etsclich, qui avait servi de lieu de réunion aux insurgés, fut
rasée; à la place où elle avait été, on sema du sel. Cent ans après,
le « sol maudit '> était encore un lieu d'épouvante pour le peuple.
Ehrenfried Rumpf fut condamné à payer une amende de quatre cents
florins; on lui restitua son capital, mais on lui défendit d'habiter
Rothenbourg. Il mourut fou.
La misère était générale. Un grand nombre de gentilshommes,
empêchés par un jugement rendu par la ligue souabe de faire valoir
auprès de la ville leurs droits à des indemnités de guerre, ne se
faisaient aucun scrupule de chercher un dédommagement a cet arrêt,
en pillant, brûlant, rançonnant dans les environs.
Le margrave Casimir, eu vertu d'une convention signée le 3 juil-
let 152.3, obtint, comme indemnité de guerre, la cession des villages
appartenant à la ville, dans le territoire d'Aisch, et beaucoup
d'autres situés en dehors de la landwehr'.
erreurs, et s'engaj;erait à ne plus écrire ni prêclier. II s'établit d'abord h Se-
{;rena, puis à Kemberg, où il tint lonrjîemps une boutique ambulante de bière
et d'eau-de-vie. L'opinion généralement reçue que. dans les années qui suivirent,
il ne chercha plus à faire triomphei" sa doctrine de l'Kucharistie, est erronée.
Yoy. Justification, dédiée au chancelier Brück à Weimar (merciedi d'après saint
Laurent), 12 août 1528. dans \a Zciisrlirift fur trissensc/ia/tllche Tkeolo:/ie,t. VII, p. 99-
112. L'éditeur, E. Labes, reuiarque ' qu'elle semlij^ pleine de divinité et de
modération, comparée aux inveciivcs de Luther. Carlstadt, en effet, ne se plaint
pas des critiques dont ses opini.m« sont l'objet; il se borne .^ déplorer que la
doctrine qu'il défend, et qui lui lient tout autant au citur qu'à Luther la sienne,
ait été bi'utalement rcjeloe sans avoir été examinée. -
' Thomas Zweifel, dans Calji.^nn, Quellen aus liotenùouri/. p. 4Ü'.). — Voy. Bensenv
p. 462-479.
PAriKICATlON DE F R A N CF 0 IH -S U R-LE-M E 1 N. 1525. 583
Pciulaiil ce lcm\)9., le sénéchal (ieoqve'', Iravcrsant le F^ies, avait
pénélré (iaiis rAJjjaii, er s'unissaiil à (;eür};es de Frundsbei-j'j, »lui
lui amenait quehiues milliers de lansfinenets, avait contraint les^
paysans à mettre bas les armes et à livrer leurs chefs. Les villajjes-
furent incendiés sans miséricorde. Dans le Hegau, Max Sittlich
d'Holicnems et le comte Félix de Werdenberg remporlèrent une
iniportanle victoire sur les insurgés près d'Ililziugen (10 juin 1025).
Dans le Kletigau, la révolte ne put être complètement domptée
(ju'en novembre, et Waldshtit, (|ui en avait été le premier foyer, ne
se rendit qu'an commencement de décemi)re.
L'armée alliée de Trêves et du Palatinat, étant sortie de Wurz-
bourg le V\ juin, acheva de soumettre les paysans dans des combats
successifs sur le Mein et sur le Hliin. \x 15 juin, les princes auxquels
s'étaient joints le coadjuteur de l'évêque de Mayence, Guillaume
de Strasbourg et cent de ses cavaliers, convinrent d'imposer une
amende générale à tout rarchevèché, puis de se partager les sommes
recueillies. Ils se proposaient de marcher ensuite sur Mayence,
et d'envahir le Hheingau; mais le coadjuteur étant intervenu, on
s'occupa de conclure un accommodement avec les révoltés de ces
pays, qui avaient envoyé leurs chargés de pouvoirs aux princes.
Ils prêtèrent de nouveau serment à leurs seigneurs, et payèrent
quinze mille florins d'amende. An camp de Pfeddersheim, où ce
traité fut conclu, on vit aussi arriver des députés du conseil de
Francfort-sur-le-Mein.
Les électeurs de Trêves et du l\ilatinat et le coadjuteur de Mayence
avaient adressé à Francfort, le 18 juin, une lettre menaçante, portant
que les princes avaient été informés que beaucoup de révoltés des
villes et des campagnes s'étaient réfugiés dans la cité et y séjour-
naient encore, et qu'un assez grand nombre de nobles et de prêtres
avaient été dépouillés de leurs biens. Les princes exigeaient que
nobles et prêtres rentrassent dans leurs propriétés, et que les réfu-
giés fussent livrés. Si Francfort ne faisait pas droit à ces deux récla-
mations, elle serait considérée par la ligue comme ayant pris part à la
révolte '. Au reçu de cette lettre, le conseil s'était empressé d'envoyé''
ses députés aux princes. Ceux-ci apprirent eu route que Mayence et
tout le Rheingau s'étaient soumis, que le 23 juin la cavalerie des princes
avait, près de Pfeddersheim, fait un affreux carnage des paysans,
dont plus de quinze mille avaient été massacrés; qu'on avait enlevé
' Lettre du dimanche après le Corporis Christi (18 juin) 1525, dans le Frankfurier
All/ruhrbuch, p. 32. — Kraus, 80-81. \on-seuleinent on devait restituer leurs pro-
priétés aux gentilshonnnes des environs, comme le dit Steitz dans son livre sur
Gérard Westeibour};, p. 98, mais aussi aux clercs.
584 PACIFICATION DE FR A NCF ORT-S U H-L E-M E I N. 1525.
aux révoltés leur butin, leurs armes, et que le jour précédent Pfed-
dersheim avait été prise d'assaut. Lorsqu'ils arrivèrent au camp
(25 juin), les princes leur firent reprcseuler que personne n'igno-
rait ce qui s'était passé chez eux par rapport à certains articles
acceptés par le conseil et contraires à Sa Majesié Impériale, â la
paix publique, au droit et à l'équité. Ces articles avaient été livrés
à l'impression, répandus dans les principautés et pays environ-
nants, et ne contenaient autre chose que ces mots, ou écrits ou sous-
entendus : " Arrivez, chers frères, suivez-nous! Votre route est
tracée devant vous, nous vous l'avons ouverte I »
Ces reproches n'étaient pas sans fondement. Les articles de Franc-
Fort avaient eu effet servi de modèle aux émeuliers de Mayence,
de Worms, de Spire, et vraisemblablement aussi à ceux de Co-
logne et de Münster, en AVestphalie'.
On rappela ensuite aux délégués ce qui s'était passé par rapport
aux sacrements, et que les prêtres, même les curés de Francfort,
avaient été déposés. On voulait bien croire que le conseil n'avait pas
pris plaisir à ces choses, et qu'il y avait été contraint; mais du moins
était-il urgent que les auteurs de semblables délits fussent punis
comme ils le méritaient, et que les articles fussent abolis; faute de
quoi, les princes se verraient obligés de mettre le siège devant
Francfort , et de se charger eux-mêmes du châtiment des cou-
pables, comme ils l'avaient déjà fait en d'autres lieux. Apre-; de
longs pourparlers, les députés de Francfort apportèrent aux princes
cette déclaration solennelle : Sur notre honneur et foi, nous
avons promis, assuré et conclu qu'en vertu de cette lettre, les
derniers et nouveaux articles et traités que nous avions adoptés con-
jointement avec le clergé et la population dans la ville de Franc-
fort, seront abolis, et nous les abolissons présentement, les con-
sidérant comme nuls et non avenus. Us s'engageaient à remettre
ies articles entre les mains de lÉlectenr palatin, à rétablir le clergé
u de tous les degrés dans son premier élat et condition, et a lui
rendre ses privilèges, libertés, dîmes, redevances, etc. . De plus,
ils promettaient de prendre si bien leurs mesures qu'à l'avenir
de semblable^ attentats contre la propriété, les voies de fait, les
actes de rébellion, les émeutes ne pussent jamais se renouveler ^
Les articles furent en effet abandonnés, mais rien de ce qui con-
cernait la religion et le clergé ne fut modifié. -• Il nous est prouvé,
et de siirs renseignements nous l'attestent ;, écrivait le 7 juillet à
l'archevêque de Trêves le coadjuteur de Mayence qui venait de ren-
Voy. Steitz. fierliard Weslerlioury. p. 104-105.
A/ifruhibuc/i, p. 36-41. — Vov. Kraus, ÎS1-S3.
PACincATION DE I R A N CI' O i;T-S M H-I, E-M E I N . 1525. 585
Irer (mi jjraiid appareil flans la ville et fie la remcdre sous son
obéissance, « que ceux de Franclorf, maljjré la soumission qu'ils
aHeclenl eu paroles, (»ardent jusqu'à celte heure, et se proposent
de conserver, trois prédicanis luthériens qui sont les principaux
auteurs de tous les (roubles. Si Ton a la l'aiblesse de le tolérer.
Votre Grâce peut apprécier ellc-ménie les bons résultats d'une
telle poliiicjue; aussi est-il très-nécessaire d'être vigilant, afin qu'à
l'avenir de plus grands désordres soient évités'. Le renseigne-
ment était exact. Dès la fin d'avril, le conseil avait élu et installé
des prédicants dans la ville. - Le -i juin, le saint jour de la Pen-
tecôte -, raconte dans son Journal Wollgang- Konigslein, chanoine
de l'abbaye de iSotre-Dame, ■• les échevins ont chargé un prédi-
cant luthérien, un ex-moine, de prêcher dans notre église l'après-
midi. Le lundi et le mardi de la Pentecôte, le moine a de nouveau
prêché; un autre luthérien a également parlé à Saint-Léonard.
Ces deux prédicants étaient Dyonisius Melandcr et Jean Algers-
heimer. Tous deux -, continue Königstein, " ont accablé d'in-
jures le Pape et le clergé; de plus, ils ont blasphémé le Très-
Saint Sacrement, raillant toutes les cérémonies du culte, et parti-
culièrement la messe. » Le conseil, même longtemps après que la
révolution de 152.5 eut été entièrement apaisée, resta l'impuissant
témoin des scènes de désordre et des actes séditieux dont les pré-
dicants, soutenus parla populace, étaient les constants excitateurs.
L'archevêque de Mayence ayant réclamé leur expulsion, le conseil
lui écrivit : ^ Nous prions très-humblement Votre Grâce de vouloir
bien avoir compassion de nous, car nous ne saurions lui obéir sans
exposer notre ville aux plus graves dangers. Jusqu'à présent nous
avons réussi à apaiser les troubles sans violence et efliision de sang,
mais nous sommes l'ermement convaincus que les prédicants ne
consentiraient point à abandonner sans résistance le poste qui leur
a été confié^. "
' Appendice de la lettre du vendredi après saint Ulricli (7 juillet) 1525 dans
Kraus, p. 91.
^ Voyez dans l'appendice du journal de Kömgstf.in, p. 203-204, les représenta-
tions faites par l'archevêque aux députés du conseil louchant la conduite des
prédicants. Ces derniers avaient dit en pleine ch;âre « que le Saint Sacrement
n'était autre chose que de l'eau et de la farine; que les prêtres, les diseurs de
messes accomplissaient une œuvre diabolique, qui ( rucifiait Dieu; que l'on
ne devait ni se confesser, ni jeilner, qu'on n'était obligé d'obéir à aucune auto-
rité, parce qu'on n'avait d'autre maître que Dieu », etc. Outre cela, plusieurs
membres du conseil avaient pris part aux désordres. Königstein rapporte
' qu'un chanoine de Saint-Léonard qui, escorté par ses parents et ses servi-
teurs, retournait chez lui à huit heures du soir, avait été attaqué par le
l)our;;me.sire Mcolas Scheit et par .».es gens, tous à cheval, et avait été griè-
vement iilessé . Il ajoute : " l.e jour on le clergé, selon l'usage, portait
processiounellement le Saint Sacrement à Sachsenhausen, Becblbold de Ryu,
586 RÉVOLTE ET PACIFICATION DU TYROL. 1525.
XI
Pendant que les révoltés, durant les mois de mai et de juin,,
essuyaient dans l'Empire les plus rudes revers, ils triomphaient dans
le Tyrol. Ils s'y étaient emparés de plus de cent châteaux, et dispo-
saient de l'argent, des biens, de la vie et de la mort des citoyens. Il
ne pouvait être question de se défendre, car Ferdinand n'avait
point d'armée, et encore moins d'argent. Aux états du comté,
ouverts le 15 juin à Inspruck, l'archiduc avait reçu communica-
tion de cent six articles rédigés à IMéran par un comité composé
de bourgeois et de paysans, et contenant toutes les réclamations des
révoltés, u Beaucoup semblaient être, au premier abord, à l'avantage
du prince. Ou le suppliait de donner les mains à la sécularisation
générale des biens du clerp,é, et d'incorporer immédiatement à ses
États, en sa qualité de prince souverain et héréditaire du comté,
les possessions des évêques de Brixen et de Trêves (qui relevaient
directement de l'Empire,) ainsi que toutes les propriétés ecclésias-
tiques enclavées dans le pays, et appartenant, soit à des évéchés, soit
à des abbayes du dehors. Michel Geysmayr, l'un des principaux
chefs des rebelles, s'intitulait le « Protecteur des Etats de Son
Altesse -. Un grand nombre de gentilshommes faisaient cause
commune avec les paysans et les bourgeois révoltés, soit qu'ils y
eussent été contraints par la nécessité, soit poussés par l'espoir
d'acquérir quelque bon lot au moment de la sécularisation tant
désirée, et de se dédommager ainsi de pertes récemment subies.
Aussi approuvaient-ils entièrement le plan et les articles présentés
à l'archiduc. - Tous entonnaient la même chanson que les paysans,
estimant que, sans cela, tout irait de mal en pis'. Je crains fort ",
Nicolas Scheit et autres meinl)res du conseil, ont organisé une farce de carnaval*
dans une m;iison située sur le pont, et devant laquelle le cortège devait passer. Us
ont mis à la fenêtre le simulacre d'un loup, ont garni de peaux de loup les autres
fenêtres, au milieu de rires et de quolihets, et lorsque la procession revint, la;
populace, rassemblée sur le pont, chanta des chansons impies, criant : « Au
loup! Au loup! Le Saint Sacrement a été tourné en dérision, la procession,,
la foule des fidèles insultées. Un autre jour oii la plupart des membres du
conseil prenaient part à une procession, la populace se mit à les railler,,
insulta les seigneurs du con.seil et le clergé, et le Saint Sacrement fut l'objet
d'odieuses profanations. Ko.negstein, années 1526-1527, p. 113, 117, 119.
' Il tenait un tout autre langage à ses confidents : « J'avais apporté des cara-
bines, et je voulais m'einparer de toutes les cloches pour les fondre et en;
faire des arquebuses; ensuiie je me proposais d'entrer « derrière le cuir» da
prince et des nobles. • — Gueuteu, p. 52.
RI^VOLTK ET l' A CI K I CAT t O N DU TYKOL. 1520. 587
écrivait le duc F^ouis de Bavière à son frère Ciuillaume le 21 juin 1525,
.< que la province du Tyrol ne se décide à laisser le pouvoir entre
les mains do l'arcliiduc ([iravcc l'inlenfion de gouverner à sa place et
de lui dicter des ordres, il n'en résultera rien de bon; si les paysans
arrivent à leur but, j'jii réellement peurcjue ce ne soit bientôt à notre
tour de baisser la télc '.
Aux étals du comté, « cette race de li;d)lcurs qui voient d'un
meilleur (1m1 la détresse d'un pays que .sa prospérité " avait la pré-
pondérance; mais Ferdinand repous.sa avec fermeté le projet de sé-
cularisation, et refusa éjyalement de favoriser l'établissement de
l' u Kvanyile pur et sans allia[;e >•. 11 ne voulut pas davantage en-
tendre parler pour les communes du droit d'élire ou de déposer leurs
curés, u L'archiduc prend le parti des prêtres », mandait un chargé
d'affaires bavarois à .Muiiicli, -• ce qui est cependant tout ä fait op-
posé à l'esprit qui règne ici. » Ferdinand s'efforça d'expliquer aux
états les motifs de ses refus. Les évèques de Trieste et de Brixen
sont princes de l'Empire, leur dit-il, et l'on ne peut admettre que
leur situation présente puisse être modifiée eu aucune manière sans
l'assentiment de l'Empereur; outre cela, les comtes du Tyrol se
sont obligés par contrat à défendre et à protéger ces évêchés.
Or si l'on mettait la main sur les propriétés des princes ecclésias-
tiques et des monastères voisins, le comté se verrait exposé aux
représailles de la ligue souabe, des princes de Bavière, du comte
palatine! de tous les Ordres de l'Entpire. Ouant aux biens ecclésias-
tiques qui ne dépendent point de rEnq)ire, nous ne sommes pas
non plus libres d'en disposer, car ils sont sous la protection de
l'Empereur. Mais, en dehors de tous ces motifs, ravir à quelqu'un
son avoir, son héritage, contre sa volonté et par un acte arbitraire,
ce n'est pas se conduire .selon les préceptes du saint Évangile,
c'est au contraire n'y avoir aucun égard. Néanmoins la nécessité
contraignit bientôt Ferdinand à consentir à la sécularisation de
l'évôché de Brixen et des propriétés de l'Ordre Teutonique « jusqu'à
ce qu'un concile général ou une nouvelle constitution ait décidé
la question en dernier ressort . La juridiction ecclésiastique et
l'exercice du pouvoir temporel restèrent garantis sans condition
à l'évêque de Brixen ^ Ferdinand se vit aussi forcé d'approuver une
nouvelle constitution nationale - offrant aux révoltés de grands
avantages, et favorisant grandement les prétentions des bourgeois
et des paysans'. Les procès-verbaux des états, expédiés le 23 juil-
' Dans JÖRG, p. 524-525.
- Déclaration de Ferdinand lors de l'occupalion de l'évéché de Brixen, 21 juil-
let 1525. Voy. BuCHHOLZ, Urkundenbuch, p. 642-643.
3 Voy. BuoHHOLZ, t. VIII, p. 335-338.
588 INSURRECTION DANS L'ARCHEVÊCHÉ DE SALZBOURG. 1525-1526.
let à toutes les juridictions, villes et populations minières du pays,
furent adoptés dans toute la vallée de i'Inn, à Inspruck, Hall,
Brixen, Clausen et Neuslilt; mais dans le reste du comté, l'insur-
rection continua de plus belle. Les tribunaux de l'évéché de Brixen
se refusaient à restituer les maisons et châteaux dont les révoltés
s'étaient emparés. A Méran, Sterzing et Brixen, deux prédicants
cherchaient à soulever de nouveau la populace; des insurgés de
Schlanders pillèrent la Chartreuse de Schnals. Les habitants de Is'un-
myer brûlèrent leur seigneur justicier dans sa propre maison. Le
désordre fut surtout affreux à Valzigan et dans les environs de
Trieste; on ne parvint à étouffer la révolte qu'au moyen d'une
répression sanglante'. Mais nulle part la paix ne fut plus longue
à rétablir que dans l'archevêché de Salzbourg.
« rvous sommes dans une grande anxiété ", écrivait le 18 mai 1525
le cardinal-arclievéque .Mathieu Lang à Guillaume de Bavière, » au
sujet des pauvres ouvriers et autres habi!au(s de notre ville de Salz-
bourg, qui n'ont plus rien à perdre. Si l'émeute éclatait parmi les
paysans de notre archevêché, les ouvriers seraient bien vite tentés
de se joindre ä eux. « L'archevêque suppliait le duc Guillaume d'en-
voyer sans retard un délégué au conseil de Salzbourg pour lui repré-
senter la nécessité de protéger terres et gens contre les paysans
révoltés de la Souabe, de maintenir le pays dans la concorde, la paix
et la soumission, et de ne plus souffrir qu'aucun acte séditieux restât
impuni dans le territoire de la ville. . Ces mesures, ces acies -, écri-
vait l'archevêque, consoleront et rassureront grandement les bour-
geois, les honorables qui ont du bien et sont en possession de leurs
droits légitimes; et les pauvres, que l'appât du gain attire si facile-
raenî dans l'émeute, concevront de leur coté une crainte salu-
taire-. : Mais quelques jours plus tard, le 2-J mai, la révolte éclatait
a Hof, dans le Gaslein, et l'archevêque recevait la nouvelle qu'à
Zell, dans le Pinzgau, « quelques paysans étrangers au pays, quel-
ques soldats de rencontre -•, s'étaient réunis, dans le dessein de
marcher sur Salzbourg avec loas ceux qui voudraient se joindre à
eux sur la route. Bientôt fout le pays de Salzbourg, jusqu'à un mille
de Reicheuhall, ne fut plus - qu'une vaste émeute ; de village en
village «n entendait sonner le tocsin. Les montagnards accouraient
de tous cotés, armés de foui-ches, de piques, de massues ou d'armes
depuis longtemps hors d'usage. La population de Salzbourg s'em-
pressa de pactiser avec les émeutiers. Depuis le 29 mai ■■, écrivait
l'archevêque à Munich, notre situation est devenue si affreuse que
nous n'avons autre chose à attendr(; qu'égorgeraent, pillage et mas-
' Pour pins de détails, voy. Buchholz, t. VIll. p 350-345
- Dans Jonc, p. 113-114.
iNS[!;i!i:(;i[ON dans i;Aiu:ifi:VK(;iii-; dk .salzbourg. 15_>5-15-.>(î. 581>
sacre; pcrsoiiue n'est silr de sou voisin.» (.'arclicv(>que s'ciiferm,'»
dans son cliAleaii avec son cliapiire cl ses conseillers. Les paysans et
les ouvriers des corporatioas s'éfanl rendus maîtres de la ville, pil-
lèrent le palais épiscopal, puis vinrent donner l'assaut au château. Ils
se regardaient déjà comme les niaiires du pays, exigeant que foutes
les villes et bourgs, à l'exception de Muhldorf^ leur prêtassent ser-
ment de tidclitcS et leur {^énéral en chef somma tous les intendants
et lonclionnaircs de l'archevêque d'avoir à comparaiire à Salzbourj;
pour rendre compte de leur acliiiinistration.
L'archevêque se flattait que la Bavière, conformément à la con-
vention de Ralisbonne (1524)', viendrait à son secours; mais il fut
déçu dans son attente, car Guillaume ne songeait qu'à tirer parti,
pour lui et sa maison, de la déiressc du prélat. Il fit assurer les chefs
des rebelles, - sur sa parole et son honneur de prince », que « sou
humeur, intention et résolution n'étaient nullement d'accorder au car-
dinal de Salzboin-g appui, subsides ou renfort (juelconque -, et envoya
une ambassade aux révoltés pour conclure avec eux « un accommo-
dement pacifique ■. Quelques hordes de paysans firent entendre ä
ses délégués (ju'ils ne voulaient plus à aucun prix de l'archevêque,
qu'ils lui préféreraient de beaucoup un prince temporel, et n'étaient
pas éloignés de consulter la population pour savoir si elle n'accep-
terait pas pour souverain un prince de Bavière ". Déjà le duc avait
décrété l'occupation de Muhldorf, ville dépendante de févêché, sans
l^ùre aucune mention des droits de l'archevêque, et ses chargés d'a(^
faires avaient reçu la mission d'agir auprès des -• lieutenants, conseil-
lers et membres des étals du pays ■■, de manière aies faire consentir
à cette mesure, dans l'intérêt « de la bonne entente qui doit exister
entre voisins. L'occupation de Muhlberg ne pourrait porter préjudice
à personne, assurai! le duc; d'ailleurs, elle ne serait que provisoire, et
ne durerait que jusqu'au moment où les destinées du pays seraient
définitivement fixées^. Le chancelier Léonard d'Eck tenta vaine-
' • Dans laquelle -, dit rarciievêque, 'il éiail convemi entre aiilres choses que
si l'un ou plusieurs d'enlrenousse voyaient exposés à quelque contradictio)!, rébel-
lion, révolte de leurs sujets à cause de notre clirélienne entreprise (de combattre
la doctrine de Luther et autres hérésies séditieuses), nous nous eiij'jajjions à nous
assister et conseiller mutuellement. Or, voici quel avait été le prétexte de
la guerre : Xous avions fait emprisonner quelques prédicants séditieux qui
avaient prêché contre l'institution de la sainte Église chrétienne; l'un d'eux
avait été condamné par jugement et sentence à la prison perpétuelle; le jour
qu'on l'emmena, plusieurs émeutiers, se jetant avec violence sur les nôtres,
tentèrent de leur arracher le coupable, et pour cet acte de rébellion, deux
d'entre eux furent décapités. Là-dessus les séditieux crièrent bien haut que nous
nous étions opposés à la prédication de l'Évangile, que nous n'avions pas voulu
tolérer qu'il filt annoncé au peuple, et c'est pour cela qu'ils ont refusé leur obéis-
sance à notre gouvernement et autorité souveraine. •■ Dans Jörg, p. 570.
' Dans JÖRG, p. 557-558.
590 INSURRECTION DANS L'ARCHEVÊCHÉ DE SALZBOURG. 1525-1526.
ment de détourner son maître d'une pareille politique. Il lui écri-
vait, le 7 juin 152Ô : " Quand bien même l'évêque de Salzbourg
et tout son clergé seraient mis à mort, quand bien même les
paysans resteraient les maîtres du pays et l'offriraient à Votre
Altesse, Votre Altesse doit bien se persuader que jamais les gens
d'équité et d'expérience ne lui couseilleraient d'accepter. Les ancê-
tres de Votre Grâce, qui ont régné jusqu'ici sur tant de générations,
entourés du respect de tous, n'ont jamais sanctionné de semblables
attentais. » ■ Etre d'intelligence avec les paysans, entrer dans
leurs plans, s'entendre avec eux d'une manière quelconque, c'est
laisser brûler la maison du voisin sans protéger la sienne, c'est
par conséquent les perdre toutes deux. - .le pense que Votre
Grâce ferait beaucoup mieux d'équiper une armée à ses Irais et
de marcher contre les paysans, que d'abandonner l'archevêque '.
.' Assurément -, disait encore le chancelier, « le duc pouvait en toute
loyauté et honneur travailler pour le profit et l'avantage de sa
principauté, mais il ne devait pas, dans ce but, s'appuyer sur les
paysans; c'était vers l'archevêque qu'il fallait se tourner, et sans
l'assentiment du prélat Muhklorf ne devait pas être occupée. Avant
tout, il fallait faire tous ses efforts pour assurer au duc Ernest,
frère du duc et administrateur de l'évêché de Passau, la succession
au siège archiépiscopal de Salzbourg. -^ .Mais Ernest se montrait
peu disposé pour le moment à accepter la charge épiscopale; il
écrivait : ^ En présence des difficultés et des afflictions que le clergé
a de nos jours à subir de la part de l'état laïque, préoccupé des évé-
nements périlleux de notre temps, je me sens peu enclin à me charger
de plus de maux encore. Il ajoutait en manière d'avertissement :
" Ce qui se passe dans ie pays de Salzbourg est bien fait pour
donner à réfléchir aux princes, car, se réglant sur cet exemple, les
sujets des pays voisins ne se feront bientôt plus aucun scrupule de
déposer et de renverser leurs souverains et légitimes seigneurs-. Un
certain nombre de révoltés s'étaient tournés vers l'archiduc, l'enga-
geant à se faire élire souverain temporel de l'archevêché, ou bien à
nommer un évêque autrichien au siège de Salzbourg. La population
de la vallée de l'inn, réunie à celle de Salzbourg, le suppliait aussi de
se déclarer franchement contre l'évêque ; en ce cas les jeunes nobles
de Schwaz promettaient de lui venir en aide avec cinq mille fantas-
sins^et les seigneuries etbourgs salzbourgeoisdeKrobsberg.deZiller-
îhal, de Kitzbiîhlet de MatreyMui étaient, disaient-ils, tout dévoués.
' Dans .loRG, p. 332-335, 359.
- Dans JÖRG, p. 578-579.
^ JÖRG, p. 514.
* Voy. JÖRG, p. 603.
INSURRECTION DANS L'ARrilEVF.rilF, DK SALZBOURG. 1525-1526. 591
Enirc les maisons rèijnanlcs d'Aulriclie et de Willelsbach la pos-
session (le rai'clievéclié deviiil le sujet de coii(e>lalioiis si vives
qu'une guerre sanglante iaillil en être le résultat.
Lors(iue la ligue souabe, à la requôte de l'arclicvöque, décréta que
deux mille de ses soldats iraient rejoindre l'armée de iiavière,
entretenue à ses irais, et que toute cette force serait dirigée sur
Salzbourg, le duc Guillaume parvint à retarder pendant (}uelque
temps l'exécution de cet ordre. Le 6 juin, il cherchait encore à
nouer des relations directes avec les rebelles, et s'informait même
auprès de sou chancelier ^ de l'opportunité d'envahir par surprise
les Kfats de l'archiduc . Les secours de la ligue arrivèrent enfin,
et firent cesser toules Uïs angoisses de l'archevêque; dans les der-
niers jours d'aoïU, la paix lut conclue. Les rebelles s'engagèrent à
remettre à l'archevêque les articles de leur union, à payer comme
auparavant au clergé et à la noblesse les taxes établies, à restituer
ce qui avait été dérobé, enfin à payer à ia ligue souabe quatorze
mille florins d'indemnité de guerre. Une totale amnistie était ga-
rantie aux insurgés. La ligue se réservait d'apprécier plus tard les
griefs auxquels on ne pourrait tout de suite faire droit. L'archevêque
; se montra satisfait du traité ■•, et consentit, jusqu'à son exécution,
à laisser siéger dans son conseil < trois hommes pieux et éclairés ' ,
choisis parmi les membres des états. Le 1" septembre, le bourg-
mestre de Salzbourg mit à ses pieds, à la requête des paysans '■,
les armes et les bannières des rebelles'. Mais de nouvelles émeutes
ne tardèrent pas à menacer; les hordes, de nouveau soulevées, par-
laient de recommencer la guerre « aussitôt que les arbrisseaux
seraient verts ••, annonçant leur dessein de se débarrasser le plus
promptement possible de la noblesse et des seigneurs* > .
' Pour plus de détails, vo\ . ,Iöug, p. 579-608.
2 Jöi\G, p. 636-656. Celle nouvelle exploiiou de l'insurrection se rattachait au
châtiment infligé à Schlüdniinjy, ville de la Styrie supérieure, dont le gouver-
nement avait été confié p:ir Ferdinand au comte Nicolas de Salm. Schladming
avait été le centre de la révolte pour tout le pays, et le 3 juillet 1525, le
sénéchal de la province, Sigismond de Dietriohstein, y avait été attaqué à
l'improviste. Voy. sur ce sujet la relation de Dietrichstein à l'archiduc Ferdi-
nand, dans les Archiv, für Kunde österreichischer Geschichstqiiellen, t. X\'II, p. ISS-
US. - Ce qu'on a raconté d'un échafaud élevé par les paysans de Scliladming,
où auraient été décapités nombre de gentilshommes, n'est qu'une histoire
inventée à plaisir. » — Rrones, Handbuch der Geschichte Oesierretchs (Berlin,
1877), t. II, p. 640. Sur les atrucilés commises pendant la guerre par le comte
de Salm, >oy. les documents puMiés par Oberleitner pour l'histoire de la guerre
(les paysans dans le Tyrol et dans l'évêché de Salzbourg (1525-1526). —Voy. aussi
A'otizcnblatt Jiir Kunde Österreichischer Gechischtsquellen, t. IX, p. 88-89. Le 6 Octobre
1525, Salm mandait au Conseil d'Ktat de Vienne qu'il avait mis le feu à la
ville de Schladmin;;, et l'avait incendiée de fond en comble, puis que le lende-
main il avait donné Tordre de piller et d'incendier toutes les localités environ-
nantes. « Kevenant ensuite sur mes pas, j'ai ravagé les alentours de Grobming
592 INSURRECTION DANS I/ARCHKVECHE DE SALZBOURG. 1525-1520.
Au printemps de 1o2ß, les rebelles étaient en effet sons les armes.
Ce ne fut qu'eu juillet lô26 que la haute cour de justice de Rastadt
parvint à pacifier complètement le pays.
(dans le territoire de SalziMjurg). .J'ai parcouru les montajjnes et les vallées, jai
tout »lis ù feu et à sang, de sorte que peu de villages sont l'estés debout, .le
voulais détruire Grobming comme Schladininfj, mais je l'ai éparf^née sur les
instances de la noblesse. » Le 11 octobre, le Conseil d'État de Vienne donna
à Salm l'ordre de ménager le plus possiljle Aussee et Eisenerz, de peur
que le pays n'eût trop à souffrir. Le 15 octobre, Salni écrivait de Leoben qu'il
avait renoncé ■ à la ilambée », parce qu'il n'y avait pas de population plus
effroyablement féroce que celle du pays où il se trouvait. Toutefois il espé-
rait qu'elle resterait soumise. Le principal chef de linsurrection de Salz'uourg
était .Michel Geismayr, qui ci)ercba plus tard à soulevé;* de nouvelles révoltes dans
leTyrol.ll finit par se réfu;ier dans les États vénitiens, « et fut reçu en amitié,
lui et tout son mande, par la République, qui en fit beaucoup de cas, et lui ac-
corda une pension de quatre cents ducats, s'en servant comme d'un utile auxi-
liaire contre l'Empereur et l'Empire. Il se fixa dans les environs de Padoue. ■
Ses revenus eu>sent suffi à l'entretien d'un cardinal. ■ !1 resta toujours en
relation avec les révolutionnaires d'Allemagne. Il mourut assassiné. > — Voy.
BCOHOLTZ, t. VIII, p. 347-348, et son Urhunclcnband, p. G55-G5". — JouG, p. G5Î-
657. — Voy. aussi le t. III de cet ouvrage.
en Al' IT HE V
KTAT l)l': l'aL(,E.MA(;N K APUKS LA RKVOLUTION SOCIALE,
La révolulioiî, qui avait failli anéantir toute la tradition du
passé chrétien, et avec elle tout l'équilibre social et politique de
l'Empire, était enfin domptée.
Mais " l'aspect d'une p,rande partie de l'Allemagne était à jamais
changé, et la répression qui suivit ces lunestes émeutes rendit plus
alïreuse encore la situation du pays -.
c; O chimérique espérance d'un impossible bonheur -, s'écrie Lau-
rent Frics dans ses Reßexions sur la rémUition de \'i2'i, tu aveuples
tellement les sujets, qu'ils ne peuvent plus apprécier ce qui est selon
üieu, ce qui est selon l'honneur et la loyauté! Tu les berces de l'illu-
sion qu'après la lutte ils seront libres de toute charge, qu'ils de-
viendront leurs propres maîtres, et lorsque enfin ils ont cédé à
tes conseils perfides et impies, tu en fais des esclaves et des valets.
Non-seulement tu ne les délivres pas de leurs fardeaux, mais tu
rends deux fois, trois fois, dix fois plus lourdes et plus insuppor-
tables des charges qui auparavant étaient faciles, modérées, lé."-ères.
Tu persuades aux pauvres gens que, sans beaucoup de peine et de
travail, ils verront leur sort s'adoucir, qu'ils deviendront riches et
heureux, et tu les conduis à la plus triste, à la plus lamentable
détresse! Tu les excites à saccager les châteaux et les maisons des
princes, des seigneurs et autres autorités, tu leur conseilles l'incen-
die, le pillage, et tu es cause que ces malheureux, voués par état à
un travail rude et fatigant, doivent encore payer de leurs deniers
tout ce qu'ils ont détruit, et remplir de nouveau les coffres et les
caves qu'ils ont vidés. A cause de toi, on ravage leurs vignes, on
piétine leurs champs, on briHe leurs cabanes, on pille leurs épargnes,
on confisque leurs vêtements, leurs meubles, on les expatrie au
loin. Mais ce qui est surtout odieux et abominable, c'est que tu
oses donner à la source maudite et honteuse de tant de forfaits, de
meurtres et de ruines, le nom le moins propre à la déterminer,
l'appelant une « Fraternité ». Outrageant et injuriant notre Sauveur
»• 38
594 ÉTAT DE L'ALLEMAGNE APRÈS LA RÉVOLUTION SOCL\LE.
et Rédem pleur Jésus-Christ, tu couvres tes crimes atroces de son
saint nom, de son nom noble et adoré, et tu qualifies de cliré-
tiennes ces associations de scélérats, ces prétendues Fraternités!
Dans les proclamations des soi-disant frères, des actions, des ten-
tatives exécrables, païennes, tyranniques, bestiales, sont appelées
c grâces de Dieu » et c paix du Christ > , tandis qu'en réalité, comme
ces mêmes frères sont bien obligés de l'avouer eux-mêmes, la révolte
n'engendra jamais que calamités, troubles, guerres, profanations,
vols, rapts, incendies et meurtres'. -
Cochlseus s'écrie en terminant le récit qu'il nous a laissé de la
guerre des paysans : - Quand verrons-nous relevés îous ces châ-
teaux, ces couvents, ces abbayes, ces églises, ces villages qui, en un
si court espace de temps, ont été saccagés, incendiés? Et qui donc
a ga[iaé à tant de ruines? Les lansquenets et les reîtres! Oui ne
se sentirait ému de douleur à la pensée de tant de religieux
qui, dune vie honorable, méritante et dévote, sont tombés dans
l'ignominie, dans l'extravagance et Tinconduite, et mènent main-
tenant dans le monde une scandaleuse et honteuse existence,
obligés, ou de mourir de faiin, ou de soutenir leur vie en ayant
recours à des industries déshonnêtes? car ils n'ont pas appris de
métier, et ne savent point cultiver les champs. Un certain nombre
se sont enfuis de leur monastère de leur propre gré, sollicités par
les désirs de la chair, ou bien poussés à bout par les vexations,
humiliations, souffrances, mépris de tous genres qu'on leur a fait
endurer, à cause des doctrines de Luther. D'autres ont été chassés
de chez eux par la violence; beaucoup, déjà parvenus à la vieillesse,
incapables de se suffire, pauvres gens qui avaient servi Dieu jour
et nuit, priant pour tous les hommes depuis vingt, trente ou
quarante ans, ne savent plus maintenant où aller, n'ayant plus
leur pain assuré. Les marchands, les ouvriers luthériens des ville?
se sont jusqu'à présent montrés fiers, dédaigneux et arrogants
vis-à-vis d'eux. Tant de veuves, d'orphelins, de vieillards, d'in-
firmes tombés, dans ces temps déplorables, dans une horrible
détresse et désolation, ne méritent pas moins de compassion, car
les chefs de famille qui devraient nourrir cette foule d'impuis-
santes victimes ont été massacrés par milliers. Les maisons sont
en cendres, les champs et les vignes en friche, les habits, les
meubles volés ou brûlés; on a enlevé au cultivateur ses vaches, ses
moutons, ses chevaux, ses attelages, et pourtant le prince ou le
seigneur veut être payé et recevoir de sa ferme la redevance accou-
tumée. Dieu du ciel! où donc les veuves et les pauvres petits orphe-
"' L.Turent Fries, p. 338-339.
I/AI.LEMA(;NK APRKS la RKVOI-IITION sociale 595
lins iront-ils clicrclicr cet argent? Une telle misère attendrirait
imc pierre! Oue de lois, que de rèjjlemcnts nos lulhériens n'onl-ils
pas faits contre les moines quôteurs, les écoliers indigents, les
pauvres, les pèlerins, disant qu'ils ne soulTriraient plus ce peuple de
mendianis dans leurs villes! Oue leur semble, à préseul, de l'élal des
choses? Dieu a permis, pour noire punition à tous, que, pour un men-
diant, nous en ayons mainlenanl vingt, trente, ou même davantage', n
c Au commencement ", dit le chroniqueur Anslielm, on tremblait
que personne n'échappât â la fureur des paysans; mais à la fin, il
s'est trouvé que ce sont eux qui n'ont pu se soustraire au glaive
sanglant. Les seigneurs et les gentilshommes, qui de lions étaient
devenus lièvres, sont de nouveau redevenus lions; et les paysans,
qui de lièvres étaient devenus loups, sont redevenus lièvres; de
sorte qu'après avoir fait joyeuse chasse, après avoir détruit, ravagé,
saccagé sans merci, ils sont maintenant fugitifs, (raqués, vaincus,
impitoyablement massacrés. Après leur entière défaite, on a cal-
culé que, dans la haute Allemagne, environ cent mille paysans
avaient péri sur les champs de bataille ou autrement. De plus, cette
guerre de dévastation a causé renchérissement des denrées; la
viande surtout est hors de prix. Puis la peste est survenue, et les
paysans, pliant sous la peine, ont dû, après taut de sueurs, taire
l'expérience d'une sueur autrement affreuse et glacée, celle de la
mort, ou d'une longue et douloureuse mal'idie. Ainsi donc, pour
salaire de leur brutale et tyrannique entreprise, ils ont été traités
à leur tour avec brutalité et tyrannie; caries seigneurs, depuis la
victoire, sont dcveuus plus durs, plus cruels qu'auparavant; ceux-là
mêmes qui, par impuissance ou par peur, avaient laissé leurs gens
sans protection, et ceux, moins nombreux, qui jadis avaient été
portés â la douceur et à l'humanité, sont à présent disposés aux
mesures les plus rigoureuses, et se persuadent qu'eu serrant le mors
et le bât de l'ànc, ils l'empêcheront de ruer, et le maintiendront
sous le joug -. "
L'Allemagne, dans tous les territoires ravagés par l'émeute, offrait
un lamentable* et horrible spectacle. Plus de mille couvents et châ-
teaux n'étaient plus que des ruines; des centaines de villages étaient
en cendres; les champs restaient sans culture; les instruments de
' Eyn huilzer heçiriff der auß'rureii, rollen und häufen der bauren in hohen Teutschland,
Im M.D.XXl' hir, Sehlussu-ort.
-Ansiiki.m. l. VI, p. 2Ü9, 285. »Afin que la révolte fAl punie •, dit Ilerolt (p. 10"),
•■ Dieu mit en la main des .sei;;neurs la force et le j;laive, de sorte qu'ils revin-
rent vivants, et même enflammés de courajye; au lieu que ks paysans étaient
devenus comme des lièvres, et partout ils furent exterminés et martyrisés.
Quel a été là deJans le dessein de Dieu? cela dépasse mon intelligence; sans
doute il a permis tout ceci pour l'instruction des princes et autorités. •
38,
596 L'A t. LE MAGNE APRÈS LA REVOLUTION SOCIALE.
labour et les attelap,es étaient brisés, disparus, les bestiaux assommés
ou voles; les veuves et les orphelins de plus de cent mille morts
étaient plongés dans la plus affreuse détresse'.
u Tout était dans un tel état qu'une pierre eu eût été attendrie, et
pourtant les choses devaient encore aller en empirant, car la soif de
vengeance était ardente chez les seigneurs. « « Eux aussi étaient
devenus féroces dans cette lamentable guerre; bien peu étaient
disposés à se laisser toucher par la pitié et la miséricorde chré-
tiennes*. "
C'est alors que les princes et seigneurs commencèrent avec les
paysans ^- un jeu de sang et d'or ■^. « J'espère -, écrivait l'un
d'eux, « que nous allons jouer avec les têtes comme les jeunes gar-
çons jouent avec les boules. » ^ On n'en a pas encore fini avec les
exécutions -, écrit tristement Spalatin, prédicant de la cour élec-
torale de Saxe (juillet 152.5); • il y a un nombre inouï de veuves et
d'orphelins abandonnés et sans ressource. - Daus le territoire de
Wurzbourg, le bourreau se vantait d'avoir, en l'espace d'un mois,
exécuté trois cent cinquante personnes. Un bourreau au service de
Casimir d'Anspach-Bayreuîh, margrave de Brandebourg, fournit un
mémoire de quatre-vingt-dix hommes décapités et de soixante-
deux autres auxquels on a crevé les yeux; outre cela, sept paysans
avaient eu les doigts coupés. • Si nous exterminons tous nos
hommes n, écrivait le margrave Georges â son frère Casimir, - où
prendrons-nous d'autres paysans pour nous nourrir? Songeons à
nous montrer prudents en cette affaire. - Néanmoins les emprison-
nements, les tortures continuèrent sans interruption dans le mar-
graviat jusqu'à la fin de 1Ô2G. Le chevalier Hans de >Valdenlels
représenta alors au margrave (6 novembre) - que c'était pour des
paroles insignifiantes, des actes de peu d'importance, qu'une masse
de malheureux étaient accusés, torturés et poursuivis, et que les
' Dans une circulaire de l'évêque Georfjes de Spire, le nombre des paysans
restés sur le champ de bataille est év.ilué à plus de cent cinquante mille. —
Gf.iSSCl, h'niser/lo77i. p. 315, note 1.
2 Voy. la liste citée, p. 464, note 1. ^ Dès que les grands seigneurs se crurent
affranchis d'un péril de mort, leur vie de plaisir recommença. Beaucoup ne
l'avaient même pas interrompue pend int les horreurs de la révolution, ce qui
était véritablement honteux de leur part, menacés qu'ils étaient de si graves dan-
gers. " La Chronique de Zimmer dépeint la vie que menaient au fort de la révolu-
tion les nobles réfugiés à Rothweil (t. II, p. 400-403). - Là se trouvaient Jean
Werner et Guillaume Werner, de Zimmer, les abbés Ulrich d'Alpirsbach et Jean
de Saint-Georges, ainsi que quelques memi)res de la petite noblesse; et tandis
que l'émeute et le tumulte régnaient partout, eux, se sentant en pleine sécu-
rité, ne songeaient qu'à se divertir, et entretenaient nombreuse compagnie.
Les banquets allaient leur train, les seigneur> les donnaient à tour de rôle. Ils
jouaient quelquefois à des jeux singuliers, qui les divertissaient beaucoup, (»n
lançait les meubles de côté et d'autre, de façon à les briser, à les détruire ; puis on
se jetait à la figure des débris de gâteaux, ou bien l'on s'aspergeait d'eau sale. •
L'ALLEMAGNE APRÈS LA RÉVOLUTION SOCIALE. 597
femmes abandonnées, les petits enfants de ces pauvres fjens, inca-
pables de se suffire, mouraient de misère el de faim. Le prince
devait craindre de se laisser influencer par des gens qui, tout en
affichant un zèle exagéré, étaient sans doute les plus coupables de
fous. Waldenfels sup()liait le duc, au nom de ce qu'il avait de plus
cher, d'oublier euf-in le passé, et d'incliner .-on C(L'ur vers la misé-
ricorde. ' Selon les lumières de leur faible entendement -, écri-
vaient à Casimir les conseillers de Culmbacli, il leur semblait
excessif de punir si rigoureusement des paroles insignifiantes et
inconsidérées. Casimir avait fait exécuter plus de cinq cents
hommes, et les amendes lui rapportèrent environ quatre cent mille
florins. L'aisance des paysans d'alors était telle que, parmi les familles
des condamnés ou des bannis, à peine s'en trouva-t-il ([uehpies-uues
(jui, après avoir vendu leurs biens et payé leurs dettes, n'eussent
encore en réserve cinquante à cent florins d'or, après une guerre si
désastreuse. Il n'était |)as de village où l'on ne trouvât des paysans
possédant de sept cents à mille florins d'or, c'est-à-dire, d'après la
valeur qu'avait alors l'argent, une fortune de noble.
Dans les autres territoires, < les maitres bourreaux avaient aussi
beaucoup de besogne n. Un bourreau de Bàle se faisait gloire
d'avoir tranché la tète à cinq cents condamnés. Le chevalier Conrad
de Riethheim fit arracher la langue à trois paysans. Dans le U'ur-
temberg, quelques femmes, pour avoir voulu se mêler de prêcher,
subirent le même supplice. De douze prédicants révolutionnaires,
onze furent roués, brrilés vifs ou noyés, un seul décapité. Le prévôt
de la ligue souabe exécuta de sa propre main douze cents hommes,
et reçut plus tard une liste supplémentaire contenant les noms
de condamnés épargnés ou oubliés dans les exécutions précédentes.
Le chiffre des exécutions, rien que dans les domaines de la ligue
souabe, est évalué à dix mille dans une liste présentée aux états de
la ligue vers la fin de l.j26. Quand l'échafaud ne suffisait pas, ou
avait recours à l'incendie. .. Le cœur du paysan est tellement empoi-
sonné et endurci , écrivent des conseillers de Saxe, " que l'uu
mérite aussi bien que l'autre le dernier supplice. Les exécutions ne
les intimident point et ne les délournenl pas de leur obstination
perverse, de sorte qu'il devient nécessaire d'eu venir à bout par
l'incendie '. -
' Voy. Baumv.W, Quellen aus Oberschwahen, p. 106, 112-113, 126, 270, 347, 707, 795.
— Laurent Fuies, p. 119, évalue i trois cents le nombre des rebelles exécutés
à VVurzJJourg et dans le reste de l'évèché. D'après une liste publiée par Bensen
\p. 492), il n'y aurait eu que deux cent soixante-douze victimes. Voy. le
mémoire fourni par le bourreau du margrave dans V Anzeiger fur die Kunde
deutscher Vorzeit, t. II, p. 139. — Voy. aussi JÖRG, p. 634. — ZIMMERMANN, t. II,
p. 902. — Bensen, p. 498. — Voy. la lettre du margrave Georges dans rarlicle
598 L'ALLEMAGNE APRÈS LA RÉVOLUTION SOCIALE.
Dans tous les lieux où il y avait eu révolte, les paysans durent
livrer leurs armes. Pleurant, gémissant, le cœur rempli d'amer-
tume -, écrivent du Lech les capitaines bavarois chargés de faire
exécuter les ordres de la ligue (23 juillet 1525), les paysans des
territoires souabes sont venus déposer à nos pieds leurs armes, et
même leurs inséparables compagnons, les sabres '. On imposa
publié par Schmidt sur la {guerre des paysans dans Y Encydopuiie de F.rsch ei
Grcber, t. VIII, p. 185, note 43. — Voy. la lettre du chevalier de Waldeiifels
dans Bensen, p. 462. Pour plus de détails sur Casimir, voy. Lang, Geschichte ion
Baireuth. t. I, p. 196, 197, 212. Relation du bourreau de Bâle dans Boos,
Thomas und Felix Plater , p. .327. Parmi les châtiments bizarres imposés aux
paysans, nous trouvons l'obligation de porter la barbe entière d'un côté, et
de tenir l'autre moitié du visage complètement rasée. On lit dans le serment
prononcé après sou jugement par Pierre .Schmidt de Neckarsulm : ^ .le m'en-
gage à ne porter désormais ma barbe que d'un seul côté du visage, et de
la laisser pousser, sans la diminuer d'aucune manière, telle qu'elle viendra.
Je me raserai tous les quinze jours l'autre côté de la figure. » - .le m'engage
aussi ^ , est-il dit plus loin, - à n'entrer jamais dans aucune auberge, à n'assister
à aucune réunion populaire ou autre, à ne jamais franchir le territoire
de Neckarsulm, à ne point porter d'armes, et à n'en pas user dans ma mai-
son ^, etc. — Voy. OEcHSLE, p. 234. — Jacques Holz d'ileitersheim, accusé
d'avoir proféré des imprécations contre le bourgmestre et le conseil de Fri-
bourg, avait été condamné à mort : - Mais le bourgmestre et le conseil -, dit
l'accusé dans son interrogatoire (25 août 1525}, - ont usé envers moi de grande
miséricorde, et l'exécuteur sest borné à me couper les deux premiers doigts
de la main droite. > Jacques Stolz dut en outre quitter la ville, et envoyer
dans un délai de huit jours dix livres de pfennings comme amende. ^ J'ai ac-
cepté tout cela avec une grande et joyeuse reconnaissance " , dit-il. Dans
Schreiber, Bauernkrieg, t. III, p. 98-99. — Voy. OEchslc, p. 235. Le comte
Albert de Prusse convoqua le 30 octobre 1525, dans les plaines de laut, aux
environs de Königsberg, ceux de ses paysans qui avaient pris part à la
révolte. Ils les obligea à paraître devant lui équipés comme ils étaient le
jour où ils s'étaient soulevés pour chasser tous les nobles et établir l'éga-
lité. Le comte ordonna aux paysans " que pour lui rendre hommage ils
eussent à s'agenouiller, ce qu'ils firent, se mettant devant lui dans la plus
humble posture, après avoir jeté leurs armes par terre -. Lorsque tout cela fut
terminé, le prince, « décidé à user de ses droits ^, fit jouer son artillerie
sur ce peuple sans défense. '^ Jamais on ne vit plus lamentable spectacle. -
Après cela, les plus rjches paysans des environs de Königsberg furent con-
duits au château, dans le donjon; les caves étaient remplies autant qu'elles
pouvaient l'être, de sorte que beaucoup périrent à cause des exhalaisons
fétides. Elbingisch-Preussiscke Chronik de Falk, publiée par Treppen Leipzig, 1879).
— La chronique d'Ilenneberg', rédigée par Spangenberg, nous montre aussi sous
quels prétextes frivoles on condamnait ou graciait parfois les accusés. •^ Dans
le village de Sulzfeld, il n'était resté que deux habitants, tous deux couvreurs.
L'un se mit à pleurer amèrement lorsque le comte lui signifia son arrêt, et pré-
tendit ne rien regretter dans la vie, si ce n'était le château de SdU Altesse,
parce qu'il était sur que personne n'y mettrait de tuiles aussi solides que les
siennes. L'autre, petit homme gros et trapu, éclata de rire en entendant
prononcer sa sentence, et comme on lui en demandait la raison, il répondit
- que la chose lui avait tout à coup paru si drôle, parce qu'il s'était demandé
oii donc il pourrait percher son chapeau, après qu'on lui aurait enlevé la
tête -. Tous deux obtinrent leur grâce en faveur de leurs bons mots. » — Ben-
sen, p. 498.
' Voy. JÖRG, p. 632.
L'ALLEMAGNE APHÈS l,A 11 F^ V O LU Tl O N SOCIALE. 599
(les amendes de Irois à douze florins, et souvent diivanlage, à
chaque chef de laniillc. . Tout village, (oui hameau , lisons-nous
dans une ordonnance de la li(;ue soiiahe, nous apportera, comme
amende, six (lorins par loyer, et le riche devra, en cetle occasion,
venir en aide .m |)anvre. Le village ou hameau qui n'aura pas au
temps fixé, cl coiîMiie les chefs le lui prescrivent, apporté sa con-
tribution, sera pillé cl incendié \ Il laut que je le Tavoue -,
écrivait un i^ honorable " de lîothenbourj"; ä l'un de ses parents,
« notre ville est ruinée el taxée au delà de ses moyens, et ce sont
surtout les innocents, par exemple moi, les miens et ceux qui ont
quelque chose à perdre, qui sont imposés. Un bourj^^eois, un paysan
n'ayant pris aucune part au tumulte, doit néanmoins payer l'amende.
A ma connaissance, plus d'un homme qui jamais ne s'est joint aux
révoltés a été imposé; mon bcau-fils a été obli^yé de donner une forte
somme. En résumé, nous autres honorables de Holhenbourf,, nous
sommes littéralement ruinés par la révolte populaire, et je ne puis
songer à me faire indemniser j)ar les vrais coupables, car ils n'ont
rien ^ •• Pour avoir pris part à la destruction du château de Schil-
linj<;slurs(, Holhenbourp, fut condamnée par les comtes de Hohenlohe
a payer \i\]i>,\ mille florius d'indemnité, un insurjjé, pour avoir
si{;né une Ici Ire où les paysans réclamaient des arquebuses, lut con-
traint par les comtes de leur en payer le prix.
La li[vue souabe aurait voulu faire recueillir les amendes par ses
commissaires; mais les sei[;neurs fonciers s'y opposèrent, disant que
cet office leur appartenait de droit en leur qualité de seigneurs ban-
nerets. Les nobles feudataires firent la même réclamation, de sorte
qu'il y eut des cas où les paysans furent obligés de payer deux et
trois fois. Les amendes récollées parle comte palatin Louis, l'un des
princes les plus impitoyables de cette époque, montèrent à deux cent
mille florius.
Un assez grand nondire de princes ecclésiastiques se montrèrent
généreux envers leurs sujets.
" Cetle malheureuse population ', dit la Chronique de Gvebwilkr,
en général très-mal disposée pour les paysans, - se rattache à la vie
€omme elle peut. Oh! combien d'honnêtes gens, absolument inno-
cents, ont péri sur l'échafaud! Gémissons-en devant Dieu. Nous
étions ici dans une terrible anxiété, à cause de la grande exi-
' Voy. OECHSLE, p. 437. L'archiduc Ferdinand se montra plus clément. —
Voy. Schreiber, Bauernkrieg, t. 111, p. 130, 171. — « Jlcm, les chefs et les excitateurs
de cette affaire et émeute ne seront pas punis de mort, mais subiront des peines
soit dans leurs corps, soit dans leurs biens, proportionnées à la gravité de leurs
délits. »
- Voy, OECHSLE, p. 437.
600 L'ALLEMAGNE APRÈS LA RÉVOLUTION SOCIALE.
gence des seigneurs d'Ensishcini; mais l'jibbé de Muhrbacli, iioire
gracieux seigneur, s'est compurlé envers nous comme un père
indulgent. Si notre bon prince eiU été moins débonnaire, ceux
d'Ensisheim nous auraient certainement retenus prisonniers dans
nos propres demeures. •' En effet, la noblesse d'Ensisheim repro-
chait vivement à l'abbé sa trop grande modération'. La Chronique
de Zimmer s'exprime comme il suit au sujet de Tévèque Georges
de Spire : ^ Un prince et un souverain si éclaire, si débonnaire,
devrait vivre ;iu delà des années ordinaires de l'humanité. Très-
peu parmi ses paysans ont payé leurs crimes de leur sang ou de
leurs biens. On s'est efforcé d'adoucir pour tous la misère et les
calamités qui sont les inévitables suites de la guerre-. » L'évêque
Guillaume de Strasbourg fit preuve, lui aussi, de la plus grande
indulgence; tous ceux de ses sujets qui avaient pris part à l'insur-
rection furent amnistiés. La chancellerie de l'archevêché ordonna à
l'official, an commencement du carême de 1526, d'expédier à tous
les prêtres du diocèse un mandement accordant une amnistie gé-
nérale à tous les paysans qui avaient aidé à détruire les églises et
les couvents ^ L'abbé de Maurusmunsler, Gaspard Rieggert, ne se
montra pas moins miséricordieux, et pourtant les paysans avaient
saccagé et pillé sou couvent, son église, sa bibliothèque, et sa
vie avait été menacée. Il obtint la mise en liberté de beaucoup de
malheureux. ^ H était toujours prêt â sacrifier ses intérêts pour
adoucir la détresse du pauvre peuple, et lui obtenir l'entier pardon
de ses fautes *. »
Dans la plupart des pays où l'émeute avait éclaté, les familles
privées de leurs chefs étaient en proie à la plus affreuse misère.
La ligue souabe avait ordonné que tout fugitif qui ne serait pas
venu au temps voulu implorer sa grâce et se soumettre au châti-
ment qu'on jugerait à propos de lui infliger, serait puni par
la confiscation de tous ses biens, dont la moitié reviendrait au
seigneur légitime; sa femme et ses enfants devaient être expulsés
du pays. Un renseignement fourni par la Chronique de Donaiverlh
nous fait entrevoir l'énorme chiffre d'inlortunés qui eurent à subir
les conséquences d'une mesure si rigoureuse : -■ Cinquante mille
paysans environ, jadis en possession d'une grande aisance, s'expa-
' IIartfeloer, Baiiernhricg, p. 57.
- Zimmerisclie Chronik, t. II, p. 426. — Reimling, Geschichte der Bischöfe von Speyer,
t. II, p. 2G1. I)aIl^ l'évéché de Bamberg, on procéda à la punition des coupa-
bles avec beaucoup de modération et d'humanité. — Voy. Histor. polit. Blätter,
t. LXXXV, p. 921-922.
^ Hautfeldeh, Bauernh-ieg, p. 174.
* Hartfelder, Bauernkrieg, p. 175.
I/ALLEMAGNE AFIîKS LA 1! K V 0 L U T I O N SOCIAt.E. 601
trièrent, et la li[ïiic .'onabc décréta que tout homme ayant mis
à mort uu fußilif ne serait ni puni, ui considéré comme cou-
pable '.
Les chansons du temps donnent une assez juste idée de la triste
situation des paysans :
Je vais vous dire un nouveau conte :
Dans loul le pays allemand,
Les seij^neurs ont ballu les paysans,
Qui sont dans une grande misère!
Maintenant nous allons leur écrire
Qu'ils nous permettent de rester
Auprès de nos enfants et de nos femmes,
Et c(u'ils nous laissent notre bien !
En dépit de votre arrogance
Envers les princes, mes bonnes gens,
Tout le monde sait assez
Que vous avez maruiué .'i votre parole!
Vous aviez juré fidélité aux princes,
Et vous avez oublié votre serment!
Cela a irrité la noblesse:
Maintenant prenez garde A vous!
La pi(|uc est bien pi es de votre porte!
Vous vous en doutez bien.
Et vous faites tous vos efforts
Pour ne pas perdre à la fois
La vache et le veau !
Hélas! le blé, l'avoine, les meubles du ménage,
Le bétail de votre étable,
Il vous faut renoncer ^ tout cela,
Et prendre le b;Uon de mendiant"-!
'' Les pauvres f^ensqui s'étaient persuadés que l'émeute améliorerait
leur sort et qu'ils s'en trouveraient bien, ceux qui avaient murmuré
sur les peines de leur condition et souffert avec impatience les
impôts, les corvées, les redevances, rêvant de devenir les maîtres,
se trouvèrent, après la révolte, beaucoup plus malheureux, plus
pauvres et plus misérables qu'auparavant. »
La vie, pendant très-longtemps.
Avait été douce et facile.
' Voy. Bensen, p. 485, 50O. — QEchsle, p. 437. — BauManx, Quellen, p. 278.
« Beaucoup de paysans bannis ", rapporte Knöringer dans les Annales Faucenses,
se rendirent près du roi de France, d'autres chez les Vénitiens, d'autres chez les
Turcs, et prirent du service chez les étrangers contre l'ünipereur et l'Empire
romain. » Baumann, Quellen, p. 408.
* LlLiEXCRO.v, t. m, p. 445-446. ,
602 L'ALLEMAGNE APRES LA REVOLUTION SOCIALE.
Tout à coup, on refusa de payer les dimes,
On mit en oubli le devoir, le serment,
On brilla, on pilla comme des Turcs,
On SI* luütilra féroce, sans piiiél
Les autorités devaient apprendre à connaîtr-
La puissance du peuple!
On voulait le partage des biens.
On voulait tHre seigneur et maître!
Mais le châtiment vint bien vite.
Ah! Hieu du ciel, prends pitié de nous!
Maintenant les seigneurs punissent,
Ils appesantissent toutes les charges,
Rien ne met ;\ l'abri de leur courroux,
On en est vraiment écrasé!
VoilA la fin de \^ chanson,
Lue tyrannie barbare!
A!i! Seigneur Dieu, donne-nous la paix,
Kt fais trêve à tant de châtiments' !
Wolfgang Capito, prédicant de Strasbourg, écrivait à Pomera-
nius que le manifeste de Luther contre les paysans n'avait pas peu
contribué à conduire les princes, de la première surprise causée par
la révolte, à une vengeance sans frein! Maintenant, les veuves et les
orphelins de milliers de malheureux, mis à mort en grande partie
avec perfidie, après s'être complètement soumis dans Tespoir du
pardon, sont recherchés soigneusement : c'est qu'on veut confisquer
les trois quarts de leurs bieus; de sorte que de la misère ils tombe-
ront bientôt dans le désespoir*.
Tous les hommes de bon sens furent saisis d'un douloureux éîonne-
ment, en voyant Luther, au milieu de la détresse générale, inex-
primable, où l'Allemagne se voyait précipitée à la suite de la
guerre de religion, recommencer de plus belle à exciter ses parti-
sans à la haine, aux outrages contre le Pape et le clergé séculier
et régulier. Dans un nouvel écrit, publié le premier jour de l'an
1526, il dit en commençant : « Quelques-uus pensent qu'on peut
maintenant cesser de se railler du papisme et de l'état ecclésiastique,
et qu'après tant d'écrits, délivres, de pamphlets, ils ont été assez
bafoués, chansonnés, lacérés, insultés de toutes manières pour qu'on
puisse espérer les avoir démasqués, et croire qu'il leur sera désor-
mais impossible de remonter sur leau. Je ne partage point cet
avis; je pense, avec l'Apocalypse de saint Jean, qu'il faut continuer
à abreuver la Prostituée Rouge, que les rois et les princes de la
' Voy. le passage cité à la p. 438, note 2.
- Balm, Buizcr und Capito, p. 331. — Voy. aussi la lettre d'Herinann Muehipfort,
de Zwickau, à Etienne Rotte, 4 juin lô25, dans Kolde, Analecia Luiherana, p. 64-68.
i.'Ai.i.EM a(;ne aî'I! i;s la k évolution sociale. 60:',
(erre on( coiirtiH-i; c( coiirlisciir encore, c( lui compler autant de
douleurs et d'umcriumcs qu'elle a eu jadis de joies et d'honneurs,
jusqu'à ce (jirolle soil Ibiilée aux pieds dans les rues connut' la boue,
et que rien ne soit j)lus honni, plus vil en ce monde que celle .léza-
bel sanj'jUinaire. L'ap,ression, selon l>uther, était surtout néces-
saire depuis rentière défaite des paysans : ^ Depuis lors, ils fc'est-
à-dire le Pape, les evecjues, les prêtres séculiers et les religieux)
recommencent à se |)avaner, à se renjjorger, comme s'ils vou-
laient étaler plus de lasie que jamais et parvenir à de plus grands
honneurs que dans le passé! Ils se prélassent, ils se félicitent, ils
se croient fvii<''iSi absolument ressuscites! L'échec qu'ds ont subi
ne les a en rien corrijjés; ils semblent souhaiter de nouveaux ho-
rions, et vouloir entendre encore une fois les louanges que mérite
leur conduite diaboli(|ue! Puis(]u'il en est ainsi, nous ne leur refu-
serons pas cette consolation! nous remuerons encore vigoureusement
le tas de fumier qui eût aimé à rester stagnant et puant, afin qu'ils
puissent s'en barbouiller à co'ur joie le museau et le nez! Donc, chers
amis, recommençons à écrire, à imaginer, à rimer, à chanter, à
peindre, à tourner en dérision la race païenne et idolâtre des papistes,
comme elle le mérite et comme elle en est digne! Maudit soit celui
qui sera négligent dans ce devoir, puisqu'il .»ait bien que l'accomplir,
c'est servir Dieu, qui veut la ruine et l'extermination de cette abomi-
nation de la terre'! » " Un tel langage ", dit un polémiste catho-
lique contemporain, < ne pouvait qu'aigrir les esprits et surexci-
' Summil. U'cr/.r, t. \\l\, p. 3"7-:i78. — Kpüojjiie aux vers satiriques accom-
pagnés de caricatures (|ue quelques « pieux pcrsimnages - avaient envoyés à
Lutlier, et qu'il publia le premier jour de l'an de 1526. On y lit entre autres
choses, à propos du clergé :
Tes héraiilts de l'Antéchrist,
Qui ne se sont en rien améliorés,
Possèdent et gouvernent terres et gens,
r.'ebt vraiment un outrage à Dieu!
Ils nous entraînent tons vers le diable.
Comme malheureusement nous nous en sommes apernis trop tard.
Prions pour que Dieu change les choses.
Et d-truise la meute du diable.'
Luther dit dans sa préface : - Je passe sous silence leurs crimes et leurs
blasphèmes, les impiétés qu'ils commettent avec leurs messes et pendant la
■messe, et toutes les cérémonies de leur culte, institué par Satan pour que
Dieu soit blasphémé et les âmes perdues ! • » Le clergé a englouti les biens
de toute la terre, de sorte qu'on a de fortes raisons de penser qu'il est ce grand
peuple de Rog et de Magog dont Ézéchiel et l'Apocalypse ont parlé, disant qu'il
avait cerné la cité de Dieu, mais qu'enfin il avait été exterminé sur les mon-
tagnes et donné en pâture aux oiseaux du ciel. C'est ce dont nous sommes main-
tenant témoin, grâce à l'Évangile. » - Les clercs forment cette armée de saute-
relles, de chenilles, de hannetons et de vers rongeurs qui dévorent et ruinent
notre pays, .loel I. ^ ^ Sois donc diligent à remercier Dieu, et n'oublie jamais la
grâce qu'il t'a faite en te faisant comprendre cette vérité, et en te délivrant de
tant d'ennemis. »
60i L'ALLEMAGNE APRÈS LA RÉVOLUTION SOCIALE.
ter les passions. Et cependant ou avait encore sous les yeux les
ruines fumantes d'innombrables abbayes et églises, détruites dans
l'effroyable guerre, et l'on tremblait à chaque instant de voir de
nouvelles émeules éclater '!
^ Conira M. Luiheium, fol. 21. « Néaniiiuiiis >, dit l'auteur « on s'en prenait aux
prédicants séditieux, aux sectaires, aux pamphlets, aux libelles répandus en tous
lieux du caractère atroce de la guerre. - Sebastien Franck écrivait de son
côté: " Les papistes accusent Luther et sa doctrine d'avoir allumé le feu, et
ensuite excité les auioriiéi à massacrer et éf;ora;ei- les rebelles, leur assurant
que, de cette manière, on gignait le ciel. Lorsque l'incendie fumait encore
de toutes parts, il a voulu l'éteindre, mais il n'était plus temps. Au^si, lorsque
dans maint endroit où la doctrine de Luther était propagée, on entendait
sonner le prêche, les gens se disaient souvent les uns aux autres : - l'oilu
la cloche de l'assassinat qui tinte! . Lmser s'applique à prouver dans des rimes
satiriques que Luther, après avoir, par ses écrits, encouragé les paysans à la
révolte, « veut maintenant retirer sa tète du collet " :
Il prétend mettre tout sur le compte du diable,
Et cependant c'est lui qui a tout fait !
.Si Luther n'avait jamais écrit de livres,
L'.ilieuiagne serait restée toute en pais.
Et n'aurait point connu une telle affliction!
Il a excité le frère contre le frère,
Comme on le découvre maintenant;
Puis, après avoir allumé le feu,
Il a couru se laver les mains avec Pilate !
Il tourne sou manteau s=lon le vent,
Et donne maintenant au diable
Tous ceux qui s'opposent à l'autorité,
Qu'auparavant lui-mîme a tant outragée,
Lors!]u'il appelait les princes bourreaux et valets de bourreaux,
Et l'Empereur un sac à vers!
Aussi ne peut-il le nier.
Il a poussé le peuple à la révolte;
Il a appelé chers enfanis du bon Dieu
Ceux qui exposeraient leurs corps et leurs biens
Pour délivrer l'Allemajne du clergé,
Félicitant d avance tons ceux
Qui baigneraient leurs mains dans le sang des pr/tres.
Abattraient abbayes, églises, monastères,
Et massacreraient moines et clercs!
Tout cela, il l"a publié au grand jour,
Il a fait tout ce qui était en son pouvoir
Pour faii'e réjiandre ses écrits par des pr.Ures hérétiques.
Des moines, de faux prédicateurs et autres singes
Et prétendus ecclésiastes;
En particulier les maîtres d'école, les greffiers.
Les soimeurs, les sacristains, les vieilles commères,
Ont été ses émissaires.
Et vous ont si longtemps sifflé
Qu'enfin vous avez fini par vous lever et prendre voire épée.
Pensant agir très-sagement,
Parce qu'il vous avait appris à juger ainsi !
Alais on vous avait graissé le museau
.\vec une fausse dociriue; tous avez été grossièrement attrapés,
Ce dont vous pouvez vous apercevoir aisément ;
Car voilà Luther qui pousse maintenant les seigneurs
A vous exterminer, pauvres gens que vous ries !
Il ordonne à qui le peut
De vous traquer, de vous égorger,
Et dit que vous avez encouru le ban d'Empire.
Lui qui a jadis criblé l'Empereur d'outrages
1,'AI.LEMAONK AP HKS (,A RKVOI.UTîON SOTIALE. 605
Des a}',ent.s révoluliomiaires piircüiir.iiciH la Francotiic ef le Pala-
liuat, encourageant les paysans à prendre patience jusqu'au prin-
temps suivant; alors l Iricli de Wurtemberg prendrait leur cause
en main, et recommencerait la camp.igne avec ses corps francs.
Des mendiants pris en (lagranl délit avouèrent avoir été soudoyés
pour mettre le tcu aux châteaux, aux palais des noble«, des grands
personnages, ennemis des paysans et amis de la ligue souabe ■■.
[Jne bande d'assassins, surpris dans l'exercice de cet etfrovable
métier, payèrent leurs crimes de leurs vies. On en saisit quatre
cents environ.
\'ous dit maintenant de liien rén''chir
A votre serment, (|uand liii-ini!me a o;il)lii» le s'en;
Lui, déloyal envers son souverain et son f)ien,
Et <|ui à cause de cela a m^'iit^ la mort.
Selon la sentence ipi'il [iroiionce liii-m'mp sur vous,
Tombant ainsi dans son propre pi'ge!
Kiuser recoinmaiide aux princes d'être indul;;eiits pour les paysans séduits;
il les «'onjure de travailler à une véritable léfonne :
Je prie, au nom de la gloire de Dieu,
Tous les princes et seigneurs
De l)ien réfléchir à toutes ces choses.
Et  la manirre de gouverner à Tavenir !
ftuils aient piti'î de vous, qu'ils vous é,(argnent,
.Surtout qu'ils récompensent comme ils le mérilenl
Ceux qui vous ont entraînés oans ce jeu.
Ceux dan» lesquels vous avez eu tro,i de confiance I...
One Dieu donne aux princes victoiie et puissance,
AHn que, pour l'iionneur de sou nom.
Ils prot'-SiMit et d-fendent
L'antique doctrine do l'Église;
Afin (|u'une heureuse rél'orme soit établie,
Oiie l'erreur soil écartée.
Vi foi et les bonnes mœurs relev-^es,
Et que tous ceux <|uisoat accablés,
Ceux dont le droit est opprim" et menacé
Par la ruse, la faveur, les pots-de-vin, la supercherie,
L'escroquerie des avocats.
Retrouvent enfin la s-'curilé
Grilce aux pouvoirs temporels et spirituels;
Afin que chacun ait satisfaclion
De toui les trompeurs et pervers !
Voy. encore : Admirait, des ll'underers, genannt Johann Fundling, Anzatjgung ziccir
falschen Zungen des Lulhfr's, wie er mil der ainen die Bauern verführt, mit der audcrn sin
verdamm hat 1525. — Voy. aussi la relation de Jean Eck sur les fructus ger-
minis Luiheri, dans B\L.vN, p. 501. - Nous récoltons maintenant •, dit Érasme
écrivant à Luther, « les fruits amers de ton ijénie. ru n'avoues point ces émeu-
tiers, mais eux t'avouent fort bien, et l'on sait assez que beaucoup qui se
parent du titre d'évani;élistes ont été les premiers auteurs de l'émeute bar-
bare. Il est vrai que dans ton manifeste sanguinaire contre les paysans tu cher-
ches à repousser cette accusation, mais tu ne pourras jamais nous empêcher de
penser que tes livres, pu'.iliés en lanrjue vulgiire et dirigés contre les moines
et les évéques, livres composés en faveur de Li liberté évangélique et contre la
tyrannie hum line, n'aient donné naissance à la catastrophe. " — Eratmi Hyperas-
ptsies, t. i, p. t032. Eisenhart inséra les vers d'Emser dans sa Chronique. — Voy.
Bense.N, p. 575, et BaojiaNN', Quellen aus Rotenburg an der Tauber, p. 620.
ene l'Allemagne après i,a révolution sociale.
Au commencement de 1.327, quelques hordes insurj^ées se réu-
nirent dans la seigneurie de Roleln, et convinrent d'agir secrè-
tement auprès des paysans des alentours pour la reprise de la
guerre. Le 18 janvier 1527, le margrave Philippe de Bade mande
à révéque Georges de Spire que, dans l'Ortenau et le Brigau
alsaciens, -• s'ourdissent beaucoup d'intrigues et de complots, et
que cinquante hommes se sont réunis en un même lieu, pi)ur
s'entendre, prêter serment, et s'armer contre les autorités; leur
chef était, disait-on, un homme de guerre, nommé Mattenhans,
lequel avait perdu une main à la guerre . Le 1" avril 1527, le
margrave Casimir écrivait confidentiellement à son frère le duc
Albert de Prusse, qu'il avait été averii par plusieurs agents secrets
de la ligue que, malgré la rigueur avec laquelle l'autorité avait
réprimé la révolte l'année précédente, en Suisse, dans le Hegau et
aux environs de Feldlvirch, de nombreux efforîs étaient tcnté> pour
recomposer de nouvelles hordes, et que les paysans donnaient â
entendre qu'ils sauraient bien, cette fois, faire tourner la chance de
leur côté -. « Item, ces mêmes émissaires ont ajouté qu'à Stras-
bourg, on avait aussi tenté de former une Fraternité et de ren-
verser le conseil. - Le 17 octobre 1527, les archevêques Albert de
Mayence, Hermann de Cologne, Richard de Trêves, et l'électeur
palatin Louis, signèrent une convention par laquelle ils s'enga-
geaient à conjurer par tous les moyens possibles le réveil de l'insur-
rection. 11 y était dit : •' Comme la récente émeute est en grande
partie venue d'une fausse manière d'entendre la sainte foi chré-
tienne, et que le peuple n'a pas encore été suffisamment éclairé sur
ce point, il est à craindre que de nouveaux soulèvemenls ne vien-
nent à éclater à i'improviste; auquel cas, les quatre Électeurs s'en-
gagent à s'entr'aider et soutenir mutuellement '. »
Depuis l'apaisement delà révolte, il n'avait été nullement question
d'entreprendre de sérieuses réformes économiques et sociales, ni
de travailler à améliorer le sort des basses classes; au contraire,
les maux dont on gémissait semblaient redoubler; renchérisse-
ment, les abus du monopole, l'exploitation du peuple par les com-
pagnies commerciales n'avaient subi aucune modification, et ce fut
alors que le capital montra puur la première ("ois toute la portée
de sa funeste puissauce -. Tandis que le prix des choses de pre-
mière nécessité montait sans cesse, le salaire des journaliers, des
'OECHSLE, p. 243-244. — Zimmermaw, t. lî, p. 896. — JÖr\G, p. 634, 657. —
Stern, liegesten, dans la Zeilschrif'l fur die Geschichte des Oberrheins, t. XXIII, p. 198-
201. — Voy. aussi notre troisième volume.
- " L'expérience a prouvé », dit M. II. Martensen, évéque protestant de la
Zelande, » qu'opprimés par le capital, une masse d'individus sont tombés
I,'.\I.I, KMACNK ATliKS LA HEVOI.IITION SOCIALE. 607
ouvriers, des cullivjitetirs, élail df moitié moins élevé qu'au siècle
précédent. Comme en IJoliéme après la jyuerre liussile, les con-
ditions d'existence du paysan devenaient de plus en plus mau-
vaises. Pensant anéantir à fout Jamai>^ les droits des seigneurs
fonciers, les in»urj]és avaient détruit, déchiré, brûlé, les chartes,
les contrats, qui autrefois avaient ré{;lé les dîmes, les rede-
vances, les taxes, les corvées. Maintenant les seigneurs, ou rédi-
geaient de nouveaux coulumiers tout entiers à leur avantage, ou
tranchaient arbitrairement des questions que nulle convention n'avait
fixées d'avance. A présent on ne lait que ce qu'on veut -; ce mot
si juste de Mathieu de Normann peut s'appliquer à beaucoup de
territoires de l'Empire an moînenl qui nous occupe'. Ce que les
chroni<iueurs du quinzième siècle nous rapportent de l'essor de
l'agriculture, du bien-être des paysans à leur époque, contraste dou-
loureusement avec le tableau que les auteurs du seizième siècle,
entre autres Sébastien Franck et Sébastien Münster, nous font de
l'existence des cultivateurs de leur temps ^ « Les paysans mènent
une vie grossière et misérable ", écrivent-ils; ' leurs maisons sont
de méchantes huttes de boue et de bois, posées sur la terre nue, et
recouvertes de paille. Ils se nourrissent de pain de seigle, de bouillie
d'avoine, de pois et de lentilles, et ne boivent guère que du petit
lait. Un sarrau de coutil, des souliers ferres, uu chapeau de feutre,
voilà leur accoutrement. Les seigneurs exigent d'eux un assez grand
nombre de journées par an. Ils sont obligés de labourer, de semer,
de moissonner, de serrer le blé dans les greniers, de scier le bois,
de creuser des fossés pour les seigneurs. Poiut de besogne dont le
l)auvre homme ne soit forcé de s'acquitter, et il ne peut refuser,
sachant trop qu'il aurait à s'en repentir. « > Du temps de mon
père, qui était cultivateur -, écrit Menri Müller en Iô.jO, - la nour-
riture des paysans était bien différente de celle qu'ils ont aujour-
d'hui; tous les jours, ils mangeaient delà viande; la table était
chargée de mets; maintenant la nourriture des plus à leur aise est
dans un état qui ne dil'tere pas essentielieuient, de celui des esclaves de la
société antique. Il esl juste, outre cela, de constater que c'est certainement la réforme
qui a donné l'élan à la puissance de développement du capital, en Ca qu'elle a puissam-
ment contribué à renverser les barrières élevées par le moyeu âge. Malheu-
reusement la réforme a eu d'autres torts : dans la sécularisation des biens de
rÉ{^lise catholique, elle n'a jamais eu en \uc la question sociale. Pour un prix
dérisoire, elle a livré ces biens à cert.iius individus avides, et véritablement
les a dilapidés. » Eiik (Gotha, 1879j, t, 111, p. 168-171. — Voy. de ce même Mat,-
TENSEX Sucialismus und Ctiristentiuim (Kiel, 1875), p. 22-25. " L'ère du capitalisme =,
dit Charles jVIarx {Das Capital, 2« éd.. p. 128 et 744), <■ date du seizième
siècle. •
' Voy. Gaede, Die gutshcrrlicli-häuerlichen Besitzverhältnisse, p. 34-35, 40.
' Voy. notre premier vol., p. 262-308.
608 L'ALLEMAGNE APRES LA UKVOIATTION SOCIALE.
pire que ne l'était autrefois celle des journaliers et des servi-
teurs '. "
Les paysans se répandaient eu lamentations sur leur propre
misère. On les avait, disaient-ils, leurrés de vaines promesses pour
les décider à se soulever; à en croire les meneurs, ils ne pouvaient
manquer d'arriver à la fortune, aux honneurs; mais au lieu de ces
belles chimères, la misère était leur triste partage :
On nous avait dit : Vous deviendrez riches,
Vous serez heureux, considérés!
On nous avait promis cent félicités;
C'est ainsi qu'on nous a égarés!
Sommes-nous devenus riches?
Oh! que Dieu ait pilié de nous!
Le peu que nous avions, nous l'avons perdu!
C'est maintenant que nous sonin)es pauvres!
Autrefois, avant d'être soldat,
Avant d'oublier mon seigneur et mon serment,
J'avais A la maison bon gîte et bon renom:
A Kestenberg, je buvais de bon vin au gros tonneau!
Ami, devine ce qui m'est arrivé!
Je suis comme le chien quand il n'a que du gazon à manger!
Ce plaisir m'a coiUé treize florins et un quart,
Et le diable m'a béni le régal!
Un autre chantait :
En ce temps-K^, à l'armée,
Vers le temps de l'été.
Plus d'un village perdit ce qui était A lui.
Voilà ce qu'ont produit la haine et l'envie des paysans
Cachées sous un prétexte de religion!
Ensuite, en peu de temps, les seigneurs ont repris le dessus.
Et a huit journées d'ici, pas plus loin,
Tu sais, là où est Pfcdersheim,
Les seigneurs du Palatinat se sont rassemblés,
Ils ont conduit si bien la guerre,
Que beaucoup des nôtres ont péri.
Tout ce (|u'ils possédaient a été perdu!
Ainsi la révolte n'a produit que malheur!
Comme un chien tourmenté par les puces d'août,
On a voulu se débarrasser des corvées, de la taille,
Et tout a conduit le pauvre homme à sa perte!
Voilà ce qui est arrivé en l'an du Christ quinze cent XXV -.
• Voy. notre premier vol., p. 303. Pour plus de détails sur la triste transforma-
tion de l'état économique et industriel de l'Allemagne au seizième siècle et sur
les causes de ce changement, nous renvoyons le lecteur au cinquième volume
de cet ouvrage.
^ Voy. GEISSEL, p. 315-316.
L'ALLEMAGNE APRÈS LA RÉVOLUTION SOCIALE. 609
Dans leurs chansons, les paysans de Franconie célèbrent avec une
mordante ironie les hauts faits de trois de leurs chefs :
Schnabel, Schar et Schippe!
Olli changé notre bon |)ourpoint doublé en blouse de toile '!
Dans le Wurtemberg;, un prédicant constatait avec horreur, plus
de dix ans après l'insurrection, qu'on maudissait encore 1'-' Évan-
gile " dans le pays : >. Au diable foutes vos sottises luthériennes et
vos nouvelles doctrines! ■■ disait-on. C'est avec cela que vous nous
avez séduits, nous autres gens simples, et que vous avez amené chez
nous la guerre et la désolation *! >
Les paysans, pendant la révolution sociale, avaient inscrit le mot
« Evangile > sur leur étendard, fondant sur le saint livre la légiti-
mité de toutes leurs réclamations; mais depuis l'insurrection ce
m.^me Évangile n'était plus invoqué par les prédicants que pour
S) rvir les intérêts des pouvoirs dirigeants. Luther, Mélanchthon et
autres chefs de la révolution religieuse ne se lassaient pas d'insister
auprès des grands pour qu'ils usassent de la plus extrême rigueur
envers leurs subordonnés; l'homme du peuple, disaient-ils, doit être
accablé de fardeaux, sans cela il devient turbulent.
« L'Écriture -, écrit Luther en 1526, - appelle les gouvernants des
geôliers, des piqueurs, des chasseurs; elle se sert d'une comparaison
familière pour définir leurs devoirs : de même, dit-elle, que les
âniers doivent continuellement tirer le licou de leurs bêtes et les
faire marcher à coups de trique, puisque sans cela elles ne bouge-
raient point, de même l'autorité doit exciter, assommer, égorger,
pendre, brûler, décapiter et rouer le seigneur Omnes, car il faut
qu'elle se fasse craindre, et le peuple doit sentir la bride. Dieu ne
veut pas que l'on se contente d'exposer la loi aux populations; il
veut qu'on les presse, qu'on les force par le poing à la mettre en
pratique, car si l'on se contente de prêcher sans jamais contraindre, on
n'arrivera jamais à rien. » Chargée de faire exécuter la loi, l'autorité
devait = aiguillonner le rude et {;rossier seigneur Omnes, comme le
chasseur traque et force le sanglier ou la bête fauve ^ ". En 1527,
Luther va même jusqu'à conseiller le rétablissement du servage tel
qu'il était pratiqué chez les Juifs. En ce temps-là -, lisons-nous
' Voy. Becbstein, Deutsches Museum, t. II, p. 51. — Voy. JiiuG, p. 315.
* Jean Klopfer, Vennahnung zur Busse und Besserung (1546). « Le peuple •, dit
Klopfer en gémissant, • ref;reUe encore journellement et sans fin l'abomination
papiste de la messe, le sacrifice expiatoire, la messe pour les trépassés; il estime
si peu la prédication et la personne des serviteurs de l'Évangile, il les méprise
et les raille de telle sorte, qu'il ne faudrait pas s'étonner beaucoup si Dieu
défendait aux plantes et aux herbes de pousser. • — Voy. D öllisgei\, Be/ormaiion,
t. H. p. 79-80.
= Sämmlt. Werke, t. XV, p. 276.
H- 39
610 L'ALLEMAGNE APRÈS LA RÉVOLUTION SOCIALE.
dans son sermon sur le premier livre de Moïse, ■ Abimélech prit des
moutons et des bœufs, des serviteurs et des servantes, et il les donna
à Abraham. Tel fut son royal présent : il donna à Abraham des
moutons, des bœufs, des serviteurs et des servantes, comme étant
tous également biens mortaillables, dont il pourrait disposer, et qu'il
pourrait vendre comme il l'entendrait. C'était le meilleur arrange-
ment du monde, car avec un autre système il est impossible de mater
les serviteurs. « " Tu vois clairement par ce passage qu'Abraham et
Abimélech avaient des serfs! Ici tu me diras : C'eût été une grande
bonté et miséricorde à eux de laisser la liberté à leurs gens ! Et comment
donc la charité put-elle souffrir que ces pauvres gens aient été ainsi
traités? A cola je te réponds : Tout comme elle tolère qu'on attache les
coupables à la potence ou qu'on les exécute, et par la raison qu'il faut
maintenirles droits de l'autorité temporelle, si l'on veut que les sujets
soient matés et domptés. Ainsi donc, tu vois la manière dont on en
agissait autrefois. Si Abraham avait suivi son propre mouvement,
peut-être eût-il laissé les choses aller leur train, mais cela n'eût pas
été bien agir, car les gens deviennent trop orgueilleux quand on
leur reconnaît tant de droits, et qu'on les traite comme soi-même ou
comme ses propres enfants. Il est impossible de tenir le peuple
en bride sans la férule de l'autorité temporelle; et s'il y a tant de
plaintes en ce monde sur les serviteurs et domestiques, la faute en
est à l'autorité. Depuis longtemps, il n'y a plus de vraie autorité;
chacun fait uniquement ce qui lui plait. Si l'on craignait un peu plus
le joug et la bride, si chacun savait ne pouvoir bouger sans s'expo-
ser à recevoir un bon coup de poing sur la tête, les choses en iraient
mieux, car sans la sévérité, tout est inutile. Quand ces gens-là se
marient, ils prennent des femmes mal élevées, incultes, grossières,
qu'on ne peut employer à rien! Mais fous ces discours sont oisifs.
L'important, c'est que nous sachions bien que les pieux et saints per-
sonnages du passé étaient plus habiles que nous en matière de gouver-
nement, et cela est vrai, oui, même parmi les païens. Maintenant rien
ne marche plus comme il faut. Vn serviteur se payait autrefois d'un
à huit florins; une servante, d'uü florin à six, et l'un et l'autre faisaient
tout ce que voulait la ménagère. Si l'on veut que le monde dure, si
l'ordre doit être rétabli, il faudra pourtant i:ieu en revenir là'. >
' Sammtl. lUerke, t. \XXIII, p. 389-390. — ■ Les paysans ', écrir-il en 1529, «sont
dans une meilleure situation que les princes. Je suis en colère contre nos pay-
sans; ils veulent se gouverner eux-mêmes, et n'apprécient point du tout le bon-
heur qu'ils ont de rester assis en paix sous la protection de leurs seigneurs.
Anes grossiers et stupides que vous êtes, ne comprendrez- vous jamais? Que
le tonnerre vous écrase ! Vous avez la meilleure part, c'est-à-dire le nécessaire,
l'usage; vous avez le suc de la vigne, et les princes n'en ont que la pulpe. Vous
avez la moelle, ils ont l'os, et néanmoins vous êtes ingrats, vous ne voulez pas
L'ALLEMAGNE APKÈS LA RÉVOLUTION SOCIALE. i>tl
Un jour que le seigneur Henri d'Einsiedel, se sentant la conscience
troublée à propos des corvées dont ses paysans étaient accablés,
réclamait à ce sujet l'avis de Lulhcr, celui-ci lui conseilla de ne pas
imposer de nouvelles servitudes à ses {jens, mais de ne se (aire au-
cun scrupule quant à celles qui avaient été ré{jlées et établies par ses
parents et aïeux. « Il ne serait pas bon , lui écrit-il, de laisser
tomber en désuétude le droit d'imposer des corvées; l'homme du
peuple doit sentir le joug, sans cela il se cabre'. » Mélanchthon
répondait aux perplexiiés de ce même seigneur : >^ Votre Honneur
ne doit l'aire aucun cliangemeni dans les anciennes corvées, et cela
en toule sécurité de conscience. L'exercice de l'autorité, dans les
choses temporelles, est agréable à Dieu; les corvées, bien que variant
selon les lieux, et quehjuefois trop dures, doivent néanmoins être
maintenues, et Votre Honneur peut relire le chapitre xiii de l'Epilre
aux Romains, dans laquelle saint Paul dit expressément que se sou-
mettre à l'autorité temporelle, c'est accomplir la loi de Dieu. > « D'ail-
leurs, les charges et les corvées des pauvres gens sont, à vrai dire,
très-supportables, comparées aux peines de ceux qui s'efforcent de
prier pour vos princes, vous refusez de leur payer la dîme. » (T. XXXVI, p. 175.)
• Si les iioljles, les bourgeois et les paysans avaient un peu les coudées fran-
ches, sois silr que lu ne trctuverais pas beaucoup de conseillers et de bour-
geois vraiment attachés à iKvangile parmi eux. • (XLV, p. IIG.) Luther», dit
Scherr, est le véritalile inventeur de la doctrine de l'obéissance passive. On
comprend avic quel empressement les prin; es allemands devaient applaudir
aux principes de politique servile du luthéranisme. - Deutsche Culiw und Sittenge-
schichte [Z* éd ), Leipzi;;, 1866, p. 620. • Loin d'imiter l'Église catholique ■■ , dit
Be.nsen, p. 275, qui jamais ne justifia, du moins dans sa doctrine, la tyrannie
des princes spirituels ou temporels, et défendit avec force, et presque toujours
victorieusemeni, même contre l'Empereur, les droits de l'homme et ceux du
peuple, les réformateurs évangéliques se sont attiré le reproche mérité d'avoir les
premiers prêché et enseigné aux Germains l'esprit de servilité et le règne de la
force. • Bensen, comme Scherr, est d'ailleurs un adversaire déclaré de l'Église
catholique, et nous trouvons fréquemment dans son ouvrage l'expression de
son amère aversion pour elle.
' Dans Kapp, Xachlene, t. I, p. 281-282. • Spalatin s'accordait en cela complète-
ment avec le vénérable et très-savant maître Martin Luther, notre bien-aimé
père. » • La pressante nécessité du moment réclame impérieusement -, écrivait-
il au chevalier d'Kinsiedel, • le maintien de la paix, de 1 ordre et de la concorde,
car il faut que les musses sentent le frein. Joseph, ce grand serviteur de Dieu,
imposa des lois autrement rudes au royaume d'Egypte. Les Juifs étaient alors
obligés de donner le cinquième de leurs biens, et pourtant nous voyons que Dieu
eut cette loi pour agréaijle. • • Je ne voudrais pas vous voir abolir les corvées
anciennes dont l'usage vous a été légué par vous ancêtres. Le peuple, trop mé-
nagé, deviendrait turbulent. Saint Pierre dit dans son premier chapitre que
nous devons être soumis et obéissants envers toule loi humaine. D'ailleurs, des
charges semblables existent en beaucoup de pays, nations et peuples, et soûl
même bien plus lourdes que chez nous. Far con,«équent, si j'étais à votre place,
je mettrais, au nom de Dieu, mon cœur et ma conscience en paix sur cette ques-
tion, et lorsque je me sentirais quelque tourment à ce sujet, je prendrais en
main, pour me calmer, l'un de nos cbers psaumes de consolation. " — Kapp.
t. I, p. 28Î-286.
39.
«12 L'ALLEMAGNE APRÈS LA RÉVOLUTION SOCIALE.
faire leur devoir dans les armées, les conseils ouïes emplois. Ce que
je dis là est la pure vérité. Chacun convient que la répression des
délits est de nos jours beaucoup trop douce, et voilà pourquoi Dieu
permet que les contributions, corvées et redevances augmentent,
car d'une manière ou d'une autre le peuple doit senlir le joug,
si l'on veut que le monde subsiste. Le livre des Proverbes dit très-
bien au chapitre xxxiii, cité avant nous par maître Georges Spa-
latin : Le fardeau, le bâton, le fourrage sont pour l'âne; le pain,
le travail et le châtiment sont pour le serviteur. » Ces sortes de
charges matérielles et corporelles doivent être imposées. Elles ne
peuvent être partout les mêmes, mais dans leur ensemble elles sont
très- certainement agréables à Dieu. Les lois établies par Joseph
lorsqu'il gouvernait l'Egypte étaient autrement rudes; en France,
en Italie, les paysans sont beaucoup plus chargés que les nôtres,
les corvées y sont plus nombreuses que chez nous, et cependant rien,
dans les lois de ces pays, n'est contraire à l'équité. Des contrées diffé-
rentes ne peuvent avoir mêmes lois. Que Votre Honneur soit donc en
paix, car maintenir les anciennes traditions, c'est très-certainement
agir selon l'Évangile et la vérité. Ces anciennes coutumes plaisent à
Dieu et sont raisonnables, tout en étant diverses, et plus rudes en
un pays qu'en un autre. Que Dieu donne aux autorités le courage
d'en publier de semblables, et même de plus sévères encore '! «
En un traité spécial, publié à la fin de mai 1525, Mélanchthon
expose ses vues sur l'obéissance absolue que les sujets doivent à
leurs maîtres, dans toutes les réclamations et questions temp!>relles.
' Les sujets «, dit-il, < doivent bien se persuader qu'ils servent
réellement Dieu en s'acquittant des charges qu'impose l'autorité,
qu'il s'agisse de voyager, de payer des redevances ou d'autre chose,
et que c'est faire une sainte action que d'obéir comme si l'on enten-
dait Dieu même commander, comme si, par exemple, il ordonnait
â quelqu'un de ressusciter un mort, ou telle autre chose qu'on
voudra. • " Les sujets doivent tenir l'autorité pour sage et équi-
table, et lui être reconnaissants. • -' On entend souvent les gens se
plaindre; à les entendre, on leur a fait tort, à eux ou à quelqu'un
des leurs; mais ces personnes ne songent point qu'oliéir à l'autorité,
c'est obéir à Dieu même, et que, d'ailleurs, jamais il n'y eut sur la
terre un pouvoir qui ait été exempt de quelque blâme. Si tu me
dis : Comment puis-je raisonner ainsi, quand je me sens traité avec
dureté et injustice? je te répondrai : Si même un prince en agit
mal envers toi, s'il t'écorche et te tond contrairement à toute
équité, tu n'en serais pas moins criminel de te révolter. " ^ Celui
» Corp. Reform., t. VII, p. 432-133-
LALI-EMAGNE APRKS LA REVOLUTION SOCIALE. 61!
qui s'oppose à raiitorilé s'oppose à l'Evangile, car l'Évangile nous
ordonne de tolérer et de supporter l'injustice, non-seulement lorsque
l'autorité la commet, mais de la part de tous nos frères, (^uant au
droit d'élire les pasteurs, tant réclamé par les paysans dans leurs
articles, il serait certainement bon que les églises fussent partout
investies du droit de choisir leurs curés, mais à la condition que le
prince assiste à l'élection, car il convient que l'autorité exerce sa
surveillance en ces madères, afin que rien de séditieux ne soit prêché
ni encouragé. Dans beaucoup de territoires allemands, les paysans
ont fait choix de prédicanls qui n'ont ensuite songé qu'à les flat-
ter, et qui ont enseigné au peuple qu'on n'est pas obligé de payer
la dime, la taille, sans parler de beaucoup d'autres funestes doc-
trines, mères de lamentables insurrections. « Tout le monde doit
payer l'impùt établi par le pouvoir temporel, dans la mesure où
ce pouvoir l'a fixé, qu'il s'agisse du dixième ou du huitième des
biens. Les Romains s'étant emparés de trésors autrefois attribués
par Dieu même au temple de Jérusalem et aux lévites, les Juifs dis-
putèrent beaucoup entre eux pour savoir s'ils avaient le droit de
payer un impôt que Dieu n'avait pas autorisé; mais bientôt ils se virent
forcés de donner ce que l'autorité réclamait, puisqu'ils n'étaient plus
maîtres de leurs biens. - •< On est obligé de payer les dimes; l'auto-
rité ayant réglé la question des intérêts des sujets, on lui doit obéis-
sance, et celui qui se révolte contre ce qu'elle a décidé prétend la
dépouiller de son droit légitime, et se conduit en rebelle. En Egypte,
les sujets donnaient le cinquième de leurs biens; tous étaient serfs,
et pourtant Joseph, leur législateur, avait très-certainement été in-
spiré par le Saint-Esprit : néanmoins il jugea nécessaire de charger
ainsi le peuple, et tous se tinrent pour obligés de donner ce qu'il
réclamait. - D'après Mélanchthon, le sujet n'a jamais à se préoc-
cuper de l'emploi que l'autorité fait de ses revenus : " Qu'est-ce
que cela te regarde? Il ne t'en faut pas moins donner ta part
dès que l'autorité a commandé, et te soumettre jusqu'au moment
où elle en décidera autrement. - C'était de la part des sujets une
insolence inouïe que de se révolter contre le servage. Une telle
opposition faisait injure à l'Evangile, et n'avait aucune excuse,
'< car en vérité il serait fort nécessaire qu'un peuple aussi grossier,
aussi inculte que les Allemands, ait moins de liberté encore qu'il
n'en a! Joseph traita rudement l'Egypte, sachant bien qu'il ne faut
pas laisser !a bride trop lâche au peuple. Si les sujets se plaignent
que certaines parties du communal aient été confisquées, s'ils
gémissent de la multiplicité des corvées et des dimes, pourquoi ne
Tendraient-ils pas les tribunaux juges de leurs griefs? » - Souvent
l'autorité a dos motifs qu'ils n'aperçoivent pas pour mettre la main
614 L'ALLEMAGNE APRÈS LA RÉVOLUTION SOCIALt.
sur un bien communal; c'est peut-être pour l'entourer de haies, ou
pour quelque autre raison; mais quand bien même elle agirait arbi-
trairement, il serait criminel à un sujet de se révolter. Mélanchthon
se borne à réclamer, à cause des veuves et des orphelins, l'abolition
. de l'impôt de la meilleure tète . Mais lorsque les paysans, avec
tant de raison, insistaient pour que, dans la punition des délits, on
eût égard aux anciens règlements, à la tradition, et pour que les
châtiments ne fussent pas abandonnés à l'arbitraire des seigneurs,
Mélanchthon déclarait ne les point approuver : Le pouvoir »,
disait-il, a le droit d'imposer et d'instituer tous les châtiments qu'il
veut, selon qu'il les trouve appropriés aux besoins du pays, car Dieu
lui a ordonné d'écarter le mal et de le punir dès qu'il se produit, et les
paysans auraient tort de vouloir dicter des lois au pouvoir à ce sujet.
Le peuple allemand est si turbulent, si féroce, qu'il est bon et juste
de le traiter plus rudement que tout autre. Salomon a dit, au trei-
zième chapitre des Proverbes : Au cheval, l'étrivière; à l'âne, le licou;
au dos de l'insensé, la verge. Et l'Ecclésiasîe, au chéipitre xxiii : A l'âne,
le fourrage, le fouet et le fardeau; au serviteur, la nourriture, le
châtiment et le travail. Dieu appelle le pouvoir temporel un glaive;
or un glaive est fait pour trancher; que le châtiment soit dans les
biens, le corps ou la vie, selon que le crime le réclame, peu importe. >•
Aprèsavoirainsijustifié l'omnipotence du pouvoir, Mélanchthon ex-
horte les princes non-seulement à confisquer les biens ecclésiastiques,
mais encore à s'immiscer dans les questions du gouvernement intérieur
de l'Église. Il était ; urgent i, selon lui, qu'ils prissent la haute main
dans le gouvernement des couvents et abbayes, afin que l'abomina-
tion delà messe pût être abolie. < C'était à cause d'abus de cette na-
ture que Dieu châtiait les terres et les gens, comme le prouvait bien
un texte de saint Paul; car s'il y avait eu tant d'infirmes parmi les Co-
rinthiens, c'était pour ce motif! En outre, les princes devaient concé-
der le mariage aux personnes ecclésiastiques, saint Paul ayant déclaré
" que ceux qui interdisent le mariage sont inspirés par les démons ".
Si les princes traitaient leurs sujets avec indulgence et se mon-
traient soigneux d'écarter de pareils ' abus ", il était à espérer
« qu'une bonne parole trouverait un bon terrain ". Mais dans le cas
où quelques-uns ne prendraient pas en bonne part les ' droites
intentions de leurs gouvernants et se montreraient récalcitrants
et rebelles, les princes devraient alors mettre tout en œuvre pour
châtier de si grands coupables et les traiter comme on traite les
meurtriers, «^ se persuadant bien qu'en agissant ainsi ils servaient
Dieu, qui ne les avait établis que pour réprimer les vices* ".
1 Ein sehri/t Philippi Mélanchthon tcider die Artickel der Pawerseha/l, 1525, dans Corp.
L'ALLEMAGNE APRÈS LA KÉVOLUXrON SOCIALE. 615
Mais celui des nouveaux docteurs qui alla le plus loin dans la défi-
nition de l'omnipotence des princes et dans la doctrine de l'obéis-
sance passive, même dans les questions de foi et de conscience,
c'est certainement Martin Hucer. Toute autorité, quelle qu'elle fût,
avait, selon lui, droit à la soumission la plus entière du sujet, car
là où était le pouvoir, là était le droit. Dans le cas mi^me ou l'auto-
rité édictait des lois contraires aux commandements de Dieu, le sujet
était obligé de se soumettre, car alors il devait croire que Dieu lui-
même prenait la verge pour le châtier. L'autorité, en possession
du pouvoir suprême, avait juridiction sur toutes les choses de la foi.
Elle avait le devoir de s'enquérir des mœurs, et comme la religion
seule conduit à une bonne vie, elle avait le devoir d'exercer sa sur-
veillance sur les choses de la conscience. Donc elle devait détruire
^ par le feu et le fer " tous ceux qui faisaient profession d'hérésie,
parce qu'une foi erronée est la mère de tous les vices. Les sectaires
méritaient de bien plus rigoureux châtiments que les voleurs, les
brigands, les meurtriers. Les femmes, les enfants innocents, les bes-
tiaux appartenant aux hérétiques devaient être étranglés'.
La nouvelle doctrine sur l'omnipotence des gouvernants, les
exhortations sur l'urgente nécessité de confisquer tous les biens
d'Église, rencontraient naturellement la sympathie d'un grand
nombre de princes et de seigneurs, et dans beaucoup de territoires
allemands, on voyait arriver ce temps dont Sébastien Frank, bien
qu'adversaire de l'antique Église, devait dire dans la suite : " Au-
trefois, sous le papisme, on était bien plus libre que de nos jours de
fustiger les vices, même ceux des princes et des seigneurs; mainte-
nant tous veulent être flattés, ou bien viennent les émeutes; le
monde d'aujourd'hui est, en vérité, devenu bien susceptible! Oue
Dieu ait pitié de nous! '• • Chacun s'évertue à flatter le pouvoir;
il faut adorer le dieu du pays. Un prince meurt-il, et un autre juge
en matière de foi vient-il à lui succéder? Aussitôt la parole de Dieu
subit des changements, et le peuple court, sans motif, d'une doc-
trine à une autre; ceux qui prétendent être ses modèles et ses
évêques font comme lui ^ '■
Les princes, les seigneurs, les magistrats des villes se présentaient
pour recueillir l'héritage de la révolution.
Riform., t. XX, p. 641-662. Sur rorif,ine de cet écrit, voy. le Corp. Reform., t I.
p. 742, 747. — llOUTFELDER, Bauernkrieg, p. 184-189.
' Voy. HaGen, Literarische l'arhält/iisse, t. III, p. 154-157.
* Cosmographie, 37''. — Voy. Cornelius, i/ÛMS^er/w/ier, Aufruhr, t. II, p. 44-47.
FIN DL' TOME SKCOM).
Aa
V)^-
c
TABLE DES PERSONNAGES CITÉS
AbSberg (H. T. i>'), 2i4, 246, 269.
Adf.laiue (saint), 559.
Adrien VI (papej, 141, ICi, 265, 282-289,
291, 292, 297, 323, 328, 329, 332.
Agricola, 2, 4.
Agripp.\ de Ni;tte.sueim, 39, 100.
Alantsee (éditeur), 316.
Alcjergati (V.), 283.
Albert de Br.vndebourg (grand maître}.
56, 139.
Albert de Brandebourg arcbevèque ,
60, 61, 66, 77, 94, 97, 100, 106, 117,
142, 219, 221, 223, 251, 252, .336, 3il,
436, 455, 604.
AlÉandre (légat). 14, 150-152, 154, 157,
160,162, 164-166,176,177,219,248,412.
Algesueimer (I.), 583.
Alveld (Ihéol. , 102.
Ambroise (saint), 184.
Amerbach (B.), 8, 180, 189, 512.
Ammoml's (A.), 6.
Amsdorf, 223.
Anshelm ^chron.), 119, 409, 447, 486,
5.36, 593.
Antoine (Dominicain). 368.
Antoine (duc de Lorraine), 568.
Apulée, 29.
Aquin (saint Thomas d"), 4.
Aristote, 68, 311.
Armersdouff (p. d';, 166.
AUER, 243.
AuFSESs(H. G. et VV. H. de), 245.
Augustin (prévôt), 508.
Augustin (saint), 75, 77, 87, I6i, 181,
184, 195, 317, 390.
AUSONE, 150.
Bamberger (S.), abbé, 431.
Beatus Rhénan us, 10.
Bebel (II.), 31, 32.
Beckmann, 85.
Behaim (B.;, 405.
Behaim (L.j, 55.
Bi-UAIM (.S.„ 405.
Bekam, 61.
Bennon (saint), 292.
Berlepscu (S. DEi, 550, 552.
Berlichingen (G. de), 525, 530, 537, 539,
546, 571, .572^
Bermeter (Dans), 460.
Bernard évéque de Trente), 290, 462.
Bernard (prévôt de Feldkirch), 223.
Bernardin, 50.
Berthold (archevêque de .Mayence), 66,
163.
Biel ((;.), 2.
BiLiKANUs (Th. , 189. 467.
Blarer (Th.), 180, 181.
BucACE, 26.
BoDMANN (C.!, 65, 134, 162, 181, 211, 218,
219, 221, 250, 259, 302, 323, 326, 331,
339, 342, 350, 357, 360.
BOÈCE, 195.
BÖHM (H.), 422-424.
BONET DE LaTES, 50.
BoMFACE YIII pape), 329.
Bonnivet (amiral), 330.
Bora (Cath. de), 294, 565, 566.
Bourbon (duc Charles de), 329, 330.
Branda (légat), 420.
Brauneggen (M. G. de), 432.
Brant (S.), 4, 15, 23, 51, 73, 434.
Breitenstein (S. de), abbé, 498.
Brezonva (L. de\ 419.
Brindisir (S.;, 508.
Brück (chancelier), 161, 397, 580.
Brunfeld (0.), 264.
BuCER (M.), 84, 166, 24.5, 246, 264, 379,
449, 516, 613.
Bullinger iH.;, 45. 188, 494.
Buren ^comte dej, 330.
Blsciie (H. de), 25, 26, 33, 53, 177.
Buschler H.i, 453.
Butzbach (D.i, 164.
Butzbach (I.), 45.
Cvjetan (cardinal;, 82-85, 93.
Camerarius, 14, 312, 513, 518, 565.
618
TABLE DES PERSONNAGES CITES.
CvMr-EGGio (L.), légat, 347, 348, 335, 358.
( .vMSius (Pierre), 13, Î8.
CvPiTO (W.), 14, 26, 90, 120, 121, 220-
223, 379, 449, 496, 509, 510, 600,
Caraccioli (légal), IjO, 152.
Carben (Victor de), 42, 43.
Carlstadt (A.), 84-87, 221-229, 231, 396-
399, 400, 40!, 404, 406, 463, 515, 516,
528, 549, 579, 580.
(Aiipi (Albert, prince de), 15, 26, 34,
58, 64, 56, 324.
Carvajal (B. de), cardinal, 323.
C^esarils (humaniste), 58.
Casimir "(margrave de Brandebourg),
139, 245, 278, 436, 506, 575-580, 594-
596, 604.
t:AVALi.i (M.), ambassadeur, 324.
Celtes (C), 6, 25.
Charles-Qui\t (empereur). 41-44. 47,
48, 50, 95, 107, 117, 121-124, 128, 131,
133, 134, 137-148, 152, 1.53. 157-160,
164-166, 169-172, 175, 176, 178, 197,
218, 221, 241, 242, 246, 248-250, 253,
263, 272, 275, 277, 280, 281, 2S3, 287,
288. 290, 291, 302-304, 310, 323-340,
3J2-344, 346, 350, 354, 355, 308, 487.
488, 495, 599, 609.
Chieregato (F.), légat, 277, 284, 285.
ChiÈvres (seigneur de), 154.
CuRYSosTOME (saintj, 34, 181, 195.
Christophe (évêqiie d'Augsbourg), 504.
CicÉRON, 19, 32, 68, 312.
Cleen (Dietrich de), 535, 596.
Clément IV (pape), 123.
Clément VIII (p;ipe), 322, 334, 342, 347-
349, 353, 355, 356, 484, 487.
Cochl^us (J.), 23, 32, 88, 92, 100, 101,
151, 173, 211, 299, 300, 301, 304, 317,
438, 445, 574. 592.
Coelde (D), 72.
COLET (,].), 8, 9, 10, 12, 39,
Collin(C.1, 45, 46.
CONRAD IV (roi), 123.
Conrad (évêque de VVurzbourg), 569.
Constantin (empereur, 63.
CoNTARiNi (légat), 143, 169, 263, 327,
342.
Cotta (dame), 68, 69.
Cotta (II.), 68.
Cranach (L), 120, 121, 155, 174, 207,
451
Crel (.1.), 170.
Cronberg (chevalier Ilarmuth de), 232,
246, 248, 249. 255
Crotus Ri'BiANus (H. Jäger), 24, 28, 32,
45, .53-55, 57, .58, 69, 91, 98, 99, 101,
t05, 118, 119, 167, )68, 180.
Cl'NÉGONDE DE BaVIÈRE, 42.
CrsA (Nicolas de), 2.
Dantiscüs (J.), 186, 187.
Denk (>I.), 407.
Deischlin (J.), 520, 580.
Dietenberger (.1), 305, 309.
Dietrich (G.), 317.
Dietrichstein (S. de), 589.
Dirnstein (C. Lerch de), 252.
DoNHEiM (Piirre), 538.
Draconites (humaniste), 312.
Drandorf (,I.), 421.
Dürer (Albert), 10, 61, 91, 92, 175, 450,
451, .522.
Eberlin de GuNznoiRG, 123, 191, 192,
194, 195, 197, 457, 484, 558.
Eberstein (Mangold de), 245.
Ebner (H.), 91, 335, 370, 382, 385.
Ebner (Catherine), 384, 385.
Ebrach (.1. iVilling d'), 244, 250.
ECK (J.), 18, 83, 84-87, 91, 92, 114, 116,
151, 356, 603.
Eck (L, d'), 250-252, 259, 269, 279, 280.
341, 488, 505. 507,576, 587
Egramus (S), 85.
EiNSIEDEL [II. de), 609.
Ellenbog (II.), 298, 327.
ELLIGER (J.), 558.
Ellingen (commancieur), 596.
Emser fll.i, 68, 78, 109-111, 211, 212.
225, 287, 298, 300, 302-308, 310, 311,
412. 602, 603.
Endres (C.;, 274. 280, 324-326, .330, 335,
336, 345, 351, 408, 456, 466.
EoBAN Hessus, 22, 24-28, 53, 57, 90, 97,
166, 167, 177, 178, 267, 268, 312, 313,
557. 559.
Erasme de Rotterdam, 5-22, 25, 26, 34,
56-59, 62, 64, 84, 8991, 94, 95, 124.
152, 154, 167, 179, 247, 264-266, 269,
312, 316, .399, 401, 439, 441.
Ernest de Bavière (administrateur de
Passau), 588.
Ernest (margrave de Bade), 569.
Esope, 28.
Este (cardinal d'). 138.
Etschliüu (K.), 580.
EiRir.us CORDUS, 90, 91, 312.
Faber i.I.), 124.
Fabri (F.), 5.
Faust (chroniqueur), 540.
Feilitzsch (Ph. de), 223, 289.
Ferdinand (archiduc), 95, 99. 117, 143,
260, 261, 269, 273, 278, 279, 288, 326,
TAi'.i r DIS i'Ki;s()N.N \(;k.s cités.
fiia
329, 331, 331. 3^9-311, 3{3, M:,, 316,
349, 351, .351-366, .36S. 458, 184. 490,
491, 496 497, 501, 505, 507, 509.510,
584, 585, 588, 589, 597.
KlCHAI\D, 540.
pRvNrois (saint). 217.
Franck (S.i, 410, 526, 602, 605, 613
François I" (roi de hrancei, 94, 138,
139' 178, 256, 323 .3.32, 3i0. 341. 495,
497. 599.
Frépéric III (empereur , 195.
FnÉDKuic (électeur de Saxe), 75, 79, 83.
84, 117, 118, 121, 139, 152-154, 158,
160, 161, 170, 174. 176, 206, 207,214,
222, 224, 227, 228, 230, 233, 235, 239,
259, 263, 281, 282, 285. 286, 288, 289,
292, 295, 336, 338, 341, 346, 355, 392,
394. 399, 401, 542. 554, 561-
FntiiÉiuc (margrave de Brandebourg/,
241.
Frédéric (comte palatin , 244, 255, 272,
273, 880, 340.
Freiberg (F. de), 526.
Frideram (président de conseil), 558.
Fuies (I,. rbron. , 434, 518, 520, 546, 547,
573, 574, 577, 591.
FRonEN-l-AcuNER (imprimeur), 316.
Frlndsberg (U. DE), 326, 581.
FiCHSSTEiX (J. Fuchs de), 255, 281, 497,
536.
FuggeR (les), 66, 103.
Flxdling (J.), 603
Flrer (Chr.), 381, 383.
FuRSTENBERG (les comtcs DE), 249, 262,
330.
Fl'RSTENBErg (député), 146-149, 156, 157,
169. 272, 273.
Gerhard (l'irichi, 432.
Geismayr (Micheli, 470, 474, 476, 509,
584, 590.
Gemmingen (Cr. et U. de). 66, 163.
Georges (duc de Saxe), 73-77, 85, 86,
109, 162, 175, 2(10, 211, 212, 227. 228.
234, 259, 261, 280, 281, 291, 292, 338.
362-365, 411, 412, 487, 498, 557, 560-
563.
Geouges (comte palatin et évéquei, 50,
536, 569, 594, 598, 604.
Georges (évéque de Liège), 254, 529.
Geroldseck des comtes de), 536.
Gerstenwell (VVolf), 458.
Gerwick (abbé), 505.
Gelder (M.). 376,381.
Geyer (Florian de), 526, 528, 529. 535,
547, 572.
Geyling [.]. ,4d7.
Geyss, 500, 501.
Giech (g. de), 245.
(;lapio\, 160, 161, 166, 197.
(;lareanls, 316.
(;LArBLRC (.1. de). 253. 275.
Glockevdon iminiaturisle , 61.
GoKDE (11), 27, 35.
Gratiis (O.i, 58.
Grégoiiie (saint , 195.
Grégoire de Nazianze, 2.
Grégoire VU, 2.
Gricils (S.), maître es arts, 62
Grimam (^cardinali, 50.
Grimbach (.\. de), 295.
Grlmbach {(',. dei, 572.
GRrNBECK(.J.). 200.
GRI NDHERR (F.), 377,
Grindherr (L.), 361.
Grunewald (M.), 61.
Glillalme (duc de Bavière). 251, 259.
279, 295, 341, 355, 356, 358, 361, 488.
576.
Glillaime (évéque de Strasbourgi, 541,
544, 581, 585-587, 589, 598.
H
Haarer (chroniqueurj, 529.
Halberg, Gilo, 574.
Hall (.lean de , 536.
Hamerschmidt (Uans,(, 540, 541.
Hanac-Lichtenberg (comte L. de), 511,
512.
Hannart (J.), ambassadeur, 331. 335.
33G, 339-343.
Hartlieb (Hans), 459.
Haslang (U. de,, 243.
Hassenstein (B.), 413, 418.
Hacska (m.), 399.
Hausmann (surintendant), 116, 566
Hegius (A ), 2.
Heinz (chevalier). 199.
Helfenstein ( Loui.s Helfreich, comtt
DE , 527-529, 532, 564, 568.
Helfenstein (comtesse d';, 528. 529,
568.
Helferich, 199.
Helt g ), 222.
Hemmerlin (Félix^, 455.
Henneberg (comte G. de), 483. 576, 578.
596.
Henri IV (empereur), 95, 123.
Henri VIII d'Angleterre, 138-140, 165.
231, 2.32, 281, 291, 323, 326-330. 332.
341, 342, 353, 398.
Henri (duc de Brunswick), 560.
Heni'.i (duc de Mecklembourg , 212.
Henri (comte de Nassau), 154.
Herberstein (S. de). 207.
Herebold (H.), 36.
620
TABLE DES PEI
Hereboud (von der Marlhen), 28, 31
35, 36, 52.
Hermann (archevêque de Colo.ïne), 604.
Herolt (prédicant , 483. 4S7, 593.
Herrer (F.), 315.
llERTLIN (L.), 576.
HiPLER (W.), 524-526, 536. 538.
HiRSCH.VUER (O.), 243.
HÖCHSTTETTER (Ics), 436. 447.
HOCHSTRATEN, 39, 42, 43, 45, 46, 49, 50,
58, 59, 96.
Hofmann (la), 528, 529, 534, 535.
HOHENEM.S (M. .S. de), 581.
KOHENLOHE (IcS COIlUeS DE). 524. 525.
527, 530, 597.
HoBENSTEiN (cointe Emcst de), 555.
Holbein (Hansi, 10, 450.
HOLZHAUSEN 'H. DE \ 148, 253, 260. 261,
27.-^-275, 277, 290, 335, 336, 338, 345.
HoLzcHu«ER (Jér. , 381.
HOLZSCHLHEP. (J. , 91.
HoLzwAKT (chroniqueurj, 576.
Motz (.J.-, 596.
Hlbmaier Balthasar), 410. 411, 493,
494.
HuGüEs(r,eorges d'Unterasried), 369, 427.
HcGO févéque de Constance), 369.
HüRLEMAGEN, 498.
Hlss (J), 85. 87, 88, 104, 111, 112, 155.
157. 302, 412,413, 415. 420.
Hütten (F. df). 53, 54, 58, 252.
Hltten (Hans deI, 55.
Hltten (L. de), 62.
Hütten (ül. de), 7, 23, 26, 28, 38, 45,
55-57, 61-64, 67, 93, 95. 97-100, 102-
105, 108, 117, 118, 121-123, 125-128.
133, 151, 163, 165. 169, 171, )74, 177,
198, 199, 219, 233, 243, 245-247, 249,
264-269, 337, 386, 417.
ICKELSHAMER (V.), 400.
IMHOF (A.), 383.
Isocr.ATE, 35.
J
Jacques (saint', 167, 181, 210, 229.
Jean XIV (pape), 123.
Jean (duc de Clèves;, 330.
Jean (duc de Saxe), i54, 221, 392.
Jean (électeur de Saxe, 227, 398, 561,
563, 566.
Jean (abbé de Saint-Biaise^. 454.
Jean (abbé de Saint-Georges), 594.
Jean de Hall, 537.
Jean ab Indagine, 219.
Jérôme (saint), 181, 184, 195.
Jérôme (abbé d'Elchingen , 504.
CITES.
largrave de Brandebourg),
"5, 183. 234, 261, 288, 340.
ce d'Anhalt), 228.
22,28, 58,90, 91, 153, 168,
8, 491,494.
•i3.
55, 65, 66.
ii; VÉNAL, 23.
Kaisersberg (fi. de), 2, 3, 4, 15, 73.
Karsthans (paysan), 198, 213.
Kettenbach (H.), 197, 202, 249, 254.
Kirchmair iG.\ 271, 607.
Klopfer (J.), 507.
Knebel (chroniqueur , 505.
Knobloch (L.), 528.
Knopf de Luibas, 465, 498, 505, 506.
Knöringer, 599.
KÖBEL (J.), 117, 118.
KOLLEBECK [B.). 243.
KÖNIGSTEIN (W.), 539, 542, 583.
KOPPE (L.), 293.
KORSANG (M ), 427.
Kraft (U.), 72.
Klmpf (E.), 549, 571, 579.
Lachmann (prédicant), 531.
Lamparteu (g.), 170.
Lang (J.), 317.
Lang (M.), cardinal, 586.
Lange (J.), 69, 77, 81, 85, 107, 108, 168,
215-217, 311, 558.
Langennantel (j.), 325.
Latomls (J.), 34, ICI.
Lal-ce(G.), 317.
Laue (J.), 458, 550.
Laufen (G. de), 249.
Leib (K.), 188, 431.
Leibnitz, 4.
Léon X (pape), 6, 9, 32, 50, 56, 58, 63,
65, 66, 73, 77, 78, 80, 9C, 115, 117,
121, 141, 150, 152, 154, 155, 157-160,
162, 263, 325-327.
LÉONARD (archevêque), 245.
Lesch (M.), 246.
Lettsch (A.), 490, 493.
LiKBENSTEiN (J.), Archevéquc, 66.
LiNCK (V.), 82, 101, 234, 262, 298, 382,
5S6.
LiSTRius (G.), 57.
LORCH (J. IL de\ 249.
LORENZ (H.), 460.
LoTZER (S.), 498.
Louis (électeur palatin), 249, 254, 255,
340, 366, 536, 569, 597, 604.
T/
SO?» NAGES CITES.
621
Louis (duc de P.- >^t7,
361, 585.
Louis iduc de I)
LÖWENSTEIN' (C Louis).
527.
LUCIEV, 10.
LUDEI\ (P.''
LuPFEN (r i92.
LuTHEii (iians), 67, o., , 72.
LuTHKR (Martin), l."?. 14, 20, 66-71, 73-
93. 96-116, 118-122, 124, 126, 130-133,
150, 15(, 153-161. 163-180, 182-189,
192, 195, 197. 199, 202-216, 219, 220,
223, 226, 228-233, 236-2 iO, 246, 248,
256, 257, 259, 262. 263, 265, 267, 280-
282, 285-289, 291-.308, 310, 311, 317,
334, 338, 352, 353, 356, 357, 3G6, 370-
372, 379, 382, 386-391 , 396-399, 400-
408, 410-413, 433, 438. 4.39. 441, 443.
446, 462, 4SI, 482, 484-486, 491, 512-
517, 518, 541, 550, 555, 5(3-566, 567,
568, 578, 580, 587, 592, 600-603, 607,
609.
Mansfeld (comte Alijert de), 518, 559.
Mansfeld (comte Ernest de), 559, 560.
Mantel (prédicant), 460.
Manli L DE Portugal (don), 138.
Marcile FiciN', 28.
MARGOLITa (J.), 38.
Marguerite (gouvernante des Pays-Bas),
529.
Mark (Robert DE lvi, duc de Bouillon,
178, .324.
Marschalk (N.), 27.
Massmunster (A. de\ 422.
Materne Pistoris, 27.
Matiiesius, 68, 75, 185.
Matthenhans. 604.
Maximilien I" (empereur). 42, 43, 49,
50, 80, 100, 142, 14i-146, 200,271, 327,
347, 430, 528.
Mechler (prédicant), 233, 567.
Mehemet (l)ey), 271.
Meisterlin (S.), 417, 452.
MÉlanchthon (Pli.), 14,53, 74, 87, 89, 93,
95-97, 99, 168, 178-180, 182, 186, 187,
189, 195, 220-222. 224, 230, 246, 258,
265, 267. 296, 297, 311, 313, 316, 370,
371, 380, 440. 513, 518, 531, 565, 609,
610, 612.
Melander (D), 583.
Menge (A.), 460, 556.
Menius (J ), 58.
Menzingen (E. de), 520, 528, 579, 580.
Mercurius (chancelier), 170.
Metzler (G.), 460, 524-526, 531-533, 537,
539, 542, 546, 572,
Meyeu (curé), îi, 216, 217.
Mii,ri/.(f;. DE), 82, H5.
MiNCKWiTZ (N. de). 252, 337.
Moïse, 29, .38, 41, .368.
Montaigne, 21.
Montmorency, 330.
Morus ( Ihonias), 7. 205.
Ml FFEL (lacquest, 381.
Muiir.BACii (abijé de), 598.
MuLLER (Gaspard), chancelier, 566.
MuLLER (H. de Bulgenijach), 490, 491,
497, 500.
Mlller (Flux), 531, 534.
MuLLER (Henri), 605.
MuLLNER (chroniqueur!, 385.
Munster (S.), chroniqueur, 605.
"Ml NZER(Thom:is), 172, 233, 389-397, 400.
406, 407, 458, 481, 494, 515, 510, 549-
5;)3, 555, 559-504.
Mu RM EL LI US (.1- :, 45.
MuRNER (Thomas), 128, 130-134, 200, 412,
437, 438.
Musa (A.), 185.
MuTiAN (C), 22, 24, 25, 27-32, 3Î-36, 51-
59. 89, 90. 179, 542,552, 555.
Myconius, 183.
IV
Nathin (Matthieu), 71.
NeseN (G.). 22.
Neuenar (A.), 59.
Nogaret (W.), 329.
NONNENMACHER (M.), 528, 558.
NORMWN (M. de), 605.
NossEN humaniste), 312.
Nutzel (Gaspard), conseiller, 355, 370,
378, 382, 385.
Nutzel (Clara), 379.
O
OEcolampade, 87, .399. 463.
OElhafen (S.), conseiller, 170.
o RI gène, 195.
OsiANDER (A.), 370. 379.
Otton m (empereur), 123.
Ovide, 53, -15
Pace (R.), ambassadeur, 138.
Paul (saint), 7, 15, 16, 75, 8î, 87, 91.
loi, 104, 112, 115, 143, 164, 167, 172,
18., 194, 199, 203, 208, 2î0, 211, 222,
233, 308, 375, 495, 515, 532, 6(i9, 612.
Pellicanus (C), 14.
Penz (G.), 405
Petrejus {['. Eberbach), 24, 28, 30, 31,51.
Peutinger (C), 143, 170, 172.
■622
TABLE DES PERSONNAGES CITÉS,
Pfefferkorn (.1.), 40-44, 47, 49, 59, Ort.
63, 64.
Pfeiffer (11), 395, 549, 550, 563.
Pfinzing iS.), 383.
Philippe le Bel (archiduc), 9.
Philippe le Bel (roi de France , 329.
Philippe (land{;rave de Hesse), 247, 249,
250, 268, 337, 366, 4b7, 5Ü0-563, 569,
576.
Philippe de B.vde, 430, 536, 604.
Philippe (eiecleiir palatin), 281.
Philomlsls (J. Locher), 23, 26, 53.
Pic DE L.V >llR.4\D0LE, 4, 37, 39.
Pierre (saint), 13, 15, 112, 115, 167, 185,
203 208,210, 211, 238, 289, 407.
Pierre Martyr, 219, 515, 609.
Pirkheimer ((.harité), abbesse, 371, 373-
376, 378-382, 384, 386.
PiRKHEiMER (Clara), 378.
PiRKHEiMER (VViübald), 87, 92, 174, 177,
188, 312, 316, 370, 371, 38Ü, 381, 400,
450.
PiSTORis (M.), 27, 215.
PL.01TZ (H. DE la), 280. 282, 288, 291,
292.
Plater vThomas), 595.
'Platon, 7, 13, 307, 313.
Plai;te,68, 69.
Plème (Gérard de), 342.
POLITIEN, 28.
Pollich (J.), 86.
POLLlCfl (M.), 75.
POMERANLS prédicant), 600.
POMPO.NATIUS (p.), 91.
PouPET DE LA Chaux, 326.
PriÉrias [S.), 101, 102, 107.
l'YTHACORE, 7, 38.
R
Ratzenberger, 70.
Reiffenstein (E. de), 246.
Reigiier (E.), 243.
Reinhard (M.), 399.
REiscu(Reusch (;.), 2, 43.
Reuchlin (j.), 19, 36-53, 56-62, 69, 88, 89,
96, 97.
Relter (Ilans), 572.
Richard de Greiffenclap (archevêque),
172, 247-250. 252, 253, 341, 495, 501,
509, 542, 544, bb9, 582. 004.
RiEGGERT (Gaspard), abbé, 598.
RiETHEiM (C. de), 595.
RÔDER DE Ü1EUSB0URG, 496.
Roheisen (Georges), 428.
ROHRBACH (Jacques), 460, 526, 527, 530,
531-533, 535, 568.
ROHRBECK, 243.
ROSENBERG (H. de), 245, 249.
ROSENBERG (M. de), 245.
RosiNLS (chapelain), 50.
ROTENHAN (C. de), 577.
ROTENUAN (S.), 549.
Rlhel (J.), 518, 565.
Ryn (B. de), 588.
Rynmann (éditeur), 316
Sachs (Hans), 370.
Sadolet (Cardinal), 78.
Salamanoue (conseiller), 341
Salb (Nicolas), 460.
Saldner (C), 24.
Salm (comte Nicolas de), 589, 590.
Saunsheim (m. de), 573.
Schalbe (C), 22, 69.
Schappeler (Christophe), 197, 498, 499
ScHAR (chef de paysans), 607.
SCHARTLIN DE BURTENBACH, 573.
SCHAUMBURG (S. DE), 99, 102.
SCHEIT (C), 557, 583.
SCHEL'RL (Christophe), 77, 84, 85, 87, 91.
159,214.
Schilling (S.), 500.
SciiipPEL (chef de paysans), 607.
Schmidt (H), le Renard, 520, 521.
Schmidt iP.), 596.
Schnabel (chef de paysans), 607.
ScpoTT (imprimeur), 9.
Schurpf (IL), 170.
Schvvanhauser (j), 521.
Schwarz (P.), 69.
Schwarzburg (comte Günther de), 555. '
SCHWARZENBERG (.1. DE), 287.
SCHWARZENBERG (Ch. DE), 173.
SCHWEBEL (.1.), 366.
SCWEIKART (N.'l, 197.
SÉBASTIEN (é\éque de Brixeni, 508.
SicKiNGEN (Franz de), 95-100, 102, 117,
121, 124, 126-128, 166, 172, 177, 178,
198, 233, 241, 243, 245-257, 259-264, *
268, 269, 273, 287, 337, 386, 417, .530.
SiCKiNGEN (SchM'icker de), 262, 362, 497.
SiGiSMOND icmpereur), 143.
Simon de Weiersheim, 458.
Sixte IV (pape), 361.
SOCRATE, 19, 28, 57.
SODERiM (cardinal), 329.
Soliman (ailtan), 271, 326, 327.
SOLON, 5, 7, 35.
Spalatin ((;. Burkhard), 8, 28, 53, 81,
83-88, 98, 99, 101. 102, 108, 115. 117,
118, 121, 153, 168, 174, 207.208, 224,
229, 239, 248, 253,263, 281, 565, 610.
Spath (D.), 572.
Spath (L.), 249.
Spengler (L), 91, 92, 369.
TAULt Dt S l'fc:KSONNA(;ES ( IT K S .
G.Z
Spenlein '*'■!, 76.
Stadion (Christophe df.j, évéque, 359.
Stalpitz (I. dk), 75, 81, 87, 239, 371.
Stein (E.), 56.
Stiin (ll.i, 2.
Stiefel iM.), 119.
Stockheim (G. de), 246.
Stolle (chroniqueur , i'2-'..
Storch (N.), 223-
Stralss (prédit-an II, 559.
Stromer ll.i, 59, 220.
SiLMPF (M.), 545.
Sl'ffolk (duc de), 330.
SuLz (comte R. de, 491.
Sylvestre (pape, 63.
Tanner (.1 ), 243.
Taschenmacher (L), 532.
Taltenberc. (E. de), 2i4.
Teigfüss (.t.), 556.
Tempor, 340.
Tetzel '¥.), 381. 382, 385.
Tetzel (Jean), 77, 79, 80.
Tetzel (nnargr), 382-385.
ThÉodote, 30.
Thomas dAqlin (saint). 3.
Ihlnfeld (C), chevalier, 124.
Thungen (E. de), 573.
Thongen (C. de), évéque, 519.
Tiloninls, 32.
TiTE-LiVE, 17, 18, 68.
Tongres ^A. de), 45-47, 43, 51. 59.
lONSTALL (ambassadeur), 165.
TrithÈme (.1.). 2, 422.
Tröster (J.), 26.
Trlchsess .GeoPiies de), chanoine. 50
Irutfetter (J.), 27, 84.
ÜHL de Pegnit/., 461.
Ul ^Hans d'Oberdorf), 498.
iLRiCH n'ALPiRSBAcn (abl)é , 594.
l LRicH (duc de Wurteinberfî), 55, 95,
2G0, 269, .330, 4.30, 431, 494-497. 500,
501, 520, 536, 571, 603.
Urbanls (U. , 30, 32.
Uriel deMayence, 42, 44. 163.
USINGEN (.\rnoldi), 27. 217. 218. 412. 557
Valdez (.\.), 219.
Valla (L.), 9, 63.
VehiS (H.), 172.
Venceslas (roi), 117.
Venninger (docteur), 337, 338.
Virgile, 19, 68, 69.
Voltaire, 10.
V<»LTz iGeoryes), 458.
Waldbirg (Oeorfîcs i.i ). >pnpchal. 49S.
501, 505-507, 56«, 572, 577, 581.
WaLDENuls iH. de), 594, 595.
WaldneR 11.^1 532,
WalSa (H. de), 245.
VVavbeL (M.), 197.
Wehe (H). 502, 505.
VVeigand di; Kedwitz (évéque , 522.
WfRDENnEiiG (comte F. de , 581.
Werdenstein (chevalier G j, 463.
Wertheim i,les comtes de s 250, 521,
545, 556.
Wessobrlnn ((;. de", 86.
Westerbolrg (D' (;.j, .398. 539, 579
WE Y ERMANN iCh.), 531.
Weygand (F.), 473, 474.
Weygand de Redvitz (évêquet, 529.
WiCK (doct.), 105.
Wicleff, 111, 311, 413, 416.
WlDMvNN (E), 317.
WlDMANN (L.), 483.
WiED (H. de), archevêque, 163.
WiGAND M.), 395, 461, 556.
WiLD iN.), 540.
WiMPHELiNG (.].;, 2, 3, 4, 23, 51, 163. 437.
455.
WiMPiNA iJ.), 79, 574.
Wirsperger, 405.
Wirt (.!.', 529, 568.
Wirt(C.), 461.
Wolgemlth (M.), .522.
Wolsey icardinal', 328.
WcRM (F.), 536, 537.
Zasils (H.', 21, 22, 180, 181, 189, 31 î,
399. 512.
Zimmern (I. et G. Werner dei, 595
ZiSKA. 127, 128, 199, 246, 254, 2(.3,
417.
ZOBEL, 219.
ZoLLERNdes comtes de , 249. 262.
Zwilling (Didymei. 221, 226, 228.
ZwiNGLE iH.), 14, 220, 264, 268, .379, 3'.i9,
408. 463.
s
TABLE GÉOGRAPHIQUE
Adolzfurt. 572
Afrique, 110, 139.
Aisch (contrée de 1), 581.
Aii-la-Chapelle, 130, 142.
.Mexandrie, 328.
AlfiBU, 459, 461, 465, 497-499, 503, 506.
507, 581.
Allendorf couvent), 553.
.\lpirsbach (couvent), 594.
Alsace, 255, 423. 427, 430, 4.56, 458, 505,
509,511, 542, 569. 604.
Alstedl, 389, 394. 397, 407, 555.
Aitenbourg, 234.
Amorbach fabbayc d'j, 538, 539, 546.
Andiau. 427.
Angleterre. 6, 8, 11, 21, 117, 138. 161,
277, 279, 328, 33J, 348.
Anhausen (couvent), 504, 505.
Annenrode (couvent), 553.
Anspach-Baireuth, 575, 577.
Anvers, 175.
Appenzell, {13.
Aschaffeubourj;, 163, 544.
Aschersleben, 393.
Asie Mineure, 110, 137, 328.
Auîîsbourj; (ville et evèché). 24, 82, 85,
92, 144, 197, 247, 316, 325, 3,30, 334.
345. 347. 359, 409, 427, 436, 502.
.\u&see, 590.
Autriche, 138, 145, 191, 211, 271, 487.
488, 495, 507, 526, 527, 535, 589.
Bade (margraviat de. 432, 537, 569,
604.
Bâle (ville, évêché et Université), 198.
264, 268, 314, 3l6, 463, 494, 496, 497,
569, 595, 596.
Ballenberg, 538.
Baltringen, 499, 503, 506.
Bam))erg (ville et évéché), 98, 437, 459,
461, 493, 519, 522, 578,588.
Barcelone, 141.
Bavière, 191, 211. 256, 257, 259, 271,
II.
.354, 356. .359, .361, .362, 423, 427, 45<J,
488, 497, 500, 501, 587, 589.
Bayreuth, 244, 461.
Beigrade. 271, 326.
Bergheim, 542.
Berne, 51, 430.
Beuren (couventi, 553.
Biberach, 464, 505.
Bicoque (la), 326.
Bieringen, 572.
Biaise (.Saint-i, 453, 454, 491, 504.
Blies-Caslel. 552.
Böblingen, 508.
Böckingen, 460, 526. 528.
Bohême, 17, 83-85, 112. 227, 255, 263,
277, 279, 302, 315, 368, 889, 412, 413,
415-422, 433, 467, 497, 505, 605.
Bolkstedt, 550.
Bologne, 56, 87, 283.
Bonnerode, 553.
Boppard, 543.
Botzen, 460.
Bourgogne, 6, 145, 152. 325, 330.
Brandebourg (évéché et marquisat de),
86, 211, 220.
Branneggen, 432.
Bretheim. 516.
Brisgau, 255, 428-430, 466, 511, 604.
Brixen (ville et évêché), 163, 465, 508.
509, 584, 585.
Bronnbach (abbaye), 545.
Bruchsal, 428, 537, 5G9.
Bruhrain (le), 537, 569.
Brunswick, 456.
Bruxelles, 8, 100.
Bulgenbach, 490.
Burgau, 502.
C
Calcutta, 443.
Candie, 327, 328.
Capellendorf (couvent), 553.
Carinthie, 422, 432, 456, 507.
Carniole, 432, 456.
Gasten (château), 576.
Castille, 139, 324.
40
626
TABLE GÉOGRAPHIQUE.
Chypre, 328.
Clausen, 586.
Coblentz, 49, 542.
Cobourg, 183.
Cologne (ville, archevêché, Université),
25, 33, 39, 41-45, 47-53, 58-61, 64, 96,
101, 119, 139, 142, 146, 152, 154, 191,
197, 252, 253, 315, 459, 538, 540, 582.
Constance (ville et concile), 80, 87, 157,
176, 368, 369, 412, 456, 464, 499, 502,
506, 507.
Constantinople, 218, 328.
Croatie, 277.
Cronspitz (couvent), 554.
Ciilmbach, 595.
D
Darmstadt, 250.
Denkingen, 500.
Deux-Ponts, 366.
Donawerth, 483, 598.
Dresde, 77.
Durlach, 537.
Ebernbourg (château), 117, 165, 166,
169, 170, 172, 262.
Ecosse, 528.
Eglofs, 507.
Eichsfeid, 553, 556.
Eichstadt, 83, 87.
Eilenbourg, 227, 228.
Eisenacb, 27, 68, 75, 459, 554, 563.
Eisenerz, 590.
Eisleben, 07, 393.
Elchingen (couvent), 504.
Ensisheim, 598.
Erfurt (ville et Université), 25, 27, 28,
32, 35, 36, 42, 49, 52, 68-71, 73, 75, 85,
90, 91, 114, 166, 167, 168, 214, 215, 217,
221, 222, 229,268, 312,313, 367, 453,
Esclavonie, 271, 557-559, 563.
Espagne, 6, 134, 138, 241, 283, 324, 326,
333.
Esslingen, 119, 345, 355,372, 487, 551.
Esthonie, 502.
Etats de IKglise, 326, 327.
Etsch (r), 507.
Feldkirch, 223, 604.
Flandre, 8, 152.
Flein, 530.
Forchheiiu (Franconie), 453.
Forêt Noire, 260, 428, 429, 432, 456, 465-
467, 491, 493, 496, 497, 504, 511, 535,
536, 552.
Framersbach, 579.
France, 6, 8, 11, 150, 161, 277, 323, 329,
330, .332, 343, 348.
Francfort-sur-le-Mein, 44, 63, 146, 173,
246, 247, 252, 272, 325, 3,36, 342. 372,
430, 539, 540, 543, 544, 581-583.
Francfort-sur-l'Oder, 79.
Franconie. 5i, 102, 125, 126, 250, 261,
269, 421, 453, 456, 459, 467, 474, 482,
488, 493, 516, 537, 546, 548, 557, 569,
571, 572, 575, 607.
Frankenhausen, 393, 554, 559-562, 568.
Frauenberg (château fort), 549, 574,
576.
Frauenbreitungen (couvent), 554.
Frauenfeld, 491.
Frauen-Priessnilz (couvent), 554.
Frauensee (couvent), 554.
Freiberg, 296.
Freising, 359.
Fribourg en Brisgau, 22, 43, 314, 411,
429, 466, 491, 996, 500, 511, 596.
Friedberg, 174.
Frioul, 271.
Fulda (abbaye), 54, 437, 552, 560.
Fürfeld, 569.
Fürstenberg, 256.
Füssen, 463.
ii
Gaildorf, 335, 336.
Call (Saint-), 407. 409.
Geislingen, 487.
Gelnhausen, 252.
Gênes, 325-327.
Geürjies (Saint-), couvent, 594.
Georgenlhal ^couvent), 30, 554.
Georgenzeil (couventi, 554.
Gerbstadt (couvent), 554.
Gerode (couvent), 554.
Geisdorf, 243.
Gesess, 461.
Gmünd, 535, 536.
Göllingen (couvent), 554.
Gotha, 28, 30, 32, 168.
Gouda, 6.
Griessen, 494.
Gröbniing, 589,590.
Grünau (chartreuse), 5i5.
Guebwiller, 597.
Gundelsheim, 526, 537, 538.
Günzbourg, 191, 197.
H
Iladersleben, 554.
Haguenau, 432.
Halberstadt, 56, 220.
TABI.i; GÉOGRAPHIQUi:.
f)2r
Hall, 153. «87, 535, 572, 574.
Hall(Tyr()l|, 586.
Halle, 85, 393.
Haslanjjkreut, 243.
Hauenstein (seigneurie de), 410.
Hefïau, 260, 491, 494-197, 53G, 552, .581,
604.
Ileidelberff, 42, 45, 84, 314, 359, 546, 569.
Ileinilinfïsfeld, 571, 579.
Ileilbronn, 431, 470, 526, 529-535, .537,
570, 571.
Heill)ronn (couvent), 431.
Heiligenstadt, 58, 554.
Heilersheim, 596.
Ilelfta, 554.
Herrenbreitungen, 554.
Hersfeld (al)baye), 560.
Hesse, 96, 250, 254, 262, 366, 423, 456,
562.
Ilettstadt, 554.
llilsbach, 569.
Hilsingen, 496, 581.
Hof (Ga^tein), 586.
Hoff, 317.
Hoheneck, 575.
Hohenlohe (comté de), 524, 526, 527.
Hohenstaufen (château), 535.
Holienlwiel, 263, 311, 495, 496, 501, 536.
HoIzkircliPii, 545.
Ilolzzell, 554.
Hombourg, 554.
Hongrie, 271, 276, -79, 326.
Hornberg (château), 526.
Horneck (château', 535, 339.
Hungerberg (la), 427.
laxt (contrée du), 535.
Ichtershausen, 554.
lerhabourg, 554.
léna, 398, 554.
Indes, 443.
Ingolstadt, 315, 356.
Ingolstadt, près Wurzbourg, 572.
Inn (vallée de l'\ 509, 586, 588.
Insprück, 290, 411, 507, 584, 586.
Iphofen, 480.
Isenheim, 542.
Isny. 505.
Italie. 2, 6, 8, 11, 26-28, 54, 56, 61, 63,
73, 120, 138, 150, 324, 325, 329, 330-
332, 497, 505.
Ittingen (Chartreuse), 191.
.lérusalem, 78, 234.
Kaiserslautern, 255.
Kaltenborn, 554.
Kamlach (vallée de), 503.
Kaufljeuern, 463, 505.
Kelbra, 554.
Kemberg (couvent), 223, 580.
Kempten, 197, 427, 463, 465, 503, 50.^
507.
Kirchzarten, 466.
KitzbOhel, 588.
Kitzingen, 575-577.
Klettgau, 491, 494, 496, 497, 552, 581.
Kobenzell, 522.
Kocher (rives du), 535.
Komotau, 418.
Ronigshofen, 572, 576, 579.
Königsberg, 554.
Königsberg (Prusse), 596.
Kresbach, 532.
Kreuzbourg, 554.
Krobsberg, 588.
I.aibach, 272.
Landstuhl (rhâteau\ 262-264.
Langensalza, 395, 461, 554-556, 563.
Lankwart, 243.
Lausanne, 51.
Laut. 596.
Lech (le), 456.
Lehen, près Fribourg, 430.
Leipheim, 502, 506.
Leipzig, 83, 85-87, 114, 180, 302, 314,
400.
Leoben, 590.
Leutkirch, 505.
Lichîenstern (abbaye), 527, 531.
Limpurg (seigneurie), 535.
Lindau, 96, 248, 287.
Lisbonne, 441.
Livonie, 319, 502.
Lombardie, 325, 329.
Lorch icouvent), 535,
Lorraine, 146, 327, 511.
Louvain, 34, 49, 204, 283.
Löwenstein (comté dej, 527.
Lucerne, 430.
Lucques, 398.
Ltitzelstein (donjon). 265.
Lyon, 331, 335.
M
Magdebourg, 68, 85, 219.
Mansfeld (Comté de), 67, 393, 552, 553,
566.
628
TABLE GÉOGRAPHIQUE.
Marbüurg, 268.
Markgröninijen, 4.31.
Marla-Eiibacb, 519.
.Matrey, 588.
Maurusmünster (abbaye), 510, 598.
Mayence, 39, 42-44, 49, 56, 57, 61, 65,
94, 97, 99, 120, 2(8, 219, 251, 4.3.3, 519,
525, 530, 538, 540, 542, 543, 5i6, öis'
581, 583.
Meiningen, 68.
Meissen, 292.
Memmingen, 76, 197, 499, 505.
Méran, 584, 586.
Mergentheim, 526, 572.
.Mersebourg, 86, 87.
Metz, i!6. 146, 253.
Milan. Milanais, 325, 326, 328, 330, 331.
Miltenberg, 473, 474, 545.
Mindel (vallée de), 503.
Misnie, 257, 296, 423, 493.
Mühra, 67.
Moldavie, 271.
Molino del Rey, 137.
Mömpelgard, 331, 496.
Mönclipfit'fel, 554.
Mont fort (comté de), 498.
Mühland (plaine de), 508.
Mühidorf, 587, 588.
Mülhausen, 395, 494, 549-552, .^56, 562
563.
Mulhouse. 71, 268.
Münchenlohra, 554.
Munich, 585, 587.
Münster, 459, 582.
Murbach (abbaye), 598.
]\'
Nägelstädt, 556.
Napies, 106, 138, 324. 326.
Navarre, 324.
Neckar (vallée du), 460, 524, 526, 535,
5iC.
Neckarsulm, 527, 535, 569, 572, 596.
Neuenstein, 526.
Neuhaus (château), 526.
Neustadt sur l'Aisch, 575.
Neustift (abbaye), 508, 586.
Niklashausen, 422-424.
Nikiausried, 554.
Nimptsch, 29 i.
Nordhausen, 389, 554.
Nördlingen, 504.
Numy, 586.
Nuremberg (ville et diètes), 77, 82, 91,
145, 146, 170, 197, 241, 244, 249, 253,
259-261, 271, 272, 275, 278, 280, 282,
286. 291, 316, 317, 332-.335. 338, 341,
345, 347, 348, 354, .3.55, 369-374, 381,
382, 385, .386, 400, 405, 407, 410, 436,
452, 453, 481, 482, 496, 571, 575,' 576!
578.
«
Oberehenheim, 511.
Oherschipf, 519.
Ochsenhausen. 427.
Odenwald, 460, 519, 524, 526, 543, 545.
572.
OEhringen, 460, .524, 525.
oldisleben, 55i.
Onolzbnch, 576, 577.
Oppenheim, 117, 166.
Orlamünde, 395, 396, 398, 399.
Ortenau, 60i.
Ottenbeuern (couvent), 327.
Oxford, 117.
Padoue, 59i).
Palatinat, 163, 247, 254, 262, 359, 368,
456, 519, ,537, 581.
Paris, 49, 101, 117, 150, 197, 204, 324.
329, 330, 420.
Parme, 326.
Passau, 361, 588.
Paulinzelie, 554.
Pavie, 501.
Pays-Bas, 6, 334, 390.
Peters!)erg, .554.
Pfeddersheim, 581.
Pinzgau, 586.
Plaisance, 326.
Pologne, 6, 279.
Poméranie, 366.
Prague, 85, 117, 255, 413.
Prusse, 366.
Ouerfurt, 393.
a
R
Radstadtt, 590.
liappoltswiller, 458.
Ratisbonne, 38, 163, 355, 359, 483, 587.
Ravens!)Ourg, 506.
Reggio, 326.
Reichenhall, 586.
Reifenl)erg, 554.
Reinhardsbrunn (couvent), 168, 554.
Rheingau (le), 3. 250, 423, 4.30, 4.56, 488,
493,
il.
Rhodes (île de), 277, 326 -.328.
Ries ile), 502, 504, 520, 581.
Riga, 319.
Roda, 554.
TABLE CKOGRAPIIIQCE.
620
no(h-nci',f'„ 508.
Rnlirhach {couvent^, 213, :>'>i.
lîome, 50, 50. Gi, 65. 73. 71, 7« 83. 88,
90, 91, 96. 08, inn, 101, 105, 106, 108,
117, 118. 120. 121, 12:î, 125. 126, 118,
151,157, I.',«, 162, 1.55, 177, 178, 185,
218, 277, 278, 283, 291, 29G, 297, 324.
326, 328, .329, 331. 3Î7. 3i9, .356, 400.
402.
Rosileben, 554.
KosKtck, 3H.
Röteln. 601.
Rolhenbourj; isiir la Tauber), 67, 400,
402, 459, 516, 521, 547-549, 578, 597.
Roth (couvent , 498, 579. 580.
Rothweil. .>3t;, 591.
Rotterdam, 6.
.Siialfeld, 55Î.
Saarbouijj. 5 {2.
Sachsenhiiusen, 583.
.Salza, 550, 5.05. 556.
Sal7.bour{;, 456, 586-589, 590.
.Sangerhaiisen, 393.
Saverne, 510, 569.
Savoie, 327.
Saxe, 86. 93, 120, 197, 211, 245, 246, 366.
389, 394, 399, 401, 408. 42t, 423, 4.56.
493, 521, 554, 579, 594. 595.
Schaffhouse, 492, .536.
Srhauinboiir{; (sei{;neiirie), 250.
.Schelestadt. 92, 427, 511.
Schenrljerf;, 535.
.Schillinfîsfiirst. 597.
.Schladming. 589, 590.
Schlaiiders, 586.
Schnialkalden, 554.
Schnals, 586.
.Schonthal icouvent), 525.
Schorndorf. 431, 526.
Schüssen (vallée de), 199.
Schwabach, 525.
Schwabisch-IIall, î87.
Schwäbisch-Gmünd, 372.
Schwanenberjj, 480.
Schwarzbourg (comté), 554.
Schwaz, 588.
Schweinfurt, 453, 570, 571, 577.
Segrena, 580.
Sicile, 324, .326, 329.
Siegen, 5{0.
Silésie, 421.
Siminerhausen, 25 4.
Sion, 51.
Sittichenbach. 554.
Soleure, 430. 497
Sontheim, 465.
i Souabe, 191. 255. 372, 423, 424, 429, 467.
I 168, 488. 490, 493. 499, 501, 502. 5üG.
] 511, 513, 530. 556, 568, 586.
Spessart, 54î, 579.
Spire (ville et évéché). 50, 53, 96, 146.
273, 331, 338. 342, 354, 3.55, 367. 368.
128, .537, 582.
.'^teckeüjeif; fchâteau), 54.95. 97.
stein ('couvent), 6.
Steinheini, 511.
Sterzing, 509, 586.
Stellen, 579.
Stockholm, 61.
siolberg (comté de), 553.
Strasbourg, 02. 169, 198, 245. 247-249,
252, 262, 334, 359, 458, 496, 509, 510.
604.
Stühlingen, 190, 491, 492-495. 500.
Stuttgard. 40. 431, 535. 536.
Styrie, 456, 507, 509, 589.
Suéde, 61.
Suisse, 148, 149, 191, 197, 262, 325, 368.
408, 428, 430, 456, 463, 467, 490, 496,
551, 604.
Sulz, 536.
Sulzfeld, 596.
Sundgau. 255, 542.
Syrie, 28.
Tonn, 243.
Tauber contrée de las 521.
Tautenberg, 244.
Teistungenbourg, 554.
Thungen. 570.
Thünger>heim, 579.
Thurgovie, 491.
Tiiuringe, 408, 456, 494, 516, 549, 554.
555.
Thurnthenning, 243.
Trêves, 39, 40, 59, 127. 249, 250. 252-
254, 262, 386, 533, 542, 543, 569, 581.
Trieste, 478, 586.
Trostadt, 554.
Tubingue, 31, 431 .
Turquie, 5, 91, 12 i, 137, 139, 271-273.
323. .356, 529, 590.
Tyrol, 4i0, 432, 4.56, 458, 463, 488, 490.
507, 509, 584, 585, 589.
Ufnau (ile d'), 268. 372.
lim, 146, 192, 197, 3o0, 338, 421, 491.
499, 501, 502, 505. 528.
L'nterasried. 427.
Untershipf, 519.
Utrecht, 283.
630
TABLE GEOGRAPHIQUE.
Valachie, 271.
Valladolid, 333, 335, 336.
Veilsdorf, 554.
Venise, 277, 325, 327, 483, 590.
Vienne, 24, 191, 315, 316, 589, 590.
Ville, 427.
Villingen, 465, 492, 500.
Volkenrode, 554.
Vosges (les), 432.
IV
Walbeck, 554.
Waldbourg (comté de), 498.
Waldenbourg, 526.
Waldshut, 411, 453, 468, 491, 493, 581.
Waltersdorf, 296.
Walzigau, 586.
Wartbourg (lai, 174-177, 182, 183, 214,
229, 554.
Wassungen, 554.
Weingarten (couvent), 506.
Weinsberg, 516, 524, 527, 529, 530, 531.
534, 569, 572.
Weissenborn, 554.
Weissenhorn, 465.
Weissensee, 556.
Wendel (.Saint-), 250.
Wertheim, 545.
Wesel, 543.
Westphalie, 459.
Wétéravie, 423.
Wiederstadt, 554
Wimmelbourg, 554.
Wimpfen, 534.
Wissembourg, 432, 510.
Wittem!)erg (ville et Université), 68,
75, 77, 79, 81, 85, 89, 93, 1 U, 119, 120,
122,141, 166, 180, 183, 206, 207,214,
220-224, 227, 229-232, 246, 281, 282,
295, 296, 303, 313, 314, 356, 367, 389,
395-397, 399, 400, 405, 406, 408, 428,
430.
Worbis, 554.
Worms (ville, diète et édit), 96, 97,
135, 137, 142, 146, 154, 156, 157, 159,
160, 162. 163, 164, 166, 168, 169, 171,
172, 174-177, 179. 180, 190, 215, 231,
232, 247, 248, 273, 275, 277, 285, 327,
336, 340, 344, 360, 421, 436, 582.
Wurtemberg (duché), 49, 260, 330, 356,
459, 460, 488, 495, 500, 502, 526, 527,
535, 536, 568, 569, 595, 607.
Wurzach, 506.
Wurzbourg (ville et évéché), 218, [459,
460, 516, 519, 521, 525, 530, 538, 544-
547, 549, 570-579, 581,595.
Wytzen, 492.
Zäsingen, 422.
Zell, 554.
Zell en Pinzgau, 554.
Zillerthal, 588.
Zurich, 92, 266, 268, 408, 455, 463, 491.
Zwickau, 223, 389, 407, 408, 516, 566.
Zwolle, 283.
PARIS. TYPOGR.4PHIE DE E. PLÖN, NOURRIT ET C'*, RUE GAR.\NClÈlV&, 8.
ERIWTV
Page 8, note 3, lijjne 3, du duc Philippe, lisez : de l'archiduc Philippe.
P. 37, ligne 18, qui l'aidât, Uslz: qui l'aidait.
P. 66, ligne 22, des produits. Usez : du produit.
P. 71, note 1, ligne 9, Mulhouse, Usez : Muhlhausen.
P. 75, ligne 23, Eisenach, Usez : Erfurt.
P. 76, ligne 5, Menningen, Usez .- Memmingen.
P. 149, ligne 19, un de leurs délégués, Usez : Un des leurs.
P. 225, ligne 16, Dieu lui répondra. Usez : Dieu répondra.
p. 29.J, ligne 19, envers les usages diaboliques et établis, Usez : et envers les
usages diaboliques établis.
P. 297, ligne 27, les théologiens poursuivaient. Usez .- poursuivent.
P. 305, note 1, ligne 9, par la foi de ses propres (Euvres. Usez : par ses propres
œuvres.
P. 369, ligne 17, de décrier hautement, lisez : de décrier.
P. 370, ligne 11, à encourager. Usez : à y encourager.
P. 382, ligne 31, elles les avertissaient, Usez .- elles l'avertissaient.
P. 395. note 1, ligne 1, Eutblössung, Usez : Entblossung.
P. 402, ligne 23, chères âmes de Rothenbourg? Usez .- chers amis du désordre.
P. 406, ligne 11, prendre à part, Usez : et instruire eu particulier.
p. 410, ligne 11, abandonner son père. Usez : quitter son père.
P. 436, ligne 18, un complot tramé au grand jour..., ne rêva plus que.... Usez:
les meneurs n'eurent plus d'autre rêve que...
P. 440, ligne 17, l'ouvrier, l'apprenti savait. Usez : savent.
P. 450, ligne 29, les anciennes conventions sont mises en oubli. Usez .- sont
passées de mode-
P. 456, ligne 31, les soldes des gens de guerre. Usez : la solde des hommes
d'armes.
P. 471, ligne 12, cette défense blessait la charité. Usez : cette coutume.
P. 494, note I, ligne 26, celui ayant obtenu droit de chasse, Usez : le paysan
qui a obtenu droit de chasse.
I'. 496, ligne 2, intimement lié à Hubmaier, Usez : avec Hubmaier.
P. 507, ligne 1, Replen, Usez : Kempten.
P. 514, ligue 20, que les chrétiens ne l'aient pas maintenu et professé. Usez :
ni maintenu ni professé.
P. 530, ligne 10, ils furent promptement maîtres de la ville, Usez .- les révoltés
se rendirent promptement maîtres de la ville.
P. 539, ligne 14, Les hordes dévastèrent toutes les abbayes et châteaux, Usez :
les abbayes et les châteaux.
P. 553, ligne 23, tous ce qu'ils possédaient. Usez : tout ce qu'ils possédaient.
P. 577, ligne 25, Lorsque la révolte de Franconie éclata, Usez : au début de la
révolte de Franconie.
P. 581, ligne 21, le moine aveugle Carlstadt, Usez: le moine aveugle, Carlstadt .
Wvr'fi^'^^s^mmmmm^m'imimmms^w^.^m^^
mmo\HQ LIST FEB 1 ^M
0>
CV2
Oi
(T.
Cl.
O
VD
m -p
eO
O
»-3
0)
s
W - r
CO
o lO f
University of Toronto
Library
DO NOT
REMOVE
THE
CARD
FROM
THIS
POCKET
Âcxne Library Card Pocket
LOWE-MARTIN CO. UMITED